me paye et quand il s'en va.»
Mais, rare ou fréquente, elle existe, cette femme à tempérament, et elle
peut se définir d'un mot : elle a, pour tout ce qui regarde les choses de
l'amour, la nature d'un homme. N'avez−vous pas entendu des vingtaines de
fois un monsieur vous dire : «Moi, quand j'ai été huit jours sage, j'ai mes
idées toutes brouillées.» Mettons quinze jours, mettons un mois,
mettons−en deux, pour n'être pas trop dupes des vantardises. La femme à
tempérament est ainsi. Les sexes vivent, chez elle, d'une vie inférieure et
comme séparée, à côté de la tête, en dehors du coeur. Elle se présente
d'ordinaire sous deux types très différents : la plantureuse et la consumée...
Vous voyez dans ce salon cette femme de vingt−cinq ans, presque trop
grande, déjà un peu forte, avec beaucoup de gorge, des épaules de zouave
et des bras charnus, facilement rouges. Si vous l'avez observée à table,
vous aurez constaté qu'elle est sobre, quoiqu'elle mange avec un réel
appétit, mais seulement les plats très sains. Elle a dans ses yeux plutôt
petits, dans son nez droit à base large, dans sa bouche plutôt épaisse, dans
son menton carré, quelque chose de la faunesse, et un rire qui découvre des
dents serrées, blanches et solides comme des dents de bête. C'est une très
grande dame, avec un blason qui remonte aux croisades, et vous sentez
pourtant que n'importe où, à une table d'auberge comme dans la foule d'un
port, dans un théâtre borgne ou dans un tripot élégant, elle saurait être à
son aise, et, pour peu qu'elle s'amuse, toujours bonne enfant. Si vous l'avez
rencontrée au moment d'une grande peine, après une mort, par exemple,
vous aurez observé en elle une sensibilité analogue à celle des gens du
peuple, simple, vraie, mais qui n'empêche pas la forte poussée animale de
continuer. C'est le paysan qui, au retour de l'enterrement de son père,
s'assied à dîner et mange de grand appétit, les yeux en larmes, le cœur
gros, tout en redemandant de la viande. Chez la femme à tempérament,
rien ne fait plaie, ni douleurs ni joies. Elle pleure un perfide qui l'a trahie et
fait comme une charmante bourgeoise qui, ayant pris le petit René Vincy
pour confident de ses chagrins, l'entraîne un jour dans sa chambre à
coucher, pousse le verrou et lui dit : «René, nous avons un quart d'heure...»
Le pauvre René, qui aimait toujours ailleurs et qui avait la naïveté d'être
fidèle, se conduisit comme le légendaire Joseph, ce dont la dame ne lui en
voulut pas. Elle dit seulement : «Ça m'aurait pourtant fait bien plaisir...»
Physiologie de l'Amour Moderne
DE LA MAITRESSE (suite) 99