marbre sont dispersés, et le palais, et le temple, où la grande nation parlait
au monde, s'écroule, et l'immonde tyran vainqueur s'applaudit, bat des
mains, et dit : C'est fini.
Personne ne parlera plus. Pas une voix ne s'élèvera désormais. Le silence
est fait.−Citoyens ! à son tour le tyran se trompe. Dieu ne veut pas que le
silence se fasse ; Dieu ne veut pas que la liberté, qui est son verbe, se taise.
Citoyens ! au moment où les despotes triomphants croient la leur avoir
ôtée à jamais, Dieu redonne la parole aux idées. Cette tribune détruite, il la
reconstruit. Non au milieu de la place publique, non avec le granit et le
marbre, il n'en a pas besoin. Il la reconstruit dans la solitude ; il la
reconstruit avec l'herbe du cimetière, avec l'ombre des cyprès, avec le
monticule sinistre que font les cercueils cachés sous terre ; et de cette
solitude, de cette herbe, de ces cyprès, de ces cercueils disparus,
savez−vous ce qui sort, citoyens ? Il en sort le cri déchirant de l'humanité,
il en sort la dénonciation et le témoignage, il en sort l'accusation inexorable
qui fait pâlir l'accusé couronné, il en sort la formidable protestation des
morts ! Il en sort la voix vengeresse, la voix inextinguible, la voix qu'on
n'étouffe pas, la voix qu'on ne bâillonne pas !−Ah ! M. Bonaparte a fait
taire la tribune ; c'est bien ; maintenant qu'il fasse donc taire le tombeau !
Lui et ses pareils n'auront rien fait tant qu'on entendra sortir un soupir
d'une tombe, et tant qu'on verra rouler une larme dans les yeux augustes de
la pitié.
Pitié ! ce mot que je viens de prononcer, il a jailli du plus profond de mes
entrailles devant ce cercueil, cercueil d'une femme, cercueil d'une soeur,
cercueil d'une martyre ! Pauline Roland en Afrique, Louise Julien à Jersey,
Francesca Maderspach à Temeswar, Blanca Téléki à Pesth, tant d'autres,
Rosalie Gobert, Eugénie Guillemot, Augustine Péan, Blanche Clouart,
Joséphine Prabeil, Élisabeth Parlès, Marie Reviel, Claudine Hibruit, Anne
Sangla, veuve Combescure, Armantine Huet, et tant d'autres encore,
soeurs, mères, filles, épouses, proscrites, exilées, transportées, torturées,
suppliciées, crucifiées, ô pauvres femmes ! Oh ! quel sujet de larmes
profondes et d'inexprimables attendrissements ! Faibles, souffrantes,
malades, arrachées à leurs familles, à leurs maris, à leurs parents, à leurs
soutiens, vieilles quelquefois et brisées par l'âge, toutes ont été des
héroïnes, plusieurs ont été des héros ! Oh ! ma pensée en ce moment se
Actes et Paroles – II
II. SUR LA TOMBE DE LOUISE JULIEN 71