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Henri Grégoire
De la Littérature des
Nègres, ou
Recherches sur leurs
Facultés
Intellectuelles, leurs
Qualités Morales et
leur Litt/font>
− Collection Sciences humaines −
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Table des matières
De la Littérature des Nègres, ou Recherches sur leurs Facultés
Intellectuelles, leurs Qualités Morales et leur Littbr>Auteur :
Henri GrégoireCatégorie : Sciences humainesDE LA
LITTÉRATURE DES NÈGRES ou Recherches sur leurs facultés
intellectuelles, leurs qualités morales et leur littérature; suivies de
Notices sur la vie et les ouvrages des Nègres qui se sont distingués
dans les Sciences, les Lettres et les ArtsLicence : Domaine public.......1
.............................................................................................................2
DÉDICACE.........................................................................................3
DE LA LITTÉRATURE DES NÈGRES............................................8
CHAPITRE PREMIER.......................................................................9
CHAPITRE II....................................................................................25
CHAPITRE III...................................................................................49
CHAPITRE IV..................................................................................58
CHAPITRE V....................................................................................68
CHAPITRE VI..................................................................................75
CHAPITRE VII.................................................................................88
CHAPITRE VIII................................................................................97
CHAPITRE IX................................................................................133
i
De la Littérature des Nègres, ou
Recherches sur leurs Facultés
Intellectuelles, leurs Qualités
Morales et leur Littbr>Auteur : Henri
Grégoire
Catégorie : Sciences humaines
DE LA LITTÉRATURE
DES NÈGRES ou Recherches sur
leurs facultés intellectuelles,
leurs qualités morales et leur
littérature; suivies de
Notices sur la vie et les ouvrages
des Nègres qui se sont
distingués dans les Sciences, les
Lettres et les Arts
Licence : Domaine public
1
...
Par H. GRÉGOIRE
Ancien évêque de Blois, membre du Sénat conservateur,
de l'Institut national, de la Société royale des Sciences
de Gottingne, etc., etc., etc.
Whatever their tints may be,
their souls are still the same.
Mrs. ROBINSON.
2
DÉDICACE.
A tous les hommes courageux qui ont plaidé la cause des malheureux
Noirs et Sang−mêlés, soit par leurs ouvrages, soit par leurs discours dans
les assemblées politiques, dans les sociétés établies pour l'abolition de la
traite, le soulagement et la liberté des esclaves.
Français.
Adanson [En égard à la multitude de noms propres cités dans cet ouvrage,
on a supprimé partout la qualification de Mr, dont la répétition eut été
fastidieuse.].—Antoine Benezet, Bernardin−Saint−Pierre, Biauzat,
Boissy−d'Anglas, Brissot.—Carra, le P. Cibot jésuite, Clavière,
Clermont−Tonnerre, Le Cointe−Marsillac, Condorcet,
Cournand.—Demanet, Desessarts, Ducis, Dufay, Dupont de Nemours,
Dyaunière.—D'Estaing.—La Fayette, Fauchet, Febvé, Ferrand de
Baudières, Frossard.—Garat, Garran de Coulon, Gatereau, Le Genty,
Girey−Dupré, Mad. Olympe de Gouges, Gramagnac, Grelet de
Beauregard.—Hiriart.—Jacquemin ancien évêque de Cayenne,
Saint−John−Crevecoeur, de Joly.—Kersaint.—Ladebat, Lanjuinais,
Lanthenas, Lescalier.—Théophile Mandar, L. P. Mercier, Mirabeau,
Montesquieu.—Necker.—Pelletan, Pétion, Nicolas Petit−Pied docteur de
Sorbonne, Poivre, Pruneau−de−Pomme−Gouge, Polverel.—Le général
Ricard, Raynal, Robin, la Rochefoucault Rochon, Roederer,
Roucher.—Saint−Lambert, Sibire, Sieyes, Sonthonax, la Société de
Sorbonne.—Target, Tracy, Turgot.—Viefville−Desessarts, Volney.
Anglais.
Will, Agutter, Andersen, Will. Ashburnam.—David Barclay, Richard
Baxter, Mad. Barbauld, Barrow, Beatson, Beattie, Beaufoy, Mad. Behn,
John Bickneil, John Bidlake, Wil. Lisle Bowles, Sam. Bradburn,
Bradshaw, Brougham, Th. Burgess, Burling, Buttler.—Clément Caines,
Campbell, T. Clarkson, John−Henri Colls, Th. Cooper, Cornwallis évêque
DÉDICACE. 3
de Lichtfield, Cowry, Crawford, Curran.—Dinett, Th. Day, Darwin, Wil.
Steel Dickson, Wil. Dimond junior, Dore, John Dyer.—Charles
Ellis.—Alexandre Falconbridge, Mlle. Falconbridge, Robert Townsend
Farqhar, James Foster, Fothergill, George Fox, Charles Fox.—Gardenston,
Thomas Gisborne, James Grainger, Granville−Sharp, G.
Gregory.—Hans−Sloane, Jonas Hanway, Hargrave, Rob. Hawker, Hayter
êvêque de Norwich, Hector Saint−John, Rowland Hill, Holder, lord
Holland, Melville Horne, Hornemann, Horne−Tooke, Horsley évêque de
Rochester; Griffitt Hughes, Francis Hutcheson.—James Jamieson, Thomas
Jeffery, Edward Jerningham, Samuel Johnson.—Benjamin Lay, Ledyard,
Lettsom, Lucas, Luffman.—Macneil, Maddisson, Makintosch, Richard
Mant, Hughes Mason, Millar, Mlle Hannah More,
Morgan−Godwin.—John Newton, Robert−Boucher Nicholls doyen de
Middleham, Rich. Nisbet.—Mad. Opie, Osborne.—Paley, Robert Percival,
Thom. Percival, Pickard, John Philmore, Pinckard, William Pitt, Beilby
Porteus évêque de Londres, Pratt, Price, Priestley, C. Peters.—James
Ramsay, Rickman, Robertson ministre à Nevis, Robert Robinson, Mad.
Marie Robinson, Reid, Rogers, Roscoë, Ryan.—Sewal, Shenstone,
Shéridan, Smeathman, William Smith, Snelgrave, Robert Southey, James
Field Stanfield, Stanhope, Sterne, Percival Stockdale, Mlle Stockdale,
Stone recteur de Coldnorton..—Thelwal, Thompson, Thorneton.—John
Waker, George Wallis, Warburthon évêque de Glocester, John Warren
évêque de Bangor, John Wesley, Whitaker, J. White, Whitchurch, George
Whithfield, Willberforce, Mlle Hélène−Marie Williams, John
Woolman.—Mlle Yearsley, Arthur Young, les auteurs anonymes de Indian
eglogues, de The Crisis of the Sugar colonies, de The Sorrows of slavery,
etc., etc.
AMÉRICAINS.
Joël Barlow.—James Dana, Dwight.—Fernando Fairfax,
Francklin.—Humphrey.—Imlay.—Jefferson.—Livingston.—Alexander
MacLeod, Madison, Magaw, Warner Miflin, Mitchell.—Pearce,
Pemberton, William Pinkeney.—Benjamin Rush.—John Vaughan, D. B.
Warden, Elhanan Winchester, Vining.
NÈGRES ET SANG−MÊLÉS.
Amo.—Cugoano.—Othello.—Milscent, sous le nom de Michel
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
DÉDICACE. 4
Mina.—Julien Raymond.—Ignace Sancho.—Gustave Vassa.—Phillis
Wheatley.
ALLEMANDS.
Blumenbach.—Auguste La Fontaine.—Mad. Julie duchesse de
Giovane.—Kotzbue.—Less.—Oldendorp.—Pezzl, Ch. Sprengel.—Usteri.
DANOIS.
Bernstorf.—Isert.—Kirsten.—Niebuhr.—Olivarius.—Rahbek.—Th.
Thaarup.—West.
SUÉDOIS.
Afzelius.—Euphrasen.—Auguste Nordenskiold, Ulric
Nordenskiold.—And. Sparrman.—Trotter−Lind.—Wadstrom.
HOLLANDAIS.
Mad. Beaker.—Van Geuns.—Hogendorp.—Peter Paulus.—Mad. Wolf, de
Vos, Peter Wrede.
ITALIENS.
Le cardinal Cibo, le collége des Cardinaux.—L'abbé Pierre
Tambarini.—Zacchiroli.
ESPAGNOL.
Avendaño.
Qu'on ne s'étonne pas de ce que (Avendaño excepté) on ne trouve ici aucun
auteur espagnol ni portugais; nul autre, à ma connaissance, ne s'est mis en
frais de prouver que le Nègre appartient à la grande famille du genre
humain, que partant il doit en remplir tous les devoirs, en exercer tous les
droits: par delà les Pyrennées, ces droits et ces devoirs ne furent jamais
problématiques; et contre qui se défendre, s'il n'y a pas d'agresseur? De nos
jours seulement, par des applications forcées, un Portugais, dénaturant
l'Écriture sainte, a tenté de justifier l'esclavage colonial, si dissemblable à
celui qui, chez les Hébreux, n'étoit guère qu'une sorte de domesticité; mais
la brochure d'Azérédo [V. Analyse sur la justice du commerce, du rachat
des esclaves de la côte d'Afrique, par J. J. d'Acunha de Azérédo Coutinho,
in−8°, Londres.] est passée de la boutique du libraire dans le fleuve de
l'oubli. Tel est aussi le sort qu'ont eu les pamphlets de Harris, et du
trinitaire Grabowski, qui invoquoient la Bible; celui−là en Angleterre, pour
légitimer l'esclavage colonial; celui−ci en Pologne, pour river les fers des
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
DÉDICACE. 5
paysans de cette contrée, tandis que Joseph Paulikowski [V. O Poddanych
polskich, c'est−à−dire, des paysans polonais, par Joseph Paulikowski,
in−8°, Roku 1788.], et l'abbé Michel Karpowitz, dans ses sermons [V.
Kazania X. Michala Karpowicza, W. Roznych ocolicznosciach Miané,
c'est−à−dire, Sermons de l'abbé Karpowicz, 3 vol. in−12, W. Krakovie
1806, V. surtout les second et troisième volumes.], proclamoient et
revendiquoient pour tous l'égalité des droits. Les amis de l'esclavage sont
nécessairement les ennemis de l'humanité.
En général, dans les établissemens espagnols et portugais, on envisage les
Nègres comme des frères d'une teinte différente. La religion chrétienne qui
épure la joie, qui essuie les larmes, et dont la main est toujours prête à
répandre des bienfaits, la religion se place entre les esclaves et les maîtres,
pour adoucir la rigueur de l'autorité et le joug de l'obéissance. Ainsi, chez
deux puissances coloniales, on n'a pas composé de plaidoyers inutiles en
faveur des Nègres, par la même raison qu'avant l'Anglais Hartlib, on
n'écrivoit pas sur l'agriculture de la Belgique, où la supériorité des
méthodes et des procédés agronomiques suppléoit aux livres.
Si l'on censuroit dans cette liste l'insertion de certains noms que la vertu
n'inscrit pas dans ses fastes, ou répondroit que, sans vouloir atténuer les
torts des individus, on ne les présente ici que sous le point de vue relatif à
leurs efforts pour l'amélioration du sort des Noirs; et sur cet article même,
on est loin de leur attribuer un égal degré de mérite et de talent. Il est
affligeant qu'on ne puisse appliquer à tous une maxime du poëte Churchil,
en disant qu'ils ont le coeur aussi pur que leur cause est légitime. Chacun
reste maître d'exercer sa justice, en repoussant ces écrivains dans la classe
malheureusement si nombreuse de gens de lettres qui ne valent pas leurs
livres.
La liste qu'on vient de lire est sans doute très−incomplète; elle réclame des
noms honorables, que j'ai oubliés, ou que je n'ai pas l'avantage de
connoître, soit que dans leurs écrits les auteurs ayent gardé l'anonyme, soit
que leurs écrits ayent échappé à mes recherches. Je recevrai avec
reconnoissance tous les renseignemens qui peuvent réparer ces omissions
involontaires, rectifier les erreurs, et compléter l'ouvrage.
Parmi ces écrivains un grand nombre sont morts; je dépose sur leurs
tombes mes hommages, et j'offre le même tribut à ceux qui vivant encore,
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
DÉDICACE. 6
et qui n'ayant pas, comme Oxholm, apostasié leurs principes, poursuivent
sans relâche leur noble entreprise, chacun dans la sphère où l'a placé la
providence.
Philanthropes! personne n'est juste et bon impunément; entre le vice et la
vertu la guerre commencée à la naissance des temps, ne finira qu'avec eux.
Dévorés du besoin de nuire, les pervers sont toujours armés contre
quiconque ose révéler leurs forfaits, et les empêcher de tourmenter l'espèce
humaine. A leurs coupables tentatives opposons un mur d'airain, mais
vengeons−nous d'eux par des bienfaits.
Hâtons−nous; la vie est si longue pour faire le mal, si courte pour faire le
bien! Cette terre se dérobe sous nos pas, et nous allons quitter la scène du
monde; la dépravation contemporaine charie vers la postérité tous les
élémens du crime et de l'esclavage. Cependant, parmi ceux qui s'agiteront
ici−bas, lorsque nous dormirons dans le tombeau, quelques hommes de
bien, échappés à la contagion, seront en quelque sorte, les représentans de
la providence: léguons−leur la tâche honorable de défendre la liberté et le
malheur. Du sein de l'éternité, nous applaudirons à leurs efforts, et sans
doute il les bénira ce Père commun, qui dans les hommes, quelle que soit
leur couleur, reconnoît son ouvrage, et les aime comme ses enfans.
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
DÉDICACE. 7
DE LA LITTÉRATURE DES NÈGRES.
DE LA LITTÉRATURE DES NÈGRES. 8
CHAPITRE PREMIER
Ce qu'on entend par le mot Nègres.
Sous cette dénomination doit−on comprendre tous les Noirs ?
Disparité d'opinion sur leur origine.
Unité du type primitif de la race humaine.
Sous le nom d'Éthiopiens, les Grecs comprenoient tous les hommes noirs.
Cette assertion s'appuie sur des passages de la bible des Septante,
d'Hérodote, Théophraste, Pausanias, Athénée, Héliodore, Eusèbe, Flavius
Josephe [V. Jérémie, 13, 23. Flavius Josephe, Antiquités judaïques, l. VIII,
c. VII. Théophraste, 22e caractère. Hérodote, dans Thalie et Polymnie,
etc.]. Ils sont appelés de même par Pline l'ancien et Térence [Pline, l. V, c.
IX. Térence, Eunuchus, act. I, scen. I.]. On distinguoit les Éthiopiens
orientaux, ou indiens, ou d'Asie, des Éthiopiens occidentaux, ou d'Afrique.
Rome connut ceux−ci sans doute dans ses guerres avec les Carthaginois,
qui en avoient dans leurs armées, à ce que prétend Macpherson, fondé sur
un passage de Frontin [V. Annals of commerce, etc., by Macpherson,
in−4°. London 1805, t. I, p. 51 et 52. Frontin, Stratagemata, t. I, c. II.].
Rome ayant plus que la Grèce des relations fréquentes avec les côtes
occidentales de l'Afrique, quelquefois, dans les auteurs latins, les Noirs
furent appelés Africains [Subito flens Africa nigras procubuit lacerata
genas.... dit Sidoine Apollinaire, dans le Panégyrique de Majorien.]. Mais
en Orient, on continua de les désigner sous le nom d'Éthiopiens, parce
qu'ils y arrivoient par la voie de l'Éthiopie, qui depuis l'an 651 paya,
pendant assez longtemps aux Arabes, un tribut annuel d'esclaves, et qui,
pour acquitter ce tribut, en tiroit peut−être de l'intérieur de l'Afrique [V.
Gibbon's, History, etc., reviewed by the rev. J. Whitaker, in 8°, London
1791, p. l82 et suiv.].
On les employoit à la guerre, car dans celle des croisades, on voit à
Hébron, et au siége de Jérusalem, en 1099, des Noirs à cheveux crépus,
que Guillaume de Malmesbury appelle également Éthiopiens [Guillelm.
Malmesb., fol. 84.].
CHAPITRE PREMIER 9
Chez les modernes, quoique le nom d'Éthiopie soit exclusivement réservé à
une région de l'Afrique, beaucoup d'écrivains, espagnols et portugais
surtout, ont appelé Éthiopiens tous les Noirs. Il n'y a pas encore trente ans
que le docteur Ehrlen imprimoit, à Strasbourg, un traité de servis
Æthiopibus Europeorum in coloniis Americæ [In−4º, Argentorati 1778.].
La dénomination d'Africains prévaut actuellement, et l'emploi de ces deux
mots est également abusif, puisque d'une part l'Éthiopie, dont les habitans
ne sont pas du noir le plus foncé [V. Voyage d'Éthiopie, par Poncet, p. 99,
etc. et l'Histoire du Christianisme d'Éthiopie, par La Croze, p. 77, etc.],
n'est qu'une partie d'Afrique, et que de l'autre il y a des Noirs asiatiques.
Hérodote les nomme Éthiopiens à cheveux longs, pour les distinguer de
ceux d'Afrique, qui ont les cheveux crépus ; car autrefois on croyoit que
ceux−ci n'appartenoient qu'à l'Afrique, et que les Noirs à cheveux longs ne
se trouvoient que dans le continent asiatique. Quelques réglemens avoient
défendu d'en importer dans les îles de France et de la Réunion ; mais les
relations des voyageurs nous ont appris que dans le continent africain, ainsi
qu'à Madagascar, il y a aussi des Nègres à cheveux longs : tels sont, au
centre de l'Afrique, les habitans de Bornou [V.Idées sur les relations
politiques et commerciales des anciens peuples de l'Afrique, etc., par
Heeren, in−8°, Paris an 8, t. II, p. 10, 75.] ; tels étoient les Nègres pasteurs
de l'île de Cerné, où les Carthaginois avoient des comptoirs [Ibid., t. I, p.
134, 156, 160.].
D'un autre côté les indigènes des îles des Andamans, dans le golfe du
Bengale, sont des Noirs à cheveux crépus ; dans diverses parties de l'Inde,
les montagnards en ont presque la couleur, la figure et la chevelure. Ce fait
est consigné dans un savant mémoire de Francis Wilford, associé de
l'Institut national [V. Asiatic researches, t. III, p. 355, etc.]. Il ajoute que
les plus anciennes statues des divinités indiennes ont la figure des Nègres.
Ces considérations fortifient le système, qu'autrefois cette race a couvert
une grande partie du continent asiatique.
La couleur noire étant le caractère le plus marqué qui sépare des Blancs
une partie de l'espèce humaine, communément on a été moins attentif aux
différences de conformation qui entre les Noirs eux−mêmes établissent des
variétés. C'est à quoi fait allusion Camper, lorsqu'il dit que Rubens,
Sébastien Ricci et Vander−Tempel, en peignant les Mages, ont peint des
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE PREMIER 10
Noirs, et non des Nègres. Ainsi, avec d'autres auteurs, Camper restreint
cette dernière dénomination à ceux qui se font remarquer par des joues
proéminentes, de grosses lèvres, un nez épaté, et la chevelure moutonnée.
Mais cette distinction entre eux, et ceux qui ont la chevelure lisse et
longue, ne constitue pas une diversité de races. Le caractère spécifique des
peuples est permanent, tant qu'ils vivent isolés ; il s'affoiblit ou disparoît
par le mélange.
Reconnoît−on la peinture que fait César des Gaulois, dans les habitans
actuels de la France ? Depuis que les peuples de notre continent sont, pour
ainsi dire, transvasés les uns dans les autres, les caractères nationaux sont
presque méconnoissables au physique et au moral.
On est moins Français, moins Espagnol, moins Allemand ; on est plus
Européen, et ces Européens, ont les uns la chevelure frisée, les autres
lisse ; mais si, à cause de cette différence et de quelques autres dans la
stature et la conformation, on prétendoit assigner l'étendue et les limites de
leurs facultés intellectuelles, n'auroit−on pas le droit d'en rire ? Dira−t−on
que la comparaison péche en ce que les chevelures européennes qui sont
crépues ne sont pas laineuses ? Au lieu de se prévaloir des exceptions à
cette règle, on se borne à demander si cette discrépance suffit pour nier
l'identité d'espèce. Il en est de même dans la variété noire ; entre les
individus placés aux extrémités de la ligne terminée d'un côté par la variété
blanche, et de l'autre par la noire, il existe des différences remarquables qui
s'atténuent et se confondent dans les intermédiaires.
Des passages d'auteurs qu'on a cités, attestent que les Grecs ont eu des
esclaves nègres ; c'étoit même un usage assez commun, selon Visconti,
qui, dans le Musée Pio−Clémentin, a publié une très−belle figure d'un de
ces Nègres qu'on employoit au service des bains [T. III, p. 41, planch.
35.] : déjà Caylus en avoit fait graver plusieurs autres [V. Recueil
d'Antiquités, etc., t. V, p. 247. planch. 88 ; t. VII, p. 285, planch. 81.].
La loi mosaïque défendoit de mutiler les hommes ; mais Jahn assure, dans
son Archéologie biblique, que les rois des Hébreux achetoient des autres
nations des eunuques, et spécialement des Noirs [Archæologia biblica, etc.,
à J. Ch. Jahn. Viennæ, p. 389.] ; il ne cite aucune autorité à l'appui de son
dire.
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE PREMIER 11
Toutefois il est possible qu'ils en aient eu, soit par leurs communications
avec les Arabes, soit lorsque les flottes de Salomon cingloient
d'Aziongaber à Ophir, d'où elles apportoient, dit Flavius Josephe,
beaucoup d'ivoire, des singes et des Éthiopiens [V. Josephe, Antiq., l. VIII,
c. VII, p. 2, Hudson, dans sa traduction latine dit Æthiopes in Mancipia
(esclaves) ; le texte grec ne le dit pas, mais le fait présumer.] : ce qui est
incontestable, c'est que l'Égypte commerçoit avec l'Éthiopie, et que les
Alexandrins faisoient la traite des Nègres. Athenée et Pline le naturaliste
en fournissent la preuve, et Ameilhon s'en appuie dans son histoire du
commerce des Égyptiens [p. 85.].
Pinkerton croit ceux−ci d'origine assyrienne ou arabe [V. Modern
Geography, in−4° London 1807, t. II, p. 2 ; et t. III, p. 820 et 833.]. Heeren
paroît mieux fondé, en les faisant descendre des Éthiopiens, qui
eux−mêmes, selon Diodore de Sicile, regardoient les Égyptiens comme
une de leurs colonies [L. III, §3.]. Plus on remonte vers l'antiquité, plus on
trouve de relations entre leurs pays respectifs ; même écriture, mêmes
moeurs, mêmes usages. Le culte des animaux encore subsistant chez
presque tous les peuples nègres, étoit celui des Égyptiens ; leurs formes
étoient celles des Nègres un peu blanchis par l'effet du climat. Hérodote
assure que les Colches sont originairement Égyptiens, parce que, comme
eux, ils ont la peau noire et les cheveux crépus [Hérodote, l.II, n° 104.]. Ce
témoignage infirme les raisonnemens de Browne ; les expressions
d'Hérodote, dit−il, signifient seulement que les Égyptiens ont un teint
basané et des cheveux crépus, comparativement aux Grecs, mais elles
n'indiquent pas des Nègres [V. Nouveau Voyage dans la haute et basse
Égypte, par Browne, t. I, c. XII ; et Walkenaer, dans les Archives
littéraires, etc.].
A cette assertion de Browne il ne manque que la preuve ; le texte
d'Hérodote est clair et précis.
Tout concourt donc à fortifier le système de Volney, qui voit dans les
Coptes les représentans des Égyptiens. Ils ont un ton de peau jaunâtre et
fumeux, le visage bouffi, l'oeil gonflé, le nez écrasé, la lèvre grosse, en un
mot la figure mulâtre [V. Voyages en Syrie et en Égypte, par Volney,
nouvelle édit., t. I, p. 10 et suiv.]. Fondé sur les mêmes observations,
Ledyard croit à l'identité des Nègres et des Coptes [V. Ledyard, t. I, p. 24.].
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE PREMIER 12
Le médecin Frank, qui étoit de l'expédition d'Égypte, appuie cette opinion
par le rapprochement des usages, tels que la circoncision et l'excision
pratiquées chez les Coptes et chez les Nègres [V. Mémoire sur le
commerce des Nègres au Caire, par Louis Franck, in−8°, Paris 1802.] ;
usages qui, au rapport de Ludolphe, se sont conservés chez les Éthiopiens
[V. Jobi Ludolf, etc., Historia æthiopica, in−fol., 1681, Francoforti ad
Mocnum, l. III, c. 1.].
Blumenbach a remarqué dans des crânes de momies ce qui caractérise la
race nègre.
Cuvier n'y trouve pas cette conformité de structure. Ces deux témoignages
imposans, mais en apparence contradictoires, se concilient en admettant,
comme Blumenbach, trois variétés égyptiennes, dont une rappelle la figure
des Indous, une autre celle des Nègres, une troisième propre au climat de
l'Égypte, dépend des influences locales : les deux premières s'y confondent
par le laps de temps [V. De Generis humani varietate nativa, in−8°,
Gottingue 1794.] ; la seconde, qui est celle du Nègre, se reproduit, dit
Blumenbach, dans la figure du sphinx.
Ici Browne vient encore s'inscrire en faux. Il prétend que la statue du
sphinx est tellement dégradée, qu'il est impossible d'assigner son véritable
caractère [Browne, ibid.] ; et Meiners doute si les figures du sphinx
représentent des héros ou des génies mal−faisans. Ce sentiment est
combattu par l'inspection des sphinx dessinés dans Caylus, Norden,
Niehbur et Cassas, examinés sur les lieux par les trois derniers, et depuis
par Volney et Olivier [V. Voyage dans l'Empire ottoman, l'Égypte, la
Perse, etc., par Olivier, 3. vol. in−4°, Paris 1804−7, t. II, p. 83 et suiv.]. Ils
lui trouvent la figure éthiopienne ; d'où Volney conclut qu'à la race noire,
aujourd'hui esclave, nous devons nos arts, nos sciences, et jusqu'à l'art de la
parole [Volney, ibid.].
Grégory, dans ses Essais historiques et moraux, nous reporte aux siècles
antiques pour montrer pareillement dans les Nègres nos maîtres en
sciences ; car ces Égyptiens, chez lesquels Pythagore, et d'autres Grecs,
alloient puiser la philosophie, n'étoient, selon plusieurs écrivains, que des
Nègres, dont les traits natifs furent décomposés et modifiés par le mélange
successif des Grecs, des Romains et des Sarrasins.
Dût−on prouver que les sciences sont venues, de l'Inde en Égypte, en
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE PREMIER 13
seroit−il moins vrai qu'elles ont traversé ce dernier pays pour arriver en
Europe ?
Meiners se retranche à soutenir que l'on doit peu aux Égyptiens ; et un
homme de lettres à Caen, a publié une dissertation pour développer cette
thèse [V. Dissertation sur le préjugé qui attribue aux Égyptiens la
découverte des sciences ; par Cailly, in 8°, à Caen.].
Déjà elle avoit eu pour défenseur Edouard Long, auteur anonyme de
l'histoire de la Jamaïque, qui, en accordant aux Nègres un caractère très
analogue à celui des anciens Égyptiens, charge ceux−ci de mauvaises
qualités, leur refuse le génie, le goût ; leur dispute les talens pour la
musique, la peinture, l'éloquence, la poésie ; il leur accorde seulement la
médiocrité en architecture [The History of Jamaica, 3 vol. in−4°, London
1774, V. t. II, p. 355 et suiv. ; et p. 374, etc.]. Il auroit pu ajouter que cette
médiocrité se manifeste dans leurs pyramides, qu'un simple maçon eût pu
construire, si la vie d'un individu étoit assez longue. Mais sans vouloir
placer l'Égypte au terme le plus élevé des connoissances humaines, toute
l'antiquité dépose en faveur de ceux qui l'envisagent comme une école
célèbre, à laquelle s'instruisirent beaucoup de savans vénérés de la Grèce.
Quoique Edouard Long, refuse du génie aux Égyptiens, il les élève fort
au−dessus des Nègres car il ravale ceux−ci au denier échelon de
l'intelligence [Ibid.] ; et comme une mauvaise cause, se défend par des
argumens de même nature, au nombre de ceux qu'il allègue pour établir
l'infériorité morale des Nègres, il assure que leur vermine est noire.
C'est,dit−il, une remarqué échappée à tous les naturalistes [The History of
Jamaica, 3 vol. in 4°, London 1774, V. t. II, p. 352.]. En supposant la
réalité de ce fait, qui oseroit (excepté Edouard Long) en conclure que les
variétés humaines n'ont pas un type identique, et contester à quelques−unes
l'aptitude à la civilisation ?
Ceux qui ont voulu déshériter les Nègres, ont appelé l'anatomie à leur
secours, et sur la disparité de couleur se sont portées leurs premières
observations.
Un écrivain nommé Hanneman, veut que la couleur des Nègres leur soit
venue de la malédiction prononcée par Noé contre Cham. Gumilla perd
son temps à le réfuter. Cette question a été discutée par Pechlin, Ruysch,
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE PREMIER 14
Albinus, Pittre, Santorini, Winslow, Mitchil, Camper, Zimmerman, Meckel
père, Demangt, Buffon, Somering, Blumenbach, Stanhope−Smith
[Adversaria Anatomica, decad. 3, p. 26, n°23. Dissert. de sede et causa
coloris AÉthiopum et caeterorum hominum, etc., Ludg. Bat. 1707.
Mémoires de l'acad. des Sc., 1702. Observ. anat., 1724. Venet. Exposition
anat., 1743, Amst., t. III, p. 278. De habitu et colore Æthiopum, Kilon,
1677. Discours sur l'origine et la couleur des Nègres, 1764. V. les ouvrag.
trad. par Herbel, t. I, 1784, p. 24. V. Histoire de l'Afrique française, 2 vol.
in−8°. Sur la différence physique qui se trouve entre les Nègres et les
Européens, §48. De Generis Humani varietate nativa, edit. 3, in−8°,
Gotting. 1785. V. An Essay on the cause of the variety of complexion and
figure in human species, by the rev. S. Stanhope−Smith, etc., in−8°,
Philadelphia 1787. J'appelle l'attention sur cet ouvrage, qui mérite d'être
médité.], et beaucoup d'autres.
Mais comment s'accorderoit−on sur les conséquences, si l'on est discordant
sur les faits anatomiques qui doivent leur servir de base ?
Meckel père pense que la couleur des Nègres est due à la couleur foncée
du cerveau ; mais Walter, Bonn, Somering, le docteur Gall, et d'autres
grands anatomistes, trouvent la même couleur dans les cerveaux des
Nègres et ceux des Blancs.
Barrère et Winslow croient que la bile des Nègres est d'une couleur plus
foncée que celle des Européens ; mais Somering la trouve d'un verd
jaunâtre.
Attribuez−vous la couleur des Nègres à celle de leur membrane
réticulaire ? Mais si chez les uns elle est noire, d'autres l'ont cuivrée ou
couleur de bistre. Au fond, c'est reculer la difficulté sans la résoudre ; car
dans l'hypothèse que la substance médullaire, la bile, la membrane
réticulaire, seroient constamment noires, il resteroit à expliquer la cause.
Buffon, Camper, Bonn, Zimmerman, Blumenbach, Chardel son traducteur
français [V. De l'Unité du Genre humain, etc., par Blumenbach, traduit par
Chardel.], Somering, Imlay, attribuent la couleur des Nègres, et celle des
autres variétés, au climat, secondé par des causes accessoires, telles que la
chaleur, le régime de vie. Le savant professeur de Gottingue remarque
qu'en Guinée, non−seulement les hommes, mais les chiens, les oiseaux, et
surtout les gallinacées, sont noirs, tandis que l'ours et d'autres animaux sont
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE PREMIER 15
blancs vers les mers glaciales. La couleur noire étant, selon Knight,
l'attribut de la race primitive dans tous les animaux, il penche à croire que
le Nègre est le type original de l'espèce humaine [V.The Progress of civil
Society, a didactic poem, by Richard Payne−Knight, in−4º, London 1796,
l. v, depuis le vers 227 et les suiv.] : Demanet et Imlay remarquent que les
descendans des Portugais établis au Congo, sur la côte de Sierra−Leone, et
sur d'autres points de l'Afrique, sont devenus Nègres [V. A Topographical
Description of the Western territory of north America, etc., by Georg.
Imlay, in−8°, London 1793. V. lettre 9.] ; et pour démentir des témoins
oculaires tel que le premier, il ne suffit pas de nier, comme l'a fait le
traducteur du dernier ouvrage de Pallas [V. Voyage dans les départemens
méridionaux de la Russie, p. 600, en note.].
On sait que les parties les moins exposées au soleil, telles que la plante des
pieds et les entre−doigts sont blafardes ; aussi Stanhope−Smith, qui dérive
la couleur noire de quatre causes, le climat, le régime de vie, l'état de
société, la maladie, après avoir accumulé des faits qui prouvent l'ascendant
du climat sur la complexion et la figure, explique très−bien pourquoi les
Africains de la côte occidentale sous la zone torride, sont plus noirs que
ceux de l'est ; pourquoi la même latitude en Amérique ne produit pas le
même effet.
Ici l'action du soleil est combattue par des causes locales qui, en Afrique,
la fortifient ; en général la couleur noire se trouve entre les Tropiques, et
ses nuances progressives, suivent la latitude chez les peuples qui
très−anciennement établis dans une contrée n'ont été ni transplantés sous
d'autres climats, ni croisés par d'autres races [Des plaisans ont débité qu'à
Liverpool, où beaucoup d'armateurs s'enrichissent par la traite, on prioit
Dieu journellement de ne pas changer la couleur des Nègres.].
Si les Sauvages de l'Amérique du nord, et les Patagons placés à l'autre
extrémité de ce continent, ont la teinte plus foncée que les peuples
rapprochés de l'isthme de Panama, pour expliquer ce phénomène, ne
doit−on pas recourir aux transmigrations anciennes, et consulter les
impressions locales ?
T. Williams, auteur de l'Histoire de l'État de Vermont, appuie ce système
par des observations qui prouvent la connexité de la couleur et du climat ;
sur des données approximatives, il conjecture que pour réduire, par des
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE PREMIER 16
croisemens, la race Noire à la couleur blanche, il faut cinq générations qui,
étant supposées chacune de vingt−cinq ans, donnent un total de cent
vingt−cinq ans ; que pour amener les Noirs à la couleur blanche, sans
croisement et par la seule action du climat, il faut quatre mille ans ; mais
seulement six cents ans pour les Indiens qui sont de couleur rouge [V. The
Natural and civil History of Vermont, by S. Williams, in−8°, 1794.
Walpole New−Hampshire, p. 391 et suiv.].
Ces effets sont plus sensibles chez les esclaves attachés au service
domestique, mieux soignés, mieux nourris. Non−seulement leurs traits et
leur physionomie ont subi un changement visible, mais ils gagnent au
moral [V. An Essay, etc., p. 20, 23, 24, 58, 77. etc.].
Outre le fait incontestable des Albinos, Somering établit, par des
observations multipliées, que l'on a vu des Blancs noircir, jaunir ; des
Nègres blanchir ou pâlir, surtout à l'issue de maladies [Ibid. §48.] :
quelquefois même, dans la grossesse, la membrane réticulaire des femmes
blanches devient aussi noire que celle des Négresses d'Angola.
Ce phénomène vérifié par le Cat, est confirmé par Camper, comme témoin
oculaire [V. Dissertations sur les variétés naturelles qui caractérisent la
physionomie, etc. ; par Camper ; traduit par Jansen, in−4º, Paris 1791, p.
18.]. Cependant Hunter soutient que quand la race d'un animal blanchit,
c'est une preuve de dégénération. Mais s'ensuit−il que dans l'espèce
humaine la variété blanche soit dégénérée ?
Ou faut−il, au contraire, avec le docteur Rush, dire que la couleur des
Nègres est le résultat d'une léproserie héréditaire ? Il s'appuie du chimiste
Beddoes, qui avoit presque blanchi la main d'un Africain, par une
immersion dans l'acide muriatique oxigéné [V. Transactions of the
American philosophical society, etc., in−4º, p. 287 et suiv.]. Un journaliste
propose, en ricanant, d'envoyer en Afrique des compagnies de
blanchisseurs [V. Monthly Review, t. XXXVIII, p. 20.]. Cette plaisanterie,
inutile pour éclaircir la question, est inconvenante quand il s'agit d'un
homme distingué comme le docteur Rush.
Les philosophes ne s'accordent pas à fixer quelle partie du corps humain
doit être réputée le siège de la pensée et des affections. Descartes,
Harthley, Buffon offrent chacun leurs systèmes. Cependant, comme la
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE PREMIER 17
plupart le placent dans le cerveau, on a voulu en conclure que les plus
grands cerveaux étoient les plus richement dotés en talens, et que les
Nègres l'ayant plus petit que les Blancs, devoient leur être inférieurs. Cette
assertion est détruite par des observations récentes ; car divers oiseaux ont
proportionnément le cerveau plus volumineux que celui de l'homme.
Cuvier ne veut pas que l'on mesure la portée de l'intelligence sur le volume
du cerveau, mais sur celui de la partie du cerveau nommée les
hémisphères, qui augmente ou diminue, dit−il, dans la même mesure que
les facultés intellectuelles de tous les êtres dont se compose le règne
animal.
Mais Cuvier, modeste comme tous les vrais savans, ne propose sans doute
cette idée que comme une conjecture ; car pour tirer une conséquence
affirmative, ne faudroit−il pas que nous connussions mieux les rapports de
l'homme, son état moral ?
Combien de siècles s'écouleront peut−être avant qu'on ait pénétré ce
mystère.
«Tout ce qui différencie les nations, dit Camper, consiste dans une ligne
menée depuis les conduits des oreilles jusqu'au fond du nez, et une autre
ligne droite qui touche la saillie du coronal au−dessus du nez, et se
prolonge jusqu'à la partie la plus saillante de l'os de la mâchoire, bien
entendu qu'il faut regarder les têtes de profil. C'est non−seulement l'angle
formé par ces deux lignes qui constitue la différence des animaux, mais
encore des diverses nations ; et l'on pourroit dire que la nature s'est, en
quelque sorte, servi de cet angle pour déterminer les variétés animales, et
les amener comme par degrés jusqu'à la perfection des plus beaux
hommes. Ainsi la figure des oiseaux décrit les plus petits angles, et ces
angles augmentent à mesure que l'animal approche de la figure humaine. Je
citerai pour exemple (c'est Camper qui parle) les têtes de singe, dont les
unes décrivent un angle de quarante−deux degrés, les autres un de
cinquante. La tête d'un Nègre d'Afrique, ainsi que celle du Calmouk,
forment un angle de soixante−dix degrés, et celle d'un Européen en fait un
de quatre−vingt. Cette différence de dix degrés fait la beauté des têtes
européennes, parce que c'est un angle de cent degrés qui constitue la plus
grande perfection des têtes antiques. De pareilles têtes, comme le plus haut
point de beauté, ressemblent le plus à celle d'Apollon Pythien et de
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE PREMIER 18
Méduse, par Sosocles, deux morceaux unanimement considérés comme les
plus beaux [V.Opuscules, t. I, p. 16 ; et Dissertations physiques sur la
différence réelle que présentent les traits du visage chez les hommes de
divers pays.]».
Cette ligne faciale de Camper a été adoptée par divers anatomistes. Bonn
dit avoir trouvé l'angle de soixante−dix degré dans les têtes des Négresses
[Descriptio thesauri ossium Morbosor. Hovii 1787, p. 133.] ; et comme
d'une part ces différences sont assez constantes ; que d'une autre les
sciences subissent aussi l'empire des modes, ce genre d'observations sur le
volume, la configuration, les protubérances des crânes, sur l'expansion du
cerveau, les affections spéciales dont chacune de ses parties peut−être
susceptible, et ses rapports avec l'intelligence humaine, a pris le nom de
Cranologie, depuis que le docteur Gall en a fait l'objet de sa doctrine
physiologique. Il est combattu entre autres par Osiander [V. Epigrammata
in complures musaci anatomici res, etc., par Fr. B. Osiander, in−8°,
Gottingue 1807, p. 45 et 46.], qui d'ailleurs lui en conteste la priorité, et qui
en trouve les élémens dans la Métoposcopie de Fuschius, et le Fasciculus
medicinæ de Jean de Ketham, etc. Il pouvoit y ajouter Aristote, Plutarque,
Albert le Grand, Triumphus, Vieussens, dit le docteur Gall lui−même.
Celui−ci veut fonder sur la structure du crâne la prétendue infériorité
morale des Nègres ; et quand on lui oppose le fait de beaucoup de Nègres
dont les talens sont incontestables, il répond qu'alors leurs formes
cranologiques se rapprochent de la structure des Blancs, et réciproquement
il suppose que des Blancs stupides ont une conformation qui les rapproche
des Nègres.
Au reste, je m'empresse de rendre hommage aux talens et à la loyauté des
docteurs Gall et Osiander ; mais les hommes les plus éminens peuvent se
fourvoyer dans les hypothèses, ou tirer d'observations justes des
conséquences exagérées.
