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La derniere lettre ecrite par des soldats francais tombes au
champ d'honneur 1914-1918
L'Union des Peres et des Meres dont les fils sont morts pour la Patrie
The Project Gutenberg EBook of La derniere lettre ecrite par des soldats
francais tombes au champ d'honneur 1914-1918, by L'Union des Peres
et des Meres dont les fils sont morts pour la Patrie
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Title: La derniere lettre ecrite par des soldats francais
tombes au champ d'honneur 1914-1918
Author: L'Union des Peres et des Meres dont les fils sont morts pour la Patrie
Release Date: May 21, 2004 [EBook #12401]
Language: French
Character set encoding: ASCII
*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA DERNIERE LETTRE ECRITE ***
Produced by Tonya Allen and PG Distributed Proofreaders
La derniere lettre
ecrite par des soldats francais
tombes au champ d'honneur
1914-1918
Ces lettres ont ete choisies
par des peres qui pleurent
un enfant mort pour la France
et par d'anciens combattants
reunis sous la presidence de
M. le Marechal FOCH.
L'_Union des Peres et des Meres dont les fils sont morts pour la
Patrie_, 10, rue Lafitte, Paris (IXe), la _Ligue des Chefs de Section et
des Soldats combattants_, 17 ter, Avenue Beaucour, Paris (VIIIe), et _M.
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Ernest Flammarion_, 26, rue Racine, Paris (VIe) ont edite ce livre.
Paris, le 29 Octobre 1921.
Le sacrifice de tous les soldats tombes pour la defense de la Patrie fut
d'autant plus sublime qu'il fut librement consenti.
Les "_Dernieres Lettres_" montrent de facon touchante l'esprit ideal et
pur dans lequel ce sacrifice a ete fait; c'est un monument de plus a la
Gloire imperissable du Soldat Francais.
_Lettre ecrite par le Soldat ABEILLE, 42e d'Infanterie, tombe au champ
d'honneur le 12 Novembre 1914._
Saint-Gaudens, samedi 26 Septembre 1914.
...A Paris, j'ai vu une ville que je connaissais de longue date et dont
les beautes m'etaient familieres, avec des yeux sur lesquels l'amour
avait mis son charme inexprimable.
C'etait le 23 Septembre, apres-midi ensoleillee et claire avec sur
les arbres et dans le ciel des teintes douces qui deja annoncaient le
prochain automne. Je me suis trouve sur la place de la Concorde, touche
de la grace extraordinaire, de la beaute de ce coin de Paris par cette
claire journee de guerre. Je venais de passer devant la statue de
Strasbourg, si eloquente dans son geste fier. Je venais d'admirer les
pures couleurs du grand pavillon tricolore flottant comme toujours
au-dessus du Ministere de la Marine.
Et au centre de la grande place, je voyais, d'un cote, a l'extremite
grandiose de l'avenue des Champs-Elysees, le profil de l'arc de triomphe
de l'Etoile, monument de nos prestigieuses gloires passees.
A l'autre extremite, au fond des Tuileries, encadrees d'arbres et
de jets d'eau, les colonnes de porphyre du petit arc de triomphe du
Carrousel, eleve lui aussi a la gloire des grandes armees, narguant le
monument de Gambetta et les paroles emouvantes gravees dans la pierre
devant le Louvre.
Et je voyais cela pour la premiere fois avec des yeux qui n'etaient plus
ceux d'un vaincu accable par l'abaissement d'une patrie qui avait ete
si grande. Je voyais pour la premiere fois la capitale de mon pays, en
ayant le droit de regarder en face le sens des pierres de ses monuments,
en etant certain que nous allions enfin nous montrer dignes de notre
grande histoire.
Avoir vecu trente-trois ans avec l'angoisse de ne pas voir venir le jour
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de gloire tant reve, avec l'humiliation de transmettre aux enfants la
honte d'etre des Francais diminues, moins fiers, moins libres que leurs
grands-peres, avoir souffert de cela silencieusement, mais profondement,
avec toute l'elite de mon pays, et voir soudain resplendir l'aube de la
resurrection alors que je suis encore jeune et fort et que mon sang est
pret a jaillir, heureux, pour tous les sacrifices.
Je suis satisfait d'avoir ete utile et meme necessaire a Nancy dans un
moment difficile, ou les evenements n'auraient pas eu le meme caractere
si mes fonctions avaient ete detenues par un homme ayant moins de
sang-froid et d'esprit de decision. J'aurais ete affecte s'il m'avait
fallu quitter Nancy, moins d'un mois apres mon arrivee, alors que le
danger etait grand et que j'avais beaucoup a faire.
Maintenant que mon role est termine, il n'etait pas admissible de
s'attarder. Meme utile, ma place n'etait pas confinee dans un cabinet
de travail. Ce n'est pas la qu'on participe suffisamment a une oeuvre
historique qui exige la collaboration des forces de tout un peuple. Il
est des heures ou il faut la grande collaboration anonyme mais vivante
sous le grand ciel avec la jeunesse entiere de son pays. Malheur a ceux
qui ne sont pas la a ce moment!
Malheur aux intellectuels qui ne comprennent pas qu'ils ont eux un
double devoir, un devoir sacre de mettre leurs bras et leurs poitrines
a la meme place que les bras et les poitrines de leurs freres, moins
avances qu'eux-memes dans la possession de la conscience nationale.
A nous, les privilegies, les gardiens de la tradition, les transmetteurs
de l'Ideal, d'exposer nos vies et de faire joyeusement le don de
nous-memes pour le maintien, le prolongement, l'exaltation de toute
cette beaute, de toute cette fierte que nous sommes les premiers a
sentir, dont nous sommes les premiers a jouir.
Et demain, nous aurons l'orgueil de rendre a nos fils le prestige de
leur race et de faire tressaillir de reconnaissance nos peres dans leurs
tombeaux....
_Lettre d'Emile ABGRALL, Officier mecanicien a bord du_ Leon-Gambetta.
Cinq jours plus tard, le 27 Avril 1915, le sous-marin autrichien U-5
torpillait le "_Leon Gambetta_" a cinq milles de Sainte-Marie de
Leuca. Emile ABGRALL disparut avec le croiseur.
22 Avril.
Notre plus cher desir etait d'aller charbonner a Malte. Crac!
contre-ordre. C'est Navarin qui nous reapprovisionnera. Mais a quel
prix! Les Grecs vendent 35 francs les 100 kilos de patates. C'est la
guerre!
Reuter nous apprend une bonne nouvelle: les Boches, qui avaient reussi
a gagner du terrain pres d'Ypres, grace a l'emploi d'explosifs
asphyxiants, ont ete repousses par les notres. Tout le terrain perdu est
reconquis. Bravo! vivent les Poilus! Quel coup de main nous voudrions
pouvoir leur donner.
Hier, des petits oiseaux sont venus nous rendre visite. Ils se sont
installes sur les caisses qui servent de prisons a de jolis cochons
roses et nous ont donne un ravissant concert. Ils avaient peut-etre
passe l'hiver en Bretagne. Qui sait! Tout l'equipage leur a fait fete.
Nous avons eu un instant l'espoir qu'ils allaient continuer a vivre
notre vie. Helas! le soir venu, ils ont repris leur vol.
Reverrai-je un jour les oiseaux?...
Embrasse bien pour moi Papa, Maman. Mais, surtout, ne leur donne pas
connaissance de mes alarmes. Laisse-les croire que je navigue sur une
mer d'huile, loin de tout danger. Si le sort nous designe pour le grand
voyage, ils apprendront bien assez tot cette facheuse nouvelle. S'il
est ecrit que la famille doit perdre l'un des siens dans la tourmente,
n'est-il pas juste que ce soit moi?... Je ne laisserai ni femme, ni
enfants.
Allons, adieu, cher Frere. Longues caresses a Raoul et a Joel.
Bien affectueusement a toi.
EMILE.
_Lettre trouvee dans le portefeuille de l'Aspirant Henri ACHALME (9 Juin
1894-16 Juin 1915)._
14 Juin.
Mes cheris,
Ne pleurez pas. Pendant toute ma vie, j'ai ete heureux autant qu'on peut
le rever, autant, je crois, qu'on peut le realiser et c'est vous qui
m'avez tout donne. Je vous ai aimes de tout coeur, de toutes forces.
Peut-etre aurais-je souffert plus tard, et je m'en vais pour la plus
belle cause: pour qu'en France on ait encore le droit d'aimer. J'espere
etre tombe face a la victoire. Alors, c'est bien!
Moi qui aurais tant voulu ne jamais vous faire de peine! Enfin, puisque
je ne laisse ni haines, ni degouts, que tout m'a semble beau et m'a
ete doux, je m'en vais encore heureux, puisque c'est pour permettre a
d'autres de l'etre. Comme c'etait facile d'etre heureux! Dites-le a
Jacquot.
Je vous aime et tout doucement je vous embrasse.
HENRI.
Dites encore a mes amis, a tous ceux qui, de pres ou de loin, m'ont un
peu connu ou un peu aime, que je les remercie de m'avoir permis de m'en
aller en pouvant dire: "J'etais heureux!"
HENRI.
_Lettre de Charles ADRIEN, Adjudant-Chef, 361e R.I., mort le 27 Mars
1916, a Verdun._
Mon cher petit Pere,
Je suis heureux en ce jour de pouvoir t'adresser du fond de mon coeur
mes voeux et souhaits de bonne fete.
Je sais que tu prefererais que tous tes gars soient la pour te les
exprimer de vive voix, mais sois bien certain, ou qu'ils se trouvent,
qu'ils ne t'oublient pas en ce triste jour qui devrait etre si gai.
Les dures necessites de l'existence nous imposent ce triste moment;
soyons convaincus, cependant, que bientot tous reunis, de notre franc
sourire, nous ferons oublier a tous et a nous-memes ces mauvais
passages.
Ce 24 Juin 1915 ne se passera pas sans que les pensees de mon coeur et
de mon ame te soient adressees, a toi, mon cher petit Pere bien-aime,
qui sut faire de nous des hommes.
Sans penser a ce que nous sommes en ce moment, sois fier de tes enfants
et de toi-meme, car tu les as faits d'un moral et d'une sante assez
eleves pour qu'ils puissent passer le plus aisement cette dure epreuve.
Tu as donc pour ta part contribue a nous donner une bonne chance de
revenir. Nous saurons trouver les autres.
Je souhaite que cette lettre t'arrive pour le 24, pour bien te marquer
que nous pensons beaucoup a toi que nous aimons si tendrement.
J'espere que mon cher frere Baptiste, dans la dure epreuve morale qu'il
traverse, ne doutera pas que nos pensees vont un peu vers lui aussi.
Ayons confiance qu'un jour proche nous retrouvera tous joyeusement
reunis et que si nous avons rate nos fetes de famille cette annee, nous
puissions faire celle du coeur et du bonheur de nous revoir.
Je t'envoie de ma tranchee nouvellement conquise, bien pres des Boches
qui nous marmitent en ce moment, ces petites fleurs que j'ai cueillies a
Hebuterne avant de partir.
Puisses-tu trouver dans elles l'expression de mes plus tendres
sentiments affectueux.
Ton fils,
CHARLOT.
_Lettre ecrite par le Lieutenant ARNON, Maurice-Eugene, du Groupe
cycliste de la 6e Division de Cavalerie, tombe a l'assaut de Launois
(Vosges), le 24 Juillet 1915._
Le 23 Juillet 1915.
Mon cher Oncle,
Demain, j'aurai le tres grand honneur de monter a l'assaut des tranchees
ennemies, je commande une des colonnes d'attaque et dois m'emparer d'un
blockaus garni de mitrailleuses et d'une maison crenelee. Je ferai tout
mon devoir et, si je tombe, je vous demande de prevenir chez moi avec
tous les menagements possibles; c'est vous que j'ai demande d'avertir.
Et, maintenant, courage!
En avant! et vivent les chasseurs!
Bons baisers a tous.
MAURICE.
_Lettre du Lieutenant Emmanuel AUBER, 2e Regiment d'Infanterie, tue en
entrainant sa Compagnie a l'assaut, le 30 Avril 1917._
Maman adoree,
On t'aura deja prevenue lorsque tu recevras cette lettre.
Oui, Maman cherie, si ce mot t'est envoye, c'est que je serai reste
la-bas, sur la plaine, dans l'assaut formidable que la France a
entrepris.
Il ne faudra pas pleurer, ma Maman bien-aimee. Souviens-toi que tu es
Francaise avant tout et que la mort qui m'enleve est glorieuse
entre toutes. Il faut etre fiere de moi car j'aurai fait mon devoir
pleinement. Je veux mourir face a l'ennemi et non dans la tranchee.
Tu crois en l'immortalite de l'ame, Maman cherie, seule l'enveloppe
terrestre perit, l'ame demeure plus belle, plus pure.
Sois heureuse pour ton fils. Je veux de la-haut voir ma Mere calme
devant cette mort, assez forte pour vaincre son emotion et pour dire
encore: Vive notre belle France!
Je veux voir de la-haut notre cher Pays debarrasse de ses ennemis et son
peuple renaitre plus vigoureux et plus prospere.
Maman adoree, je reste aupres de toi. Frison n'est pas loin. Que ma
pensee te soutienne pour etre heureuse pleinement.
Adieu.
E. AUBER.
_Lettre ecrite par le Pretre Marie-Dominique AUBERT, 18e Section
d'Infirmiers militaires, tombe au champ d'honneur, le 18 Novembre 1916,
a Rancourt (Somme)._
18 Novembre 1916.
...Je ne me fais pas illusion, je sais que je serai plus expose au
danger ... mais aussi je pourrai remplir un ministere plus fructueux,
assistant les pauvres blesses et mourants, leur donnant les secours de
la religion, leur ouvrant les portes du Ciel et remplacant en quelque
sorte aupres d'eux leur famille absente.
Quel beau ministere pour un pretre!
AUBERT.
_Lettre ecrite par le Lieutenant Eugene AUBERT, 3e Genie, tombe au
champ d'honneur, a Hannappes, sur le canal de la Sambre a l'Oise, le 31
Octobre 1918._
26 Octobre 1918.
Mes chers tous,
Je suis content ce matin, mais bien fatigue par une reconnaissance qui
m'a tenu toute la nuit jusqu'a 5 heures du matin, puis de 5 a 7 heures
pour etablir mes plans et comptes rendus.
Enfin, j'ai passe une bonne nuit, je dis bien une bonne, car je suis
heureux, j'ai rampe dans la boue, dans les orties, je me suis egratigne
aux fils de fer, mais j'ai pu faire une bonne observation de laquelle va
s'ensuivre un bon travail, je l'espere.
Ne vous en faites pas, tout va pour le mieux puisque la nuit d'hier
etait pour moi la seule qui portait des risques. Nous allons inscrire
une autre victoire au tableau.
Vive la France! Sante parfaite.
J'espere que vous etes tous tres bien portants et, en attendant de vos
nouvelles, je vous embrasse tous comme je vous aime.
Votre fils et frere,
E. AUBERT.
_Lettre de Lucien AUFRERE, Aspirant au 172e Regiment d'Infanterie,
blesse mortellement a Bouchavesnes, le 26 Septembre 1916._
Cher Pere.
Je t'ecris a toi parce que tu es homme et que je ne veux pas chagriner
Maman.
Nous avons eu deux jours de repos. Ce soir, nous montons a l'attaque.
C'est nous qui percerons; j'ai le coeur plein de fierte et de confiance
qu'une aussi belle tache nous ait ete confiee.
Nous vaincrons.
Pendant plusieurs jours, vous ne recevrez pas de nouvelles, l'avance ne
permet pas des rapports tres suivis entre l'arriere et l'avant.
Enfin, Pere, sois sur que ton fils sera toujours au chemin de l'honneur.
Tous mes baisers.
LUCIEN.
Je pense bien a Maman, comme je la plains.
_Lettre ecrite par le Caporal Georges ANFRIE, 158e Regiment
d'Infanterie, tombe au champ d'honneur, le 25 Aout 1914, a
Menil-sur-Belville (Vosges)._
Je vous embrasse tous fort, et si la chance nous est defavorable, ce ne
sera pas un cas isole et ce sera pour la plus grande France. Souhaitons
que cela finisse bientot.
Gardez-moi tous les documents que vous pourrez trouver sur la guerre
pour que je voie un peu comment cela a marche. Jusqu'a present, nous
n'avons pas eu trop faim.
Envoyez-moi de l'argent, s'il ne vous est pas plus utile. J'ai repris
froid dans ces tranchees par les nuits fraiches et je me complimente
d'avoir emporte ma ceinture bleue.
Ne soyez pas trop en peine, ne voyez pas qu'un cas particulier. Il faut
avoir du courage pour vaincre et vous ce pourrez faire que nous pleurer.
Je vous embrasse.
GEORGES.
_Lettre ecrite par le Caporal Armand BAYLE, 109e Regiment d'Infanterie,
tombe au champ d'honneur le 24 Septembre 1915._
BIEN CHERS TOUS,
C'est quelques heures avant le "Grand Coup" que je trace ces quelques
lignes, renfermant tout mon espoir et tout mon coeur! Un vague
pressentiment me dit que, en meme temps que beaucoup de mes camarades,
je suis appele a y rester, sur ce terrible plateau de Lorette, ou je
combats depuis le mois de mars! C'est ma destinee qui l'aura voulu.
Aussi ma derniere pensee est-elle pour vous, qui avez toujours ete si
devoues pour moi, vous qui avez pris tant de peine, qui vous etes tant
prives pour me donner l'education que j'ai en ce moment. Aucun geste,
aucune parole ne pourront vous remercier assez de tous les bienfaits
dont vous m'avez comble: une reconnaissance eternelle, voila
malheureusement tous les remerciements que je puis vous adresser; car au
moment ou vous recevrez cette lettre, je ne serai plus de ce monde.
Grande sera votre douleur, mais vous aurez une consolation. Votre fils
sera mort en brave; il sera digne de vous, vous pourrez parler de lui,
car il aura merite de la patrie. Quelle plus douce consolation, en des
temps si cruels ou la vie d'un homme ne tient a rien.
Adieu, bien chers tous; que mon sacrifice soit pour vous un
porte-bonheur. Ayez confiance comme je l'ai en ce moment, et que cette
horde de sauvages soit bientot acculee a la defaite.
Tous mes souhaits, tout mon coeur sont enfermes dans cette lettre, a
laquelle je joins mes plus ardents baisers.
Votre malheureux fils,
ARMAND.
_Lettre ecrite par Georges BELAUD, 369e Regiment d'Infanterie, tombe au
champ d'honneur._
MA CHERE YVONNE,
Ne te fais pas de mauvais sang. J'ai bon espoir de te revoir, ainsi que
mon cher Raymond. Je te recommande de te soigner, ainsi que mon fils,
car, tu sais, je ne te pardonnerais jamais s'il t'arrivait quelque chose
ainsi qu'a lui.
Maintenant, si, par hasard, il m'arrivait quelque chose, car, apres
tout, nous sommes en guerre et, ma foi, nous risquons quelque chose, eh
bien! j'espere que tu seras courageuse et sache bien, si je meurs, je
mets toute ma confiance en toi et je te demande de vivre pour elever mon
fils en homme de coeur et donne-lui une instruction assez forte et selon
les moyens que tu disposeras.
Et surtout tu lui diras, quand il sera grand, que son pere est mort
pour lui ou tout au moins pour une cause qui doit lui servir a lui et a
toutes les generations a venir.
Maintenant, ma chere Yvonne, tout ceci n'est que simple precaution et
je pense etre la pour t'aider dans cette tache, mais enfin, comme je te
l'ai dit, on ne sait pas ce qui peut arriver. En tout cas, nous partons
tous de bon coeur et dans le ferme espoir de vaincre.
Pour toi, ma chere Yvonne, saches bien que je t'ai toujours aimee et
que je t'aime toujours quoi qu'il arrive; et j'espere que, quand je
reviendrai, tu ne m'en feras plus jamais le reproche.
Aussitot que tu le pourras, pars pour Fontenay, car, a mon retour,
j'aimerai mieux te trouver la-bas et, encore une fois, je compte sur toi
et tu seras courageuse et je ne te fais plus de recommandations car je
crois que ce serait superflu.
Pour m'ecrire, renseigne-toi, je suis au 369e d'Infanterie, mais au lieu
du 5e Corps, c'est au 20e.
Ton petit homme qui t'embrasse bien fort ainsi que mon cher petit
Raymond.
GEORGES.
_Lettre ecrite par le Lieutenant BENDER, Robert, 3e Chasseurs Alpins,
tombe au champ d'honneur le 27 Aout 1916._
22 Aout 1916.
Chere Maria,
Toujours en bonne sante, mais la vie est dure; malgre cela, sante et
moral a la hauteur; le marmitage est terrible et tout voltige en l'air;
nous vivons dans les trous d'obus. Nous avons largement la superiorite,
mais le travail sera dur; dans tous les cas, il ne faut pas reculer
devant aucun sacrifice pour la Patrie et la paix victorieuse. Vive la
France! Nous ne serons tranquilles qu'au moment ou les Boches seront
tellement bas qu'ils demanderont grace, c'est alors seulement qu'on
pourra leur imposer notre volonte sans pitie et surtout pas de paix
boiteuse, car tout serait nul.
Chere Maria, ne te fais pas de mauvais sang a cause de moi, tu sais que
je suis un soldat consciencieux, je donne l'exemple a mes hommes dans le
danger comme en dehors, ma conscience est tranquille, je ne crains pas
la mort, au contraire, je la regarde bien en face; si toutefois ma
destinee est de retourner pres de toi, je retournerai; si le bon Dieu
decide autrement, il n'y a rien a faire; prie pour moi et mes hommes,
c'est tout ce qu'on peut faire; moi, de mon cote, si un malheur doit
m'arriver, je suis pret. Hier soir, avant de partir, je me suis fait
donner l'absolution de notre aumonier, je suis tranquille; si quelque
chose doit m'arriver, il t'avertira ou le medecin en chef a qui j'ai
donne mon argent et portefeuille. Haut le coeur. Vive la France!
C'est en face de la mort qui fauche autour de nous que l'on sent revivre
les sentiments de la foi la plus vive. Dieu est vraiment la qui me
protege et me garde, mais je suis bien resigne a sa volonte: s'il me
conserve pour ma chere Maria et mon cher Alexandre, je l'en remercie;
s'il juge que mon sang et ma vie sont utiles a la France, je serai
heureux de tout sacrifier pour la Patrie.
Voila trois nuits que je ne dors pas, mais le moral prime sur la fatigue
et mes hommes sont merveilleux. Heureux ceux qui verront la victoire et
le retour de ma chere Alsace a la France.
Recois de ton Robert les meilleurs baisers, caresses a Alexandre.
Tout a toi.
ROBERT.
_Dernier adieu de BERT, Paul, Sous-Officier au 43e Regiment
d'Infanterie, tue a l'ennemi, le 25 Septembre 1916, a l'age de 19 ans._
_ULTIMA VERBA_
Priez pour moi.
A MES PARENTS
Si l'honneur du Pays, de ma jeune existence,
Immole a son salut les reves d'avenir,
Que de ce sacrifice le noble souvenir
Eteigne en votre ame une injuste souffrance!
Surtout de l'holocauste ignorez le remords!
De me revoir aux cieux que le pieux espoir,
Ressuscitant ma vie a votre dernier soir,
Donne a vos coeurs meurtris le pouvoir d'etre forts.
_Lettre ecrite par le Sous-Lieutenant Ernest-Augustin BERTAULT, 132e
Regiment d'Infanterie, tombe au champ d'honneur le 22 Septembre 1914._
Ma derniere pensee sera pour tous ceux qui me sont chers, et pour mon
pays qui bientot sera le plus grand et le plus fier de tous.
A mes camarades, je demande de croire avec quelle fierte je me suis
trouve parmi eux et quelle affection j'avais vouee a notre cher
regiment. Qu'ils pensent a moi quand on sonnera au Drapeau.
Je demande, et ceci est ma derniere volonte, qu'on ne pleure pas ma
mort. C'est un honneur de pouvoir donner sa vie pour une cause aussi
belle que la notre; et mes enfants se souviendront, je l'espere, que
leur pere est mort au champ d'honneur.
On doit envier ceux qui sont tombes comme moi en soldat, face a
l'ennemi. Nous monterons, nous autres morts, la garde eternelle et notre
souvenir rappellera aux vivants qu'on ne doit jamais desesperer et que
le droit primera toujours un jour ou l'autre la force.
Je prie Dieu qu'il m'accorde, si telle est sa volonte, de tomber au dela
de la frontiere, la vraie, celle d'au dela du Rhin!
Je laisse ma femme libre de disposer de mon corps comme elle l'entendra.
J'aurais voulu reposer parmi mes hommes, mais je n'ose lui demander ce
dernier sacrifice et la laisse libre de me faire inhumer a Reims dans
notre caveau.
Vive la France!
_Lettre ecrite par le Caporal Robert BERTRAND, 407e Regiment
d'Infanterie, tombe au champ d'honneur, en Artois, le 28 Septembre
1915._
Chers Parents,
Quand vous recevrez cette carte, je ne serai plus de ce monde; je
l'ecris quelques minutes avant l'attaque et ce n'est pas sans emotion
que je m'entretiens pour la derniere fois avec vous.
J'ai charge un fidele ami de vous la faire parvenir; il vous narrera
aussi mes dernieres heures de vie.
Une recommandation: n'ecrivez a personne pour vous renseigner a mon
sujet, car on pourrait apprendre que c'est lui qui vous a annonce ma
mort, ce qui est formellement interdit.
Bien chers parents, j'ai le coeur bien gros en songeant a tous les
bienfaits dont vous m'avez comble et qu'une vie trop courte m'a empeche
de vous rendre.
Je vous embrasse de tout mon coeur, chers aimes, et quand je serai
la-haut, pres de la chere maman, je veillerai sur vous, comme elle
veillait sur nous.
Ne nous oubliez pas dans vos prieres, ne vous laissez pas abattre par ce
malheur: c'est la destinee.
Faites comprendre a tous ceux qui vous parleront de moi que je n'ai fait
que mon devoir en empechant l'envahisseur de venir vous inquieter.
Je donne gaiement ma vie, en songeant que c'est une facon pour moi de
racheter tous les sacrifices que vous vous etes imposes.
Ne me pleurez pas trop, mais songez a moi.
Allons, le devoir m'appelle, j'y cours. Encore une fois de gros baisers.
Vive la France!
ROBERT.
