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Gustave Flaubert
Un Coeur Simple
− Collection Romans / Nouvelles −
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Table des matières
Un Coeur Simple.........................................................................................1
I............................................................................................................3
II...........................................................................................................5
III.......................................................................................................13
IV.......................................................................................................25
V........................................................................................................33
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Un Coeur Simple
Auteur : Gustave Flaubert
Catégorie : Romans / Nouvelles
Félicité qui a cinquante ans, est au service de Mme Aubain, veuve endettée
et mère de deux enfants, qui a dû emménager dans une maison héritée de
ses ancêtres à Pont−l'Évêque. Servante modèle, Félicité est entrée au
service de Mme Aubain à l'âge de 18 ans suite à une déception amoureuse
− l'homme qu'elle aimait s'est marié avec une vieille femme pour échapper
à la conscription −.
Félicité s'occupe des enfants de Mme Aubain, Paul et Virginie, âgés de
sept et quatre ans puis Paul va quitter la maison pour suivre des études au
collège de Caen.
Félicité souffre d'abord de ce départ puis se trouve consolée par une
nouvelle distraction : le catéchisme quotidien de Virginie. Mais la fille de
Mme Aubain part bientôt poursuivre son éducation chez les Ursulines à
Honfleur.
Félicité va alors reporter son amour sur son neveu Victor qui s'engage pour
un voyage au long cours dont il ne reviendra pas. Quelque temps après,
Virginie meurt d'une fluxion de poitrine. Félicité, seule, voue alors une
immense tendresse à Loulou, un perroquet dont on lui a fait cadeau. Suite à
une angine, la servante devient sourde; ainsi isolée du monde, elle ne
perçoit plus que la voix de son perroquet quand un matin d'hiver elle
découvre Loulou mort. Sa douleur est tellement grande que suivant le
conseil de Mme Aubain, Félicité décide de le faire empailler. Après la
mort de Mme Aubain, la pauvre servante reste dans la maison invendue
qui se dégrade peu à peu. Ayant contracté une pneumonie, Félicité ne vit
plus que dans l'unique souci des reposoirs de la fête−Dieu. Elle décide
même d'offrir Loulou empaillé pour orner le reposoir situé dans la cour de
la maison de Mme Aubain. Pendant que la procession parcourt la ville,
1
Félicité agonise et dans une ultime vision, le Saint−Esprit lui apparaît sous
l'aspect d'un gigantesque perroquet.
Licence : Domaine public
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I
Pendant un demi−Siècle, les bourgeoises de Pont l'Évêque envièrent à
Mme Aubain sa servante Félicité.
Pour cent francs par an, elle faisait la cuisine et le ménage, cousait, lavait,
repassait, savait brider un cheval, engraisser les volailles, battre le beurre,
et resta fidèle à sa maîtresse, − qui cependant n'était pas une personne
agréable.
Elle avait épousé un beau garçon sans fortune, mort au commencement de
1809, en lui laissant deux enfants très jeunes avec une quantité de dettes.
Alors elle vendit ses immeubles , sauf la ferme de Toucques et la ferme de
Geffosses dont les rentes montaient à 5 000 francs tout au plus, et elle
quitta sa maison de Saint−Melaine pour en habiter une autre moins
dispendieuse, ayant appartenu à ses ancêtres et placée derrière les halles.
Cette maison, revêtue d'ardoises, se trouvait entre un passage et une ruelle
aboutissant à la rivière. Elle avait intérieurement des différences de niveau
qui faisaient trébucher. Un vestibule étroit séparait la cuisine de la salle où
Mme Aubain se tenait tout le long du jour, assise près de la croisée dans un
fauteuil de paille. Contre le lambris, peint en blanc, s'alignaient huit
chaises d'acajou. Un vieux piano supportait, sous un baromètre, un tas
pyramidal de boîtes et de cartons. Deux bergères de tapisserie flanquaient
la chemisée en marbre jaune et de style Louis XV. La pendule, au milieu,
représentait un temple de Vesta, et tout l'appartement sentait un peu le
moisi, car le plancher était plus bas que le jardin.
Au premier étage, il y avait d'abord la chambre de “Madame”, très grande,
tendue d'un papier à fleurs pâles, et contenant le portrait de “Monsieur” en
costume de muscadin. Elle communiquait avec une chambre plus petite, où
l'on voyait deux couchettes d'enfants, sans matelas. Puis venait le salon,
toujours fermé, et rempli de meubles recouverts d'un drap. Ensuite un
corridor menait à un cabinet d'études ; des livres et des paperasses
garnissaient les rayons d'une bibliothèque entourant de ses trois côtés un
large bureau de bois noir. Les deux panneaux en retour disparaissaient sous
I 3
des dessins à la plume, des paysages à la gouache et des gravures
d'Audran, souvenirs d'un temps meilleur et d'un luxe évanoui.
Une lucarne au second étage éclairait la chambre de Félicité, ayant vue sur
les prairies.
Elle se levait dès l'aube, pour ne pas manquer la messe, et travaillait
jusqu'au soir sans interruption ; puis, le dîner étant fini, la vaisselle en
ordre et la porte bien close, elle enfouissait la bûche sous les cendres et
s'endormait devant l'âtre, son rosaire à la main. Personne, dans les
marchandages , ne montrait plus d'entêtement. Quant à la propreté, le poli
de ses casseroles faisait le désespoir des autres servantes.
Économe, elle mangeait avec lenteur, et recueillait du doigt sur la table les
miettes de son pain, − un pain de douze livres, cuit exprès pour elle, et qui
durait vingt jours.
En toute saison, elle portait un mouchoir d'indienne fixé dans le dos par
une épingle, un bonnet lui cachant les cheveux, des bas gris, un jupon
rouge, et par−dessus sa camisole un tablier à bavette, comme les
infirmières d'hôpital.
Son visage était maigre et sa voix aiguë. A vingt cinq ans, on lui en
donnait quarante. Dès la cinquantaine, elle ne marqua plus aucun âge ;
− et, toujours silencieuse, la taille droite et les gestes mesurés, semblait une
femme en bois, fonctionnant d'une manière automatique.
Un Coeur Simple
I 4
II
Elle avait eu, comme une autre, son histoire d'amour. Son père, un maçon,
s'était tué en tombant d'un échafaudage. Puis sa mère mourut, ses soeurs se
dispersèrent, un fermier la recueillit, et l'employa toute petite à garder les
vaches dans la campagne.
Elle grelottait sous des haillons, buvait à plat ventre l'eau des mares, à
propos de rien était battue, et finalement fut chassée pour un vol de trente
sols, qu'elle n'avait pas commis. Elle entra dans une autre ferme, y devint
fille de basse−cour, et, comme elle plaisait aux patrons, ses camarades la
jalousaient.
Un soir du mois d'août (elle avait alors dix−huit ans), ils l'entrainèrent à
l'assemblée de Colleville.
Tout de suite elle fut étourdie, stupéfaite par le tapage des ménétriers, les
lumières dans les arbres, la bigarrure des costumes, les dentelles, les croix
d'or, cette masse de monde sautant à la fois. Elle se tenait à l'écart
modestement, quand un jeune homme d'apparence cossue, et qui fumait sa
pipe les deux coudes sur le timon d'un banneau, vint l'inviter à la danse.
Il lui paya du cidre, du café, de la galette, un foulard, et, s'imaginant qu'elle
le devinait, offrit de la reconduire. Au bord d'un champ d'avoine, il la
renversa brutalement. Elle eut peur et se mit à crier. Il s'éloigna.
Un autre soir, sur la route de Beaumont, elle voulut dépasser un grand
chariot de foin qui avançait lentement, et en frôlant les roues elle reconnut
Théodore.
Il l'aborda d'un air tranquille, disant qu'il fallait tout pardonner, puisque
c'était “ la faute de la boisson ”.
Elle ne sut que répondre et avait envie de s'enfuir.
Aussitôt il parla des récoltes et des notables de la commune, car son père
avait abandonné Colleville pour la ferme des Écots, de sorte que
maintenant ils se trouvaient voisins.
− “ Ah ! ” dit−elle. Il ajouta qu'on désirait l'établir. Du reste, il n'était pas
pressé, et attendait une femme à son goût. Elle baissa la tête. Alors, il lui
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demanda si elle pensait au mariage. Elle reprit, en souriant, que c'était mal
de se moquer.
− “ Mais non, je vous jure ! ” et du bras gauche il lui entoura la taille ; elle
marchait soutenue par son étreinte ; ils se ralentirent. Le vent était mou, les
étoiles brillaient, l'énorme charretée de foin oscillait devant eux ; et les
quatre chevaux, en traînant leurs pas, soulevaient de la poussière. Puis,
sans commandement, ils tournèrent à droite. Il l'embrassa encore une fois.
Elle disparut dans l'ombre.
Théodore, la semaine suivante, en obtint des rendez−vous.
Ils se rencontraient au fond des cours, derrière un mur, sous un arbre isolé.
Elle n'était pas innocente à la manière des demoiselles.
− les animaux l'avaient instruite ;
− mais la raison et l'instinct de l'honneur l'empêchèrent de faillir. Cette
résistance exaspéra l'amour de Théodore, si bien que pour le satisfaire
(ou naïvement peut−être) il proposa de l'épouser. Elle hésitait à le croire. Il
fit de grands serments.
Bientôt il avoua quelque chose de fâcheux : ses parents, l'année dernière,
lui avaient acheté un homme ; mais d'un jour à l'autre on pourrait le
reprendre ; l'idée de servir l'effrayait. Cette couardise fut pour Félicité une
preuve de tendresse ; la sienne en redoubla. Elle s'échappait la nuit, et,
parvenue au rendez−vous, Théodore la torturait avec ses inquiétudes et ses
instances.