Par exemple, personne ne contestera au président de l'académie des arts de
Londres, d'être un grand peintre ; mais comment s'y prendroit West pour
prouver son opinion, que la physionomie des Juifs les rapproche de celle
des chèvres [V. p. 20, de Chardel.]. Est−il facile de déterminer les formes
nationales, quand dans tous les pays on voit des variétés notables, même de
village à village ? je l'ai remarqué surtout dans les Vosges, comme Olivier
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE PREMIER 19
dans la Perse ; Lopez a vu des Nègres à cheveux rouges, au Congo [V.
Relazione del reame di Congo, p. 6.].
Admettons néanmoins que chaque peuple a un caractère spécifique, qui se
reproduit jusqu'à ce que le mélange éventuel l'altère ou l'efface. Qui
pourroit fixer le laps de temps nécessaire pour détruire l'influence de ces
diversités transmises héréditairement, et qui sont le produit du climat, de
l'éducation, du régime diététique, des habitudes ? La nature est diversifiée
dans ses détails à tel point, que quelquefois les yeux les plus exercés
seroient tentés de rapporter à des espèces différences des plantes
congénères. Cependant elle admet peu de types primitifs, et dans les trois
règnes, la puissance féconde de l'Éternel en fait jaillir une foule de variétés
qui font l'ornement et la richesse du globe.
Blumenbach croit que les Européens dégénèrent par un long séjour dans
les deux Indes et en Afrique.
Somering n'ose décider si la race primitive de l'homme, en quelque coin de
la terre qu'on place son berceau, s'est perfectionnée en Europe, si elle s'est
altérée en Nigritie, attendu que pour la force et l'adresse, la conformation
des Nègres relativement à leur climat, est aussi accomplie, et peut−être
plus que celle des Européens. Ils surpassent les Blancs par la finesse
exquise de leurs sens, surtout de l'odorat.
Cet avantage leur est commun avec tous les peuples à qui le besoin en
prescrit un fréquent exercice ; tels sont les indigènes de l'Amérique du
nord ; tels les Nègres marrons de la Jamaïque, qui à la vue distinguent dans
les bois des objets imperceptibles à tous les Blancs. Leur taille droite, leur
contenance fière, leur vigueur indiquent leur supériorité ; ils
communiquent entre eux en sonnant de la corne, et la nuance des sons est
telle, qu'ils s'interpellent au loin en distinguant chacun par son nom [The
History of the Maroons from their origin to the etablissement of their chief
Tribe at Sierra−Leone, by R. C. Dallas, 2 vol. in−8º, London 1803, t.1, p.
88 et suiv.]
Somering observe encore que la perfection essentielle d'une foule de
plantes se détériore par la culture. La magnificence et la fraîcheur
passagères qu'on s'efforce de produire dans les fleurs, détruisent souvent le
but auquel la nature les destine. L'art de faire éclore des fleurs doubles, que
nous devons aux Hollandais, ôte presque toujours à la plante la faculté de
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE PREMIER 20
se reproduire. Quelque chose d'analogue se retrouve chez les hommes ;
leur esprit est souvent cultivé aux dépens du corps, et réciproquement ; car
plus l'esclave est abruti, plus il est propre aux travaux des mains
[Somering, § 74.]
On ne refuse point aux Nègres la force corporelle ; quant à la beauté, d'où
la faites−vous résulter ? Sans doute de la couleur et de la régularité des
traits ; mais sur quoi fondé veut−on que la blancheur soit la couleur
privativement admise dans ce qui constitue la beauté,tandis que ce principe
n'est point appliqué aux autres productions de la nature ? Chacun sur cet
objet a ses préjugés, et l'on sait que diverses peuplades noires, transportant
la couleur réputée chez eux la moins avantageuse au diable, le peignent en
blanc.
Ce qu'on appelle la régularité des traits, est une de ces idées complexes
dont peut−être n'a−t−on pas encore saisi les élémens, et sur lesquels, après
tous les efforts de Crouzas, de Hutcheson et du P. André, il reste à établir
des principes. Dans les mémoires de Manchester, George Walker prétend
que les formes et les traits universellement approuvés chez tous le»
peuples, sont le type essentiel de la beauté ; que ce qui est contesté est
dès−lors un défaut, une déviation du jugement [T. V, IIe part.] C'est
demander à l'érudition la solution d'un problème physiologique.
Bosman vante la beauté des Négresses de Jnïda [Bosman, Voyage en
Guine'e, 1705, Utrecht, lettre 18.] ; Ledyard et Lucas, celle des Nègres
Jalofes [Voyage de Ledyard et Lucas, t. II, 338.] ; Lobo, celle des Abyssins
[V. Relation historique de l'Abyssinie, par Lobo, in−4º, Paris 1726, p. 68.].
Ceux du Sénégal, dit Adanson, sont les plus beaux hommes de la Nigritie ;
leur taille est sans défaut, et parmi eux on ne trouve point d'estropiés
[Adanson, Voyage en Sénégal, p. 22.]. Cossigny vit à Gorée des Négresses
d'une grande beauté, d'une taille imposante, avec des traits à la romaine [V.
Cossigny, Voyage à Canton, etc.]. Ligon parle d'une Négresse de l'île S.
Yago, qui réunissoit la beauté et la majesté à tel point, que jamais il n'avoit
rien vu de comparable [V. Histoire de l'île des Barbades, de Rich. Ligon,
dans le Recueil de divers voyages faits en Afrique et en Amérique, in−4º,
Paris 1674, p.20.]. Robert Chasle, auteur du Journal du Voyage de l'amiral
du Quesne, étend cet éloge aux Négresses et Mulâtresses de toutes les îles
du Cap−Vert [V. Journal d'un Voyage aux Indes orientales, sur l'escadre de
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE PREMIER 21
du Quesne, 3 vol. in−12, Rouen 1721, t I, p. 202.].
Leguat [Voyage de Leguat, t. II, p. 136.], Ulloa [Ulloa, Noticias
Americanas, p. 92.] et Isert [Isert, Reis na Guinea, Dordrecht 1790, p.
175.], rendent le même témoignage à l'égard des Négresses qu'ils ont vues,
le premier à Batavia, le second en Amérique, et le troisième en Guinée.
D'après ces témoignages, Jedediah−Morse se mettra sans doute en frais
pour expliquer le caractère de supériorité qu'il trouve imprimé sur le front
du Blanc [V. p. 182.].
Les systèmes qui supposent une différence essentielle entre les Nègres et
les Blancs, ont été accueillis 1°. par ceux qui à toute force veulent
matérialiser l'homme, et lui arracher des espérances chères à son coeur ; 2°.
par ceux qui, dans une diversité primitive des races humaines, cherchent
un moyen de démentir le récit de Moïse ; 3°. par ceux qui, intéressés aux
cultures coloniales, voudroient dans l'absence supposée des facultés
morales du Nègre, se faire un titre de plus pour le traiter impunément
comme les bêtes de somme.
Un de ceux qu'on avoit accusés d'avoir manifesté une telle opinion, s'en
défend avec chaleur. On lui reprochoit d'avoir dit dans ses Idées sommaires
sur quelques réglemens à faire à rassemblée coloniale, imprimées au Cap,
qu'il y a deux espèces d'hommes, la blanche et la rouge ; que les Nègres et
Mulâtres n'étant pas de la même que le Blanc, ne peuvent prétendre aux
droits naturels pas plus que l'Orang−outang ; qu'ainsi Saint−Domingue
appartient à l'espèce blanche [Par le baron de Beauvois, p. 6 et 24. V.
Rapport sur les troubles de Saint−Domingue, etc., par Garran, in−8º, Paris
an 5 (1797).]. L'auteur le nie.
Il est remarquable qu'alors correspondant de l'académie des sciences,
aujourd'hui membre de l'Institut, il avoit précisément à cette époque pour
confrère correspondant de la même académie, un Mulâtre de l'île de
France, Geoffroi−Lislet, dont il sera question ci−après.
Les loix coloniales ne prononçoient pas formellement qu'il y ait parité
entre l'esclave et la brute ; mais divers actes réglementaires et judiciaires le
supposoient. Dans la multitude de faits, je choisis 1°. une sentence du
conseil du Cap, tiré d'une source non suspecte, la collection de
Moreau−Saint−Méry. L'énoncé de ce jugement rapproche sur la même
ligne les Nègres et les porcs [V. Loix et Constitution des colonies, par
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE PREMIER 22
Moreau−Saint−Méry, t. VI, p. 144.]. 2º. Le réglement de police qui à
Batavia interdit aux esclaves de porter des bas, des souliers, et de paroître
sur les trottoirs près des maisons ; ils doivent marcher dans le milieu de la
rue avec les bestiaux [V. Voyage à la Cochinchine, par Barrow, 2 vol.
in−8°, Paris 1807, t. II, p. 63 et suiv.].
Mais pour l'honneur des savans qui ont approfondi cette matière,
hâtons−nous de déclarer qu'ils n'ont pas blasphémé la raison en essayant de
ravaler les Noirs au−dessous de l'humanité. Ceux même qui veulent
mesurer l'étendue des facultés morales sur la grandeur du cerveau,
désavouent les rêveries de Kaims, et toutes les inductions que veulent en
tirer, soit le matérialisme pour nier la spiritualité de l'ame, soit la cupidité
pour les asservir.
J'ai eu occasion d'en conférer avec Bonn d'Amsterdam, qui a la plus belle
collection connue de peaux humaines ; avec Blumenbach, qui a peut−être
la plus riche en crânes humains ; avec Gall, Meiners, Osiander, Cuvier,
Lacépède ; et je saisis cette occasion d'exprimer à ces savans ma
reconnoissance.
Tous, un seul excepté qui n'ose décider, tous comme Buffon, Camper,
Stanhope−Smith, Zimmerman, Somering, admettent l'unité de type primitif
dans la race humaine.
Ainsi la physiologie se trouve ici d'accord avec les notions auxquelles
ramène sans cesse l'étude des langues et de l'histoire, avec les faits que
nous révèlent les livres sacrés des Juifs et des Chrétiens. Ces mêmes
auteurs repoussent toute assimilation de l'homme à la race des singes ; et
Blumenbach, fondé sur des observations réitérées, nie que la femelle du
singe soit soumise à des évacuations périodiques qu'on citoit comme un
trait de similitude avec l'espèce humaine [V. De generis humani varietate
nativa. Cependant selon Desfontaines, la femelle du pithèque (simia
pitheous) a un léger écoulement périodique.]. Entre les têtes du sanglier et
du porc domestique, qu'on avoue être de la même race, il y a plus de
différence qu'entre la tête du Nègre et celle du Blanc ; mais, ajoute−il,
entre la tête du Nègre et celle de l'Orang−outang, la distance est immense.
Les Nègres étant de même nature que les Blancs, ont donc avec eux les
mêmes droits à exercer, les mêmes devoirs à remplir. Ces droits et ces
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE PREMIER 23
devoirs sont antérieurs au développement moral. Sans doute leur exercice
se perfectionne ou se détériore selon les qualités des individus. Mais
voudroit−on graduer la jouissance des avantages sociaux, d'après une
échelle comparative de vertus et de talens, sur laquelle beaucoup de Blancs
eux−mêmes ne trouveroient pas de place ?
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE PREMIER 24
CHAPITRE II
Opinions relatives à l'infériorité morale des Nègres.
Discussion sur cet objet.
Obstacles qu'oppose l'esclavage au développement de leurs facultés.
Ces obstacles combattus par la religion chrétienne.
Évêques et prêtres nègres.
L'opinion de l'infériorité des Nègres n'est pas nouvelle. La prétendue
supériorité des blancs n'a pour défenseurs que des Blancs juges et parties,
et dont on pourroit d'abord discuter la compétence, avant d'attaquer leur
décision. C'est le cas de rappeler l'apologue du lion qui, à l'aspect d'un
tableau représentant un animal de son espèce terrassé par un homme, se
contenta de faire observer que les lions n'ont pas de peintres.
Hume, qui dans son Essai sur le caractère national, admet quatre à cinq
races, soutient que la blanche seule est cultivée, que jamais on ne vit un
Noir distingué par ses actions et ses lumières. Son traducteur, ensuite
Estwick [Considerations on the Negroe cause, par Estwick.] et Chatelux
ont répété la même assertion. Barré−Saint−Venant, pense que si la nature
permet aux Nègres quelques combinaisons qui les élèvent au−dessus des
autres animaux, elle leur interdit les impressions profondes et l'exercice
continu de l'esprit, du génie et de la raison [V. Des colonies sous la zone
torride, particulièrement celle de Saint−Domingue, par
Barré−Saint−Venant, in−8º, Paris 1802, c. iv.].
Il est fâcheux de trouver le mème préjugé chez un homme dont le nom ne
se prononce parmi nous qu'avec une estime profonde, et un respect mérité ;
c'est Jefferson dans ses Observations sur la Virginie [V. Notes on the State
of Virginia, etc., by Jefferson, in−8º, London 1787.].
Pour étayer son opinion, il ne suffisoit pas de ravaler le talent de deux
écrivains nègres ; il falloit établir par les raisonnemens et des faits
multipliés, que, dans des circonstances données, et les mêmes pour des
Blancs et des Noirs, ceux−ci ne pourroient jamais rivaliser avec ceux−là.
Il s'objecte Epictete, Térence et Phèdre qui avoient été esclaves, et
CHAPITRE II 25
auxquels il eut pu joindre Locman, Esope, Servins−Tullius ; à cette
difficulté, il répond par une pétition de principe, en disant qu'ils étoient
blancs.
Jefferson, combattu par Beattie, l'a été depuis par Imlay, son compatriote,
avec beaucoup d'énergie, surtout en ce qui concerne Phillis Wheatley.
Imlay en transcrit des morceaux touchans ; mais il se trompe à son tour, en
disant à Jefferson que la citation de Térence est une gaucherie, attendu
qu'il étoit, non−seulement Africain, mais Numide et pourtant Nègre [V. A
topographical description of the western territory of north America, etc. by
George Imlay, in−8°, London 1793. V. Lettre 9.]. Il paroît, que Térence
étoit Carthaginois. La Numidie correspond à ce qu'on nomme aujourd'hui
la Mauritanie, dont les habitans descendoient des Arabes, et qui, ayant
envahi l'Espagne, furent la nation la plus éclairée du moyen âge.
Au reste, Jefferson lui−même fournit des armes pour le combattre dans sa
réponse à Raynal, qui reprochait à l'Amérique de n'avoir pas encore produit
des hommes célèbres.
Quand nous aurons existé, dit le savant Américain, en corps de nation aussi
long−temps que les Grecs, avant d'avoir un Homère, les Romains un
Virgile, les Français un Racine, on sera en droit de montrer de
l'étonnement : de même pouvons−nous dire, quand les Nègres auront
existé dans l'état de civilisation aussi long−temps que les habitans des
États−Unis, avant de produire des hommes tels que Franklin, Rittenhouse,
Jefferson, Madison, Washington, Monroë, Waren, Bush, Barlow, Mitchil,
Ramford, Barton, le Virginien, qui a fait l'English Spy, l'auteur de l'adresse
aux armées à la fin de la guerre de la révolution, qu'on a surnommé le
Junius Américain, etc., etc., et trente autres que je pourrois citer [L'aurore
des beaux arts en Amérique s'annonce d'une manière brillante. West,
Copely, Vanderlyn, Stewart, People, Allsion sont comptés au rang des
peintres distingués. Des femmes même sont entrées avec succès dans la
carrière littéraire. Mme de Waren, qui vient de donner son Histoire de la
révolution américaine, Mlle Hannah Adams, qui entre autres ouvrages a
publié La Vérité et L'Excellence du Christianisme prouvées par les écrits
des laïcs, etc. Cette énumération est déjà une réponse victorieuse aux
rêveries de Paw, sur l'infériorité de talens des citoyens du nouveau
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE II 26
Monde.], on aura quelque de croire qu'il y a chez les Nègres absence totale
de génie. «Eh comment le génie pourroit−il naître au sein de l'opprobre et
de la misère, quand on n'entrevoit, dit Genty, aucune récompense, aucun
espoir de soulagement [V. Influence de la découverte de l'Amérique, p.
167.]» ! Après avoir combattu, dans Jefferson, une erreur de l'esprit, je ne
quitterai pas ce sujet sans rendre hommage à son coeur. Par ses discours et
ses actions, comme président et comme citoyen, il a provoqué sans relâche
la liberté, l'instruction des esclaves, et tous les moyens d'améliorer leur
existence.
Dans la plupart des régions africaines, la civilisation et les arts sont encore
au berceau. Si c'est parce que les habitans sont Nègres, expliquez−nous
pourquoi les hommes blancs ou cuivrés des autres contrées sont restés
sauvages, et même anthropophages ? Pourquoi, avant l'arrivée des
Européens, les hordes errantes et vivant de chasse de l'Amérique
septentrionale, n'avoient pas même passé au rang des peuples pasteurs ?
Cependant on ne conteste pas leur aptitude, ce qu'on ne manqueroit pas de
faire, si jamais on vouloit établir la traite chez eux : tenez pour certain que
la cupidité trouveroit des prétextes pour justifier leur esclavage.
Les arts sont files des besoins naturels ou factices. Ceux−ci sont à peu près
inconnus en Afrique ; et quant aux besoins de se nourrir, se vêtir, s'abriter,
ces derniers sont presque nuls, à raison de la chaleur du climat ; le premier,
très−restreint, est d'ailleurs facile à satisfaire, parce que la nature y
prodigue ses richesses ; les relations récentes ont grandement modifié
l'opinion qui, aux contrées africaines, n'attachoit guères que l'idée de
déserts infertiles. James Field Stantield, dans son beau poëme intitulé : La
Guinée, n'a été, à cet égard, que l'écho des voyageurs [V. The Guinea
Voyage a poem, in 3 books, by James Field Stanfield, in−4°, London 1787.
On me saura gré de citer le début du second livre.
High where primeval forests, shade the land
'And in majestic solemn order stand
A sacred station raises now it seat
O' er the loud stream that murmur at its feet
Of Niger rushing thro' the fertile plains
Swelled by the cataract of Tropic rains
Long' ere surcharged his turgid flood divides ;
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE II 27
To burst an Ocean in three thundering tides.].
La religion chrétienne est un moyen infaillible de propager et de maintenir
la civilisation ; c'est l'effet quelle a produit et quelle produira partout. C'est
par elle que nos ancêtres, Gaulois et Francs, cessèrent d'être barbares, et les
bois sacrés ne furent plus souillés par les sacrifices de sang humain. Par
elle se répandirent les lumières dans cette église d'Afrique, autrefois l'une
des portions les plus brillantes de la catholicité. Quand la religion
abandonna ces contrées, elles furent replongées dans les ténèbres.
L'historien Long, qui s'efforce de persuader que les Nègres sont incapables
de s'élever aux hautes conceptions de l'esprit humain, et qui se réfute
lui−même dans plusieurs endroits de son ouvrage, comme on le fera voir,
entr'autres, à l'article de Francis Williams ; Edouard Long reproche aux
Nègres de manger des chats sauvages, comme si c'étoit un crime, et qu'on
n'en mangeât pas en Europe ; d'être livrés à des superstitions [V. Long, t.
II, p. 420.], comme si l'Europe n'en étoit pas infectée, et surtout la patrie de
cet historien. On peut voir dans Grose, la longue et ridicule énumération
d'observances superstitieuses des protestans anglais [A Provincial glossary
with a collection of local proverbs and popular superstitions, by Francis
Grose, in−8°, London 1790.].
Si le superstitieux est à plaindre, du moins il n'est pas inaccessible aux
notions saines. De fausses lueurs peuvent disparoître à l'éclat de la
lumière ; on peut l'assimiler à une terre dont la fécondité, selon qu'elle est
négligée ou cultivée, produit des plantes vénéneuses ou salutaires ; au lieu
qu'un sol frappé de stérilité absolue, pourroit être l'emblème de quiconque
professe l'abnégation de tout principe religieux.
La croyance d'un Dieu, rémunérateur et vengeur, peut seule garantir la
probité d'un homme qui, soustrait aux regards, de ses semblables et n'ayant
pas à redouter la vindicte publique, pourroit impunément voler ou
commettre tout autre crime. Ces réflexions amènent la solution du
problème tant de fois discuté : Quel est le pis de la superstition ou de
l'athéisme ? Quoique chez bien des gens la passion étouffe le sentiment du
juste et de l'honnête, en thèse générale peut−on balancer sur le choix entre
celui à qui, pour être vertueux, il suffit de se conformer à sa croyance, et
celui qui a besoin, pour n'être pas fripon d'être inconséquent à son système.
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE II 28
Barrow attribue la barbarie actuelle de quelques contrées d'Afrique, au
commerce des esclaves. Pour s'en procurer, les Européens y ont fait naître,
et ils y perpétuent l'état de guerre habituelle ; ils ont empoisonné ces
régions par l'accumulation de tous les genres de débauche, de séduction, de
rapacité, de cruauté. Est−il un seul vice dont ils ne reproduise
journellement l'exemple sous les yeux des Nègres apportés en Europe, ou
transportés dans nos colonies ? Je ne suis pas surpris de lire dans Beaver,
certainement ami des Nègres, et qui dans son African memoranda se
répand en éloges sur leurs vertus natives et leurs talens : «J'aimerois mieux
introduire chez eux un serpent à sonnettes, qu'un Nègre qui auroit vécu à
Londres [V. African memoranda, relative to an attempt to establish a
british settlement in the Island of Boulam, by captain Phylips Beaver,
in−4°, London 1805. I would rather carry thither a rattle snake, etc., p.
897.]». Cette phrase exagérée, et qui n'est pas un compliment flatteur pour
les Blancs, indique ce que deviennent des individus à qui on inculque tous
les genres de dépravation, sans leur opposer un seul frein qui en amortisse
les funestes résultats.
Homère assure que quand Jupiter condamne un homme à l'esclavage, il lui
ôte la moitié de son esprit. La liberté conduit à tout ce qu'ont de sublime le
génie et la vertu, tandis que l'esclavage les étouffe. Quels sentimens de
dignité, de respect pour eux−mêmes peuvent concevoir des êtres
considérés comme le bétail, et que des maîtres jouent quelquefois aux
cartes ou au billard, contre quelques barils de riz ou d'autres
marchandises ? Que peuvent être des individus dégradés au−dessous des
brutes, excédés de travail, couverts de haillons, dévorés par la faim, et pour
la moindre faute déchirés par le fouet sanglant d'un
commandeur ?L'estimable curé Sibire qui, après avoir missionné avec
succès en Afrique et en Europe, est actuellement, comme tant de dignes
prêtres, repoussé du ministère par des fanatiques ; Sibire dit, en se moquant
des colons, «Ils ont fait des descriptions bizarres de la béatitude de leurs
Nègres, et sous des couleurs si riantes, si aimables, qu'en admirant leurs
tableaux d'imagination, on regrette presque d'être libre, ou qu'il prend
envie d'être esclave... Je ne leur souhaiterois pas à ces colons un pareil
bonheur, dont pourtant ils ne sont que trop dignes [V. L'Aristocratie
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE II 29
négrière, etc., par l'abbé Sibire, missionnaire dans le royaume de Congo,
in−8°, Paris, 1789, p. 93.]. A qui persuaderez−vous que l'éternelle sagesse
puisse se contredire, et que le père commun des humains en soit comme
vous le tyran ? Si, par impossible, il existoit sur la terre un homme
nécessité à servir de proie à ses semblables, il seroit un argument
invincible contre la Providence [V. Ibid., p. 27.]». On n'a pas encore vu un
seul de ces Blancs imposteurs changer son sort avec celui de ces Nègres.
Si les esclaves sont si heureux, pourquoi, jusqu'à ces dernières années,
enlevoit−on annuellement, d'Afrique, quatre−vingt mille Noirs pour
remplacer ceux qui avoient succombé aux fatigues, à la misère, au
désespoir, car de l'aveu des planteurs, il en périt une grande partie dans les
premiers temps de leur séjour en Amérique [V. Practical rules for the
management and medical treatment of negroe−slaves in the Sugar
colonies, by a professional planter, in−8°, London 1805, p. 470.].
Les colons s'obstinent à vouloir persuader aux esclaves qu'ils sont
heureux ; les esclaves s'obstinent à soutenir le contraire. A qui faut−il s'en
rapporter ? Pourquoi leurs regards, leurs souvenirs se tournent−ils sans
sans cesse vers leur patrie ? Pourquoi ces regrets amers d'en être éloignés,
et ce dégoût de la vie ? Pourquoi ces élans d'allégresse en assistant aux
funérailles de leurs compagnons de misère, que la mort délivre de la
servitude, sans que les Blancs puissent y mettre obstacle [V. Notes on the
West−Indies, etc., by G. Pinckard, 3 vol. in−8°, London, t. I, p. 273, et t.
III, p. 67.] ? Pourquoi cette tradition consolante parmi eux, que leur
bonheur en mourant sera de retourner dans leur terre natale ? Pourquoi ces
suicides multipliés afin d'accélérer ce retour ? Il plaît à Bryant−Edwards de
nier que cette opinion soit reçue chez les Nègres. En cela il est contredit
par la foule des auteurs, entr'autres, par son compatriote Hans Sloane qui,
certes, connoissoit bien les colonies [A Voyage to the islands of Madera,
Barbadoes and Jamaica, by Hans Sloane, 2 vol. in−fol., London 1707, p.
48.], et par Othello, écrivain nègre [V. Son Essai contre l'esclavage, publié
en 1788 à Baltimore.].
Les habitans de la Basse−Pointe et du Carbet, parroisses de la Martinique,
plus véridiques que d'autres colons, avouoient, en 1778, «que la religion
seule donnant l'espérance d'un meilleur avenir, fait supporter patiemment
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE II 30
aux Nègres un joug si contraire à la nature, et console ce peuple qui ne voit
dans le monde que du travail et des châtimens [V. Lettre d'un Martiniquais
à M. Petit, sur son ouvrage intitulé : Droit public du grouvernement des
colonies françaises, in−8°, 1778.]».
A Batavia on s'abonne, à tant par année, pour faire fouetter en masse les
esclaves, et sur le champ on prévient la gangrène, en couvrant les plaies de
poivre et de sel : c'est Barrow qui nous l'apprend [Voyage de la
Cochinchine, par Barrow, t. II, p. 98, 99.]. Son compatriote, Robert
Percival, observe, à cette occasion, que les esclaves, cruellement traités à
Batavia, et dans les autres colonies hollandaises qui sont à l'est, n'ayant
aucun abri contre la férocité des maîtres, ne pouvant espérer aucune justice
des tribunaux, se vengent sur leur tyrans, sur eux−mêmes et sur l'espèce
humaine dans ces courses homicides nommées Mocks, plus fréquentes
dans ces colonies qu'ailleurs [Voyage à l'île de Ceylan, par Robert
Percival, traduit par P.F. Henry, 1803, Paris, t. I, p. 222 et 223.].
On enfleroit des volumes par le récit des forfaits dont ils ont été les
victimes. Quand les partisans de l'esclavage ne peuvent les nier, ils se
retranchent à dire que déjà ils sont anciens, et que rien de pareil dans ces
derniers temps ne souille les annales des colonies. Certainement il est des
planteurs respectables sous tous les rapports, que l'inculpation de cruauté
ne peut atteindre ; et comme on laisse à chacun la faculté de se placer dans
les exceptions, si quelqu'un se récrioit comme s'il étoit attaqué
nominativement, avec Erasme, on lui répondroit que par là même il
dévoile sa conscience [Qui se læsum clamabit in conscientiam suam
prodel.].
Cependant elle est assez moderne l'anecdote du capitaine négrier, qui,
manquant d'eau, et voyant la mortalité ravager sa cargaison, jetoit par
centaines des Nègres à la mer. Il est récent le fait d'un autre capitaine qui,
ennuyé des cris de l'enfant d'une Négresse, l'arrache du sein maternel, et le
précipite dans les flots : les gémissements continuels de la pauvre mère
remplacèrent ceux de l'enfant, et si elle n'éprouva pas le même traitement,
c'est parce que ce négrier espéroit en tirer bon parti par la vente. Je suis
persuadé, dit John Newton, que toutes les mères dignes de ce nom
déploreront son sort. Le même auteur raconte qu'un autre capitaine, ayant
apaisé une insurrection, s'exerça long−temps à rechercher les genres de
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE II 31
supplices les plus rafinés, pour punir ce qu'il appeloit une révolte [V.
Thoughts upon the african slave−trade, by John Newton, rector, etc. 2e
édit. in−8°, London 1788, p. 17 et 18.].
C'est en 1789 que de Kingston en Jamaïque, on écrivoit : «Outre les coups
de fouet par lesquels on déchire les Nègres, on les musèle pour les
empêcher de sucer une de ces cannes à sucre arrosées de leurs sueurs, et
l'instrument de fer avec lequel on leur comprime la bouche, empêche
encore d'entendre leurs cris lorsqu'on les fouette [V. American Museum,
in−8°, Philadelphie 1789, t. VI, p. 407.]».
La crainte qu'inspirèrent les Marrons de la Jamaïque, en 1795, fit trembler
les planteurs. Un colonel Quarrel offre à l'assemblée coloniale d'aller à
Cuba chercher des meutes de chiens dévorateurs ; sa proposition est
accueillie avec transport. Il part, arrive à Cuba, et dans le récit de cette
infernale mission, s'intercale la description d'un bal que lui donne la
marquise de Saint−Philippe. Il revient à la Jamaïque avec ses chiens et ses
chasseurs, qui, heureusement, ne servirent pas, parce qu'on fit la paix avec
les Marrons.
Mais on doit savoir gré de leur intention à ces planteurs, qui payèrent
largement les chasseurs, et votèrent des remerciemens, des récompenses au
colonel Quarrel, dont le nom à jamais abhorré doit figurer à côté de
Phalaris, Mezeuse, Néron, etc. Je le demande avec douleur, mais la vérité
est plus respectable que les individus ; malgré les témoignages qui
déposent en faveur du caractère de Dallas, que faut−il penser d'un homme
lorsqu'il se constitue l'apologiste de cette mesure ? Il n'y a selon lui que des
archisophistes qui puissent la censurer. «Les Asiatiques n'ont−ils pas
employé des éléphans à la guerre ? La cavalerie n'est−elle pas usitée chez
les nations d'Europe ? Si un homme étoit mordu par un chien enragé, se
feroit−il scrupule de retrancher la partie attaquée pour épargner le tout,
etc.» ? Mais qui sont les mordans et les enragés, sinon ceux qui, dévorés
par l'avarice, foulant aux pieds dans les deux Mondes toutes les loix
divines et humaines, ont arraché d'Afrique et opprimé en Amérique de
malheureux esclaves. Il est donc vrai que toujours la soif de l'or, du
pouvoir, rend les hommes féroces, altère leur raison et anéantit tout
sentiment moral. Si les circonstances les forcent à être justes, ils vantent
comme des bienfaits les actes que le nécessité leur arrache. Colons, si vous
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE II 32
aviez traînés hors de vos foyers pour subir le même sort qu'eux, à leur
place que penseriez−vous ? que feriez−vous ? Bryant−Edwards avoit peint
les Nègres comme des tigres ; il les avoit accusés d'avoir égorgé des
prisonniers, des femmes enceintes, des enfans à la mamelle, Dallas, en le
réfutant, se combat lui−même, et, sans le vouloir, détruit encore par les
faits, les paralogismes allégués pour justifier l'emploi des chiens
dévorateurs [V. ces horribles détails dans Dallas, t. II, lettre 9, p. 4 et suiv.]
Plût à Dieu que les flots eussent englouti ces meutes antropophages,
stylées et dirigées par des hommes contre des hommes. J'ai ouï assurer que,
lors de l'arrivée des chiens de Cuba à Saint−Domingue, on leur livra, par
manière d'essai, le premier Nègre qui se trouva sous la main. La
promptitude avec laquelle ils dévorèrent cette curée, réjouit des tigres
blancs à figure humaine.
Wimphen, qui écrivoit pendant la révolution, déclare qu'à Saint−Domingue
les coups de fouet et les gémissements remplaçoient le chant du coq
[Wimphen, t. I, p. 128.]. Il parle d'une femme qui fit jeter son cuisinier
nègre dans un four, pour avoir manqué un plat de pâtisserie. Avant elle, un
planteur, nommé Chaperon, avoit fait la même chose [V. Voyage aux
Indes occidentales, par Bossu, 1769, Amsterdam, p. 14.].
Les inombrables dépositions faites à la barre du parlement britannique, ont
dévoilé jusqu'à l'évidence les crimes des planteurs. De nouveaux
développemens ont encore ajouté, s'il est possible, à cette évidence par la
publication de l'ouvrage anonyme, intitulé : les Horreurs de l'esclavage
[The Horrors of the negro slavery existing in our West−Indian islands,
irrefragabily demonstred from official documents recently presented to the
house of Commons, in−8°, London 1805.], et plus récemment encore, par
les Voyages de Pinckard [Notes on the West−Indies, etc., by G. Pinckart.]
et de Robin. En lisant ce dernier, on voit que beaucoup de femmes créoles
ont abjuré la pudeur et la douceur qui sont l'héritage patrimonial de leur
sexe. Avec quelle effronterie cynique elles vont dans les marchés, visiter,
acheter des Nègres nus, et qu'on transporte dans les ateliers sans leur
donner de vêtemens ; pour se couvrir, ils sont réduits à se faire des
ceintures de mousse. Robin reproche encore aux femmes créoles de
renchérir sur les hommes en cruauté.
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE II 33
Les Nègres condamnés au fouet sont attachés face contre terre, entre quatre
piquets. Elles voient sans émotion le sang ruisseler, et les longues lanières
de peau se lever sur le corps de ces malheureux. Les Négresses enceintes
ne sont pas exemptes de ce suplice ; on prend seulement la précaution de
creuser la terre dans l'endroit où doit être placé le ventre. Témoins
journaliers de ces horreurs, les enfans blancs font leur apprentissage
d'inhumanité en s'amusant à tourmenter les Négrillons [V. T.L., p. 175 et
suiv.]. Et cependant, quoique le cri de l'humanité s'élève de toutes parts
contre les forfaits de la traite et de l'esclavage, quoique le Danemark,
l'Angleterre, les États−Unis repoussent l'une et l'autre, on ose chez nous en
solliciter le rétablissement [Un anonyme a même publié un pamphlet sous
ce tire : De la nécessité d'adopter l'esclavage, en France, comme moyens de
prospérité pour les colonies, de punition pour les coupables, etc., in−8°,
Paris 1797.], malgré les décrets rendus, et ces mots de la proclamation du
Chef de l'État, aux Nègres de Saint−Domaingue : «Vous êtres tous égaux
et libres devant Dieu et devant la République».
Ces pamphlétaires parlent sans cesse des malheureux colons, et jamais des
malheureux Noirs. Les planteurs répètent que le sol des colonies a été
arrosé de leurs sueurs, et jamais un mot sur les sueurs des esclaves. Les
colons peignent avec raison comme des monstres les Nègres de
Saint−Domingue, qui usant de coupables représailles, ont égorgé des
Blancs, et jamais ils ne disent que les Blancs ont provoqué ces vengeances,
en noyant des Nègres, en les faisant dévorer par des chiens. L'érudition des
colons est riche de citations en faveur de la servitude ; personne mieux
qu'eux ne connoît la tactique du despotisme.
Ils ont lu dans Vinnins, que l'air rend esclave ; dans Fermin, que
l'esclavage n'est pas contraire à la loi naturelle [V. Dissertation sur la
question, s'il est permis d'avoir en sa possession des esclaves, et de s'en
servir comme tels dans des colonies de l'Amérique, par Philippe Fermin,
in−8°, Mastrich 1776.] ; dans Beckford, que les Nègres sont esclaves par
nature [V. Descriptive account of the island of Jamaica, etc., by Will
Beckford, 2 vol. in−8°, London 1790, t. II, p. 382.]. Ce
Hilliard−d'Auberteuil, que les ingrats colons firent périr dans un cachot,
parce qu'il fut soupçonné d'affection pour les Mulâtres et Nègres libres,
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE II 34
avoir écrit : «L'intérêt et la sûreté veulent que nous accablions les Noirs
d'un si grand mépris que quiconque en descend jusqu'à la sixième
génération, soit couvert d'une tache ineffaçable [V. Considérations sur
l'état présent de la colonie française de Saint−Domingue, par H.D.L.
(Hilliard−d'Auberteuil), in−8°, Paris 1777, t. II, p. 73 et suiv.]».
Barre−Saint−Venant regrette qu'on ait détruit l'opinion de la supériorité du
Blanc [V. Colonies modernes, etc.]. Félix Carteau, auteur des Soirées
Bermudiennes, met en axiome cette inaltérable suprématie de l'espèce
blanche, cette prééminence qui est le palladium de notre espèce [V. Les
Soirées Bermudiennes, ou Entretien sur les événemens qui ont opéré la
ruine de la partie française de Saint−Domingue, par F.C., un de ses
précédens colons, in−8°, Bordeaux 1802, p. 60 et 66.]. Il attribue la ruine
de Saint−Domingue à l'orgueil et aux prétentions prématurées des gens de
couleur, au lieu de l'attribuer à l'orgueil et aux prétentions immodérées des
Blancs. «L'auteur d'un Voyage à la Louisiane, vers la fin du dernier siècle,
veut perpétuer l'heureux préjugé qui fait mépriser le Nègre comme destiné
à être esclave [V. Voyage à la Louisiane et sur le continent de l'Amérique,
par B.D., in−8°, Paris 1802, p. 147 et 191.]».
Cuirassés de ces blasphèmes, ils demandent impudemment qu'on forge de
nouveaux fers pour les Africains. L'écrivain qui a publié «l'Examen de
l'esclavage en général, et particulièrement de l'esclavage des Nègres dans
les colonies françaises», semble croire que les Nègres ne reçoivent la vie
qu'à condition d'être asservis, et il prétend qu'eux−mêmes voteroient pour
l'esclavage [V. Examen, etc. par V.D.C., ancien avocat colon de
Saint−Domingue, 2 vol. in−8°, Paris 1802.]. Il regrette le temps où l'ombre
du Blanc faisoit marcher les Nègres. Prédicateur de l'ignorance, il ne veut
pas que le peuple s'instruise, et il honore de sa critique Montesquieu, qui a
osé ridiculisé l'infaillibilité des colon. Belu, qui veut ramener ce régime
abhorré, déclare qu'à coups de fouets on lacéroit les Nègres ; on prévenoit,
dit−il, les suites de ce déchirement en versant sur les plaies une espèce de
saumure, qui étoit un surcroît de douleur, et qui guérissoit promptement
[Des colonies et de la traite des Nègres, par Belu, in−8°, Paris, an 9.]. Ce
fait est concordant avec ce qu'on vient de lire sur Batavia. Mais rien n'égale
ce qu'a écrit dans ses prétendus Egaremens du négrophilisme [In−8°, Paris
1803.], un nommé de Lozières, qu'il faut considérer seulement comme
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE II 35
insensé, pour se dispenser de croire pis. «Il assure textuellement que
l'inventeur de la traite mériteroit des autels [V. p. 22.] ; que par l'esclavage
on fait des hommes dignes du ciel et de la terre [Egaremens du
négrophilisme, p. 110.]». Il convient toutefois que des capitaines négriers
ayant des esclaves attaqués de maladies cutanées, ce qui pourroit nuire à la
vente de leur cargaison, leur donnent des drogues pour répercuter ces
humeurs, dont le développement plus tardif produit ensuite des ravages
horribles [Ibid., p. 102.].
Les esclaves sont presqu'entièrement livrés à la discrétion des maîtres. Les
loix ont fait tout pour ceux−ci, tout contre ceux−là qui, frappés de
l'incapacité légale, ne peuvent pas même être admis en témoignage contre
les Blancs. Si un Nègre tente de fuir, le code noir de la Jamaïque laisse au
tribunal la faculté de le condamner à mort [V. Long t. II, p. 489.].
Depuis quelques années, des réglemens moins féroces substitués dans le
code de cette île, prouvent par là même combien les anciens étaient
horribles ; et cependant les nouveaux, qui sont encore un attentat contre la
justice, sont−ils exécutés ? Dallas, qui les cite, confesse que dans la
pratique il reste à faire beaucoup d'améliorations [V. Dallas, t. II, p. 416.].
Cet aveu laisse à douter si ces déterminations récentes sont autre chose
qu'une dérision législative pour fermer la bouche aux réclamations des
philanthropes ; car les Blancs font toujours cause commune contre tout ce
qui n'est pas de leur couleur. D'ailleurs la cupidité trouvera mille moyens
d'éluder la loi. Il en est de même aux États−Unis, qui, malgré la prohibition
de la traite ; des marchands négriers vont charger à la côte d'Afrique des
cargaisons de Noire qu'ils vendent dans les colonies espagnoles. Ils
viendroient même ou relâcher, ou vendre dans les ports de l'Union, s'ils ne
redoutaient la vigilance inflexible de ces estimables Quakers, toujours
prêts à dénoncer aux magistrats des infractions attentatoires à la loi et aux
principes de la nature.
Aux Barbades, comme à Surinam, celui qui volontairement et par cruauté,
tue un esclave, s'acquitte en payant 15 liv. sterl. au trésor public [V.
Remarks on the slave trade, in−4º, 1788, p. 125.].
Dans la Caroline du sud l'amende est plus forte, elle est de 50 liv. ; mais un
journal américain nous apprend que ce crime y est absolument impuni,
puisque l'amende n'est jamais payée [V. The Litterary magasine and
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE II 36
american register, in−8°, Philadelphie 1803, p. 36.].