_Derniere lettre du Sergent Louis BIELER, 238e Regiment d'Infanterie
Coloniale, disparu au combat de la Main-de-Massiges, le 25 Septembre
1915._
24 Septembre 1915.
Mon cher Pere et mon cher Charley,
J'ai bien recu vos bonnes lettres. Merci pour vos encouragements. Je les
porte graves dans mon coeur. Mon regiment attaque demain et ma compagnie
est en premiere ligne. C'est vous dire, mes bien-aimes, que je touche a
l'une des heures les plus solennelles de ma vie. Soyez sans inquietude,
j'ai fait ma paix avec Dieu, j'ai confiance en Lui et j'espere en sa
bonte. Lui qui sonde les coeurs sait que j'ai horreur du sang. Je vais a
la lutte sans haine contre nos ennemis, mais pour remplir mon devoir de
bon Francais, de soldat de la Liberte et de bon chretien. Puissent les
flots de sang genereux verses pour une cause sainte etre le signal d'un
magnifique renouveau pour notre France meurtrie ... et puisse la paix du
Seigneur regner a jamais entre les hommes.
Au revoir, mes bien-aimes. Merci pour votre bonne et reconfortante
affection. Priez Dieu pour moi et pour votre fils et frere bien-aime
Andre et recevez les plus affectueux baisers de votre fils et frere.
LOUIS.
_Lettre ecrite par le Sergent Isaac-Henri BISMUTH, Regiment colonial
du Maroc, tombe au champ d'honneur, le 24 Octobre 1916, au fort de
Douaumont._
8 heures du matin.
Au front, le 22 Octobre 1916.
Cher Frere,
Je crois que c'est la derniere lettre que je t'ecris. Je pars
aujourd'hui, a 10 heures, en auto, a Verdun, et je monte probablement en
ligne cette nuit. On attaquera dans deux ou trois jours, je t'assure que
je ferai du bon travail; on attaque pour prendre le fort de Douaumont.
Eh bien! on le prendra, on le gardera, et en plus, les Boches, on les
aura.
Je laisse le caoutchouc que Mme Sebah a bien voulu me payer, chez une
bonne femme qui habite Stainville; s'il m'arrive un malheur, tu
le reclameras. Voici son adresse: Mme Gallois, rue Nationale, 57,
Stainville (Meuse).
Je pars avec enthousiasme et espoir de vaincre; j'ai une mission a
remplir, je la remplirai jusqu'au bout.
J'ai confiance en notre victoire et je t'assure qu'on aura l'avantage.
Donne bien le bonjour, etc.
Ton frere,
Henri BISMUTH.
_Lettre de Henri BONHOMME, 63e Bataillon de Chasseurs Alpins._
28 Fevrier 1915.
Ma tendre Jeannette,
Voila quelque temps que je n'ai pas recu de tes nouvelles, mais
j'ose esperer qu'elles sont, comme les miennes, toujours bonnes. La
temperature est un peu froide, il tombait un peu de neige au lever du
jour, mais cela ne durera pas peut-etre. C'est aujourd'hui dimanche. Les
cloches tintaient delicieusement ce matin. Nonobstant le cliquetis des
armes qui evoque le bruit des combats, elles n'en conservaient pas moins
leur douce melancolie et leur esprit evocateur. Leur melodieuse voix,
qui est celle de la famille, parlait a nos coeurs et c'est par elle que
vos inspirations et vos voeux me sont parvenus. Oui, la France se
bat sans mechancete ni sans haine et c'est pour cela qu'elle aura la
victoire.
Dans cet espoir, je t'embrasse eperdument, ma cherie, ainsi que mes
chers enfants si sages et si beaux.
Henri BONHOMME.
_Lettre ecrite a ses jeunes eleves par l'Adjudant Henri BOULLE,
Instituteur, tombe au champ d'honneur le 1er Janvier 1915._
31 Decembre 1914.
Mes chers enfants,
Nous voici arrives a la fin de cette annee 1914, qui aura sa place dans
l'Histoire du monde.
Nous avons vecu le premier semestre ensemble, travaillant paisiblement,
cote a cote, dans le calme et la paix.
Depuis Juillet, nous sommes separes; et tandis que, grace a l'heroisme
de nos troupes, vous pouvez continuer vos etudes dans la quietude
d'une ville preservee de l'invasion, je vis, pour ma part, au milieu
d'horreurs inimaginables.
Maudits soient a jamais ceux qui, par orgueil, par ambition ou par le
plus sordide des interets, ont dechaine sur l'Europe un tel fleau,
plonge dans la plus effroyable misere et ruine a jamais peut-etre tant
de villes et de villages de notre belle patrie!
Maudits soient a jamais ceux qui portent et porteront devant l'Histoire
la responsabilite de tant de souffrances et de tant de deuils.
Les siecles futurs fletriront leur memoire. A nous, une autre tache
incombe.
Nous autres soldats, defenseurs de nos libertes et de nos droits, il
nous faut redoubler d'energie et de tenacite pour chasser a jamais de
notre pays un ennemi qui a accumule tant de malheurs. Il nous faut
garder intacte la foi en la victoire finale, qui sera le triomphe de la
justice. Il nous faut etre prets a risquer chaque jour notre vie dans
les plus terribles des combats, prets a endurer a chaque heure mille
souffrances morales et physiques.
Tous ces sacrifices, nous les consentons avec bonne humeur, pour arriver
au succes definitif.
Nous saurons garder aussi pieusement la memoire des camarades qui, par
centaines, tombent a nos cotes. Et rappelez-vous que le patrouilleur qui
risque sa vie dix fois, pour fournir un renseignement a son chef, lequel
aidera a la victoire, merite notre admiration au meme titre que le plus
habile de nos generaux.
Mais vous aussi, mes chers amis, avez aujourd'hui votre devoir trace.
Songez que vous etes l'espoir de demain. C'est votre jeune generation
qui devra remplacer vos aines tombes au champ d'honneur.
N'oubliez pas que notre France fut de tout temps a la tete du monde
civilise. C'est elle qui toujours, au cours des siecles, a fourni au
monde les plus grands genies: artistes, savants, litterateurs, penseurs
de toutes sortes. Cette renommee intellectuelle, artistique, morale de
la France, c'est a vous, demain, de la soutenir. Le plus humble artisan,
s'il apporte dans son travail quotidien tout son coeur et tout le gout
de sa race, a contribue a cette tache.
Ecoliers, etudiez donc courageusement en classe. Adolescents, completez
apres l'ecole votre instruction primaire. Adultes, travaillez sans
relache a votre education professionnelle. Montrez demain au monde que
la saignee qu'il a subi n'a point appauvri notre race. Montrez-vous
dignes de vos aines, de ceux qui releverent notre nation abattue au
temps de l'invasion normande comme au temps de Jeanne d'Arc, au debut du
XVIIe siecle comme aux temps heroiques de la Revolution ou apres l'annee
terrible de 1870.
Quelle que soit l'issue de la guerre actuelle, il faut que le genie
francais vive! Nous autres qui avons fait joyeusement le sacrifice de
notre vie et qui demain peut-etre serons morts, nous comptons sur vous
pour cela, et nous vous leguons cette tache avec confiance.
Et, puisque nous voici au terme de l'annee 1914, faisons tous ensemble
des voeux pour que bientot reviennent dans notre beau pays, avec la
victoire, la paix, le travail et le bonheur.
A tous au revoir et mon souvenir emu.
H. BOULLE.
_Lettre ecrite par le Sergent-Agent de liaison Felix BREST, 415e
Regiment d'Infanterie, tombe glorieusement, face a l'ennemi, le 27
Septembre 1915._
24 Septembre 1915.
C'est demain que nous faisons l'attaque. Priez bien pour la France
... et pour que le sang qui sera verse ne le soit pas inutilement. Je
communierai ce soir, n'ayant pu le faire ce matin.
_Lettre ecrite par Andre BREVAL, tombe au champ d'honneur, a Nieuport
(Belgique), le 24 Janvier 1916._
19 Janvier 1916.
Ma chere Maman,
Je t'envoie cette petite chose que j'ai faite ce soir en pensant
beaucoup a toi. Je ne t'ai jamais donne de vers; ce sont les premiers;
garde-les bien. Je les aime encore qu'ils soient mediocres, mais je les
pense et cela me suffit.
Ma mere, il fait un soir triste et penible et noir.
La solitude est apre et grave et monotone....
Je reve doucement, et puis, soudain, m'etonne
De l'image qui nait et qui rit dans le soir....
Je regarde et lui ris a mon tour.... C'est toi-meme,
C'est toi dans le petit chez nous.... Sous l'humble toit
Je te revois, gaiment reelle.... C'est bien toi,
Ma mere, une bien vieille amie a moi que j'aime.
Je t'evoque la-bas sous la lampe.... Il est tard....
J'evoque ton image, et joyeux m'en penetre.
Tu travailles ... tu lis ... tu couds.... Ton cher regard
S'absorbe en tout ... medite et s'attache.... Peut-etre
Cherches-tu dans ton coeur encore une bonte?
Deja, vois-tu, je ne me sens plus attriste:
Je pense a toi qui n'as pas de verite feinte,
Je pense a toi qui dois m'attendre impatiente,
Je pense a toi plus chere encore dans l'attente,
Oh! ma Maman, je crois en toi, ma bonne sainte.
Andre BREVAL.
_Testament fait le 4 Mai 1915 par le Soldat Maurice BRIOT, tombe au
champ d'honneur le 9 Juin 1915._
MES DERNIERES VOLONTES....
J'espere que ce carnet tombera entre les mains d'un frere et qu'il le
fera parvenir a ma femme a qui je le dedie.
Je laisse a ma femme tous mes biens, proprietes baties et non baties.
Je lui reconnais comme sa propriete personnelle tous les meubles, le
linge et les effets qui ont ete achetes avec son argent personnel et en
communaute.
Je legue a ma filleule Renee Bernard la somme de 1.000 francs (mille
francs) due par mon oncle a moi.
J'ai l'espoir que l'argent que je dois a mon pere ne sera pas reclame a
ma femme. Je laisse le soin de payer mes dettes par ma femme sur ce que
je lui laisse.
Ma derniere pensee sera pour tous ceux qui me sont chers, pour ma femme
d'abord, puis mon pere et tous les miens que ma mort pourrait attrister.
Je pardonne a tous ceux qui m'ont fait du mal et je remercie ceux qui
m'ont fait du bien.
Je demande pardon a tous les miens pour toutes les peines que j'ai pu
leur faire.
Je veux que ma mort n'acheve pas la vie de ma femme. Je veux qu'elle se
remarie avec quelqu'un qui l'aime comme je l'ai aimee, et qu'elle soit
heureuse, a moins que, trop attristee de ma mort, elle consacre sa vie
aupres de mon pere qui merite beaucoup d'affection.
Je tiendrais a ce que mon corps ou les debris de mon corps soient
transportes dans le petit cimetiere de Jardres, pres de ceux qui me
furent chers, et que l'on depose sur ma tombe les fleurs que je prefere.
Mais je tomberai peut-etre entre les lignes, ou les rats et les corbeaux
se disputeront mes depouilles, alors je serai enfoui dans la fosse
commune.
Je veux que l'on pense quelquefois a moi comme l'on pense a un ami
qui voulait vivre et qui maudit cette guerre qui m'a fauche avant de
connaitre la vie, en pleine sante et en pleine force.
_Lettre ecrite par Robert CAMUS, Sergent, 408e d'Infanterie, blesse
mortellement le 3 Octobre 1918._
27 Aout.
Cher Papa,
Dans ton mot du 15, tu me disais que Marcel Blondin etait en permission
et qu'il portait le galon de sergent automobiliste. Tant mieux pour lui,
c'est un poste de toute securite. Je conviens qu'il a une belle chance.
Quant a moi, j'estime que je suis a la place qui convient a mon age et
a ma situation. D'ailleurs, je n'ai nullement le pouvoir d'en changer.
J'ai aussi comme une fierte de la souffrance qui le plus souvent est la
compagne de l'homme sur la terre. Et j'ai confiance dans le retour pour
vous revoir et vous aimer.
Trouve ma chance egale a tout autre puisque je suis demeure intact au
milieu des plus fortes tempetes.
Ici, le secteur continue d'etre tranquille. L'avant-derniere nuit, j'ai
eu un poste d'inquiete par une patrouille, mais quelques grenades ont
suffi pour la mettre en fuite.
Le temps a change quelque peu. Nous avons eu deux orages. Les nuits se
font deja fraiches, surtout dans la vallee qui s'emplit de brouillard.
Je suis heureux que vous ayez termine la moisson par un temps favorable.
Je vous embrasse tous de tout mon coeur.
Ton fils devoue,
ROBERT.
_Lettre ecrite par Roger CAUVIN, 153e Regiment d'Infanterie, tombe au
champ d'honneur, a la bataille de Verdun, le 9 Avril 1916._
4 Avril 1916.
Mon tres cher petit pere,
Ma tres chere petite mere,
Nous partons demain pour les tranchees.
Avant de "monter la-haut", comme on dit, je voudrais effacer par mes
paroles, sinon par mes actes, les tourments que j'ai pu vous avoir
causes.
5 Avril 1916.
Hier soir, je me suis confesse et ce matin j'ai communie. J'ai demande
pardon a Dieu de mes fautes et aussi je lui ai crie mon amour.
A vous aussi, mes bien chers parents, je dois crier que je vous aime et
que, apres Dieu, vous etes mes seules grandes affections.
Lorsque j'etais petit, vous vous etes souvent prives pour moi et vous
n'avez jamais hesite a faire un sacrifice pour me rendre heureux. Que de
travail petite mere n'a-t-elle pas fait. Depuis vingt ans, petit pere se
fatigue a travailler le soir pour moi.
Devant tant de devouement et d'amour paternels et maternels, je n'ai
montre souvent qu'ingratitude et desobeissance, que mauvaise humeur.
Malgre mon attitude froide, ne croyez pas que neanmoins la plus tendre
affection n'existait pas chez moi. Avec l'experience et l'age, j'ai
appris a vous connaitre et a vous aimer. Je vous ai compares aux autres
parents. J'ai toujours trouve que vous etiez les meilleurs et surtout
ceux qui voyaient le mieux l'avenir de leur enfant.
Cette lettre vous arrivera si un accident m'arrivait. Gardez un bon
souvenir de votre enfant cher qui vous aime de toute son ame et qui fut
vraiment heureux entre petit pere et petite mere.
Je vous remercie de vos prieres pour que Dieu me conserve. Que Dieu vous
benisse!
Votre enfant qui vous embrasse mille fois tous les deux et qui pense
toujours a vous.
ROGER.
_Lettre ecrite par le Sergent Francois CAYROL, 2e Zouaves, tombe au
champ d'honneur._
5 Juin 1916.
Mes chers parents,
Je vous ai ecrit hier a mon arrivee et avant-hier pendant mon voyage. Je
suis en bonne sante; je suis bien repose; je suis maintenant tout a fait
a mon aise. Comme je vous l'ecrivais hier, il y aura bientot un renfort
pour le front; je dois en faire partie.
Deux officiers de ma compagnie y participeront aussi; je suis content de
cela car ils savent ce que je peux valoir et surement ils me garderont
aupres d'eux.
Le depart de ce renfort est tres proche, peut-etre aura-t-il lieu
apres-demain. Ainsi mon desir va etre exauce; j'aurai attendu,
contrairement a mon attente, sept mois pour affronter a nouveau les
dangers de la lutte. Cette perspective me rejouit; je ne serai vraiment
qu'au combat a mon poste veritable de soldat.
Ne soyez pas en peine pour moi; car s'il y en a bien un qui doive etre
en peine, c'est moi. J'ai confiance en ma destinee; meme si ma vie
devait etre ravie, je n'en exprime aucun regret, car je l'ai offerte
en sacrifice a Notre Souverain Createur, pour le salut de notre chere
France, de notre Patrie bien-aimee. Je suis heureux infiniment de
pouvoir, presentement, faire ce que le devoir me trace. Je suis
infiniment heureux de pouvoir, a l'epoque actuelle, me battre pour une
noble cause.
Deux honneurs au lieu d'un: defendre sa Patrie et combattre pour les
principes sacres et intangibles de la liberte et de la justice.
Ne devons-nous pas remercier Dieu de l'occasion qu'il nous donne de
l'aimer. Oui, a mon avis, repandre son sang et accepter la douleur,
pour une fin juste, c'est faire un present agreable a Dieu. C'est lui
temoigner qu'il ne nous a pas mis en ce monde en vain.
Places au carrefour de deux chemins, la voie du bien et la voie du mal,
nous avons choisi la voie epineuse du bien, car c'est la seule qui nous
permette de gouter aux joies pures durant les haltes pendant lesquelles
nous nous arretons pour poursuivre plus surement notre route.
Nous souffrons en ce monde, mais la souffrance nous purifie. Un etre
qui souffre excite la pitie et c'est par la pitie que nous obtenons
le pardon de nos fautes. Oh! la pitie! comme c'est beau! Est-il un
sentiment plus beau que celui-la? C'est lui qui, jusqu'a present, m'a
remue le plus profondement le coeur. C'est lui qui eclaire beaucoup
d'ames et qui incite aux nobles resolutions.
Ces pensees-la, que j'exprime tranquillement dans la solitude, j'ai tenu
a vous les communiquer a une epoque decisive de mon existence. Pendant
la guerre, jusqu'a present, j'ai pris deux decisions graves.
La premiere a ete de defendre mon pays comme tous les Francais l'ont
fait au debut de la campagne, ou tout au moins comme la plupart l'ont
fait, c'est en bon fils de la Patrie, soucieux de la sauver d'un grand
peril.
La deuxieme a ete de recommencer, non plus dans les memes conditions.
C'est, maintenant, en possession de mon libre consentement. Aux yeux du
monde, j'avais fait ce que je devais, et la blessure grave que j'avais
recue me dispensait de retourner sur la ligne de feu. Ma retraite a
Belgrade aurait pu durer tres, tres longtemps, ma position me paraissait
assez fixe pour une duree tres longue, peut-etre pour jusqu'a la fin de
la guerre. Cependant, ma conscience me disait que ca ne suffisait pas.
La France etait toujours en danger et avait besoin plus que jamais de
l'aide de tous ses fils. Certes, la resolution prise alors a ete penible
dans ses suites. J'ai eu des heures de decouragement et de lassitude.
Comme le dit si bien l'Evangile, "Le vent brulant du desert souffle
souvent dans le coeur de l'homme et le desseche. Mais il y subsiste
toujours une petite fleur". A plusieurs reprises, des occasions se sont
presentees pour me soustraire a ce que je considere comme mon devoir.
Maintenant, rien ne parait s'opposer a son accomplissement. Aimer et
servir ses parents plus que son prochain, aimer et servir sa Patrie plus
que ses parents.
Je vous embrasse tous bien, tous bien fort.
Votre fils qui vous aime bien tendrement,
FRANCOIS.
_Lettre ecrite par le Conducteur Andre CHAPELLE, de la S.S. 104, tombe
au champ d'honneur._
...Dire que nous croyions avoir tout vu dans l'Artois! Cela me parait
peu de chose aupres de la vie que nous allons mener ici!... Boue,
rafales de gresil, froid, pluie qui cingle, vent glacial, brouillard,
les marmites par-dessus tout cela! Et toujours en pleine nuit, sans
aucune lanterne, naturellement. Il y a bien les fusees qui illuminent
_a giorno_, mais c'est plutot une gene qu'une aide. Le meilleur, c'est
encore Astarte, reine du Ciel. Malheureusement, c'est huit ou dix jours
par mois. Aussi, nous continuons a suivre des yeux le calendrier, comme
dit Bugeon. Je te prie de croire que nous sommes au courant des phases
de la lune! Quant aux routes, defoncees, pleines de trous, ca ne change
pas; premiere vitesse et du cinq a l'heure! Souvent, quand on revient,
on ne peut plus passer: un 210 a coupe le chemin. Hier, avec un
camarade, nous etions ainsi de chaque cote d'un entonnoir. Que faire?
Et moi, j'avais des blesses! Il a fallu chercher un detour: cela a dure
deux heures; pauvres malheureux blesses, avec ce froid!... Mais tu
connais tout cela, et l'immobilite qui vous glace, et le morceau de
viande gelee avec un quignon de pain, et les nuits dans les postes,
avec le tintamarre du canon, et les quelques heures de sommeil (!)
dans quelque coin, enroule dans une couverture mouillee; je me demande
comment nous resistons.... Nuits de front, les fusees, les cris
lointains, les fusillades subites, l'inquietude, la fievre, les plaintes
des blesses, et puis ces minutes d'exaltation de tout l'etre, ou l'on
accepte.... Car nous autres, comment flancherions-nous, quand nous
voyons tous ces pauvres camarades que nous transportons, dont nous
tenons la vie entre nos mains, et qu'un coup de volant heureux peut
sauver en les faisant arriver cinq minutes plus tot sur la table
d'operation! Mais je crois bien que je vais me vanter! a toi!... Et
puis, je suis de ton avis, est-ce que cela existe aupres des fantassins?
Eux, eux seuls, et voila tout. Et dire que Paris ne se rendra jamais
compte!... Moi, quand je les vois, je me degoute et je m'injurie. Enfin,
quoi faire? Tu as le bonjour de Charles Bremond, etc....
_Lettre d'Andre CHASSEIN, Soldat au 149e Regiment d'Infanterie, arrive
du Bresil le 16 Mars 1915, parti au front le 18 Juin 1915, mort un mois
apres, le 17 Juillet 1915, a Angres (Pas-de-Calais)._
Parents cheris,
Je fais suite a ma lettre d'aujourd'hui pour vous annoncer que l'ordre
vient d'arriver qui nous envoie en deuxieme ligne, dans les abris
souterrains; nous serons la pour appuyer immediatement les lignes
avancees du feu et prendre leur place dans deux, trois ou quatre jours.
Nous quittons nos cantonnements de semi-repos ce soir, a 8 heures et,
dans quelques heures, je serais, avec mes camarades, pret a entrer dans
la fournaise.
Il vient de pleuvoir mais le temps de ton grisaille est redevenu clair;
aussitot l'artillerie a recommence de plus belle, et en ce moment les
"marmites" boches tombent tres pres de nous.
Je crois qu'il est inutile de vous repeter que je pars avec toute
confiance et que j'espere fermement etre parmi vous pour celebrer
et nous rejouir de la victoire finale. Mais si la chance vient a
m'abandonner et que je reste dans la glorieuse lutte, je vous en prie,
consolez-vous a l'idee que ce sacrifice etait necessaire et que j'aurai
su mourir vaillamment pour notre pays et notre cause. Vous verrez qu'en
somme, la rancon du sang est bien minime, car combien sont au feu dans
notre famille pour defendre notre nom contre l'ignoble brute qui nous a
attaques?
Soyez forts si une telle epreuve vous etait reservee, mais au moins
vous pourrez relever la tete avec fierte et dire: Il a su faire son
devoir....
Je ne veux pas vous donner des idees tristes et vous faire de la peine,
mais ces quelques lignes etaient necessaires: un homme doit savoir
regarder froidement devant lui et envisager courageusement toutes les
hypotheses. Nous sommes a une epoque ou il faut etre pratique et meme
materiel. Donc, si j'ai ete oblige de vous exposer tout ce preambule,
c'est pour vous dire que tout ce que je possede vous reviendrait
entierement dans un tel cas. Je ne ferais que vous retourner ce qui vous
appartient: n'est-ce pas la le fruit de l'education et des soins que
vous m'avez donnes? Il n'y a aucun doute et je vous en dois encore une
reconnaissance infinie, que mes plus profonds remerciements ne sauraient
exprimer suffisamment.
Vous trouveriez egalement dans mes papiers une sorte de testament qui ne
ferait que developper ce que je vous ai dit plus haut en une ligne. Et,
pour avoir une idee plus complete des trois annees que j'ai passees au
Bresil, ouvrez toute ma correspondance, parcourez-la, de meme qu'un
livre a couverture verte sur lequel j'avais eu un jour la pretention de
prendre des notes et d'en faire une sorte de Journal. Dans mes boites
de cliches, vous trouverez quelques photos de moi qui ne sont pas trop
mauvaises, vous choisirez et pourrez vous en servir.
Voici maintenant expose tout ce que je pouvais avoir a vous dire. Je ne
laisse rien derriere moi qui ne se comprenne et j'ai pris toutes mes
dispositions; apres un long baiser, le plus grand qu'un fils affectueux
puisse envoyer a ses pere et mere cheris, j'appartiens maintenant a la
France; puisse-t-elle me ramener sain et sauf et victorieux si c'est la
volonte du Tout-Puissant.
Andre CHASSEIN.
_Lettre ecrite par Marcel CLAROT, 27e Regiment d'Infanterie, tombe au
champ d'honneur devant Verdun, au bois de Vaux-Chapitre, le 28 Juillet
1916._
Ma Maman et ma Me adorees,
Si ce mot vous parvient, c'est qu'un evenement bien triste vous sera
arrive et qu'il me sera arrive malheur. Supportez avec courage, je vous
en supplie, cette nouvelle epreuve que le Ciel vous envoie et ayez de la
fermete, c'est la plus grande joie que vous pourriez me causer. Je suis
tombe pour sauver la France envahie et gravement menacee; je serai tombe
au champ d'honneur pour elle, pour tous et pour ne pas laisser tant
d'amis et de Francais sans vengeance. Soyez braves et songez que la mort
ne m'effraie aucunement. Je suis pret pour paraitre devant Dieu;
c'est meme un bonheur qu'il m'ait appele en de si bonnes conditions.
Pardonnez-moi si je vous ai cause quelquefois de la peine, je m'en
repens; pardon pour tous ceux que j'ai pu offenser.
Je vous embrasse toutes deux le plus fort de mon coeur, ainsi que
Clementine toujours bonne.
Marcel CLAROT.
Je mourrai en songeant a Dani, a vous et a Dieu. Adieu a tous mes
parents.
_Lettre ecrite par le Sous-Lieutenant Paul COLIN, 18e Bataillon de
Chasseurs a pied, tombe au champ d'honneur, a Douaumont, le 20 Avril
1916._
13 Avril 1916.
Ne jamais executer un ordre sans avoir recu le contre-ordre, principe
tres militaire, une fois de plus verifie! Le Bataillon, subitement
arrete dans sa marche vers le repos, a ete envoye de l'autre cote de
la Meuse et maintenant nous attendons les evenements dans une ancienne
grande ville. Quand vous recevrez cette lettre, il est probable que nous
serons cette fois au repos pour de bon, car notre sejour ici doit etre
court.