Enfin, il annonça qu'il irait lui−même à la Préfecture prendre des
informations, et les apporterait dimanche prochain entre onze heures et
minuit.
Le moment arrivé, elle courut vers l'amoureux.
A sa place, elle trouva un de ses amis.
Il lui apprit qu'elle ne devait plus le revoir. Pour se garantir de la
conscription, Théodore avait épousé une vieille femme très riche, Mme
Lehoussais, de Toucques.
Ce fut un chagrin désordonné. Elle se jeta par terre, poussa des cris, appela
le bon Dieu, et gémit toute seule dans la campagne jusqu'au soleil levant.
Puis elle revint à la ferme, déclara son intention d'en partir ; et, au bout du
mois, ayant reçu ses comptes, elle enferma tout son petit bagage dans un
mouchoir, et se rendit à Pont−l'Évêque.
Un Coeur Simple
II 6
Devant l'auberge, elle questionna une bourgeoise en capeline de veuve, et
qui précisément cherchait une cuisinière. La jeune fille ne savait pas grand
chose, mais paraissait avoir tant de bonne volonté et si peu d'exigences,
que Mme Aubain finit par dire :
− “ Soit, je vous accepte ! ” Félicité, un quart d'heure après, était installée
chez elle.
D'abord elle y vécut dans une sorte de tremblement que lui causaient “le
genre de la maison ” et le souvenir de “ Monsieur ”, planant sur tout Paul
et Virginie, l'un âgé de sept ans, l'autre de quatre à peine, lui semblaient
formés d'une matière précieuse ; elle les portait sur son dos comme un
cheval, et Mme Aubain lui défendit de les baiser à chaque minute, ce qui la
mortifia. Cependant elle se trouvait heureuse.
La douceur du milieu avait fondu sa tristesse.
Tous les jeudis, des habitués venaient faire une partie de boston. Félicité
préparait d'avance les cartes et les chaufferettes. Ils arrivaient à huit heures
bien juste, et se retiraient avant le coup de onze.
Chaque lundi matin, le brocanteur qui logeait sous l'allée étalât par terre
ses ferrailles. Puis la ville se remplissait d'un bourdonnement de voix, où
se mêlaient des hennissements de chevaux, des bêlements d'agneaux, des
grognements de cochons, avec le bruit sec des carrioles dans la rue. Vers
midi, au plus fort du marché, on voyait paraître sur le seuil un vieux
paysan de haute taille, la casquette en amère, le nez crochu, et qui était
Robelin, le fermier de Geffosses. Peu de temps après c'était Liébard, le
fermier de Toucques, petit, rouge, obèse, portant une veste grise et des
houseaux armés d'éperons.
Tous deux offraient à leur propriétaire des poules ou des fromages. Félicité
invariablement déjouait leurs astuces, et ils s'en allaient pleins de
considération pour elle.
A des époques indéterminées, Mme Aubain recevait la visite du marquis
de Gremanville, un de ses oncles, ruiné par la crapule et qui vivait à
Falaise sur le dernier lopin de ses terres. Il se présentait toujours à l'heure
du déjeuner, avec un affreux caniche dont les pattes salissaient tous les
meubles.
Malgré ses efforts pour paraître gentilhomme jusqu'à soulever son chapeau
chaque fois qu'il disait : “Feu mon père”, l'habitude l'entraînant, il se
Un Coeur Simple
II 7
versait à boire coup sur coup, et lâchait des gaillardises. Félicité le poussait
dehors poliment : “Vous en avez assez, Monsieur de Gremanville, A une
autre fois ” Et elle refermait la porte.
Elle l'ouvrait avec plaisir devant M. Bourais, ancien avoué. Sa cravate
blanche et sa calvitie, le jabot de sa chemise, son ample redingote brune, sa
façon de priser en arrondissant le bras, tout son individu lui produisait ce
trouble où nous jette le spectacle des hommes extraordinaires.
Comme il gérait les propriétés de “Madame”, il s'enfermait avec elle
pendant des heures dans le cabinet de “Monsieur”, et craignait toujours de
se compromettre, respectait infiniment la magistrature, avait des
prétentions au latin.
Pour instruire les enfants d'une manière agréable, il leur fit cadeau d'une
géographie en estampes. Elles représentaient différentes scènes du monde,
des anthropophages coiffés de plumes, un singe enlevant une demoiselle,
des Bédouins dans le désert, une baleine qu'on harponnait, etc.
Paul donna l'explication de ces gravures à Félicité.
Ce fut même toute son éducation littéraire.
Celle des enfants était faite par Guyot, un pauvre diable employé à la
Mairie, fameux pour sa belle main, et qui repassait son canif sur sa botte.
Quand le temps était clair, on s'en allait de bonne heure à la ferme de
Geffosses.
La cour est en pente, la maison dans le milieu ; et la mer, au loin, apparaît
comme une tache grise.
Félicité retirait de son cabas des tranches de viande froide, et on déjeunait
dans un appartement faisant suite à la laiterie. Il était le seul reste d'une
habitation de plaisance, maintenant disparue. Le papier de la muraille en
lambeaux tremblait aux courants d'air. Mme Aubain penchait son front,
accablée de souvenirs, les enfants n'osaient plus parler. “Mais jouez
donc !” disait−elle ; ils décampaient.
Paul montait dans la grange, attrapait des oiseaux, faisait des ricochets sur
la mare, ou tapait avec un bâton les grosses futailles qui résonnaient
comme des tambours.
Virginie donnait à manger aux lapins, se précipitait pour cueillir des bluets
, et la rapidité de ses jambes découvrait ses petits pantalons brodés.
Un soir d'automne, on s'en retourna par les herbages.
Un Coeur Simple
II 8
La lune à son premier quartier éclairait une partie du ciel, et un brouillard
flottait comme une écharpe sur les sinuosités de la Toucques. Des boeufs,
étendus au milieu du gazon, regardaient tranquillement ces quatre
personnes passer. Dans la troisième pâture quelques−uns se levèrent, puis
se mirent en rond devant elles.
− “ Ne craignez rien ! ” dit Félicité ; et, murmurant une sorte de
complainte, elle flatta sur l'échine celui qui se trouvait le plus près ; il fit
volte−face, les autres l'imitèrent. Mais, quand l'herbage suivant fut
traversé, un beuglement formidable s'éleva.
C'était un taureau, que cachait le brouillard. Il avança vers les deux
femmes. Mme Aubain allât courir. “Non ! non ! moins vite !” Elles
pressaient le pas cependant, et entendaient par−derrière un souffle sonore
qui se rapprochait. Ses sabots, comme des marteaux, battaient l'herbe de la
prairie ; voilà qu'il galopait maintenant ! Félicité se retourna, et elle
arrachait à deux mains des plaques de terre qu'elle lui jetait dans les yeux.
Il baissait le mufle, secouait les cornes et tremblait de fureur en beuglant
horriblement. Mme Aubain, au bout de l'herbage avec ses deux petits,
cherchait éperdue comment franchir le haut bord. Félicité reculait toujours
devant le taureau, et continuellement lançait des mottes de gazon qui
l'aveuglaient, tandis qu'elle criait :
− “Dépêchez−vous ! dépêchez−vous ! ” Mme Aubain descendit le fossé,
poussa Virginie, Paul ensuite, tomba plusieurs fois en tâchant de gravir le
talus, et à force de courage y parvint.
Le taureau avait acculé Félicité contre une claire voie ; sa bave lui
rejaillissait à la figure, une seconde de plus il l'éventrait. Elle eut le temps
de se couler entre deux barreaux, et la grosse bête, toute surprise, s'arrêta.
Cet événement, pendant bien des années, fut un sujet de conversation à
Pont−l'Évêque. Félicité n'en tira aucun orgueil, ne se doutant même pas
qu'elle eût rien fait d'héroïque.
Virginie l'occupait exclusivement ;
− car elle eut à la suite de son effroi, une affection nerveuse, et M. Poupart,
le docteur, conseilla les bains de mer de Trouville.
Dans ce temps−là, ils n'étaient pas fréquentés.
Mme Aubain prit des renseignements, consulta Bourais, fit des préparatifs
comme pour un long voyage.
Un Coeur Simple
II 9
Ses colis partirent la veille, dans la charrette de Liébard. Le lendemain, il
amena deux chevaux dont un avait une selle de femme, munie d'un dossier
de velours ; et sur la croupe du second un manteau roulé formait une
manière de siège. Mme Aubain y monta, derrière lui. Félicité se chargea de
Virginie, et Paul enfourcha l'âne de M. Lechaptois, prêté sous la condition
d'en avoir grand soin.
La route était si mauvaise que ses huit kilomètres exigèrent deux heures.
Les chevaux enfonçaient jusqu'aux paturons dans la boue, et faisaient pour
en sortir de brusques mouvements des hanches ; ou bien ils butaient contre
les ornières ; d'autres fois, il leur l'allait sauter. La jument de Liébard, à de
certains endroits, s'arrêtait tout à coup. Il attendait patiemment qu'elle se
remît en marche ; et il parlait des personnes dont les propriétés bordaient la
route, ajoutant à leur histoire des réflexions morales. Ainsi, au milieu de
Toucques, comme on passait sous des fenêtres entourées de capucines, il
dit, avec un haussement d'épaules :
− “ En voilà une Mme Lehoussais, qui au lieu de prendre un jeune
homme...” Félicité n'entendit pas le reste ; les chevaux trottaient, l'âne
galopait ; tous enfilèrent un sentier, une barrière tourna, deux garçons
parurent, et l'on descendit devant le purin, sur le seuil même de la porte.