Si l'existence des esclaves est à peu près sans garantie, leur pudeur est
livrée sans réserve à tous les attentats de la brutale lubricité. John Newton,
qui, après avoir été employé neuf ans à la traite, est devenu ministre
anglican, fait frissonner les âmes honnêtes, en déplorant les outrages faits
aux Négresses, «quoique souvent on admire en elles des traits de modestie
et de délicatesse dont une Anglaise vertueuse pourroit s'honorer [V.
Thoughts upon slavery, p. 20 et suiv.]».
Tandis que dans les colonies françaises, anglaises et hollandaises, la loi ou
l'opinion repoussoit les mariages mixtes à tel point, que les blancs qui en
contractoient étoient réputés mésalliés, les Portugais et les Espagnols
formoient une exception honorable ; et dans leurs colonies, le mariage
catholique affranchit. Il n'est pas surprenant que Barré−Saint−Venant se
récrie contre cette disposition [Barré−Saint−Venant, p. 92.] religieuse,
puisqu'il ose censurer le décret à jamais célèbre par lequel Constantin
facilita les affranchissemens [Ibid., p, 120 et 121.]. Qu'est−il résulté des
lois prohibitives, surtout en ce qui concerne les mariages ? Le libertinage a
éludé la loi ou franchi le préjugé : c'est ce qui arrivera toutes les fois que
les hommes voudront contrarier la nature.
Je laisse aux physiologistes le soin de développer les avantages du
croisement des races, tant pour l'énergie des facultés morales, que pour la
constitution physique, comme à l'île Sainte−Hélène, où il a produit une
magnifique variété de Mulâtres.
Je laisse aux moralistes et aux politiques qui devroient partir des mêmes
principes, et qui souvent sont diamétralement opposés, à peser les résultats
de l'opinion qui croit déshonorant d'avoir pour épouse légitime une
Négresse, lorsqu'il ne lest pas de l'avoir pour concubine. Joel Barlow
voudroit, au contraire, que ces mariages mixtes fussent favorisés par des
primes d'encouragement : les Nègres ni les Mulâtres ne peuvent jamais
augmenter la caste blanche ; tandis que celle−ci augmente journellement
celle des Mulâtres ; le résultât inévitable est que les Mulâtres finissent par
être les maîtres. Fondé sur cette observation, Robin croit que la
démarcation de couleur est le fléau des colonies, et que Saint−Domingue
seroit encore dans sa splendeur, si l'on eût suivi la politique espagnole, qui
n'exclut pas les sang−mêlés des alliances et des autres avantages sociaux
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE II 37
[V. T.1, p. 28.].
On accuse les Nègres d'être vindicatifs. Comment ne le seroient pas des
hommes vexés, trompés sans cesse, et par là même provoqués à la
vengeance ? On pourroit en citer des milliers de preuves : bornons−nous à
un seul fait. A Surinam, le Nègre Baron, adroit, instruit et fidèle, est amené
en Hollande par son maître, qui lui promet la liberté au retour : malgré
cette promesse, en abordant Surinam, Baron est vendu ; il refuse
obstinément de travailler, on le fait fustiger aux pieds de la potence ; il
s'échappe, se joint aux Marrons, et devient l'ennemi implacable des Blancs.
On a suivi ce système tortionnaire contre les esclaves, jusqu'au point de
s'opposer à ce qu'ils développent, en aucune manière, leur intelligence. Un
réglement de la Virginie défend de leur enseigner à lire ; à l'un de ces
hommes il en a coûté la vie pour l'avoir su.
Il vouloit que les Africains entrassent en partage des bienfaits que
promettoit la liberté américaine, et il étayoit sa réclamation du premier des
articles de la Déclaration des droits, l'argument étoit sans réplique. En
pareil cas, dans l'impossibilité de réfuter, l'inquisition incarcère les gens
qu'autrefois elle eût fait brûler. Toutes les tyrannies ont des traits de
ressemblance. Le Nègre fut pendu. Certes il avoit raison ce bon Thomas
Day, quand, dédiant à J. J. Rousseau la troisième édition de son Nègre
mourant, il reprochoit aux Américains du sud de préconiser la liberté,
tandis que sans remords ils pactisoient avec leur conscience pour conserver
l'esclavage. On ne pouvoit le prendre comme le Nègre, on ne pouvoit le
réfuter ; on se borna à déclamer, en disant qu'il avoit écrit une philippique
[V. The Dying negro dans le port−folio, in−4°, de 1804, t. IV, n°25 p.
194.].
Dans le gouvernement de ce bas monde, la force ne devroit intervenir que
lorsque la raison l'invoque ; malheureusement celle−ci est presque toujours
réduite à se taire devant la puissance : «N'est−il pas honteux de parler en
philosophe, et d'agir en despote ; de faire de beaux discours sur la liberté,
et d'y joindre pour commentaire une oppression actuelle... Un axiome
politique est que le système législatif doit être en harmonie avec les
principe du gouvernement. Cette harmonie a−t−elle lieu dans une
constitution réputée libre, si l'on autorise la servitude» ? Ainsi s'exprimoit,
en 1789, à l'assemblée représentative du Maryland, William Pinkeney,
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE II 38
dans un discours où la profondeur du raisonnement est parée des richesses
de l'érudition et des grâces du style, et qui honore également son esprit et
son coeur [V. The American Museum, or annual register for the year 1798,
in−8°, Philadelphie 1798, p. 79 et suiv.].
L'usage des bourreaux fut toujours de calomnier les victimes ; les
marchands négriers et les planteurs ont nié ou atténué le récit des faits dont
on les accuse. Ils ont même voulu faire parade d'humanité, en soutenant
que tous les esclaves tirés d'Afrique étoient des prisonniers de guerre ou
des criminels qui, destinés au supplice, devoient se féliciter d'avoir la vie
sauve, et d'aller cultiver le sol des Antilles. Démentis par une foule de
témoins oculaires, ils l'ont été de nouveau par ce bon John Newton, qui a
résidé longtemps en Afrique, il ajoute : «Le respectable auteur du
Spectacle de la nature (Pluche), a été induit en erreur en assurant que les
pères vendent leurs enfans, et les enfans leurs pères ; jamais je n'ai ouï dire
en Afrique que cela eût lieu [V. Thoughts, etc., p. 31]». Quand des milliers
de témoignages ont prouvé jusqu'à l'évidence la réalité des tourmens
exercé sur les esclaves, et la barbarie des maîtres, ceux−ci ont nié que le
Nègre fût susceptible de moralité et d'intelligence ; dans l'échelle des êtres,
ils l'ont placé entre l'homme et la brute.
Dans cette hypothèse, on demanderoit encore si l'homme n'a que des droits
à exercer, et pas de devoirs à remplir envers les animaux qu'il associe à son
travail ; s'il ne blesse pas la religion et la morale en excédant de fatigue ces
quadrupèdes malheureux, dont la vue n'est qu'un supplice prolongé. Des
maximes touchantes à cet égard sont consignées dans les livres sacrés que
révèlent également les Juifs et les Chrétiens [V. Deutéronome XXVI, 6.
Iere Timith. V., 58, non alligabis etc.]. Un oiseau poursuivi par un
épervier, se réfugie dans le sein d'un homme qui le tue ; l'aréopage le
condamne à mort, cette peine était sans doute exagérée, mais il viendra
sans doute le moment où une police justement sévère, punira ces féroces
charretiers, qui tous les jours, à Paris surtout, excédant de fatigues et de
coups, le plus utile des animaux domestiques, le cheval, que Buffon
appelle la plus belle conquête de l'homme, accoutument le peuple à être
insensible et cruel.
Je me rappelle avec plaisir d'avoir lu, au marché de Smith−Field, à
Londres, le réglement qui décerne des amendes contre quiconque
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE II 39
maltraiteroit inutilement des animaux.
Cette discussion se rattache à mon sujet ; car, si les principes de moralité
s'étendent même aux rapports de l'homme avec les brutes, les Nègres,
disent−ils dépourvus d'intelligence, auroient encore des réclamations à
exercer ; mais si les recherches les plus approfondies sur l'organisation
humaine prouvent que, malgré les différences de couleur, jaune, cuivrée,
noire et blanche, elle est une ; si des vertus et des talens prouvent
invinciblement que les Nègres, susceptibles de toutes les combinaisons de
l'intelligence et de la morale, constituent, sous une peau différent, une
espèce identique à la nôtre, combien paraîtront plus coupables que ces
Européens qui, foulant aux pieds les lumières, les sentimens répandus par
le christianisme, et à sa suite, par la civilisation, s'acharnent sur les
cadavres des malheureux Nègres dont ils sucent le sang pour en extraire de
l'or !
Vingt ans d'expérience m'ont appris ce qu'opposent les marchands de chair
humaine : à les entendre, il faut avoir vécu dans les colonies pour avoir
droit d'opiner sur la légitimité de l'esclavage, comme si les principes
immuables de la liberté et de la morale varioient suivant les degrés de
latitude ; et quand on leur oppose l'accablante autorité d'hommes qui ont
habité ces climats et même fait la traite, ils les démentent ou les
calomnient. Ils auroient fini par dénigrer ce Page qui, après avoir été l'un
des plus forcenés défenseurs de l'esclavage, chante la palinodie, et
s'abandonne à des aveux si étranges, dans un ouvrage sur la restauration de
Saint−Domingue, où il prend pour base la liberté des Noirs [V. Traité
d'économie politique des colonies, par Page ; Ire part., in−8°, Paris an 7 (v.
st. 1798) ; IIe part., an 10 (v. st. 1801).].
Les planteurs s'obstinent à soutenir que dans les colonies, qui sont des pays
agricoles, le premier des arts doit être flétri par la servitude, sous prétexte
que ce travail excède les forces de l'Européen, quoiqu'on leur allègue le fait
irréfragable de la colonie d'Allemands, établie par d'Estaing, en 1764, à la
Bombarde, près du Mole Saint−Nicolas, dont les descendans voyoient
autour de leurs habitations des cultures prospères croître sous des mains
libres. Ignore−t−on que les premiers défrichements du sol colonial ont été
faits par des Blancs, surtout par les manouvriers qu'on appeloit les engagés
de trente−six mois ! Niera−t−on que dans nos verreries et nos fonderies, on
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE II 40
supporte une chaleur plus forte que celle des Antilles ? Fût−il vrai que ces
contrées ne puissent fleurir sans le secours des Nègres, il faudroit en tirer
une conclusion très−différent de celles des colons ; mais sans cesse ils
appellent le passé à la justification du présent, comme si des abus invétérés
étoient devenus légitimes. Parle−t−on de justice ? ils répondent en parlant
de sucre, d'indigo, de balance du commerce. Raisonne−t−on ? ils disent
qu'on déclame ; redoutant la discussion, ils resassent tous les paralogismes,
tous les lieux communs si rebattus et si souvent réfutés, par lesquels on
voudroient étayer une mauvaise cause ? Fait−on appel aux coeurs
sensibles ? ils ricanent. Ils ramènent nos regards sur les pauvres qui
assiégent les États d'Europe, pour nous empêcher de les porter sur les
malheureux que l'avarice persécute dans les autres parties du globe,
comme si le devoir de donner aux uns emportoit l'interdiction de réclamer
pour les autres. Quelle idée se dont donc les planteurs de l'étendue des
obligations morales ?
Ils prétendent que nous négligeons l'amour des hommes par amour pour le
genre humain : parce que nous ne pouvons soulager ceux qui nous
entourent, que dans une mesure disproportionnée à leur nombre et à leurs
besoins, on nous traduit comme coupables, lorsque nous élevons la voix en
faveur de ceux qui, sous une peau de couleur différente, gémissent dans
des contrées lointaines ? Tel est l'auteur B.D. du Voyage à la Louiziane [V.
p. 103 et suiv. C'est, je crois, Berquin Duvallon.]. Tant qu'il y aura un être
souffrant en Europe, ces Messieurs nous défendre de plaindre ceux qu'on
tourment en Afrique et en Amérique ; ils s'indignent de ce qu'on trouble la
jouissance des tigres dévorant leur proie ; ils ont même tenté d'avilir la
qualité de philantrope, ou ami des hommes, dont s'honore quiconque n'a
pas abjuré l'affection pour ses semblables ; ils ont créé les épithètes de
négrophiles et blancophages, dans l'espérance qu'elles imprimeroient une
flétrissure ; ils ont supposé que tous les amis des Noirs étoient les ennemis
des Blancs et de la France, que tous ils étoient soudoyés par l'Angleterre.
L'auteur de cet ouvrage, accusé jadis d'avoir reçu 1,500,000 liv. pour écrire
en faveur des Juifs, devoit avoir reçu 3,000,000 pour s'être constitué
l'avocat des Nègres. Ne demandez pas si nos antagonistes n'ont pas encore
employé d'autres armes que le sarcasme et la calomnie. Une souscription
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE II 41
ouverte, dit−on, autrefois à Nantes, pour faire assassiner un philantrope
qu'on avait pendu en effigie au cap Français et à Jérémie, donne la mesure
de ce que l'on peut gagner quand on plaide la cause de la justice et de
l'infortune. Frapaolo−Sarpi disoit avec raison que si la peste avoit des
bénéfices et des pensions à donner, elle trouveroit des apologistes, au lieu
qu'en défendant les opprimés et les pauvres, comme il faut lutter contre la
puissance, la richesse et la perversité, on ne peut se promettre que des
impostures, des injures et des persécutions.
La cause des négriers est donc bien mauvaise, puisqu'aux raisonnemens ils
opposent de tels moyens. Vengeons−nous d'une manière qui est la seule
avouée par la religion ; saisissons toutes les occasions de faire du bien aux
persécuteurs comme aux persécutés.
On a calomnié les Nègres, d'abord pour avoir droit de les asservir, ensuite
pour se justifier de les avoir asservis, et parce qu'on étoit coupable envers
eux. Les accusateurs sont simultanément juges et exécuteurs, et ils se
disent chrétiens ! Maintes fois ils ont tenté de dénaturer les livres saints,
pour y trouver l'apologie de l'esclavage colonial, quoiqu'on y lise que tous
les enfans du père céleste, tous les mortels se rattachent par leur origine à
la même famille. La religion n'admet entre eux aucune différence ; si dans
les temples des colonies, quelquefois, on vit les Noirs et les sang−mêlés
relégués dans des places distinctes de celles des Blancs, et même
séparément admis à la participation eucharistique, les pasteurs sont
criminels d'avoir toléré un usage si opposé à l'esprit de la religion. C'est à
l'église surtout, dit Raley, que le pauvre relève son front humilié, et que le
riche le regarde avec respect ; c'est là qu'au nom du ciel, le ministre des
autels rappelle tous ses auditeurs à l'égalité primitive, devant un Dieu qui
déclare ne faire acception de personne [II. Paral. XIX, 7. Eccles. XX, 24.
Rom. II, 11. Eph. VI, 9. Coloss. III, 25. Jacob. 17, I. I. Petri, I, 13.]. Là,
retentit l'oracle céleste qui ordonne de faire pour les autres ce que nous
désirons pour nous mêmes [Math. VII, 12.].
A la religion chrétienne seule est due la gloire d'avoir mis le foible à l'abri
du fort. Elle établit au quatrième siècle le premier hôpital en Occident [V.
Mémoire sur différens sujets de littérature, par Mongez, Paris 1780, p. 14,
et Commentatio de vi quam religio christiana habuit, par Pactz, in−4°,
Gottingue 1799, p. 112 et suiv.] ; elle a travaillé persévéramment à
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE II 42
consoler les malheureux, quels que fussent leur pays, leur couleur, leur
religion.
La parabole du Samaritain imprime aux persécuteurs le sceau de la
réprobation [Les colons et leurs amis sont dans l'usage de répéter sans
cesse les mêmes accusations, dont on a démontré, sans réplique,
l'imposture.] ; c'est l'anathème lancé à jamais contre quiconque voudroit
exclure du cercle de la charité un seul individu de l'espèce humaine.
Ainsi Dumont, auteur d'un Voyage à la Terre Ferme (t. I, p. 308) ; et
Bryan−Edwards (the History civil and commercial of the British colonies,
etc., London 1801, t. II, p. 44), répètent que Las−Casas, évêque de
Chiappa, a usurpé l'honneur de la célébrité, et voté pour l'esclavage des
Nègres. Il y a six ans que j'ai détruit cette calomnie ; mon Apologie de
Las−Casas est imprimée dans les Mémoires de l'Institut national, classé
des sciences morales et politiques, t. IV, p. 45 et suiv. J'y renvoie
l'accusateur, en l'invitant à y répondre ? L'amour du Voyage à la Louisiane,
B.D., vient de reproduire la même imposture. V. p. 105 et suiv.
J'appelle l'attention du lecteur sur des vérités de fait, attestées par
l'histoire ; c'est que le despotisme a communément l'impiété pour
compagne ; les défenseurs de l'esclavage sont presque tous irréligieux ; les
défenseurs des esclaves presque tous très−religieux.
Le témoignage non suspect d'auteurs protestans, parmi lesquels on compte
Dallas, reproche à leur clergé de négliger l'instruction des Nègres ; et cette
inculpation s'adresse particulièrement aux évêques de Londres qui, sous
leur juridiction, ont les colonies occidentales [V. Dallas, t. II, p. 427 et
suiv.]. Mais ces écrivains s'épuisent en éloges des missionnaires
catholiques, et de quelques sociétés de Dissenters, tels que les Moraves
surtout à Antigoa, et les Quakers ou amis, chez lesquels l'amour du
prochain n'est pas une stérile théorie.
Tous ont développé un zèle infatigable, pour amener les esclaves au
christianisme et à la liberté. En faveur des enfants noirs, des écoles
gratuites ont été établies à Philadelphie et ailleurs, par les amis ; ceux−ci
forment la majorité des comités disséminés dans les États−Unis pour
l'abolition de l'esclavage ; ces comités députent à une convention ou
assemblée centrale, qui se tient en janvier à Philadelphie pour le même
objet[Je saisis avec plaisir cette occasion d'exprimer ma reconnaissance,
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE II 43
1°. aux présidens et secrétaires de ces conventions, qui, pendant plusieurs
années, m'ont envoyé les procès−verbaux (Minutes of the proceding of,
etc.) de leurs assemblées ; 2°. à Philips, libraire à Londres, qui lors de mon
séjour en Angleterre, m'a procuré, concernant la liberté des Noirs, divers
opuscules rares et utiles ; 3°. à l'excellent et savant Vanprat, bibliothécaire
de la Bibliothèque impériale, que personne ne peut connoître sans lui
accorder son estime.]. Les Quakers ont annuellement des réunions
composées de représentans envoyés par leurs frères des diverses contrées.
La session ne manque jamais, en terminant ses travaux, d'adresser à toute
la secte une circulaire concernant les abus à combattre, les vertus à
pratiquer, et toujours les esclaves noirs y sont recommandés à la charité.
A la suite des éloges données par Dallas aux prêtres catholiques, il a inséré
sa correspondance avec l'archevêque actuel de Tours : le prélat remarque,
avec raison, qu'ils ne bornent pas leurs devoirs à l'office liturgique et à la
prédication ; ils y comprennent le soin des malades, l'éducation des enfans,
la visite des familles [V. Dallas, p. 430 et suiv.]. La religion catholique,
plus qu'aucune autre, établit des rapports intimes et multipliés entre les
pasteurs et leurs administrés. La pompe des cérémonies parle aux sens qui
sont, si je puis m'exprimer ainsi, les portes de l'ame.
D'après ces considérations, des écrivains protestans avouent, et Makintosch
m'a répété, que les missionnaires catholiques sont bien autrement propres
que les catholiques à faire des prosélytes parmi les Nègres, et à les
consoler.
Lorsque, pour avoir droit d'égorger les pauvres Indiens, les premiers
conquérans de l'Amérique feignoient de douter qu'ils fussent hommes, une
bulle du pape flétrit ce doute, et les conciles du Mexique sont, à cet égard,
un monument honorable, pour le clergé de ces contrées. Dans un autre
ouvrage [Histoire de la liberté des Nègres, lue dans les séances de la classe
des sciences morales et politiques de l'Institut national, en 1797.], que je
me propose de publier, on ne lira pas sans attendrissement les décisions
rendues contre l'esclavage des Nègres, par le collège des cardinaux [V.
Dans la collection des Voyages d'Astley, t. Il, p. 154 ; et Benezet, p. 50,
etc.] et par la Sorbonne [V. Labat, t. IV, p. 120.]. Dans son calendrier
l'Eglise catholique a inséré plusieurs Noirs. S. Elesbaan, que les Nègres des
dominations espagnoles et portugaises ont adopté pour patron. Sous la date
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE II 44
du 27 octobre, on peut lire sa vie dans Baillet, connu par la sévérité de sa
critique ; mais nous donnerons quelques détails sur un autre Noir, dont il
n'a pas parlé ; c'est un frère lai, de l'ordre des Récollets.
Benoît de Palerme, nomme également Benoît de sainte Philadelphie ou de
santo Fratello ; Benoît le Maure et le saint Noir, était fils d'une Négresse
esclave, et Nègre lui−même. Roccho Pirro, auteur de la Sicitia sacra, le
caractérise en disant : «Nigro quidem corpore sed candore animi
proeclarissimus quem et miraculis Deus contestatum esse voluit». Son
corps étoit noir, mais Dieu a voulu que des miracles attestassent la candeur
de son ame [V. Sicilia sacra, etc., auctore don. Roccho Piiro, edit. studio
Anton. Mongitores, 2 vol, in−fol., Panormi 1733, t. I, p. 207.].
Les historiens célèbrent en lui, cet assemblage de vertus éminentes qui,
contentes d'avoir Dieu seul pour témoin, se dérobent dans l'obscurité aux
yeux des hommes, car elles sont silencieuses : le vice seul est bruyant, et
communément un grand forfait cause plus de sensation dans le monde que
mille bonnes actions. Quelquefois, cependant, soit édification, soit
curiosité, les hommes tâchent de déchirer le voile modeste dont elles
s'enveloppent, et c'est par là que Benoît le Maure ou le saint Noir, est
échappé à l'oubli ; il décéda à Palerme, en 1589, où son corps et sa
mémoire sont révérés. Ce culte, autorisé par le pape, en 1610, et plus
particulièrement en 1743, par un décret de la congrégation des rites, qu'on
peut lire dans Joseph−Marie d'Ancona, continuateur de Wading [Annales
Minorum, etc., continuati à F. Jo. Maria di Ancona, in−fol., 20 mai 1745, t.
XIX, p. 201 et 202.], obtiendra bientôt plus de solennité, si, comme
l'annonçoient les gazettes au commencement de 1807, on s'occupe de sa
canonisation. Roccho Pirro, le P. Arthur [V. Martyrologium franciscanum
cura et labore Arturi, etc., in−fol., Paris 1638, p. 32.], Gravina [Vox
turturis seu d3 florenti ad usque nostra tempora sanctorum Benedicti,
dominici, francisci, etc., religionum stata, in−4°, Coloniae Agrippinae
1638, p, 88.], et beaucoup d'autres écrivains, s'étendent en éloges sur le
vénérable Benoît de Palerme. Mais dans nos bibliothèques, où malgré leur
abondance, il y a tant de lacunes, je n'ai pu trouver sa vie écrite en italien
par Tognoletti, en espagnol par Mataplana.
Les esclaves, en général, ont plus de moralité chez les Espagnols et les
Portugais, parce qu'on les associe aux bienfaits de la civilisation, et qu'on
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE II 45
ne les accable pas de travail. La religion s'interpose toujours entre eux, et
les propriétaires qui résidant presque tous sur leurs habitations, voient par
leurs propres yeux et non par ceux des régisseurs.
Au Brésil, les curés, constitués de droit les défenseurs des Nègres, peuvent
forcer légalement des colons trop durs à les vendre ailleurs, et du moins
ces esclaves courent la chance d'un mieux être.
Chez les Espagnols, les affranchissemens ne peuvent être refusés, en
payant une somme fixée par la loi. Au moyen de leurs économies, les
esclaves peuvent acheter un jour de chaque semaine, ce qui leur facilitant
l'achat d'un second, d'un troisième, enfin de toute la semaine, leur donne la
liberté complète.
En 1765, les papiers anglais citèrent, comme chose remarquable,
l'ordination d'un Nègre, par le docteur Keppel, évêque d'Exeter [V.
Gentleman magazine, t. XXV, année 1765, p. 145.]. Chez les Espagnols,
plus encore chez les Portugais, c'est chose assez commune. L'histoire du
Congo, parle d'un évêque noir, qui avoit fait ses études à Rome [V. Prevot,
Hist. générale des Voyages, t. V, p. 53.].
Le fils d'un roi, et d'autres jeunes gens de qualité de ce pays, envoyés en
Portugal, du temps du roi Emmanuel, y suivirent les universités avec
distinction, et plusieurs d'entre eux furent promus au sacerdoce [V.
Histoire du Portugal, par La Clede, 2 vol. in−4°, Paris 1735, t. I, p. 594,
95.]. Le gouvernement portugais a toujours insisté pour que le clergé
séculier et régulier, de ses possessions en Asie, fut de Noirs. Le chapitre
primatial de Goa, composé surtout de Blancs et de Mulâtres, avoit peu de
Noirs, lorsque le missionnaire Perrin, qui vient de publier son voyage dans
l'Indoustan, visita cette ville ; mais il a soin d'observer que c'est une
infraction au voeu prononcé du gouvernement [V. Voyage dans
l'Indoustan, par Perrin, in−8°, Paris 1807, t. I, p. 164.].
A la fin du dix−septième siècle, l'escadre de l'amiral du Quesne vit aux îles
du Cap−Vert, un clergé catholique nègre, à l'exception de l'évêque et du
curé de Saint−Yago [V. Journal d'un Voyage aux Indes orientales, sur
l'escadre de du Quesne, en 1690, etc., 3 vol. in−12, Rouen 1721, t. I, p.
193 ; et Relation du Voyage et retour des Indes orientales, pendant les
années 1690 et 1691, par Claude−Michel Ponehot−de−Chantasin,
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE II 46
garde−marin, servant sur le bord de M. du Quesne, etc., in−12, Paris, p.
30.]. De nos jours, Barrow, et Jacquemin, sacré évêque de Cayenne, ont
trouvé le même état de choses [Barrow, Voyage à la Cochinchine, t. I, p.
87.].
Liancourt et cent autres Européens, ont visité, à Philadelphie, une église
africaine, dont le ministre est pareillement un Nègre [V. Voyage dans les
États−Unis d'Amérique, par la Rochefoucaut−Liancourt, in−8°, Paris au 8,
t. VI, p.334.]. Parkinson, écrivain postérieur à Liancourt, dit qu'il y a
beaucoup de prédicateurs nègres, et que l'un d'eux est renommé pour son
éloquence [V. A tout in America, etc., by Wil. Parkinson, 2 vol. in−8°,
London 1805, t. II, p. 459.].
Si l'on considère que l'esclavage suppose tous les crimes de la tyrannie, et
qu'il enfante communément tous les vices ; que les vertus peuvent
difficilement éclore parmi des hommes à qui l'on n'en tient aucun compte,
aigri par le malheur, entraînés à la, corruption par l'exemple de tous les
forfaits, repoussés de tous les rangs honorables ou supportables de la
société, privés d'instruction religieuse et morale, constitués dans
l'impossibilité d'acquérir des connoissances, sinon en luttant contre tous les
obstacles qui s'opposent au développement de leur intelligence, on aura
lieu d'être surpris que plusieurs se soient signalés par des qualités
estimables.
A leur place peut−être eussions−nous été moins bons quel les bons d'entre
eux, et pires que les mauvais. Les mêmes réflexions s'appliquent aux
Parias du continent asiatique, vilipendés par les autres castes ; aux Juifs de
toutes couleurs (car il y en a aussi de noirs à Cochin) [Voyez sur cet objet
une dissertation curieuse, en hollandais, dans le tome VI des Mémoires de
la société de Flessingue. Verhandelingen vitgegeven door het zeeuwsch,
genootschap der wetenschappen te. Vlissingen, etc.], dont l'histoire, depuis
leur dispersion, n'est guère qu'une sanglante tragédie ; aux catholiques
Irlandais, frappés comme les Nègres d'une espèce de code noir (the popery
Law). Déjà on s'est permis une assimilation également outrageante pour les
habitans de l'Afrique et de l'Irlande, en soutenant que tous étoient des
hordes brutes, que partant incapables de se gouverner par eux−mêmes,
ceux−ci comme les autres devoient être soumis irrévocablement au sceptre
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE II 47
de fer, que depuis des siècles étend sur eux le gouvernement britannique
[V. Dans les Pieces of irish history, ouvrage intéressant, publié par
Mac−Nevem, in−8º, New−York 1807, un morceau curieux, par Emett, son
ami, intitulé : Part of an Essay towards the history of Ireland, p. 2. V. aussi
les Memoirs of Wil. Sampson, in−8º, New−York 1807.]. Cette tyrannie
infernale existera jusqu'à l'époque, peu éloignée sans doute, où les braves
enfans d'Erin releveront l'étendard de la liberté, avec la sublime invocation
des Américains, appel à la justice du ciel, an appel to heaven. Ainsi,
Irlandais, Juifs et Nègres, vos vertus, vos talens vous appartiennent ; vos
vices sont l'ouvrage de nations qui se disent chrétiennes ; et plus on dit de
mal de ceux−là, plus on inculpe celles−ci.
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE II 48
CHAPITRE III.
Qualités morales des Nègres.
Amour du travail, courage, bravoure, tendresse
paternelle et filiale, générosité, etc.
Les préliminaires, qu'on vient de lire, ne sont point étrangers à mon
ouvrage, seulement ils sont une surabondance de preuves ; car j'aurois pu
aborder brusquement la question, et par une multitude de faits revendiquer
l'aptitude des Nègres aux vertus et aux talens : les faits répondent à tout.
On accuse les Nègres d'être paresseux. Bosman, pour le prouver, dit «qu'ils
sont dans l'usage de demander, non pas, comment vous portez−vous ? mais
comment avez−vous reposé [V Voyage en Guinée, par Bosman, Utrecht
1705, p. 131.] ?» Ils ont pour maxime, qu'il vaut mieux être couché
qu'assis, assis que debout, debout que marcher ; et depuis que nous les
rendons si malheureux, ils ajoutent le proverbe indien : Qu'être mort est
encore préférable à tout cela. Cette accusation d'indolence, qui a quelque
chose de vrai, est souvent exagérée : elle est exagérée dans la bouche de
ces hommes habitués à manier un fouet sanglant pour conduire les esclaves
à des travaux forcés : elle est vraie en ce sens, que des hommes ne peuvent
pas avoir une grande propension au travail, soit lorsqu'il n'ont aucune
propriété, pas même celle de leur personne, et que les fruits de leurs sueurs
alimentent le luxe ou l'avarice d'un maître impitoyable, soit lorsque dans
des contrées favorisées par la nature, ses productions spontanées, ou un
travail facile fournissent abondamment à des besoins qui n'ont rien de
factice. Mais Noirs ou Blancs, tous sont laborieux, quand ils sont stimulés
par l'esprit de propriété, par l'utilité ou le plaisir. Tels sont les Nègres du
Sénégal, qui travaillent avec ardeur, dit Pelletan, parce qu'ils sont sans
inquiétude sur leurs possessions et leurs, jouissances. Depuis la
suppression de la traite, ajoute−t−il, les Maures ne font plus de courses sur
les Nègres, les villages se reconstruisent et se repeuplent [V. Mémoire sur
la colonie française du Sénégal, par Pelletan, in−8°, Paris an 9, p. 69 et
81.].
CHAPITRE III. 49
Tels les laborieux habitans d'Axim, sur la côte−d'or, que tous les voyageurs
se plaisent à décrire [V. Prevot, t. IV, p. 17.]. Les Nègres du pays de
Boulam, que Beaver cite comme endurcis au travail [V. Beaver, p. 383.] ;
ceux du pays de Jagra, renommés par une activité, qui enrichit leur contrée
[V. Ledyard, t. II, p. 332.] ; ceux de Cabomonte et de Fida ou Juida,
cultivateurs infatigables, au dire de Bosman qui, certes, n'est pas trop
prévenu en leur faveur : avares de leur sol, à peine laissent−ils de petits
sentiers pour communiquer entre les diverses propriétés ; ils récoltent
aujourd'hui, le lendemain ils ensemencent la même terre sans la laisser
reposer [V. Bosman, lettre 18.].
Les Nègres, trop sensibles à l'attrait du plaisir auquel ils résistent rarement,
savent, néanmoins, supporter la douleur avec un courage héroïque, et que
peut−être il faut attribuer en partie à leur athlétique constitution. L'histoire
retentit des traits de leur intrépidité, au milieu des plus horribles supplices ;
la cruauté des Blancs a multiplié les expériences à cet égard. Le regret de
la vie pourroit−il exister, lorsque l'existence elle−même n'est qu'une
calamité perpétuelle ? On a vu des esclaves, après plusieurs jours de
tortures non interrompues, aux prises avec la mort, converser froidement
entre eux, et même rire aux éclats [Labat, IV, p. 183.].
Un Nègre, condamné au feu à la Martinique, et très−passionné pour le
tabac, demande une cigare allumée, qu'on lui place dans la bouche : il
fumoit encore, dit Labat, lorsque déjà ses membres étoient attaqués par le
feu.
En 1750, les Nègres de la Jamaïque s'insurgent, ayant Tucky à leur tête ;
leurs vainqueurs allument les bûchers, et tous les condamnés vont
gaiement au supplice. L'un d'eux avoit vu de sang froid ses jambes réduites
en cendres ; une de ses mains se dégage, parce que le brasier avoit
consumé les liens qui l'attachoient ; de cette main il saisit un tison, et le
lance au visage de l'exécuteur [V. Bryant−Edwards, Hist. des Indes
occidentales ; et Bibliothèque britannique, t. XIX, p. 495 et suiv.].
Au dix−septième siècle, et lorsque la Jamaïque étoit encore soumise aux
Espagnols, une partie des esclaves avoient reconquis leur indépendance,
sous la conduite de Jean de Bolas. Leur nombre s'accrut, et ils devinrent
formidables, quand ils eurent élu pour chef Cudjoe, dont le portrait est
inséré dans l'ouvrage de Dalas. Cudjoe, également valeureux, habile et
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE III. 50
entreprenait, établit, en 1730, une confédération entre toutes les peuplades
de Marrons, fit trembler les Anglais, et les réduisit à faire un traité, par
lequel reconnoissant la liberté de ces Noirs, ils leur cèdent à perpétuité une
portion du territoire de la Jamaïque [V. Dallas, t. I, p. 25, 46, 60, etc.].
L'historien portugais Barros dit, quelque part, que même aux soldats
suisses, il préféreroit des Nègres. Pour rehausser l'éloge de ceux−ci, il
alloit prendre dans l'Helvétie le point de comparaison qui étoit à ses yeux
le plus honorable. Parmi les traits de bravoure qu'a receuillis le P. Labat,
un des plus signalés arriva lors du siège de Carthagène : toutes les troupes
de ligne avoient été repoussées à l'attaque du fort de la Bocachique ; les
Nègres, amenés de Saint−Domingue, l'assaillirent avec une impétuosité qui
força les assiégés à se rendre [Labat, t. IV, p. 184.].
En 1703, les Noirs prirent les armes pour la défense de la Guadeloupe, et
firent plus que le reste des troupes françaises. Dans le même temps ils
défendirent la Martinique, contre les Anglais [V. Le Mémoire pour le
nommé Roc, Nègre, contre le sieur Poupet, par Poncet de la Grave,
Henrion de Pancey et de Foisi in−8°, Paris 1770, p. 14.]. On se rappelle la
conduite honorable des Nègres et des sang−mêlés, au siège de Savannah, à
la prise de Pensacola. Pendant notre révolution, incorporés aux troupes
françaises, ils en ont partagé les dangers et la gloire.
Il étoit Nègre ce prince africain Oronoko, vendu à Surinam. Madame Behn
avoit été témoin de ses infortunes ; elle avoit vu la loyauté et le courage
des Nègres en contraste avec la bassesse et la perfidie de leurs oppresseurs.
Revenue en Angleterre, elle composa son Oronoka. Il est à regretter que
sur un canevas historique, elle ait brodé un roman. Le simple récit des
malheurs de ce nouveau Spartacus, et de ses compagnons, eût suffi pour
attendrir les lecteurs.
Il étoit Nègre ce Henri Diaz, préconisé dans toutes les histoires du Brésil,
auquel Brandano (qui à la vérité n'étoit pas colon) accorde tant d'esprit et
de sagacité. D'esclave, Henri Diaz devint colonel d'un régiment de
fantassins de sa couleur. Ce régiment, composé de Noirs, existe encore
dans l'Amérique portugaise, sous le nom de Henri Diaz. Les Hollandais,
alors possesseurs du Brésil, en vexoient les habitans. A cette occasion La
Clede se répand en réflexions sur l'impolitique des conquérans qui, au lieu
de faire aimer leur domination, aggravent le joug, fomentent des haines, et
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE III. 51
amènent tôt ou tard des réactions funestes à ceux−ci, et utiles à la liberté
des peuples. En 1637, Henri Diaz se joignit aux Portugais, pour chasser les
Hollandais. Ceux−ci, assiégés dans la ville D'arecise, ayant fait une sortie,
furent repoussés avec grande perte, par le général nègre ; il prit d'assaut un
fort qu'ils avoient élevé à quelque distance de cette ville. A l'habileté dans
la tactique, aux ruses de guerre par lesquelles il déconcertait souvent les
généraux hollandais, il joignoit le courage le plus audacieux. Dans une
bataille où la supériorité du nombre faillit l'accabler, s'apercevant que
quelques−uns de ses soldats commençoient à foiblir, il s'élance au milieu
d'eux en criant ; Sont−ce là les vaillans compagnons de Henri Diaz ? Son
discours et son exemple leur infuse, dit un historien, une nouvelle vigueur,
et l'ennemi qui déjà se croyoit vainqueur, est chargé avec une impétuosité
qui l'oblige à se replier précipitamment dans la ville. Henri Diaz force
Arecise à capituler, Fernanbouc à se rendre, et détruit entièrement l'armée
batave. Au milieu de ses exploits, en 1645, une balle lui perce la main
gauche ; afin de s'épargner les longueurs d'un pansement, il la fait couper,
en disant que chaque doigt de la droite lui vaudra une main pour
combattre. Il est à regretter que l'histoire ne nous dise pas où, quand et
comment mourut ce général.
Menezes exalte son expérience consommée, et s'extasie sur ces Africains
tout à coup transformés en guerriers intrépides [V. Nova Lusitania, isioria
de guerras Brasilicas, por Francisco de Briio Freyre, in−fol., Lisbon 1675,
1. VIII, p. 610 ; et l. IX, n° 762. Istoria delle guerre di Portogallo, etc., di
Alessandro Brandano, in−4°, Venezia 1689, p. 181, 329, 364, 39.3, etc.
Istoria delle guerre del regno del Brasile, etc., dal P. F. G. Jioseppe, di
santa Theresa Carmelitano, in−fol., Roma 1698, Iª parte, p. 133 et 183 ; IIª
parte, p. 103 et suiv.
Historiarum Lusitanarum libri, etc., autore Fernando de Menezes, comité
Ericeyra, 2 vol. in−4°, Ulyssippone 1734, p. 606, 635, 675, etc. La Clede,
histoire du Portugal, etc., Passim.].
Il étoit homme de couleur cet infortuné Ogé, digne d'un meilleur sort, qui
se sacrifia pour assurer à ses frères mulâtres et nègres libres, tous les
avantages qu'on pouvoit se promettre du décret du 15 mai, rendu par
l'assemblée constituante, décret qui, sans rien brusquer, eût graduellement
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE III. 52
amené dans les colonies un ordre de choses conforme à la justice. Indigné
de la perversité des colons, qui non−seulement empêchoient la publication
de cette loi, mais qui avoient même surpris au gouvernement la défense
d'embarquer des Nègres ou sang−mêlés, il prend la résolution de retourner
aux Antilles. L'auteur de cet ouvrage, si souvent accusé de l'avoir engagé à
partir, lui représente en vain qu'il faut temporiser, et ne pas compromettre
par une démarche précipitée, le succès d'une cause si légitime ; malgré ses
avis, Ogé trouve moyen, en 1791, de repayer par l'Angleterre et le
continent américain, à Saint−Domingue : il demande l'exécution des
décrets ; on repousse ses réclamations dictées par la raison, et sanctionnées
par l'autorité nationale : les partis s'aigrissent, on en vient aux mains ; Ogé
est livré perfidement par le gouvernement espagnol. Son procès s'instruit
en secret, comme dans les tribunaux de l'inquisition, il demande un
défenseur, on le lui refuse : treize de ses compagnons sont condamnés aux
galères, plus de vingt au gibet ; Ogé avec Chavanne à la roue. On poussa
l'acharnement jusqu'à mettre de la distinction entre le lieu du supplice des
Mulâtres et celui des Blancs. Dans un rapport où ces faits sont discutés
avec impartialité, après avoir justifié Ogé, Garran conclut par ces mots :
«On ne pourra refuser des larmes à sa cendre, en abandonnant ses
bourreaux au jugement de l'histoire [V. Rapport sur les troubles de
Saint−Domingue, par Garran, 4 vol, in−8°, Paris an 6 (v. st. 1798), t. II, p.
63 et suiv. p. 73.]».