Je viens d'assister et de prendre part a une ceremonie touchante. Nous
pouvons monter en ligne d'un moment a l'autre, peut-etre cette nuit,
peut-etre demain, peut-etre dans plusieurs jours. L'aumonier a dit ce
soir, a 7 heures 30, une messe "des vivants et des morts", comme il a
dit en commencant. Un sermon court comme il sait en faire et sachant
remuer le coeur de tous, officiers et hommes, effrayant peut-etre un peu
sous l'habit bleu, mais amenant quand meme un regard de fierte et une
petite larme a l'oeil de ces braves chasseurs. "Nous sommes a Paques,
dit-il ... ceci est une messe de Paques.... Paques dont vous vous
souviendrez.... Paques de guerre.... Paques de lutte!! Jour d'union, je
dirai plus, jour de communion. Pour communier, il faut etre a jeun, il
faut se confesser.... Vous sortez de table et vous n'avez pas le temps
de vous confesser ... a l'impossible nul n'est tenu ... que ceux qui
veulent recevoir l'absolution s'agenouillent." Et, dans un mouvement
sublime, l'eglise (ou plutot la grange, car de la cathedrale il ne reste
qu'une cloche intacte au milieu des decombres) l'eglise entiere s'est
agenouillee, et d'une voix qu'il affermissait a grand' peine, l'aumonier
a donne l'absolution a tous ces hommes, puis la communion.... "Votre
musique, c'est le canon", avait-il dit a un moment de son prone, et,
en effet, en ce moment, l'artillerie faisait rage! Puis la messe s'est
terminee au milieu des cantiques.
De nouveau, l'aumonier prit la parole: "Mes enfants, j'ai oublie quelque
chose, j'ai oublie votre penitence, la voici: allez! et battez-vous
bien!" Et la grange s'est videe dans un silence de mort, et en sortant
j'ai entendu cette reflexion venue je ne sais d'ou: "Heureux ceux qui
croient". Oh! comme il a dit vrai! dans un pareil moment, tout est
beau....
J'avais vu des messes impressionnantes, j'avais vu des choses bien
dures, jamais je n'ai ete emu comme je viens de l'etre ... et tout le
bataillon etait la.
Que vous dirai-je maintenant? La confiance illimitee dans laquelle je
suis en ce moment. Il me semble que je vais a une simple promenade et
j'y vais le sourire aux levres!!!...
Embrasse.
A quand la prochaine lettre?
PAUL.
_Lettre ecrite par le Soldat COLIN, tombe au champ d'honneur le 2 Juin
1918._
Mes parents bien-aimes,
Si cette lettre vous tombait entre les mains, c'est qu'Eloi, votre
fils, ne serait plus. Si ce malheur arrivait, ne me pleurez pas car je
n'aurais fait que mon simple devoir que j'avais a coeur d'accomplir et
pour lequel je vous ai fait tant de peine. La seule chose que je vous
demande, c'est de me pardonner la peine que je vous fis en voulant
m'engager.
Benissez et priez pour moi.
Je m'arrete, car ces lignes vous broient le coeur. Courage, la victoire
est a nous et vive notre chere Patrie!
Mes derniers baisers a vous tous que j'ai tant aimes. Adieu et vive la
France!
COLIN.
_Lettre ecrite par Cesar COLOMA, 5e Regiment d'Infanterie, tombe au
champ d'honneur, le 23 Janvier 1917, a Troyon._
Cher Papa,
Nous venons du repos; maintenant, nous voici dans les tranchees, les
obus, les marmites ne cessent pas de nous passer sur la tete, mais on
y est habitue, et puis il faut marcher. Et que je sois tue ou blesse,
c'est toujours pour la Patrie.
Ma chere Maman, ne t'en fais pas pour moi, si je ne reviens plus, c'est
pour Dieu et pour la France que je le fais; en avant et bon courage, et
puis encore un mot, je te defends de t'habiller en noir, cela n'est pas
necessaire.
Papa, ne t'en fais pas, c'est pour la France.
C. COLOMA.
_Lettre adressee par Auguste COMPAGNON, Sergent au 56e Regiment
d'Infanterie, tombe au champ d'honneur en allant secourir un camarade
blesse, a Somme-Suippes, en Champagne, le 7 Octobre 1915, au President
de l'Association de la Presse Chalonnaise, a propos de felicitations
envoyees par cette Association._
10 Mars 1915.
...Mon merite est si mince! C'est d'avoir fait, mes chers et braves
amis, ce que vous auriez tous fait a ma place, dans l'ardeur de votre
patriotisme, qui n'est pas inferieur au mien, bien au contraire. Si
l'age, si un etat de sante precaire ne vous avaient contraints de rester
a l'arriere, tous vous etiez prets a marcher de l'avant, comme moi, et
plus vite que moi, et a faire, vous aussi, de vos poitrines genereuses,
un rempart a la mere Patrie.
Mais vous ne l'avez pas pu, et c'est moi le plus privilegie de vous
tous; j'admire comment le grand bonheur que j'ai d'avoir pu faire mon
devoir peut m'attirer, au surplus, des felicitations aussi douces que
les votres.
Combattre pour la plus noble des causes: etre de la grande foule des
defenseurs du plus beau des pays, etre du cote de la justice et de
l'Humanite contre le plus barbare des envahisseurs: figurer,--oh! bien
obscurement,--mais figurer tout de meme dans le plus grand drame de
l'histoire; avoir le moyen de centupler la valeur de sa vie miserable,
en l'immolant, s'il le faut, au triomphe de tout ce qu'il y a de plus
precieux en ce monde, quel destin inespere, mes amis, et combien il nous
dedommage amplement de tous nos sacrifices, nous qui avons pu etre les
combattants!
A. COMPAGNON.
_Lettre ecrite par Jean CONQUET, Aspirant au 122e Regiment d'Infanterie,
quelques jours avant d'etre frappe mortellement, le 7 Mars 1916, a
Soupir (Aisne)._
Celui qui tombe a l'ennemi ne meurt pas.
Si j'ai cet honneur insigne, je ne veux pas qu'on me pleure.
En faisant part de ma "perte glorieuse", on dira devant mon nom, mon
grade et puis mes titres civils de licencie et diplome de l'H.E.C,
le tout suivi de la mention "tue a l'ennemi". Pas de flaflas, champ
d'honneur, etc., la verite, c'est tout.
On respectera la tombe de fortune que la bataille m'aura donnee. Sur nos
tombeaux de famille, mon nom et l'endroit ou je dormirai.
En face de mon nom, sur l'Annuaire H.E.C, on fera mettre la lettre
"T" en italique et on demandera que cette indication remplace le "D"
habituel pour tous les camarades tues a la guerre.
Mon deuil ne sera rien aupres de celui de l'Alsace-Lorraine pendant
quarante-quatre ans.
C'est une joie de perir en refaisant la France.
Jean CONQUET.
_Lettre ecrite par l'Aspirant Jean CONTl, 7e Chasseurs Alpins, tombe au
champ d'honneur le 5 Novembre 1916._
Chers parents,
C'est demain, a 5 heures, que nous partons rejoindre notre bataillon
vers l'Alsace. Ne vous faites pas de mauvais sang, ne pleurez pas, je
vais faire mon devoir et le faire de mon mieux. Tout le monde le fait,
son devoir, et il serait lache de ma part de reculer devant l'honneur de
defendre sa Patrie.
Songez, mes chers parents, que je vais commander la 60 poilus, moi jeune
aspirant de 19 ans.
C'est, il est vrai, une bien lourde responsabilite et je ne la prends
qu'apres avoir murement reflechi; si je l'accepte, c'est plein d'espoir
dans la Victoire, dans la Revanche.
Lorsque j'etais petit et que je lisais deja les recits de la guerre
de 1870, je ne revais dans ma jeune cervelle que desir de vengeance;
j'aurais voulu etre grand pour aller a la guerre, pour tuer le plus
possible cet Allemand deteste; je ne le connaissais pas encore, mais
lorsque, plus age, je lus des livres serieux ou l'on montrait ce que
faisait l'Allemagne, ses efforts vers une puissance militaire toujours
plus grande, j'ai compris que la guerre etait inevitable; je la
considerais comme telle et je souffrais que mon cher pays de France se
laissat aller a des reveries, a des songes plus ou moins utopiques,
irrealisables. Ah! nous parlions de paix, nous autres, de fraternite,
d'amour entre les peuples et nous ne voyions pas, de l'autre cote du
Rhin, les hommes blonds aux yeux bleus qui preparaient la guerre; leurs
philosophes, leurs penseurs nous traitaient de pourriture qu'il faut a
tout prix supprimer, et nous, betes que nous etions, nous parlions de
desarmement.
Un jour, le canon a gronde sur le Rhin: c'est la guerre; des gens
s'affolerent, d'autres, plus calmes, qui l'avaient vue venir, resterent
calmes. La guerre dechainee par l'Allemand a ravage notre pays; partout
on voit des femmes en deuil, des jeunes filles qui pleurent, des soldats
amputes; c'est a nous, jeunes gens, que revient l'honneur aujourd'hui
de refouler le Boche. Et vous pleureriez, chers parents, en me voyant
partir ... non, n'est-ce pas? Vous vous dites: "Il va ou son devoir
l'appelle: il va chasser l'envahisseur du sol sacre de la France". Oui,
c'est a nous a le bouter hors de France, comme jadis Jeanne d'Arc bouta
les Anglais.
Ce devoir, pour perilleux qu'il soit, je ne le cederais pas pour tout
l'or du monde.
Et si, chers parents, je meurs dans la bataille, vous pourrez etre
surs que votre fils cheri est mort en bon Francais, la poitrine face a
l'ennemi, en entrainant ses hommes.
Chers parents, ne pleurez pas votre petit enfant, soyez certains qu'il
va faire son devoir et qu'il le fera jusqu'au bout.
Soyez forts, je vous enverrai tous les jours, si je le puis, de mes
nouvelles. Au revoir, a bientot, je reviendrai victorieux! vous serez
fiers de moi.
Je vous embrasse. Votre fils devoue qui vous aimera toujours,
CONTI.
_Lettre ecrite par le Sous-Lieutenant Conrad CRAWFORD, de l'Infanterie
americaine, tombe pres de l'Ourcq, a Sergy, le 1er Aout 1918._
(Au front.)
13 Juillet 1918.
Ma cherie Mere,
Ce soir, je passerai au front, dans les tranchees du vrai front, les
places des chauves--"_bald-headed row_"--pour ainsi dire. Tandis que
j'ai une confiance absolue dans ma bonne chance et que je me battrai
jusqu'au bout quand j'en aurai l'occasion, je t'ecris ces lignes
seulement au cas. Quand tu les auras recues, tu sauras bien que tu ne
reverras plus ton fils cadet. C'est ma priere de m'en aller d'une facon
dont tu seras fiere.
Quoique bien des lieues nous separent, _Mother dear_, je te vois
clairement, j'entends ton rire, je ressens ton amour si grand pour moi,
et c'est avec une douleur saisissante que je me rends compte de la
possibilite de ne te rejoindre plus. Mais toi, tu ne dois ressentir
aucune douleur. Tu devras etre fiere, tu le seras, je le sais bien, du
sacrifice que toi, avec des milliers d'autres meres, auras du faire.
Mon amour pour chacun de vous, et surtout pour la plus cherie mere du
monde, est si grand que je ne saurai m'amener au point de dire adieu.
Notre bien-aime pere n'est plus la, mais j'espere qu'il sait que j'ai
fait mon devoir au mieux de mon possible et que je paierai le sacrifice
supreme fierement et sans regret. La vie d'un homme dans cette guerre ne
vaut pas le claquement des doigts.
Eh bien! esperons que, dans les mois a venir, nous nous amuserons bien
de cette lettre.
Avec tout l'amour du monde a chacun de ma famille,
Affectueusement ton fils,
CONRAD.
Il y a aussi un dernier voeu que je te prie instamment de m'accorder.
Si je tombe en France, permets que mes restes y soient enterres;
c'est-a-dire ne depense pas d'argent pour les transporter aux
Etats-Unis. Je n'ai aucun sentiment a ce propos, et je serai fier de
m'endormir a tout jamais dans ce merveilleux petit pays.
_Lettre ecrite par le Sergent Charles CROSNIER, 355e Regiment
d'Infanterie, tombe au champ d'honneur, le 27 Septembre 1915, a la Ferme
Navarin._
23 Septembre 1915.
Ma chere Mere,
J'ai recu hier ta bonne lettre contenant la carte d'Henri; je n'ai pas
encore recu de ses nouvelles.
C'est avec plaisir que j'apprends que Monsieur Viron t'a envoye le
montant de ce qu'il me devait. J'espere, chere mere, qu'avec cette somme
tu pourras faire face aux depenses de plusieurs mois; prends surtout tes
precautions pour ceux d'hiver qui ne vont pas tarder.
Par ce courrier, j'ecris a Madame X... J'ai eu des nouvelles de Monsieur
Z..., de Bethune, par un de ses cousins, un jeune homme que j'ai
rencontre tout a fait par hasard a Hesdin; il me parait supporter
allegrement la guerre en faisant de bonnes et grosses affaires.
Je crois, chere mere, que le grand coup est pour demain ou apres-demain,
le regiment y prendra sans doute part, je puis meme dire certainement.
Dire que l'on voit venir ce moment sans une petite apprehension serait
mentir, mais je t'assure, ma bonne mere, que nous l'envisageons tous
avec calme et confiance. Je crois que nous sommes maintenant bien
prepares pour donner une bonne correction a notre ennemi maudit, et
peut-etre aussi pour le chasser tout a fait de notre chere France, de
la Belgique. La Paix alors ne serait pas eloignee et ceux qui auront la
chance d'echapper au carnage pourront retrouver ceux qu'ils aiment.
Si je ne suis pas de ceux-la, ma bonne mere, tu devras assurer ton
existence, car il est trop tard pour que je te guide. Mais tu as tous
les renseignements necessaires pour obtenir ce qui m'appartient; je te
rappelle que mes papiers sont chez Monsieur Bryon, 112, rue de Savoie, a
Bruxelles; Mademoiselle Bertha, mon employee, se mettra certainement a
ta disposition pour te donner tous les renseignements au sujet de mon
entreprise; tu devras l'indemniser pour sa collaboration durant la
guerre; je te laisse le soin pour la facon dont tu devras le faire.
Entoure-toi des conseils de Monsieur Guison, dont l'amitie m'assure
son devouement a ton egard. Pour toutes les affaires, comme il sera
indispensable que tu produises l'acte de deces, tu devras t'entourer de
tous les renseignements. Adresse-toi au Colonel ou au Commandant de
la 20e Compagnie quand tu seras quelques jours sans recevoir de mes
nouvelles; je te promets, chere mere, de t'ecrire chaque jour, ne
serait-ce qu'un mot; tiens compte toutefois des difficultes de
correspondance.
Je te souhaite une bonne sante et recois, ma bonne mere, les bons
baisers de ton fils.
CHARLES.
_Lettre ecrite par l'Adjudant Georges CUVELLE, 63e Regiment
d'Infanterie, tombe au champ d'honneur._
24 Septembre 1915.
Mon cher Leon,
Nous n'avons plus le temps de les faire longues, nos lettres.
C'est demain le _grand jour_!!
Tu verras les journaux. J'ai grand espoir que tout ira bien. Aussi, en
attendant que tout soit fini, je t'embrasse bien fort.
GEORGES.
_Lettres ecrites par le Caporal reserviste Baptiste DEBONNE, du 3e
Zouaves, blesse mortellement, le 7 Septembre 1914, a la bataille de la
Marne._
Zemmorah, 3 Aout 1914.
Cher Pere,
Je t'ecris ces quelques lignes avec sang-froid. Je pars demain a
destination d'Oran au 3e Regiment de Zouaves. Je pars content de
defendre notre chere France. Si je meurs, tu seras fier de dire un jour:
"Mon fils est mort pour la Patrie". Tu reporteras ton affection sur tes
autres enfants.
Adieu, cher pere, je vous embrasse tous du plus profond de mon coeur et
surtout ma maman cherie.
Ton fils cheri,
BAPTISTE.
Paris, 18 Septembre 1914.
Cher Pere,
Les forces me manquent pour pouvoir te faire une longue lettre; tu peux
croire que j'y mets toute ma bonne volonte pour t'ecrire ces quelques
lignes.
Je suis tombe blesse le 7 Septembre au combat de la Marne. J'ai recu le
boulet dans le dos en pleine force et cela a produit la paralysie. Les
balles qui m'ont traverse le genou et l'avant-bras droits ce sont des
balles qui se trouvaient dans le boulet. Le dos aussi a ete traverse par
une balle; le carnet que j'avais dans ma veste a arrete une balle.
J'espere guerir, mais il faudra du temps. La paralysie n'est due qu'a la
forte commotion. Je n'ai besoin de rien. Le jeudi et le dimanche,
les Parisiens et les Parisiennes viennent nous rendre visite et nous
inondent de friandises.
Enfin, cher Pere, du courage; il faut esperer que je guerirai.
Je t'embrasse bien fort, sans oublier ma maman cherie, mes soeurs, mes
freres et le petit Thomas.
BAPTISTE.
_Lettre ecrite par Rene-Anselme DEFARGE, Lieutenant au 107e
d'Infanterie, tue a la bataille d'Ecurie, le 25 Septembre 1915._
25 Septembre 1915.
Mes chers parents,
Nous venons d'occuper de nuit nos emplacements de combat. Tous les
preparatifs ont ete faits, tout a ete regle minutieusement pour que rien
ne soit laisse a l'imprevu qui peut etre regle d'avance. C'est du temps
de gagne--des vies humaines pour aujourd'hui et pour l'avenir.
Depuis quatre jours, nous avons dechaine sur le front allemand un
formidable ouragan de fer. Jamais, meme aux heures les plus difficiles,
nous n'avons connu cela. Et si les Boches viennent, c'est qu'ils ont du
coeur au ventre. Ce matin, derniere main a la preparation: crapouillots,
75, marmites de petit et de gros calibre, tout y va. Deja la tranchee
s'est rougie, un peu de sang a coule, quelques-uns ont paye leur dette
et au dela. Tout a l'heure, ce sera la ruee. Partout, dans le Nord comme
en Champagne, nous allons leur tomber sur le poil! Il faudra bien que le
rideau creve quelque part. Nous pouvons nous attendre evidemment a de
gros sacrifices, une troupe d'assaut doit savoir les supporter. Il faut
y aller de plein coeur, comme dit le generalissime, jusqu'aux pieces
d'artillerie. Il faut traverser tout ce labyrinthe de sapes, de mines,
de tranchees et de boyaux pour gagner la plaine et leur tailler des
croupieres. Il faudra, cette fois, ne leur laisser aucun repit, les
talonner sans relache jusqu'a l'extreme limite de nos forces. Les hommes
sont decides, ils en veulent. La perspective d'un autre hiver dans les
tranchees les effraie beaucoup plus que l'assaut, je crois; et un gros
succes ranimera les coeurs defaillants et retrempera les volontes pour
la continuation d'une lutte que le monde ... civilise se doit de mener
jusqu'au bout. Du reste, quand on a commence une besogne, si penible
soit-elle, il faut l'achever pour en savourer les fruits. Et quand on
se sacrifie pour un pays comme la France, on est paye par la pensee
reconfortante que le plus noble ideal qui soit au monde ne perira pas.
Et puis, nous sommes de la lignee des Bayard, des Jeanne d'Arc, des
Henri IV, des Turenne, des Hoche, des Marceau, des Bonaparte, et leur
sang ne peut pas mentir. Nous verrons bien. Voyez-vous que nous allions
coucher a Douai!
Je ne pourrai certainement pas vous ecrire de quelques jours de facon
reguliere; ne vous affolez pas et n'allez pas avoir des pressentiments,
ce qui serait maladroit. Attendez pour savoir.
En tout cas, si je tombe, je vous le repete encore, je serai mort
joyeusement, quelque penible que soit la pensee de me separer de vous;
je serai mort sans regret parce qu'il y a des heures ou la vie sans
l'honneur ce n'est rien, des heures ou il faut se jeter tete baissee
dans la commune melee sous peine de se renier et de n'etre plus qu'un
corps sans ame.
Vous trouveriez dans ma cantine et dans ma paniere ma Croix de Guerre,
le seul heritage precieux que vous feriez de moi, et des photographies
que j'ai pu prendre depuis la semaine. C'est un recueil interessant,
encore que j'eusse pu faire beaucoup mieux. J'ai sur moi, au moment du
combat, mon kodak et mon portefeuille contenant ma citation. On les
retirerait si possible et on les mettrait dans ma cantine.
Vous embrasserez mes oncles et tantes pour moi et vous leur direz mon
affection. Je vous prie de croire a ma tendresse et vous embrasse tres
fort.
RENE.
_Lettre ecrite par Jean DELACHE, tombe aux champ d'honneur le 26 Aout
1917._
Ma chere Maman,
D'apres les lettres que tu m'as envoyees, je vois que tu n'as pas encore
recu une des miennes d'il y a quelques jours; j'espere qu'elle ne sera
pas egaree. Les tiennes me sont toutes parvenues et les colis dont tu
me parles avec elles. Je t'en remercie beaucoup. Les pommes ne sont pas
abimees du tout et la saucisse a l'air tres bonne. Tu ne vas plus etre
aussi tranquille a mon sujet car demain on remonte en ligne et, comme je
te l'ai dit, il y aura peut-etre du nouveau. Je ne peux pas t'en dire
plus long. On parlera des evenements apres leur echeance. Ne te fais
pas trop de mauvais sang, ce n'est pas la peine, tu le sais bien. J'ai
moi-meme bien du mal a me faire une raison.
Tu me pardonneras si je ne reponds pas a tout ce que tu me dis dans ta
lettre, car je ne peux plus mettre la main dessus et je ne me rappelle
plus tres bien de son contenu. Tu me demandes si tu peux m'envoyer
l'Anabase de Xenophon, je le veux bien, il me sera toujours utile. Je
continue, en effet, ma grammaire grecque dont j'ai vu une quarantaine
de pages et sans ce malencontreux retard ca pourrait encore aller plus
vite, mais l'on ne fait pas toujours comme l'on veut dans ce sacre
metier.
Mais il parait qu'apres cela on va descendre au grand repos, pendant
quelque temps. Cette facon de proceder est peut-etre meilleure. Je
ne vois rien a te dire de plus, l'existence est si peu variee,
heureusement!
Je ne peux, en terminant, que te dire de t'armer de courage et
t'embrasser tendrement.
Ton fils qui t'aime,
JEAN.
_Lettre ecrite a sa femme par Louis DEROCHE, 27e Regiment d'Infanterie,
tombe au champ d'honneur, a Dolwing, le 20 Aout 1914._
17 Aout 1914.
J'ai recu hier, au petit jour, le bapteme du feu! Ce fut gentil tout
plein. A la premiere decharge, un schrapnell, fusant sur mon escouade
accroupie, traversa d'une balle le sac de mon camarade de gauche,
dechira ma bretelle de fusil, rasa la figure du Caporal et d'un dernier
plomb, le plus tragique, traversa le bras de mon vieux Faivre.
Pas une minute d'emotion!
...Nous sommes restes jusqu'a 3 heures de l'apres-midi sous le feu
de ces cochons-la. Qu'ils tirent mal et quelle inutile gabegie d'une
marchandise qui coute si cher!
...Ma compagnie, qui est des plus eprouvees, vient de se retirer en
arriere et en reserve de facon a prendre un repos bien gagne.
...Tu ne saurais croire, mon petit ange, combien la proximite du danger
agit salutairement sur l'ame de ton gosse. Je vis en une communion
continuelle avec Dieu, dans lequel ma confiance augmente sans cesse.
Ainsi, je lui dois mon calme, qui n'est pas une des moindres assurances
contre le danger. Je lui ai promis, ainsi qu'a la Vierge d'Etang, que,
si nous nous retrouvons bientot heureux, chaque annee, nos enfants et
nous, feraient le pelerinage de Velars....
J'ai enterre ce matin les deux morts de ma compagnie, pour lesquels j'ai
dresse une croix et recite une priere. C'est a toi, mon amie, que je
dois ce petit courage.
...Adieu, mon petit gosse, je te quitte. Continue d'etre l'ange des deux
foyers que j'ai quittes pour un temps. Il suffit que j'emporte ton coeur
pour que ni la joie, ni l'espoir ne puissent s'envoler de dessous ma
capote.
Je viens de revoir avec joie mon ancien Commandant du 10e. Il m'a cause
affectueusement. Il m'a annonce que la victoire se dessine sur tous les
fronts.
LOUIS.
_Lettre ecrite par Medard-Paul DEVLAEMINCK, 41e Regiment d'Infanterie
coloniale, tombe au champ d'honneur, a Souchez, le 1er Octobre 1915._
Ma chere Mere,
Merci pour ton petit trefle a quatre feuilles; je conserve precieusement
cette petite herbe que mes copains envient beaucoup. Hier soir, nous
avons demoli 30 Boches, pas notre compagnie, mais le 1er bataillon.
Figure-toi que, dans le secteur du 1er bataillon, les tranchees se
touchent avec les Boches. Alors, un officier bavarois et 30 hommes ont
saute dans la tranchee, la nuit; l'officier boche est rentre dans une
cabane occupee par les marsouins et a tue d'un coup de revolver un de
ceux-ci; alors, le caporal l'a enfile comme une crepe. Ensuite les
marsouins ont entierement massacre les 30 Boches, aucun prisonnier.
Furieux, les Boches ont voulu attaquer et ont encore recu une pile; pour
se venger, ils ont bombarde un village voisin toute la nuit; nous, on
roupillait comme des Suisses; on est habitue a cette comedie, tu dois
t'en douter.
...Ce soir, nous remontons aux tranchees, nous avons ordre de crier a
notre tour: vive l'Italie! et de chanter la _Marseillaise_; ca, c'est
pas la paix, mais enfin, ca fait un peu de changement. Ne te fais pas de
mousse avec cela, dors tranquille....
...Notre secteur n'est pas mal place, les Boches sont a environ 200
metres de nous et seulement a 40 metres des autres secteurs; nous sommes
cette fois en foret, nous habitons a cinq par villa; c'est pas cher
comme loyer, nous avons un bail renouvelable tous les douze jours,
car nous restons quatre jours dans les tranchees; si tu voyais notre
cambuse, tu aurais le sourire: a la porte, il y a sculptures dans la
pierre blanche, car les tranchees sont creusees dans la pierre; il y a
la tete de la Republique et je t'assure que l'artiste du 43e Colonial
qui l'a faite n'est pas un apprenti; en dessous est ecrit: "Vive la
Republique democratique et sociale"; en plus, de l'autre cote, egalement
dans la pierre, est inscrit: "Villa des cocus". Donc, ton fils habite
"Villa des cocus". Ca sent la guerre, hein, a plein nez et je vois
Valentine sourire. Nous ne sommes pas mal loges, pour le prix, on ne
peut pas crier, on ne peut pas se plaindre....
Ce matin, pour venir, qu'est-ce que nous avons pris comme bain de pieds:
il etait tombe de l'eau toute la nuit, et nous en avions jusqu'aux
genoux, nous etions dans la joie, car plus nous sommes dans la
mouise plus nous avons le sourire. Tu vois, voila les Poilus de la
Republique...
DEVLAEMINCK.