La mère Liébard, en apercevant sa maîtresse, prodigua les démonstrations
de joie. Elle lui servit un déjeuner où il y avait un aloyau, des tripes, du
boudin, une fricassée de poulet, du cidre mousseux, une tarte aux compotes
et des prunes à l'eau−de−vie, accompagnant le tout de politesses à Madame
qui paraissait en meilleure santé, à Mademoiselle devenue “magnifique”, à
M. Paul singulièrement “forci”, sans oublier leurs grands−parents défunts
que les Liébard avaient connus, étant au service de la famille depuis
plusieurs générations. La ferme avait, comme eux, un caractère
d'ancienneté. Les poutrelles du plafond étaient vermoulues, les murailles
noires de fumée, les carreaux gris de poussière. Un dressoir en chêne
supportait toutes sortes d'ustensiles, des brocs, des assiettes, des écuelles,
des pièges à loup, des forces pour les moutons ; une seringue énorme fit
rire les enfants. Pas un arbre des trois cours qui n'eût des champignons à sa
base, ou dans ses rameaux une touffe de gui.
Le vent en avait jeté bas plusieurs. Ils avaient repris par le milieu ; et tous
fléchissaient sous la quantité de leurs pommes.
Un Coeur Simple
II 10
Les toits de paille, pareils à du velours brun et inégaux d'épaisseur,
résistaient aux plus fortes bourrasques. Cependant la charreterie tombait en
ruine.
Mme Aubain dit qu'elle aviserait, et commanda de reharnacher les bêtes.
On fut encore une demi−heure avant d'atteindre Trouville. La petite
caravane mit pied à terre pour passer les Écores ; c'était une falaise
surplombant des bateaux ; et trois minutes plus tard, au bout du quai, on
entra dans la cour de l'Agneau d'or, chez la mère David.
Virginie, dès les premiers jours, se sentit moins faible, résultat du
changement d'air et de l'action des bains. Elle les prenait en chemise, à
défaut d'un costume ; et sa bonne la rhabillait dans une cabane de douanier
qui servait aux baigneurs.
L'après−midi, on s'en allait avec l'âne au−delà des Roches−Noires, du côté
d'Hennequeville. Le sentier, d'abord, montait entre des terrains vallonnés
comme la pelouse d'un parc, puis arrivait sur un plateau où alternaient des
pâturages et des champs en labour. A la lisière du chemin, dans le fouillis
des ronces, des houx se dressaient ; çà et là, un grand arbre mort faisait sur
l'air bleu des zigzags avec ses branches.
Presque toujours on se reposait dans un pré, ayant Deauville à gauche, Le
Havre à droite et en face la pleine mer. Elle était brillante de soleil, lisse
comme un miroir, tellement douce qu'on entendait à peine son murmure ;
des moineaux cachés pépiaient, et la voûte immense du ciel recouvrât tout
cela. Mme Aubain, assise, travaillait à son ouvrage de couture ; Virginie
près d'elle tressait des joncs ; Félicité sarclait des fleurs de lavande ; Paul,
qui s'ennuyât, voulait partir.
D'autres fois, ayant passé la Toucques en bateau, ils cherchaient des
coquilles. La marée basse laissât à découvert des oursins, des godefiches,
des méduses ; et les enfants couraient, pour saisir des flocons d'écume que
le vent emportait. Les flots endormis, en tombant sur le sable, se
déroulaient le long de la grève ; elle s'étendait à perte de vue, mais du côté
de la terre avait pour limite les dunes la séparant du Marais, large prairie en
forme d'hippodrome. Quand ils revenaient par là, Trouville, au fond sur la
pente du coteau, à chaque pas grandissait, et avec toutes ses maisons
inégales semblait s'épanouir dans un désordre gai.
Les jours qu'il faisait trop chaud, ils ne sortaient pas de leur chambre.
Un Coeur Simple
II 11
L'éblouissante clarté du dehors plaquait des barres de lumière entre les
lames des jalousies. Aucun bruit dans le village. En bas, sur le trottoir,
personne. Ce silence épandu augmentait la tranquillité des choses. Au loin,
les marteaux des calfats tamponnaient des carènes, et une brise lourde
apportait la senteur du goudron.
Le principal divertissement était le retour des barques. Dès qu'elles avaient
dépassé les balises, elles commençaient à louvoyer. Leurs voiles
descendaient aux deux tiers des mâts ; et, la misaine gonflée comme un
ballon, elles avançaient, glissaient dans le clapotement des vagues,
jusqu'au milieu du port, où l'ancre tout à coup tombait. Ensuite le bateau se
plaçait contre le quai. Les matelots jetaient par−dessus le bordage des
poissons palpitants ; une file de charrettes les attendait, et des femmes en
bonnet de coton s'élançaient pour prendre les corbeilles et embrasser leurs
hommes.
Une d'elles, un jour, aborda Félicité, qui peu de temps après entra dans la
chambre, toute joyeuse. Elle avait retrouvé une soeur ; et Nastasie Barette,
femme Leroux, apparut, tenant un nourrisson à sa poitrine, de la main
droite un autre enfant, et à sa gauche un petit mousse les poings sur les
hanches et le bêret sur l'oreille.
Au bout d'un quart d'heure, Mme Aubain la congédia.
On les rencontrait toujours aux abords de la cuisine, ou dans les
promenades que l'on faisait. Le mari ne se montrait pas.
Félicité se prit d'affection pour eux. Elle leur acheta une couverture, des
chemises, un fourneau ; évidemment ils l'exploitaient. Cette faiblesse
agaçait Mme Aubain, qui d'ailleurs n'aimait pas les familiarités du neveu, −
car il tutoyait son fils ; et, comme Virginie toussait et que la saison n'était
plus bonne, elle revint à Pont−l'Evêque.
M. Bourais l'éclaira sur le choix d'un collège.
Celui de Caen passait pour le meilleur. Paul y fut envoyé ; et fit bravement
ses adieux, satisfait d'aller vivre dans une maison où il aurait des
camarades.
Mme Aubain se résigna à l'éloignement de son fils, parce qu'il était
indispensable. Virginie y songea de moins en moins. Félicité regrettait son
tapage. Mais une occupation vint la distraire ; à partir de Noël, elle mena
tous les jours la petite fille au catéchisme.
Un Coeur Simple
II 12
III
Quand elle avait fait à la porte une génuflexion , elle s'avançait sous la
haute nef entre la double ligne des chaises, ouvrait le banc de Mme
Aubain, s'asseyait, et promenait ses yeux autour d'elle.
Les garçons à droite, les filles à gauche, emplissaient les stalles du choeur ;
le curé se tenait debout près du lutrin ; sur un vitrail de l'abside, le
Saint−Esprit dominait la Vierge ; un autre la montrait à genoux devant
l'Enfant−Jésus, et, derrière le tabernacle, un groupe en bois représentait
saint Michel terrassant le dragon.
Le prêtre fit d'abord un abrégé de l'Histoire sainte. Elle croyait voir le
paradis, le déluge, la tour de Babel, des villes en flammes, des peuples qui
mouraient, des idoles renversées ; et elle garda de cet éblouissement le
respect du Très−Haut et la crainte de sa colère. Puis, elle pleura en
écoutant la Passion.
Pourquoi l'avaient−ils crucifié, lui qui chérissait les enfants, nourrissait les
foules, guérissait les aveugles, et avait voulu, par douceur, naître au milieu
des pauvres, sur le fumier d'une étable ?. Les semailles, les moissons, les
pressoirs, toutes ces choses familières dont parle l'Évangile, se trouvaient
dans sa vie ; le passage de Dieu les avait sanctifiées ; et elle aima plus
tendrement les agneaux par amour de l'Agneau, les colombes à cause du
Saint−Esprit.
Elle avait peine à imaginer sa personne ; car il n'était pas seulement oiseau,
mais encore un feu, et d'autres fois un souffle. C'est peut−être sa lumière
qui voltige la nuit aux bords des marécages, son haleine qui pousse les
nuées, sa voix qui rend les cloches harmonieuses ; et elle demeurait dans
une adoration, jouissant de la fraîcheur des murs et de la tranquillité de
l'église.
Quant aux dogmes, elle n'y comprenait rien, ne tâcha même pas de
comprendre. Le curé discourait, les enfants récitaient, elle finissait par
s'endormir ; et se réveillait tout à coup, quand ils faisaient en s'en allant
claquer leurs sabots sur les dalles.
III 13
Ce fut de cette manière, à force de l'entendre, qu'elle apprit le catéchisme,
son éducation religieuse ayant été négligée dans sa jeunesse ; et dès lors
elle imita toutes les pratiques de Virginie, jeûnait comme elle, se confessait
avec elle. A la Fête−Dieu, elles firent ensemble un reposoir.
La première communion la tourmentait d'avance.
Elle s'agita pour les souliers, pour le chapelet, pour le livre, pour les gants.
Avec quel tremblement elle aida sa mère à l'habiller. Pendant toute la
messe, elle éprouva une angoisse.
M. Bourais lui cachait un côté du choeur ; mais juste en face, le troupeau
des vierges portant des couronnes blanches par−dessus leurs voiles
abaissés formait comme un champ de neige ; et elle reconnaissait de loin la
chère petite à son cou plus mignon et à son attitude recueillie. La cloche
tinta. Les têtes se courbèrent ; il y eut un silence. Aux éclats de l'orgue, les
chantres et la foule entonnèrent l'Agnus Dei ; puis le défilé des garçons
commença ; et, après eux, les filles se levèrent. Pas à pas, et les mains
jointes, elles allaient vers l'autel tout illuminé, s'agenouillaient sur la
première marche, recevaient l'hostie successivement, et dans le même
ordre revenaient à leurs prie Dieu. Quand ce fut le tour de Virginie, Félicité
se pencha pour la voir ; et, avec l'imagination que donnent les vraies
tendresses, il lui sembla qu'elle était elle−même cette enfant ; sa figure
devenait la sienne, sa robe l'habillait, son coeur lui battait dans la poitrine ;
au moment d'ouvrir la bouche, en fermant les paupières, elle manqua de
s'évanouir.
