Préface
C'est une chose étrange qu'on imprime les gens malgré eux. Je ne vois rien
de si injuste, et je pardonnerais toute autre violence plutôt que cellelà.
Ce n'est pas que je veuille faire ici l'auteur modeste, et mépriser, par
honneur, ma comédie. J'offenserais mal à propos tout Paris, si je l'accusais
d'avoir pu applaudir à une sottise. Comme le public est le juge absolu de
ces sortes d'ouvrages, il y aurait de l'impertinence à moi de le démentir ; et,
quand j'aurais eu la plus mauvaise opinion du monde de mes Précieuses
ridicules avant leur représentation, je dois croire maintenant qu'elles valent
quelque chose, puisque tant de gens ensemble en ont dit du bien. Mais,
comme une grande partie des grâces qu'on y a trouvées dépendent de
l'action et du ton de voix, il m'importait qu'on ne les dépouillât pas de ces
ornements ; et je trouvais que le succès qu'elles avaient eu dans la
représentation était assez beau pour en demeurer là. J'avais résolu, disje,
de ne les faire voir qu'à la chandelle, pour ne point donner lieu à quelqu'un
de dire le proverbe ; et je ne voulais pas qu'elles sautassent du théâtre de
Bourbon dans la galerie du Palais. Cependant je n'ai pu l'éviter, et je suis
tombé dans la disgrâce de voir une copie dérobée de ma pièce entre les
mains des libraires, accompagnée d'un privilège obtenu par surprise. J'ai eu
beau crier : O temps ! ô moeurs ! on m'a fait voir une nécessité pour moi
d'être imprimé, ou d'avoir un procès ; et le dernier mal est encore pire que
le premier. Il faut donc se laisser aller à la destinée, et consentir à une
chose qu'on ne laisserait pas de faire sans moi. Mon Dieu ! l'étrange
embarras qu'un livre à mettre au jour, et qu'un auteur est neuf la première
fois qu'on l'imprime ! Encore si l'on m'avait donné du temps, j'aurais pu
mieux songer à moi, et j'aurais pris toutes les précautions que messieurs les
auteurs, à présent mes confrères, ont coutume de prendre en semblables
occasions. Outre quelque grand seigneur que j'aurais été prendre malgré lui
pour protecteur de mon ouvrage, et dont j'aurais tenté la libéralité par une
épître dédicatoire bien fleurie, j'aurais tâché de faire une belle et docte
préface ; et je ne manque point de livres qui m'auraient fourni tout ce qu'on
Préface 2