Il étoit homme de couleur ce Saint−George qu'on appeloit le Voltaire de
l'équitation, de l'escrime, de la musique instrumentale. Reconnu pour le
premier entre les amateurs, on le plaçoit dans le second ou le troisième
rang parmi les compositeurs ; quelques concertos de sa façon sont encore
estimés. Quoiqu'il fût le héros de la gymnastique, etc. etc. il est difficile de
croire avec ses admirateurs, qu'il tiroit à balle franche sur une balle lancée
en l'air, et l'atteignoit.
Selon le voyageur Arndt, ce nouvel Alcibiade étoit le plus beau, le plus
fort, le plus aimable de ses contemporains ; d'ailleurs généreux, bon
citoyen, bon ami [V. Eruch−Stiicke einer reise durch Fraunfkreich jon
friibling and sommer 1799, von Ernst Moritz Arndt, 3 vol. in−8°, Leipzi
1802, t. II, p. 36 et 37.]. Tout ce qu'on appelle gens du bon ton,
c'est−à−dire, gens frivoles, le regardoient comme un homme accompli ;
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE III. 53
c'étoit l'idole des sociétés d'agrémens. Lorsqu'il tira avec la chevalière
d'Eon, ce fut presque une affaire d'État, parce qu'alors l'État étoit nul pour
le public. Quand Saint−George, cité comme la plus forte épée connue,
devoit faire des armes on de la musique, la gazette l'annonçoit aux oisifs de
la capitale. Son archet, son fleuret faisoient accourir tout Paris. Ainsi
autrefois on affluoit à Séville quand la confrérie des Nègres, qui n'a pas été
détruite, mais qui n'existe plus faute de sujets, formoit, à certains jours de
fêtes, de brillantes cavalcades où ils faisoient des évolutions et des tours
d'adresse [Note communiquée par mon ami de Lasteyrie, qui a fait en
Espagne plusieurs voyages scientifiques dont on attend l'impression, et qui
justifieront les espérances du public.].
Je ne crois pas, comme Malherbe, qu'on bon joueur de quilles vaille autant
qu'un bon poëte ; mais tous les talens aimables valent−ils un talent utile ?
Quel dommage qu'on n'ait pas dirigé les heureuses dispositions de
Saint−George vers un but qui lui eû mérité l'estime et la reconnoissance de
ses concitoyens ! Hâtons−nous cependant de rappeler, qu'enrôlé sous les
drapeaux de la république, il servit dans les armées françaises.
Il étoit Mulâtre cet Alexandre Dumas, qui avec quatre cavaliers attaqua,
près de Lille, un poste de cinquante Autrichiens, en tua six, et fit seize
prisonniers. Longtemps il commanda une légion à cheval, composée de
Noirs et de sang−mêlés, qui étoient la terreur des ennemis... A l'armée des
Alpes, il monta au pas de charge le Saint−Bernard, hérissé de redoutes,
s'empara des canons qu'il dirigea sur le champ contre l'ennemi. D'autres
déjà ont raconté les exploits qui l'ont signalé en Europe et en Afrique, car il
fut de l'expédition d'Égypte. A son retour, il eut le malheur de tomber entre
les mains du gouvernement napolitain, qui, pendant deux ans, le retint dans
les fers avec Dolomien. Alexandre Dumas, général de division, nommé par
l'Empereur, l'Horatius−Coclès du Tyrol, est mort en 1807.
Il est Nègre ce Jean Kina de Saint−Domingue, partisan d'une mauvaise
cause, lorsqu'il a combattu contre la liberté des hommes de sa couleur ;
mais qui, renommé peur sa bravoure, reçut à Londres un accueil si
distingué. Le gouvernement britannique vouloit lui confier le
commandement d'une compagnie de sang−mêlés, destinés à protéger les
quartiers éloignés de la colonie de Surinam. En 1800 il repasse aux
Antilles : un dédain humiliant lui rappelle qu'il est affranchi, son coeur
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE III. 54
s'indigne ; il excite une insurrection pour protéger ses frères contre les
colons qui faisaient avorter les Négresses à force de travail, et vouloient
vendre les Nègres libres ; bientôt il est pris, renvoyé à Londres, et renfermé
à Newgate [V. L'ouvrage intitulé : Paris, t. XXXI, p. 405 et suiv.].
Il étoit Nègre ce Mentor, né à la Martinique en 1771. Fait prisonnier en se
battant contre les Anglais, à la vue des côtes d'Ouessant, il s'empare du
bâtiment qui le conduisoit en Angleterre, et l'amène à Brest.
A la plus heureuse physionomie réunissant l'aménité du caractère et un
esprit fin que la culture avoit perfectionné, on l'a vu occuper le siége
législatif à côté de l'estimable Tomany. Tel étoit Mentor, dont la conduite
postérieure a peut−être profané ces brillantes qualités ; il a été tué à
Saint−Domingue.
Il avoit porté les chaînes de l'esclavage ce Toussaint−Louverture, étant
hattier sur l'habitation Breda, au géreur de laquelle il envoya des secours
pécuniaires. Tant de preuves ont mis en évidence sa bravoure et celle de
Rigaud, général mulâtre, son compétiteur, que personne ne la conteste.
Sous ce rapport, Toussaint est comparable au Cacique Henri, dont on peut
lire la vie dans Charlevoix. J'ai en communication d'un manuscrit intitulé :
Réflexions sur l'état actuel de la colonie de Saint−Domingue, par Vincent,
ingénieur. Voici le portrait qu'il trace du général nègre ;
«Toussaint, à la tête de son armée, se trouve l'homme le plus actif et le plus
infatigable dont on puisse se faire une idée. L'on peut rigoureusement dire
qu'il est partout où un jugement sain et le danger lui font croire que sa
présence est nécessaire. Le soin particulier de toujours tromper sur sa
marche les hommes mêmes dont il a besoin, et auxquels on croit qu'il
accorde une confiance qui n'est cependant à personne, fait qu'il est
également attendu tous les jours dans les chefs−lieux de la colonie. Sa
grande sobriété, la faculté donnée à lui seul de ne jamais se reposer,
l'avantage qu'il a de reprendre le travail du cabinet après de pénibles
voyages, de répondre à cent lettres par jour, et de lasser habituellement
cinq secrétaires en font un homme tellement supérieur à tout ce qui
l'entoure, que le respect, la soumission pour lui vont jusqu'au fanatisme
dans le très−grand nombre de têtes. L'on peut même assurer, qu'aucun
individu aujourd'hui n'a pris sur une masse d'hommes ignorans le pouvoir
qu'a pris le général Toussaint sur ses frères».
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE III. 55
L'ingénieur Vincent ajoute que Toussaint est doué d'une mémoire
prodigieuse ; qu'il est bon père, bon époux ; que ses qualités civiques sont
aussi sûres que sa vie politique est astucieuse et coupable.
Toussaint rétablit le culte à Saint−Domingue, et son zèle lui avoit mérité
l'épithète de capucin, de la part de gens à qui on pouvoit en donner une
autre. Avec moi, il entretint une correspondance dont le but étoit d'obtenir,
douze ecclésiastiques vertueux. Plusieurs partirent sous la direction de
l'estimable évêque Mauviel, sacré pour Saint−Domingue, qui se dévouoit
généreusement à cette mission pénible. Toussaint, égaré par les
suggestions de quelques moines dissidens, lui suscita des tracasseries,
quoiqu'il eût précédemment félicité la colonie, de son arrivée, par une
proclamation solennelle. Que Toussaint ait été cruel, hypocrite et traître,
ainsi que les Nègres et Mulâtres associés à ses opérations, je ne prétends
pas le nier ; mais les Blancs....... Ne jugeons pas une cause sur l'audition
d'une seule partie. Un jour peut−être les Nègres écriront, imprimeront à
leur tour, ou l'impartialité guidera la plume de quelque Blanc. Les faits,
récens sont, dit−on, le domaine de l'adulation et de la satire. Tandis que des
gens le peignent, sans restriction, sous des couleurs odieuses, par un autre
excès Whitchurch, dans son poëme d'Hispaniola, en fait un héros [V.
Hispaniola a poem, by Samuel Whitchurch, in−12, London 1805.].
Quoique Toussaint soit mort, la postérité qui rectifie, casse ou confirme les
jugemens des contemporains, n'est peut−être pas encore arrivée pour lui.
Terminons ce chapitre par un trait extrêmement curieux que fournit le
courage d'un Nègre.
Le pape Pie II, voulant punir Cantelino, duc de Sora, envoya contre lui une
armée sous les ordres du général Napoléon, de la famille des Ursins, qui
déjà s'étoit distingué par ses exploits en commandant les troupes
vénitiennes. Napoléon s'empare de la ville de Sora, mais il éprouve une
résistance opiniâtre de la citadelle, défendue par sa position sur un rocher
très−élevé, dans une île du Garillan. Après plusieurs jours de siége, une
tour s'écroule sous le ravage des bombes. Alors un Nègre, qui, après avoir
été domestique du général, étoit devenu soldat, dit à ses camarades : La
citadelle est à nous, suivez−moi. Il jette avec force sa lance sur les ruines
de la tour, se déshabille, franchit les eaux à la nage, reprend son arme et
monte à l'assaut. Son exemple est imité d'une foule de soldats dont deux
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE III. 56
périssent entraînés par le courant ; tous gravissent à sa suite. Les assiégés
accablés de douleur, le sont plus encore de honte d'être vaincus par une
troupe de soldats, tous nus et dirigés par un Nègre. Ce fait très−vrai
paroîtra invraisemblable à la postérité, dit l'historien Gobellin [V. Pii
secundi, pontificis maximi, commentarii, etc., a Joan. Gobellino compositi,
etc., in−4°, Roma 1584, lib. V, p. 259 ; et lib. XII, p. 575 et seq. On
prétend que ces commentaires ont été composés par Pie II lui−même, et
que Gobellin n'a été que prête−nom.] qui mérite, ainsi que le P. Tuzii [V.
Memorie istoriche massimamente sacre della citta di Sora, dal padr. Fr.
Tuzii, in−4°, Roma 1727, part. II, lib. VI, p. 116 et seq.], le reproche
d'avoir tu le nom de ce valeureux Africain, auquel on dut la conquête de la
citadelle.
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE III. 57
CHAPITRE IV.
Continuation du même sujet.
La loyauté est la compagne inséparable de la véritable bravoure ; les faits
qui suivent mettront en parallèle à cet égard les Blancs et les Noirs. Le
lecteur équitable tiendra la balance.
Les Nègres marrons de Jaomel ont, durant près d'un siècle, épouvanté
Saint−Domingue. Le plus impérieux des gouverneurs, Bellecombe, fut
obligé, en 1785, de capituler avec eux ; ils n'étoient cependant que cent
vingt−cinq hommes de la partie française, et cinq de la partie espagnole ;
c'est le planteur Page qui nous le répète [V. Traité d'économie politique et
de commerce des colonies, etc., par Page, in−8°, IIe partie, Paris 1802, p.
27.]. A−t−on jamais ouï dire qu'ils ayent violé la capitulation, ces hommes
contre lesquels on ordonnoit des battues comme on en fait contre les
Loups ?
En 1718, lorsqu'on étoit en pleine paix avec les Caraïbes noirs de
Saint−Vincent, qui sont connus pour être braves jusqu'à la témérité, et plus
actifs, plus industrieux que les Caraïbes rouges, on dirigea contre ceux de
la Martinique une expédition injuste, et qui échoua : au lieu de s'irriter,
l'année suivante ils eurent l'indulgence d'acquiescer à la paix ; ces traits, dit
Chanvalon, ne se lisent pas dans l'histoire des nations civilisées [V.
Voyage à la Martinique, par Chanvalon, in−4°, p. 39 et suiv.].
En 1726, les Marrons de Surinam, que la férocité des colons avoit portés
au désespoir, conquirent leur liberté, et forcèrent leurs oppresseurs à traiter
avec eux de peuple à peuple ; ils observèrent religieusement les
conventions. Les colons méritent−ils le même éloge ? Après de nouvelles
querelles, ceux−ci voulant négocier la paix, demandent une conférence aux
Nègres, qui l'accordent, et stipulent pour préliminaire, qu'on leur enverra,
parmi beaucoup d'objets utiles, de bonnes armes à feu et des munitions.
Deux commissaires hollandais partent avec leur escorte, et se rendent au
camp des Nègres : le capitaine Boston, qui les commandoit, s'aperçoit que
les commissaires n'apportent que des bagatelles, des ciseaux, des peignes,
CHAPITRE IV. 58
de petits miroirs, mais point d'armes à feu, ni de poudre ; d'une voix de
tonnerre il leur dit : Les Européens pensent−ils que les Nègres n'ont besoin
que de peignes et de miroirs ? un seul de ces meubles nous suffit à tous ;
au lieu qu'un seul baril de poudre offert par les Hollandais, eût prouvé la
confiance qu'on avoit en nous.
Les Nègres cependant, loin de céder au sentiment d'une légitime
indignation contre un gouvernement qui manquoit à ses engagemens, lui
accordent une année pour délibérer et choisir la paix ou la guerre. Ils fêtent
de leur mieux les commissaires, leur prodiguent une bienveillance
hospitalière, et les renvoient en leur rappelant, que les colons de Surinam
étoient eux−mêmes les artisans de leurs désastres par l'inhumanité avec
laquelle ils traitoient leurs esclaves [Stedman, t. I, p. 88 et suiv.]. Stedman,
à qui nous devons ces détails, ajoute que les champs de cette république de
Noirs sont couverts d'ignames, de maïs, de plantaniers et de manioc.
Tous les auteurs qui, sans préjugé, parlent des Nègres, rendent justice à
leur naturel heureux et à leurs vertus. Il est même des partisans de
l'esclavage à qui la force de la vérité arrache des aveux en leur faveur. Tels
sont, 1°. l'historien de la Jamaïque, Long, qui admire chez plusieurs un
excellent caractère, un coeur aimant et reconnoissant ; chez tous la
tendresse paternelle et filiale portée au suprême degré [V. Long, t. II, p.
416.].
2°. Duvallon, qui par le récit des malheurs de la pauvre et décrépite
Irrouba, est sûr d'attendrir son lecteur et de faire exécrer le colon féroce
dont elle avoit été la mère nourricière [V. Vue de la colonie espagnole,
etc., en 1802, par Duvallon, in−8°, Paris 1803, p. 268 et suiv. «Allons voir
la centenaire, dit quelqu'un de la compagnie, et l'on s'avança jusqu'à la
porte d'une petite hutte où je vis paroitre, l'instant d'après, une vieille
Négresse du Sénégal, décrépite au point qu'elle étoit pliée en double, et
obligée de s'appuyer sur les bordages de sa cabane, pour recevoir la
compagnie assemblée à sa porte, et en outre presque sourde, mais ayant
encore l'oeil assez bon. Elle étoit dans le plus extrême dénuement, ainsi
que le témoignoit assez tout ce qui l'entouroit, ayant à peine quelques
haillons pour la couvrir, et quelques tisons pour la rechauffer, dans une
saison dont la rigueur est si sensible pour la vieillesse, et pour la caste
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE IV. 59
noire surtout. Nous la trouvâmes occupée à faire cuire un peu de riz à l'eau
pour son souper, car elle ne recevoit de ses maîtres aucune subsistance
réglée, ainsi que son grand âge et ses anciens services le requéroient. Elle
étoit, au surplus, abandonnée à elle−même, et dans cet état de liberté que la
nature, épuisée en elle, avoit obligé ses maîtres à lui laisser, et dont en
conséquence elle lui étoit plus redevable qu'à eux. Or il faut apprendre au
lecteur, qu'indépendamment de ses longs services, cette femme, presque
centenaire, avoit anciennement nourri de son lait deux enfans blancs,
parvenus à une parfaite croissance, et morts avant elle, les propres frères
d'un de ses maîtres qui se trouvoit avec nous. La vieille l'aperçut, et
l'appelant par son nom, en le tutoyant (suivant l'usage des Nègres de
Guinée), avec un air de bonhomie et de simplesse vraiment attendrissant :
Eh bien ! quand feras−tu, lui dit−elle, réparer la couverture de ma cabane ?
il y pleut comme dehors. Le maître leva les yeux et les dirigea sur le toit,
qui étoit à la portée de la main. J'y songerai, dit−il.—Tu y songeras ! tu me
dis toujours cela, et rien ne se fait.—N'as−tu pas tes enfans ? (deux Nègres
de l'atelier, ses petits−fils), qui pourroient bien arranger la cabane.—Et toi,
n'es−tu pas leur maître, et n'es−tu pas mon fils toi−même ? Tiens,
ajouta−t−elle, en le prenant par le bras et l'introduisant dans sa cabane,
entre et vois−en par toi−même les ouvertures ; aye donc pitié, mon fils, de
la vieille Irrouba, et fais au moins réparer le dessus de son lit ; c'est tout ce
qu'elle te demande, et le bon Dieu te le rendra. Et quel étoit ce lit ? Hélas !
trois ais grossièrement joints sur deux traverses, et sur lesquels étoit
étendue une couche de cette espèce de plante parasite du pays, nommée
barbe−espagnole. Le toit de la cabane est entr'ouvert, la bise et la pluie
fouettent sur ta misérable couche, et ton maître voit tout cela, et il y est
insensible ! Pauvre Irrouba !
Robert.].
Les mêmes vertus éclatent dans ce que racontent des Nègres,
Hilliard−d'Auberteuil, Falconbridge, Grandville−Sharp, Benezer, Ramsay,
Horneman, Pinkard, Robin, etc., et surtout Clarkson, qui, ainsi que
Wilberforce, s'est immortalisé par ses ouvrages et son zèle dans la défense
des Africains. George Robert, navigateur anglais, pillé par un corsaire son
compatriote, se réfugie à l'île Saint−Jean, l'une de l'archipel du Cap−Vert ;
il est secouru par les Nègres. Un pamphlétaire anonyme qui n'ose nier le
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE IV. 60
fait, tâche d'en atténuer le mérite, en disant que l'état de George Robert
auroit touché un tigre [V. De l'esclavage en général, et particulièrement,
etc., p. 180.]. Durand préconise la modestie, la chasteté des épouses
négresses, et la bonne éducation des Mulâtres à Gorée [V. Voyage au
Sénégal, par Durand, in−4°, Paris 1802, p. 568 et suiv.].
Wadstrom, qui se loue beaucoup de leur accueil, leur croit une sensibilité
affectueuse et douce, supérieure à celle des Blancs. Le capitaine Wilson,
qui a vécu chez eux, vante leur constance en amitié ; ils pleuroient à son
départ.
Des Nègres de Saint−Domingue, par attachement avoient suivi à la
Louisiane, leurs maîtres, qui les ont vendus. Ce fait, et le suivant, que
j'emprunte de Robin, sont des matériaux pour comparer, au moral, les
Noirs et les Blancs.
Un esclave avoit fui ; le maître promet douze piastres à qui le ramenera. Il
est ramené par un autre Nègre qui refuse la récompense, et demande
seulement la grâce du déserteur. Le maître l'accorde, et garde les douze
piastres. L'auteur du voyage pense que le maître avoit l'ame d'un esclave,
et le Nègre l'ame d'un maître [ V. Robin, t. II, p. 203 et suiv.].
Pour la bonté naturelle des Nègres, après tant d'autres témoins
incontestables, on peut encore citer le respectable Niebuhr, qui, dans le
Musée allemand [V. Deutsches Museum, 1787, t. I, p. 424.], s'exprime
ainsi :
«Le caractère des Nègres, surtout quand on les traite raisonnablement, est
fidélité envers leurs maîtres et bienfaiteurs. Les négocians mahométans à
Kahira, Dsjidda, Surate et ailleurs, achètent volontiers des enfans noirs,
auxquels ils font apprendre l'écriture et l'arithmétique : leur commerce est
presque exclusivement dirigé par ces esclaves, qu'ils envoient pour établir
leurs comptoirs dans les pays étrangers.
Je demandois à l'un de ces négocians, comment il pouvoit livrer des
cargaisons entières à un esclave ? Il me répondit : Mon Nègre m'est fidèle ;
mais je n'oserois confier mon négoce à des commis blancs, ils
s'éclipseroient bientôt avec ma fortune». Blumenbach, qui m'envoie ce
passage, ajoute : Ainsi, on pourroit appliquer à nos protégés les pauvres
Nègres, ces mots de Saint Bernard : Felix nigredo, quæ mentis candore
imbuta est [Lettre de M. Blumenbach, du 6 février 1808, à M. l'évêque
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE IV. 61
Grégoire, sénateur, etc.].
Le docteur Newton raconte qu'un jour il accusoit un Nègre de fourberie et
d'injustice ; celui−ci lui répond avec fierté : Me prenez−vous pour un
Blanc [V. Thoughts upon te African slave trade, p. 24.] ? Il ajoute que sur
les bords de la rivière Gabaon, les Nègres sont la meilleure espèce
d'hommes qu'il ait connus [V. An Abstract of the évidence, etc., p. 91 et
suiv.]. Ledyard rend le même témoignage aux Foulahs, dont le
gouvernement est absolument paternel [V. Ledyard, t. II, p. 340.].
Dans une histoire de Loango, on lit que si les Nègres, habitans des côtes, et
fréquentant les Européens, sont enclins à la fourberie, au libertinage, ceux
de l'intérieur sont humains, obligeans, hospitaliers [V. Histoire de Loango,
par Proyart, 1776, in−8º, Paris, p. 59 et suiv. ; p. 73.]. Cet éloge est répété
par Golberry. Il se récrie contre la présomption avec laquelle les Européens
méprisent et calomnient ces nations, que nous appelons si légèrement
sauvages, chez lesquelles on trouve des hommes vertueux, vrais modèles
de tendresse filiale, conjugale et paternelle, qui connoissent tout ce que la
vertu a d'énergique et de délicat ; chez qui les impressions sentimentales
sont très−profondes, parce qu'ils sont plus que nous voisins de la nature, et
qui savent sacrifier l'intérêt personnel à l'amitié. Golberry en fournit
diverses preuves [V. Fragment d'un Voyage en Afrique, par Golberry, 2
vol. in−8°, Paris 1802, t. II, p. 391 et suiv.].
L'auteur anonyme des West indian eclogues [In−4º, London 1787.] dut la
vie à un Nègre qui, pour la lui sauver, perdit la sienne. Pourquoi le poëte
qui, dans une note, rapporte cette circonstance, n'y a−t−il pas consigné le
nom de son libérateur ?
Adanson, qui visita le Sénégal en 1754, et qui en parle comme d'un élysée,
en trouva les Nègres très−sociables, et d'un excellent caractère. Leur
aimable simplicité, dans ce pays enchanteur, me rappeloit, dit−il, l'idée des
premiers hommes ; il me sembloit voir le monde à sa naissance [Adanson,
p. 31 et 118. V. aussi Lamiral l'Afrique, et le peuple africain, p. 64.]. En
général, ils ont conservé l'estimable bonhomie des moeurs domestiques ;
ils se distinguent par beaucoup de tendresse envers leurs parens, beaucoup
de respect pour la vieillesse, vertu patriarchale et presqu'inconnue parmi
nous [Demanet, p. 11.]. Ceux qui sont mahométans contractent une
certaine alliance avec ceux qui ont été circoncis à la même époque, et se
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE IV. 62
regardent comme frères. Ceux qui sont chrétiens conservent toute leur vie
une vénération particulière pour leurs parrains et marraines.
Ces mots rappellent une institution sublime que la philosophie envioit
dernièrement au christianisme ; cette espèce d'adoption religieuse répand
sur les enfans des relations d'amour et de bienfaisance qui, dans le cas
éventuel et malheureusement trop fréquent, où, en bas âge, ils perdroient
les auteurs de leurs jours, prépare aux orphelins des conseils et un asile.
Robin parle d'un esclave à la Martinique, qui ayant gagné de quoi se
racheter, préféra de racheter sa mère [V.Robin, t. I, p. 204.]. L'outrage le
plus sanglant qu'on puisse faire à un Nègre, c'est de maudire son père ou sa
mère [V. Long, t. II, p. 416.], ou d'en parler avec mépris.
Frappez−moi, disoit un esclave à son maître, mais ne maudissez pas ma
mère [V. Voyage dans l'intérieur de l'Afrique, par Mungo−Park, t. II, p. 8
et 10.]. C'est de Mungo−Park que j'emprunte ce fait et le suivant. Une
Négresse ayant perdu son fils, son unique consolation etoit de penser que
cet enfant n'avoit jamais dit un mensonge [Ibid., p. 11.]. Casaux raconte
qu'un Nègre voyant un Blanc maltraiter son père, enleva vite l'enfant de ce
brutal, de peur, dit−il, qu'il n'apprenne à imiter sa conduite.
La vénération des Noirs pour leurs aïeux les suit par delà les bornes de la
vie ; ils vont s'attendrir sur la cendre de ceux qui ne sont plus. Un voyageur
nous a conservé l'anecdote d'un Africain qui recommandoit à un Français
de respecter les sépultures. Qu'eût pensé le premier s'il avoit pu croire
qu'un jour elles seroient profanées dans toute la France, chez une nation
qui se dit civilisée ?
Les Noirs, au rapport de Stedman, sont si bienveillans les uns envers les
autres, qu'il est inutile de leur dire : Aimez votre prochain comme
vous−mêmes [Stedman, t. III, p. 66.]. Les esclaves du même pays surtout,
ont un penchant marqué à s'entr'aider. Hélas ! presque toujours les
malheureux n'ont rien à espérer que de ceux auxquels ils sont associés par
l'infortune.
Note 192 : (retour)
Plusieurs Marrons avoient été condamnés à être pendus ; on offre la grâce
à l'un d'eux, à condition qu'il sera l'exécuteur. Il refuse ; il aime mieux
mourir. Le maître nomme un de ses esclaves pour le remplacer... Attendez
que je me prépare... Il va dans la case, prend une hache, se coupe le poing ;
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE IV. 63
revient au maître, et lui dit : Exige maintenant que je sois le bourreau de
mes camarades [V. Le Bonnet de Nuit, par Mercier, t. II, article Morale.].
Dickson nous a conservé le fait suivant. Un Nègre avoit tué un Blanc ; un
autre homme accusé du crime alloit être mis à mort. «Le meurtrier va se
déclarer à la justice, »parce qu'il ne pourroit supporter le »remords d'avoir
causé à deux individus la »perte de la vie». L'innocent est relâché, et le
Nègre est envoyé au gibet, où il resta vivant six à sept jours.
Le même Dickson a vérifié que sur cent vingt mille, tant Nègres que
sang−mêlés, à la Barbade, dans le cours de trente ans, on n'a ouï parler que
de trois meurtres de la part des Nègres, quoiqu'ils fussent souvent
provoqués par la cruauté des planteurs [Dickson, Letters on slavery, 1789,
p. 20 et suiv.].
Je doute qu'on puisse trouver beaucoup de résultats pareils, en compulsant
les greffes des tribnnaux criminels de l'Europe.
La reconnoissauce des Noirs, ajoute Stedman, les porte à s'exposer à la
mort pour sauver leurs bienfaiteurs [Stedman, t. III, p. 70 et 76.]. Cowry
raconte qu'un esclave portugais ayant fui dans les bois, apprend que son
maître est traduit en jugement pour cause d'assassinat ; le Nègre se
constitue prisonnier en place du maître, donne des preuves fausses, mais
judiciaires, de son prétendu crime, et subit la mort à la place du coupable
[Cowry, p. 27.].
Le Journal de littérature, par Grosier, a recueilli des détails attendrissans
sur un Nègre de du Colombier, propriétaire dans les colonies, résidant près
de Nantes. L'esclave étoit devenu libre ; mais le maître étoit devenu
pauvre. Le Nègre vendit tout ce qu'il avoit pour le nourrir. Quand cette
ressource fut épuisée, il cultiva un jardin dont il vendoit les produits pour
continuer cette bonne oeuvre. Le maître tombe malade ; le Nègre, malade
lui−même, déclare qu'il ne s'occupera de sa santé que quand le maître sera
guéri ; mais ce bon Africain succombe de fatigues, et après vingt ans de
services gratuits meurt, en 1776, en léguant à du Colombier le peu qui lui
restoit [V. Journal de littérature, des sciences et des arts, t. III, p. 188 et
suiv.].
On connoît trop peu l'anecdote de Louis Desrouleaux, Nègre, pâtissier à
Nantes, puis au Cap, où il avoit été esclave d'un nommé Pinsum, de
Bayonne, capitaine négrier. Ce capitaine, revenu en France avec de
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE IV. 64
grandes richesses, s'y ruine ; il repasse à Saint−Domingue : ceux qui se
disoient ses amis lorsqu'il étoit opulent, daignent à peine le reconnoître.
Louis Desrouleaux, qui avoit acquis de la fortune, les supplée tous ; il
apprend le malheur de son ancien maître, s'empresse de le chercher, le
loge, le, nourrit, et cependant lui propose d'aller vivre en France, où son
amour propre ne sera pas mortifié par l'aspect des ingrats qu'il a faits. Mais
je n'ai rien pour vivre en France,... 15,000 francs annuels vous
suffiront−ils ?... Le colon pleure de joie ; le Nègre lui passe le contrat, et la
pension a été payée jusqu'à la mort de Louis Desrouleaux, arrivée en 1774.
S'il étoit permis d'intercaler ici un fait étranger à mon sujet, je citerois la
conduite des Indiens envers l'évêque Jacquemin, qui a été vingt−deux ans
missionnaire à la Guyane. Ces Indiens, qui l'aimoient tendrement, le
voyant dénué de tout lorsqu'on cessa de payer les pasteurs, vont le trouver
et lui disent :
Père, tu es âgé, reste avec nous, nous chasserons pour toi, nous pêcherons
pour toi.
Et comment ces hommes de la nature seroient−ils ingrats envers leurs
bienfaiteurs, lorsqu'ils sont bienfaisans même envers leurs oppresseurs ?
Dans la traversée on a vu des Noirs enchaînés, partager leur triste et
chétive nourriture avec les matelots [Stedman, t. I, p. 270.].
Une maladie contagieuse avoit fait périr le capitaine, le contre−maître et la
plupart des matelots d'un vaisseau négrier ; ce qui restoit étant insuffisant
pour la manoeuvre, les Nègres s'y emploient ; par leur secours le vaisseau
arrive à sa destination, ensuite ils se laissent vendre [Stedman, t. I, p. 270.].
Les philantropes d'Angleterre aiment à citer ce bon et religieux Joseph
Rachel, Nègre libre aux Barbades, qui s'étant enrichi par le négoce,
consacra toute sa fortune à faire du bien. Les malheureux, quelle que fût
leur couleur, avoient des droits sur son coeur ; il distribuoit aux indigens,
prêtoit à ceux qui pouvoient rendre, visitoit les prisonniers, leur donnoit
des conseils, tâchoit de ramener les coupables à la vertu. Il est mort en
1758, à Bridgetown, pleuré des Noirs et des Blancs [Dickson, p. 180.].
Les Français doivent bénir la mémoire de Jasmin Thoumazeau ; né en
Afrique en 1714, il fut vendu à Saint−Domingue en 1736. Ayant obtenu la
liberté, il épousa une Négresse de la Côte−d'Or, et fonda au Cap, en 1756,
un hospice pour les pauvres Nègres et sang−mêlés. Pendant plus de
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE IV. 65
quarante ans, avec son épouse, il s'est voué à leur soulagement, et leur a
consacré tous ses soins et sa fortune. La seule peine qu'ils éprouvassent au
milieu des malheureux auxquels leur charité prodiguoit des secoure, étoit
l'inquiétude qu'après eux l'hospice ne fût abandonné.
En 1789, le cercle des Philadelphes du Cap, et la société d'agriculture de
Paris, décernèrent des médailles à Jasmin [Description de la partie
française de Saint−Domingue, par Moreau−Saint−Méry, t. I, p. 416 et
suiv.], qui est mort vers la fin du siècle.
Moreau−Saint−Méry, et une foule d'autres écrivains, nous disent que les
Négresses et les Mulâtresses sont recommandables par leur tendresse
maternelle, par leur charité compatissante envers les pauvres [Saint−Méry,
p. 44. Trois pages plus haut il loue en elles un extrême amour de la
propreté.]. On en trouvera des preuves dans une anecdote qui n'a pas
encore acquis toute la publicité dont elle est digne. Le voyageur
Mungo−Park alloit périr de besoin au milieu de l'Afrique ; une Négresse le
recueille, le conduit chez elle, lui donne l'hospitalité, et assemble les
femmes de sa famille qui passèrent une partie de la nuit à filer du colon, en
improvisant des chansons pour distraire l'homme blanc, dont l'apparition
dans ces contrées étoit une nouveauté : il fut l'objet d'une de ces chansons
qui rappelle cette pensée d'Hervey, dans ses Méditations : Je crois entendre
les vents plaider la cause du malheureux [Hervey, Méditat., p. 151.]. Voici
cette pièce : «Les vents mugissoient, »et la pluie tomboit ; le
pauvre »homme blanc, accablé de fatigue, vient »s'asseoir sous notre
arbre ; il n'a pas de mère »pour lui apporter de lait, ni de femme
pour »moudre son grain» ; et les autres femmes chantoient en coeur :
«Plaignons, plaignons »le pauvre homme blanc ; il n'a pas de mère »pour
lui apporter son lait, ni de femme »pour moudre son grain [Voyages et
découvertes dans l'intérieur de l'Afrique, par Houghton et Mungo−Park, p.
180.]».
Tels sont les hommes calomniés par Descroizilles, qui, en 1803, imprimoit
que les affections sociales et les institutions religieuses, n'ont aucune prise
sur leur caractère [V. Essai sur l'agriculture et le commerce des îles de
France et de la Réunion, in−8°, Rouen 1803, p. 37.].
Aux traits de vertu pratiqués par des Nègres, aux témoignages honorables
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE IV. 66
que leur rendent les auteurs, j'aurois pu en ajouter une multitude d'autres
qu'on trouvera dans les dépositions officielles à la barre du Parlement
d'Angleterre [Entre autres ouvrages on peut consulter An Abstract of the
evidence delivered before a select committee of the house of Commons, in
the year 1790 and 1791, in−8º, London 1701. V. surtout p. 91 et suiv.]. Ce
qu'on vient de lire suffit pour venger l'humanité et la vérité Outragées.
Gardons−nous cependant d'une exagération insensée qui chez les Noirs
voudroit ne trouver que des qualités estimables ; mais nous autres Blancs,
avons−nous doit d'être leurs dénonciateurs ? Persuadé qu'il faut
très−rarement compter sur la vertu et la loyauté des hommes, quelle que
soit leur couleur, j'ai voulu prouver que les uns ne sont pas originairement
pires que les autres.
Une erreur presque générale, c'est d'appeler vertueux des individus qui
n'ont, si je puis m'exprimer ainsi, qu'une moralité négative. La forme de
leur caractère est indéterminée ; incapables de penser et d'agir par
eux−mêmes, n'ayant ni le courage de la vertu, ni l'audace du crime,
également susceptibles d'impressions louables et coupables, ils n'ont que
des idées et des inclinations d'emprunt ; on nomme en eux bonté, douceur
ce qui n'est réellement qu'apathie, foiblesse et lâcheté. Ce sont eux qui ont
donné lieu à ce proverbe : Il est des gens si bons qu'ils ne valent rien.
Dans le tableau des faits honorables qu'on vient de présenter, on retrouve,
au contraire, cette énergie (vis, virtus), qui fait des sacrifices pour pratiquer
le bien, obliger les hommes, et agir conformément aux principes de la
morale. Cette raison−pratique, qui est le fruit d'une intelligence cultivée, se
manifeste encore sous d'autres rapports, quoique chez la plupart des
Nègres la civilisation et les arts soient dans l'enfance.
Mais avant d'aborder cet article, je crois faire plaisir au lecteur en
intercalant ici la, notice biographique d'un Nègre, mort il y a douze ans, en
Allemagne, où ses vertus délicates et ses brillantes qualités lui ont acquis
de la réputation.
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE IV. 67
CHAPITRE V.
Notice biographique du Nègre Angelo
Solimann.
Quoiqu'Angelo Solimann n'ait rien publié [J'acquitte un devoir en révélant
au public les noms des personnes à qui je dois la biographie de cet
estimable Africain, dont le docteur Gall m'avoit parlé le premier. Sur la
demande de mes concitoyens d'Hautefort, attaché ici aux relations
extérieures, et Dodun, premier secrétaire de la légation française en
Autriche, on s'empressa de satisfaire ma curiosité. Deux dames
respectables de Vienne y mirent le plus grand zèle, Mad. de Stief et Mad.
de Picler. On rassembla soigneusement les détails fournis par les amis de
défunt Angelo. D'après ces matériaux, a été faite cette notice intéressante
qu'on va lire. Dans la traduction française, elle perd pour l'élégance du
style ; car Mad. de Picler, qui l'a rédigée en allemand, possède le talent rare
d'écrire également bien en prose et en vers. J'éprouve du plaisir en
exprimant à ces personnes obligeantes ma juste reconnoissance.], il mérite
une des premières places entre les Nègres qui se sont distingués par un
haut degré de culture, par des connoissances étendues, et plus encore par la
moralité et l'excellence du caractère.
Il étoit le fils d'un prince africain. Le pays soumis à la domination de
celui−ci, s'appeloit Gangusilang ; la famille, Magni−Famori. Outre le petit
Mmadi−Maké (c'étoit le nom d'Angelo dans sa patrie), ses parens avoient
un autre enfant plus jeune, une fille. Il se rappeloit avec quel respect on
traitoit son père, entouré d'un grand nombre de serviteurs ; il avoit, comme
tous les enfans des princes de ce pays−là, des caractères empreints sur les
deux cuisses, et long−temps il s'est bercé de l'espérance qu'on le
chercheroit, et qu'on le reconnoîtroit par ces caractères. Les souvenirs de
son enfance, de ses premiers exercices au tir de l'arc, dans lequel il
surpassoit ses camarades ; le souvenir des moeurs simples, et du beau ciel
de sa patrie, se retraçoient souvent à son esprit avec un plaisir mêlé de
douleur, même dans sa vieillesse ; il ne pouvoit chanter, sans être
CHAPITRE V. 68
profondément attendri, les chansons de sa patrie, que son heureuse
mémoire avoit très−bien conservées.
Il paroît, d'après les réminiscences d'Angelo, que sa peuplade avoit déjà
quelque civilisation. Son père possédoit beaucoup d'éléphans, et même
quelques chevaux, qui sont rares dans ces contrées : la monnoie étoit
inconnue, mais le commerce d'échange se faisoit régulièrement, et à
l'enchère. On adoroit les astres ; la circoncision étoit usitée ; deux familles
des Blancs demeuroient dans le pays.
Des auteurs qui ont publié leurs voyages, parlent de guerres perpétuelles
entre des peuplades de l'Afrique, dont le but est, tantôt la vengeance, le
brigandage, tantôt la plus honteuse espèce d'avarice, parce que le
vainqueur mène les prisonniers au marché d'esclaves le plus voisin, pour
les vendre aux Blancs. Une guerre de ce genre, contre la peuplade de
Mmadi−Maké, éclata inopinément, à tel point, que son père ne
soupçonnoit pas le danger.
L'enfant, âgé de sept ans, étant un jour debout, à côté de sa mère qui
allaitoit sa soeur, tout à coup on entend un épouvantable cliquetis d'armes,
et des hurlemens de blessés ; le grand−père de Mmadi−Maké, se jette dans
la cabane, saisi d'effroi, en criant : Voilà les ennemis. Fatuma se lève
effarouchée, le père cherche à la hâte ses armes, et le petit garçon,
épouvanté, s'enfuit avec la vîtesse d'une flèche. La mère l'appelle à grand
cris : Où vas−tu Mmadi−Maké ? L'enfant répond : Là où Dieu veut. Dans
un âge avancé, il réfléchissoit souvent sur le sens important de ces paroles.
Étant hors de la cabane, il tourne ses regards en arrière, et voit sa mère, et
plusieurs des gens de son père, tomber sous les coups des ennemis. Il se
tapit avec un autre garçon sous un arbre ; saisi d'effroi, il couvre ses yeux
de ses mains. Le combat se prolonge ; les ennemis, qui se croyoient déjà
victorieux, se saisissent de lui, et l'élèvent en l'air en signe de joie. A cet
aspect, les compatriotes de Mmadi−Maké raniment leurs forces, et se
rallient pour sauver le fils de leur roi ; le combat recommence, et pendant
sa durée, l'enfant est toujours levé en l'air. Enfin, les ennemis restent
vainqueurs, et décidément il est leur proie. Son maître l'échange contre un
beau cheval, qu'un autre Nègre lui donne, et l'on mène l'enfant vers la place
d'embarquement. Il y trouve beaucoup de ses compatriotes, tous comme lui
prisonniers, tous condamnés à l'esclavage ; ils le reconnoissent avec
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE V. 69
douleur, mais ils ne peuvent rien pour lui ; on leur défend même de lui
parler.
Les prisonniers, conduits sur de petits bâtimens, ayant atteint le rivage de
la mer, Mmadi−Maké voyoit avec étonnement de grandes maisons
flottantes, dont l'une le reçut avec son troisième maître ; il présume que
c'étoit un navire espagnol. Après avoir essuyé une tempête, ils débarquent
sur une côte, et le maître promet à l'enfant de le conduire à sa mère.
Celui−ci enchanté vit promptement évanouir son espérance, en trouvant,
au lieu de sa mère, l'épouse de son maître, qui le reçut d'ailleurs très−bien,
lui fit des caresses, et le traita avec beaucoup de bonté : le mari lui donna
le nom d'André, lui ordonna de conduire les chameaux aux pâturages, et de
les garder.