Le lendemain, de bonne heure, elle se présenta dans la sacristie, pour que
M. le curé lui donnât la communion. Elle la reçut dévotement, mais n'y
goûta pas les mêmes délices.
Mme Aubain voulait faire de sa fille une personne accomplie ; et, comme
Guyot ne pouvait lui montrer ni l'anglais ni la musique, elle résolut de la
mettre en pension chez les Ursulines d'Honfleur.
L'enfant n'objecta rien. Félicité soupirait, trouvant Madame insensible.
Puis elle songea que sa maîtresse, peut−être, avait raison. Ces choses
dépassaient sa compétence.
Enfin, un jour, une vieille tapissière s'arrêta devant la porte ; et il en
descendit une religieuse qui venait chercher Mademoiselle. Félicité monta
les bagages sur l'impériale, fit des recommandations au cocher, et plaça
Un Coeur Simple
III 14
dans le coffre six pots de confiture et une douzaine de poires, avec un
bouquet de violettes.
Virginie, au dernier moment, fut prise d'un grand sanglot ; elle embrassait
sa mère qui la baisait au front en répétant : − “ Allons ! du courage ! du
courage ! ” Le marchepied se releva, la voiture partit.
Alors Mme Aubain eut une défaillance ; et le soir tous ses amis, le ménage
Lormeau, Mme Lechaptois, ces demoiselles Rochefeuille, M. de
Houppeville et Bourais se présentèrent pour la consoler.
La privation de sa fille lui fut d'abord très douloureuse. Mais trois fois la
semaine elle en recevait une lettre, les autres jours lui écrivait, se
promenait dans son jardin, lisait un peu, et de cette façon comblait le vide
des heures.
Le matin, par habitude, Félicité entrait dans la chambre de Virginie, et
regardait les murailles. Elle s'ennuyait de n'avoir plus à peigner ses
cheveux, à lui lacer ses bottines, à la border dans son lit, et de ne plus voir
continuellement sa gentille figure, de ne plus la tenir par la main quand
elles sortaient ensemble. Dans son désoeuvrement, elle essaya de faire de
la dentelle. Ses doigts trop lourds cassaient les fils ; elle n'entendait à rien,
avait perdu le sommeil, suivant son mot, était “minée”.
Pour “se dissiper”, elle demanda la permission de recevoir son neveu
Victor.
Il arrivait le dimanche après la messe, les joues roses, la poitrine nue, et
sentant l'odeur de la campagne qu'il avait traversée. Tout de suite, elle
dressait son couvert. Ils déjeunaient l'un en face de l'autre ; et, mangeant
elle−même le moins possible pour épargner la dépense, elle le bourrait
tellement de nourriture qu'il finissait par s'endormir. Au premier coup des
vêpres, elle le réveillait, brossait son pantalon, nouait sa cravate, et se
rendait à l'église, appuyée sur son bras dans un orgueil maternel.
Ses parents le chargeaient toujours d'en tirer quelque chose, soit un paquet
de cassonade, du savon, de l'eau−de−vie, parfois même de l'argent. Il
apportait ses nippes à raccommoder ; et elle acceptait cette besogne,
heureuse d'une occasion qui le forçât à revenir.
Au mois d'août, son père l'emmena au cabotage.
C'était l'époque des vacances. L'arrivée des enfants la consola. Mais Paul
devenait capricieux, et Virginie n'avait plus l'âge d'être tutoyée, ce qui
Un Coeur Simple
III 15
mettait une gêne, une barrière entre elles.
Victor alla successivement à Morlaix, à Dunkerque et à Brighton ; au
retour de chaque voyage, il lui offrait un cadeau. La première fois, ce fut
une boîte en coquilles ; la seconde, une tasse à café ; la troisième, un grand
bonhomme en pain d'épice. Il embellissait, avait la taille bien prise, un peu
de moustache, de bons yeux francs, et un petit chapeau de cuir, placé en
amère comme un pilote. Il l'amusait en lui racontant des histoires mêlées
de termes marins.
Un lundi, 14 juillet 1819 (elle n'oublia pas la date), Victor annonça qu'il
était engagé au long cours, et, dans la nuit du surlendemain, par le
paquebot de Honfleur, irait rejoindre sa goélette, qui devait démarrer du
Havre prochainement. Il serait, peut−être, deux ans parti.
La perspective d'une telle absence désola Félicité ; et pour lui dire encore
adieu, le mercredi soir, après le dîner de Madame, elle chaussa des
galoches, et avala les quatre lieues qui séparent Pont−l'Évêque de
Honfleur.
Quand elle fut devant le Calvaire, au lieu de prendre à gauche, elle prit à
droite, se perdit dans des chantiers, revint sur ses pas ; des gens qu'elle
accosta l'engagèrent à se hâter. Elle fit le tour du bassin rempli de navires,
se heurtât contre des amarres ; puis le terrain s'abaissa, des lumières
s'entrecroisèrent, et elle se crut folle, en apercevant des chevaux dans le
ciel.
Au bord du quai, d'autres hennissaient, effrayés par la mer. Un palan qui
les enlevait les descendait clans un bateau, où des voyageurs se
bousculaient entre les barriques de cidre, les paniers de fromage, les sacs
de grain ; on entendait chanter des poules, le capitaine jurait ; et un mousse
restait accoudé sur le bossoir, indifférent à tout cela. Félicité, qui ne l'avait
pas reconnu, criait : “ Victor !” Il leva la tête ; elle s'élançait, quand on
retira l'échelle tout à coup.
Le paquebot, que des femmes halaient en chantant, sortit du port. Sa
membrure craquait, les vagues pesantes fouettaient sa proue. La voile avait
tourné, on ne vit plus personne ;
− Et, sur la mer argentée par la lune, il faisait une tache noire qui pâlissait
toujours, s'enfonça, disparut.
Félicité, en passant près du Calvaire, voulut recommander à Dieu ce qu'elle
Un Coeur Simple
III 16
chérissait le plus ; et elle pria pendant longtemps, debout, la face baignée
de pleurs, les yeux vers les nuages. La ville dormait, des douaniers se
promenaient ; et de l'eau tombait sans discontinuer par les trous de l'écluse,
avec un bruit de torrent. Deux heures sonnèrent.
Le parloir n'ouvrirait pas avant le jour. Un retard, bien sûr, contrarierait
Madame ; et, malgré son désir d'embrasser l'autre enfant, elle s'en retourna.
Les filles de l'auberge s'éveillaient, comme elle entrât dans Pont−l'Évêque.
Le pauvre gamin durant des mois allait donc rouler sur les flots ! Ses
précédents voyages ne l'avaient pas effrayée. De l'Angleterre et de la
Bretagne, on revenait ; mais l'Amérique, les Colonies, les Iles, cela était
perdu dans une région incertaine, à l'autre bout du monde.
Dès lors, Félicité pensa exclusivement à son neveu.
Les jours de soleil, elle se tourmentait de la soif ; quand il faisait de
l'orage, craignait pour lui la foudre.
En écoutant le vent qui grondait dans la cheminée et emportait les ardoises,
elle le voyait battu par cette même tempête, au sommet d'un mât fracassé,
tout le corps en amère, sous une nappe d'écume ; ou bien, souvenirs de la
géographie en estampes, il était mangé par les sauvages, pris dans un bois
par des singes, se mourait le long d'une plage déserte. Et jamais elle ne
parlait de ses inquiétudes.
Mme Aubain en avait d'autres sur sa fille.
Les bonnes soeurs trouvaient qu'elle était affectueuse, mais délicate. La
moindre émotion l'énervait. Il fallut abandonner le piano.
Sa mère exigeait du couvent une correspondance réglée. Un matin que le
facteur n'était pas venu, elle s'impatienta ; et elle marchait dans la salle, de
son fauteuil à la fenêtre. C'était vraiment extraordinaire ! depuis quatre
jours, pas de nouvelles !. Pour qu'elle se consolât par son exemple, Félicité
lui dit :
− “ Moi, Madame, voilà six mois que je n'en ai reçu !... ”
− “ De qui donc ?... ” La servante répliqua doucement :
− “ Mais... de mon neveu ! ”
− “ Ah ! votre neveu !” Et, haussant les épaules, Mme Aubain reprit sa
promenade, ce qui voulait dire : “ Je n'y pensais pas !... Au surplus, je m'en
moque ! un mousse, un gueux, belle affaire !... tandis que ma fille...
Songez donc !... ” Félicité, bien que nourrie dans la rudesse, fut indignée
Un Coeur Simple
III 17
contre Madame, puis oublia.
Il lui paraissait tout simple de perdre la tête à l'occasion de la petite.
Les deux enfants avaient une importance égale ; un lien de son coeur les
unissait, et leurs destinées devaient être la même.
Le pharmacien lui apprit que le bateau de Victor était arrivé à La Havane.
Il avait lu ce renseignement dans une gazette.
A cause des cigares, elle imaginait La Havane un pays où l'on ne fait pas
autre chose que de fumer, et Victor circulait parmi les nègres dans un
nuage de tabac. Pouvait−on “ en cas de besoin ” s'en retourner par terre ?.
A quelle distance était−ce de Pont−l'Évêque ? Pour le savoir, elle
interrogea M. Bourais.