_Lettre ecrite par Augustin DOUNET, 81e Colonial, tombe au champ
d'honneur._
4 Juin.
Bien chers amis M. et Mme Gelin,
Je ne saurais trop dans quelle idee j'ecrirai cette lettre. Que
devez-vous penser de ce soldat qui venait parfois se faire payer toutes
sortes de gateries pendant les longues journees d'hiver. Que vos
caresses et belles paroles lui faisaient oublier les jours de guerre.
En effet, c'etait plus la guerre que de vivre aupres de vous, mais le
bonheur. Croyez-vous qu'il vous a oublies? Non. Tous les jours j'y
pense, a ces soirees recreatives, et voudrais pouvoir vous dedommager
de tant de peine. Mais maintenant, malgre ma bonne foi, je ne peux vous
etre agreable que par ma lettre. Ca fait rien. Il faut esperer que cette
guerre ne durera pas longtemps maintenant et qu'apres tant de peine on
pourra se revoir contents et glorieux de notre devouement. C'est pour
vous que je parle, car nous autres, c'est rien en comparaison de ce que
vous fites pour nous.
Avant de finir, laissez-moi vous parler un peu du paysage pour
changer les idees. On ne peut pas toujours parler de la terreur qui
malheureusement court toutes les langues europeennes. Nous avons passe
en arriere pour prendre un peu de repos, dont je pense avoir envoye un
mot a mes devoues amis. Mais tout marche a merveille. Tout le monde
travaille et avec entrain. Aussi pas de terre inerte. Les recoltes sont
elegantes et semblent vouloir fructifier. C'est beau que de voir la
terre couverte d'une verdure qui pousse, et dans notre passage semble
nous dire: defends-toi et le sol te nourrira. C'est beau pour moi de
voir que le coeur des Francais n'oublie pas leurs braves soldats et
s'efforce pour faire le travail de leurs chers qui pour le moment sont
au service commun. Les grands arbres qui couvrent la route nous donnent
une fraicheur exquise pendant le cours des marches militaires: au-dessus
viennent lancer leurs joyeuses chansons les petits oiseaux. C'est beau
le pays a cette belle saison du printemps. Les belles prairies qui vont
nous donner leur fourrage nous embaument par leurs charmantes fleurs
qui bornent la route. Rien n'est a comparer a notre sol francais. On y
trouve de tout. Aussi les Boches voulaient s'en emparer, mais trop tard,
maintenant ils peuvent repartir chez eux. Nous n'en voulons plus de
leurs tableaux sur notre terre sacree, terrain que nos peres ont su
conserver et que nous sommes appeles a defendre.
Il parait qu'il s'est livre un gros combat naval. Peut-etre sera-t-il
une bonne preuve d'epuisement de cette terrible nation qui croyait nous
aneantir sans reprendre, aussi l'a-t-on surnommee l'Aigle; quant a
present, c'est plus qu'un vautour. Dans tous les cas, vivement que ca
finisse pour revoir tous ces braves qui ont su se devouer et surtout
faire patienter les braves soldats. Grace a leur savoir viendra le jour
ou nous serons vainqueurs, et rentrant dans leurs foyers pourrons revoir
ces braves, les felicitant, les remerciant de leur devouement qu'ils ont
su nous inspirer.
En attendant ce jour, recevez, mes braves amis, les plus grands
souvenirs et le gage de la plus profonde amitie.
AUGUSTIN.
_Lettre ecrite par Marcel DUCREUX, engage volontaire au 4e Regiment
mixte de Zouaves, tombe an champ d'honneur._
Fin Decembre 1914.
Mes chers parents,
Accroupi dans la paille d'une modeste maisonnette de village, un sac en
maniere de pupitre, je suis heureux de pouvoir vous envoyer mes voeux de
bonne annee, s'il est possible qu'en les circonstances actuelles l'annee
1915 soit pour quelques-uns pas trop douloureuse.
Ces voeux sont aussi les votres et un peu ceux de tout le monde, ils se
trouvent confondus en un seul espoir, celui de se trouver reunis, en
bonne sante, au grand jour de la Victoire francaise definitive.
Le general Joffre a lance a tous ses soldats une proclamation dans
laquelle il fait savoir que, pour en terminer avec la situation presente
et chasser les Allemands de notre sol, un grand coup reste a frapper et
que pour cela il compte sur tous.
Tenons-nous donc prets pour ce sublime assaut liberateur.
En ce qui me concerne, mes chers parents, sachez que ni l'energie, ni la
notion du devoir ne me feront defaut et qu'a quelque prix que ce soit,
je serai ce que vous m'avez appris a etre, un bon Francais et un homme
de coeur.
Mon cher Papa, ma chere Maman, mes cheres petites Soeurs, recevez les
baisers remplis d'effusion de votre petit soldat bien-aime.
Marcel DUCREUX.
_Lettre ecrite par Henri-Remy DUHEM, 147e Regiment d'Infanterie, tombe
au champ d'honneur, a l'assaut des Eparges, le 20 Juin 1915._
18 Juin 1915.
Cher Papa, chere Maman,
Je suis arrive au but. Ma pensee est uniquement occupee de vos souvenirs
que je savoure seul silencieusement aux instants rares de repit et qui
reviennent vifs comme la realite presente.
Malgre l'eloignement materiel, je sens plus que jamais que notre coeur
bat identiquement, que notre cerveau fonctionne identiquement, que nos
nerfs et notre sang ne font qu'un. Oui, nous sommes philosophes.
Je suis soumis a des forces majeures eventuelles, je les connais; si
elles se presentent je les accepterai. Mais mon energie n'en est pas
moins toujours tendue, prete a tenir tete aux evenements.
J'accepterai sans sourciller l'inevitable.
Interessez-vous a quelqu'un qui le merite et rattachez-vous a l'Art.
Remy DUHEM.
_Lettre ecrite par le Sergent A. DURAND, 68e Regiment d'Infanterie,
tombe au champ d'honneur._
Ma chere petite Femme,
Mes chers petits Enfants,
Au cas ou Dieu voudrait qu'une balle meurtriere vienne me ravir a
l'affection de ma chere Marguerite, de mes enfants cheris, de mes
parents bien-aimes, tous vous trouverez une consolation en sachant que
la mort m'a surpris pret a faire le grand voyage et que du haut du
ciel, ou j'espere vous retrouver, mes prieres remplaceront tout ce que
j'aurais pu faire pour vous ici-bas.
Pour toi, ma chere petite femme, ta vie est brisee! Helas! nos beaux
jours ont ete courts et peu nombreux et tu ne doutes pas que c'est pour
moi un cruel creve-coeur que de penser que peut-etre je ne vous verrai
plus.
Mais quand meme je veux agir en Francais, en chretien et en pere de
famille, en faisant mon devoir. Si donc la mort me frappe, mon dernier
baiser, mon dernier soupir, seront pour toi, ma chere petite femme, mes
petits enfants et mes parents.
Ma chere Marguerite, tu trouveras une precieuse consolation et un fidele
souvenir en ces enfants charmants, Jeanne et Maurice. Apprends-leur le
souvenir de leur pere qui les aimait a la folie. Enseigne-leur l'amour
de Dieu, l'amour du travail, fais-leur donner une bonne education, en un
mot, fais-en un bon fils, une bonne menagere.
Conservez donc mon souvenir, mes Cheris, et soyez persuades que, quoi
qu'il arrive, je pense toujours a vous tous et que je ne veux pas me
sacrifier inutilement, n'oubliant pas que j'ai une femme et des enfants,
mais que si Dieu le veut et que le devoir m'appelle je me conduirai en
soldat.
Au revoir, ma petite femme adoree, tu fus sans cesse l'objet de mes
soucis, j'emporte ton amitie qui n'a que grandi pendant la longue et
cruelle separation que nous a imposee cette guerre.
Vous embrasse tous bien tendrement, une derniere fois peut-etre.
Au revoir, mes chers parents. Prenez ma place et secondez ma chere
Marguerite.
A. DURAND.
_Lettre ecrite par Maurice DUTHU, 109e Regiment d'Infanterie, tombe au
champ d'honneur le 14 Juin 1917.
Apres la soupe, j'avais commence a vous faire reponse, installe dans les
bureaux de la Compagnie de Bethune, fosse 6. Je ne sais si nous avons
ete reperes par un avion, toujours est-il qu'au moment ou j'ecrivais,
arrive, gratis et franco, un obus dans la cour; un eclat traverse le
vitrage de la salle ou j'etais--merci!--et vient jusqu'a mes pieds apres
avoir descendu toutes les vitres dans un fracas epouvantable. J'ai eu
juste le temps de me baisser assez pour ne pas etre crible de verre;
je l'ai echappe belle cette fois encore. Heureusement que je tenais ma
lettre a la main; c'aurait ete une belle feuille de papier perdue....
Maurice DUTHU.
_Lettre ecrite par le Lieutenant Jacques EBENER, 112e Regiment
d'Infanterie, tombe au champ d'honneur le 19 Janvier 1917._
Ma chere Maman,
Le jour ou tu liras ces mots, je ne serai plus de ce monde. Tante Marie,
qui a toujours ete si affectueuse pour moi, se chargera de te les faire
parvenir.
...Voila, ma chere maman, ce que j'avais a te dire et maintenant que je
suis disparu, tombe glorieusement pour mon pays, je te demande autre
chose: ne pleure pas ma mort, elle est la plus belle de toutes et, sous
ton voile noir, tu auras le droit de lever fierement la tete; et puis,
qu'est-ce que la vie? Dans quelques annees, tes souffrances seront
finies et tu viendras me rejoindre dans l'au dela ou le mal n'existe
plus. La, nous serons reunis, j'en suis sur, car je t'ai trop aimee pour
que nous ne soyions pas reunis un jour pour jamais en quelque essence
superieure qui vivra dans une beatitude eternelle. Dis-toi cela, ma
chere mere, et cela t'aidera, pendant le temps qui te reste d'existence
terrestre, a supporter ta douleur comme la supportaient les meres
spartiates et romaines. Donner son fils a la Patrie, quand cette Patrie
est la France, qu'y a-t-il de plus beau pour une mere?
_Lettre ecrite a sa mere par le Sous-Lieutenant Raymond D'ESCLAIBES
D'HUST, 17e Bataillon de Chasseurs a pied, mort au champ d'honneur, le 3
Septembre 1916, devant Barleux._
1er Mars 1916.
Voici donc arrive le jour fatal qui devait confirmer ce que tous deux
pensions sans oser nous le dire, tant les paroles en eussent ete
cruelles; notre cher disparu, mon pere bien-aime, nous a quittes et nous
ne le reverrons jamais. Dieu lui a reserve la plus belle recompense, la
mort en heros, face a l'ennemi, et il n'est pas de doute possible qu'il
ait pris avec lui cette ame d'elite a tous points de vue. Mais pour nous
quelle affreuse realite!... Je ne puis me figurer notre malheur, je ne
puis envisager notre vie completement sans lui, quoique la longue et
penible attente ait distille peu a peu notre souffrance. Ce n'est qu'a
la fin de cette guerre que nous la sentirons completement. Quand nous
serons tous deux seuls, combien sa presence nous manquera! La guerre
est une phase de l'existence pendant laquelle les nerfs se tendent plus
qu'ils ne le peuvent, mais quelle detresse terrible quand la realite
sera la! Il faut avoir notre etat d'esprit actuel, qui nous fait
considerer la mort comme la realisation de nos plus beaux reves de
gloire, et la separation d'avec les notres comme un sacrifice necessaire
au salut de notre chere Patrie, pour que ce coup ne nous frappe pas avec
une violence plus grande encore et que nous puissions le supporter. Cher
pere! Quel exemple pour moi! Jamais je ne serai seulement a la cheville
de cette magnifique nature que je respectais comme celle d'un parfait
chretien et d'un Francais digne de son nom glorieux.
_Derniere lettre du Lieutenant Marcel ETEVE, tue le 20 Juillet 1916._
19 Juillet.
Je suis retourne cet apres-midi jeter un coup d'oeil sur le chaos des
entonnoirs avoisinants: je ne reviens pas sur l'impression causee.
Puis, des banquettes de notre tranchee, je regarde a la jumelle les
eclatements sur les bois, les villages et les chateaux que tiennent les
Boches. C'est epouvantable. Le beau temps semble aujourd'hui revenu, et
notre artillerie lourde en profite pour faire ce qu'on appelle du beau
travail. Quelles enormes colonnes de fumee noire, avec des eclatements
en boule blanche! Quelquefois, un panache de fumee noire, comme une
eruption de volcan. Les Boches ne doivent pas etre a la noce. Et de
derriere nos premieres lignes partent aussi des torpilles. C'est la
danse complete. Il faut s'en rejouir. Mais c'est toutefois un spectacle
peu a l'honneur de l'homme.
Et nos pauvres villages qu'on est force de detruire de fond en comble
pour les reprendre, et encore avec peine....
Pour me distraire de tout ce que je vois, j'ai lu hier soir, dans ma
niche, _Le Roi Lear_, que j'ai trouve trainant par la. Cela me rappelle
un bon temps deja loin, une belle soiree chez Antoine....
J'ai eu surtout hier, pour me mettre du baume au coeur, ta bonne lettre,
avec ton joli jasmin: merci, la maman. Nous manquons de fleurs ici: sur
le plateau, on ne voit comme floraison que, de loin en loin, emergeant
du chaos d'entonnoirs, des piquets a fils de fer boches, a forme de
tire-bouchons: c'est assez joli....
Et les communiques sont bons.
Esperons, et aimons-nous fort, fort....
_Lettre ecrite la veille de sa mort par Prosper FADHUILE,
Sous-Lieutenant au 29e Bataillon de Chasseurs a pied._
Maman cherie,
Je suis redescendu, hier, des premieres lignes, ou nous sommes restes
cinq jours, devant le fort de Vaux.
Le bataillon a ete superbe de courage et, pour ma part, je n'ai pas une
egratignure.
Ce soir, deux compagnies choisies remontent pour attaquer par surprise;
j'ai ete choisi pour mener aussi la danse avec les meilleurs chasseurs
du bataillon.
L'affaire promet d'etre chaude, mais interessante; c'est pourquoi je
suis fier et content d'en etre.
Neanmoins, je laisse cette lettre a un de mes camarades, le lieutenant
Guillaume, qui te la ferait parvenir si je ne redescendais pas.
Maman cherie, j'ai beaucoup d'espoir et je compte que mon etoile ne
palira pas ce soir. Mais, si je tombe, soyez certains que j'aurai fait
tout mon devoir de chasseur.
Si, au dernier moment, quelques minutes me restent encore pour vous, je
t'enverrai mes plus doux baisers. L'image de ma maman sera la pour me
consoler; celle de mon pere et de mes freres cheris pour me donner la
force de mourir le sourire aux levres, trop heureux de tomber pour vous.
Dans un long baiser a tous je vous dirai adieu.
P. FADHUILE.
_P.-S._--Ma chere maman, il ne faut pas pleurer, ce serait mal; il faut
etre courageuse pour mon papa et mes freres.
_Lettre ecrite sur son lit d'hopital par Geo FARRET, Soldat de 1re
classe, quelques jours avant sa mort._
Limoges, mardi 15 Septembre 1914.
Chers Parents,
C'est ici que j'ai echoue apres avoir passe quarante-huit heures dans le
train.
Bien content d'arriver la nuit derniere. Je suis dans un hopital
amenage, selon les circonstances, dans une ancienne caserne.
Je n'y serai point mal.
Les voisins de lit sont Parisiens et l'on cause et l'on rit.
Admirablement bien soignes par docteurs et dames de la Croix-Rouge.
C'est heureux que je suis ici pour assez longtemps.
J'ai la jambe droite assez abimee par un eclat d'obus et une legere
blessure au bras droit.
Ne vous inquietez pas, que ce soit long ou court, que ce soit douloureux
ou non, il y en a tellement qui y laissaient leur peau!
Et puis, si je souffre, je suis content que ce soit pour quelque chose
qui merite qu'on lui sacrifie tout.
Tous mes amis et camarades de la compagnie etaient jeudi matin morts ou
blesses, je ne sais. Le 72e est tres decime (11e compagnie, il restait
70 hommes sur 250).
Soyez heureux au moins de la certitude que vous avez maintenant. Je vous
embrasse de tout coeur, papa, maman, Jacques.
N'oubliez pas d'embrasser pour moi bonne tante, tante Aimee et tous les
Maufroy.
Geo FARRET.
_Lettre du Sergent FILIPPINI, Pierre, 7e Regiment d'Infanterie, 7e
Compagnie, tombe au champ d'honneur, le 25 Septembre 1915, a l'age de 19
ans._
Mon cher Henri,
Excuse-moi de ne pas t'avoir ecrit plus tot, mais toujours j'attendais
de tes nouvelles et c'est par mon frere que j'apprends que tu venais
d'etre malade.
D'apres ce que mon frere m'ecrit, j'ai cru comprendre, pardonne-moi si
je me trompe, que la question physique n'etait pas la seule cause de ta
maladie. Je me permets de te dire cela, mon cher petit Henri, parce
que je crois etre assez lie avec toi pour te le dire sans crainte de
paraitre indiscret. Si, par hasard, tu as quelque chose qui te pese sur
le coeur, dis-le-moi, je serais tres heureux de pouvoir te reconforter;
ce ne seront pas des conseils d'un homme que je te donnerai, mais ceux
d'un jeune homme a qui la vie vient de se devoiler sous un autre
jour. J'ai souffert, depuis que j'ai quitte Bordeaux, physiquement et
moralement et meme oserai-je dire sans fanfaronnade plus que tu le peux
chez toi, pres des tiens. J'ai connu les affres de la faim, du froid et
de la mort. J'ai vu sept de mes camarades reduits en bouillie pres de
moi, je me suis vu deux fois enterre et a moitie asphyxie. J'en sors
indemne, c'est un miracle, et pourtant moralement et physiquement je ne
me suis jamais si bien porte. Pourquoi? Parce que je suis heureux de
faire mon devoir, parce que je sais que je deviens meilleur et que
maintenant je suis mon maitre.
Te souviens-tu de cette dissertation francaise de Monsieur Gain dans
laquelle etaient cites ces beaux vers de Musset:
"L'honneur est un apprenti, la douleur est son maitre.
Et nul ne se connait tant qu'il n'a pas souffert."
Nous les avons analyses ensemble a l'epoque ou nous etions reellement
heureux et souvent maintenant dans la dure epreuve je me les rappelle et
toujours ils me reconfortent. Oui, mon pauvre vieux, j'ai souffert et
souvent le decouragement et la maladie auraient pu s'emparer de moi,
mais je ne suis pas seul, je suis grade et moi, encore enfant, je suis
responsable a tous les points de vue de l'existence de cinquante hommes,
malheureusement presque tous peres de famille. C'est pour cela que je
suis fort et que la maladie n'aura pas de prise sur moi.
Il en est de meme pour toi, ne te decourage pas et continue tes etudes
jusqu'a l'heure ou la France t'appellera d'elle-meme pour la servir.
Je ne veux pas dire par la de delaisser les plaisirs, non, loin de la,
chaque chose a son temps.
Depuis que je t'ai ecrit, j'ai voyage; j'ai traverse la France et j'ai
vu presque tout le front. Je suis parti de la Marne, je suis alle a
Paris, j'ai ete dans l'Oise, a cote de Soissons; j'ai ete a l'attaque
du saillant de Quenneviere. Je suis alle dans la Somme, dans le
Pas-de-Calais, du cote d'Arras, et me voila de nouveau dans la Marne. Eh
bien, j'ai toujours ete d'egale humeur, aussi gai le jour ou j'ai pris
le boyau de Quenneviere que le jour ou j'etais a l'arriere, a cote
d'Amiens, a m'amuser avec des camarades. Tu vois que ce n'est qu'une
affaire de volonte et celui qui veut peut.
Tu n'as qu'a reagir, mon cher Henri, et si tu as quelque chose,
dis-le-moi, tu me feras plaisir.
Avec toute l'affection que j'ai pour toi, ton camarade qui t'aime bien.
Ecris-moi vite. Je suis propose pour sous-lieutenant.
Ton vieux,
P.-A. FILIPPINI.
_Lettre ecrite par Guy DE BOYER DE FONS-COLOMBE, 303e Regiment
d'Infanterie, tombe a l'attaque de Vermandouillers, le 4 Septembre
1916._
3 Septembre 1916.
Ma chere petite Maman,
Helas! vous pleurerez en lisant ces lignes: votre fils sera mort pour
la France, Dieu l'aura voulu ainsi et surement pour son bien. Ma chere
maman, je veux une derniere fois vous ecrire combien je vous aime; mon
grand chagrin en pensant a ma mort est de penser a votre peine, pauvre
chere maman; je ne serai plus la pour soutenir tant d'esperances, mais
je serai la-haut aupres de mon pere et nous nous retrouverons. La
vie eternelle est tout! Je sais combien votre magnifique foi vous
soutiendra. Enfin, je serai mort en plein combat, apres avoir reconquis
un peu de notre sol de France; on ne peut envier une plus belle mort; je
vous supplie de conserver votre courage. Dieu n'eprouve que ceux qu'il
aime et au milieu de vos enfants et de vos petits-enfants vous revivrez
en les regardant vivre.
Priez pour moi, chere petite maman; je n'ai pas besoin de vous parler
ainsi, vous m'avez donne le grand exemple de la religion et je vous en
remercie. Dieu vous dispensera la force. Que je regrette, a la veille de
l'attaque, de ne pouvoir vous embrasser une derniere fois, vous redire
l'immensite de ma tendresse. J'aurais ete si heureux d'essayer de vous
rendre encore un peu heureuse en vivant une vie qui vous eut plu.
J'embrasse avec toutes les forces de mon coeur mes freres et mes
soeurs pour lesquels j'ai une telle affection; que tous se souviennent
quelquefois du petit frere. Que l'on parle de lui. Au revoir, adieu,
chere petite maman cherie. Si je continuais, je pleurerais peut-etre et
sous le canon on ne pleure pas....
...Je vous embrasse, ma mere cherie, merci de la tendresse de votre
coeur pour moi, merci de m'avoir tant aime.
GUY.
_Lettre ecrite par le Lieutenant Henri FOURNIER, 176e Regiment
d'Infanterie, tombe au champ d'honneur le 13 Aout 1915._
Mes chers Parents,
Nous embarquons ce soir pour les Dardanelles; je vous ecris ces mots a
la hate car je n'ai pas une minute. Nous allons vraisemblablement a
un serieux coup de torchon. Si j'en rechappe, et je l'espere, je me
depecherai de vous donner de mes nouvelles.
Je vous embrasse tous du fond du coeur et espere vous revoir bientot. Si
je ne reviens pas, acceptez mon sacrifice avec un coeur fort, en vous
disant que je ne regrette rien et que je serai content de pouvoir donner
ma vie pour mon pays, heureux surtout si nous avons la victoire.
Je vous demande pardon de vous causer peut-etre de la peine en vous
ecrivant ces lignes, mais l'instant est critique.
Je ne vous en dis pas plus. Ayez confiance quand meme et croyez que je
reste malgre tout confiant dans le succes final.
Encore une fois, mille et mille baisers de votre fils qui vous aime.
HENRI.
_Poeme contenu dans la derniere lettre de Gabriel-Tristan FRANCONI,
tombe au champ d'honneur le 23 Juillet 1918._
17 Juillet 1918.
PRIERE A LA FRANCAISE
Le poing brise d'avoir frappe l'envahisseur,
Permets que poursuivi par l'invincible mort,
De mon exil sonore, amante aux chairs perdues,
Je reve aux soirs heureux ou j'encerclais, vainqueur,
Et ne pressentant pas mon miserable sort,
En mes bras fortunes, ta jeunesse eperdue.
Vous aussi, notre mere, enclose en la maison
D'ou jadis s'envolaient nos desirs d'hirondelle;
Toi, la plus tendre amie, aussi franche que belle;
Vous, la femme inconnue et pourtant desiree,
Anges eblouissants, Francaises adorees,
Recueillez les soldats epuises sous vos ailes.
Ton orage implacable enerve l'horizon.
Quand la vapeur de soufre et les eclairs de flamme
Calcineront ce coeur qui vous a tant aimees,
Qu'il repose a jamais sur vos seins fremissants.
Ne laissez pas la boue ensevelir nos ames.
Il serait dur qu'en vain fut verse notre sang,
Veuillez le recevoir en vos mains parfumees.
Gabriel-Tristan FRANCONI.
_Lettre ecrite par FRAYSSE, 7e Colonial, tombe au champ d'honneur._
Le 25 Juin 1916.
Bien chers Amis,
Voici le moment arrive ou tout bon Francais doit faire voir qu'il a du
coeur. On croit qu'il y aura bientot une offensive, moi, je n'en sais
rien. Mais, par mesure de prudence, je viens vous adresser mes meilleurs
souvenirs, vous remercier de tout le devouement que vous avez bien voulu
me montrer, vous souhaitant une bonne sante, une vieillesse heureuse.
Nous allons peut-etre courir la chance. Mais si la Providence veut que
nous ne nous revoyions, ca va sans dire que mon amitie vivra toujours
avec vous. Et une fois ce massacre termine, je serai content de refaire
une petite promenade pour oublier les dangers que nous aurons du courir.
Recevez, Monsieur et Madame, la plus chere amitie d'un soldat qui vous
aime.
FRAYSSE.
_Lettre ecrite par Fernand FROIDEFON, Aspirant au 2e Zouaves, mort au
champ d'honneur._
Chere petite Maman,
Je suis parti en bon petit Francais m'acquitter d'une dette sacree et
remplir jusqu'au bout avec calme ce devoir pour lequel tombent depuis
tantot neuf mois les meilleurs fils de notre belle Patrie.
Il faut liberer notre sol, il faut effacer a jamais de notre glorieuse
histoire une souillure, il faut garder francaise la terre de nos morts,
il faut preparer a une France nouvelle une ere de paix, il faut liberer
a jamais les foyers de chez nous d'une guerre et il faut empecher qu'un
semblable cataclysme vienne encore dans quelques annees dechirer des
millions de coeurs et faire revivre ces heures affreuses; c'est dans ce
but, petite mere, que j'ai voulu etre officier francais et c'est pour
cet ideal que j'ai fait le sacrifice de mes vingt ans.
Puisque tu lis cette lettre, je suis tombe en brave et vers ma chere
maison, vers la tombe de papa, mes dernieres pensees se sont envolees.
Pauvre mere, ton coeur deja torture recoit un nouveau coup, mais je te
sais vaillante et forte; tu sauras trouver l'energie necessaire pour
surmonter tes terribles epreuves dans la pensee que, plus heureuse,
malgre tout, que beaucoup de meres francaises, il te reste un fils a
elever, qui te donnera la satisfaction que tu dois attendre de lui.
Et toi, mon cher Emile,
Je te recommande maman, tu seras son soutien; c'est pour toi aussi que
j'accepte volontiers le sacrifice, afin que ta vie soit tranquille et
heureuse, que tu aies le bonheur qui ne m'est pas reserve de fonder
un foyer; tu profiteras de tous les instants de ton existence en
perseverant dans le droit chemin et en cherchant a travers toutes les
epreuves ta satisfaction dans le bien.