On ne peut dire de quelle nation étoit cet homme−là, ni combien de temps
resta chez lui Angelo, qui est mort depuis douze ans ; cette notice a été
rédigée dernièrement d'après le récit de ses amis. Seulement on sait
qu'après un assez long séjour, le maître lui annonça son dessein de le
transporter dans une contrée, où il seroit mieux. Mmadi−Maké en fut
très−content ; la maîtresse se sépara de lui avec regret ; on s'embarque, on
arrive à Messine ; il est conduit dans la maison d'une dame opulente qui, à
ce qu'il paroît, s'attendoit à le recevoir ; elle le traite avec beaucoup de
bonté, lui donne un instituteur pour lui enseigner la langue du pays, qu'il
apprend avec facilité : sa bonhomie lui concilie l'affection des nombreux
domestiques, parmi lesquels il distingue une Négresse, nommée Angelina,
à cause de sa douceur, et de ses bons procédés envers lui. Il tombe
dangereusement malade ; la marquise, sa maîtresse, a pour lui tous les
soins d'une mère, au point quelle veille près de lui une partie des nuits. Les
médecins les plus habiles sont appelés ; son lit est entouré d'une foule de
personnes qui attendent ses ordres. La marquise souhaitoit depuis
longtemps qu'il fût baptisé : après des refus réitérés, un jour, dans sa
convalescence, il demande lui−même le baptême ; la maîtresse,
extrêmement contente, ordonne les préparatifs les plus magnifiques. Dans
un salon, on élève un dais richement brodé au−dessus d'un lit de parade ;
toute la famille, tous les amis de la maison sont présens ; on interpelle
Mmadi−Maké, couché dans ce lit, sur le nom qu'il désire avoir : par
reconnoissance et par amitié envers la Négresse Angelina, il veut être
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE V. 70
nommé Angelo : on accueille sa prière, et pour lui tenir lieu de nom de
famille, on y joint celui de Solimann. Il célébroit annuellement le jour de
son entrée dans le christianisme, le 11 septembre, avec des sentimens
pieux, comme l'anniversaire de sa naissance.
Sa bonté, sa complaisance, son esprit juste, le rendoient cher à tout le
monde. Le prince Lobkowitz, alors en Sicile en qualité de générai impérial,
fréquentoit la maison où demeuroit cet enfant ; il conçut pour lui une telle
affection, qu'il fit les instances les plus vives pour qu'on le lui donnât.
Cette demande fut combattue par la tendresse de la marquise envers
Angelo ; elle céda enfin, à des considérations d'intérêt et de prudence qui
lui conseilloient de faire ce présent au général. Que de larmes elle versa, en
se séparant du petit Nègre qui entroit avec répugnance au service d'un
nouveau maître !
Les fonctions du prince étoient incompatibles avec une longue résidence
dans cette contrée ; il aimoit Angelo, mais son genre de vie, et peut−être
l'esprit de ce temps−là, furent cause qu'il prit très−peu de soin de son
éducation. Angelo devenoit sauvage et colère ; il passoit ses jours dans le
désoeuvrement, dans les jeux d'enfans. Un vieux maître d'hôtel du prince,
connoissant son bon coeur et ses excellentes dispositions, malgré son
étourderie, lui donna un instituteur, sous lequel Angelo apprit, dans
l'espace de dix−sept jours, à écrire l'allemand : la tendre affection de
l'enfant, ses progrès rapides dans toutes les branches d'instruction,
récompensèrent le bon vieillard de ses soins.
Ainsi grandit Angelo dans la maison du prince. Il étoit de tous ses voyages,
partageant avec lui les périls de la guerre ; il combattoit à côté de son
maître, qu'un jour il emporta blessé, sur ses épaules, hors du champ de
bataille. Angelo se distingua dans ces occasions, non−seulement comme
serviteur et ami fidèle, mais aussi comme guerrier intrépide, comme
officier expérimenté, surtout dans la tactique, quoiqu'il n'ait jamais eu de
grade militaire. Le maréchal Lascy, qui l'estimoit beaucoup, fit, en
présence d'une foule d'officiers, l'éloge le plus honorable de sa bravoure,
lui fit présent d'un superbe sabre turc, et lui offrit le commandement d'une
compagnie, qu'il refusa.
Son maître mourut. Par son testament il avoit légué Angelo au prince
Wenceslas de Lichtenstein qui, depuis long−temps désiroit l'avoir. Celui ci
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE V. 71
demande à Angelo, s'il est content de cette disposition, et s'il veut venir
chez lui. Angelo donne sa parole, et fait des préparatifs pour le changement
nécessaire à sa manière de vivre. Dans l'intervalle, l'empereur François Ier
le fait appeler, et lui fait la même offre, sous des conditions très−flatteuses.
Mais la parole d'Angelo étoit sacrée ; il reste chez le prince de
Lichtenstein. Ici, comme chez le général Lobkowitz, il étoit le génie
tutélaire des malheureux, il transmettoit au prince les prières de ceux qui
cherchoient à obtenir quelque chose ; ses poches étoient toujours pleines
de mémoires, de placets ; ne pouvant et ne voulant jamais demander pour
lui, il remplissoit avec autant de zèle que de succès ce devoir en faveur des
autres.
Angelo suivit son maître dans ses voyages, et à Francfort, lors du
couronnement de l'empereur Joseph, comme roi des Romains. Un jour, à
l'instigation de son prince, il tenta la fortune dans une banque de pharaon,
et gagna vingt mille florins ; il offrit la revanche à son adversaire, qui
perdit encore vingt−quatre mille florins ; en lui offrant de nouveau la
revanche, Angelo sut arranger le jeu si finement, que le perdant regagna
cette dernière somme. Cet acte de délicatesse de la part d'Angelo, lui
concilia l'admiration, et lui attira des félicitations sans nombre. Les faveurs
passagères de la fortune ne l'éblouirent pas ; au contraire, se défiant de ses
caprices, jamais il n'exposa plus de somme considérable. Il s'amusoit aux
échecs, et avoit la réputation d'être, en ce genre, un des plus forts joueurs.
A l'âge de... il épousa une veuve, madame de Cristiani, née Kellermann,
Belge d'origine. Le prince ignoroit ce mariage ; peut être Angelo avoit−il
des raisons pour le cacher : un événement postérieur a justifié son silence.
L'empereur Joseph II, qui s'intéressoit vivement à tout ce qui concernoit
Angelo, qui le distinguoit publiquement, même en prenant son bras dans
les promenades, découvrit un jour, sans en prévoir les suites, le secret
d'Angelo au prince de Liechtenstein. Celui−ci le fait appeler, le
questionne ; Angelo avoue son mariage. Le prince lui annonce qu'il le
bannit de sa maison, et raye son nom de son testament ; il lui avoit destiné
des diamans d'une valeur assez considérable, dont Angelo étoit paré quand
il suivoit son maître les jours de gala.
Angelo, qui avoit demandé si souvent pour d'autres, ne dit pas un mot pour
lui−même ; il quitta le palais pour habiter dans un faubourg éloigné, une
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE V. 72
petite maison achetée depuis long−temps, et appropriée pour son épouse. Il
vivoit avec elle dans cette retraite, jouissant du bonheur domestique.
L'éducation la plus soignée de sa fille unique, madame la baronne
d'Heüchtersleben qui n'existe plus, la culture de son jardin, la société de
quelques hommes éclairés et vertueux, tels étoient ses occupations et ses
délassemens.
Environ deux ans après la mort du prince Wenceslas de Lichtenstein, son
neveu et héritier, le prince François, aperçoit Angelo dans la rue ; il fait
arrêter son carrosse, l'y fait entrer, lui dit que très−convaincu de son
innocence, il est résolu de réparer l'iniquité de son oncle. Il assigne en
conséquence à Angelo un traitement réversible après sa mort, comme
pension annuelle, à madame Solimann. La seule chose que le prince
demandoit d'Angelo, c'étoit d'inspecter l'éducation de son fils, Louis de
Lichtenstein.
Angelo remplissoit ponctuellement les devoirs de cette nouvelle vocation,
et se rendoit journellement chez le prince, pour veiller sur l'élève
recommandé à ses soins. Le prince voyant que la longueur du chemin
devoit être pénible pour Angelo, surtout quand le temps étoit mauvais, lui
offrit une habitation. Voilà donc Angelo établi, pour la seconde fois, dans
le palais Lichtenstein ; mais il y mena sa famille ; il y vivoit en retraite
comme auparavant dans la société de quelques amis, dans celle des savans,
et livré aux belles−lettres qu'il cultivoit avec zèle. Son étude favorite étoit
l'histoire ; son excellente mémoire l'aidoit beaucoup ; il étoit en état de
citer les noms, les dates, l'année de naissance de toutes les personnes
illustres, et des principaux événemens.
Son épouse, qui languissoit depuis longtemps, se soutint encore quelques
années, par les tendres soins d'un époux qui lui prodigua tous les secours
de l'art ; mais enfin elle succomba. Dès−lors Angelo fit des réformes dans
son ménage ; il n'invitoit plus d'amis à sa table ; il ne buvoit que de l'eau
pour en donner l'exemple à sa fille, dont l'éducation alors achevée étoit
entièrement son ouvrage. Peut−être aussi vouloit−il, par une économie
sévère, assurer la fortune de cette fille unique.
Angelo fit encore plusieurs voyages dans un âge avancé, tantôt pour ses
propres affaires, tantôt pour celles des autres, estimé et aimé partout : on se
rappeloit ses actes de complaisance, et les bienfaits qu'il avoit répandus, à
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE V. 73
des époques déjà très−éloignées. Les circonstances l'ayant conduit à Milan,
feu l'archiduc Ferdinand, qui en étoit gouverneur, le combla d'amitiés.
Il a joui, jusque vers la fin de sa carrière, d'une santé robuste ; son extérieur
présentoit à peine quelques symptômes de vieillesse, ce qui occasionnoit
des bévues et des disputes amicales ; car souvent des personnes qui ne
l'avoient pas vu depuis vingt ou trente ans, le prenoient pour son propre
fils, et le traitoient d'après cette erreur.
Attaqué d'un coup d'apoplexie dans la rue, à l'âge de soixante et quinze
ans, on s'empressa de lui donner des secours qui furent inefficaces. Il
mourut le 21 novembre 1796, regretté de tous ses amis, qui ne peuvent
penser à lui sans attendrissement, et sans verser des larmes.
L'estime de tous les hommes de bien l'a suivi dans le tombeau.
Angelo étoit d'une stature moyenne, svelte et bien proportionnée ; la
régularité de ses traits, et la noblesse de sa figure, formoient par leur beauté
un contraste avec les idées défavorables qu'on a communément de la
physionomie des Nègres ; une souplesse extraordinaire dans tous les
exercices du corps, donnoit à son maintien, à ses mouvemens de la grâce et
de la légéreté : à toute la délicatesse de la vertu unissant un jugement sain,
relevé par des connoissances étendues et solides, il possédoit six langues,
l'italien, le français, l'allemand, le latin, le bohémien, l'anglais, et parloit
surtout avec pureté les trois premières.
Comme tous ses compatriotes, il étoit né avec un caractère impétueux ; sa
sérénité inaltérable et sa douceur, étoient conséquemment d'autant plus
respectables, qu'elles étoient le fruit de combats difficiles, et de beaucoup
de victoires remportées sur lui−même. Il ne lui échappoit jamais, même
quand on l'avoit irrité, aucune expression inconvenante. Angelo étoit pieux
sans être superstitieux ; il observoit exactement tous les préceptes de la
religion, et ne croyoit pas qu'il fût au−dessous de lui, de donner en cela
l'exemple à sa famille. Sa parole, et ce qu'il avoit résolu après de mûres
réflexions, étoient immuables, et rien ne pouvoit le détourner de son
dessein. Il conserva toujours le costume de son pays ; c'étoit une espèce
d'habit fort simple, à la turque, et presque toujours d'une blancheur
éblouissante, qui relevoit avec avantage la couleur noire et brillante de sa
peau. Son portrait, gravé à Ausbourg, se trouve dans la galerie de
Lichtenstein.
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE V. 74
CHAPITRE VI.
Talens des Nègres pour les arts et métiers.
Sociétés politiques organisées par les Nègres.
Bosman, Brue, Barbot, Holben, James−Lyn, Kiernau, Dalrymple, Towne,
Wadstrom, Falconbridge, Wilson, Clarkson, Durand, Stedman,
Mungo−Park, Ledyard, Lucas, Houghton, Horneman [V. Abstract of the
evidence, etc., p. 89. Clarkson, p. 125. Stedman, c. XXVI. Durand, p. 368
et suiv., etc., etc. Histoire de Loango, par Proyart, p. 107. Mungo−Park, t.
II, p. 35, 39 et 40, etc.], qui tous connoissent les Noirs, qui, presque tous,
ont vécu en Afrique, rendent témoignage à leurs talens industriels ; et
Moreau Saint−Méry les croit capables de réussir dans les arts mécaniques
et libéraux [V. Description topographique de Saint−Domingue, t. I, p. 90.].
Compulsez les auteurs qu'on vient de citer, ouvrez l'Histoire générale des
Voyages par Prévôt, l'Histoire universelle par des Anglais, les dépositions
faites à la barre du parlement ; tous parlent delà dextérité avec laquelle les
Nègres tannent et teignent les cuirs, préparent l'indigo et le savon, font des
cordages, de beaux tissus, de belles poteries, quoiqu'ils ne connoissent pas
l'usage du tour ; des armes blanches et des instrumens aratoires d'une
bonne qualité, de très−beaux ouvrages en or, en argent, en acier ; ils
excellent surtout dans le filigrane [V. Prevot, t. I, p. 3, 4 et 5, etc., éd. in 4°.
Hist. univers, t. XVII, c. VII, etc. Beaver, p. 327.]. Un des traits le plus
frappans, est l'adresse avec laquelle des Nègres parviennent à construire
une ancre de vaisseau [V. Prevot, t. II, p. 421.]. A Juida, ils font d'un seul
morceau d'ivoire de très−belles cannes qui ont près de deux mètres de
longueur [V. Description de la Nigritie, par P.D.P. (Pruneau de Pomme
Gouje), in−8°, Paris 1789.].
Dickson, qui a connu parmi eux des orfèvres et des horloger habiles, parle
avec admiration d'une serrure en bois, exécutée par un Nègre [V. Dickson,
p. 74.]. Dans une savante Dissertation sur les briques flottantes des
anciens, par Fabbroni, je trouve ce passage : «Comment concevoir la
manière dont les anciens habitans de l'Irlande et des Orcades, pouvoient
CHAPITRE VI. 75
construire des tours de terre, et les cuire sur place ? C'est cependant ce que
quelques Nègres de la côte d'Afrique pratiquent encore [V. le Magasin
encyclop., n° II, 1er brumaire an 7, p. 335.].»
Golberry, qui s'étend plus que les autres voyageurs sur l'industrie africaine,
reconnoît que les étoffes fabriquées par eux, sont d'une finesse et d'une
beauté rares. Les plus adroits, sont les Mandingoles et les Bamboukains.
Leurs jarres, leurs nattes sont d'un goût exquis ; avec les mêmes outils ils
exécutent les ouvrages en fer les plus grossiers, et les ouvrages en or les
plus élégans ; ils amincissent les cuirs au point de les rendre souples
comme du papier ; le seul instrument qu'ils emploient, est un couteau fort
simple, qui leur suffit pour des travaux délicats [V. Fragment d'un voyage,
etc., t. I, p. 413 et suiv. ; et t. II, p. 380, etc.].
Les mêmes observations s'appliquent aux Nègres de Malacca et d'autres
parties des Indes. On envoie des esclaves noirs et blancs à Manille.
Sandoval, qui les a fréquentés, assure que tous sont doués d'une grande
aptitude, surtout pour la musique ; leurs femmes excellent dans les
ouvrages à l'aiguille [V. Sandoval, part. I, t. ii, c. xx, p. 205.]. Lescalier, en
voyageant dans le continent asiatique, a trouvé que les Nègres à cheveux
longs sont très−instruits, parce qu'ils ont des écoles. Comme les autres
Indiens, ils fabriquent les mousselines recherchées que ce pays envoie en
Europe. La France, disoit un autre voyageur, est pleine des étoffes faites
par les esclaves noirs [V. Journal d'un voyage aux Indes, sur l'escadre de
du Quesne, t. II, p. 214.].
En lisant Winterbottam, Ledyard, Lucas Houghton, Mungo−Park et
Horneman, on voit, que les habitans de l'Afrique intérieure, plus moraux,
plus avancés dans la civilisation que ceux des côtes, les surpassent encore
à travailler la laine, le cuir, le bois et les métaux, à tisser, teindre et coudre.
Outre les travaux des champs, qui les occupent beaucoup, ils ont des
manufactures et fondent le minerai. Les habitans du pays de Houssa qui,
selon Horneman, sont le peuple le plus intelligent de l'Afrique, donnent
aux instrumens tranchans une trempe plus fine que les Européens ; leurs
limes sont supérieures à celles de France et d'Angleterre [V. Mungo−Park,
t. II, p. 35, 39−40. The Journal of Frederic Horneman Travels, in−4°,
London 1802, p. 33 et suiv.].
Ces détails font déjà pressentir ce qu'on doit penser quand, pour ravaler les
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VI. 76
Noirs, Jefferson nous dit que jamais on ne vit chez eux une nation
civilisée. Un problème non résolu, jusqu'à présent, mais non pas insoluble,
c'est la manière de concilier le développement de toutes les facultés
intellectuelles, de tous les talens, sans laisser germer cette corruption que
les arts d'agrémens traînent, je ne dis pas inévitablement, mais
constamment à leur suite.
Quoi qu'il en soit, en nous bornant à l'acception que présente l'idée de
sociabilité, c'est−à−dire, d'aptitude à vivre avec les hommes en rapport de
services mutuels ; l'idée d'un état policé qui a une forme constituée de
gouvernement et de religion, un pacte conservateur des personnes, des
propriétés, et qui place sous la sauvegarde des loix, ou des usages ayant
force de loi, l'exercice des travaux agricoles, industriels et commerciaux ;
qui pourroit disputer à plusieurs peuples noirs la qualité de civilisés ?
Seroit−ce à ceux dont parle Léon l'Africain qui, dans les montagnes, ont
quelque chose de sauvage, mais qui, dans les plaines, ont bâti des villes où
ils cultivent les sciences et les arts ? Une relation insérée dans la collection
de Prevôt, les dépeint comme plus avancés que beaucoup de nations
européennes [V. Prevot, t. IV, p. 283.].
Bosman, qui trouva le pays d'Agonna très−bien gouverné par une femme
[V. Bosman, lettre 5.], s'enthousiasme à l'aspect de celui de Juida, du
nombre des villes, de leurs moeurs, de leur industrie. Plus d'un siècle après,
son récit a été confirmé par Pruneau−de−Pomme−Gouje, qui exalte
l'intrépidité et l'habilité des Judaïques [V. Description de la Nigritie, par D.
P. in−8°, Paris 1789.]. Les détails de la vie présentent chez eux une
complication d'étiquettes et de civilités plus étendues qu'à la Chine ; la
supériorité de rang y a bien, comme partout, ses prétentions orgueilleuses,
mais les personnes d'égale condition qui se rencontrent, s'agenouillent et se
bénissent [Bosman, lettre 18.]. Sans approuver ce cérémonial minutieux, il
faut cependant y reconnoître les traits d'une nation qui a franchi la
barbarie.
Deniau, consul français, qui a résidé treize ans à Juida, m'assuroit que le
gouvernement de cette contrée peut rivaliser, en astuces diplomatiques,
avec ceux d'Europe, qui ont perfectionné cet art funeste. Que de preuves en
offre la conduite de cette fameuse Gingha ou Zingha, reine d'Angola,
morte en 1663, à quatre−vingt−deux ans, à qui un esprit éminent, et une
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VI. 77
intrépidité féroce assurent une place dans l'histoire. Comme la plupart des
grands criminels de son rang, elle voulut, dans sa vieillesse, expier ses
forfaits par des remords qui ne rendoient pas la vie aux malheureux qu'elle
avoit fait périr.
En partant des idées reçues parmi nous, communément on croit qu'un
peuple n'est pas civilisé, s'il n'a des historiens et des annales. Nous ne
prétendons pas mettre les Nègres au niveau de ceux qui, héritiers des
découvertes de tous les âges, y ajoutent les leurs ; mais peut−on inférer de
là que les Nègres sont incapables d'entrer en partage du dépôt des
connaissances humaines ? Si, par la raison qu'on ne possède pas, on étoit
inhabile à posséder, les descendans des anciens Germains, Helvétiens,
Bataves et Gaulois, seroient encore barbares ; car il fut un temps où ils
n'avoient pas même l'équipement des Quipas du Mexique, ni des Hurons
runiques de la Scandinavie. Qu'avoient−ils donc ? Des traditions vagues et
défigurées par le cours des siècles, comme en ont toutes les peuplades
nègres ; et, néanmoins, ils avoient, comme tous les Celtes dont ils faisoient
partie, une existence et des confédérations politiques, un gouvernement
régulier, des assemblées nationales, et surtout leur liberté.
Nous conviendrons, avec l'historien de la Jamaïque, que l'état de la
législation dans chaque pays, peut indiquer (seulement à quelques égards)
le degré de civilisation ; car, en appliquant cette mesure à l'Angleterre sa
patrie, on pourroit lui demander si la loi non abrogée, qui autorise un mari
à vendre sa femme, est un symptôme de civilisation perfectionnée ? La
même question peut être faite sur les lois néroniennes, qui réduisent les
catholiques d'Irlande au rang des Ilotes. Malgré les tâches qui déparent la
constitution britannique, on ne peut lui ôter l'avantage d'être une de celles
qui savent le mieux allier la sécurité de l'État avec la liberté individuelle ;
sous des formes moins compliquées, la même chose existe chez plusieurs
de ces nations noires, à qui Long refuse la faculté de combiner des idées
[V. f. II, p. 377 et 378.]. Sur la plupart des côtes d'Afrique, il y a une foule
de royaumes qu'on pourroit appeler microscopiques, où le chef n'a que
l'autorité d'un père de famille [Beaver, p. 328.]. Dans Gambie, le Boudou
et d'autres petits États, le gouvernement est monarchique, mais l'exercice
du pouvoir y est tempéré par les chefs des tribus, sans l'avis desquels il ne
peut faire la guerre ni la paix [V. Mango−Park, p. 128.].
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VI. 78
Les laborieux Daccas qui occupent la pointe fertile du Cap−Verd, sont
organisés en république ; quoique séparés par des sables arides du roi de
Damel, ils sont souvent en guerre avec lui.
Quand le roi de Damel se brouilla avec le gouvernement du Sénégal, dont
il ne recevoit plus de coutumes, et qu'il traita avec les Anglais, récemment
établis à Gorée, il leur proposa de l'aider à réduire ce peuple. Pour les
stimuler, il alléguoit que les Daccas n'étoient pas comme les autres Nègres
soumis à un chef, mais libres comme l'étoient les Français. Ce trait de
diplomatie africaine m'a été communiqué par Broussonnet.
Voilà donc des peuples qui ont saisi les idées compliquées de constitution,
de gouvernement, de traités et d'alliances ; s'ils n'ont pas approfondi
davantage ces notions politiques, c'est qu'il falloit naître.
Dans l'empire de Bornou, la monarchie, dit le voyageur Lucas, est élective,
ainsi que le gouvernement, de Kachmi. Quand le chef est mort, on confie à
trois anciens ou notables, le droit de choisir son successeur parmi les
enfans du décédé, sans égard à la primogéniture. L'élu est conduit par les
trois anciens devant le cadavre du défunt, dont on prononce l'éloge ou la
condamnation, suivant qu'il l'a mérité, et l'on annonce au successeur qu'il
sera heureux ou malheureux, selon le bien ou le mal qu'il fera au peuple.
Des usages semblables existent chez les peuples voisins [V. Lucas, t. I, p.
190 et suiv.].
Ici se place naturellement l'anecdote suivante. Le commandant d'un fort
portugais, qui attendoit l'envoyé d'un roi africain, ordonne les préparatifs
les plus somptueux, pour lui en imposer par le prestige de l'opulence.
L'envoyé arrive ; il est introduit dans un salon magnifiquement décoré ; le
commandant est assis sous un dais, on n'offre pas même un siège à
l'ambassadeur nègre ; il fait un signe, à l'instant deux esclaves de sa suite
se placent à genoux, et les mains à terre sur le parquet ; il s'assied sur leur
dos. Ton roi, lui dit le commandant, est−il aussi puissant que celui du
Portugal ? Mon roi, répond le Nègre, a cent serviteurs qui valent le roi de
Portugal, mille comme toi, un comme moi.... et il part [Anecdote racontée
par Bernardin−Saint−Pierre. L'auteur des Anecdotes africaines rapporte la
même chose Zingha ; il ajoute que quand elle se leva, l'esclave étant restée
dans la même posture, on le lui fit observer ; elle répondit : La soeur d'un
roi ne s'assied jamais deux fois sur le même siège ; il reste à la maison dans
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VI. 79
laquelle elle l'a occupé.]. Sans doute la civilisation est presque nulle dans
plusieurs de ces États nègres, où l'on ne parle du roitelet qu'à travers une
sarbacane ; où quand il a dîné, un héraut annonce qu'alors les autres
potentats du monde peuvent dîner à leur tour. Ce n'est qu'on barbare, ce roi
de Kakongo qui, réunissant tous let pouvoirs, juge toutes les causes, avale
une coupe de vin de palmier à chaque sentence qu'il prononce, sans quoi
elle seroit illégale, et termine quelquefois cinquante procès dans une
séance [V. Hist. de Loango, etc.]. Mais ils furent aussi barbares les
ancêtres des Blancs civilisés ; comparez la Russie du quinzième siècle, et
celle du dix−neuvième.
On vient d'établie que dans les régions africaines, il est des États où l'art
social a fait des progrès. De nouvelles preuves vont élever cette vérité
jusqu'à l'évidence.
Les Foulahs, dont le royaume est d'environ soixante myriamètres de
longueur, sur trente−neuf de largeur, ont des villes assez populeuses.
Temboo, la capitale, a sept mille habitans ; l'Islamisme, en y répandant ses
erreurs, y a introduit des livres, la plupart concernant la religion et la
jurisprudence. Temboo, Laby, et presque toutes les villes des Foulahs, et
de l'empire de Bornou, ont des écoles [V. Lucas et Ledyard, t. I, p. 190 et
suiv. V. Substance of the report, p. 136.]. les Nègres, au rapport de
Mungo−Park, aiment l'instruction ; ils ont des avocats pour défendre les
esclaves traduits devant des tribunaux [V. Mungo−Park, p. 13 et p. 37.],
car la domesticité est inconnue chez eux, mais l'esclavage y est très−doux.
Ce voyageur trouva de la magnificence au sein de l'Afrique, à Ségo, ville
de trente mille ames, quoiqu'inférieure en tout à Jenne, à Tombuctoo et à
Houssa.
Aux nations africaines, dont on vient de parler, doivent être joints les
Boushouanas, visité par Barrow, qui vante l'excellence de leur caractère, la
douceur de leurs moeurs, et le bonheur dont ils jouissent. Ils ont aussi
franchi les bornes qui séparent le sauvage de l'homme civilisé, et leur
perfectionnement moral est tel, que des missionnaires chrétiens pourroient
exercer utilement leur zèle dans ce pays. Likakou, leur capitale, ville de dix
à quinze mille ames, est située à cent vingt−cinq myriamètres du Cap, le
gouvernement est patriarchal, le chef a droit de désigner son successeur ;
mais en tout il agit d'après les voeux du peuple, que lui transmet son
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VI. 80
conseil composé de vieillards ; car chez les Boushouanas la vieillesse et
l'autorité sont encore comme chez les anciens peuples, des expressions
synonymes [V. Voyage à la Cochinchine, etc., t. I, p. 289 et suiv.]. Il est
affligeant que des contre−temps, dont Barrow donne le détail, l'ayent
empêché d'aller chez les Barrolous, qu'on lui a peints comme plus avancés
dans la civilisation, qui n'ont aucune idée de l'esclavage, et chez lesquels
on trouve de grandes villes, où divers arts sont florissans [Ibid., p. 319 et
suiv.]. J'oubliois de dire, d'après Golberry, qu'en Afrique on ne voit pas un
seul mendiant, excepté les aveugles,qui vont réciter des passages du Coran,
ou chanter des couplets [V. Fragment d'un voyage, etc., t. II, p. 400.].
Des colons reprochent aux Nègres marrons, si improprement appelés
rebelles, soit de Surinam, soit de la montagne bleue à la Jamaïque, de
n'avoir pas organisé un État qui, en restreignant la liberté individuelle,
assureroit la liberté sociale. Tout ce qu'on vient de lire est une réponse
anticipée à cette objection. Se pourroit il que les arts de la paix fussent
cultivés par une troupe fugitive, toujours cachée dans les forêts et les
marais, toujours occupée à se nourrir et à se défendre contre ses
oppresseurs, qui sont les véritables révoltés ?... oui, révoltés contre tous les
sentimens de la justice et de la nature. On objectera peut−être encore que
les Nègres de Haïti n'ont pu, jusqu'à présent, asseoir parmi eux une forme
stable de gouvernement, et qu'ils se déchirent de leurs propres mains. Mais
dans le cours orageux de notre révolution, sacrée dans ses principes,
calomniée par ceux dont les efforts sont parvenus à la dénaturer dans sa
marche et ses résultats, n'a t−on pas vu tous les genres de cruauté ?
N'avoit−on pas, suivant l'expression d'un député, mis la nation en coupe
réglée, et allumé un volcan qui a dévoré plusieurs générations ? La main de
l'étranger a souvent agité parmi nous les tisons de la discorde ; c'est un fait
qui n'est pas problématique. En 1807, un écrivain anglais maudissoit
encore la perversité rafinée, par laquelle les gouvernemens européens ont,
dit−il, vicié et infernalisé l'esprit de cette révolution française, dont le but
étoit louable, mais qu'ils ont envisagée comme Satan envisageoit le paradis
[V. Le Critical Review, avril 1807, p. 369.]. Qui peut douter que des mains
étrangères n'en ayent fait autant à Saint−Domingue ? Six mille Nègres et
Mulâtres se joignirent autrefois aux Caraïbes, concentrés dans les îles de
Saint−Vincent et la Dominique. Ces Caraïbes noirs, sont robustes et fiers
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VI. 81
de leur indépendance [V. De l'influence de la découverte de l'Amérique sur
le bonheur du genre humain, par Le Gentil, in−8°, Paris 1788, p. 74 et
suiv.] ; toutes les données acquises sur leur compte par des hommes qui les
ont fréquentés, portent à croire que leur état social se perfectionneroit
rapidement, s'ils ne redoutoient avec raison la rapacité de l'Europe, et s'ils
pouvoient goûter en paix les fruits de leurs champs qu'ils auroient cultivés
sans trouble. Depuis un siècle, ils luttent sans relâche contre les élémens et
les tyrans. La province de Fernanbouc, dans l'Amérique méridionale, a vu
un corps politique formé par des Nègres, que Malte−Brun appelle encore
rebelles, révoltés, dans un Mémoire curieux sur le Brésil, d'après Barloeus
et Rochapitta, l'un Hollandais, l'autre Portugais, et qui est inséré dans sa
Traduction de Barrow [Gaspari Barlaei, rerum per Octennium in Brasilia
gestarum historia, in−fol., 1647, Amsterdam, p. 243, etc. Rocha pitta,
America portugueza, l. VIII. Voyage à la Cochinchine, t. I, p. 218 et suiv.].
Entre les années 1620 et 1630, des Nègres fugitifs, unis à quelques
Brasiliens, avoient formé deux États libres, le grand et le petit Palmarès,
ainsi nommés de la quantité de palmiers qu'ils avoient plantés. Le grand
Palmarès fut presqu'entièrement détruit par les Hollandais en 1644.
L'historien portugais, qui paroît avoir ignoré, dit Malte−Brun, l'ancienne
origine de ces peuplades, prend leur restauration en 1650, pour leur
commencement réel.
A la fin de la guerre avec les Hollandais, les esclaves du voisinage de
Fernanbouc, accoutumés aux souffrances et aux combats, résolurent de
former un établissement qui assurât leur liberté. Quarante, d'entr'eux, en
devinrent les fondateurs, et bientôt leur troupe se grossit par une multitude
d'autres Nègres et Mulâtres. Mais n'ayant pas de femmes, ils exécutèrent,
sur une vaste étendue de pays, un enlèvement pareil à celui des Sabines.
Devenus formidables à tout le voisinage, les Palmaresiens adoptèrent une
forme de culte qui étoit, si on peut le dire, une parodie du christianisme ;
ils créèrent une constitution, des loix, des tribunaux, choisirent un chef
nommé Zombi, c'est−à−dire, puissant, dont la dignité étoit à vie, mais
élective ; ils fortifièrent leurs villages placés sur des éminences, et
spécialement leur capitale, dont la population étoit de vingt mille ames ; ils
élevoient des animaux domestiques et beaucoup de volailles. Barloeus
décrit leurs jardins, leur culture de cannes à sucre, de patates, de manioc,
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VI. 82
de millet, dont la récolte étoit signalée par des fêtes et des chants joyeux.
Près de cinquante ans s'étoient écoulés sans qu'ils fussent attaqués ; mais
en 1696, les Portugais combinèrent une expédition pour surprendre les
Palmaresiens. Ceux−ci, ayant leur Zombi ou chef à leur tête, firent des
prodiges de valeur ; enfin, subjugués par des forces supérieures, les uns se
donnèrent la mort pour ne pas survivre à la perte de leur liberté ; les autres,
livrés à la rage des vainqueurs, furent vendus et dispersés : ainsi s'éteignit
une république qui pouvoit révolutionner le nouveau Monde, et qui étoit
digne d'un meilleur sort.
A la fin du dix−septième siècle, l'iniquité détruisit la colonie de Palmarès.
A la fin du dix−huitième, la justice et la bienveillance ont créé celle de
Sierra−Leone, dont on va parler.
Dès l'an 1751, Franklin avoit établi en principe, que le travail d'un homme
libre coûte moins cher, et produit plus que celui d'un esclave. Smith et
Dupont de Nemours, développèrent cette idée par des calculs détaillés, l'un
dans ses Recherches sur la richesse des nations ; l'autre, dans le sixième
volume des Ephémérides du citoyen, publié en 1771. Il y consigna, le
premier, le projet de remplacer la traite, et de porter la civilisation au sein
de l'Afrique, en formant sur les côtes des établissemens de Nègres libres,
pour y cultiver les denrées coloniales.
Cette idée saisie par Fothergil, a été reproduite par Demanet, Golberry,
Postleth−Wright qui, dans les deux éditions de son Dictionnaire de
commerce, s'est montré successivement l'antagoniste et l'apologiste des
Nègres ; Pruneau−de−Pomme−Gouje qui, ayant eu le malheur de faire la
traite, en demande pardon à Dieu et au genre humain ; Pelletan, qui regarde
cette colonisation comme le moyen assuré de changer la face de ces
contrées désolées ; Wadstrom qui a publié le résultat de son voyage en
Afrique avec Sparrman. Mais déjà le docteur Isert avoit tenté de l'exécuter
à Aquapin, sur les rives de la Volta ; et dans ses lettres, il fait un tableau
touchant des moeurs de ses colons nègres. Il a eu des successeurs dans la
direction de cet établissement, dont j'ignore la situation actuelle.
En 1792, les Anglais voulurent former une colonie libre à Bulam. Cette
tentative échoua comme celle de Cayenne avoit échoué en 1763, et par les
mêmes causes, plan vicieux, mauvaise exécution, imprévoyance. Beaver,
qui a publié en très−grand détail la relation de l'établissement commencé à
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VI. 83
Bulam, prouve la possibilité de la réussite, il en indique les moyens [V.
African memoranda, etc., p. 402.]. Par là même, son livre seroit une
réponse à Barré−Saint−Venant, qui révoque en doute cette possibilité, si
déjà celui−ci n'étoit réfuté par l'existence de la colonie formée à
Sierra−Leone.
Demanet ni Postleth−Waight n'avoient pas désigné le lieu qu'ils croyoient
propre à réaliser ce projet. Le docteur Smeathman choisit, entre les
huitième et neuvième degrés de latitude nord, Sierra−Leone, dont le sol est
fertile et le climat tempéré.
L'on obtint de deux petits rois voisins un territoire assez considérable.
Grandville−Sharp se concerta avec le comité de Londres pour le
soulagement des pauvres Noirs, alors présidé par le célèbre Jonas
Hanway ; ainsi les principaux coopérateurs sont, 1°. Smeathman, qui après
un séjour de quatre ans en Afrique, revenu en Europe pour prendre les
mesures relatives à son plan de colonies libres, mourut en 1786 ; il n'a
point écrit, mais sa conduite fut un modèle de vertus−pratiques, et on lui
doit cette maxime, qui vaut bien un gros livre : «Si chacun étoit persuadé
qu'on trouve son bonheur en travaillant à celui des autres, bientôt le genre
humain seroit heureux».
2°. Thorneton, qui avoit projeté de transporter d'Amérique en Afrique des
Nègres émancipés. 3°. Afzelius, botaniste, et Nordenskiold, minéralogiste,
l'un et l'autre Suédois ; le dernier est mort en Afrique, l'autre est
actuellement en Europe.
4°. Grandville−Sharp, qui, en 1788, envoya à ses frais un bâtiment de cent
quatre−vingt tonneaux au secours de Sierra−Leone ; précédemment il avoit
publié son plan de constitution et de législation pour les colonies [A short
sketch of temporary regulation for the intended settlement on the green
coast of Africa, etc.]. A ces noms respectables, il faut joindre
Willeberforce, Clarckson ; et d'autres hommes qui ont concouru à cette
entreprise, par leur argent, leurs écrits, leurs conseils ; ce sont les mêmes
dont le zèle éclairé et l'imperturbable persévérance ont enfin obtenu le bill
qui abolit la traite.
La législature y ajoutera sans doute des mesures d'exécution dont la
nécessité est démontrée par Willeberforce, dans sa lettre à ses commettans
de l'Yorkshire [V. A Letter on the abolition of the slave trade, addressed to
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VI. 84
the freeholders and others habitans of Yorkshire, by W. Wilberforce,
in−8°, London 1807.]. Cette abolition rappelera à jamais le trait le plus
honorable de sa vie publique. Il seroit digne de lui de tourner actuellement
ses regards vers cette île martyrisée depuis des siècles ; vers cette Irlande
où quatre millions d'individus sont frappés de l'exhérédation politique,
calomniés et persécutés comme catholiques, par le gouvernement d'une
nation qui a tant vanté la liberté et la tolérance. Si, malgré les orages
politiques qui dans les deux Mondes élèvent des barrières entre les
peuples, cet ouvrage arrive sous les yeux des honorables défenseurs de
l'espèce humaine dans d'autres contrées, plusieurs d'entre eux se
rappelleront avec intérêt que j'eus avec eux des liaisons dont le souvenir
m'est cher. Thomas Clarkson et Joël Barlow y liront, que par de là les mers
ils ont un ami aussi invariable dans ses affections que dans ses principes ;
mais revenons à Sierra−Leone. Un des articles constitutifs de cet
établissement en exclut les Européens, dont en général on redoute
l'influence corruptrice, et n'y admet que les agens de la compagnie. La
première embarcation, en 1786, étoit composée de quelques Blancs
nécessaires à la direction de l'établissement, et de quatre cents Nègres.
Cette tentative eut très−peu de succès, jusqu'à ce qu'elle fit place à une
autre fondée sur de meilleurs principes, et qui fut incorporée par un acte du
Parlement, en 1791. L'année suivante on y transporta onze cent trente−un
Noirs de la nouvelle Écosse, qui, dans la guerre d'Amérique, avoient
combattu pour l'Angleterre. Plusieurs d'entre eux étoient de Sierra−Leone ;
ils revirent avec attendrissement la terre natale d'où ils avoient été arrachés
dans leur enfance ; et comme les peuplades voisines venoient quelquefois
visiter la colonie naissante, une mère très−âgée reconnut son fils, et se
précipita dans ses bras en fondant en larmes ; bientôt des indigènes de cette
côte se réunirent à ceux qu'on avoit ramenés de la nouvelle Écosse.
Quelques−uns de ceux−ci sont bons canonniers ; mais ce qui vaut mieux,
tous montrent de l'activité, de l'intelligence pour les occupations
agronomiques et industrielles. Le chef−lieu Free−Town ou Ville−Libre,
avoit déjà, il y a dix ans, neuf rues et quatre cents maisons, ayant chacune
un jardin. Non loin de là s'élève Grandville−Town, du nom de l'estimable
philantrope Grand ville−Sharp.
Dès l'an 1794, on comptoit dans leurs écoles environ trois cents élèves,
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VI. 85
dont quarante natifs, doués presque tous d'une conception facile ; on leur
enseigne l'art de lire, d'écrire, de compter ; de plus aux filles les ouvrages
de leur sexe, aux garçons la géographie et un peu de géométrie.
La plupart des Nègres venus d'Amérique étant méthodistes ou baptistes, ils
ont des meeting−houses ou lieux d'assemblées, pour leur culte, et cinq ou
six prédicateurs noirs, dont la surveillance a contribué puissamment au
maintien du bon ordre. Les Nègres remplissent avec fermeté, douceur et
justice les fonctions civiles, entre autres celles du jury, car on l'a établi
dans cette colonie : ils se montrent même très−chatouilleux sur leurs droits.