Il atteignit son atlas, puis commença des explications sur les longitudes ; et
il avait un beau sourire de cuistre devant l'ahurissement de Félicité. Enfin,
avec son porte−crayon, il indiqua dans les découpures d'une tache ovale un
point noir, imperceptible, en ajoutant : “Voici.” Elle se pencha sur la carte ;
ce réseau de lignes coloriées fatiguait sa vue, sans lui rien apprendre ; et
Bourais l'invitant à dire ce qui l'embarrassait, elle le pria de lui montrer la
maison où demeurait Victor. Bourais leva les bras, il éternua, rit
énormément ; une candeur pareille excitait sa joie ; et Félicité n'en
comprenait pas le motif, − elle qui s'attendait peut−être à voir jusqu'au
portrait de son neveu, tant son intelligence était bornée. Ce fut quinze jours
après que Liébard, à l'heure du marché comme d'habitude, entra dans la
cuisine, et lui remit une lettre qu'envoyait son beau−frère. Ne sachant lire
aucun des deux, elle eut recours à sa maîtresse.
Mme Aubain, qui comptait les mailles d'un tricot, le posa près d'elle,
décacheta la lettre, tressaillit, et, d'une voix basse, avec un regard profond :
− “ C'est un malheur... qu'on vous annonce. Votre neveu... ” Il était mort.
On n'en disait pas davantage.
Félicité tomba sur une chaise, en s'appuyant la tête à la cloison, et ferma
ses paupières, qui devinrent roses tout à coup. Puis, le front baissé, les
mains pendantes, l'oeil fixe, elle répétait par intervalles :
− “ Pauvre petit gars ! pauvre petit gars ! ” Liébard la considérait en
exhalant des soupirs.
Mme Aubain tremblait un peu.
Elle lui proposa d'aller voir sa soeur, à Trouville.
Un Coeur Simple
III 18
Félicité répondit, par un geste, qu'elle n'en avait pas besoin.
Il y eut un silence. Le bonhomme Liébard jugea convenable de se retirer.
Alors elle dit :
− “ Ça ne leur fait rien, à eux !”
Sa tête retomba ; et machinalement elle soulevait, de temps à autre, les
longues aiguilles sur la table à ouvrage.
Des femmes passèrent dans la cour avec un bard d'où dégouttelait du linge.
En les apercevant par les carreaux, elle se rappela sa lessive ; l'ayant coulée
la veille, il fallait aujourd'hui la rincer ; et elle sortit de l'appartement.
Sa planche et son tonneau étaient au bord de la Toucques. Elle jeta sur la
berge un tas de chemises, retroussa ses manches, prit son battoir ; et les
coups forts qu'elle donnait s'entendaient dans les autres jardins à côté. Les
prairies étaient vides, le vent agitait la rivière ; au fond, de grandes herbes
s'y penchaient, comme des chevelures de cadavres flottant dans l'eau. Elle
retenait sa douleur, jusqu'au soir fut très brave ; mais, dans sa chambre, elle
s'y abandonna, à plat ventre sur son matelas, le visage dans l'oreiller, et les
deux poings contre les tempes.
Beaucoup plus tard, par le capitaine de Victor lui même, elle connut les
circonstances de sa fin. On l'avait trop saigné à l'hôpital, pour la fièvre
jaune.
Quatre médecins le tenaient à la fois. Il était mort immédiatement, et le
chef avait dit :
− “ Bon ! encore un ! ” Ses parents l'avaient toujours traité avec barbarie.
Elle aima mieux ne pas les revoir ; et ils ne firent aucune avance, par oubli,
ou endurcissement de misérables.
Virginie s'affaiblissait.
Des oppressions, de la toux, une fièvre continuelle et des marbrures aux
pommettes décelaient quelque affection profonde. M. Poupart avait
conseillé un séjour en Provence. Mme Aubain s'y décida, et eût tout de
suite repris sa fille à la maison, sans le climat de Pont−l'Évêque.
Elle fit un arrangement avec un loueur de voitures, qui la menait au
couvent chaque mardi. Il y a dans le jardin une terrasse d'où l'on découvre
la Seine. Virginie s'y promenait à son bras, sur les feuilles de pampre
tombées. Quelquefois le soleil traversant les nuages la forçait à cligner ses
paupières, pendant qu'elle regardait les voiles au loin et tout l'horizon
Un Coeur Simple
III 19
depuis le château de Tancarville jusqu'aux phares du Havre. Ensuite on se
reposait sous la tonnelle. Sa mère s'était procuré un petit fût d'excellent vin
du Malaga ; et, riant à l'idée d'être grise, elle en buvait deux doigts, pas
davantage.
Ses forces reparurent. L'automne s'écoula doucement. Félicité rassurait
Mme Aubain. Mais, un soir qu'elle avait été aux environs faire une course,
elle rencontra devant la porte le cabriolet de M. Poupart ; et il était dans le
vestibule. Mme Aubain nouait son chapeau.
− “ Donnez−moi ma chaufferette, ma bourse, mes gants ; plus vite donc !”
Virginie avait une fluxion de poitrine ; c'était peut−être désespéré.
− “ Pas encore !” dit le médecin ; et tous deux montèrent dans la voiture,
sous des flocons de neige qui tourbillonnaient. La nuit allait venir. Il faisait
très froid.
Félicité se précipita dans l'église, pour allumer un cierge. Puis elle courut
après le cabriolet, qu'elle rejoignit une heure plus tard, sauta légèrement
par derrière, où elle se tenait aux torsades, quand une réflexion lui vint : “
La cour n'était pas fermée ! si des voleurs s'introduisaient ? ” Et elle
descendit.
Le lendemain, dès l'aube, elle se présenta chez le docteur. Il était rentré, et
reparti à la campagne. Puis elle resta dans l'auberge, croyant que des
inconnus apporteraient une lettre. Enfin, au petit jour, elle prit la diligence
de Lisieux.
Le couvent se trouvait au fond d'une ruelle escarpée. Vers le milieu, elle
entendit des sons étranges, un glas de mort. “C'est pour d'autres”,
pensa−t−elle ; et Félicité tira violemment le marteau.
Au bout de plusieurs minutes, des savates se traînèrent, la porte
s'entrebâilla, et une religieuse parut.
La bonne soeur avec un air de componction dit qu'elle venait de passer. En
même temps, le glas de Saint−Léonard redoublait.
Félicité parvint au second étage.
Dès le seuil de la chambre, elle aperçut Virginie étalée sur le dos, les mains
jointes, la bouche ouverte, et la tête en amère sous une croix noire
s'inclinant vers elle, entre les rideaux immobiles, moins pâles que sa figure.
Mme Aubain, au pied de la couche qu'elle tenait dans ses bras, poussait des
hoquets d'agonie. La supérieure était debout, à droite. Trois chandeliers sur
Un Coeur Simple
III 20
la commode faisaient des taches rouges, et le brouillard blanchissait les
fenêtres. Des religieuses emportèrent Mme Aubain.
Pendant deux nuits, Félicité ne quitta pas la morte. Elle répétait les mêmes
prières, jetait de l'eau bénite sur les draps, revenait s'asseoir, et la
contemplait. A la fin de la première veille, elle remarqua que la figure avait
jauni, les lèvres bleuirent, le nez se pinçait, les yeux s'enfonçaient. Elle les
baisa plusieurs fois ; et n'eût pas éprouvé un immense étonnement si
Virginie les eût rouverts ; pour de pareilles âmes le surnaturel est tout
simple. Elle fit sa toilette, l'enveloppa de son linceul, la descendit dans sa
bière, lui posa une couronne, étala ses cheveux. Ils étaient blonds, et
extraordinaires de longueur à son âge. Félicité en coupa une grosse mèche,
dont elle glissa la moitié dans sa poitrine, résolue à ne jamais s'en dessaisir.
Le corps fut ramené à Pont−l'Évêque, suivant les intentions de Mme
Aubain, qui suivait le corbillard, dans une voiture fermée.
Après la messe, il fallut encore trois quarts d'heure pour atteindre le
cimetière. Paul marchait en tête et sanglotait. M. Bourais était derrière,
ensuite les principaux habitants, les femmes, couvertes de mantes noires, et
Félicité. Elle songeait à son neveu, et, n'ayant pu lui rendre ces honneurs,
avait un surcroît de tristesse, comme si on l'eût enterré avec l'autre.
Le désespoir de Mme Aubain fut illimité.
D'abord elle se révolta contre Dieu, le trouvant injuste de lui avoir pris sa
fille − elle qui n'avait jamais fait de mal, et dont la conscience était si
pure ! Mais non ! elle aurait dû l'emporter dans le Midi.
D'autres docteurs l'auraient sauvée !. Elle s'accusait, voulait la rejoindre,
criait en détresse au milieu de ses rêves. Un, surtout, l'obsédât. Son mari,
costumé comme un matelot, revenait d'un long voyage, et lui disait en
pleurant qu'il avait reçu l'ordre d'emmener Virginie. Alors ils se
concertaient pour découvrir une cachette quelque part.
Une fois, elle rentra du jardin, bouleversée. Tout à l'heure (elle montrait
l'endroit) le père et la fille lui étaient apparus l'un auprès de l'autre, et ils ne
faisaient rien ; ils la regardaient.
Pendant plusieurs mois, elle resta dans sa chambre, inerte. Félicité la
sermonnait doucement ; il fallait se conserver pour son fils, et pour l'autre,
en souvenir “ d'elle ”.
− “ Elle ? ” reprenait Mme Aubain, comme se réveillant. “ Ah ! oui !...
Un Coeur Simple
III 21
oui !... Vous ne l'oubliez pas ! ” Allusion au cimetière, qu'on lui avait
scrupuleusement défendu.
Félicité tous les jours s'y rendait.
A quatre heures précises, elle passait au bord des maisons, montait la côte,
ouvrait la barrière, et arrivait devant la tombe de Virginie. C'était une petite
colonne de marbre rose, avec une dalle dans le bas, et des chaînes autour
enfermant un jardinet. Les plates bandes disparaissaient sous une
couverture de fleurs.
Elle arrosait leurs feuilles, renouvelait le sable, se mettait à genoux pour
mieux labourer la terre.