Tu te souviendras de ton aine, du petit officier de zouaves qui ne
reviendra plus et tu associeras ma memoire a celle de notre cher pere;
je revivrai ainsi en toi tant que durera cet hommage.
Chere Maman, Emile,
Je ne vous demande pas de ne pas me pleurer, je vous interdirais la
seule consolation qui vous reste; mais sachez conserver de la moderation
dans votre peine; notre deuil recent et terrible nous a montre a tous
le peu de prix qu'il convient d'attacher a la vie et il n'est pas sans
noblesse de devouer la sienne a un ideal.
Adieu donc.
Bonnes et affectueuses caresses de votre fils et frere qui vous a
toujours aimes du plus profond de son etre, plus que lui-meme et que
tout.
Fernand FROIDEFON.
_Paroles prononcees par un pupille de l'Assistance Publique, sur le
champ de bataille, quelques secondes avant sa mort:_
"Ecrivez a Monsieur Mesureur que G... est mort a Verdun, qu'il est perdu
dans un grand champ de bataille comme un jour il fut trouve dans la
rue."
CERTIFICAT DE M. LE DIRECTEUR DE L'ASSISTANCE PUBLIQUE
_Vous m'avez demande d'attester l'authenticite des dernieres paroles
prononcees par mon pupille G..., tombe au champ d'honneur le 22 mai
1916.
Je m'empresse de vous adresser copie exacte de la lettre par laquelle le
Lieutenant VOISIN, du 36e Regiment d'Infanterie, me les a rapportees:_
_"J'avais toujours pense, mais le temps m'avait manque jusqu'alors,
a vous entretenir des dernieres paroles du jeune G..., un de mes
excellents petits soldats et l'un de vos assistes. Il a ete tue a
Verdun, le 22 mai 1916, a l'attaque de la forteresse de Douaumont; il
est reste avant le boyau de Vigouroux, notre objectif.
"En revisant mes notes de campagne, je retrouve le passage de sa mort
et ses derniers mots. Je me fais donc un devoir, et c'est pour moi un
honneur, de porter a votre connaissance la phrase ci-dessous que j'ai
recueillie sur le champ de bataille:
"Ecrivez a M. Mesureur que G... est mort a Verdun, qu'il est perdu dans
un grand champ de bataille comme un jour il fut trouve dans la rue."
Veuillez agreer, Monsieur le President, l'assurance de ma consideration
distinguee._
Le Directeur
de l'Administration Generale
de l'Assistance Publique:
Louis MOURIER.
_Lettre ecrite par le Sergent Auguste GARROT, aine de quinze enfants,
158e Regiment d'Infanterie, tombe au champ d'honneur le 6 Avril 1916._
Mes chers Parents,
Si le grand malheur arrive, soyez forts pour le supporter; vous saurez
que votre fils est tombe d'une mort glorieuse, face a l'ennemi.
C'est vous que j'ai defendus, mes chers parents, c'est ma Patrie, c'est
la grande Republique, une et indivisible.
Grace au sang verse naitra la paix dont mes freres jouiront. J'etais
l'aine, il etait juste que je les defende; ils ne connaitront jamais,
heureusement, les horreurs de la guerre.
Pere, tu peux etre sur que ton fils n'aura pas eu une minute de
defaillance.
Oh! papa, maman, et vous tous mes freres et soeurs, jusqu'au bout
j'aurai eu vos noms sur mes levres.
Adieu. Vive la France!
Auguste GARROT.
_Lettre ecrite par GAUDARD, quelques mois avant de tomber au champ
d'honneur, dans l'Aisne._
Hagiang, 7 Mars 1915.
Chef de l'atelier de l'Artillerie
HAGIANG (Tonkin)
Mon cher Edmond,
J'ai a Sontay recu ta lettre et n'y ai pas repondu plus tot parce que je
pensais etre rapatrie pour pouvoir prendre part a la guerre. Helas! le
sort m'est contraire et je dois rester a la frontiere de Chine pendant
qu'en France on se bat tout le long de celles du Nord et de l'Est. Et je
ne suis pas seul dans mon cas. Ce n'est vraiment pas gai de se trouver,
apres vingt ans passes de service, a quatre mille lieues de son pays
pendant que celui-ci a besoin de defenseurs. Or, je croyais pouvoir
pretendre me rendre quelque peu utile, mais le sort et le commandement
en decident autrement! Alors, il faut obeir, c'est dur en
l'occurrence!!!
Encore une fois avons-nous la chance de voir la Franche-Comte epargnee.
J'ai passe de bien mauvais moments en pensant a vous et vos familles
restes a Paris, au moment ou ces brigands s'approchaient a marches
forcees de la capitale. Je revoyais possibles les horreurs et la famine
du siege precedent et je me figurais qu'a temps tu aurais rejoint
Etrappe pour eviter le peril que je vise ci-dessus; car il n'aurait pas
fallu songer a aller chez Julia, en cas de desastre, sa maison etait
destinee a etre abattue la toute premiere, de par sa situation au pied
du fort La Chaux; il aurait fallu au contraire qu'elle-meme se refugie
a Etrappe. Vous n'y auriez pas ete grands seigneurs, ni les uns et les
autres, mais cela eut mieux valu que rester a Paris.
As-tu eu des nouvelles du gamin? Je suppose que oui. Toutefois, il est
possible que, fait prisonnier, il ne lui soit pas possible de faire
savoir ou il est.
Je sais que Francois est rentre a Sochaux, ou il travaille aux
automobiles, que Daclin est en Alsace, qu'Edmond, d'Etrappe, est enrole.
On m'a annonce la mort de plusieurs soldats de chez nous, la capture de
quelques autres. Et moi, mon cher frere, pendant ce temps, je ne fais
rien, ou du moins pas mon devoir de fils de Franche-Comte.
Je suppose que vous etes en bonne sante. J'espere aussi que, malgre le
marasme des affaires, tu trouves a t'employer et ce, dans Paris meme, en
raison du depart de tous les hommes ayant l'age de prendre les armes.
Je ne sais quand j'ecrirai de nouveau; si la chance voulait que je
rentre, je te ferais savoir mon arrivee en France depuis Marseille. Je
finis mon sejour le 22 Juin prochain. La guerre durera encore plus tard,
alors tant mieux pour moi, car j'y prendrai part. C'est, Edmond, mon
plus grand, mon seul desir. Si j'y reste, eh bien, vive la France!!!
Embrasse tout le monde pour celui qui est et restera l'onchot.
GAUDARD.
_Lettre ecrite par le Marechal des Logis Henri GAVARD, 21e Chasseurs a
cheval, tombe au champ d'honneur._
Ma bien chere petite Maman,
Sois courageuse et ne te laisse pas abattre par la triste nouvelle de ma
mort que je tiens a t'apprendre moi-meme.
Oui, ma pauvre maman, comme tant d'autres, j'ai paye de mon sang mon
tribut a notre belle Patrie. Il est toujours terrible de perdre ses
enfants, mais songe combien tu peux etre fiere en pensant que tes deux
fils sont morts en defendant l'honneur et la grandeur de notre France.
Nous avons ete a la peine: par toi qui dois nous survivre et qui vivras
nous serons a la Victoire. Ce sera, sois-en sure, bien chere petite
maman, notre plus belle consolation.
Je demande a mon officier, Monsieur Carf, 21e Chasseurs a cheval, 128e
Division, S.P. 48, par ma lettre redigee en meme temps que celle-ci, de
te faire parvenir toutes mes affaires et de me faire enterrer, si c'est
possible, dans un cimetiere. Tu pourras correspondre avec lui a ce
sujet.
Inutile d'annoncer ma mort a grand renfort de publicite, simplement,
tout simplement aux amis.
Sois forte, ne te laisse pas decourager par ma disparition et vis pour
le souvenir de tes deux fils.
Par l'au dela, si la vie se poursuit, nous nous retrouverons un jour. En
attendant, je te donne, pour la derniere fois ici-bas, mes plus tendres,
mes plus affectueux, mes plus reconnaissants baisers.
Au revoir a tous.
Ton HENRI.
_Lettre ecrite par le Lieutenant observateur MARTIN DE GIBERGUES, tombe
au champ d'honneur, dans un combat aerien, le 5 Mai 1917._
...Si, les ailes brisees un jour dans le ciel bleu, je retombe sur la
terre en retournant a Dieu, que ces lignes apportent a ma mere et a mon
pere les pensees dernieres, les desirs, les reves supremes de leur fils
tant aime!
Des que l'avion mortellement blesse refusera tout travail, des que
l'accomplissement de ma mission sera impossible et ma tache sur terre
terminee, des que la chute se precipitera, a quelques metres a peine
au-dessus du vacarme de la bataille, une paix infinie depuis longtemps
attendue m'envahira et je la chanterai de toute mon ame: _Gloria in
excelsis Deo!..._ Oh! ces quelques secondes devant la souffrance et la
mort, dont le monde a une telle horreur qu'il essaiera de les cacher
comme abominables, vous les benissez avec moi: elles sont une faveur du
juge souverain.
A mesure que mon corps frissonnant s'approchera du sol, mon ame
remontera plus legere a des hauteurs inconnues, la separation se fera
victorieuse.
Ce sera le _Magnificat_ complet: la priere d'adoration au seul Dieu
grand et misericordieux, la priere d'action de grace pour ce qui m'a ete
donne avec tant de largesse de tous cotes, la priere d'expiation plus
pour ce que j'ai omis que pour ce que j'ai fait; et puis l'appel
suppliant qui ne peut pas ne pas etre exauce, demandant la vie
eternelle, la force et la consolation pour ceux que je laisserai, la
misericorde et la gloire pour la France bien-aimee, l'arrivee du regne
de Dieu, _Adveniat regnum tuum_.
Cette priere sera toute melee de vous, mes parents bien-aimes, car je
l'ai apprise de vous par vingt-huit annees de parole et d'exemple.
Elle sera calme et douce malgre les apparences, elle respirera la
confiance et la paix.
_Lettre ecrite par le Soldat GLATIGNY, 301e d'Infanterie, tombe au champ
d'honneur._
21 Octobre 1914.
Mes chers Parents,
Enfin! j'ai sur moi vos deux photographies! Elles me sont arrivees ce
matin et ont rempli mon coeur de joie et mes yeux de larmes. J'aurai
ainsi--toutes les fois que je le pourrai--devant moi mes bons parents
que j'aime tant et un coin du cadre ou s'est deroule le meilleur de ma
vie: le jardin de Brezolles, les fenetres du cabinet de papa et celles
de votre chambre a coucher.
Je ne crois pas que maman m'ait jamais fait plus grand plaisir.
Je vous ecris de bonne heure, ce matin, car il faut absolument que je
vous ecrive aujourd'hui. Voici pourquoi. Nous sommes en toute premiere
ligne. A 200 metres environ, nous devinons les tranchees allemandes. Le
general croit savoir que certaines de ces tranchees sont abandonnees. Il
faut s'en rendre compte. Des hommes de bonne volonte ont ete demandes
pour cette mission assez perilleuse, mais tres delicate. Deux se sont
presentes, dont moi. Prudemment et lentement, avancant a plat ventre,
dans une marche rampante, que nous faciliteront les gros arbres de la
foret dans laquelle nous sommes, nous tacherons d'aller jusqu'a ces
tranchees dont l'emplacement approximatif nous a ete indique. Si nous
sommes recus a coups de fusil, c'est que l'ennemi n'aura pas deguerpi,
et il faudra revenir si nous ne sommes pas atteints. Si nous allons
jusqu'au bout, le renseignement sera precieux et j'aurai rendu ainsi
quelque service.
Il est 10 heures 15. Un capitaine d'artillerie vient d'arriver a
nos tranchees pour causer avec nous. L'artillerie va tacher de nous
faciliter l'execution de notre mission. Son tir cessera a midi et demi,
et nous partirons a une heure un quart, suivis du regard, certes avec
anxiete, par nos camarades et nos officiers.
Et maintenant, ne me reprochez pas de m'etre offert pour cette petite
expedition. Le devoir est different pour chacun. J'estime que le mien me
commande cette conduite.
Avant de partir, je remettrai cette lettre a un ami. Si elle vous arrive
sans d'autres renseignements sur mon equipee, c'est que j'y serai reste.
Et maintenant, je vais manger une bouchee.
1 heure 10. L'heure du depart est sonnee. Je viens de regarder encore
vos photographies et de les embrasser, et maintenant je pars confiant et
resolu.
GLATIGNY.
_Lettre ecrite par le Lieutenant Maurice GOBERT, 110e Regiment
d'Infanterie, tombe au champ d'honneur, le 5 Octobre 1915, a Somme-Py._
Aux trois etres qui me sont chers:
A ma mere, a mon epouse et a mon flls,
En cet instant supreme, a la veille de partir au feu, je vous reunis en
une meme tendresse.
Si le destin cruel doit me separer de vous, sachez bien que ma derniere
pensee sera pour vous. Soyez braves, demeurez bien Francaises en face de
l'adversite. Vous devez vivre encore pour mon fils. Lui, le cher petit,
ne souffrira sans doute pas beaucoup de ma disparition, il est de vous
trois le privilegie.
Toi, ma chere mere, tu supporteras avec courage cette dure epreuve.
Ensemble nous avons passe de cruels moments. Le sort semblait depuis
quelque temps nous etre favorable. Si je dois te quitter, tu demeureras
pour venir de temps a autre me dire bonjour la-bas ou sont deja ceux qui
m'ont precede. Tu auras la sublime consolation de songer que je suis
mort en faisant mon devoir, nimbe d'un peu de gloire.
Partage cette pensee, ma pauvre petite Marie. Il est encore bien tot
pour que je t'abandonne, et j'aurais voulu vivre avec toi beaucoup
d'annees de bonheur et d'amour. Maintenant que je suis disparu, tu
deviendras le seul soutien de notre cheri.
Pardonne-moi de ne pas vous laisser a tous une situation meilleure.
J'aurais voulu voir votre avenir assure.
Lorsque ta douleur sera un peu calmee, mets-toi a la tache, veille sur
lui comme je l'aurais fait avec toi.
Rappelle-lui bien que, dans la vie, le devoir est parfois penible, mais
qu'il doit passer avant tout. Dis-lui, lorsqu'il sera en age de le
comprendre, qu'il n'est dans la vie qu'un seul chemin, celui de la
vertu. Bien que je ne pretende nullement me poser en modele, cite-lui
mon exemple, raconte-lui que je suis mort en bon Francais et que, si la
Patrie le reclame, il doit suivre le meme chemin que moi.
Allons, adieu. Tous trois, je vous embrasse mille et mille fois par la
pensee, en vous souhaitant une derniere fois beaucoup de courage.
Votre tres affectueux
Maurice GOBERT.
_Lettre ecrite par Leon-Pierre GRENIER, 140e Regiment d'Infanterie,
tombe au champ d'honneur, a Douaumont, le 19 Mars 1916._
Grenoble, le 18 Septembre 1915.
FIAT!!!
Mon tres cher Joseph,
Ainsi que tu as du l'apprendre brievement, ma situation est changee et
me voila a nouveau dans le service arme, pret a endosser le sac et a
reprendre le "Lebel".
Je ne me plains pas, car Dieu m'a peut-etre exauce, car comme je le lui
ai souvent dit: j'aimerais mieux partir que de te voir partir maintenant
que tu es marie. Enfin, c'est sa volonte qui se manifeste et, comme ce
matin, je redis: "FIAT!"
Je pense quitter Grenoble lundi 20 courant, pour aller m'entrainer, car
je suis mobilisable depuis fin fevrier 1914, ce qui me donne l'espoir de
partir au premier convoi; au 140e, cela va rondement.
Je pars plein de courage bien que j'aie le pressentiment que je n'en
reviendrai pas; cependant, avec quel courage plus grand encore j'y
serais alle si j'avais pu embrasser une derniere fois ceux que j'aime
... mais il n'y faut pas penser. Mais toi, cher Joseph, qui maintenant
jouis du tarif militaire, est-ce que tu ne pourrais pas venir me voir
avant mon depart? Si oui, fais-le, car je t'embrasserai doublement
de coeur pour maman et pour toi. Si cela est possible, dis-le-moi et
attends ma nouvelle adresse.
J'ai demande plusieurs choses a maman, en outre le petit revolver de
poche; c'est une chose precieuse, car si l'on est desarme ou si l'on a
perdu son fusil, si, blesse, vous vous voyez pret a etre acheve, une
arme petite, maniable, n'est pas de reste pour sa defense; les blesses
en ont tellement reconnu l'utilite que tous, ou presque, s'en munissent
avant de partir. Tache de me le faire parvenir.
Je regrette de vous donner tant de tracas, et peut-etre diras-tu que ma
personne ne vaut pas la peine de tant se tracasser pour elle; c'est vrai
et j'en conviens; aussi, faites comme vous voudrez.... Surtout, priez
un peu pour moi et, quoi qu'il arrive, sachez, que je vous ai toujours
aimes.
Je m'arrete car je deviens triste malgre moi, je t'embrasse de tout
coeur ainsi que ton epouse, que je regrette de ne pas avoir connue.
Ton frere qui t'aime,
PIERRE.
_Lettre ecrite par Auguste GROENER, tombe au champ d'honneur le 4 Aout
1918._
Ma chere Mere,
Montons ce soir pour attaquer. A Dieu vat! si je meurs face aux Boches.
Prends confiance, c'est pour la France et pour garder ta maison.
Adieu, derniers baisers.
GROENER.
_Lettre ecrite a sa mere par le Lieutenant Henri GROS, 86e Regiment
d'Infanterie, tombe au champ d'honneur, a Vermandovillers (Somme), le 17
Septembre 1916._
3 Septembre.
D'ici quelques jours, tu liras sur les journaux le recit de grands
evenements. Tu seras fiere de songer que ton fils y participe.
Je n'ai nulle crainte que le fardeau de mon commandement soit trop lourd
pour mes epaules. Je saurai en accepter les responsabilites et les
devoirs. D'ailleurs en moi, comme pour la plupart des officiers, il y a
deux hommes: le chef serieux et juste et qui a plus que son age; l'homme
prive souvent gosse et aimant a s'amuser. Ils savent tous deux rester a
leur place et ne pas empieter sur leur domaine.
Mes meilleurs et mes plus tendres baisers.
HENRI.
_Lettre ecrite par le Sous-Lieutenant GUERIN, du 269e Regiment
d'Infanterie, mort au champ d'honneur quelques mois plus tard, aux
parents de son ami mort glorieusement quelques jours avant._
Cher Monsieur, chere Madame,
Aujourd'hui seulement je trouve le courage de vous ecrire, apres etre
bien sur que vous ayez appris la mort glorieuse de votre fils bien-aime,
mon frere d'armes, mort comme je veux et espere mourir, en defendant le
sol sacre de notre France au nom du Droit, de la Civilisation et de la
Liberte.
Dans nos conversations amicales,--car, lorsque le service nous laissait
un instant, nous etions l'un pres de l'autre, discutant la grande chose
que l'on puisse faire pour sa Patrie,--nous nous disions: "Quoi que nous
fassions, nous ne serons jamais aussi grands que ceux qui sont morts."
Et, quand la bataille a ete finie, mon premier devoir a ete d'aller
fleurir sa tombe, et les larmes que j'ai versees ne sont pas seulement
des larmes de regret, mais d'admiration. Combien il m'a paru grand ce
noble et heroique ami! Il m'a semble qu'il me disait souriant: "Tu vois,
j'ai passe devant toi."
Nous avions ete cites a l'ordre du jour en accomplissant en Lorraine la
meme action, fiers de posseder la premiere citation du 269e. Pourtant,
ce n'est pas la recompense qui fait la valeur de l'action. Et lorsque
nous rampions dans les bles remplis de morts et de mourants, au milieu
de nos ennemis, pour aller chercher une mitrailleuse, ce brave Lecomte,
Robert et moi, nous n'etions guides que par le sentiment du devoir.
Plus tard, apres avoir arrose tous les deux de notre sang le sol de la
Patrie, le meme sentiment nous a fait revenir, a peine gueris.
Et c'est ce meme sentiment qui l'a fait mourir en heros. Nous savions
bien, avant la lutte, lui, Chanterel et moi, en nous faisant nos adieux,
les sacrifices qu'il fallait faire, c'est-a-dire risquer sa vie dix fois
plus que les hommes, etre debout quand ils sont couches, cible vivante
alors qu'ils sont abrites. Ce n'est pas que les hommes le comprennent,
Ils se disent, au contraire: "S'il n'etait pas reste debout, il n'aurait
pas ete touche". Ils ne se disent pas que s'il n'etait pas reste debout,
eux n'auraient pu rester couches.
Et voila comment votre fils est tombe mortellement en montrant l'exemple
du plus beau des sacrifices.
Vous pouvez etre fiers, cher Monsieur et chere Madame, de la mort
heroique de votre fils. Sa gloire rejaillira sur vous et dans vos larmes
d'infini regret luira l'admiration du plus grand sacrifice consenti par
un pere et une mere a la Patrie. Et aux peres et aux meres qui verront
leurs fils couverts de gloire et de lauriers, vous pourrez fournir
l'argument indeniable: "Le mien a fait plus, il a donne sa vie."
Vous me pardonnerez, cher Monsieur et chere Madame, si j'ai tant tarde a
vous ecrire, et ce n'est pas de gaiete de coeur que l'on apprend la mort
d'un ami si cher, d'un si bon fils, a ses parents.
Je connais bien sa tombe et je sais ce qui me reste a faire,
c'est-a-dire le venger ou mourir comme il est mort.
Recevez, Monsieur et Madame, mes condoleances les plus sinceres et
songez que vous n'etes pas seuls a pleurer votre heros.
Respectueuses salutations.
GUERIN.
_Lettre ecrite par le Sergent Henri GUERIN, 113e Regiment d'Infanterie,
tombe au champ d'honneur, au combat de Vouel-Tergnier, le 23 Mars 1918._
22 Mars 1918,
3 heures 1/2 de l'apres-midi.
Ma Soeur bien-aimee,
Nous attendons toujours la soupe, la premiere de la journee. Nous avons
ete alertes ce matin, a 4 heures, et nous avons quitte en autos-camions
le village d'ou je t'ai ecrit mes dernieres lettres. Les camions nous
ont transportes en arriere du front anglais, et nous sommes depuis plus
d'une heure dans un champ inculte, prets a partir au premier signal. Il
y a donc des chances pour que nous entrions incessamment dans la melee.
J'ai l'ame sereine, comme toujours, en ces heures graves. Je suis le
petit enfant du bon Dieu et il ne m'arrivera rien que de conforme a
sa volonte. Or, ce qu'il veut pour moi, je le veux avec lui sans
reserve.... Je n'ai donc pas lieu de m'inquieter....
Et j'eprouve une joie supreme a la pensee de faire une fois de plus
barriere de mon corps aux ennemis de ma Patrie, et de contribuer a
arreter la ruee ultime qu'ils viennent d'entreprendre.
Le canon tonne sans arret. Nous sommes presentement hors d'atteinte de
ses coups. A l'heure voulue, nous nous ebranlerons et nous vaincrons si
Dieu le permet.
Ma pensee retrouve les cheres votres, mon coeur s'unit a vos coeurs plus
fortement que jamais.
En hate! baisers fortement doux et tendres a partager avec notre chere
petite mere, avec le bon Noel et Daniel.
Je te presse sur mon coeur.
HENRI.
_Lettre ecrite par Louis-Gustave GUIBERT, Agent de liaison au 30e
Regiment d'Infanterie, tombe au champ d'honneur, le 25 Septembre 1915,
au combat de Perthes._
Le 24 Septembre 1915.
Ma Grand'Mere bien-aimee,
Peut-etre un laps de temps assez long s'ecoulera avant que je puisse a
nouveau te donner de mes nouvelles. Pendant cette periode d'attente,
je te prie simplement de penser un peu plus a moi et de prier pour la
France et la grandeur de notre Patrie, dont mon coeur sensible et porte
vers les arts admirera toujours les divines productions, la belle
litterature, la musique, les objets de luxe, que sans fatuite j'ai cru
comprendre et gouter.
Je souhaite que ma prochaine lettre soit ecrite de Rethel ou de Mezieres
et que l'action qui va se derouler devienne la realisation de cette
magnifique esperance qui ne m'a jamais abandonne et fut toujours
impatiemment attendue.
En bon Francais, je ferai mon devoir jusqu'au bout. Il me semble que je
rachete bien des petites erreurs passees. Cela ne diminue en rien la
vive tendresse que toute ma vie j'ai ressentie pour ma famille et pour
toi, Memee, qui fut une maman bien tendre et eut un coeur exquis de
grand'mere.
Si la joie immense m'est devolue de me voir vainqueur guerrier sur le
bord du Rhin ou plus modestement a notre frontiere, je te demanderai
de m'envoyer ce qui pourrait me faire besoin. Pour l'instant, je te
remercie simplement de la delicieuse lettre recue cette apres-midi et je
vais te rassurer: ma sante est parfaite. Je couche sur la dure! Mais que
seront les jours a venir a cote de ceux que je passe? Ne me plains pas.
Espere. Je te reviendrai un jour tres fier, mais tres doux, et si les
privations momentanees m'ont amaigri un peu, sache que je suis bien plus
elegant encore que par le passe.
Je suis (tu me le demandes) cycliste du capitaine Brun, mais appartiens
a la 2e Compagnie du 1er Bataillon. Voila pourquoi mes adresses sont
dissemblables. J'aime mon chef. Il m'estime beaucoup ... c'est une
raison de ma confiance. Ma tendresse pour toi est un reconfort moral
precieux et les baisers que je t'envoie sont enthousiastes.
GUIBERT.
_Lettre ecrite par HARDY, pupille de l'Assistance publique, tombe au
champ d'honneur._
"A faire parvenir a Monsieur le Commandant
P..., si je ne suis pas revenu le
mercredi ... a six heures du matin."
Mon Commandant,
Ayant une mission, petite, il est vrai, mais assez hasardeuse, le
lieutenant m'a fait l'honneur de m'y envoyer; c'est donc sans deplaisir
que je pars, car c'est plutot ma place qu'a n'importe lequel. Mais,
comme il se peut que j'y reste, je vous remercie, ainsi que Mademoiselle
Y..., d'avoir pense a m'envoyer un oeuf de Paques. Aussi, mon
Commandant, permettez-moi de vous remercier.
En avant! Vive la France!
HARDY.
Si vous recevez cette carte, c'est que je serai tombe pour toujours.
En avant quand meme!
HARDY.
_Lettre ecrite par le Sergent Andre D'HARMENON, 20e Bataillon de
Chasseurs a pied, tombe au champ d'honneur le 6 Juin 1915._
5 Juin 1915.
Mes chers Parents,
De la tranchee ou me "revoici" pour la dixieme fois, ces quelques mots
que je veux avant tout tres tendres.