Le gouverneur ayant infligé de sa propre autorité quelques punitions, les
condamnés déclarèrent qu'ils vouloient être jugés par leurs pairs, après le
verdict. En général, ils sont pieux, sobres, chastes, bons époux, bons pères,
donnent des preuves multipliées de sentimens honnêtes ; et malgré les
événemens désastreux de la guerre [En 1794, une escadrille française,
occupée à détruire les établissemens anglais sur la côte occidentale
d'Afrique, détruisit, en partie, la colonie de Sierra−Leone. Ce fait a été un
titre d'inculpations graves. En 1796, j'ai lu à l'Institut un mémoire où, après
avoir compulsé les registres du commandant de l'escadrille, j'ai prouvé que
son attaque dirigée contre Sierra−Leone, étoit le fruit d'une erreur. Il
croyoit que c'étoit une entreprise purement mercantile, et non un
établissement philanthropique. Ce mémoire a été publié dans la Décade
philosophique, n° 67, et ensuite imprimé séparément. La colonie de
Sierra−Leone, ruinée une seconde fois pendant la guerre, a lutté contre ses
malheurs, et s'est rétablie.], et des élémens qui ont ravagé cette colonie, on
y goûte presque tous les avantages de l'état social. Ces faits sont extraits
des rapports que publie annuellement la compagnie de Sierra−Leone [V.
Substance of the report, delivered by the court of direction of Sierra−Leone
company, etc. ; et particulièrement celui de l'an 1794, p. 55 et suiv.], et
dont la collection m'a été remise par le célèbre Willeberforce. En octobre
de l'an 1800, la colonie s'accrut par un envoi de Marrons de la Jamaïque,
qu'on y déporta contre la foi du traité qu'ils avoient conclu avec le général
Walpole, et malgré ses réclamations [V. Dallas, t. II, p. 78, etc... Il paroît
que toutes choses égales d'ailleurs, les pays où l'on doit trouver le moins
d'énergie et d'industrie, sont ceux où la chaleur excessive porte à
l'indolence, où les besoins physiques, très−restreints par cette température,
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VI. 86
trouvent facilement à se satisfaire par l'abondance des denrées
consommables.
Il semble encore que, d'après ces causes, la servitude doit s'attacher aux
climats brûlans, et que la liberté, soit politique, soit civile, doit rencontrer
plus d'obstacles entre les tropiques que dans les latitudes plus élevées.
Mais qui pourroit ne pas rire de la gravité avec laquelle
Barré−Saint−Venant (que d'ailleurs j'estime) assure que les Nègres,
incapables de faire un seul pas vers la civilisation, seront «dans vingt mille
siècles ce qu'ils étoient il y a vingt mille siècles ; la honte, dit−il, et le
malheur de l'espèce humaine [V. Barré−Saint−Venant, p. 119.]». Tant de
faits accumulés réfutent surabondamment ce planteur si instruit de ce
qu'étoient les Nègres avant leur existence, et qui nous révèle
prophétiquement ce qu'ils seront dans vingt mille siècles.
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VI. 87
CHAPITRE VII.
Littérature des Nègres.
Willeberforce, de concert avec les membres de la société qui s'occupe de
l'éducation des Africains, a fondé pour eux une espèce de collège à
Clapham, distant de Londres d'environ deux myriamètres. Les premiers
qu'on y a placés sont vingt−un enfans envoyés par le gouverneur de
Sierra−Leone. J'ai visité cet établissement en 1802, pour m'assurer, par
moi−même, du progrès des élèves, et j'ai vu qu'entre eux et les Européens
il n'existoit de différence que celle de la couleur. La même observation a
été faite, 1°. à Paris, au collège de la Marche, où Coesnon, ancien
professeur de l'Université, avoit réuni un nombre d'enfans nègres. Plusieurs
membres de l'Institut national qui ont, comme moi, examiné et suivi les
élèves dans les détails habituels de la vie, dans les cours particuliers, dans
les exercices publics, confirmeront mon témoignage. 2°. Elle a été faite à
l'école des Nègres de Philadelphie, par un homme calomnié avec
acharnement, puis assassiné judiciairement, Brissot[V. ses Voyages, t. II,
p. 2.], citoyen d'une probité rigide, qui est mort pauvre comme il avoit
vécu. 3°. Elle a été faite à Boston, par le consul français Giraud, sur une
école de quatre cents Noirs qui sont élevés séparément. La loi autorise leur
mélange avec les petits Blancs ; mais ceux−ci les tourmentoient par suite
d'une prévention héréditaire qui n'est point encore totalement effacée, et
qui, à partir des principes de la droite raison, n'est flétrissante que pour les
Blancs, flétrissante surtout pour les loges de francs−maçons de cette ville ;
elles fraternisent entre elles, mais elles n'ont jamais visité la loge africaine.
Une seule fois, elle a été placée sur la même ligne, lorsqu'au service
funèbre pour Washington, elle fit partie du cortège.
Dans la foule des auteurs qui reconnoissent chez les Nègres les facultés
intellectuelles, aussi susceptibles de développement que chez les Blancs,
j'avois oublié de citer Ramsay [V. Objections to the abolition of the slave
trade with answers, etc, by Ramsay, in−8°, London 1778.], Hawker
CHAPITRE VII. 88
[Sermon, in−4°, 1789.], Beckford [V. Remarks upon the situation of the
Negroes in Jamaica, in−8°, London 1788, p. 84 et suiv.] ; il prétendoit ce
bon Wadstrom qu'à cet égard les Noirs ont la supériorité [V. Observations
on the slave trade, in−8°, London 1789.] ; et l'ancien consul américain
Skipwith est du même avis.
Clenard comptoit à Lisbonne plus de Maures et de Nègres que de Blancs,
et ces Noirs, disoit−il, sont pires que des brutes [V. Variétés littéraires,
in−8°, Paris 1786, t. I, p. 39.]. Les choses ont bien changé ; le savant
secrétaire de l'académie de Portugal, Correa de Serra, cite plusieurs Nègres
instruits, avocats, prédicateurs et professeurs qui, à Lisbonne, à Riojaneiro,
et dans les autres possessions portugaises, se sont signalés par leurs talens.
En 1717, le Nègre don Juan Latino enseignoit à Séville la langue latine ; il
vécut cent dix−sept ans [Fait communiqué par de Lasteyrie.]. La brutalité
de ces Africains dont parle Clenard, n'étoit que le résultat de l'oppression et
de la misère : lui−même reconnoît ailleurs leur aptitude. «J'enseigne, dit−il,
la littérature à mes esclaves nègres ; j'en ferai un jour des affranchis, et
j'aurai mon Diphilus comme Crassus, mon Tyron comme Ciceron ; ils
écrivent déjà fort bien, et commencent à entendre le latin ; le plus habile
me fait la lecture à table [Ibid., p. 88.]».
Lobo, Durand, Demanet, qui ont résidé long−temps, le premier en
Abyssinie, les autres en Guinée, trouvent aux Nègres un esprit vif et
pénétrant, un jugement sain, du goût, de la délicatesse [V. Durand, p. 58.
Demanet, Histoire de l'Afrique française, t. II, p. 3. Relation historique de
l'Abyssinie, par Lobo, in−4°, Paris 1728, p. 680.]. Divers écrivains ont
recueilli des reparties brillantes, des réponses vraiment philosophiques de
Noirs. Telle est la suivante, rapportée par Bryan−Edwards, d'un esclave
endormi que son maître réveilloit, en disant : N'entends−tu pas maître qui
appelle ? le pauvre Nègre ouvre les yeux et les referme aussitôt, en disant :
Sommeil n'a pas de maître.
Quant à leur intelligence pour les affaires, elle est bien connue dans le
Levant. Tel étoit Farhan, vendu au prince de l'Yemen, qui le fit gouverneur
de Loheia ; ses talens, sa prudence, ses vertus domestiques ont été célébrés
par Niebuhr, qui l'a connu. Michaud le père m'a dit avoir vu dans divers
ports du golfe Persique, des Nègres à la tête de grandes maisons de
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VII. 89
commerce, recevant des envois, expédiant des bâtimens sur toutes les côtes
de l'Inde. Il avoit acheté à Philadelphie, et amené en France un jeune Nègre
de l'intérieur de l'Afrique, enlevé à un âge où déjà sa mémoire avoit
recueilli quelques notions géographiques sur le pays qui l'avoit vu naître.
Le naturaliste l'élevoit soigneusement, et se proposoit, après son éducation
finie, de le renvoyer dans son pays natal, comme voyageur, pour explorer
des contrées peu connues ; mais Michaud étant allé mourir sur les côtes de
Madagascar, son Nègre, qui l'avoit suivi, a été vendu impitoyablement.
J'ignore si l'on a fait droit aux réclamations de Michaud fils contre ce trait
d'inhumanité.
Quelquefois, chez les Turcs, les Nègres arrivent aux postes les plus
éminens ; les écrivains s'accordent à citer le Kislar−Aga, ou chef des
eunuques noirs de la Porte, en 1730, comme un homme d'une sagesse
profonde et d'une expérience consommée [V. Observations sur la religion,
les loix, les moeurs des Turcs, traduit de l'anglais, par M.B., Londres 1769,
p. 98.].
Adanson, étonné de voir les Nègres du Sénégal lui nommer un grand
nombre d'étoiles, et raisonner pertinemment sur les astres, assure qu'avec
de bons instrumens ils deviendroient bons astronomes [V. Voyage au
Sénégal, p. 149.].
Sur divers points de la côte il y a des Nègres sachant deux ou trois langues,
et faisant les fonctions d'interprètes [V. Clarckson, p. 125.]. En général ils
ont la conception rapide, et jouissent d'une mémoire surprenante. Villaut,
Barbot, et d'autres voyageurs en font la remarque [V. Prevot, t, IV, p.
198.]. Stedman a connu un Nègre qui savoit le Coran par cour ; on raconte
la même chose de Job−ben−Saiomon, fils du roi mahométan de Bunda, sur
la Gambie. Salomon, pris en 1730, fut conduit en Amérique, et vendu dans
le Maryland. Une suite d'aventures extraordinaires, qu'on peut lire dans le
More−lak, le conduisirent en Angleterre, où son air de dignité, la douceur
de son caractère, et ses talens lui firent des amis, entre autres le chevalier
Hans−Sloane, pour lequel il traduisit divers manuscrits arabes. Après avoir
été accueilli avec distinction à la cour de Saint−James, la compagnie
d'Afrique, qui s'y intéressoit, le fit reconduire à Bunda en 1734. Un oncle
de Salomon lui dit en l'embrassant :
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VII. 90
Depuis soixante ans tu es le premier que j'aye vu revenir des îles
américaines. Salomon écrivit à ses amis d'Europe et du nouveau Monde,
des lettres qui furent traduites et lues avec intérêt. Son père étant mort, il
lui succéda, et se fit aimer dans ses États [V. le More−lack (par le
Cointe−Marsillac), in−8°, Paris 1789, c. XV.].
Le fils du roi de Nimbana, venu en Angleterre pour faire ses études, avoit
embrassé avec un succès éclatant divers genres de sciences, et appris
l'hébreu pour lire la Bible en original. Ce jeune homme, qui donnoit de
grandes espérances, mourut peu de temps après son retour en Afrique.
Ramsay, qui a passé vingt ans au milieu des Nègres, leur attribue l'art
mimique à tel point qu'ils pourraient rivaliser, dit−il, avec nos Roscius
modernes.
Labat assure qu'ils sont naturellement éloquens. Poivre fut souvent étonné
par le talent des Madecasses, en ce genre, et Rochon a cru devoir insérer
dans son voyage de Madagascar, le discours d'un de leurs chefs, qu'on peut
lire avec plaisir, même après celui de Logan [V. Voyage à Madagascar et
aux Indes occidentales, par Rochon, in−8°, Paris, 3 vol., t. I, p. l73 et
suiv.].
Stedman, qui les croit capables de grands progrès, et qui leur accorde
spécialement le génie poétique et musical, énumère leurs instrumens à
corde et à bouche au nombre de dix−huit [V. Stedman, c. XXVI.] ; et
cependant on ne voit pas dans sa liste leur fameux balafou [D'autres disent
balafat ou balafo, et le comparent à une épinette.], formé d'une vingtaine
de tuyaux de bois dur qui vont en diminuant, et qui résonne comme un
petit orgue.
Grainger décrit une sorte de guitare inventée par les Nègres, sur laquelle ils
jouent des airs qui respirent une mélancolie douce et sentimentale [The
sugar cane, a poem, in four books, by James Grainger, in−4°, 1764.] ; c'est
la musique des coeurs affligés. La passion des Nègres pour le chant ne
prouve pas qu'ils soient heureux ; c'est l'observation de Benjamin Rush, qui
indique les maladies résultantes de leur état de détresse et de malheur [V.
American Museum, t. IV, p. 82.].
Le docteur Gall m'assurait qu'aux Nègres manquent les deux organes de la
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VII. 91
musique et des mathématiques. Quand sur le premier article, je lui
objectois qu'un des caractères les plus saillans des Nègres est leur goût
invincible pour la musique, en convenant du fait, il m'opposoit leur
incapacité de perfectionner ce bel art. Mais l'énergie de ce penchant
n'est−elle pas un signe incontestable de talent ? Il est d'expérience que les
hommes réussissent dans les études vers lesquelles une propension
décidée, une volonté forte les entraînent. Qui peut présager à quel point les
Nègres excelleront dans cette partie, quand les connoissances de l'Europe
entreront dans leur domaine ? peut−être auront−ils des Gluck et des
Piccini. Déjà Gossec n'a pas dédaigné de transporter, dans une pièce de
circonstance, le Camp de Grand−Pré, un air des Nègres de
Saint−Domingue.
La France eut jadis ses Trouvères et ses Troubadours, comme l'Allemagne
ses Min−Singer, et l'Écosse ses Minstrells. Les Nègres ont les leurs,
nommés Griots, qui vont aussi chez les rois faire ce qu'on fait dans toutes
les cours, louer et mentir avec esprit. Leurs femmes, les Griotes, font à peu
près le métier des Almées en Égypte, des Bayadères dans l'Inde [V.
Golberry, ibid.].
C'est un trait de conformité de plus avec les femmes voyageuses des
Troubadours. Mais ces Trouvères, ces Min−Singer, ces Minstrells furent
les devanciers de Malherbe, Corneille, Racine, Shakespeare, Pope, Gesner,
Klopstok, etc. Dans tout pays le génie est l'étincelle recélée dans le sein du
caillou ; dès qu'elle est frappée par l'acier, elle s'empresse de jaillir.
Au seizième siècle, Louise Labbé, de Lyon, surnommée la belle Cordière,
par allusion à l'état de son mari.
Au dix−septième siècle, Billaut, surnommé maître Adam, menuisier à
Nevers.
Hubert Pott, simple journalier en Hollande ; Beronicius, ramoneur de
cheminées dans le même pays, avoient présenté le phénomène du talent
poétique uni à des professions qui repoussent communément l'idée d'un
esprit cultivé ; le goût le plus sévère les maintient au Parnasse, quoiqu'il ne
leur assigne pas les premières places. Le voyageur Pratt proclame Hubert
Pott le père de la poésie élégiaque en Hollande [V. Pratt, t. II, p. 208.] ; et
dans l'édition donnée à Middelbourg des Oeuvres de Beronicius, l'estampe
placée au frontispice représente Apollon couronnant de lauriers le poëte
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VII. 92
ramoneur [Beronicius a fait des poésies latines ; son poëme en deux livres,
intitulé : Georgarchontomachia, ou Combat des paysans et des grands, a
été traduit en vers hollandais, et le tout a été réimprimé in−8°, à
Middelbourg, en 1766.].
De nos jours, un domestique de Glats, en Silésie, s'est fait remarquer par
ses romans [V. La Prusse littéraire, par Denina, article Peyneman.].
Bloomfield, valet de charrue, a publié des poésies imprimées plusieurs
fois, et dont une partie a été traduite dans notre langue [V. Contes et
Chansons champêtres, par Robert Bloomfield, traduit par de La Vaisse,
in−8º, Paris 1802.].
Greensted, servante à Maidstone, et une simple laitière de Bristol, Anne
Yearsley, se sont placées au rang des poëtes. Les malheurs des Nègres ont
été l'objet des chants de cette dernière, dont les oeuvres ont eu quatre
éditions. De même on a vu quelques−uns de ces Africains, que l'iniquité
voue au mépris, franchir tous les obstacles que cette situation leur
opposoit, et cultiver leur raison. Plusieurs sont entrés comme écrivains
dans la carrière littéraire.
Lorsqu'en 1787, Toderini publia trois volumes sur la littérature des Turcs
[Litteratura torchesca d'all 'abate Giambatista Toderini, 3 vol. in−8°,
Venezia 1787.], beaucoup de personnes qui doutoient s'ils en avoient une,
furent étonnées d'apprendre que Constantinople possède treize
bibliothèques publiques. La surprise sera−t−elle moindre à l'annonce
d'ouvrages composés par des Nègres et des Mulâtres ? Parmi ceux−ci, je
pourrois nommer Castaing, qui a montré du talent poétique, ses pièces
ornent divers recueils ; Barbaud−Royer, Boisrond, l'auteur du Précis des
Gémissemens des Sang−mêlés , Milscent, qui dans un de ses écrits a pris le
nom de Michel Mina, tous Mulâtres des Antilles ; et Julien Raymond,
également Mulâtre, associé de la classe des sciences morales et politiques
de l'Institut, pour la section de législation. Sans avoir la prétention de
justifier en tout la conduite de Raymond, on peut louer l'énergie avec
laquelle il a défendu les hommes de couleur et Nègres libres. Il a publié
une foule d'opuscules, dont la collection importante pour l'histoire de
Saint−Domingue, peut servir d'antidote aux impostures débitées par des
colons [V. surtout, la véritable origine des troubles de Saint−Domingue,
par Raymond.].
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VII. 93
J'aurois pu nommer la Négresse Belinda, née dans une contrée charmante
de l'Afrique ; elle y fut volée à douze ans, et vendue en Amérique.
Quoique pendant quarante ans j'aye servi, dit−elle, chez un colonel, mes
travaux ne m'ont obtenu aucun soulagement ; âgée de soixante−dix ans, je
n'ai pas encore joui des bienfaits de la création. Avec ma fille, je traîne le
reste de mes jours dans l'esclavage et la misère ; pour elle et pour moi, je
demande enfin la liberté. Telle est la substance du mémoire qu'elle adressa,
en 1782, à la législature de Massachusetts. Les auteurs de l'American
Museum [V. t. I, p. 538.] ont recueilli cette pièce écrite sans art, mais
dictée par l'éloquence de la douleur, et par là même plus propre à émouvoir
les coeurs.
J'aurois pu nommer encore César, Nègre de la Caroline du nord, auteur de
diverses pièces de poésies imprimées, et qui sont devenues des chants
populaires, comme celles du valet de charrue Bloomfield.
Les écrivains nègres sont en plus grand nombre que les Mulâtres, et ils ont
en général montré plus de zèle pour venger leur compatriotes africains ; on
en verra des preuves dans les articles d'Amo, Othello, Sancho, Vassa,
Cugoano, Phillis−Wheatley. Mes recherches m'ont mis à portée de faire
connoître d'autres Nègres, dont quelques−uns n'ont pas écrit, mais à qui la
supériorité de leurs talens et l'étendue de leurs connoissances ont acquis de
la renommée ; dans le nombre on trouvera seulement un ou deux Mulâtres.
Marcel, directeur de l'Imprimerie impériale, qui a donné au Caire une
édition de Loqman [V. Fables de Loqman, etc., in−8°, au Caire 1799.],
croit que ce fabuliste esclave étoit Abyssin ou Éthiopien ; conséquemment,
dit−il, un de ces Noirs à grosses lèvres et à cheveux crépus, tirés de
l'intérieur de l'Afrique ; que, vendu à des hébreux, il gardoit des troupeaux
en Palestine.
L'éditeur présume que Ésope, Aisopos, qui n'est guère qu'une altération du
mot Aithiops, Éthiopien, pourroit être le même que Loqman [V. La Notice
de l'éditeur, p. 10 et 11.] ; cette conjecture est trop vague. Parmi ces fables
qu'on lui attribue, la dix−septième et la vingt−troisième concernent des
Nègres ; mais l'auteur l'étoit−il ? C'est un Problème.
En partant de la même hypothèse, on pourroit joindre à Loqman tous les
Éthiopiens distingués dont l'histoire a conservé les noms, et surtout cet
abbé Grégoire qui, venu en Europe vers le milieu du dix−septième siècle,
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VII. 94
visita l'Italie, l'Allemagne, fut très−accueilli à la cour de Gotha, et périt
dans un naufrage, en voulant retourner dans sa patrie. Il a été trop vanté
peut−être par Fabricius, la Croze et Ludolphe [V. Salutaris lux Evangelii,
etc., par Fabricius, p. 176 et suiv. Histoire du christianisme des Iudes, par
la Croze, in−8°, la Haye 1739, p. 73. Jobi Ludolfi, Historia aÉthiopica,
in−fol., Francofurti ad Moenum 1681.] ; ce dernier acquittoit la dette de la
reconnoissance envers un homme qui lui avoit été très−utile pour
apprendre la langue et l'histoire d'Éthiopie. Dans son Commentaire sur
cette histoire, Ludolphe a inséré le portrait de l'abbé Grégoire, gravé par
Heiss en 1691, c'est vraiment la figure d'un Nègre [V. J. Ludolfi, ad suam
Historiam commentarius, in−fol., Francof. ad Moen. 1691, proemium 13.].
Tel étoit aussi le peintre Higiemond, sur lequel on va lire une notice.
Sonnerat assure que les peintres indiens n'entendent pas la perspective ni le
clair obscur, quoiqu'ils donnent un fini parfait à leurs ouvrages. Cependant
Higiemond ou Higiemondo, nommé communement le Nègre, étoit reconnu
pour un habile artiste qui, dans ses compositions, mettoit moins d'art que
de naturel.
C'est le jugement qu'en porte Joachim de Sandrart, dans son Academia
nobilissimoe artis pictoriae [V. in−fol., Norimbergae 1683, c. xv, p. 34.]. Il
l'appelle très−célèbre (clarissimus), et se félicite d'avoir de lui quelques
bons tableaux, mais il n'indique pas l'époque à laquelle il a vécu. L'épithète
nigrum, dans le texte latin de Sandrart, seroit insuffisante pour prouver que
Higiemond étoit Nègre, une foule de Blancs en Europe se nomment Le
Noir. Les doutes s'évanouissent en voyant la figure de Higiemond, gravée,
en 1693, par Kilian, et insérée dans les deux ouvrages de Sandrart ; le
premier, celui qu'on vient de citer [Ibid. p. 180.] ; le second, son traité
allemand, sous le titre italien, d'Academia Tedesca delle architectura,
scultura, pittura [3 vol. in−fol. Norimbergae. V. la seconde partie qui, dans
l'exemplaire de la Bibliothèque impériale de Paris, est reliée comme
première ; et la nouvelle édition faite également à Nuremberg, en 1774, t.
VI, p. 53, et t. VII, p. 194.].
Le savant de Murr révoque en doute l'existence de Higiemond. Ce nom,
dit−il, est étranger aux langues d'Afrique, comme à celles de la Chine, et ce
dernier pays n'a pas de Nègres. Parmi les peintres chinois les plus fameux,
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VII. 95
le P. du Halde cite Tong−Pech−Ho et Kjoh−She−Tchoh, sans parler de
Higiemond. Ce nom paroît emprunté d'un passage de Pline le naturaliste :
Apparet multo vetustiora, picturæ principia esse, eosque qui
monochromata finxerint (quorum aetas non traditur) aliquanto ante fuisse
Higiemonem, Diniam, Charmodam, etc. [Pline, l. xxxv, c. viii, §34.]»
Divers manuscrits portent Hygienontem, et Sandrart lui−même compte un
Hygiaenon parmi les premiers peintres de portrait.
De Murr en conclut que Sandrart, alors en Hollande, a été trompé par
quelque brocanteur qui, en lui vendant des peintures chinoises, aura jugé à
propos d'attribuer les meilleures à un nommé Higiemond [Lettre de M. de
Murr, etc., Nuremberg, 2 juin 1808.].
Je rends grâces au savant de Nuremberg, pour ses observations ; mais ce
qu'il allègue est−il autre chose qu'une conjecture ? Dans le peu que l'on
connoît des idiomes nègres, je ne vois rien, absolument rien qui repousse la
dénomination de Higiemond. Un marchand de tableaux aura donné sans
raison la qualité de chinois à un homme qui ne l'étoit pas, et dont le nom
presque identique à celui d'un peintre ancien, forme une coïncidence
comme tant d'autres. Cette explication est aussi plausible que la
supposition d'un brocanteur assez familiarisé avec les auteurs anciens, pour
emprunter de Pline le nom d'Higiemond, tandis qu'il pouvoit tout aussi
facilement en forger un autre.
Le talent n'est exclusivement attaché à aucun pays, à aucune variété
d'hommes. On a vu ici, en 1805, le premier peintre de la cour de Bade, qui
est un Calmouk, nommé Fedor, et j'ai sous les yeux une pièce de vers
anglais, dont l'objet est de célébrer le talent d'un peintre nègre des
États−Unis [V. Poems on various subjects, etc., by Phillis Wheatley,
in−12, Walpole 1803, p. 73 et suiv.]. C'est ici l'occasion peut−être de
rappeler qu'à Rome la peinture étoit un art interdit aux esclaves. Voilà
pourquoi, dit Pline l'ancien, on n'en connoît point qui se soient distingués
dans ce genre, ni dans la toreutique [V. Pline, l. xxxv, c. xvii ; et les
Mémoires de l'Académie des Inscriptions, t. XXXV, p. 345.].
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VII. 96
CHAPITRE VIII.
Notices de Nègres et de Mulâtres distingués
par leurs talens et leurs ouvrages.
Annibal, Amo, la Cruz−Bagay, Lislet−Geoffroy,
Derham, Fuller, Bannaker,
Othello, Cugoano, Capitein, Williams,
Vassa, Sancho, Phillis−Wheatley.
ANNIBAL. Le Czar Pierre Ier, dans le cours de ses voyages, eut occasion
de connoître le Nègre Annibal ou Hannibal, dont l'éducation fut cultivée, et
qui, sous ce monarque, devint en Russie lieutenant−général et directeur du
génie ; il fut décoré du cordon rouge de l'ordre de
Saint−Alexandre−Newski. Bernardin de Saint−Pierre, le colonel de la
Harpe, et l'historien de Russie, Lévêque, ont connu son fils mulâtre, qui
passoit pour un homme habile, et qui étoit, en 1784, lieutenant−général
dans le corps de l'artillerie : c'est lui qui, sous les ordres du prince
Potemkin, ministre de la guerre, commença l'établissement du port et de la
forteresse de Cherson, près l'embouchure du Dnieper.
AMO (Antoine−Guillaume), né en Guinée, fut amené très−jeune à
Amsterdam, en 1707, et donné au duc de Brunswick−Wolfembutel,
Antoine Ulric [C'est le même prince qui publia les raisons d'après
lesquelles il s'étoit déterminé à se faire catholique, dans un court mais
excellent ouvrage, intitulé en anglais : Fifty reasons or motives why the
roman catholic apostolic religion ought to be preferred to all the sects, etc.,
in−l2, London 1798.] qui le céda à son fils Auguste−Guillaume. Celui−ci
l'envoya faire ses études aux Universités de Halle, en Saxe, et de
Wittemberg.
Dans la première, en 1729, sous la présidence du chancelier de Ludwig, il
soutint une thèse, et publia une dissertation de jure Maurorum
[beschreibung des Saal−Creises, ou Description du cercle de la Saale,
in−fol., Halle 1749, t. II, p. 28. Je dois cette indication, et la plupart de
CHAPITRE VIII. 97
celles qui concornent Amo, à Blumenbach.].
Amo était versé dans l'astronomie et parloit le latin, le grec, l'hébreu, le
français, le hollandais et l'allemand.
Il se distingua tellement par ses bonnes moeurs et ses talens, que le recteur
et le conseil de l'Université de Wittemberg, crurent devoir, en 1733, lui
rendre un hommage public par une épître de félicitation ; ils rappellent que
Térence aussi étoit d'Afrique ; que beaucoup de martyrs, de docteurs, de
pères de l'église, sont nés dans ce même pays où les lettres étoient
florissantes, et qui, en perdant le christianisme, est retombé dans la
barbarie.
Amo donnoit avec succès des cours particuliers, dont la même épître fait
éloge : dans un programme publié par le doyen de la faculté de
philosophie, il est dit de ce savant Nègre, qu'ayant discuté les systèmes des
anciens et des modernes, il a choisi et enseigné ce qu'ils ont de meilleur
[Excussis tam veterum quam novorum placitis, optima quæque selegit,
selecta enucleate ac dilucide interpretatus est.].
Amo, devenu docteur, soutint, en 1734, à Wittemberg, une thèse, et publia
une dissertation sur les sensations considérées comme absentes de l'ame, et
présentes au corps humain [Dissertatio inauguralis philosophica de
humanæ mentis APATHEIA (grec) seu sensionis ac facultates sentiendi in
mente humana absentia, et earum in corpore nostro organico ac vivo
præsentia, quam præside, etc., publice defendit autor Ant. Guil. Amo,
Guinea−afer philosophiæ, ect. L. C. magister, etc., 1734, in−4°,
Wittenbergæ.
A la fin sont imprimées plusieurs pièces, entre autres les lettres de
félicitation du recteur, etc.]. Dans une lettre que lui écrit le président, il
l'appelle vir nobilissime et clarissime ; ainsi l'Université de Wittemberg
n'avoit pas, sur la différence de couleur, les préjugés absurdes de tant
d'hommes qui se prétendent éclairés. Le président déclare n'avoir fait
aucun changement à la Dissertation d'Amo, parce qu'elle est bien faite.
Effectivement, l'ouvrage annonce un esprit exercé à la méditation ; il
s'attache a établir les différences de phénomènes entre les êtres existans
sans vie, et ceux qui ont la vie ; une pierre existe, mais elle n'est pas
vivante.
Il paroît que les discussions abstruses avoient pour notre auteur un attrait
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VIII. 98
particulier, car, devenu professeur, il fit soutenir, dès la même année, une
thèse analogue à la précédente, sur le discernement à établir entre les
opérations de l'esprit et celles des sens [Disputatia philosophica continens
ideam distinctam carun quoe competunt vel menti vel corpori nostro vivo
et organico, quam consentiente amplissimorum philosophorum ordine
praeside M. Ant. Guil. Amo, Guinea−afer, defendit Joa. Theod. Mainer,
philos., et J.V. Cultor, in−4º, 1734, Wittenbergoe.]. La cour de Berlin lui
avoit conféré le titre de conseiller d'État [V. Le Monthly magazine, in−8º,
New−York 1800, t. I, p. 453 et suiv.] ; mais après la mort du prince de
Brunswick, son bienfaiteur, Amo, tombé dans une mélancolie profonde,
résolut de quitter l'Europe qu'il avoit habitée pendant trente ans, et de
retourner dans sa terre natale à Axim, sur la Côte−d'Or. Il y reçut, en 1753,
la visite du savant voyageur et médecin David−Henri Gallandat, qui en
parle dans les Mémoires de l'Académie de Flessingue, dont il étoit
Membre.
Amo, alors âgé d'environ cinquante ans, y menoit la vie d'un solitaire ; son
père et sa soeur existaient encore, et son frère étoit esclave à Surinam.
Quelque temps après, il quitta Axim, et s'établit à Chamat, dans le Fort de
la compagnie hollandaise de Saint−Sébastien [V. Verhandelingen
vitgegeven door het zeeuwsch genootschap der wetenschappen te
Vlissingen, in−8°, te Middelburg 1782, t. IX, p. 19 et suiv.].
J'ai fait d'inutiles recherches pour découvrir si Amo a publié d'autres
ouvrages, et à quelle époque il est mort.
bLacruz−Bagay/b. Les anciens habitans des Philippines étoient noirs, si
l'on en croit les auteurs qui ont parlé de ces îles, et surtout Gemelli Carreri.
Fût−il vrai qu'il n'ait voyagé que dans sa chambre, comme le pensent
quelques personnes, du moins il a rédigé son ouvrage sur de boas
matériaux, et il est reconnu pour véridique. Beaucoup de Noirs à cheveux
crépus, et très−passionnés pour la liberté, y vivent encore dans les
montagnes et les forêts. Ils ont même donné leur nom à l'île de Negros,
l'une de celles qui composent cet archipel. Quoique cette population se soit
mélangée de Chinois, d'Européens, d'Indiens, de Malais, la couleur
générale est la noire, et lorsqu'elle n'est pas assez foncée, les femmes qui,
dans tout pays appellent l'art au secours de la nature, et vont au même but
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VIII. 99
par des moyens divers, fortifient leur couleur pat l'emploi de différentes
drogues [V. Voyage autour du monde, traduit de l'italien de Gemelli
Carreri, in−12, Paris 1719, t. V, p. 64 et suiv. ; p. 135 et suiv. V. aussi
l'Encyclopédie méthodique, article Philippines.].
Entre les variétés qu'a produites le croisement des races, on distingue
spécialement les Tagales qui ont des conformités de stature, de couleur et
de langage avec les Malais ; si cette observation s'applique à Bagay, dont
je vais parler, on pourroit douter s'il étoit absolument Nègre, ou seulement
Sang−mêlé, je dois dénoncer moi−même mon incertitude. Carreri nomme
la langue tagale en tête de six qui sont le plus usitées dans ces îles ; il cite
le dictionnaire qu'en a fait un cordelier [Ibid., p. l42, 143] ; un autre
vocabulaire tagale, est imprimé dans le père Navarette ; un troisième a été
publié à Vienne, en 1803 [Ueber die tagalische sprache von Franz Carl
Alters, in−8°, Vienne 1803.].
En général on a peu de notions sur les Philippines ; il semblé que le
gouvernement espagnol ait voulu dérober à l'Europe la connoissance de
cette portion du globe, où il entretenoit une administration régulière, un
clergé nombreux, des colléges et des imprimeries ; mais du moins nous en
avons une carte tracée sur une grande dimension ; cette carte estimée et
très−curieuse, composée par le père Murello Velarde, jésuite, a été gravée
à Manille, par Nicolas de la Cruz−Bagay, Indien tagale [V. Carta
hydrographica y chorographica de las islas Filipinas, etc., hecha por el P.
Murillo Velarde, etc., en Manilla ano de 1734, esculpio Nicolas de la
Cruz−Bagay, Indio tagalo.]. C'est ce Bagay que je voulois amener sur la
scène. Une notice jointe à cette carte attribue aux naturels du pays,
beaucoup d'aptitude pour la peinture, la sculpture, la broderie et tous les
arts du dessin. Le travail de Bagay peut être allégué en preuve de cette
assertion. Cette carte a été réduite, en 1750, à Nuremberg, par Lowitz,
professeur de mathématiques.
Je manquerois à la reconnoissance, si je terminois cet article, sans
remercier Barbier du Bocage, qui m'a communiqué très−obligeamment ces
cartes et le dictionnaire tagale.
LISLET−GEOFFROY, Mulâtre au premier degré, est un officier attaché
au génie, et chargé du dépôt des cartes et plans de l'Ile−de−France. Le 23
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VIII. 100
août 1786, il fut nommé correspondant de l'académie des sciences, il est
désigné comme tel dans la Connoissance des temps pour l'année 1791,
publiée en 1789 par cette société savante, à laquelle Lislet envoyoit
régulièrement des observations météorologiques, et quelquefois des
journaux hydrographiques. La classe des sciences physiques et
mathématiques s'est fait un devoir de se rattacher comme correspondans et
associés, ceux de l'académie des sciences. Par quelle fatalité Lislet est−il le
seul excepté ? Seroit−ce à raison de sa couleur ? Je repousse un soupçon
qui seroit pour mes confrères un outrage. Certes, depuis vingt ans, loin de
démériter, Lislet s'est acquis de nouveaux titres à l'estime des savans.
Sa carte des îles de France et de la Réunion, dressée d'après les
observations astronomiques, les opérations géométriques de la Caille, et
les plans particuliers qui avoient été levés, a été publiée en 1797 (an 5), par
ordre du ministre de la marine, et m'a été donnée par Buache. Une nouvelle
édition, rectifiée d'après les dessins envoyés par l'auteur, a paru en 1802 ;
jusqu'ici c'est la meilleure que l'on connoisse de ces îles.
Dans l'almanach de l'Ile−de−France, que je n'ai pu trouver à Paris, Lislet a
inséré des Mémoires, entr'autres, la description du Pitrebot, l'une des plus
hautes montagnes de l'île [Ce fait m'est communiqué par un botaniste
distingué, Aubert du Petit−Thouars, qui a résidé dix ans dans cette
colonie.].
L'institut, devenu légataire des diverses académies de Paris, publiera sans
doute une précieuse collection de Mémoires qui sont en manuscrit dans ses
archives. On y trouve la relation d'un voyage de Lislet à la baie de
Sainte−Luce, île de Madagascar, que vient d'imprimer Malte−Brun dans
ses annales des voyages ; elle est accompagnée d'une carte de cette baie et
de la côte. Lislet indique les objets d'échange à porter, les ressources
qu'elle présente, et qui s'accroîteroient, dit−il, si, au lieu de fomenter des
guerres entre les indigènes pour avoir des esclaves, on encourageoit leur
industrie par l'espérance d'un commerce avantageux. Les notions qu'il
donne sur les moeurs des Madecasses, sont très−curieuses. Ses
descriptions annoncent un homme versé dans la botanique, la physique, la
géologie, l'astronomie ; cependant jamais il n'est venu sur le continent pour
cultiver ses goûts et acquérir des connoissances ; il a lutté contre les
obstacles que lui opposoient les préjugés du pays. On peut
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VIII. 101
raisonnablement présumer qu'il eût fait plus, si dès sa jeunesse amené en
Europe, vivant dans l'atmosphère des savana, il eût trouvé autour de lui ;
les moyens qui peuvent si puissamment stimuler la curiosité et féconder le
génie.
Je tiens de quelqu'un qui étoit de l'expédition du capitaine Baudin, que
Lislet ayant formé à l'Ile−de−France une société des sciences, quelques
Blancs ont refusé d'en être membres, uniquement parce qu'un Noir en est le
fondateur ; par là même n'ont ils pas prouvé qu'ils en étoient indignes ?
Derham (Jacques), esclave à Philadelphie, fut cédé par son maître à un
médecin qui l'employa à préparer des drogues. Pendant la guerre
d'Amérique, il fut vendu par le médecin à un chirurgien, et par ce dernier
au docteur Robert Dove, de la Nouvelle Orléans.
Derham, qui n'avoit pas été baptisé, a voulu l'être, et s'est agrégé à l'église
anglicane. Il parle avec grâce l'anglais, le français, l'espagnol. En 1788, à
l'âge de vingt−six ans, il est devenu le médecin le plus distingué de la
Nouvelle Orléans. «J'ai conversé avec lui sur la médecine, dit le docteur
Rush, je l'ai trouvé très−instruit. Je croyois pouvoir lui donner des
renseignemens sur le traitement des maladies, mais j'en ai plus appris de
lui qu'il ne pouvoit en attendre de moi». La société pensylvanienne, établie
en faveur des Nègres, crut devoir, en 1789, publier ces faits, rapportés
également par Dickson. On trouve dans la Médecine domestique de
Buchan [Buchan. V. sa Médecine domestique, Paris 1783, t. III, p. 518.], et
la Médecine du voyageur, par Duplanil, le spécifique qui guérit la morsure
du serpent à sonnettes. J'ignore si l'inventeur est Derham ; mais un fait
certain, c'est qu'on le doit à un Nègre auquel l'assemblée générale de la
Caroline donna la liberté, et décerna pour récompense une pension, viagère
de cent livres sterlings [V. Médecine du voyageur, par Duplanil, 3 vol.
in−8°, Paris 1801, t. III, p. 272.]. Blumenbach, voyageant en Suisse, vit à
Yverdun une Négresse qui étoit citée comme la personne la plus habile du
pays dans l'art des accouchemens. Il rappelle à cette occasion, que
Boërhave et de Haen, ont vanté le talent de plusieurs Nègres pour la
médecine. Le nom de Derham peut s'ajouter honorablement à cette liste.
Fuller (Thomas), né en Afrique, et résidant à quatre mille d'Alexandrie, en
Virginie, ne sachant ni lire, ni écrire, s'est fait admirer par sa prodigieuse
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VIII. 102
facilité pour les calculs les plus difficiles. Entre les traits par lesquels on a
mis son talent à l'épreuve, nous choisissons le suivant.
Un jour on lui demande combien de secondes avoit vécu un homme âgé de
70 ans, tant de mois et de jours, il répond dans une minute et demie. L'un
des interrogateurs, prend la plume, et, après avoir longuement chiffré,
prétend que Fuller s'est trompé en plus. Non, lui dit le Nègre, l'erreur est de
votre côté, car vous avez oublié les bissextiles ; le calcul se trouva juste.