Mme Aubain, quand elle put y venir, en éprouva un soulagement, une
espèce de consolation.
Puis des années s'écoulèrent, toutes pareilles et sans autres épisodes que le
retour des grandes fêtes :
Pâques, l'Assomption, la Toussaint. Des événements intérieurs faisaient
une date, où l'on se reportait plus tard. Ainsi, en 1825, deux vitriers
badigeonnèrent le vestibule ; en 1827, une portion du toit, tombant dans la
cour, faillit tuer un homme. L'été de 1828, ce fut à Madame d'offrir le pain
bénit ; Bourais, vers cette époque, s'absenta mystérieusement ; et les
anciennes connaissances peu à peu s'en allèrent : Guyot, Liébard, Mme
Lechaptois, Robelin, l'oncle Gremanville, paralysé depuis longtemps.
Une nuit, le conducteur de la malle−poste annonça dans Pont−l'Évêque la
Révolution de Juillet. Un sous−préfet nouveau, peu de jours après, fut
nommé :
le baron de Larsonnière, ex−consul en Amérique, et qui avait chez lui,
outre sa femme, sa belle−soeur avec trois demoiselles, assez grandes déjà.
On les apercevait sur leur gazon, habillées de blouses flottantes ; elles
possédaient un nègre et un perroquet.
Mme Aubain eut leur visite, et ne manqua pas de la rendre. Du plus loin
qu'elles paraissaient, Félicité accourait pour la prévenir. Mais une chose
était seule capable de l'émouvoir, les lettres de son fils.
Il ne pouvait suivre aucune carrière, étant absorbé dans les estaminets. Elle
lui payait ses dettes ; il en refaisait d'autres ; et les soupirs que poussait
Mme Aubain, en tricotant près de la fenêtre, arrivaient à Félicité, qui
tournait son rouet dans la cuisine.
Un Coeur Simple
III 22
Elles se promenaient ensemble le long de l'espalier ; et causaient toujours
de Virginie, se demandant si telle chose lui aurait plu, en telle occasion ce
qu'elle eût dit probablement.
Toutes ces petites affaires occupaient un placard dans la chambre à deux
lits. Mme Aubain les inspectait le moins souvent possible. Un jour d'été,
elle se résigna ; et des papillons s'envolèrent de l'armoire.
Ses robes étaient en ligne sous une planche où il y avait trois poupées, des
cerceaux, un ménage, la cuvette qui lui servait. Elles retirèrent également
les jupons, les bas, les mouchoirs, et les étendirent sur les deux couches,
avant de les replier. Le soleil éclairait ces pauvres objets, en faisait voir les
taches, et des plis formés par les mouvements du corps. L'air était chaud et
bleu, un merle gazouillait, tout semblât vivre dans une douceur profonde.
Elles retrouvèrent un petit chapeau de peluche, à longs poils, couleur
marron ; mais il était tout mangé de vermine. Félicité le réclama pour
elle−même. Leurs yeux se fixèrent l'une sur l'autre, s'emplirent de larmes ;
enfin la maîtresse ouvrit ses bras, la servante s'y jeta ; et elles s'étreignirent,
satisfaisant leur douleur dans un baiser qui les égalisait.
C'était la première fois de leur vie, Mme Aubain n'étant pas d'une nature
expansive. Félicité lui en fut reconnaissante comme d'un bienfait, et
désormais la chérit avec un dévouement bestial et une vénération
religieuse.
La bonté de son coeur se développa.
Quand elle entendait dans la rue les tambours d'un régiment en marche,
elle se mettait devant la porte avec une cruche de cidre, et offrait à boire
aux soldats. Elle soigna des cholériques. Elle protégeait les Polonais, et
même il y en eut un qui déclarait la vouloir épouser. Mais ils se fâchèrent ;
car un matin, en rentrant de l'angélus, elle le trouva dans sa cuisine, où il
s'était introduit, et accommodé une vinaigrette qu'il mangeait
tranquillement.
Après les Polonais, ce fut le père Colmiche, un vieillard passant pour avoir
fait des horreurs en 93.
Il vivait au bord de la rivière, dans les décombres d'une porcherie. Les
gamins le regardaient par les fentes du mur, et lui jetaient des cailloux qui
tombaient sur son grabat, où il gisait, continuellement secoué par un
catarrhe, avec des cheveux très longs, les paupières enflammées, et au bras
Un Coeur Simple
III 23
une tumeur plus grosse que sa tête. Elle lui procura du linge, tâcha de
nettoyer son bouge, rêvât à l'établir dans le fournil, sans qu'il gênât
Madame. Quand le cancer eut crevé, elle le pansa tous les jours,
quelquefois lui apportait de la galette, le plaçait au soleil sur une botte de
paille ; et le pauvre vieux, en bavant et en tremblant, la remerciait de sa
voix éteinte, craignait de la perdre, allongeait les mains dès qu'il la voyait
s'éloigner. Il mourut ; elle fit dire une messe pour le repos de son âme.
Ce jour−là, il lui advint un grand bonheur : au moment du dîner, le nègre
de Mme de Larsonnière se présenta, tenant le perroquet dans sa cage, avec
le bâton, la chaîne et le cadenas. Un billet de la baronne annonçait à Mme
Aubain que, son mari étant élevé à une préfecture, ils partaient le soir ; et
elle la priait d'accepter cet oiseau, comme un souvenir, et en témoignage de
ses respects.
Il occupait depuis longtemps l'imagination de Félicité, car il venait
d'Amérique ; et ce mot lui rappelait Victor, si bien qu'elle s'en informait
auprès du nègre.
Une fois même elle avait dit : − “ C'est Madame qui serait heureuse de
l'avoir ! ” Le nègre avait redit le propos à sa maîtresse, qui, ne pouvant
l'emmener, s'en débarrassait de cette façon.
Un Coeur Simple
III 24
IV
Il s'appelait Loulou. Son corps était vert, le bout de ses ailes roses, son
front bleu, et sa gorge dorée.
Mais il avait la fatigante manie de mordre son bâton, s'arrachait les plumes,
éparpillait ses ordures, répandait l'eau de sa baignoire ; Mme Aubain, qu'il
ennuyait, le donna pour toujours à Félicité.
Elle entreprit de l'instruire ; bientôt il répéta :
“Charmant garçon ! Serviteur, monsieur ! Je vous salue, Marie !” Il était
placé auprès de la porte, et plusieurs s'étonnaient qu'il ne répondît pas au
nom de Jacquot, puisque tous les perroquets s'appellent Jacquot. On le
comparait à une dinde, à une bûche : autant de coups de poignard pour
Félicité ! Étrange obstination de Loulou, ne parlant plus du moment qu'on
le regardait !
Néanmoins il recherchait la compagnie ; car le dimanche, pendant que ces
demoiselles Rochefeuille, monsieur de Houppeville et de nouveaux
habitués : Onfroy l'apothicaire, monsieur Varin et le capitaine Mathieu,
faisaient leur partie de cartes, il cognait les vitres avec ses ailes, et se
démenait si furieusement qu'il était impossible de s'entendre.
La figure de Bourais, sans doute, lui paraissait très drôle. Dès qu'il
l'apercevait, il commençait à rire, à rire de toutes ses forces. Les éclats de
sa voix bondissaient dans la cour, l'écho les répétait, les voisins se
mettaient à leurs fenêtres, riaient aussi ; et, pour n'être pas vu du perroquet,
M. Bourais se coulait le long du mur, en dissimulant son profil avec son
chapeau, atteignait la rivière, puis entrait par la porte du jardin ; et les
regards qu'il envoyait à l'oiseau manquaient de tendresse.
Loulou avait reçu du garçon boucher une chiquenaude, s'étant permis
d'enfoncer la tête dans sa corbeille, et depuis lors il tâchait toujours de le
pincer à travers sa chemise. Fabu menaçait de lui tordre le cou, bien qu'il
ne fût pas cruel, malgré le tatouage de ses bras et ses gros favoris. Au
contraire ! il avait plutôt du penchant pour le perroquet, jusqu'à vouloir, par
humeur joviale, lui apprendre des jurons. Félicité, que ces manières
IV 25
effrayaient, le plaça dans la cuisine. Sa chaînette fut retirée, et il circulait
par la maison.
Quand il descendait l'escalier, il appuyait sur les marches la courbe de son
bec, levait la patte droite, puis la gauche ; et elle avait peur qu'une telle
gymnastique ne lui causât des étourdissements. Il devint malade, ne
pouvant plus parler ni manger. C'était sous sa langue une épaisseur,
comme en ont les poules quelquefois. Elle le guérit, en arrachant cette
pellicule avec ses ongles. M. Paul, un jour, eut l'imprudence de lui souffler
aux narines la fumée d'un cigare ; une autre fois que Mme Lormeau
l'agaçait du bout de son ombrelle, il en happa la virole ; enfin, il se perdit.
Elle l'avait posé sur l'herbe pour le rafraîchir, s'absenta une minute ; et,
quand elle revint, plus de perroquet ! D'abord elle le chercha dans les
buissons, au bord de l'eau et sur les toits, sans écouter sa maîtresse qui lui
criait : − “ Prenez donc garde ! vous êtes folle ! ” Ensuite elle inspecta tous
les jardins de Pont l'Évêque ; et elle arrêtait les passants : − “ Vous n'auriez
pas vu, quelquefois, par hasard, mon perroquet ? ” A ceux qui ne
connaissaient pas le perroquet, elle en faisait la description. Tout à coup,
elle crut distinguer derrière les moulins, au bas de la côte, une chose verte
qui voltigeait. Mais au haut de la côte, rien ! Un porte−balle lui affirma
qu'il l'avait rencontré tout à l'heure, à Melaine, dans la boutique de la mère
Simon. Elle y courut. On ne savait pas ce qu'elle voulait dire. Enfin elle
rentra, épuisée, les savates en lambeaux, la mort dans l'âme ; et, assise au
milieu du banc, près de Madame, elle racontait toutes ses démarches,
quand un poids léger lui tomba sur l'épaule, Loulou ! Que diable avait−il
fait ? Peut être qu'il s'était promené aux environs !. Elle eut du mal à s'en
remettre, ou plutôt ne s'en remit jamais.
