prophète, et qu' il en avait le coeur, qui lui a lié
la main ? Dites-moi, vous qui le savez, quelle
merveille est cachée sous cette ruine de l' église,
puisque des hommes, tels que celui dont je parle,
ne la peuvent toucher sans défaillir. Voilà
Goërres, le fier sicambre, qui a vu le Vatican.
Il a plié le genou, lui, l' audacieux ! Désormais
sa fortune est détruite ; personne ne le connaît
plus. Il s' en va seul, il retourne seul en arrière,
sans étoile et sans guide, lui, hier encore, si
vanté, si aimé, si idolâtré, aujourd' hui si
méconnu, si délaissé par son propre pays, qui ne
pardonne, pas plus que le monde, à qui le sert,
l' exalte, le trouble ou le ruine à demi.
De tous les écrivains de son pays, Goërres
est peut-être celui qui est le plus allemand sans
mélange. On peut retrouver dans Goethe la clarté
limpide de Voltaire, dans Herder le repos de
Buffon. Les chefs de cette école se sont tous
appliqués à modérer, par l' art, l' exubérance de
leur langue virginale. Goërres est un des
premiers qui ait mis son effort à exagérer encore
cette
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inculte indépendance. Emporté par un idiome
indompté, qu' il ne conduit plus, qu' il ne régit
plus, ne fermez pas la barrière à ce Mazeppa
avant qu' il ne soit rentré dans le royaume des
rêves et de la poésie sauvage de son peuple au
berceau. La végétation désordonnée d' une forêt
primitive, où tout germe, où tout meurt, où tout
s' entasse à la fois, les troncs blancs des chênes
centenaires, les palmiers nés d' hier que la
fourmi courbe sous son pied, les carcasses des
crocodiles et des serpens du déluge, peut seule
donner l' idée de son style. Quand cette langue
du chaos veut expliquer les intérêts actuels et
ceux de la civilisation moderne, l' impuissance où
elle est de se discipliner fait trop éclater son
impuissance à se conformer à son époque ; mais,
quand Goërres raconte, comme il fait presque
toujours, les âges héroïques de l' humanité, alors
cette voix de géant sort du fond même du sujet.
Cette langue est, pour ainsi dire, ciselée à
l' image d' un massif d' architecture gothique. Sans
se briser, sans s' interrompre nulle part, elle
couronne chaque mot d' ornemens et d' arabesques ;
elle s' enracine partout ; elle s' épanouit et
s' effeuille