_se gouvernaient eux-memes_!--A-t-on jamais entendu une pareille
absurdite?--qu'ils vivaient dans une espece de confederation chacun pour
soi, a la facon des "chiens de prairie" dont il est parle dans la fable.
Il dit qu'ils partaient de cette idee, la plus drole qu'on puisse
imaginer--que tous les hommes naissent libres et egaux, et cela au nez
meme des lois de _gradation_ si visiblement imprimees sur tous les etres
de l'univers physique et moral.
Chaque individu votait--ainsi disait-on--c'est-a-dire participait aux
affaires publiques--et cela dura jusqu'au jour ou enfin on s'apercut que
ce qui etait l'affaire de chacun n'etait l'affaire de personne, et
que la _Republique_ (ainsi s'appelait cette chose absurde) manquait
totalement de gouvernement. On raconte, cependant, que la premiere
circonstance qui vint troubler, d'une facon toute speciale, la
satisfaction des philosophes qui avaient construit cette republique,
ce fut la foudroyante decouverte que le suffrage universel n'etait que
l'occasion de pratiques frauduleuses, au moyen desquelles un nombre
desire de votes pouvait a un moment donne etre introduit dans l'urne,
sans qu'il y eut moyen de le prevenir ou de le decouvrir, par un parti
assez dehonte pour ne pas rougir de la fraude. Une legere reflexion sur
cette decouverte suffit pour en tirer cette consequence evidente--que
la coquinerie doit regner en republique--en un mot, qu'un gouvernement
republicain ne saurait etre qu'un gouvernement de coquins. Pendant que
les philosophes etaient occupes a rougir de leur stupidite de n'avoir
pas prevu ces inconvenients inevitables, et a inventer de nouvelles
theories, le denouement fut brusque par l'intervention d'un gaillard du
nom de _Mob_[43], qui prit tout en mains, et etablit un despotisme, en
comparaison duquel ceux des Zeros[44] fabuleux et des Hellofagabales[45]
etaient dignes de respect, un veritable paradis. Ce Mob (un etranger,
soit dit en passant) etait, dit-on, le plus odieux de tous les hommes
qui aient jamais encombre la terre. Il avait la stature d'un geant; il
etait insolent, rapace, corrompu; il avait le fiel d'un taureau avec le
coeur d'une hyene, et la cervelle d'un paon. Il finit par mourir d'un
acces de sa propre fureur, qui l'epuisa. Toutefois, il eut son utilite,
comme toutes choses, meme les plus viles; il donna a l'humanite une
lecon que jusqu'ici elle n'a pas oubliee--qu'il ne faut jamais aller en
sens inverse des analogies naturelles. Quant au republicanisme, on ne
pouvait trouver sur la surface de la terre aucune analogie pour le
justifier--excepte le cas des "chiens de prairie",--exception qui,
si elle prouve quelque chose, ne semble demontrer que ceci, que la
democratie est la plus admirable forme de gouvernement--pour les chiens.
_6 avril._--La nuit derniere nous avons eu une vue admirable d'Alpha
Lyre, dont le disque, dans la lunette de notre capitaine, sous-tend un
angle d'un demi-degre, offrant tout a fait l'apparence de notre soleil a
l'oeil nu par un jour brumeux. Alpha Lyra, quoique beaucoup plus grand
que notre soleil, lui ressemble tout a fait quant a ses taches, son
atmosphere, et beaucoup d'autres particularites. Ce n'est que dans
le siecle dernier, me dit Pundit, que l'on commenca a soupconner la
relation binaire qui existe entre ces deux globes. Chose etrange, on
rapportait le mouvement apparent de notre systeme celeste a un orbite
autour d'une prodigieuse etoile situee au centre de la voie lactee.
Autour de cette etoile, affirmait-on, ou tout au moins, autour d'un
centre de gravite commun a tous les globes de la voie lactee, que l'on
supposait pres des Alcyons dans les Pleiades, chacun de ces globes
faisait sa revolution, le notre achevant son circuit dans une periode
de 117,000,000 d'annees! Aujourd'hui, avec nos lumieres actuelles, les
grands perfectionnements de nos telescopes, et le reste, nous eprouvons
naturellement quelque difficulte a saisir sur quel fondement repose une