Par suite d'un refroidissement, il lui vint une angine ; peu de temps après,
un mal d'oreilles. Trois ans plus tard, elle était sourde ; et elle parlait très
haut, même à l'église. Bien que ses péchés auraient pu sans déshonneur
pour elle, ni inconvénient pour le monde, se répandre à tous les coins du
diocèse,
M. le curé jugea convenable de ne plus recevoir sa confession que dans la
sacristie.
Des bourdonnements illusoires achevaient de la troubler. Souvent sa
maîtresse lui disait : − “ Mon Dieu ! comme vous êtes bête ! ” ; elle
Un Coeur Simple
IV 26
répliquait :
− “ Oui, Madame ”, en cherchant quelque chose autour d'elle.
Le petit cercle de ses idées se rétrécit encore, et le carillon des cloches, le
mugissement des boeufs, n'existaient plus. Tous les êtres fonctionnaient
avec le silence des fantômes. Un seul bruit arrivait maintenant à ses
oreilles, la voix du perroquet.
Comme pour la distraire, il reproduisait le tic−tac du tourne broche, l'appel
aigu d'un vendeur de poisson, la scie du menuisier qui logeait en face ; et,
aux coups de la sonnette, imitait Mme Aubain, − “ Félicité ! la porte ! la
porte ! ” Ils avaient des dialogues, lui, débitant à satiété les trois phrases de
son répertoire, et elle, y répondant par des mots sans plus de suite, mais où
son coeur s'épanchait. Loulou, dans son isolement, était presque un fils, un
amoureux. Il escaladait ses doigts, mordillait ses lèvres, se cramponnât à
son fichu ; et, comme elle penchait son front en branlant la tête à la
manière des nourrices, les grandes ailes du bonnet et les ailes de l'oiseau
frémissaient ensemble.
Quand des nuages s'amoncelaient et que le tonnerre grondait, il poussait
des cris, se rappelant peut être les ondées de ses forêts natales. Le
ruissellement de l'eau excitait son délire ; il voletait, éperdu, montait au
plafond, renversait tout, et par la fenêtre allait barboter dans le jardin ;
mais revenait vite sur un des chenets, et, sautillant pour sécher ses plumes,
montrait tantôt sa queue, tantôt son bec.
Un matin du terrible hiver de 1837, qu'elle l'avait mis devant la cheminée,
à cause du froid, elle le trouva mort, au milieu de sa cage, la tête en bas, et
les ongles dans les fils de fer. Une congestion l'avait tué, sans doute ? Elle
crut à un empoisonnement par le persil ; et, malgré l'absence de toutes
preuves, ses soupçons portèrent sur Fabu.
Elle pleura tellement que sa maîtresse lui dit : “Eh bien ! faites−le
empailler !” Elle demanda conseil au pharmacien, qui avait toujours été
bon pour le perroquet.
Il écrivit au Havre. Un certain Fellacher se chargea de cette besogne. Mais,
comme la diligence égarait parfois les colis, elle résolut de le porter
elle−même jusqu'à Honfleur.
Les pommiers sans feuilles se succédaient aux bords de la route. De la
glace couvrait les fossés. Des chiens aboyaient autour des fermes ; et les
Un Coeur Simple
IV 27
mains sous son mantelet, avec ses petits sabots noirs et son cabas, elle
marchait prestement, sur le milieu du pavé.
Elle traversa la forêt, dépassa le Haut−Chêne, atteignit Saint−Gatien.
Derrière elle, dans un nuage de poussière et emportée par la descente, une
malle−poste au grand galop se précipitait comme une trombe. En voyant
cette femme qui ne se dérangeait pas, le conducteur se dressa par−dessus la
capote, et le postillon criait aussi, pendant que ses quatre chevaux qu'il ne
pouvait retenir accéléraient leur train ; les deux premiers la frôlaient ; d'une
secousse de ses guides, il les jeta dans le débord, mais furieux releva le
bras, et à pleine volée, avec son grand fouet, lui cingla du ventre au
chignon un tel coup qu'elle tomba sur le dos.
Son premier geste, quand elle reprit connaissance, fut d'ouvrir son panier.
Loulou n'avait rien, heureusement. Elle sentit une brûlure à la joue droite ;
ses mains qu'elle y porta étaient rouges. Le sang coulait.
Elle s'assit sur un mètre de cailloux, se tamponna le visage avec son
mouchoir, puis elle mangea une croûte de pain, mise dans son panier par
précaution, et se consolait de sa blessure en regardant l'oiseau.
Arrivée au sommet d'Ecquemauville, elle aperçut les lumières de Honfleur
qui scintillaient dans la nuit comme une quantité d'étoiles ; la mer, plus
loin, s'étalait confusément. Alors une faiblesse l'arrêta ; et la misère de son
enfance, la déception du premier amour, le départ de son neveu, la mort de
Virginie, comme les flots d'une marée, revinrent à la fois, et, lui montant à
la gorge, l'étouffaient.
Puis elle voulut parler au capitaine du bateau ; et, sans dire ce qu'elle
envoyait, lui fit des recommandations.
Fellacher garda longtemps le perroquet. Il le promettait toujours pour la
semaine prochaine ; au bout de six mois, il annonça le départ d'une caisse ;
et il n'en fut plus question. C'était à croire que jamais Loulou ne
reviendrait. “ Ils me l'auront volé ! ” pensait−elle Enfin il arriva, − et
splendide, droit sur une branche d'arbre, qui se vissait dans un socle
d'acajou, une patte en l'air, la tête oblique, et mordant une noix, que
l'empailleur par amour du grandiose avait dorée.
Elle l'enferma dans sa chambre.
Cet endroit, où elle admettait peu de monde, avait l'air tout à la fois d'une
chapelle et d'un bazar, tant il contenait d'objets religieux et de choses
Un Coeur Simple
IV 28
hétéroclites.
Une grande armoire gênait pour ouvrir la porte.
En face de la fenêtre surplombant le jardin, un oeil−de−boeuf regardait la
cour ; une table, près du lit de sangle, supportait un pot à l'eau, deux
peignes, et un cube de savon bleu dans une assiette ébréchée. On voyait
contre les murs : des chapelets, des médailles, plusieurs bonnes Vierges, un
bénitier en noix de coco ; sur la commode, couverte d'un drap comme un
autel, la boîte en coquillages que lui avait donnée Victor ; puis un arrosoir
et un ballon, des cahiers d'écriture, la géographie en estampes, une paire de
bottines ; et au clou du miroir, accroché par ses rubans, le petit chapeau de
peluche ! Félicité poussait même ce genre de respect si loin, qu'elle
conservait une des redingotes de Monsieur. Toutes les vieilleries dont ne
voulait plus Mme Aubain, elle les prenait pour sa chambre. C'est ainsi qu'il
y avait des fleurs artificielles au bord de la commode, et le portrait du
comte d'Artois dans l'enfoncement de la lucarne.
Au moyen d'une planchette, Loulou fut établi sur un corps de cheminée qui
avançait dans l'appartement. Chaque matin, en s'éveillant, elle l'apercevait
à la clarté de l'aube, et se rappelait alors les jours disparus, et
d'insignifiantes actions jusqu'en leurs moindres détails, sans douleur,
pleine de tranquillité.
Ne communiquant avec personne, elle vivait dans une torpeur de
somnambule. Les processions de la Fête−Dieu la ranimaient. Elle allait
quêter chez les voisines des flambeaux et des paillassons, afin d'embellir le
reposoir que l'on dressait dans la rue.
A l'église, elle contemplait toujours le Saint Esprit, et observa qu'il avait
quelque chose du perroquet. Sa ressemblance lui parut encore plus
manifeste sur une image d'Epinal, représentant le baptême de
Notre−Seigneur. Avec ses ailes de pourpre et son corps d'émeraude, c'était
vraiment le portrait de Loulou.
L'ayant acheté, elle le suspendit à la place du comte d'Artois, − de sorte
que, du même coup d'oeil, elle les voyait ensemble. Ils s'associèrent dans
sa pensée, le perroquet se trouvant sanctifié par ce rapport avec le
Saint−Esprit, qui devenait plus vivant à ses yeux et intelligible. Le Père,
pour s'énoncer, n'avait pu choisir une colombe, puisque ces bêtes−là n'ont
pas de voix, mais plutôt un des ancêtres de Loulou. Et Félicité priait en
Un Coeur Simple
IV 29
regardant l'image, mais de temps à autre se tournait un peu vers l'oiseau.
Elle eut envie de se mettre dans les demoiselles de la Vierge. Mme Aubain
l'en dissuada.
Un événement considérable surgit : le mariage de Paul.
Après avoir été d'abord clerc de notaire, puis dans le commerce, dans la
douane, dans les contributions, et même avoir commencé des démarches
pour les Eaux et forêts, à trente−six ans, tout à coup, par une inspiration du
ciel, il avait découvert sa voie : l'enregistrement ! et y montrait de si hautes
facultés qu'un vérificateur lui avait offert sa fille, en lui promettant sa
protection.
Paul, devenu sérieux , l'amena chez sa mère.
Elle dénigra les usages de Pont−l'Évêque, fit la princesse, blessa Félicité.
Mme Aubain, à son départ, sentit un allégement.