Pardonnez-moi si mes lettres ne le sont pas toujours autant que vous le
desirez et autant que je le voudrais moi-meme; cela tient a ma grande
lassitude d'esprit et a mon coeur que cette horrible guerre a endurci.
Je vous aime de tout mon coeur et vous remercie de toutes vos bontes.
Merci a ma bonne tante Alice de ses paquets qui me sont parvenus hier.
Je vous ecris sur le parapet de la tranchee.
Il est 8 heures 1/2 du soir, je ne vois plus. Je vous embrasse de toutes
mes forces.
Votre ANDRE.
_Lettre ecrite par le soldat Henri HlLLAIRE, 11e Cuirassiers, tombe au
champ d'honneur._
Les tranchees, a 21 heures,
le 25 Septembre 1918.
Bien cher Papa,
Bien chere Maman,
Si ces quelques mots vous parviennent, ce sera que votre Riri ne sera
plus.
Je suis en ligne, ma lettre de ce matin a du vous le dire. Nous allons
attaquer; nous sortons des tranchees a 2 heures 30 demain matin. Encore
quelques heures et nous bondirons sur l'ennemi. Ma derniere pensee aura
ete pour vous, mes cheris. Je sais que si cette lettre vous parvient
c'est fini pour vous: la joie, la gaite disparaitront pour toujours de
cette maisonnette ou nous etions si bien. Mais courage, de la-haut votre
Riri veillera et attendra que la supreme reunion se fasse pour vous dire
tout....
Sachez qu'il vous a aimes et adores, ma lettre quotidienne a du vous le
prouver.
Adieu donc, mon Papanou, adieu donc ma Mamanette, adieu a tous ceux que
j'ai aimes.
Votre Riri qui vous aime.
_Lettre ecrite par le Sous-Lieutenant Marc HUBERT, 8e Genie, blesse
mortellement le 23 Septembre 1917._
24 Septembre 1917.
Mon cher Papa,
Je te mets quelques lignes pour te montrer d'abord que je ne suis pas
grievement atteint: un obus, tombant sur ma cagna, m'a fracture la
jambe. C'est tout ... etant un peu fatigue, je passe la plume a mon
camarade Maillet (le radio du Commandant).
_Lettre ecrite par le Lieutenant Joseph JEANNIN, 103e Regiment
d'Infanterie, blesse a Ethe, le 22 Aout 1914, victime des atrocites
allemandes a l'ambulance de Gomery, mort pour la France, au
feld-lazareth de Vezin-Charency, le 27 Aout 1914 (Meurthe-et-Moselle)._
Paris, 2 Aout 1914.
Mon cher Jules, cheres Soeurs,
Je vous ecris collectivement puisque, surpris par les evenements, vous
devez etre encore reunis; en tout cas, si Monique et Guite ont repris la
route de Provence, veuillez faire suivre.
Je me trouve a Paris, mobilisant avec le 103e et je prendrai dans
quelques jours les routes d'invasion vers l'Allemagne, je l'espere
fermement.
J'aurai probablement la satisfaction de conduire ma compagnie au feu,
comme commandant de compagnie, et soyez persuades que je ferai taper
ferme. On ne peut pas presager l'avenir; mais notre cause est juste,
puisqu'on nous attaque, et j'ai la profonde conviction qu'on peut tout
esperer. Pauvre papa, serait-il heureux, s'il voyait l'elan francais,
lui qui tressaillait a la moindre alerte.
J'ai quitte ce matin, pour toujours peut-etre, ma pauvre chere Madon et
mes deux mignons. Ce fut bien dur, grand Dieu!
Vous savez tous, chers pere et soeurs, quelle affection j'ai toujours
eue pour vous; mon grand regret est de ne point vous revoir avant de me
jeter corps et ame dans la fournaise.
Si le sort veut que je tombe au champ d'honneur, ne pleurez point, mais,
en souvenir de moi, veillez sur les etres si chers que je laisserai....
Je vous confie ma chere femme, j'ai admire son courage ce matin, mais
quelles transes pour elle maintenant, seule et immobilisee a Saint-Cyr;
je vous confie ma petite Monette et mon petit Andre, si je viens a leur
manquer qu'ils ne s'apercoivent pas qu'ils n'ont plus de papa.
Mais au loin les tristes presages, car je compte bien revenir dans les
rangs de nos armees victorieuses. Quel coup de torchon! mes aieux! je
crois que les Prussiens paieront cher leurs menees hypocrites et leur
folie sanglante. La population, ici, est admirable de calme et de froide
resolution, et c'est un etat d'esprit general. C'est la guerre au
couteau qu'ils auront voulue, je suis persuade qu'on les servira en
consequence. J'ai vu aujourd'hui dans la foule plusieurs faits touchants
de patriotisme se produire: un ouvrier arrachant, sur la place des
Invalides, une carte d'Etat-Major a un monsieur qu'il supposait etre un
Allemand, et me l'apportant; un camelot vendait ses journaux, mais les
donnait a l'oeil aux officiers et aux soldats, parce qu'il allait partir
lui-meme pour la frontiere; ce ne sont pas des faits isoles; une nation
comme la France, animee de ces sentiments, est mure pour le succes.
Mes aspirants, en meme temps que moi, ont rejoint leurs regiments, ils
exultaient tous. Charles doit etre a son poste. Ou? je l'ignore, mais
quel beau debut de carriere pour un officier.
Et maintenant courage, mon cher Jules, mes cheres soeurs. Nous allons
traverser la periode la plus dure que le monde ait vecue, soyons a la
hauteur de notre tache.
Je vous embrasse bien tendrement.
Votre frere,
J. JEANNIN.
_Lettre ecrite, sur l'Yser, par l'Aspirant Henri JOYEUX, blesse
mortellement, un an plus tard, a la prise de Monastir._
18 Juin 1915.
Mon cher papa, ma chere maman,
Depuis quelques jours, je vous ecris regulierement. Je n'ai pas recu de
vos nouvelles. Je pense neanmoins que ma lettre vous trouvera toujours
en bonne sante et toujours bien courageux, comme vous l'avez ete
jusqu'ici. Allons! soyez-le encore plus aujourd'hui. C'est la volonte de
votre petit Doudou, de votre grand Henri.
Si cette lettre vous parvient, voyez-vous, c'est que la France m'aura
voulu tout entier. J'aurai fait mon devoir, comme les autres, pas plus.
J'en suis fier, et vous devez l'etre aussi de savoir que votre enfant
est mort vaillamment, qu'il a vu la mort avec gaite et delivrance, l'ame
completement tranquille. Pourquoi en avoir peur? Vous rappelez-vous de
ce soir-la ou j'ai parle avec papa sur la mort, sur sa douceur que je
reclame. Ne me delivre-t-elle pas d'une vie que je n'ai pu qu'entrevoir
et a laquelle je n'ai pu gouter, si j'ose dire, sous un jour apre et
terrifiant. Ou sont les douces annees de ma toute petite enfance,
lorsque j'allais me consoler dans les bras d'une aussi bonne maman, d'un
aussi bon papa que j'avais. Ici, je suis seul, pour me consoler de ne
pouvoir vous embrasser, de ne pouvoir vous serrer dans mes bras, je
suis encore seul. Si ce n'etait ca, rien ne m'aurait coute d'aller voir
la-haut le beau resultat de la grande bataille. Aussi, en vous ecrivant
cette lettre, ce dernier adieu, je viens vous remercier de la tendre, de
la douce affection que vous m'avez toujours temoignee. Pardon aussi de
l'avoir connu trop tard, pardon d'avoir oublie mes devoirs d'enfant,
pardon de tout ce que vous ne savez pas. Enfant je l'etais et c'est la
guerre, la dure campagne qui m'a muri, vieilli, qui a fait de moi un
homme a 20 ans.
Allons, courage! refoulez vos larmes et ne vous abandonnez pas dans un
chagrin qui pourrait abreger les quelques jours de tranquillite, de paix
que vous trouverez aupres de mon petit frere quand il reviendra, lui;
montrez-lui cette lettre qui devra lui faire comprendre que si je meurs
tranquille, c'est que je pense bien a sa presence. Il saura adoucir par
tous les moyens les jours heureux qui vous restent a passer ensemble.
Promettez-moi aussi de vivre heureux jusqu'au moment ou le bon Dieu
jugera que vous veniez me retrouver.
Peut etre qu'un jour vous viendrez rechercher mes restes dans cette
Belgique, la vraie, pas celle dont le sol a ete foule par d'impies
barbares. Mon seul bonheur est de penser que vous viendrez me rechercher
et qu'un jour je reposerai pres de vous, a Marcey, que j'aurais tant
souhaite revoir.
Faites mes adieux aux personnes amies, a tous ceux qui ne m'ont pas
encore oublie.
Quant a vous, adieu, au revoir, mon bon papa, ma bonne maman. Je vous ai
aimes, vous m'avez tout pardonne. Je vous embrasse pour la derniere fois
bien bien fort.
Votre petit Henri mort pour la France.
Courage!
_Lettre ecrite par Albert JULHIEN, 6e Bataillon de Chasseurs Alpins,
tombe au bois de Berthonval le 20 Decembre 1914._
19 Decembre 1914.
Mes cheres tantes,
Si vous recevez cette lettre, mes cheres tantes, c'est que, suivant
mon pressentiment, l'attaque qui se prepare m'a ete fatale. Si je vous
confie la triste mission d'en avertir mes chers papa et maman, c'est
que je sais que, dans la religion, vous saurez trouver les paroles de
consolation qui leur seront si necessaires en ces tristes moments et
que votre grande affection vous dictera les precautions a prendre pour
attenuer la douleur que leur causera certainement cette nouvelle.
Pour moi, j'ai la certitude d'avoir fait mon devoir de Francais jusqu'au
bout et c'est sans amertume que je fais a notre belle France le
sacrifice de ma vie.
Notre cause est belle et elle triomphera certainement. Heureux ceux
qui verront le triomphe, mais il ne faut point pleurer ceux qui y sont
restes pour y contribuer, afin de ne pas diminuer la joie du triomphe.
Pourquoi ai-je pris tant de precautions ces jours-ci? Probablement que
le bon Dieu a voulu qu'a vous tous j'aie le temps de lancer un dernier
adieu.
Adieu, mes cheres tantes, je mets dans mes caresses toute ma tendresse,
et encore une fois je vous recommande ma chere famille. Dites-leur bien
que ma derniere pensee a ete pour eux et que, si je les ai precedes
la-haut, c'est pour preparer la place ou bientot nous nous reunirons
tous.
A vous de tout coeur.
BEBERT.
_Lettre ecrite par Pierre KIEFFERT, tombe au champ d'honneur._
Le 15 Avril 1917.
Mes chers parents bien-aimes,
Je n'ai que le temps de vous ecrire ces quelques lignes, ecrites avant
mon depart vous savez ou, je vous l'ai dit dans ma derniere lettre.
Je me remets tout entier dans la Providence divine, dans le coeur de
Dieu. Puisse Dieu avoir pitie de vous et de moi, il a toujours eu pitie
des nombreuses familles.
Ce soir, si je peux, j'irai une derniere fois le remercier de toutes
les graces qu'il nous a accordees jusqu'a ce jour. Oui, remercions-le
ensemble et dans une fervente priere prenons confiance.
Je reviendrai, mais si toutefois le bon Dieu veut mettre fin a ma
vie, ne pleurez pas, les vrais chretiens ne pleurent pas puisqu'ils
retrouvent ceux qu'ils ont perdus la-haut dans le ciel.
Je serai probablement longtemps sans vous ecrire, cela dependra, mais
aussitot que je pourrai le faire je vous ecrirai un mot. Je n'ai pas
change de secteur depuis Verdun.
Donc, au revoir, chers parents, et confiance, priez pour moi, a bientot.
Je vous embrasse tous deux, embrassez pour moi Simone, Jeannette,
Marthe, Andre.
Votre fils qui vous aime de tout coeur,
PIERRE.
_Lettre d'Emile LACCASSAGNE, petit soldat de la classe 14, adressee a
son patron chez lequel il avait ete apprenti et ouvrier._
Du front, le 20 Septembre 1915.
Cher Monsieur Lasson,
C'est tout heureux que je viens de recevoir votre aimable carte. J'ai
donne egalement de mes nouvelles a Madame Lasson, en reponse d'une carte
que m'avait envoyee notre chere petite Nenette; vous en a-t-elle cause
sur ses petites mignonnes lettres?
Je vois que vous vous etes fait avec cette nouvelle vie et que vous
etes pret a tout supporter pour contribuer avec toutes vos forces a la
defense de notre chere Patrie.
Il faut que je vous gronde un peu!... Vous le permettez, n'est-ce pas?
Oh! ne tremblez pas deja, car je ne suis pas trop terrible, allez.
Sur votre derniere lettre, vous me parlez de vos travaux, du rendement
colossal que vous devez produire, de l'effervescence qui nuit et jour
regne dans vos ateliers. C'est heureux, c'est beau, c'est merveilleux,
c'est admirable. Et vous, quelle est votre deduction de tout cela? Que
la guerre ne touche pas a sa fin, loin de la!...
Ah! non, par exemple, vous voyez de trop belles choses pour penser comme
cela!...
Voyons, vous etes la, vous voyez avec quelle rapidite le genie francais
se montre dans toute sa beaute et dans tout son developpement.
Dans un an, la France a trouve le moyen d'etre plus prete que
l'Allemagne dans quarante ans.
Chaque jour, notre puissance s'affirme davantage. Nos ennemis le
sentent, et il faut que nous, depuis le simple pioupiou jusqu'au plus
haut grade, depuis le combattant jusqu'au peuple qui nous regarde et
nous observe, il faut que nous sachions que nous sommes les plus forts.
On installe de nouvelles machines et aussitot vous pensez: "tout cela
prouve que la guerre ne tire pas a sa fin".
Que diriez-vous, si je vous disais, moi, que cela prouve le contraire?
Si l'on installe tout un machinisme nouveau, c'est surement pour
fabriquer plus vite. Si l'on fabrique plus vite, c'est que les besoins
se font plus pressants. Pensez-vous donc, si nous faisions une nouvelle
campagne d'hiver, que nous n'aurions pas, en restant sur la defensive,
le temps, pendant cinq ou six mois encore, de preparer des munitions en
vue de l'offensive prochaine, et cela sans faire des modifications dans
nos ateliers?
Il faut une fin prochaine a tout cela. Une seconde campagne d'hiver,
c'est la ruine de l'Allemagne, la misere chez nous, la mort lente,
triste, effrayante, des habitants de la tranchee, c'est une chose que
l'on envisage, mais qui, pour moi, ne se fera pas.
Pour moi, d'un cote ou de l'autre, doit se tenter un grand coup, qui
sera decisif. Si les deux partis resistent a ce choc formidable, qui
sera le dernier, il ne nous restera plus qu'a attendre, a patienter,
jusqu'a ce que l'Allemagne dise: "Eh bien!... j'en ai assez".
Mais cela n'arrivera pas, car que les Boches nous attaquent ou que nous
le fassions, quand toutes les nations civilisees seront debout contre
ce chef bandit du militarisme prussien, ils seront battus, c'est
indiscutable. Ah! ce cri que le Juif Errant de la legende entendait
retentir au-dessus de sa tete, chaque fois que, ruisselant de sueur,
brise de lassitude, il tentait de s'arreter: "Marche". C'est a
l'humanite tout entiere que sa conscience crie aujourd'hui: "Marche a
travers les obstacles, parmi les perils, malgre la mort, marche ... sans
repos, sans treve, jusqu'au bout, jusqu'au bout, jusqu'a la victoire,
jusqu'au sommet baigne de lumiere d'ou--le passe n'etant plus sous tes
pieds qu'une ombre en train de s'effacer--tu verras se lever, dans un
eblouissement, l'aube de l'avenir".
Comment vous l'expliquer, ce serait un livre a faire, mais tous ceux qui
sont la au front le comprennent et le sentent bien. Vous verrez que pour
Carnaval nous aurons presque fini. Vous serez chez vous, et j'espere
bien manger un poulet avec vous. C'est entendu.
Allons, secouez-moi un peu tous ces gens-la qui se font un mauvais sang
et qui voient tout sous un mauvais jour. Mais nous, qui sommes ici, nous
sommes toujours contents. On s'encourage soi-meme, on se dit ce que je
vous raconte, on a le pouvoir de se persuader doucement, et c'est ce qui
fait notre patience et notre calme.
Comprenez-vous notre secret?
Pour ce que je vous disais l'autre jour, c'est accepte. Je sais que je
ne ferai pas cela comme qui s'amuse, ca m'est egal. Mais si je reussis,
je sais bien qu'ainsi des camarades seront sauves, et peut-etre aussi de
cela dependra un heureux succes pour nos armes. Quand dois-je rentrer en
action? Je l'ignore, mais enfin cela arrivera.
Je souhaite fort de reussir et, si je suis tue, je desire ne l'etre
qu'apres avoir termine mon travail.
Enfin, soyez tranquille, nous ferons tout notre possible pour obtenir
le succes et nous reussirons. C'est egal, ce sera terrible, mais nous
allons assister a quelque chose de beau.
Je vais terminer ma lettre, cher Monsieur Lasson, apres vous avoir
souhaite bon courage et en esperant vous voir bientot.
Allons, adieu, bonne sante.
Vive la France!
EMILE.
_Lettre ecrite par l'Aspirant LAGORCE, Augustin-Pierre-Edouard, 89e
Regiment d'Infanterie, tombe au champ d'honneur, le 25 Septembre 1916, a
Bouchavesnes (Somme)._
24 Septembre 1916, 6 heures.
Depart ce soir. Tres probablement pour apres-demain. Excellentes
dispositions. Tout va bien et je me sens plein de confiance en Dieu et
en moi-meme.
Mille et mille baisers.
EDOUARD.
_Lettre ecrite par l'Aspirant Alexis LAMBLOT, 210e Regiment
d'Infanterie, tombe au champ d'honneur, le 31 Mars 1917, a Koritia
(Albanie)._
15 Mars 1917.
Chers Parents,
Voila cinq jours que le 210e attaque sur la rive gauche du lac de
Prespa; le 6e bataillon, dont je fais partie, est parti l'avant-derniere
nuit pour attaquer a son tour, mais a ete rappele a l'arriere au moment
ou j'allais aborder les Allemands avec ma section. J'ai ete charge par
le commandant de proteger la retraite du bataillon.
Voila la situation, pas brillante, il est vrai, mais pas desesperee; il
est fort probable que nous repartirons a l'attaque cette nuit peut-etre
et je voudrais vous dire adieu avant.
Quand vous recevrez ces mots, je serai certainement mort.
Croyez que j'aurai fait mon devoir de Francais et de chef comme tous
ceux qui sont tombes jusqu'ici.
Je viens vous demander de me pardonner tout le mal que j'ai pu vous
causer durant ma vie....
Je vous demanderai de conserver mon souvenir sur cette terre de France,
ou je n'aurai pas eu l'honneur de verser mon sang.
Au revoir, chers parents, ainsi qu'a tous mes parents et amis. J'espere
vous revoir un jour au ciel.
Votre fils qui vous aime,
A. LAMBLOT.
_Lettre ecrite par le Sergent Victor LAMOTHE, 119e Regiment
d'Infanterie, tombe au champ d'honneur le 15 Mai 1917._
Chere Mere,
Si je tombe dans la lutte actuelle, tu ouvriras cette petite lettre,
elle te donnera mon dernier baiser.
Mere cherie, sois fiere de ton enfant, il aura fait son devoir jusqu'au
bout avec courage et foi. J'ai donne ma vie a la France, ne pleure pas,
ma mort est belle, est grande, je meurs content.
Adieu, mere cherie, merci de tous tes bons soins, que ta sante soit
toujours bonne et grand soit ton courage.
Je t'embrasse une derniere fois.
Adieu, mere, adieu!!!
Ton fils qui t'aime,
VICTOR.
_Jean DE LANGENHAGER appartenait a une famille de medecins, il se sentit
attire par vocation vers la medecine, et prit quatre inscriptions a la
Faculte de Paris. Il achevait sa premiere annee de service militaire, au
Havre, quand la guerre eclata. Ayant obtenu de partir comme soldat dans
le rang, et non comme infirmier, il fit avec son regiment la partie
initiale de la campagne, Charleroi, la retraite, la Marne. Blesse le
7 Septembre 1914, a la bataille de la Marne (combat de Cougivaux), il
passa de longs mois dans les hopitaux de l'arriere. Sa blessure, quoique
peu grave, etait mal placee: il avait eu le pied fracture, et une
saillie osseuse, due a une consolidation vicieuse, genait la marche. Les
medecins voulaient le faire passer dans le service auxiliaire. Il s'y
refusa, obtint de porter une chaussure orthopedique, qui corrigeait le
vice de la demarche, et, maintenu dans le service arme, rejoignit enfin
le depot de son regiment. La il trouva sa nomination de caporal, qui
l'attendait depuis la bataille de la Marne; mais bientot, en execution
des ordres ministeriels qui, pour combler les pertes du cadre des jeunes
medecins, prescrivaient de rechercher dans les formations combattantes
les etudiants en medecine, meme pourvus de quatre inscriptions
seulement, pour les nommer medecins auxiliaires, il fut promu a ce grade
et renvoye au front en cette qualite. D'abord affecte a un regiment
territorial, qui gardait les lignes de l'Argonne, il passa, sur sa
demande, dans un regiment de l'active, et il tomba, dans une attaque,
frappe d'une balle en plein coeur, en suivant, dit la citation a l'ordre
de l'armee dont il fut honore, la vague d'assaut de son unite, pour
secourir plus rapidement les blesses._
4 Avril 1917.
Mon cher Oncle,
Nous nous recueillons pour l'action prochaine, qui n'est un mystere pour
personne. C'est assez proche. Pas du tout d'enthousiasme. Mais pas du
tout de defaillance, ni meme de defiance. La guerre est devenue presque
une habitude, un nouveau genre de vie, pour mes camarades, et ils sont
blases. Ils ne vont pas joyeusement au feu, presque ivres d'avance d'une
victoire certaine et decisive, comme ceux de Mesnil-les-Hurlus, de
Tahure, de Massiges. Ils comptent avec l'ennemi. Ils savent qu'on a deja
fait bien des tentatives couteuses et infructueuses. Ils savent aussi
que, fatalement, un jour viendra ou une de ces tentatives sera suivie
d'une grosse avance, et ils se disent: Ce sera peut-etre cette fois-ci.
Ce ne sera pas un elan de patriotisme et d'abnegation. Ce sera une
tache, presque un metier, resolument entreprise, poursuivie avec
patience, avec conscience, avec un courage contenu et le souci de la
mener a bien. Je trouve que c'est, apres trente-deux mois d'epreuves, un
tres beau moral.
Quant a moi, j'ose a peine m'abandonner a l'espoir que je suis peut-etre
appele a prendre ma revanche d'Aout-Septembre 1914. Je suis content
d'avoir enfin une raison d'etre. Depuis que je suis revenu au front, il
y a presque un an, l'evidence de mon utilite ne m'etait pas apparue. Je
vais enfin vivre de grandes heures. Pourvu que mes parents soient forts!
J'aime autant les savoir a Paris, ou ils pourront puiser chez vous un
peu de reconfort.
Comment te dire, cher oncle Paul, a quel point j'ai ete emu de savoir
que tu tournais vers moi tes pensees et tes voeux. Comment t'en
remercier, sinon en te disant que mon plus cher desir, si je reviens de
la guerre, sera d'avoir avec toi de frequents entretiens pour essayer de
profiter de ta longue experience des choses et des hommes, et de toute
la philosophie que tu as amassee.... Je termine en t'envoyant toute mon
affection, et en vous embrassant, tante Marie, Henri et toi, de tout
coeur.
JEAN.
_Lettre ecrite par le Sous-Lieutenant Claude LANGLE, tombe au champ
d'honneur le 26 Septembre 1915._
25 Septembre 1915.
Mon cher Papa,
Si jamais cette lettre t'arrive, ce sera parce que je serai tombe
glorieusement dans la grande bataille qui va achever le triomphe de la
France. C'est de bon coeur que je donne ma vie pour la plus belle de
toutes les causes. Je n'aurai que le regret de vous faire de la peine
a toi et a maman. Je vous en supplie, ne pleurez pas; c'est si beau
de mourir utilement! Nous sommes regiment d'attaque; les jeunes de la
classe 15 vont montrer le chemin victorieux aux vieux.
Si tu as l'occasion d'ecrire a Monsieur Canivinq, dis-lui de dire a mes
camarades de Carnot de faire comme nous, de consacrer leur vie a notre
beau pays de liberte, de se rappeler le cri de ralliement de 1915: "En
avant pour la France!"
Je vous embrasse tous de tout mon coeur.
Claude LANGLE.
_Lettre ecrite par Raphael LAPORTE, Aspirant au 215e Regiment
d'Infanterie, tombe au champ d'honneur, a Crugny (Marne), le 28 Mai
1918._
Langres, 18 Mars 1915.
Cher Papa et chere Maman,
Je vous envoie tout simplement ce petit perce-neige, cueilli dans les
jardins de l'hopital le 16 Mars 1915, date benie de mes vingt ans.
Vingt ans! l'age tant desire et tant regrette. A cette heure, je n'ose
leur sourire. Que vais-je bien en faire de mes vingt ans? Aidez-moi,
j'ai trop peur de les gaspiller follement et de les perdre a tout
jamais.
J'ai bien reflechi a toutes ces belles annees passees. Plus j'y songe,
plus je vous aime. Merci de tout coeur. Vous les avez faites belles,
bien belles; vous m'avez gate et a quel prix! Grand merci de votre petit
soldat plein de reconnaissance. Mille fois pardon pour tous les soucis,
les peines grandes et petites, les larmes que pendant ces vingt annees
je vous ai coutes.... Pardon, je vous aime bien quand meme.
Vingt ans, etre soldat: c'est toute ma fortune en ce moment, et, malgre
moi, de mon coeur a mes levres monte la belle phrase, le beau geste du
zouave de Patay. Mon cher papa et ma bien chere maman, ne vous inquietez
plus si, dans quelques semaines, je tombe frappe en faisant mon devoir;
j'aurai encore le courage de redire et de tout mon coeur:
Mon ame a Dieu, mes vingt ans a la France!...
Je vous aime.
Raphael LAPORTE.
_Lettre ecrite par le Sergent LASCOUX, Francois-Pierre-Joseph, 412e
Regiment d'infanterie, tombe au champ d'honneur, aux tranchees de la
Miette, le 4 Octobre 1915._
Si vous recevez cette lettre, ce sera pour vous apprendre que je suis
tombe au champ d'honneur et tombe en brave et en chretien. Je dis en
chretien, car je suis pret.