On doit ces détails au docteur Rush, dont la lettre est citée dans le Voyage
de Stedman [V. Narrative of a five year's expedition against the revolted
negroes of Surinam, etc., by cap. J.G. Stedman, 2 vol. in−4°, London
1796 ; V. t. II, c. XXVI. La traduction française de cet ouvrage, t. III, p. 61
et suiv., dans la question adressée à Fuller a oublié le mot secondes, ce qui
rend la question absurde.], et ils sont consignés dans le cinquième tome de
l'American Museum [V. American Museum, t. V, p. 2.], imprimé il y a
quelques années, Thomas Fuller avoit alors 70 ans. Brissot, qui l'avoit
connu en Virginie, rend le même témoignage à son habileté [Brissot. V.
ses voyages, t. II, p. 2.]. On a d'autres exemples de Nègres, qui de tête
faisoient des calculs très−compliqués, et pour lesquels des Européens
étoient obligés de recourir aux règles de l'arithmétique [V. Clarkson, p.
125.].
BANNAKER (Benjamin), Nègre du Maryland, établi à Philadelphie, sans
autre encouragement que sa passion pour acquérir des connoissances, sans
autres livres que les ouvrages de Ferguson, et les table de Tobie Mayer,
s'est appliqué à l'astronomie.
Il a publié, pour les années 1794 et 1795, in−8°., à Philadelphie, des
Almanachs astronomiques, dans lesquels sont calculés et présentés les
divers aspects des planètes, la table des mouvements du soleil et de la lune,
de leurs levers, de leurs couchers, et d'autres calculs [Benjamin Bannaker's,
Almanack for 1794, containing the motions of the sun and moon, the true
place and aspects of the planetes, the rising and setting of the sun and the
moon, the eclipses, etc., in−8°, Philadelphia. B. Bannaker's, Pensilvania,
Delaware, Maryland and Virginia, Almanack for 1795, in−8°.]. Bannaker a
été affranchi.
Dans une lettre congratulatoire que lui adresse le président des États−Unis
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VIII. 103
[Ce fait nous est révélé par Fessenden, dans son libelle en 2 vol., intitulé :
Democracy unveiled or tyranny stripped of the garb of patriotism, by
Christopher Caustic, 2 vol. in−8°, 3° edit., New−York 1806, t. II, p. 52. Le
libelliste fait un crime à Jefferson d'un acte digne de tout éloge.], Jefferson
rétractant, en quelque sorte, ce qu'il avoit dit dans ses notes sur la Virginie,
se réjouit de voir que la nature a gratifié ses frères noirs, de talens égaux à
ceux des autres couleurs ; il en conclut que leur défaut apparent de génie
n'est du qu'à leur condition dégradée en Afrique et en Amérique.
Imlay dit avoir connu, dans la nouvelle Angleterre, un Nègre savant en
astronomie, et qui avoit composé des Ephémérides [V. A Topographical
description etc., p. 212 et 213.]. Il ne le nomme pas. Si c'est Bannaker, c'est
un témoignage de plus en sa faveur ; si c'est un autre, c'est un témoignage
de plus en faveur des Nègres.
OTHELLO publia, en 1788, à Baltimore, un Essai contre l'esclavage des
Nègres.
«Les puissances européennes auroient du s'unir, dit−il, pour abolir ce
commerce infernal, et ce sont elles qui ont porté la désolation en Afrique ;
elles déclament contre les Algériens, elles maudissent les barbaresques qui
habitent un coin de cette partie du globe, où de féroces Européens vont
acheter et enlever des hommes pour les torturer ; et ce sont des nations
soi−disant chrétiennes, qui s'avilissent au rôle de bourreaux. Votre
conduite, ajoute Othello, comparée à vos principes, n'est−elle pas une
ironie sacrilège ? Osez parler de civilisation et d'Evangile, c'est prononcer
votre anathème. La supériorité du pouvoir ne produit en vous qu'une
supériorité de brutalité, de barbarie ; la faiblesse, qui appelle la protection,
semble y provoquer votre inhumanité ; vos beaux systèmes politiques sont
souillés par des outrages à la nature humaine et à la majesté divine.»
«Quand l'Amérique s'est insurgée contre l'Angleterre, elle a déclaré que
tous les hommes ont les mêmes droits. Après avoir manifesté sa haine
contre les tyrans, auroit−elle apostasié ses principes ? Il faut bénir les
mesures prises en Pennsylvanie, en faveur des Nègres ; mais il faut exécrer
celles de la Caroline du Sud qui naguères défendit d'enseigner à lire aux
esclaves. A qui donc s'adresseront ces malheureux ? La loi les néglige ou
les frappe».
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VIII. 104
Othello peint en traits de feu la douleur et les sanglots d'enfans, de parens
et d'amis, entraînés loin du pays qui les vit naître, pays toujours cher à leur
coeur, par le souvenir d'une famille et des impressions locales ; tellement
cher, qu'un des articles de leur superstitieuse crédulité, est d'imaginer qu'ils
y retourneront après leur mort.
Au bonheur dont ils jouissoient dans leur terre natale, Othello oppose leur
état horrible en Amérique, où nus, affamés, sans instruction, ils voient tous
les maux s'accumuler sur leurs têtes ; il espère qu'enfin leurs cris
s'élèveront au ciel [V. American Museum, t. IV, p. 414 et suiv.], et que le
ciel les Exaucera.
Très−peu d'ouvrages sont comparables à celui d'Othello, pour la force des
raisons et la chaleur de l'éloquence ; mais que peuvent l'éloquence et la
raison, contre l'avarice et le crime ?
CUGOANO (Oltobah), né sur la côte de Fantin, dans la ville d'Agimaque,
raconte lui−même qu'il fut enlevé de son pays avec une vingtaine d'autres
enfans des deux sexes, par des brigands européens qui, en agitant leurs
pistolets et leurs sabres, menaçoient de les tuer, s'ils tentoient de
s'échapper.
«On les entassa avec d'autres, et bientôt, dit−il, je n'entendis plus que le
cliquetis des chaînes, le sifflement des coups de fouets, et les hurlements
de mes compatriotes». Esclave à la Grenade, il dut sa liberté à la générosité
du lord Hoth, qui l'amena en Angleterre. Il y étoit, en 1788, au service de
Cosway, premier peintre du prince de Galles. Piatoli, auteur d'un traité
italien, sur les lieux et les dangers des sépultures, que Vieq−d'Azir traduisit
en français à la demande de d'Alembert, Piatoli, qui, dans un long séjour à
Londres, connut particulièrement Cugoano, alors âgé d'environ quarante
ans, et marié à une Anglaise, fait un grand éloge de cet Africain ; il vante
sa piété, son caractère doux et modeste, ses moeurs intègres et ses talens.
Long−temps esclave, Cugoano avoit partagé le sort de ces malheureux, que
l'iniquité des Blancs déprave et calomnie.
Comme Othello, il peint le spectacle lamentable des Africains forcés de
dire un éternel adieu à leur terre natale ; les pères, les mères, les époux, les
frères, les enfans invoquant le ciel et la terre, se précipitant dans les bras
les uns des autres, se baignant de larmes, s'embrassant pour la dernière
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VIII. 105
fois, et sur le champ arraché à tout ce qu'ils ont de plus cher. Ce spectacle,
dit−il, attendriroit des monstres, mais non des colons [V. ses Réflexions
sur la traite et l'esclavage des Nègres, traduites de l'anglais, in−12, Paris
1788, p. 10.].
A la Grenade, il avoit vu déchirer des Nègres à coups de fouet, pour avoir
été le dimanche à l'église au lieu d'aller au travail. Il avoit vu casser les
dents à d'autres, pour avoir sucé quelques cannes à sucre [Ibid., p. 184.].
Dans une foule de traits, consignés sur les registres des cours de justice, il
cite le suivant : Lorsque les capitaines Négriers manquent de provisions,
ou que leur cargaison est trop forte, leur usage est de jeter à la mer ceux de
leurs Nègres qui sont malades, ou dont la vente promet moins de profit.
En 1780, un capitaine négrier retenu par les vents contraires, sur les côtes
américaines, et dans un état de détresse, choisit cent trente−deux de ses
esclaves les plus malades, et les fit jeter à la mer, liés deux à deux afin
qu'ils ne pussent échapper à la nage. Il espéroit que la compagnie
d'assurance le dédommageroit ; dans le procès qu'a occasionné ce crime, il
disoit : «Les Nègres ne peuvent être considérés que comme des bêtes de
somme, et pour alléger le vaisseau, il est permis de livrer aux flots les
effets les moins précieux et les moins lucratifs.»
Quelques−uns de ces malheureux s'étoient échappés des mains de ceux qui
les lioient, et s'étoient eux−mêmes précipités, l'un fut sauvé par les cordes
que lui tendirent les matelots d'un autre vaisseau ; le barbare assassin de
ces innocens, eut l'audace de le réclamer comme sa propriété ; les juges
rejetèrent sa demande [Ibid., p. 134 et suiv.].
La plupart des auteurs, qui avoient censuré le commerce de l'espèce
humaine, avoient employé les seules armes de la raison ; une voix s'éleva
pour faire retentir le cri de la religion, pour prouver, par la Bible, que le
vol, la vente, l'achat des hommes, leur détention dans l'esclavage, sont des
forfaits dignes de mort ; et cette voix était celle de Cugoano, qui publia en
anglais ses Réflexions sur la traite et l'esclavage des Nègres, dont nous
avons une traduction française.
Son ouvrage est peu méthodique ; il y a des longueurs, parce que la
douleur est verbeuse ; l'homme profondément affecté, craint toujours de
n'avoir pas assez dit, de n'être pas assez compris ; on y trouve un talent
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VIII. 106
sans culture, auquel une éducation soignée eût fait faire de grands progrès.
Après quelques observations sur les causes qui différencient les
complexions et la couleur, telles que le climat, le caractère physique du
pays, le régime diététique, il demande : «s'il est plus criminel d'être Noir
ou Blanc, que de porter un habit blanc ou noir ; si la couleur et la forme du
corps sont un titre pour enchaîner des hommes dont les vices sont l'ouvrage
des colons, et que le régime de la liberté, une éducation chrétienne
conduiroient à tout ce qui est bon, utile et juste ; mais puisque les colons ne
voient qu'à travers les voiles de l'avarice et de la cupidité, tout esclave a le
droit imprescriptible de se soustraire à leur tyrannie.
«Les Nègres n'ont jamais franchi les mers pour voler des Blancs ; s'ils
l'eussent fait, les nations européennes crieroient au brigandage, à
l'assassinat ; elles se plaignent des barbaresques, tandis qu'elles font pis à
l'égard des Nègres ; ainsi à qui doivent rester ces qualifications odieuses ?
Les factoreries européennes en Afrique, ne sont que des cavernes de
bandits et de meurtriers ; or, voler des hommes, leur ravir la liberté, c'est
plus que prendre leurs biens. Dans cette Europe, qui se prétend civilisée,
on enchaîne, ou l'on pend les voleurs, on envoie au supplice les assassins,
et si les négriers et les colons ne subissent pas cette peine, c'est que les
peuples et les gouvernemens sont leurs complices, puisque les loix
encouragent la traite, et tolèrent l'esclavage. Aux crimes nationaux le ciel
inflige quelquefois des punitions nationales : d'ailleurs, tôt ou tard
l'injustice est fatale à ses auteurs». Cette idée qui se rattache aux grandes
vues de la religion, est très−bien développée dans cet ouvrage ; il prédit
que le courroux du ciel frappera l'Angleterre qui, sur la traite annuelle de
quatre−vingt mille esclaves pour les colonies, fait elle seule deux tiers de
ce commerce.
En tout temps il y eut, dit−on, des esclaves ; mais en tout temps il y eut
aussi des scélérats ; les mauvais exemples n'ont jamais légitimé les
mauvaises actions. Cugoano établit la comparaison entre l'esclavage ancien
et le moderne, et prouve que ce dernier, chez les chrétiens, est pire que
chez les païens, pire surtout que chez les Hébreux qui n'enlevoient pas les
hommes pour les asservir, ne les vendoient pas sans leur consentement, et
ne mettoient pas à prix la tête des fugitifs. Le Deuteronome dit même
formellement : «Tu ne livreras pas à son maître l'esclave fugitif qui a
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VIII. 107
cherché un asile dans ta maison [Deuteronome, XXIII, 15.]».
A l'expiration de la septième année qui étoit jubilaire, l'homme étoit rendu
de droit à la liberté ; en un mot, la servitude chez les Hébreux n'étoit qu'un
vasselage temporaire.
De l'Ancien Testament, l'auteur passe au Nouveau ; il en discute les faits,
les principes, et l'on sent quelle supériorité donne à ses argumens cette
morale céleste, qui ordonne d'aimer le prochain comme nous mêmes, de
faire à autrui ce que nous désirons pour nous. «Je voudrois, dit−il, en
l'honneur du christianisme, que l'art odieux de voler les hommes eût été
connu des païens [La langue anglaise est peut−être la seule qui, pour
l'action de voler des enfans, ait un terme propre, kidnap, verbe, et ses
dérivés.]» ; il devoit dire : pour l'honneur des chrétiens. La traite et
l'esclavage des Nègres, est la plus grande iniquité qui déshonore le nom
chrétien ; maïs cette iniquité dont la religion gémit, ne l'inculpe pas plus
que des prévarications des juges n'inculpent la justice.
«Le clergé, par son institution, est messager d'équité ; il doit veiller sur la
société, lui dévoiler ses erreurs, la ramener à la vérité, à la vertu, sinon les
péchés publics frappent sur sa tête. Or, il est évident que les ecclésiastiques
ne connoissent pas la vérité, ou qu'ils n'osent la dire ; dès−lors ils entrent
en partage des forfaits nationaux».
Il auroit pu ajouter que l'adulation et la lâcheté sont des vices sur lesquels
le clergé de ces derniers siècles n'instruit presque jamais, et dont il a
souvent donné l'exemple. On connoît la conduite et les réponses de S.
Ambroîse à Théodose, de S. Basile au préfet Modeste ; d'autres ont occupé
leurs sièges, mais ont−ils eu beaucoup de successeurs ? Quoique Bossuet
fut, comme on l'a dit, non un prélat de cour, mais un prélat à la cour,
peut−être eussent−ils pensé que sa réponse à la question de Louis XIV, sur
la comédie, sentoit encore un peu le courtisan, et pas assez l'évêque.
Le bon Cugoano avoit vu partout des temples élevés au Dieu des chrétiens,
et des pasteurs chargés de répéter ses préceptes ; pouvoit−il croire que des
enfans de l'Evangile fouleroient aux pieds la morale consacrée dans le livre
dépositaire des oracles divins ? il a eu trop bonne opinion des Européens,
et cette erreur, qui honore son coeur, est pour eux une flétrissure de plus.
CAPITEIN (Jacques−Elisa−Jean), né en Afrique, fut acheté, à Page de sept
ou huit ans, sur les bords de la rivière Saint−André, par un marchand
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VIII. 108
négrier, qui en fit présent à l'un de ses amis. Celui−ci donna au jeune
Nègre le nom de Capitein, le fit instruire et baptiser, et l'amena en
Hollande, où il apprit la langue du pays, et se livra d'abord à la peinture,
pour laquelle il avoit une grande inclination. Il fit ses premières études à
La Haye. Mlle Roscam, pieuse et savante, qui, semblable à Mlle
Schurman, s'occupoit beaucoup des langues, enseigna au jeune Africain le
latin, et les élémens du grec, de l'hébreu, du chaldéen. De La Haye il passa
à l'Université de Leyde, trouva partout des protecteurs zélés, et se livra à la
théologie, sous d'habiles professeurs, avec l'intention de retourner dans son
pays pour y porter la foi à ses compatriotes. Après avoir fait, ses cours
pendant quatre ans, il prit ses grades, et fut envoyé, en 1742, comme
missionnaire calviniste, à Elmina, en Guinée. Une gazette anglaise
s'appuyant de l'autorité de Metzère, ministre de l'Evangile à Harlem,
débitoit, comme bruit vague, que Capitein, retourné en Guinée, y avoit
repris les moeurs idolâtres [V. le journal, the Merchant, n° 31, 14 août
1802.]. Cette anecdote est seulement adoucie dans une lettre que m'adresse
de Vos, ministre mennonite d'Amsterdam, auteur de bons ouvrages contre
l'esclavage des Nègres et le duel.
Il prétend que Capitein, cité avec éloge avant son départ, et dont le portrait,
gravé par Tanje d'après Van Dyck, circuloit dans toute la Hollande, ne
soutint pas sa réputation ; qu'à son retour en Europe, des bruits fâcheux se
répandirent sur l'immoralité de sa conduite : on assure même, dit−il, qu'il
n'étoit pas éloigné d'abjurer le christianisme. Si le premier article est vrai,
le second devient probable ; comme tant d'autres il se seroit fait incrédule
pour s'étourdir sur les infractions à la morale évangélique. Cependant ces
reproches sont−ils fondés ? De Vos lui−même en atténue une partie par la
manière douteuse dont il les énonce, et Blumenbach m'a écrit et répété que
ses recherches ce lui avaient procuré aucun renseignement contre Capitein,
dont il a fait graver le portrait dans ses recueils sur les variétés de figures
humaines.
Le premier ouvrage de noire Africain est une élégie en vers latins, sur la
mort de Manger, ministre à La Haye, son maître et son ami. Je vais en citer
le commencement, en y joignant une traduction libre.
ÉLÉGIE [ELEGIA.
Invida mors totum vibrat sua tela per orbem :
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VIII. 109
Et gestit quemvis succubuisse sibi.
Illa, metus expers, penetrat conclavia regum :
Imperiique manu ponere sceptra iubet.
Non sinit illa diu partos spectare triumphos :
Linquere sed cogit, clara tropaea duces.
Divitis et gazas, aliis ut dividat, omnes,
Mendicique casam vindicat illa sibi.
Falce senes, juvenes, nullo discrimine, dura,
Instar aristarum, demetit illa simul.
Hinc fuit illa audax, nigro vilamine tecta,
Limina Mangeri sollicitare domus.
Hujus ut ante domum steterat funesta cypressus,
Luctisonos gemitus nobilis Haga dedit.
Hunc lacrymis tinxit gravibus carissima conjux,
Dum sua tundebat pectora sæpe manu.
Non aliter Naomi, cum te viduata marito,
Profudit lacrymas, Elimeleche, tua.
Sæpe sui manes civit gemebunda mariti,
Edidit et tales ore tremente sonos :
Condit ut obscuro vultum velamine Phaebus,
Tractibus ut terræ lumina grata neget ;
O decus immortale meum, mea sola voluptas !
Sic fugis ex oculis in mea damna meis.
Non equidem invideo, consors, quod te ocyor aura
Transtulit ad lætas æthereasque domos,
Sed quoties maudo placidæ mea membra quieti,
Sive dies veniat, sum memor usque tui.
Te thalamus noster raptum mihi funere poscit.
Quis renovet nobis foedera rupta dies ?
En tua sacra deo sedes studiisque dicata,
Te propter, mæsti signa doloris habet.
Quod magis, effusas, veluti de flumine pleno,
Dant lacrymas nostri pignora cara toti.
Dentibus ut misere fido pastore lupinis
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VIII. 110
Conscisso tenerae disjiciuntur oves,
Aeraque horrendis, feriunt balatibus altum,
Dum scissum adspiciunt voce cientque ducem :
Sic querulis nostras implent ululatibus ædes,
Dum jacet in lecto corpus inane tuum.
Succinit huic vatum viduæ pia turba querenti,
Funera quæ celebrat conveniente modo
Grande sacerdotum decus, et mea gloria cessat,
Delicium domini, gentis amorque piæ !
Clauditur os blandum sacro de fonte rigatum ;
Fonte meam possum quo relevare sitim !
Hei mihi ! quam subito fugit facundia linguæ,
Cælesti dederat quo mihi melle frui.
Nestoris eloquium veteres jactate poetæ,
Ipso Mangerius Nestore major erat, etc.].
La mort inexorable lance ses traits sur l'Univers, personne n'échappe à leur
atteinte. Elle pénètre dans les palais des rois, et leur commande de déposer
le sceptre ; aux guerriers, elle arrache leurs trophées, et leur dérobe le
spectacle de leur pompe triomphale ; les trésors du riche qu'elle distribue,
et la cabane du pauvre deviennent sa proie : sous sa faux tombent
indistinctement la jeunesse et la vieillesse, comme les épis sous la main du
moissonneur. Couverte d'un voile lugubre, elle franchit le seuil de la
demeure de manger. A L'aspect du cyprès élevé devant sa porte, cette
illustre cité, La Haye, élève une voix gémissante. Son épouse chérie se
déchire le sein, en couvrant de larmes le cercueil de son bien−aimé ; sa
désolation est celle de Noémi, condamnée au veuvage par la mort
d'Elimelech. Ses sanglots redoublés invoquent les manes de son époux, et
de ses lèvres frémissantes la douleur s'exhale en ces termes :
Tel que le soleil, sous d'épais nuages, dérobe à la terre ses rayons propices,
tel à mes yeux tu disparois, ô toi qui faisois mon bonheur, et qui feras à
jamais ma gloire. Je ne t'envie pas l'avantage de me précéder dans le séjour
de l'éternelle félicité ; mais toujours présent à mes souvenirs, soit que la
nuit invite la terre au repos, soit qu'elle fuye au retour de la lumière, ils
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VIII. 111
accusent le trépas et t'appellent dans ma couche solitaire. Quand naîtra le
jour qui doit renouer pour nous les liens de l'hymen ? Contristée par ce
crêpe funèbre qui entoure l'asile consacré par toi à la piété et à l'étude, mon
ame s'évanouit en voyant des torrens de pleurs ruisseler des yeux de ces
enfans, les gages de notre tendresse. Quand, déchiré par la dent sanguinaire
du loup, le berger a péri, ses brebis égarées réclament en vain leur
conducteur, et font retentir les airs de bêlemens plaintifs : ainsi retentissent
nos foyers des cris de la désolation en contemplant ton cadavre inanimé. A
ces cris de la veuve et des orphelins se mêlent les accens de la poésie qui
déplore ta perte, en vers dignes d'un tel sujet.
Il n'est plus ce mortel, l'honneur du clergé et de son épouse ; ce mortel
également chéri d'une nation pieuse, et des régulateurs de la puissance.
Elles sont fermées ces lèvres sur lesquelles la religion avoit imprimé sa
sagesse, sur lesquelles je cueillois des consolations. Avec quelle rapidité
s'est éteinte cette voix, que le ciel avoit douée de la plus suave éloquence !
Que l'antiquité vante celle du vieux Nestor ; Nestor dans Manger eût
trouvé un vainqueur, etc.
Pour son entrée à l'Université de Leyde, Capitein publia, sur la vocation
des Gentils [De vocatione Ethnicorum.], une dissertation latine divisée en
trois parties ; il y établit, d'après l'Ecriture sainte, la certitude de cette
promesse, qui embrasse l'universalité des peuples, quoique la manifestation
de l'Evangile ne doive s'opérer chez eux que d'une manière successive.
Il veut que, pour coopérer à cet égard aux desseins de Dieu, on favorise
l'étude de leurs langues, et qu'on leur envoie des missionnaires qui, par la
voie douce de la persuasion, s'en faisant aimer, les disposeront à recevoir la
lumière évangélique.
Les Espagnols, et plus encore les Portugais, sont incontestablement les
nations qui traitent le mieux les Nègres. Chez eux, le christianisme inspire
un caractère de paternité qui place les esclaves à très−peu de distance des
maîtres. Ceux−ci n'ont pas établi la noblesse de la couleur, ne dédaignent
pas de s'unir par le mariage avec des Négresses, et facilitent aux esclaves
les moyens de reconquérir la liberté.
Dans les autres colonies, souvent on a vu des planteurs s'opposer à ce que
leurs Nègres fussent instruits d'une religion qui proclame l'égalité des
hommes sortis d'une souche commune, participant tous aux bienfaits du
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VIII. 112
Père des humains, qui ne fait acception de personne. Une foule d'écrivains
ont développé ces vérités consolantes : parmi ceux de nos jours, il suffit de
citer Robert−Robinson [Slavery inconsistent with the spirit of Christianity,
a sermon preached at Cambridge, etc., by Robert Robinson, in−8°,
Cambridge 1788. Il assure, p. 14, que les Africains ont les premiers baptisé
des enfans pour les sauver de l'esclavage.], Hayer, Roustan, Ryan traduit
en français par Boulard ; Turgot, dans un discours magnifique que m'a
communiqué Dupont de Nemours, qui se propose de le publier, etc. La
tyrannie politique et l'esclavage sont des attentats contre l'Evangile. La
basse adulation d'un grand nombre d'évêques et de prêtres n'a pu faire
introduire d'autres maximes, qu'en dénaturant la religion.
Des planteurs hollandais, étouffant la voix de la conscience, furent sans
doute les instigateurs de Capitein, devenu l'apologiste d'une mauvaise
cause. Croyant, ou feignant de croire, que par le maintien de la servitude
on favoriseroit la propagation de la foi, il composa une dissertation
politico−théologique pour soutenir que l'esclavage n'est pas opposé à la
liberté évangélique [Dissertatio politico−theologica de servitude libertati
christianae non contrria, quam sub praeside J. Van den Honert, publicae
disquisitioni subjicit J.T.J Capitein, afer, in 4°, Lugduni Betavorum,
1742.]. Cette assertion scandaleuse se reproduisit, il y a quelques années,
dans les États−Unis. Un ministre, nommé John Beck, osa prêcher et
imprimer, en 1801, deux sermons pour la justifier [The Doctrine of
perpetual bondage reconciliable with the infinite justice of God, a truth
plainly asserted in the jewish and christian scripture, by John Beck, etc.].
Sachons gré à Humphrey d'avoir attaché le nom de John Beck au poteau de
l'ignominie [A Valecdictory discurse delivered before the Cincinnati of
Connecticut at Hartford July 4th 1804, at the dissolution of the society, by
D. Humphrey, in−8°, Boston 1804.].
Capitein ne se dissimule pas la difficulté de son entreprise, et
particulièrement de répondre à ce texte de S. Paul : Vous avez été rachetés,
ne vous rendez esclaves de personne [I. Cors. VII, 23. Pretio empti estis,
nolite fieri servi hominum.]. Il suppose (je ne dis pas il prouve) que cette
décision exclut seulement les engagemens avec des maîtres idolâtres, pour
faire le métier de gladiateurs, ou descendre dans l'arène contre les bêtes
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VIII. 113
féroces, ainsi qu'il se pratiquoit chez les Romains.
Il s'objecte sans les discuter, le célèbre édit par lequel Constantin autorisa
les affranchissement et l'usage des chrétiens mentionné dans les écrits des
Pères, de donner la liberté à des esclaves, surtout à la fête de Pâques. De
toutes parts s'élèvent les cris de l'histoire en faveur de ces
affranchissemens, dont on trouve les formules dans Marculfe ; et parce que
la loi étoit seulement facultative, Capitein en infère la légitimité de
l'esclavage ; assurément c'est forcer la conséquence.
Il s'appuie du témoignage de Busbec, pour établie que l'abrogation de la
servitude n'a pas été sans de grands inconvéniens, et que si elle avoit été
conservée, on ne verroit pas tant de crimes commis, ni d'échafauds élevés
pour contenir des gens qui n'ont rien à perdre [V. Epistola turcica, Lugduni
Batavorum 1633, p. 160 et 161.] : mais l'esclavage infligé comme punition
légitime, ne légitime pas l'esclavage des Nègres ; et d'ailleurs l'autorité de
Busbec n'est rien moins qu'une preuve.
Cette dissertation latine de Capitein, riche en érudition, mais très−pauvre
en raisonnemens, traduite en hollandais par Wilhem [V.
Staatkundig−godgeleerd onderzoeksschrift over de slaverny, als niet
strydig tegen de christelike vriheid, etc., uit het latyn vertaalt door heer de
Wilhelm, in−4°, Leiden 1742.], a été imprimée quatre fois ; tout ce qu'on
peut induire de plus sensé des paralogismes de ce Nègre, à qui ses
compatriotes ne voteront sûrement pas des remercîmens, c'est que les
peuples et les individus injustement asservis doivent se résigner à leur
malheureux sort, quand ils ne peuvent rompre leurs fers.
Gallandat, qui, dans les mémoires de l'académie de Flessingue a publié une
instruction sur la traite des esclaves, montre bien peu de jugement en
louant l'ouvrage de Capitein [V. Noodige onderrichtingen voor de
staafhandelaaren, t. I. Verhandelingen vitgegeven door het zeeuwsch
genootschap, etc., te Middelburg 1769, p. 425.] sur cet objet.
On a encore de cet africain un petit volume in−4°, de Sermons en langue
hollandaise, prêchés dans différentes villes, et imprimés à Amsterdam en
1742 [V. Vit gewrogte predicatien zynde de trowherrige wermaaninge van
den apostel der huydenen Paulus, aan zynen zoon Timotheus vit. II
Timotheus, II, p. 8 ; te Muiderberger, dan 20 mai 1742, alsmede de
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VIII. 114
voornamste goederen van de opperste wysheit wit sprenken VIII, vers 18,
in twee predicatien in s'Gravenhage, den 27 mai 1742 ; en t'ouderkerk aan
den Amstel, den 6 juny 1742, gedaan door J.E.J. Capitein, africaansche
Moor, beroepen predikant or d'elmina, aan het kasteel S. George, in−4°, te
Amsterdam. WILLIAMS.].
La notice concernant le poëte nègre, dont on va parler, est tirée en partie de
l'Histoire de la Jamaïque, par Edouard Long, qu'on ne soupçonnera pas
d'être trop favorable aux Nègres, car sa prévention contre eux perce, même
à travers les éloges que la force de la vérité lui arrache.
Francis Williams naquit à la Jamaïque, vers la fin du dix−septième siècle,
ou au commencement du dix−huitième, car il mourut âgé de soixante−dix
ans, peu avant la publication de l'ouvrage de Long, qui parut en 1774.
Frappé des talens précoces de ce jeune Nègre, le duc de Montagu,
gouverneur de l'île, voulut essayer si par une éducation cultivée, il pourroit
égalé un Blanc placé dans les mêmes circonstances.
Francis Williams, envoyé en Angleterre, commença ses études dans des
écoles particulières, d'où il passa à l'Université de Cambridge ; il y fit, sous
d'habiles maîtres, des progrès dans les mathématiques.
Pendant son séjour en Europe il publia la ballade qui commence par ce
vers :
Welcome, welcome brother debtor.
Cette pièce obtint une telle vogue en Angleterre, que certains hommes,
irrités de trouver du mérite dans un Noir, tentèrent, mais sans succès, de lui
en disputer la propriété.
Williams étant repassé à la Jamaïque, le duc de Montagu, son protecteur,
vouloit lui obtenir une place dans le conseil du gouvernement, qui s'y
refusa : Williams ouvrit alors une école où il enseignoit le latin et les
mathématiques, il s'étoit préparé un successeur dans un jeune Nègre qui
malheureusement tomba en démence. Edouard Long se hâte de citer ce
fait, comme preuve démonstrative que les têtes africaines sont incapables
de recherches abstruses, tels que les problèmes de la haute géométrie,
quoique cependant il accorde aux Nègres créoles plus d'aptitude qu'aux
natifs d'Afrique. Assurément si un fait particulier comportoit une induction
générale, comme l'exercice des facultés intellectuelles a proportionnément
dérangé plus de têtes parmi les savans et les gens de lettres que dans les
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VIII. 115
autres classes de la société, il faudroit en conclure qu'aucune n'est propre
aux méditation profondes.
Au reste, Long se réfute lui−même, car, forcé de reconnoître dans
Williams du talent pour les mathématiques, il auroit pu, avec autant de
justesse, tirer une conclusion absolument contraire.
Il prétend que William dédaignoit ses parens, qu'il étoit dur, presque cruel
envers ses enfans et ses esclaves.
Il affectoit un costume particulier ; et portoit une longue perruque, pour
donner une haute idée de son savoir ; lui−même se définissoit un Blanc
sous une peau noire, car il méprisoit les hommes de sa couleur. Il soutenoit
d'ailleurs que le Nègre et le Blanc, chacun parfait dans son espèce, étoient
supérieurs aux Mulâtres, formes d'un mélange hétérogène. Ce portrait peut
être vrai, mais il faut se rappeler qu'il n'est pas tracé par une main amie.
Il paroît que Williams avoit fait beaucoup de pièces en vers latins ; il
aimoit ce genre de composition, et il étoit dans l'habitude d'en adresser aux
nouveaux gouverneurs. Celle qu'il fit pour Haldane est insérée dans
Edouard Long, qui l'a critiquée plus que sévèrement, quoique lui−même ait
cru devoir la traduire, ou plutôt la paraphraser en vers anglais. Williams
ayant donné à sa muse l'épithète de Nigerrima, l'historien se permet de
fades plaisanteries sur cette nouvelle venue dans la famille des neuf soeurs,
et l'appelle Madame Éthiopissa. Parce qu'il y a trois ou quatre demi−vers
de réminiscence ou d'imitation dans la pièce, il reproche à l'auteur comme
plagiat, non des idées, mais l'emploi de certaines expressions, attendu
qu'on les trouve dans les bons poëtes ; et comme on les trouve également
dans les dictionnaires, c'est l'inculper de faire des vers latins avec des mots
latins. C'est ainsi que Lauder, si bien réfuté par le savant évêque de
Salisbury, Douglas, accusoit Milton d'avoit pillé les modernes.
Edouard Long reproche encore à Williams de flatter bassement le nouveau
gouverneur, en le comparant aux héros de l'antiquité. Cette accusation est
mieux fondée ; malheureusement elle frappe sur la presque totalité des
poëtes. N'ont−ils pas toujours encensé la puissance ? N'ont−ils pas adulé
un des hommes les plus criminels de Rome, à tel point que le nom de
Mécène est devenu classique ?
Si l'on excepte Chruchil, Akenside, Pope, Joël Barlow et quelques autres,
les poëtes sur cet article sont tous des Waller.
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VIII. 116
A l'occasion de cette pièce latine, Nickols, indigné contre les colons qui
vouloient assimiler les Noirs aux singes, s'écrioit : «Je n'ai jamais ouï dire
qu'un Orang−outang ait composé des odes [V. Letter to the treasurer of the
society instituted for the purpose of effecting the abolition of the slaves
trade frome the rev. Robert Boucher Nickolls, dean of Middleham, etc.,
in−8°, London 1788, p. 46.]. Parmi les défenseurs de l'esclavage, on ne
trouveroit pas, dit−il, la moitié du mérite littéraire de Phillis−Wheatley et
de Francis Williams». Pour mettre le lecteur a portée d'apprécier les talens
de ce dernier, nous joignons ici ce poëme, avec un essai de traduction en
prose française :
Au très−intègre et puissant George Haldane,
écuyer, gouverneur de la Jamaïque,
qui réunit au suprême degré la
vertu et la valeur [Integerrimo et fortissimo viro
Georgio Haldano, armigero,
Insulae Jamaicensis gubernatori ;
Cui, omnes morum, virtutumque dotes bellicarum,
In cumulum accesserunt.
CARMEN.
Denique venturum fatis volventibus annum,
Cuncta per extensum læta videnda diem,
Excussis adsunt curis, sub imagine clara
Felices populi, terraque lege virens.
Te duce, quæ fuerant male suada mente peracta
Irrita conspectu non reditura tuo.
Ergo omnis populus, nec non plebecula cernet
Hæsurum collo te relegasse jugum,
Et mala, quæ diris quondam cruciatibus, insons
Insula passa fuit ; condoluisset onus,
Ni victrix tua Marte manus prius inclyta, nostris
Sponte ruinosis rebus adesse velit.
Optimus es servus regi servire Britanno,
Dum gaudet genio scotica terra tuo :
Optimus heroum populi fulcire ruinam ;
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VIII. 117
Insula dura superest ipse superstes eris.
Victorem agnoscet te Guadaloupa, suorum
Despiciet merito diruta castra ducum.
Aurea vexillis flebit jactantibus Iris,
Cumque suis populis, oppida victa gemet.
Crede, meum non est, vir Marti chare, Minerva
Denegat Æthiopi bella sonare ducum.
Concilio, caneret te Buchananus et armis,
Carmine Peleidæ, scriberet ille parem.
Ille poeta, decus patriæ, tua facta referre
Dignior, altisono vixque Marone minor.
Flammiferos agitante suos sub sole jugales
Vivimus ; eloquium deficit omne focis.
Hoc domum accipias multa fuligine fusum
Ore sonaturo ; non cute, corde valet.
Pollenti stabilita manu, Deus almus, eandem
Omnigenis animam, nil prohibente dedit.
Ipsa coloris egens virtus, prudentia ; honesto
Nullus inest animo, nullus in arte color.
Cur timeas, quamvis, dubitesve, nigerrima celsam
Cæsaris occidui, scandere musa domum ?
Vade salutatum, nec sit tibi causa pudoris,
Candida quod nigra corpora pelle geris !
Integritas morum Maurum magis ornat, et ardor
Ingenii, et docto dulcis in ore decor ;
Hunc, mage cot sapiens, patriæ virtutis amorque,
Eximit è sociis, conspicuumque facit.
Insula me genuit, celebres aluere Britanni
Insula, te salvo non dolitura patre.
Hoc precor ô nullo videant te fine regentem
Florentes populos, terra, deique locus !].
Enfin nos douleurs s'évanouissent, et l'espérance radieuse entr'ouvre un
avenir qui promet à ce peuple ranimé, de couler sous l'empire de la loi des
jours et des années prospères. Dans le néant sont rentrés, pour ne plus en
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VIII. 118
sortir, des réglemens désavoués par la raison. Toutes les classes de la
société te féliciteront d'avoir brisé le joug suspendu sur leurs têtes, et
consolé notre île des tourmens immérités dont elle étoit victime, Ils
peseroient encore sur elle, si ta valeur ne soutenoit notre existence
politique sur le penchant de sa ruine.
L'Écosse s'applaudit d'avoir enfanté celui dont le génie rend des services si
éminens au trône britannique. Héros destiné à fixer le sort chancelant d'une
nation, ta mémoire parmi nous durera autant que notre île. La Guadeloupe
te contemplera victorieux sur le sol où campoient ses légions dispersées, et
l'empire des lys se couvrira de deuil en voyant ses étendards s'échapper de
ses mains, ses peuples vaincus, ses cités envahies.
Mais Minerve permet−elle à un Éthiopien de chanter les exploits des
grands capitaines ?
Il en étoit digne cet illustre Buchanan, le coryphée des poëtes de sa patrie,
et l'émule de Virgile. Il diroit que Haldane, ce favori de Mars, égale le fils
de Pélée dans les conseils et dans les combats.
L'astre du jour précipitant ses coursiers, verse sur notre climat des torrens
de feu qui étouffent ma voix ; en agréant les vers que t'adresse un poëte,
oublie la teinte de sa peau, pour ne penser qu'à son coeur. Dans des corps
diversement configurés, la puissance du Créateur a placé des ames
homogènes ; et qu'importe la couleur à la probité, à toutes les vertus ?
Sous ta robe rembrunie, Muse, ose pénétrer dans la demeure du César des
Indes occidentales, vas lui offrir tes hommages : ta face noire ne peut être
pour toi un sujet de honte ; l'intégrité des moeurs, l'éclat des talens et la
douce éloquence peuvent orner une figure africaine. Qu'à l'amour de la
sagesse il unisse celui de la patrie ; ces qualités, en le discernant du
vulgaire de sa caste, acquièrent par le contraste un reflet plus brillant.
Cette île m'a vu naître et croître sous les auspices de la célèbre Angleterre ;
cette île, tant que tu vivras, n'aura pas à pleurer la perte d'un père. Puisse,
sous ton gouvernement, la divinité tutélaire de notre contrée la conserver à
jamais florissante !
Vassa. Olaudad Equiano, plus connu sous le nom de Gustave Vassa,
naquit, en 1754, à Essaka, charmante et fertile vallée à grande distance de
la côte et de la capitale du Bénin, dont elle est censée faire partie,
quoiqu'elle se gouverne d'une manière à peu près indépendante, sous
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VIII. 119
l'autorité de quelques anciens ou chefs, du nombre desquels étoit son père.
A l'âge de onze ans, Vassa fut enlevé avec sa soeur par des voleurs
d'enfans, pour être traîné en esclavage ; bientôt les barbares lui ravirent
encore la consolation de mêler ses larmes à celles de sa soeur ; séparé
d'elle à jamais il fut jeté dans un bâtiment négrier, et après une traversée
dont il raconte les horreurs, il fut vendu aux Barbades, et revendu à un
lieutenant de vaisseau qui l'amena en Angleterre.
Il l'accompagna à Guernesey, au siège de Louisbourg en Canada, par
l'amiral Boscaven, en 1758, et au siège de Belle−Ile, en 1761.
Les événemens l'ayant reporté dans le nouveau Monde, une perfidie le
remit dans les fers. Vendu à Montserrat, Vassa, jouet de la fortune, tantôt
libre, tantôt esclave ou domestique, fit une multitude de voyages dans la
plupart des Antilles et sur divers points du continent américain, revint
souvent en Europe, visita l'Espagne, le Portugal, l'Italie, la Turquie et le
Groenland. Son amour pour la liberté, dont il avoit goûté les prémices dans
son enfance, s'irritoit par les obstacles qui l'empêchoient de la recouvrer.