La semaine suivante, on apprit la mort de M. Bourais, en basse Bretagne,
dans une auberge. La rumeur d'un suicide se confirma ; des doutes
s'élevérent sur sa probité. Mme Aubain étudia ses comptes, et ne tarda pas
à connaître la kyrielle de ses noirceurs : détournements d'arrérages, ventes
de bois dissimulées, fausses quittances, etc. De plus, il avait un enfant
naturel, et “ des relations avec une personne de Dozulé ”.
Ces turpitudes l'affligèrent beaucoup. Au mois de mars 1853, elle fut prise
d'une douleur dans la poitrine ; sa langue paraissait couverte de fumée, les
sangsues ne calmèrent pas l'oppression ; et le neuvième soir elle expira,
ayant juste soixante−douze ans.
On la croyait moins vieille à cause de ses cheveux bruns, dont les
bandeaux entouraient sa figure blême, marquée de petite vérole. Peu d'amis
la regrettèrent, ses façons étant d'une hauteur qui éloignait.
Félicité la pleura, comme on ne pleure pas les maîtres. Que Madame
mourût avant elle, cela troublait ses idées, lui semblait contraire à l'ordre
des choses, inadmissible et monstrueux.
Dix jours après (le temps d'accourir de Besançon), les héritiers survinrent.
La bru fouilla les tiroirs, choisit des meubles, vendit les autres, puis ils
regagnèrent l'enregistrement.
Le fauteuil de Madame, son guéridon, sa chaufferette, les huit chaises,
étaient partis !. La place des gravures se dessinait en carrés jaunes au
milieu des cloisons. Ils avaient emporté les deux couchettes, avec leurs
Un Coeur Simple
IV 30
matelas, et dans le placard on ne voyait plus rien de toutes les affaires de
Virginie. Félicité remonta les étages, ivre de tristesse.
Le lendemain il y avait sur la porte une affiche ; l'apothicaire lui cria dans
l'oreille que la maison était à vendre.
Elle chancela, et fut obligée de s'asseoir.
Ce qui la désolait principalement, c'était d'abandonner sa chambre, − si
commode pour le pauvre Loulou. En l'enveloppant d'un regard d'angoisse,
elle implorait le Saint−Esprit, et contracta l'habitude idolâtre de dire ses
oraisons agenouillée devant le perroquet. Quelquefois, le soleil entrant par
la lucarne frappait son oeil de verre, et en faisait jaillir un grand rayon
lumineux qui la mettait en extase.
Elle avait une rente de trois cent quatre−vingts francs, léguée par sa
maîtresse. Le jardin lui fournissait des légumes. Quant aux habits, elle
possédait de quoi se vêtir jusqu'à la fin de ses jours, et épargnait l'éclairage
en se couchant dès le crépuscule.
Elle ne sortait guère, afin d'éviter la boutique du brocanteur, où s'étalaient
quelques−uns des anciens meubles. Depuis son étourdissement, elle
traînait une jambe ; et, ses forces diminuant, la mère Simon, ruinée dans
l'épicerie, venait tous les matins fendre son bois et pomper de l'eau.
Ses yeux s'affaiblirent. Les persiennes n'ouvraient plus. Bien des années se
passèrent. Et la maison ne se louait pas, et ne se vendait pas.
Dans la crainte qu'on ne la renvoyât, Félicité ne demandait aucune
réparation. Les lattes du toit pourrissaient ; pendant tout un hiver son
traversin fut mouillé. Après Pâques, elle cracha du sang.
Alors la mère Simon eut recours à un docteur.
Félicité voulut savoir ce qu'elle avait. Mais, trop sourde pour entendre, un
seul mot lui parvint :
“ Pneumonie ”. Il lui était connu, et elle répliqua doucement : − “ Ah !
comme Madame ”, trouvant naturel de suivre sa maîtresse.
Le moment des reposoirs approchait.
Le premier était toujours au bas de la côte, le second devant la poste, le
troisième vers le milieu de la rue. Il y eut des rivalités à propos de
celui−là ; et les paroissiennes choisirent finalement la cour de Mme
Aubain.
Les oppressions et la fièvre augmentaient. Félicité se chagrinait de ne rien
Un Coeur Simple
IV 31
faire pour le reposoir. Au moins, si elle avait pu y mettre quelque chose !
Alors elle songea au perroquet. Ce n'était pas convenable, objectèrent les
voisines. Mais le curé accorda cette permission ; elle en fut tellement
heureuse qu'elle le pria d'accepter, quand elle serait morte, Loulou, sa seule
richesse.
Du mardi au samedi, veille de la Fête−Dieu, elle toussa plus fréquemment.
Le soir son visage était grippé, ses lèvres se collaient à ses gencives, des
vomissements parurent ; et le lendemain, au petit jour, se sentant très bas,
elle fit appeler un prêtre.
Trois bonnes femmes l'entouraient pendant l'extrême−onction. Puis elle
déclara qu'elle avait besoin de parler à Fabu.
Il arriva en toilette des dimanches, mal à son aise dans cette atmosphère
lugubre.
− “ Pardonnez−moi ”, dit−elle avec un effort pour étendre le bras, “ je
croyais que c'était vous qui l'aviez tué ! ” Que signifiaient des potins
pareils ? L'avoir soupçonné d'un meurtre, un homme comme lui ! et il
s'indignait, allait faire du tapage. − “ Elle n'a plus sa tête, vous voyez bien !
” Félicité de temps à autre parlait à des ombres.
Les bonnes femmes s'éloignèrent. La Simonne déjeuna.
Un peu plus tard, elle prit Loulou, et, l'approchant de Félicité :
− “ Allons ! dites−lui adieu ! ” Bien qu'il ne fût pas un cadavre, les vers le
dévoraient ; une de ses ailes était cassée, l'étoupe lui sortait du ventre.
Mais, aveugle à présent, elle le baisa au front, et le gardait contre sa joue.
La Simonne le reprit, pour le mettre sur le reposoir.
Un Coeur Simple
IV 32
V
Les herbages envoyaient l'odeur de l'été ; des mouches bourdonnaient ; le
soleil faisait luire la rivière, chauffait les ardoises. La mère Simon, revenue
dans la chambre, s'endormait doucement.
Des coups de cloche la réveillèrent ; on sortait des vêpres. Le délire de
Félicité tomba. En songeant à la procession, elle la voyait, comme si elle
l'eût suivie.
Tous les enfants des écoles, les chantres et les pompiers marchaient sur les
trottoirs, tandis qu'au milieu de la rue, s'avançaient premièrement : le
suisse armé de sa hallebarde, le bedeau avec une grande croix, l'instituteur
surveillant les gamins, la religieuse inquiète de ses petites filles ; trois des
plus mignonnes, frisées comme des anges, jetaient dans l'air des pétales de
roses ; le diacre, les bras écartés, modérait la musique ; et deux encenseurs
se retournaient à chaque pas vers le Saint−Sacrement, que portait, sous un
dais de velours ponceau tenu par quatre fabriciens, M. le curé, dans sa
belle chasuble. Un flot de monde se poussait derrière, entre les nappes
blanches couvrant le mur des maisons ; et l'on arriva au bas de la côte.
Une sueur froide mouillait les tempes de Félicité.
La Simonne l'épongeait avec un linge, en se disant qu'un jour il lui faudrait
passer par là.
Le murmure de la foule grossit, fut un moment très fort, s'éloignait.
Une fusillade ébranla les carreaux. C'était les postillons saluant l'ostensoir.
Félicité roula ses prunelles, et elle dit, le moins bas qu'elle put : − “ Est il
bien ? ” tourmentée du perroquet.
Son agonie commença. Un râle, de plus en plus précipité, lui soulevait les
côtes. Des bouillons d'écume venaient aux coins de sa bouche, et tout son
corps tremblait.
Bientôt, on distingua le ronflement des ophicléides, les voix claires des
enfants, la voix profonde des hommes. Tout se taisait par intervalles, et le
battement des pas, que des fleurs amortissaient, faisait le bruit d'un
troupeau sur du gazon.
V 33
Le clergé parut dans la cour. La Simonne grimpa sur une chaise pour
atteindre à l'oeil−de−boeuf, et de cette manière dominait le reposoir.
Des guirlandes vertes pendaient sur l'autel, orné d'un falbala en point
d'Angleterre. Il y avait au milieu un petit cadre enfermant des reliques,
deux orangers dans les angles, et, tout le long, des flambeaux d'argent et
des vases en porcelaine, d'où s'élançaient des tournesols, des lis, des
pivoines, des digitales, des touffes d'hortensias. Ce monceau de couleurs
éclatantes descendait obliquement, du premier étage jusqu'au tapis se
prolongeant sur les pavés ; et des choses rares tiraient les yeux. Un sucrier
de vermeil avait une couronne de violettes, des pendeloques en pierres
d'Alençon brillaient sur de la mousse, deux écrans chinois montraient leurs
paysages. Loulou, caché sous des roses, ne laissait voir que son front bleu,
pareil à une plaque de lapis.
Les fabriciens, les chantres, les enfants se rangèrent sur les trois côtés de la
cour. Le prêtre gravit lentement les marches, et posa sur la dentelle son
grand soleil d'or qui rayonnait. Tous s'agenouillérent. Il se fit un grand
silence. Et les encensoirs, allant à pleine volée, glissaient sur leurs
chaînettes.
Une vapeur d'azur monta dans la chambre de Félicité. Elle avança les
narines, en la humant avec une sensualité mystique ; puis ferma les
paupières. Ses lèvres souriaient. Les mouvements de son coeur se
ralentirent un à un, plus vagues chaque fois, plus doux, comme une
fontaine s'épuise, comme un écho disparaît ; et, quand elle exhala son
dernier souffle, elle crut voir, dans les cieux entrouverts, un perroquet
gigantesque, planant au−dessus de sa tête.
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V 34
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