coeur ! Si vous saviez quel trésor de bonheur, quelle mine féconde repose
en vous ! en lui ! dans cette fraîche aurore de jeunesse, dans cette rosée
céleste de la vie, dans ce premier accord de deux âmes jumelles ! Je ne
vous parle pas de sa souffrance, de cette douce et triste mélancolie qui ne
s'est jamais lassée de vos rigueurs, et qui en mourrait sans se plaindre.
Oui, Marianne, il en mourra. Que puis−je vous dire?
Qu'inventerais−je pour donner à mes paroles la force qui leur manque ? Je
ne sais pas le langage de l'amour. Regardez dans votre âme ; c'est elle qui
peut vous parler de la sienne. Y a−t−il un pouvoir capable de vous
toucher ? vous qui savez supplier Dieu, existe−t−il une prière qui puisse
rendre ce dont mon coeur est plein ?
MARIANNE. − Relevez−vous, Octave. En vérité, si quelqu'un entrait ici,
ne croirait−on pas, à vous entendre, que c'est pour vous que vous plaidez ?
OCTAVE. − Marianne ! Marianne ! au nom du ciel, ne souriez pas ! ne
fermez pas votre coeur au premier éclair qui l'ait peut−être traversé! Ce
caprice de bonté, ce moment précieux va s'évanouir. − vous avez prononcé
le nom de Coelio, vous avez pensé à lui, dites−vous. Ah ! si c'est une
fantaisie, ne me la gâtez pas. − Le bonheur d'un homme en dépend.
MARIANNE. − Etes−vous sûr qu'il ne me soit pas permis de sourire ?
OCTAVE. − Oui, vous avez raison, je sais tout le tort que mon amitié peut
faire. Je sais qui je suis, je le sens ; un pareil langage dans ma bouche a
l'air d'une raillerie, vous doutez de la sincérité de mes paroles ; jamais
peut−être je n'ai senti avec plus d'amertume qu'en ce moment le peu de
confiance que je puis inspirer.
MARIANNE. − Pourquoi cela ? Vous voyez que j'écoute. Coelio me
déplaît ; je ne veux pas de lui. Parlez−moi de quelque autre, de qui vous
voudrez. Choisissez−moi dans vos amis un cavalier digne de moi ;
envoyez−le−moi, Octave. vous voyez que je m'en rapporte à vous.
OCTAVE. − O femme trois fois femme! Coelio vous déplaît, − mais le
premier venu vous plaira. L'homme qui vous aime depuis un mois, qui
s'attache à vos pas, qui mourrait de bon coeur sur un mot de votre bouche,
celui−là vous déplaît ! il est jeune, beau, riche et digne en tout point de
vous ; mais il vous déplaît ! et le premier venu vous plaira ! .
MARIANNE. − Faites ce que je vous dis, ou ne me revoyez pas. (Elle sort.
) OCTAVE, seul. − Ton écharpe est bien jolie, Marianne, et ton petit
Les Caprices de Marianne
SCENE III 31