Je vous dis, non pas seulement au revoir, mais a Dieu, c'est la que je
vous attends et que je vous donne rendez-vous, sur de vous y retrouver
un jour.
Soumettez-vous entierement a la volonte de Dieu, qui a permis cet
evenement pour le plus grand bien de mon ame.
Regardez Marie au pied de la croix; comme elle, dites le _Fiat!_
Adieu, chere maman, consolez-vous en pensant que votre fils est mort en
faisant son devoir et que sa derniere pensee aura ete pour Dieu, pour la
France et pour sa mere.
Rendez-vous ... au ciel!
Meme rendez-vous a tous ceux que j'aime.
_Lettre ecrite a sa soeur par le Sergent Jacques-Etienne-Benoist DE
LAUMONT, du 66e Regiment d'Infanterie, tombe au champ d'honneur, le 25
Septembre 1915, a Agny-les-Arras._
24 Septembre 1915.
Ma chere petite Amie,
Je t'ecris cette lettre a tout hasard; demain matin, a l'aube, vers les
3 h. 1/4, 4 heures, nous partons a la charge: c'est la grande, peut-etre
la victorieuse offensive, comme nous l'esperons tous, comme nous en
sommes tous surs; nous devons percer et nous percerons, si ce n'est pas
ici, c'est a cote que cela aura lieu.
Or, le 66e a l'honneur d'attaquer et le 1er bataillon en tete (le mien);
je suis fier que le general nous ait juges dignes de cet effort. Le sort
est aveugle et peut me frapper, comme il peut m'epargner; tu peux etre
certaine que, dans l'un comme dans l'autre cas, je ferai mon devoir,
tout mon devoir.
Si je suis tue, annonce-le a maman et a papa avec de grands menagements;
ma seule douleur, mon seul regret est que ma mort puisse vous faire de
la peine a vous tous que j'aime tant; mais pourquoi pleurer, nous nous
retrouverons un jour tous ensemble, un peu plus tot, un peu plus tard.
Et puis, n'est-ce pas la plus belle mort qui soit au monde, une mort
utile, une mort pour un but, pour une idee, pour un ideal. Et dans le
siecle mediocre ou nous sommes, cela fait du bien de se dire: "Eh bien,
moi, j'aurai au moins servi a quelque chose et j'aurai la mort qui me
plait le plus."
Je veux etre enterre la ou je serai tombe. Je ne veux pas etre enferme
dans un cimetiere ou l'on etouffe. Je serai mieux et plus a ma place
de soldat dans la terre de France, dans un de ces beaux champs pour
lesquels je donne ma vie avec joie, je vous le jure.
Cette lettre te parviendrait seulement dans le cas ou il me serait
arrive malheur.
Je vous embrasse tous qui avez ete si bons pour moi et que j'aime du
plus profond de mon coeur.
JACQUES.
_Lettre trouvee pres du corps de Georges LE BALLE, Sous-Lieutenant au
151e Regiment d'Infanterie, tombe au champ d'honneur, le 22 Aout 1914, a
Barlieux, bataille de Pierrepont (Meurthe-et-Moselle)._
22 Aout 1914.
Mes chers petits Parents
et Soeurettes bien-aimes,
Quand vous recevrez cette carte, votre petit gars ne sera plus. Faisant
une patrouille avec 6 hommes, on m'a tire une balle a quelques metres,
qui a rompu l'artere de la cuisse. Puis, abandonne, j'ai vecu encore
vingt-quatre heures et je suis alle dans le sein de Dieu, ou je vous
retrouverai tot ou tard. Ne pleurez donc pas trop et priez pour moi.
Allons! mes dernieres pensees seront pour vous et pour Dieu.
Je vous embrasse pour la derniere fois bien longuement et bien
tendrement.
Votre petit gars et frerot qui vous dit au revoir dans l'eternite,
GEO.
_Extraits de lettres de l'Enseigne de Vaisseau de 1re classe
Auguste-Charles-Jules-Marie LEFEVRE, mort heroiquement, le 27 Avril
1915, sur le_ Leon-Gambetta, _torpille a l'entree de l'Adriatique par un
sous-marin autrichien._
...Un jour, probablement, nous succomberons dans cette guerre sournoise
que nous font les sous-marins, mais nous avons tous sacrifie notre vie a
l'avance et nous ne sommes plus troubles.
...N'est-ce pas notre role de nous devouer, de risquer notre vie? Que
vaut-elle, apres tout? N'avons-nous pas l'espoir d'une autre existence
infiniment plus douce a ceux qui ont fait leur devoir ici-bas?
...De quel secours n'est pas la religion! Comme on la trouve belle,
comme on l'aime, et comme elle reconforte!
Je communie tres souvent, et j'y avais rarement trouve de telles
delices.
Cette guerre a une vertu morale tres grande et il faut l'accepter comme
un moyen de Dieu.
Peut-etre, quand mon bateau coulera, aurai-je une angoisse atroce,
insurmontable.... Mais, en ce moment, avec toute ma lucidite, sain de
corps et d'esprit, je pense a cette heure sans amertume, le coeur en
paix.
...Il aura appartenu aux enfants de vingt ans de regenerer la France.
L'oeuvre accomplie, Dieu les rappelle a lui pour leur donner l'exquise
recompense des martyrs.
...Priez un peu pour moi, non pas pour que le Ciel m'epargne, mais pour
qu'il me fasse fort au moment du combat et a l'heure de la mort.
...Quand on est embrase par la joie d'une vie future, on ne peut plus
craindre la bataille.
_Lettre ecrite par le Sergent Andre LEGER, tombe au champ d'honneur, en
1915, devant Neuville-Saint-Waast._
Cher Papa,
Nous etions hier soir dans notre guitoune en train de faire une petite
manille avec mes trois copains, lorsque mon caporal surgit a la porte:
"Andre! un colis". Tout le monde pose a bas les cartes et tire son
couteau de sa poche. Juge donc de notre bonheur: chaussons, mouchoirs,
odeur, saucissons, sardines, pates, gateaux, rhum, papier a lettres,
enveloppes. Juge donc de notre joie.
Mais ce qui m'a fait le plus grand plaisir, cher pere, c'est de m'avoir
envoye ta photographie et celle de la pauvre maman; aussitot que je les
ai vues, c'est immediatement toute la maisonnee presente devant moi, et
une intense emotion m'a surpris, c'est toute l'affection familiale dont
je suis prive depuis trois mois qui brusquement s'est fait ressentir en
moi.
Cela m'a emu et n'a pas affaibli mon courage. Au contraire, pere,
lorsque je monterai a l'assaut, je regarderai encore ta photographie, et
elle me donnera tout ce que tu me dis par la pensee: "Courage! honneur!
Vas-y en brave!"
Cela a augmente mon ardeur, car c'est pour vous, pour mes freres
et soeurs, tous les parents, que nous soldats faisons la barriere
infranchissable devant laquelle les efforts des brutes et sauvages
dechaines viennent se briser. Et penser que c'est pour vous que je
me bats, vous tous que j'aime tant, n'est-ce pas le plus grand
encouragement qu'un soldat puisse recevoir?
Cher pere, je te dis ceci tout naturellement, sans forfanterie, tu sais
que nous subissons de grandes epreuves. Eh bien, tout ceci, vois-tu, pas
une fois je n'ai regrette de le subir et au contraire je suis gai de
souffrir, si quelquefois cela arrive, en pensant a la noble cause que
nous servons. C'est dans ces sentiments que je puise mon inalterable
gaiete, que tu nommes courage. Oui, je veux etre toujours gai, faire
tous les sacrifices necessaires avec bonne humeur, et si je reviens, car
j'en ai le bon espoir, je pourrai dire: "Je n'ai jamais rien regrette a
la Patrie!"
Les gateaux d'Amelie sont excellents. Bons baisers a tous, j'ecrirai
demain a chacun en particulier. Soyez tous assures de ma plus grande
soif de triomphe et de mon impatience de vous embrasser tous bien fort.
En attendant ce jour qui couronnera tous nos efforts et auquel il ne
faut pas encore penser, patience, courage; on ne detruit pas en quelques
jours un monstre de sauvagerie, patiemment edifie depuis quarante-quatre
ans, mais, avec la tenacite, il finira par s'ecrouler et, ce jour-la,
l'horizon d'ideal et de liberte en sera bien eclairci.
Ayez comme nous confiance en la justice et l'immortalite de la France.
Ces jours-ci sont pour elle une de ses epoques les plus glorieuses.
Vive la France!
ANDRE.
_Lettre ecrite par Jean-Marie LE GUEN, pour annoncer a sa mere la mort
de son frere, quelques jours avant que lui-meme ne soit tue._
En campagne, le 7 Octobre 1915.
Ma chere Mere,
Vous savez sans doute maintenant la triste nouvelle, puisque j'avais
ecrit a Tonton Louis pour lui demander d'aller vous annoncer cette
nouvelle, qui a du vous fendre le coeur a tous. J'ai trouve qu'il valait
mieux ainsi que de vous ecrire directement, vous auriez ainsi du moins
quelqu'un pour partager votre douleur, et la douleur partagee en commun
se supporte plus facilement. Mon pauvre frere a ete tue dimanche 3
Octobre. La veille, j'avais eu de ses nouvelles par un camarade qui lui
avait parle et il etait toujours solide et confiant.
Dimanche au soir, on est venu m'avertir qu'il avait ete blesse
grievement. Je suis parti aussitot pour aller le voir, mais en route
on m'a appris qu'il avait ete tue sur le coup. C'est Marc GORREC, de
Coat-Crenn, qui se trouvait a ses cotes, qui m'a donne les details de sa
mort. Un autre camarade et lui s'etaient creuse un gourbi pour pouvoir
se mettre a l'abri et se reposer un peu, et il y avait a peine une
demi-heure qu'ils s'y etaient etendus qu'un obus est tombe en plein
sur leur abri et les a ensevelis. Marc et les autres camarades qui se
trouvaient a cote se sont empresses de les degager, mais, dix minutes
plus tard, quand ils ont reussi a les degager, il etait trop tard, ils
etaient morts asphyxies. Yves etait couche sur le cote, les bras croises
sur la poitrine, les yeux fermes, sans aucune blessure et nullement
defigure. Ils avaient ete surpris dans leur sommeil et avaient ete
etouffes sur le coup. Il est du moins mort sans souffrir et n'aura pas
eu le sort de beaucoup d'autres qui, blesses, ont du rester trois ou
quatre jours sur le champ de bataille et mourir ensuite. Quand je suis
arrive la-bas, il etait deja enterre dans une tombe, tout seul, et non
comme beaucoup d'autres qui sont enterres dans le meme trou. J'ai fait
faire une croix sur laquelle j'ai fait inscrire son nom, sa compagnie,
son regiment et la date de sa mort, d'un cote, en peinture et, de
l'autre cote, son nom grave avec une pointe rougie au feu. Il est
enterre dans un petit ravin, a deux kilometres environ au nord de
Perthes, a droite de la route qui va de Perthes a Tahure. Prenez bien
note de ces renseignements: vous pourrez ainsi le retrouver si je ne
revenais pas moi-meme et faire transporter son corps pour qu'il repose
au milieu de la famille. Faites dire un grand service pour lui sans
attendre que l'acte de deces vous arrive, car cela pourrait mettre du
temps, surtout maintenant qu'il y en aura tant a etablir. Ce n'est pas
qu'il ait besoin de prieres, car il est tombe un jour de victoire en
faisant son devoir et il repose dans une terre reconquise aux Allemands
par son regiment, et ou ils ne mettront jamais plus les pieds, et
l'aumonier nous a repete bien des fois qu'il n'y a aucun doute a avoir
sur le salut de ceux qui tombent en faisant leur devoir.
A qui donc serait-il, le paradis, sinon a ceux-la? Mais, et c'est
surtout ce que je tiens a dire a mes freres et a mes soeurs, nous ne
pourrons jamais assez faire pour honorer la memoire de celui qui nous a
gagne du pain et qui etait si bon pour nous tous. Je voudrais que des
maintenant vous fassiez faire une belle tombe ou du moins une belle
croix en sa memoire parmi la famille ou on pourra le mettre un jour.
J'ai recu hier une carte de Tonton Jean qui me donnait sa nouvelle
adresse. Je lui ai ecrit aussitot pour lui annoncer a lui aussi la
triste nouvelle. Il trouvera cela bien dur aussi, car, comme moi, il est
la-bas tout seul sans personne pour partager sa peine. Vous aussi vous
aurez ce coup-la bien dur et rien ne pourra jamais vous consoler de
la perte que nous venons de faire. Il nous reste cependant a tous une
consolation, c'est de penser qu'il pourra un jour, quand cette terrible
guerre sera finie, dormir son dernier sommeil au pays natal et que sur
sa tombe nous pourrons aller lui dire que nous ne l'oublierons jamais.
C'est la volonte de Dieu qui l'a rappele a lui; du haut du ciel, il
prie maintenant pour ceux qui etaient sur la terre l'objet de ses
preoccupations et pour ses camarades qui combattent toujours, car ce
sont les vivants qui ont besoin de prieres. Priez pour nous tous et pour
que cette terrible guerre finisse un jour.
Votre fils devoue qui vous embrasse pour lui et pour son frere,
JEAN-MARIE.
_Lettre ecrite par Paul LEVEQUE, engage volontaire a 17 ans, le 7
Septembre 1915, disparu pres de Verdun, au 54e Regiment d'Infanterie, le
21 Juin 1916._
Belrupt, 19 Juin 1916.
Maman cherie,
Nous montons ce soir a Verdun. La bataille diminue sur ce front-ci. Il
ne faut rien craindre pour moi; nous sommes prets tous; vraiment, il
est magnifique de voir de pres l'enthousiasme de certains soldats qui
paraissaient si fermes.
J'ai eu la grande joie de communier ce matin ... te dire ce que j'ai ete
heureux de le pouvoir faire. Le bon Dieu decidera de mon sort, et au
fond du coeur il faut dire: que votre volonte soit faite et non la
notre.
Il faut te dire aussi que nous serons au moins dix jours sans ecrire et
sans avoir rien comme ravitaillement; ton colis m'arrive comme si Dieu
l'avait permis.
Oh! ma maman, qu'il m'est doux de faire mon grand devoir d'homme, de
soulager ainsi notre plus grande France; prie bien et reste ferme avec
moi pour nous retrouver tous a la victoire glorieuse. Ton Paulo restera
bon et deviendra meilleur encore; prions plus que jamais, que ton coeur
soit haut et gai pour nous tous, que je le savoure encore comme le bon
Dieu le voudra bien.
J'aurais voulu avoir quelques lignes de toi ce soir! mais tu n'auras pas
non plus de mes lettres, il ne faut pas que tu t'ennuies!
Dis bonjour a Madame X... de ma part, je n'ecris qu'a toi et n'ai le
temps de rien.
Bons baisers a toi, a papa et de toi a tous.
Ton petit,
PAULO.
_Lettre ecrite par le Sous-Lieutenant Georges LEVY, 3e Bataillon de
marche d'Infanterie legere d'Afrique, tombe au champ d'honneur, au
combat de Moronvilliers, le 17 Mars 1917._
Ma chere petite Maman,
Si cette lettre te parvient, c'est que je ne serai plus. Je veux que tu
recoives alors ce dernier adieu. Certes, ce n'est pas tres gai de mourir
a 22 ans, mais tu pourras etre fiere de moi comme je le serai moi-meme.
J'aurai fait mon devoir et pour un israelite c'est deux fois plus beau.
J'aurais voulu vivre pour te rendre heureuse, Dieu ne l'a pas voulu, que
sa volonte soit faite. Je n'ai pas toujours ete un fils modele, mais mes
betises m'avaient servi de lecon et j'aurais voulu te prouver combien je
t'aimais!...
Avec ta pensee, je vais au combat et t'embrasse avec toute la tendresse
et l'affection que j'ai pour toi.
GEORGES.
_Lettre ecrite par l'Aspirant LORMIER, 54e Regiment d'Infanterie
Coloniale, tombe glorieusement au champ d'honneur le 15 Septembre 1918._
Aux armees, le 2 Septembre 1918.
Mon cher Papa,
Nous allons attaquer sous peu. La compagnie est en premiere ligne; si tu
recois cette lettre, c'est que je serai tombe au champ d'honneur, comme
je l'ai toujours souhaite, car c'est la seule mort pour un soldat.
Je ne veux pas que l'on porte mon deuil, car il n'y a pas a pleurer des
l'instant que j'ai termine ma vie en campagne et face a l'ennemi.
Je demande qu'on laisse mon corps la ou je serai tombe, parmi mes
camarades de combat.
Notre attaque sera dure, tres dure, mais je pense qu'elle reussira quand
meme, ce qui permettra de liberer Monastir de ces etres execres que nous
aurons bientot. Ma mort n'est rien si nous avons la victoire et si
le drapeau francais continue a flotter sur tout l'univers comme
precedemment et si je ferme les yeux en voyant l'objectif atteint.
Je te prie de faire savoir ma mort aux parents, aux proviseurs des
Lycees Henri IV et Michelet, ainsi qu'a Madame Magnien, a Bremont, par
Rotter (Saone-et-Loire), et a mon camarade Henri Blin, dont les parents
habitent 27, rue d'Ulm, a Paris (5e). Je te prie, en outre, d'annoncer
au commandant ma joie de tomber a l'attaque, en tete de ma section et en
contemplant le drapeau tricolore sur lequel vos tetes qui me sont cheres
apparaissent a la place des victoires, gravees en lettres d'or, de la
France.
Encore une fois, je ne veux pas que l'on porte mon deuil, car j'ai 22
ans et l'on attaque, c'est-a-dire que j'ai fait volontiers le sacrifice
de ma vie pour la victoire de mon pays et l'ecrasement de l'hydre
germanique.
Nous allons sortir dans peu d'instants, je pense en revenir et, si
je meurs, ce ne sera pas sans avoir embrasse une derniere fois votre
photographie qui est placee dans mon portefeuille. Je regarde aussi
une derniere fois notre drapeau et le portrait du Marechal Joffre,
qui symbolisent la France et que je mets au-dessus de vous, mes chers
parents, car c'est pour elle que je mourrai au champ d'honneur.
Vive la France!
Adieu, mes chers parents.
LORMIER.
_Lettre ecrite par le Sergent Marcel DE LOSME, 116e Chasseurs Alpins,
tombe pour la France, le 26 Octobre 1916, sous le fort de Douaumont
(Verdun)._
14 Octobre 1916.
Maman cherie, chers tous,
Ce soir, pendant la manoeuvre, je relisais vos lettres si cheres. Quel
bon temps elles me font passer!... Tous ces petits details que vous me
racontez, bien loin de m'ennuyer, me font vivre avec vous. Les bruyeres
de Nans iront rejoindre les lis seches dans mon carnet de route, et
ainsi je me raccroche a toutes ces choses qui sont pour moi comme le
souvenir du Paradis perdu et comme un apercu de la terre promise.
Parfois je reve aussi, couche sur les coteaux meusiens arides sous le
ciel gris ... je reve, car dans les manoeuvres actuelles on ne marche
pas beaucoup, et alors c'est la vision, si vive qu'elle semble reelle,
de vous tous dans les lieux que j'aime tant. Je vous vois, en ce
moment, tous reunis, faisant, le soir, la promenade de Lorges, alors
qu'au-dessus des rochers gris la premiere etoile brille dans le ciel
encore clair.
Je vous vois, plus tard, a la veillee, autour de la table de famille,
plonges dans la lecture des journaux.... J'entends l'appel de vos voix
dans le jardin. Alors je me laisse bercer par des reves de paix et de
tendresse.
Mais, tout a coup, un appel de sifflet me reveille au milieu de la
guerre et de son attirail ... et je suis la voie que le devoir m'a
tracee.
Je la suis volontiers et sans regret, fortifiant au contraire cette
volonte qui nous est si souvent necessaire.... Je ne regrette rien, non
rien, quelque penible que soit ma vie parfois. Je sens que c'est la ce
que je devais faire et que je suis bien a ma place, et la satisfaction
de faire son devoir est encore quelque chose.
Et puis ce rude contact est une bonne chose: il faut avoir souffert
physiquement pour etre solide; il faut souffrir moralement pour avoir la
notion exacte de la vie et avoir l'ame haut placee.
Je sens qu'a ces deux points de vue j'ai fait d'immenses progres.
Quelquefois, quand, le barda sur mon dos, je chemine sur les
interminables routes, je songe que vous me predisiez que je n'irais pas
bien loin en pareil equipage et que je supporterais fort mal la vie
militaire, et, ma foi! je donne un dementi assez categorique a ces
craintes. Quant au moral, j'etais trop heureux et incapable d'un effort
de longue haleine. J'ai pris l'habitude de ne pas me rebuter aux
desillusions; parce qu'il le fallait, j'ai fait par volonte ce que je
revais de faire par enthousiasme....
J'entends la musique qui, sur la place de l'Eglise, joue une marche
entrainante au rythme des chasseurs, et je vois notre retour triomphal
apres la victoire, sur les boulevards de Nice, au milieu des pavois et
des fleurs. J'entends le bruit des cuivres dans le tumulte des vivats,
je vois les baionnettes brillantes et les visages heureux de ceux qui
retournent.
Je vous vois sur un trottoir attendant le defile, puis vous melant a la
foule qui suit enthousiaste, en cherchant Marco.
Et puis, voila Marco qui passe, aussi heureux de ce qu'il a souffert que
de la joie immense du retour.
Ah! quelles belles expansions!
Quelles extravagances ne ferai-je pas?
Oui, mes cheris, ca viendra, encore un effort et puis ce sera le retour
triomphant!
Marcel DE LOSME.
_Lettre ecrite par le Sous-Lieutenant Max MAGNUS, 1er Regiment Etranger,
tombe au champ d'honneur, a Florina (Macedoine), en 1916._
23 Septembre, 12 h. 45.
Ma chere Berenice,
Depuis quatre jours, nous sommes au feu sans nous dechausser ni nous
desequiper. Il fait aujourd'hui un temps splendide. Je me sens tres fort
et tres vigoureux. Nous allons attaquer dans quelques instants. Si je
suis tue, mes dernieres pensees seront pour toi.
Je t'embrasse.
Max MAGNUS.
_Lettres du Commandant IMHAUS DE MAHY, officier en retraite, qui a
repris volontairement du service a 60 ans, tue heroiquement a Verdun, a
62 ans, le 30 Mars 1916._
28 Mars 1916.
_A sa Femme._
...Bombardement effroyable. De temps en temps, j'apprends que quelqu'un
ou quelques-uns de mes bien-aimes petits soldats, fils de femmes de
France et meres eplorees, sont tues ou blesses. L'assaut peut venir d'un
moment a l'autre. J'ai choisi mon P.C. dans la tranchee au centre de
l'attaque, puis mon dernier reduit ou, entoure des derniers defenseurs,
je lutterai jusqu'a la mort. Ton mari, ma chere femme, sera digne de
nos enfants, des DE MAHY, des DE LA SERVE. S'il tombe, ce sera face a
l'ennemi, ce sera la plus belle des morts. Vous que je laisse, je vous
plains. Quant a moi, mon sort sera digne d'envie. Celui qui meurt
ressuscite. Vive la France! A toi de tout coeur. J'ai la conviction de
retrouver des etres adores....
_A ses deux plus jeunes Fils apres la mort de son Fils aine._
...Vous serez dignes de vos devanciers qui ont regarde la mort en face,
leur sang fecond a arrose la terre de France. Nos bien-aimes sont entres
dans l'immortalite. Comme eux, vous frapperez fort et vous tomberez s'il
le faut sans peur, sans reproche, face au ciel qui vous attend. La
cause de la France est celle de l'Univers. Gloire a notre France
immortelle....
...Notre force morale vient de ce que nous defendons non seulement
notre sol et nos libertes, mais encore les droits imprescriptibles de
l'Humanite contre la plus odieuse des machinations qui sera renversee.
Mais ce resultat exige un holocauste sanglant.
_Extraits de lettres ecrites par le Sergent Andre IMHAUS DE MAHY, 5e
Regiment d'Infanterie Coloniale, engage volontaire, disparu le 29
Septembre 1915, a Souain (Champagne)._
...Il m'est impossible de vous exprimer ma grande satisfaction de servir
la Patrie. Je suis heureux de faire mon devoir....
...Mes chers parents, je montrerai que j'ai une Patrie pour laquelle
nous devons nous donner, que j'ai la qualite d'etre Francais, que j'ai
un nom. Je me montrerai digne de vous, de mes freres, et je n'oublie pas
que je dois en venger un. Je ne commettrai jamais de cruaute....
_Fragment de lettre ecrite par le Sergent Emile IMHAUS DE MAHY, engage
volontaire, disparu le 29 Septembre 1915, a Souain (Champagne)._
"Nous sommes prets aux prochains sacrifices. Tout le monde fait son
devoir sans broncher et avec honneur".
_Extrait de lettre ecrite par Francois IMHAUS DE MAHY, Caporal au 22e
Regiment d'Infanterie Coloniale, engage volontaire, blesse mortellement,
le 27 Aout 1914, a Stenay._
"Je suis heureux de mourir en ayant fait mon devoir."
Francois IMHAUS DE MAHY.
_Fragment de lettre du Capitaine Georges IMHAUS DE MAHY, 33e Regiment
d'Infanterie Coloniale, tombe au champ d'honneur, le 29 Juillet 1918, a
Romigny (Marne), apres son pere, son frere aine et la disparition de ses
deux plus jeunes freres._
"...Nous avons tous fait le sacrifice de notre vie...."
Georges IMHAUS DE MAHY.
_Derniere lettre du Capitaine Henri MARQUIZAA, tue devant Loos
(Belgique), le 20 Octobre 1915, a sa mere._
Chere Maman,
Si je meurs a la guerre, sache que mes dernieres pensees auront ete pour
le bon Dieu, pour la France et pour toi.
Pour le bon Dieu a qui je demande de me mettre en etat de grace.
Pour la France que j'aurais voulu voir victorieuse.
Pour toi enfin que j'adorai et que j'aurais voulu embrasser avant de
partir.
Ton HENRI.
_Lettre ecrite par le Caporal Leon-Roger MARX, 4e Zouaves, tombe au
champ d'honneur le 27 Juin 1917._
J'ai decouvert la beaute simple de cette volonte de tenir, de resister
a sa sensibilite, de se dominer. Ne crois pas que cela m'ait rendu
plus dur; mais j'ai ete tres content de voir que j'arrivais a ne plus
craindre la tristesse, a ne plus me laisser noyer par elle, comme j'ai
su, et je t'assure que j'en suis fier, n'avoir jamais peur du danger.
Cet equilibre, je voudrais le garder toute ma vie sans pour cela que ma
sensibilite s'amoindrisse....
Ne te frappe pas pour les bonnes annees qu'on a passees si loin;
d'abord, la France est si belle et nous a valu une si admirable
formation morale et esthetique! Enfin, nous apprecierons mieux encore
notre bonheur pour avoir vu et pressenti tant de choses tristes ...
tristes, tu sais.