Vainement il avoit espéré qu'un zèle soutenu pour le service de ses maîtres
lui procureroit cet avantage : la justice eût trouvé là un titre de plus pour
briser ses fers ; à l'avarice ce fut un motif de plus pour les resserrer. Avec
des hommes dévorés de la soif de l'or, il vit qu'il falloit tenter d'autres
moyens ; dès−lors, s'imposant la plus sévère économie, il commença avec
trois pences (environ 6 sols), un très−petit commerce qui lui réussit assez
pour amasser un pécule modique, malgré les avaries multipliées que lui
causa la friponnerie des Blancs. Enfin, en 1781, échappé aux dangers de la
mer où plusieurs fois il avoit fait naufrage ; échappé aux cruautés de ses
maîtres, dont un à Savannah faillit l'assassiner ; après trente ans d'une vie
errante et orageuse, Vassa, rendu à la liberté, vint se fixer à Londres, s'y
maria, et publia ses mémoires [The interesting narrative of the life of
Olaudah Equiano, or Gustavus Vassa, the African, written by himself, 9e
édition, in−8°, London 1794, avec le portrait de l'auteur.], réimprimés dans
les deux Mondes, et dont la neuvième édition est de 1794. Les
témoignages les plus honorables qui l'accompagnent, attestent que
lui−même les a rédigés.
Cette précaution est utile contre une classe d'individus toujours disposés à
calomnier les Nègres, pour atténuer le crime de leurs oppresseurs.
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VIII. 120
L'ouvrage est écrit avec la naïveté, j'ai presque dit la crudité de caractère
d'un homme de la nature ; c'est la manière de Daniel de Foë, dans son
Robinson Crusoé ; c'est celle de Jamerai Duval, qui, de gardien de vaches
chez des hermites, devint bibliothécaire de l'empereur François 1er, et dont
les mémoires inédite, mais très−dignes de voir le jour, sont entre les mains
d'Ameilhon [Les deux volumes publiés de ses oeuvres n'en forment que la
moindre partie, et la moins intéressante.].
On s'associe aux mouvemens de surprise que causent à Vassa un
tremblement de terre, l'aspect de la neige, une peinture, une montre, un
quart de cercle, et à la manière dont il interroge sa raison sur l'usage des
instrumens. L'art de la navigation avoit pour lui un charme inexprimable ;
il y entrevoyoit d'ailleurs un moyen d'échapper un jour à l'esclavage ; en
conséquence il fit prix avec un capitaine de bâtiment pour lui donner des
leçons souvent interrompues et contrariées, mais l'activité et l'intelligence
du disciple suppléoient à tout. Le docteur Irvin, qu'il avoit servi, lui avoit
enseigné la manière de dessaler l'eau de la mer par la distillation. Quelque
temps après Vassa étant d'une expédition qui avoit pour objet de chercher
le passage au Nord, dans un moment de détresse, il fit usage des procédés
du docteur, et fournit à l'équipage de l'eau potable.
Quoiqu'enlevé très−jeune de son pays, sa tendresse pour sa famille et sa
mémoire lui avoient conservé une riche provision de souvenirs. On lit avec
intérêt la description qu'il fait de cette contrée, où la nature féconde
prodigue ses bienfaits.
L'agriculture est la principale occupation des habitans, qui sont
très−laborieux, quoiqu'ils ayent une passion démesurée pour la poésie, la
musique et la danse. Vassa se rappelle parfaitement que les médecins du
Bénin suppléent à la saignée par des ventouses ; qu'ils excellent dans l'art
de guérir les plaies, et de combattre l'effet des poisons. Il trace un tableau
curieux des superstitions, des habitudes de son pays, qu'il compare avec
celles des contrées où il a voyagé. Ainsi à Smyrne il retrouve parmi les
Grecs les danses usitées dans le Benin ; ailleurs il met en parallèle les
coutumes des Juifs, et celles de ses compatriotes chez lesquels la
circoncision est généralement admise. On y est censé contracter une
impureté légale par l'attouchement d'un mort, et les femmes y sont sujettes
aux mêmes purifications que chez les Hébreux.
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VIII. 121
Un effet de l'adversité est souvent de donner plus d'énergie aux sentimens
religieux. L'homme abandonné des hommes et malheureux sur la terre,
élève ses affections au ciel pour y chercher un consolateur et un père : tel
étoit Vassa. Il ne succomba point à la continuité des maux qui pesoient sur
lui ; pénétré de la présence du souverain Être, il portoit ses regards au delà
des bornes de la vie, vers une région nouvelle.
Long−temps incertain sur le choix d'une religion, il peint avec énergie ses
anxiétés, dans un poëme de cent douze vers anglais, qui fait partie de ses
Mémoires. Il étoit choqué de voir dans toutes les sociétés chrétiennes, tant
de gens dont les actions heurtent directement les principes, qui
blasphèment le nom de Dieu, dont ils se prétendent les adorateurs : par
exemple, il s'indigne de ce que le roi de Naples et sa cour alloient le
dimanche à l'Opéra. Il voyoit des hommes observer, les uns quatre, les
autres six ou sept préceptes du décalogue, et il ne concevoit pas qu'on pût
être vertueux à moitié.
Il ignoroit que, suivant l'expression de Nicole, on ne peut rien conclure de
la doctrine à la conduite, ni de la conduite à la doctrine. Baptisé dans
l'église anglicane, après avoir flotté dans l'incertitude, il se fit méthodiste ;
on fut même sur le point de l'envoyer comme missionnaire, en Afrique.
A l'école de l'adversité, Vassa étoit devenu très−sensible aux infortunes des
autres, et personne plus que lui ne pouvoit s'appliquer la maxime de
Térence. Il déplore le sort des Grecs, traités par les Turcs à peu près
comme le sont les Nègres par les colons ; il s'attendrit même sur les
galériens de Gênes, envers lesquels on outrepassoit les bornes d'une juste
punition.
Il avoit vu ses compatriotes africains en proie à tous les supplices que
peuvent inventer la cupidité et la rage ; il met en contraste cette cruauté et
la morale de l'Evangile, ce sont les extrêmes ; il propose des vues sur la
direction d'un commerce européen avec l'Afrique, qui du moins ne
blesseroit pas la justice. En 1789, il présenta au Parlement d'Angleterre une
pétition pour la suppression de la traite. Si Vassa vit encore, le bill rendu
dernièrement sur cet objet aura consolé son coeur et sa vieillesse. Certes il
seroit bien à plaindre celui qui, après avoir lu ses mémoires, n'éprouveroit
pas pour l'auteur des sentimens d'affection.
Son fils, versé dans la bibliographie, est devenu sous−bibliothécaire du
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VIII. 122
chevalier Banks, et secrétaire du comité de vaccine.
SANCHO. La mère d'Ignace Sancho, jetée sur un bâtiment négrier, parti de
Guinée pour les possessions espagnoles en Amérique, le mit au monde
dans la traversée, en 1729 ; arrivé à Carthagène, il y fut baptisé par
l'évêque, sous le nom d'Ignace. Le changement de climat conduisit
promptement sa mère au tombeau ; son père, livré aux horreurs de
l'esclavage, se tua dans un moment de désespoir.
Ignace n'avoit pas deux ans, lorsqu'il fut amené en Angleterre par son
maître, qui en fit présent à trois demoiselles soeurs, résidantes à
Greenwich. Son caractère, qu'on assimiloit à celui de l'écuyer de don
Quichotte, lui en fit donner le nom. Le jeune Sancho parvint à se concilier
la bienveillance du duc de Montagu, qui résidoit à Black−Heath. Ce lord
admiroit en lui une franchise qui n'étoit pas avilie par la servitude, ni
altérée par une fausse éducation ; il l'appeloit souvent, lui prêtoit des livres,
et recommandoit aux trois soeurs de cultiver son esprit ; mais près d'elles,
Sancho eut lieu d'apprendre que l'ignorance est un des moyens par lesquels
on asservit les Africains, et que dans l'opinion des planteurs, instruire les
Nègres, c'est les émanciper ; souvent elles le menaçoient de le replonger
dans l'esclavage. L'amour de la liberté qui fermentoit dans son ame,
s'exaltoit encore par l'étude et la méditation ; il conçut une passion violente
pour une jeune personne, ce qui lui attira des reproches d'un autre genre de
la part des trois soeurs ; il prit alors le parti de quitter leur maison. Mais le
duc, son patron, étoit mort ; Sancho, réduit à la misère, employa 5
shellings qui lui restoient, à l'achat d'un vieux pistolet, pour terminer sa vie
de la même manière que son père : alors la duchesse, qui d'abord l'avoit
mal accueilli, et qui cependant l'estimoit, l'accepta pour être sommelier ; il
exerça cet emploi jusqu'à la mort de sa patrone. Par son économie et un
legs de cette dame, il se trouvoit possesseur de 70 livres sterlings, et de 30
d'annuité.
A la passion de l'étude, il mêla quelque temps celles du théâtre, des
femmes et du jeu ; il renonça aux cartes à la suite d'une partie où un Juif lui
avoit gagné ses habits.
Il dépensa son dernier shelling pour aller à Drury−Lane, voir jouer Garrik,
dont ensuite il devint ami ; puis il voulut se faire acteur dans Othello et
Oronoko ; mais une articulation défectueuse l'empêchant de réussir dans un
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VIII. 123
état qu'il avoit envisagé comme une ressource contre l'adversité, il entra au
service du chapelain de la maison Montagu, et sa conduite, devenue
très−régulière, lui mérita la main d'une personne intéressante, née dans les
Indes occidentales.
Vers 1773, des attaques de goutte et la modicité de sa fortune, l'auroient
replongé dans l'indigence, si la générosité de ses protecteurs et son
économie ne lui avoient facilité les moyens de faire un commerce honnête.
Par son industrie et celle de sa femme, il éleva sa nombreuse famille ;
l'estime générale fut le prix de ses vertus domestiques. Il mourut le 15
décembre 1780. Après sa mort, on donna au profit de sa famille, en 2
volumes in−8°, une belle édition de ses lettres, qui furent bien reçues. En
1783, elles furent réimprimées, avec la vie et le portrait de l'auteur, peint
par Gainsboroug, et gravé par Bartolozzi [Letters of the late Ignatius
Sancho, an African, etc., to which are prefixed memoirs of his life, 2 vol.
in−8°, London 1782.]. On y a intercalé quelques articles qu'il avoit publiés
dans les Journaux.
Jefferson lui reproche de se livrer à son imagination, dont la marche
excentrique est, dit−il, semblable à ces météores fugitifs qui sillonnent le
firmament. Cependant il lui accorde un style facile, et des tournures
heureuses, en avouant que ses écrits respirent les plus douces effusions du
sentiment. Imlay déclare qu'il n'a pas eu occasion de les lire, mais que
l'erreur de Jefferson, dans ses jugemens concernant les Nègres, rend
suspect celui qu'il porte de Sancho [V. Imlay, p. 215.].
Les lettres sont un genre de littérature qui n'est guère susceptible d'analyse,
soit à raison de la variété des sujets qu'elles embrassent, soit par la liberté
que se donne l'auteur d'en grouper plusieurs dans la même lettre,
d'approfondir les uns lorsqu'à peine il effleure les autres, et souvent de
s'élancer hors de son sujet, pour finir par des digressions. On lit Mad. de
Sévigné ; mais personne ne proposa jamais de l'analyser. Assurément on ne
peut lui comparer l'auteur africain ; mais dans le genre où s'est illustrée
Mad. de Sévigné, après elle il est encore des places très−honorables. Le
style épistolaire de Sancho approche de celui de Sterne, dont il a les
beautés et les défauts, et avec lequel il étoit en relation. Le troisième
volume des lettres de Sterne en contient une très−belle à Sancho, où il lui
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VIII. 124
dit que les variétés de la nature dans l'espèce humaine ne rompent pas les
liens de consanguinité ; il exprime son indignation, de ce que certains
hommes veulent ravaler une portion de leurs semblables au rang des
brutes, afin de pouvoir impunément les traiter comme tels [V. Letters of
the rev. Lawrence Sterne, to his intimate friend, etc., 3 vol. in−8°, London
1775.].
Quelquefois Sancho descend au ton trivial ; quelquefois s'élevant avec son
sujet, il est poétique ; mais en général il a la grâce et la légèreté du style
épistolaire. Spirituellement badin, lorsqu'entre l'empire tyrannique de la
mode à gauche, la santé et le bonheur à droite, il place un homme du
monde irrésolu dans son choix.
Grave quand il expose les motifs de la providence, qui a donné au génie la
pauvreté pour compagne ; pompeux lorsqu'interrogeant la nature, elle lui
montre partout les ouvrages et la main du Créateur.
«D'après le plan de la divinité, le commerce, dit−il, doit rendre communes
à tout le globe les productions de chaque contrée, unir les nations par le
sentiment des besoins réciproques, les liens de l'amitié fraternelle, et
faciliter la diffusion générale des bienfaits de l'Evangile ; mais ces pauvres
Africains, que le ciel a gratifiés, d'un sol riche et luxuriant [C'est le terme
anglais qui dit plus que fertile ; notre langue n'a pas d'équivalent.], sont la
portion la plus malheureuse de l'humanité, par l'horrible trafic des
esclaves ; et ce sont des chrétiens qui le font».
On se rappelle la fin tragique du docteur Dodd, condamné à mort pour
crime de faux, et dont toute la vie antérieure avoit été un modèle de
sagesse. On regrette qu'il ait subi son supplice, quand on a lu la lettre dans
laquelle Sancho développe les raisons qui militoient pour lui obtenir sa
grâce.
On contesteroit quelques−unes des assertions morales de Sancho, si ses
écrits n'offroient d'ailleurs des hommages multipliés à la vertu. Il la fait
aimer en peignant les remords de la duchesse de K...., bourrelée par cette
conscience qui est, dit−il, le grand chancelier de l'ame. «Agissez donc de
manière à mériter toujours l'approbation de votre coeur..... Pour être
vraiment brave, il faut être vraiment bon..... Nous avons la raison pour
gouvernail, la religion pour ancre, l'espérance pour étoile polaire, la
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VIII. 125
conscience pour moniteur fidèle....., et la perspective du bonheur pour
récompense». Dans la même lettre, repoussant des souvenirs qui étoient
pour sa vertu de nouveaux écueils, il s'écrie : «Pourquoi me rappeler ces
matières combustibles, lorsque glissant rapidement sur la route des années
j'approche du terme de ma carrière ? N'ai−je pas la goutte, six enfans et
une épouse ? O raison, où es−tu ? Vous voyez qu'il est bien plus facile de
prêcher que d'agir ; mais nous savons discerner le bien du mal,
armons−nous contre le vice.
Dans un camp, le général qui compare sa force et la position de son
ennemi, place ses gardes avancées de manière à éviter les surprises.
Faisons de même dans le cours ordinaire de la vie, et croyez−moi, mon
ami, une victoire gagnée sur la passion, l'immoralité, l'orgueil, mérite
plutôt des Te Deum, que celles qu'on remporte dans les champs de
l'ambition et du carnage [Passim, t. I, lettre 7.]».
J'invite le lecteur à ne pas se borner aux extraits qu'on vient de lire, ils ne
peuvent faire connoître l'auteur que d'une manière imparfaite ; plus est
imposante et respectable l'autorité de Jefferson, plus il importe de
combattre son jugement, beaucoup trop sévère, et de ne pas dérober à
Sancho l'estime qui lui est due.
PHILLIS−WHEATLEY. Cette Négresse, volée en Afrique à l'âge de sept
ou huit ans, fut transportée en Amérique, et vendue, en 1761, à John
Wheatley, riche négociant de Boston ; des moeurs aimables, une sensibilité
exquise et des talens précoces la firent chérir dans cette famille à tel point
qu'on la dispensa, non−seulement des travaux pénibles réservés aux
esclaves, mais encore des soins du ménage. Passionnée pour la lecture, et
spécialement pour celle de la Bible, elle apprit rapidement le latin. En
1772, à dix−neuf ans, Phillis Wheatley publia un petit volume de poésies
qui renferme trente−neuf pièces ; elles ont eu plusieurs éditions en
Angleterre et aux États−Unis ; et pour ôter tout prétexte à la malveillance
de dire quelle n'en étoit que le prête−nom, l'authenticité en fut constatée à
la tête de ses oeuvres, par une déclaration de son maître, du gouverneur, du
lieutenant gouverneur, et de quinze autres personnes respectables de
Boston, qui la connoissoient.
Son maître l'affranchit en 1775.
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VIII. 126
Deux ans plus tard, elle épousa un homme de sa couleur, qui étoit aussi un
phénomène par la supériorité de son entendement sur celui de beaucoup de
Nègres ; aussi ne fut−on pas étonné de voir son mari, marchand épicier,
devenir avocat sous le nom du docteur Peter, et plaider devant les
tribunaux les causes des Noirs. La réputation dont il jouissoit le conduisit à
la fortune.
La sensible Phillis, qui avoit été élevée, suivant l'expression triviale, en
enfant gâté, n'entendoit rien à gouverner un ménage, et son mari vouloit
qu'elle s'en occupât ; il commença par des reproches, auxquels succédèrent
de mauvais traitemens, dont la continuité affligea tellement son épouse,
qu'elle périt de chagrin en 1787. Peter, dont elle avoit eu un enfant, mort
très−jeune, ne lui survécut que trois ans [Lettre de M. Giraud, consul de
France à Boston, du 8 octobre 1805 : il a connu le docteur Peter.].
Jefferson, qui semble n'accorder qu'à regret des talens aux Nègres, même à
Phillis Wheatley, prétend que les héros de la Dunciade sont des divinités
comparativement à cette muse africaine [V. Notes on Virginia, etc.]. Si l'on
vouloit chicaner, on diroit qu'à une assertion, il suffit d'opposer une
assertion contraire ; on interjetteroit appel au jugement du public, qui s'est
manifesté en accueillant d'une manière distinguée les poésies de Phillis
Wheatley. Mais une réfutation plus directe, c'est d'en extraire quelques
morceaux qui donneront une idée de ses talens.
C'est sans doute la lecture d'Horace qui lui a suggéré de débuter, comme
lui, par une pièce à Mécène [V. Poems on various subjects religions and
moral, by Phillis Wheatley, negro servant, etc., in−8°, London 1773 ; et
in−12, Walpole 1802.] dont les poètes payèrent la protection par des
flatteries. Leur bassesse fit oublier la sienne, comme Auguste, par l'emploi
des mêmes moyens, fit oublier les horreurs du triumvirat.
Cette pièce n'est pas sans mérite, mais hâtons−nous d'arriver à des sujets
plus dignes de la poésie.
Ceux qu'elle traite sont presque tous religieux ou moraux ; presque tous
respirent une mélancolie sentimentale : il y en a douze sur la mort de
personnes qui lui étoient chères. On distinguera ses hymnes sur les oeuvres
de la providence, la vertu, l'humanité ; l'ode à Neptune ; les vers à un jeune
peintre de sa couleur, en voyant ses tableaux. On se doute bien qu'elle
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VIII. 127
exhale sa douleur sur les infortunes de ses compatriotes.
J'insère ici trois de ses pièces. Le lecteur voudra bien se rappeler qu'en
jugeant les productions d'une Négresse esclave, âgée de dix−neuf ans,
l'indulgence est un acte de justice ; d'ailleurs, la traduction n'est peut−être
qu'une mauvaise copie d'un bon original.
Sur la mort d'un enfant [On the death of an infant.
No more the flo'wry scenes of pleasure rise,
Nor charming prospects greet the mental eyes,
No more with joy we view that lovely face
Smiling, disportive, flush'd with ev'ry grace.
The tear of forrow flows from ev'ry eye,
Groans answer groans, and sighs to sighs reply ;
What sudden pangs shot thro' each aching heart,
When, Death, thy messenger dispatch'd his dart ?
Thy dread attendants, all destroying Pow'r,
Hurried the infant to his mortal hour.
Could'st thou unpitying close those radiant eyes ?
Or fail'd his artless beauties to surprize ?
Could not his innocence thy stroke controul,
Thy purpose shake, and soften all thy soul ?
The blooming babe, with shades of Death o'erspread,
No more shall smile, no more shall raise its head ;
But like a branch that from the tree is torn,
Falls prostrate, wither'd, languid, and forlorn.
«Where flies my James» 'tis thus I seem to hear
The parent ask, «Some angel tell me where
He whings his passage thro' the yielding air» ?
Methinks a cherub bending from the skies
Observes the question and serene replies,
«In heav'n's high palaces your babe appears :
Prepare to meet him, and dismiss your tears».
Shall not th' intelligence your grief restrain,
And turn the mournful to the chearful strain ?
Cease your complaints, suspend each rising sigh,
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VIII. 128
Cease to accuse the Ruler of the sky.
Parents, no more indulge the falling tear :
Let Faith to heav'n's refulgent domes repair,
There see your infant like a seraph glow :
What charms celestial in his numbers flow
Melodious, while the soul−enchanting strain
Dwells on his tongue, and fills th' etherial plain ?
Enough—forever cease your murm'ring breath ;
Not as a foe, but friend, converse with Death,
Since to the port of happiness unknown
He brought that treasure which you call your own.
The gift of heav'n intrusted to your hand
Chearful resign at the divine command ;
Not at your bar must sov'reign Wisdem stand.].
Le plaisir couronné de fleurs ne vient plus embellir nos momens ;
l'espérance n'ouvre plus l'avenir pour nous caresser par des illusions
enchanteresses ; nous ne verrons plus ce visage enfantin sur lequel les
Grâces avoient profusément répandu leurs faveurs : de tous les yeux
s'échappent des larmes ; les gémissemens sont l'écho des gémissemens, les
sanglots répondent aux sanglots.
Inexorable mort, la maladie, ta messagère, en lui décochant le trait fatal, a
percé tous les coeurs, et les a inondés d'amertumes ; ton pouvoir irrésistible
a précipité son heure dernière. Quoi ! sans être émue, tu fermes ses yeux
rayonnans : sa beauté naïve, sa tendre innocence n'ont pu suspendre tes
coups, ni fléchir ta rigueur. Un crêpe funèbre couvre celui qui naguère
nous charmoit par son sourire gracieux, par la gentillesse de ses
mouvemens.
«Où s'est enfui mon bien−aimé James, (s'écrie le père) ? Quand son ame
voltige dans les airs, anges consolateurs, indiquez−moi le lieu de son
passage».
Il me semble qu'alors du haut de l'empyrée, s'incline un chérubin à la face
sereine, qui lui répond : «Ton fils habite la région céleste, essuie tes pleurs,
et prépare−toi à le suivre». Que cet espoir amortisse tes douleurs, et change
tes complaintes en cris d'allégresse. Sur l'aile de la foi élève ton ame à la
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VIII. 129
voûte du firmament, où mêlant sa voix à la voix des purs esprits, cet enfant
fait retentir les cieux de concerts inspirés par le bonheur. Cesse d'accuser le
régulateur des Mondes ; interdis à ton ame des murmures désormais
coupables ; converse avec la mort comme avec une amie, puisqu'elle l'a
conduit au port de la félicité ; résigne−toi avec joie à l'ordre de Dieu, il
reprend un trésor que tu croyois ta propriété, et dont tu n'étois que le
dépositaire. A ton tribunal oserois−tu citer la sagesse éternelle ?
Hymne du matin [An hymn to the morning.
Attend my lays, ye ever honour'd nine,
Assist my labours, and my strains refine ;
In smoothest numbers pour the notes along,
For bright Aurora now demands my song.
Aurora, hail, and all the thousand dies,
Which deck thy progress through the vaulted skies :
The morn awakes, and wide extends her rays,
On ev'ry leaf the gentle zephyr plays ;
Harmonious lays the feather'd race resume,
Dart the bright eye, and shake the painted plume.
Ye shady groves, your verdant gloom display
To shield your poet from the burning day ;
Calliope, awake the sacred lyre,
While thy fair sisters fan the pleasing fire ;
The bow'rs, the gales, the variegated skies
In all their pleasures in my bosom rise.
See in the east th' illustrious king of day !
His rising radiance drives the shades away ;
But Oh ! I feel his fervid beams too strong,
And scarce begun, concludes th' abortive song.].
Secondez mes efforts, montez ma lyre, inspirez mes chants, nymphes
révérées du Permesse. Répandez sur mes vers une douceur ravissante, je
célèbre l'Aurore.
Salut brillante avant−courrière du jour ; une décoration majestueuse et
nuancée de mille couleurs annonce ta marche sous la voûte éthérée ; la
lumière s'éveille, ses rayons s'emparent de l'espace ; le zéphir folâtre sur
les feuillages ; la race volatile lance ses regards perçans, agite ses ailes
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VIII. 130
émaillées, et recommence ses harmonieux concerts.
Verdoyans bocages, déployez vos rameaux, prêtez au poëte vos ombrages
solitaires pour le protéger contre les ardeurs du soleil. Calliope, fais
résonner ta lyre, tandis que tes aimables soeurs attisent le feu du génie. Les
dômes de verdure, les vents frais, le spectacle bigarré des cieux font affluer
tous les plaisirs dans mon ame. De l'Orient s'avance avec pompe le
dominateur du jour, à son éclat les ombres s'enfuient ; mais déjà ses feux
embrasent l'horizon, étouffent ma voix, et mes chants avortés se terminent
forcément au début.
Au comte de Dartmouth [To the right honorable William, earl of
Dartmouth, his majesty's principal secretary or state for north America, etc.
Hail, happy day, when, smiling like the morn,
Fair Freedom rose New England to adorn :
Long lost to realms beneath the northern skies
She shines supreme, while hated faction dies.
Soon us appear'd the Goddess long desir'd
Sick at the view, she languish'd and expir'd.
Thus from the splendors of the morning light
The owl in sadness seeks the caves of night.
No more, America, in mournful strain
Of wrongs, and grievance unredress'd complain,
No longer shalt thou dread the iron chain,
Which wanton Tyranny with lawless hand
Had made and with it meant t' enslave the land.
Should you, my lord, while you peruse my song,
Wonder from whence my love of Freedom sprung,
Whence flow the wishes for the common good,
By feeling hearts alone best understood,
I, young in life, by seeming cruel fate
Was snatch'd from Afric's fancy'd happy seat :
What pangs excruciating must molest,
What sorrows labor in my patents' breast ?
Steel'd was that soul, and by no misery mov'd,
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VIII. 131
That from a father seiz'd his babe belov'd :
Such, such my case. And can I then but pray
Others may never feel tyrannic sway ? etc., etc.].
SALUT heureux jour, où, brillante comme l'aurore, la liberté sourit à la
nouvelle Angleterre... Long−temps exilée des régions boréales, elle revient
embellir nos climats. A l'aspect de la déesse si long−temps désirée, l'esprit
de factions est terrassé, il expire. Tel, effrayé par la splendeur du jour, le
hibou s'enfuit dans les antres solitaires, pour y retrouver la nuit.
Amérique, ils seront enfin réparés ces torts, ils seront expiés ces outrages,
l'objet de tes lugubres doléances. Ne redoute plus les chaînes forgées par la
main de l'insolente tyrannie, qui se promettoit d'asservir cette contrée.
En lisant ces vers, Mylord, vous demanderez avec surprise d'où me vient
cet amour de la liberté ? à quelle source j'ai puisé cette passion du bien
général, apanage exclusif des ames sensibles ?
Hélas ! au printemps de ma vie un destin cruel m'arracha des lieux fortunés
qui m'avoient vu naître. Quelles douleurs, quelles angoisses auront torturé
les auteurs de mes jours ! Il étoit inaccessible à la pitié, il avoit une ame de
fer le barbare qui ravit à un père son enfant chéri. Victime d'une telle
férocité, pourrois−je ne pas supplier le ciel de soustraire tous les êtres aux
caprices des tyrans, etc., etc.
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE VIII. 132
CHAPITRE IX.
Conclusion.
De tous les pays lettrés, je doute qu'il y en ait un où l'on soit aussi étranger
qu'en France à tout ce qui s'appelle littérature étrangère. Seroit−on surpris
dès lors que pas un des auteurs nègres ne fût mentionné dans nos
dictionnaires historiques, qui d'ailleurs ne sont guère que des spéculations
financières ? Ils contiennent les fastidieuses nomenclatures de pièces de
théâtre oubliées, et de romans éphémères. Cartouche y a trouvé une place,
et ils gardent le silence sur Raikes, fondateur des Sunday−schools, ou
Écoles du dimanche ; sur William Hawes, fondateur de la Société
humaine, pour soigner les individus frappés de mort apparente ; sur des
hommes tels que Hartlib, Maitland, Long, Thomas Coram, Hanway,
Fletcher de Saltoun, Ericus Walter, Wagenaar, Buckelts, Meeuwis−Pakker,
Valentyn, Eguyara, François Solis, Mineo, Chiarizi, Tubero, Jérusalem,
Finnus Johannaeus, etc., etc., etc. On n'y trouve pas Suhm, le Puffendorf
du dernier siècle ; pas même un grand nombre d'écrivains nationaux qui
dévoient y figurer, Persini, Blaru, Jehan de Brie, Jean des Lois, de Clieux,
et ce bon quaker Benezet, né à Saint−Quentin, l'ami de tous les hommes, le
défenseur de tous ceux qui souffroient, qui toute sa vie combattit
l'esclavage par la raison, la religion et l'exemple. Il établit à Philadelphie
une école pour les enfans noirs, qu'il enseignoit lui−même. Dans les
intervalles que lui laissoit cette fonction, il alloit chercher des malheureux
à soulager. A ses funérailles, honorées d'un concours très−solennel, un
colonel américain, qui avoit servi comme ingénieur dans la guerre de la
liberté, s'écria : J'aimerois mieux être Benezet dans de cercueil, que George
Washington avec toute sa célébrité : c'est une exagération sans doute, mais
elle est flatteuse. En parlant de Benezet, Yvan−Raiz, voyageur russe,
disoit : Les académies d'Europe retentissent d'éloges décernés à des noms
illustres, et Benezet n'est pas sur leurs listes.
A qui donc réservent−elles des couronnes [V. The American Museum,
in−8°, t. IV, Philadelphie 1788, p. 161 ; et t. IX, 1791, p. l92 et suiv.] ? Ce
CHAPITRE IX. 133
Français qui excita si puissamment l'admiration des étrangers n'est pas
même connu en France ; il n'a pas trouve là moindre place chez nos
entrepreneurs de dictionnaires ; mais Benjamin Rush, et une foule
d'Anglais et d'Américains ont réparé cette omission.
Des hommes qui ne consultent que leur bon sens, et qui n'ont pas suivi les
discussions relatives aux colonies, douteront peut−être qu'on ait pu ravaler
les Nègres au rang des brutes, et mettre en problème leur capacité
intellectuelle et morale. Cependant cette doctrine, aussi absurde
qu'abominable, est insinuée ou professée dans une foule d'écrits. Sans
contredit les Nègres, en général, joignent à l'ignorance des préjugés
ridicules, des vices grossiers, surtout les vices inhérens aux esclaves de
toute espèce, de toute couleur. Français, Anglais, Hollandais, que
seriez−vous, si vous aviez été placés dans les mêmes circonstances ? Je
maintiens que parmi les erreurs les plus stupides, et les crimes les plus
hideux, il n'en est pas un que vous ayez droit de leur reprocher.
Long−temps en Europe, sous des formes variées, les Blancs ont fait la
traite des Blancs ; peut−on caractériser autrement la presse en Angleterre,
la conduite des vendeurs d'ames en Hollande, celle des princes allemands
qui vendoient leurs régimens pour les colonies ?
Mais si jamais les Nègres, brisant leurs fers, venoient (ce qu'à Dieu ne
plaise), sur les côtes européennes, arracher des Blancs des deux sexes à
leurs familles, les enchaîner, les conduire en Afrique, les marquer d'un fer
rouge.
Si ces Blancs volés, vendus, achetés par le crime, placés sous la
surveillance de géreurs impitoyables, étoient sans relâche forcés, à coups
de fouet, au travail, sous un climat funeste à leur santé, où ils n'auroient
d'autre consolation à la fin de chaque jour que d'avoir fait un pas de plus
vers le tombeau, d'autre perspective que de souffrir et de mourir dans les
angoisses du désespoir ; si, voués à la misère, à l'ignominie, ils étoient
exclus de tous les avantages de la société ; s'ils étoient déclarés légalement
incapables de toute action juridique, et si leur témoignage n'étoit pas même
admis contre la classe noire ; si, comme les esclaves de Batavia, ces
Blancs, esclaves à leur tour, n'avoient pas la permission de porter des
chaussures ; si, repoussés même des trottoirs, ils étoient réduits à se
confondre avec les animaux au milieu des rues ; si l'on s'abonnoit pour les
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE IX. 134
fouetter en masse, et pour enduire de poivre et de sel leurs dos
ensanglantés, afin de prévenir la gangrène ; si en les tuant on en étoit quitte
pour une somme modique, comme aux Barbades et à Surinam ; si l'on
mettoit à prix la tête de ceux qui se seroient, par la fuite, soustraits à
l'esclavage ; si contre les fuyards on dirigeoit des meutes de chiens formés
tout exprès au carnage ; si blasphémant la divinité, les Noirs prétendoient,
par l'organe de leurs Marabouts, faire intervenir le ciel pour prêcher aux
Blancs l'obéissance passive et la résignation ; si des pamphlétaires cupides
et gagés discréditaient la liberté, en disant qu'elle n'est qu'une abstraction
(actuellement telle est la mode chez une nation qui n'a que des modes) ;
s'ils imprimoient que l'on exerce contre les Blancs révoltés, rebelles, de
justes représailles, et que d'ailleurs les esclaves blancs sont heureux, plus
heureux que les paysans au sein de l'Afrique.
En un mot, si tous les prestiges de la ruse et de la calomnie, toute l'énergie
de la force, toutes les fureurs de l'avarice, toutes les inventions de la
férocité étoient dirigées contre vous par une coalition d'êtres à figure
humaine, aux yeux desquels la justice n'est rien, parce que l'argent est
tout ; quels cris d'horreur retentiroient dans nos contrées ! Pour l'exprimer,
on demanderoit à notre langue de nouvelles épithètes ; une foule
d'écrivains s'épuiseraient en doléances éloquentes, pourvu toutefois que
n'ayant rien à craindre, il y eût pour eux quelque chose à gagner.
Européens, prenez l'inverse de cette hypothèse, et voyez ce que vous êtes.
Depuis trois siècles, les tigres et les panthères sont moins redoutables que
vous pour l'Afrique. Depuis trois siècles, l'Europe, qui se dit chrétienne et
civilisée, torture sans pitié, sans relâche, en Amérique et en Afrique, des
peuples qu'elle appelle sauvages et barbares. Elle a porté chez eux la
crapule, la désolation et l'oubli de tous les sentimens de la nature, pour se
procurer de l'indigo, du sucre, du café. L'Afrique ne respire pas même
quand les potentats sont aux prises pour se déchirer ; non, je le répète, il
n'est pas un vice, pas un genre de scélératesse dont l'Europe ne soit
coupable envers les Nègres, et dont elle ne leur ait donné l'exemple. Dieu
vengeur, suspens ta foudre, épuise ta miséricorde en lui donnant le temps
et le courage de réparer, s'il est possible, ses scandales et ses atrocités.
Je m'étois imposé le devoir de prouver que les Nègres sont capables de
vertus et de talens ; je l'ai établi par le raisonnement, plus encore par les
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE IX. 135
faits ; ces faits n'annoncent pas des découvertes sublimes ; ces ouvrages ne
sont pas des chefs−d'oeuvres ; mais ils sont des argumens sans réplique
contre les détracteurs des Nègres.
Je ne dirai pas avec Helvétius que chacun en naissant apporte d'égales
dispositions, et que l'homme n'est que le produit de son éducation ; mais
cette assertion, fausse dans sa généralité, est vraie à bien des égards. Un
concours d'heureuses circonstances développa le génie de Copernic, de
Galilée, de Leibnitz et de Newton ; des circonstances fâcheuses ont
peut−être empêché d'éclore des génies qui les auroient surpassés ; chaque
pays a sa Béotie, mais en général on peut dire que le vice et la vertu,
l'esprit et la sottise, le génie et l'ineptie appartiennent à toute sorte de
contrées, de nations, de crânes et de couleurs.
Pour comparer des peuples, il faut les placer dans les mêmes conjonctures ;
et quelle parité peut s'établir entre les Blancs, éclairés des lumières du
christianisme qui mène presque toutes les autres à sa suite, enrichis des
découvertes, entourés de l'instruction de tous les siècles, stimulés par tous
les moyens d'encouragement ; et d'autre part, les Noirs privés de tous ces
avantages, voués à l'oppression, à la misère ? Si aucun d'eux n'avoit fait
preuve de talens, on n'auroit pas lieu d'en être surpris ; ce qu'il y a vraiment
d'étonnant, c'est qu'un si grand nombre en ayent manifesté. Que
seroient−ils donc si, rendus à toute la dignité d'hommes libres, ils
occupoient le rang que la nature leur assigne, et que la tyrannie leur
refuse ?
Souvent en politique les révolutions brusques, à raison des désastres
qu'elles entraînent, peuvent s'assimiler aux grandes convulsions de la
nature. De la part des planteurs, c'est encore une nouvelle imposture
d'avoir confondu la question de l'émancipation avec celle de la traite,
d'avoir débité que les amis des Noirs vouloient un affranchissement subit
et général.
Ils opinoient pour une marche progressive qui opéreroit le bien sans
secousse ; tel étoit l'avis de l'auteur de cet ouvrage, lorsque dans un écrit
adressé aux Nègres et Mulâtres libres, et qui lui a valu tant d'injures, il
annonçoit (et il l'annonce encore), qu'un jour sur les rivages des Antilles, le
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE IX. 136
soleil n'éclairera plus que des hommes libres, et que les rayons de l'astre
qui répand la lumière ne tomberont plus sur des fers et des esclaves [V.
Lettre aux citoyens de couleur et Nègres libres, in−8°, Paris 1791, p. 12.] ;
mais les planteurs français ont repoussé avec acharnement tous les décrets
par lesquels l'assemblée constituante vouloit graduellement amener des
réformes salutaires ; leur orgueil a perdu pour eux les colonies du nouveau
Monde, qui ne fleuriront jamais, dit Le Genty, que sous les auspices de la
liberté personnelle ; le trafic révoltant que l'homme ose y faire de son
semblable, ne les conduira jamais à une prospérité constante...
Ce continent américain, asile de la liberté, s'achemine vers un ordre de
choses qui sera commun aux Antilles, et dont toutes les puissances
combinées ne pourront arrêter le cours. Les Nègres réintégrés dans leurs
droits, par la marche irrésistible des événemens, seront dispensés de toute
reconnoissance envers ces colons, auxquels il eut été également facile et
utile de s'en faire aimer.
Le travail à la tâche, dont on reconnoit déjà l'utilité au Brésil et à Bahamas,
l'introduction de la charrue pour les cultures à la Jamaïque, justifiée par des
succès [V. Dallas, t. I, p. 4. Barré−Saint−Venant propose également
l'introduction de la charrue dans nos colonies.], suffiroient pour renverser
ou modifier le système colonial. Cette révolution aura un mouvement
accéléré, lorsque l'industrie et la politique, connoissant mieux leurs
rapports mutuels, appelleront autour d'elles, dans les colonies, les pompes
à feu, et tous les moyens mécaniques à l'aide desquels on abrège le travail,
on facilite les manipulations.
Lorsqu'une nation énergique et puissante, à laquelle tout présage de hautes
destinées, étendant ses bras sur les deux Océans Atlantique et Pacifique,
élancera ses vaisseaux de l'un à l'autre, par une route abrégée, soit en
coupant l'isthme de Panama, soit en formant un canal de communication,
comme on l'a proposé, par la rivière Saint−Jean et le lac de Nicaragua ; elle
changera la face du monde commercial, et la face des empires. Qui sait si
l'Amérique ne se vengera pas alors des outrages qu'elle a reçus, et si notre
vieille Europe, placée dans un rang de puissance subalterne, ne deviendra
pas une colonie du nouveau Monde ?
Il n'y a d'utile et de durable que ce qui est juste ; aucune loi émanée de la
nature ne place un homme dans la dépendance d'un autre, et toutes les loix
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE IX. 137
que la raison désavoue, sont par là même frappés de nullité. Chacun
apporte, en naissant, son titre à la liberté [Le Genty.] ; les conventions
sociales en ont circonscrit l'usage, mais la limite doit être la même pour
tous les membres de la cité, quelles que soient leur origine, leur couleur,
leur religion. Si vous avez droit de rendre un autre homme esclave, disoit
Price, il a droit de vous rendre esclave ; et si l'on n'a pas droit de le vendre,
personne n'a le droit de L'acheter.
Puissent les nations européennes expier enfin leurs crimes envers les
Africains ! Puissent les Africains, relevant leurs fronts humiliés, donner
l'essor à toutes leurs facultés, ne rivaliser avec les Blancs qu'en talens et en
vertus, oublier les forfaits de leurs persécuteurs, ne s'en venger que par des
bienfaits, et dans les effusions de la tendresse fraternelle, goûter enfin la
liberté et le bonheur ! Dût−on ici bas n'avoir que rêvé ces avantages pour
soi−même, il est du moins consolant d'emporter au tombeau la certitude,
qu'on a travaillé de toutes ses forces à les procurer aux autres.
P. S. Deux hommes de lettres très−distingués par leurs talens et leurs
ouvrages, l'un Helvétien, et l'autre Américain, ont fait sur le manuscrit
original de cet ouvrage des traductions allemande et anglaise, qui
paraîtront incessamment, en Allemagne et dans les États−Unis d'Amérique.
FIN.
De la Littérature des Nègres, ou Rech...
CHAPITRE IX. 138
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