Cette vie ereintante, je l'ai voulue et elle est celle que je devais
mener.... Je me trouve, ce matin, presque calme et sans tristesse, plein
de force et de clarte en moi. Je pense qu'on est heureux de se sentir
valide, au pied, pour ainsi dire, de son devoir; et vraiment rien ne me
fait peur tant que je me sens fort et comme fier.
_Lettres de Roger MEYER et de Raymond LOUIS, tombes au champ d'honneur,
le 23 Aout 1914, dans une petite maison d'Hanzinelle (Belgique) qu'ils
avaient mission de defendre._
_Quand la mere et belle-mere des deux soldats est allee, en 1919, en
Belgique, pour tacher de parvenir a les reconnaitre, la femme qui
habitait la maison, dans laquelle un obus les a tues tous, a remis en
pleurant a Mme LOUIS un petit bout de papier qu'elle a trouve dans la
poche d'un jupon, en rentrant chez elle apres l'armistice, et sur lequel
etaient tracees les lignes ci-dessous:_
Monsieur, Madame, chers Allies,
Nous sommes 15 petits soldats francais barricades dans votre maison.
Nous y sommes entres precipitamment et force nous a ete de faire
des degats; nous en sommes tres faches pour vous, mais il nous est
impossible de faire autrement. Avant de mourir pour la France, pour la
Belgique, nous vous reiterons nos regrets et vous saluons.
LOUIS.
Le 20 Aout 1914.
Bien chers Parents, Freres et Soeurs,
Les deux bonnes lettres de pere m'ont cause la plus grande joie et c'est
avec un plaisir toujours nouveau que je les lis et relis aux moments
ou l'esprit se repose de cette vie un peu ahurissante et mouvementee.
Depuis cinq jours, nous marchons, nous marchons sous la pluie, le
soleil, les nuages de poussiere. Nous faisons a peu pres 25 kilometres
chaque jour, sans voir autre chose de tous cotes que des fantassins, des
zouaves, des tirailleurs senegalais, des cavaliers, des artilleurs, bref
tout ce qu'un pays comme le notre peut aligner contre les laches et
barbares Allemands.
Depuis trois jours, nous sommes en Belgique, et l'accueil si chaleureux
et si hospitalier de la population nous reconforte et nous donne des
jambes et du coeur a l'ouvrage. Ce ne sont qu'acclamations sur notre
passage; on nous donne des fleurs, des drapeaux, des rubans; les seaux
de cafe, de biere, de cidre sont alignes sur le pas des portes, on
distribue a profusion d'immenses tartines de beurre et de confitures,
des cigarettes, des cigares.
Nous trouvons dans les villages la plus large hospitalite. Jusqu'a
present, je n'ai connu le lit dans la paille que deux fois. Vous voyez
que nous n'avons pas lieu jusqu'a present de nous plaindre. D'autre
part, les succes journaliers des armees belges et francaises nous
donnent confiance et espoir. Nous sommes maintenant a peu de distance de
l'ennemi, et il est fort probable qu'aujourd'hui nous aurons le bapteme
du feu. Je vous assure que je n'ai aucune apprehension. Que voulez-vous,
c'est au petit bonheur; j'ai toujours eu l'idee que nous en reviendrons;
si le contraire se produit, ma foi, vous pourrez avoir la certitude
que nous y sommes alles gaiement, sachant que nous travaillons pour le
bien-etre de tous ceux qui resteront et qui seront a jamais debarrasses
de ce fleau germanique qui empoisonne le monde depuis quarante ans.
Quelle fete a notre retour! Nous aurons a celebrer les victoires
francaises, la joie du retour et la venue au monde du cher petit que
nous attendons avec tant d'impatience et que je voudrais tant avoir
connu avant de partir.
Enfin, l'avenir nous reunira tous, plus unis et plus joyeux que jamais.
Je vous donnerai bientot d'autres nouvelles; communiquez celles que je
vous donne a tous ceux qui me sont chers.
Je vous embrasse tous, bien chers parents, freres et soeurs que j'aime
tant, avec toute l'affection de mon coeur de soldat francais.
Vive la France et a bientot la joie du retour.
Votre fils qui pense toujours a vous,
ROGER.
Je joins un petit mot a la lettre de Roger, a mon vieux frangin, pour
vous assurer de notre inseparable amitie et vous envoyer, a vous et a
tous les votres, mon plus affectueux souvenir. Ayez confiance, nous
reviendrons tous deux. Dieu ne nous abandonnera pas. Si toutefois le
sort nous designait, vous auriez la satisfaction de savoir que c'est
pour votre bien-etre a tous que notre sang aurait ete verse.
Encore une fois, soyez tous courageux comme nous-memes en cas de malheur
et recevez encore mes affectueuses amities.
RAYMOND.
_Derniere lettre du Lieutenant Rene MONIER, du 43e Regiment d'Infanterie
Coloniale, mort pour la France, le 28 Septembre 1915, a Givenchy._
Le 11 Septembre 1915.
...L'heure n'est pas aux discours, a la phraseologie. Le vocabulaire de
l'heroisme epistolaire est d'ores et deja epuise et je n'ai garde de
vous laisser une de ces belles lettres in extremis en "tremolo majeur",
du genre de celles qui trouvent place chaque jour dans nos quotidiens en
mal de copie.
Inutile de vous redire ce que je fus pendant ma vie, vous le savez, je
ne vous ai jamais rien cache.
Inutile de vous dire ce que je serai devant la mort, au champ d'honneur,
vous le devinez ou d'autres vous le diront.
"Mourir pour la Patrie est le sort le plus beau". Ce n'est pas moi qui
l'ai dit; mais je tiens du moins a tirer de cette verite universellement
acceptee toutes ses consequences logiques. Donc:
1 deg. Pas de larmes! On ne pleure pas un etre que l'on sait avoir joui du
sort le plus beau.
2 deg. Pas de deuil, mon desir est formel et devra etre respecte.
3 deg. Ni discours, ni fleurs, ni couronne sur ma tombe ... mais un simple
drapeau!
Je legue mon sabre et mon epee a papa, qui les mettra en panoplie dans
son bureau pour symboliser les deux etats ou je sus, grace a l'exemple
qu'il m'a donne, faire droitement et simplement mon devoir.
_Lettre de MONNIER, Charles, 217e Regiment d'Infanterie, 4e Compagnie de
Mitrailleuses, tue a Locre (devant le mont Kemmel), le 31 Mai 1918._
Mai 1918.
Parents cheris, Soeur et Frere,
Quand vous recevrez cette lettre, je ne serai plus.
Ne vous desolez pas trop, chers parents; Dieu m'appelle a lui; la Patrie
demande mon sang; volontiers je le donne, apres tant d'autres.
Ne vaut-il pas mieux mourir jeune, au cours d'une bataille qui peut-etre
decidera du sort du monde, de la belle mort du soldat et ne pas
affronter tous les chagrins, toutes les peines dont la vie est remplie?
J'ai fait toujours courageusement mon devoir; vous pouvez etre fiers de
moi, je n'ai pas failli a ma tache de bon soldat. Cela m'a ete assez
facile: je n'ai eu qu'a mettre en pratique les fiers et patriotiques
principes que vous m'avez toujours inculques.
Je n'ai pas toujours ete un fils bien docile. Oubliez-le, car j'etais
jeune.
Avant de vous quitter, je vous souhaite, parents adores, une vieillesse
tranquille, apres une vie de labeur comme la votre vous avez droit au
repos.
Et toi, chere soeurette, j'espere que Dieu exaucera tes voeux et que tu
vivras heureuse aupres de celui que ton coeur aime.
Petit frere, sois obeissant, travaille avec ardeur afin de devenir un
fils faisant honneur a ses parents.
Une pensee pour tous nos parents.
A vous tous, ma famille, une derniere fois, adieu.
CHARLES.
_Lettre ecrite par le Sergent Georges NICOLET, pasteur de l'eglise
reformee evangelique de Mont-rouge, 66e Regiment d'Infanterie, tombe au
champ d'honneur le 20 Fevrier 1915._
1er Fevrier 1915.
Mes chers Parents,
Je viens de prendre une grande decision. On manque de sous-officiers
dans les regiments d'infanterie et le ministre en a demande chez nous.
Personne ne voulait s'offrir. Il m'a semble que c'etait plus a moi qu'a
tout autre a donner l'exemple et je me suis fait inscrire. Entraines
par mon exemple, un caporal et trois hommes de mon groupe se sont fait
inscrire a leur tour et maintenant le branle est donne. J'espere que ma
decision ne vous peinera pas trop et que vous comprendrez qu'il y a des
circonstances ou un homme courageux ne peut pas s'empecher de payer de
sa personne. D'ailleurs, je ne suis pas beaucoup plus en danger dans un
regiment qu'aux brancardiers de corps, car on nous laisse de plus en
plus a bonne portee des canons allemands.
...Mais la question est plus haute. Il faut en finir avec les Allemands
et on n'en finira que si, au printemps, chacun donne a sa place et selon
ses aptitudes son coup d'epaule, et pour en finir la France a besoin
de reunir dans un faisceau tout ce qui lui reste d'hommes courageux et
capables de conduire ses soldats.
Je vous ecrirai le plus souvent possible, ne vous inquietez pas. Je me
suis deja tire sain et sauf de tant de situations perilleuses que
je suis convaincu qu'il en sera ainsi jusqu'au bout et que je vous
reviendrai en bonne sante a la fin de la guerre, c'est-a-dire bientot,
car je ne crois pas que cette guerre dure encore de longs mois, comme le
disent les journaux.
Je vous envoie mes plus affectueux baisers.
Georges NICOLET.
P.-S.--J'ai bien recu le quatrieme mandat de 50 francs. Le paquet de
sardines ne m'est pas arrive.
_Lettre ecrite par le Sergent Maurice NINORET, 123e Regiment
d'Infanterie, tombe au champ d'honneur le 7 mai 1916._
4 Mai 1916.
Chers amis,
Ma lettre, aujourd'hui, a un caractere special; je vous l'ecris du
fort de S---- ou 9e et 10e sommes arrives cette nuit. Meme vue a 10
kilometres, l'impression colossale de la lutte qui se dechaine devant
Verdun ne peut etre comparee a l'effroyable realite. Pauvre 123e, d'ici
a huit jours, il sera bien maigre. Hier soir seulement, pour faire la
releve sur les pentes sud de Douaumont, au cours de la traversee du bois
de la Caillette, ou plutot de ce qui le fut, le 10e bataillon a beaucoup
souffert; qu'il me suffise de vous dire que le lieutenant Verron a ete
tue, le capitaine Missaut blesse de nouveau, etc., etc.... Nous-memes
avons eu a traverser pour nous rendre ici, a 1.800 metres de la premiere
ligne, des rafales de leurs gros obus et une chance reelle nous a seule
permis d'en sortir indemnes.
Ce soir, nous allons renforcer le bataillon deja en ligne et, malgre
tout mon courage, qui n'est pas amoindri, j'apprehende cette galopade
a la mort. Il faut les vivre, ces minutes, pour en comprendre toute la
tragique angoisse; tout sent le carnage: par ici, l'air est empeste
d'une odeur de charnier.
Et pourtant notre artillerie nous montre bien sa terrible puissance par
son fracas ininterrompu. Nous ne resterons point longtemps ici, car
c'est le coin le plus terrible du secteur de Verdun. Tous les regiments
qui s'y succedent n'y font souvent pas plus de huit jours; a ce moment,
si je suis encore debout, je vous enverrai une carte....
Soyez persuades que ma facon de vous ecrire ne m'est pas inspiree par un
sentiment de crainte, mais bien parce que je suis logique avec moi-meme,
mais parce que dans cette fournaise l'importance de mon devoir
m'apparait precise et que tous mes efforts tendront a l'accomplir, pour
notre chere France, jusqu'a mon dernier soupir.
Chers amis, je vous embrasse, permettez-moi ce bonheur.
A bientot, et vive la France!
M. NINORET.
_Lettre ecrite par Victor-Desire-Joseph OLLAGNIER, tombe au champ
d'honneur le 20 Juillet 1915._
14 Juin 1915.
Mes bien chers Parents,
Je viens de recevoir votre lettre du 10 Juin et j'y reponds
immediatement. Nous sommes aujourd'hui au repos sur place a Gaschney. Ma
sante est toujours excellente, je ne puis demander mieux a ce sujet-la;
au moral, il en est de meme.
Je suis un peu inquiet au sujet de maman; papa me dit que chaque jour
elle se decourage un peu.
Il ne faut pas de cela, au contraire; malgre les soucis de l'heure
presente, il ne faut songer qu'au but poursuivi. Je crois qu'aujourd'hui
nous tenons la main sur les Boches. En particulier dans le secteur, _ils
ont peur de nous_, et l'heure n'est pas eloignee ou nous allons leur
passer une triquette quelque chose de soigne. Tous les jours, au
contraire, je suis plus confiant dans l'avenir, et ce n'est pas un
sentiment unique, personnel, c'est aussi le sentiment _vrai_ de nos
chefs, de mes camarades.
On les aura, on veut les avoir. Mais il ne faut pas se leurrer. Pire que
les poux qui se collent partout, ils se cramponnent; mais maintenant
c'en est fait: on leur passera sur le ventre et demain nous verrons se
lever devant nous une ere de bonheur. On sera d'autant plus heureux que
notre bonheur aura ete paye plus cher. Quelle satisfaction n'aurons-nous
pas au retour!
Ne serez-vous pas, et maman aussi, tres fiers apres la guerre de vous
dire, de pouvoir dire a tous: mon fils, notre enfant, a fait son devoir;
et moi-meme, aupres de vous, je marcherai la tete bien haute, fier de
pouvoir chanter bien haut: "Dans cette lutte gigantesque, j'ai pris ma
part, j'ai collabore a cette oeuvre immense, j'y ai trempe mon courage,
eprouve mon energie", et je ne souhaite qu'une chose, pouvoir dire
jusqu'a la fin, comme je puis le faire aujourd'hui, jamais mon courage
ni mon energie n'ont faibli.
Je dirai meme, mais ceci comme un enfant cause a ses parents, en pleine
intimite et en toute franchise, et sans forfanterie de ma part: Si vous
saviez comme je suis heureux, etant chef de section, de sentir autour de
moi mes cinquante _lapins_ qui ont en moi une confiance absolue. Il est
une chanson bien douce a mon ame quand j'entends leurs conversations
apres une petite affaire, le soir au bivouac: "Avec le sergent
Ollagnier, ca c'est un gars, j'irais n'importe ou"; c'est un caporal de
ma section qui disait cela. Eh bien! voyez-vous, je l'aurais embrasse,
c'etait aussi bon pour moi que si devant la brigade on m'eut donne la
medaille militaire.
Malgre cela, n'ayez point trop d'inquietude, je sais que j'ai non
seulement a me garder pour vous, pour Germaine, mais aussi que les
cinquante hommes de ma section ont aussi des meres, des femmes, des
enfants.
Donc, je vous en prie, bien chers parents, pas de defaillances, meme
d'une minute. Ce serait m'oter de mon courage, de ma confiance que de
savoir que la-bas, bien loin, a la maison, maman se desespere.
J'attends une lettre dans laquelle maman me dira elle-meme qu'elle a
repris le dessus, et m'exhortant a avoir confiance.
Adieu, bien chers parents, recevez mes plus tendres embrassades.
OLLAGNIER.
_Lettre ecrite par le Sergent OUDET, Georges-Adolphe, 46e Regiment
Territorial d'Infanterie, tombe glorieusement a l'ennemi, le 24 Aout
1915, au bombardement de Nisslessmath._
20 Aout.
Ma chere petite Lulu,
Je recois bien tes lettres. En est-il de meme des miennes pour toi? Je
ne le pense pas, elles doivent subir un retard considerable depuis
qu'il nous est permis a nouveau d'ecrire sous enveloppe fermee, car, ne
pouvant s'assurer de l'observation stricte des consignes imposees aux
militaires que tres difficilement, l'autorite superieure les retarde
afin que, lorsqu'elles parviennent aux interesses, les renseignements
donnes ne puissent etre nuisibles aux mouvements ordonnes; mais enfin tu
les recevras. Dans cet ordre d'idees, je puis donc te parler de ma vie
de soldat, mais sans details, tu dois le comprendre.
La guerre actuelle est une guerre ou toute l'intelligence de l'homme est
mise a epreuve sous toutes ses formes: se masquer, c'est l'attention de
toutes les secondes; se demasquer, c'est le courage a l'instant choisi;
se garantir est un devoir, tout comme ricaner a la mort comme il le faut
en est un autre. Puisque ton coeur de femme est assez stoique, je vais
te donner avec la plus grande sincerite, denuee d'aucune ficelle, des
episodes. Je vois des choses qui vont te laisser reveuse.
Rien en ce moment et depuis une demi-heure deja, et cela va durer tout
le jour. Je t'ecris au son d'une musique militaire en plein centre
d'action--c'est fou--non, c'est sublime. Ici, la mort se fait en plein
champ. On salue celui qui tombe par une salve ou par une marche qui
hurle: "En avant!" On ne pleure pas les morts, on les eleve aux nues
sur des ondes sonores qui relient le coeur de l'homme aux confins du
ciel.... Une civiere passe, on salue et on chante la gloire aux heros,
on fait des funerailles de soldat; il semble que celui qui vient
d'entrer dans le repos eternel vient d'illuminer le bataillon d'un rayon
de gloire de plus. Jamais une larme, jamais un sanglot, un cri immense
des canons qui crachent, des cuivres qui sonnent--Vive la France!--Quand
le silence se fait, la civiere a marque sa trace lumineuse dans un
sillon de tetes nues ou l'imagination a trace la route du devoir.
Hier, j'ai vu, ecoute et regarde six hommes a beret montagnard, qui
jouaient une banque endiablee, car ici l'argent compte a peu pres comme
les haricots que l'on joue en famille; pour placer les cartes, ils
avaient une planche ronde ou plutot ovale; un eclat d'obus gros comme
une noix tombe au milieu de la planche, creve une carte.... J'etais a un
metre d'eux, je suivais sur leurs visages non pas les emotions que le
jeu pouvait y mettre, car il y a longtemps que leurs muscles sont voues
a l'impassibilite, mais la trace des rires que les saillies, les lazzi
pouvaient entrainer, je les ai vus tous comme l'objectif le plus pur
pouvait les prendre et voici ce que j'ai vu: l'un d'eux, celui qui
distribuait les cartes, a pris la carte crevee, qui desormais allait se
reconnaitre, et a dit une seule parole: "Salauds!" Aucun des six hommes
n'a interrompu son jeu; l'un des cinq autres a dit: "Donne-moi une
carte". Et la partie a continue sans qu'une parole de fanfaronnade soit
ajoutee. J'ai regarde ces hommes et, moi que tu connais, j'ai rougi ...
j'ai rougi pour moi-meme qui venais de saluer l'obus avec un serrement
de coeur, j'ai rougi pour mon courage de jeunesse que j'ai un peu oublie
dans la quietude du foyer, j'ai rougi pour mes nerfs encore indomptes
et, une larme de rage au fond du coeur, j'ai fait le serment de forcer
ma carcasse humaine a faire arreter mon coeur plutot que de le sentir
battre pour autre chose que pour la cause que nous defendons. Ces hommes
sont au feu pour la plupart depuis un an et la mort ils ne s'en soucient
guere. C'est eux qui sont devenus des hommes malgre leur jeunesse et
c'est nous qui sommes des enfants; mais deja nous nous ressaisissons au
contact de tant de vaillance et la meilleure des preuves c'est que la
nuit, moi et mes compagnons, nous dormons du sommeil du juste et qu'avec
le temps, nos nerfs obeissent a nos cerveaux.
Quant a l'avenir, il est certain que l'Allemagne est vaincue, que le
soleil luit. Ceux qui en douteraient peuvent toujours prendre un
billet d'aller et retour pour le front. Ici, plus rien des doutes, des
torpeurs, des angoisses; rien que du soleil dans l'ame, meme dans la
brume; de la joie, meme dans le malheur, et des fetes sublimes, meme
dans la mort!...
_Lettre ecrite par l'Adjudant Paul OUDIN, 128e Regiment d'Infanterie,
tombe au champ d'honneur le 12 Mai 1916._
A vous, chers et bons parents, mes dernieres pensees.
Je ne puis trouver d'accents assez forts pour vous remercier des bons
soins dont vous m'avez entoure.
Je vous sais a l'abri du besoin et si je tombe ce sera ma consolation.
Mille fois merci et tendres baisers.
POLO.
_Lettre ecrite par le Sous-Lieutenant Laurent PATEU, 141e Regiment
d'infanterie, tombe au champ d'honneur, le 15 Juin 1915, a
Notre-Dame-de-Lorette._
Rouge-Croix (Pas-de-Calais).
4 Novembre 1914.
Ma Femme bien-aimee,
Mes Enfants cheris,
Si vous recevez cette lettre, je ne serai plus; mais je vous defends de
pleurer. A cette epoque ou les enfants de la France versent leur sang,
le mien n'est pas plus rouge que celui des autres. Vous supporterez
d'autant mieux votre douleur que vous vous direz avec une inexprimable
fierte que j'ai paye ma dette a la plus belle Patrie du monde et que je
suis mort pour elle. Levez la tete bien haut, on doit vous saluer bien
bas!
Tu m'as souvent recommande, ma femme adoree, d'avoir du courage. J'avais
le mien propre et celui que tu m'as donne. Je te les adresse tous deux
pour t'aider a supporter la douleur. Je t'ai toujours aimee, mon Angele
cherie, malgre mes quelques rares moments d'emportement, je ne t'ai
jamais oubliee et j'aspirais, mon Dieu! avec quelle ardeur, au bonheur
du retour. Je ne te laisse rien que mon souvenir et je partirai
tranquille car tu le garderas autant que la vie, je le sais. Nous nous
aimions trop. Raidis-toi, ma petite femme, je te laisse nos enfants et
c'est a eux que je m'adresse maintenant.
Mon petit Vonvon, tu as deja onze ans et demi, tu es une grande fille,
tu seras avant peu une petite femme. Tu te souviendras de moi mieux que
le pauvre Dudu. Tu me connais, tu sais ce qui me plait et ce qui me
deplait. Eh bien, dans tous les actes de ta vie, demande-toi bien avant
d'agir ce que penserait le perot s'il etait la.
Aide la merotte de toutes tes forces, aide-la dans tous les soins
du menage; tu sais ce que je te reprochais bien doucement parfois:
Corrige-toi, deviens une bonne petite femme de menage et surtout, oh!
surtout, mon petit Vonvon adoree, rappelle-toi combien je t'aimais et,
je t'en supplie, sois toujours honnete.
Et toi, mon petit Dudu, a tes deux ans et demi on perd vite le souvenir.
Tu parles encore de moi parce que la merotte et soeur t'en causent, mais
tu m'auras vite oublie. Pourtant, lorsque tu seras plus grand, tu
te rendras compte que tu avais un perot que tu appelais en ton doux
zezaiement pezot cheri, et qui t'aimait ainsi que ta soeur de toute
son ame. Apprends vite a lire pour dechiffrer toi-meme ce que j'ecris
aujourd'hui. Sois d'abord un petit garcon bien sage, puis un eleve
studieux, apprends, apprends encore, apprends toujours, tu n'en sauras
jamais assez. Sois aussi un jeune homme modele. Enfin et surtout, sois
un homme. Si tu es un jour appele a servir ta Patrie, embrasse les
tiens aussi ardemment que je vous ai embrasses et pars sans regarder en
arriere, en criant tout le long de la route: Vive la France!
Je m'arrete sans avoir dit tout ce dont mon coeur deborde, je vous aime
tous trois, je vous aime, je vous aime et je vous embrasse mille et
mille fois du fond du coeur qui ne bat plus vite au son de la mitraille,
mais qui palpite a votre souvenir.
Adieu, mes cheris, toutes mes tendresses sont pour vous et pour la
meilleure des meres que je n'oublie pas.
Vive la France!
Laurent PATEU.
_Lettre ecrite par PATOUILLART, tombe au champ d'honneur._
7 Septembre.
Enfin, je recois ce matin deux lettres de toi, une de Maurice dont je le
remercie, son style est meilleur, et recommandee, ce qui est inutile,
elles n'arrivent pas plus vite; ecris-moi sous enveloppe fermee, mais
non cachetee; tu peux me donner quelques nouvelles en gros; joins-moi
une ou deux enveloppes et une feuille de papier pour te repondre, ou
une feuille de journal, _La Liberte_, si tu veux, elle me parviendra
probablement, en tout cas, on pourra l'enlever sans arreter la lettre.
Si tu m'ecris sur une carte, prends une carte avec feuille pour la
reponse, mais sur une carte ne me parle pas du contenu des paquets afin
de ne pas faire de jaloux; _argent inutile_: ou les Allemands sont
passes, tout est saccage et les habitants sont nourris par nous.
Tes lettres _m'ont bien rassure_, je craignais que tu ne fus malade.
Merci des images. Je vais bien, a part de fortes coliques; envoie-moi
des nouvelles de tous, et du fils Tallon, de Levallois, si possible.
Envoie-moi, si possible, les medicaments demandes pour ma pharmacie de
poche. Mes amities a tous, oncle, etc., Hervaut, Henri, Deschamp, Rene,
Mme Masson, Tallon, etc. Bonne sante a toi et a Maurice, et tous ayez
confiance et courage et ne crois pas aux racontars, et ne te fais pas
de mauvais sang, je vais pour le mieux et le courage ne manque pas. Les
dernieres paroles de papa, le 7 Octobre, ont ete: "Mon fils, sois bon
soldat et fais ton devoir". Mon devoir, je l'ai toujours fait et le
ferai jusqu'au bout, quelque dur et penible qu'il soit parfois. Si papa
me voit, il sera heureux et fier de son fils, qui est pret a donner,
s'il le faut, son sang et sa vie pour la France. Si je reviens, tant
mieux, mais si je tombe, ce sera en faisant mon devoir et tu pourras
etre fiere de moi. Mais je suis plein d'espoir et espere toujours te
souhaiter la bonne annee de vive voix.
Mes baisers les plus tendres, et vive la France! Bons baisers a Maurice,
ecrivez-moi souvent.
PATOUILLART.
_Lettre ecrite par le Marechal des Logis Jean-Germain PATROUILLEAU, 15e
Dragons, tombe au champ d'honneur le 22 Juin 1915._
Mon cher pere,
J'ai recu hier trois lettres, la votre, d'Amelie et de Paul; je
comprends un peu votre anxiete. Ah! je voudrais comme vous que le
tyran Guillaume descendit rapidement au cercueil; en attendant, que
voulez-vous donc y faire!!! Vous ne pleurez plus, me dites-vous, c'est
bien; je n'ai plus de larmes non plus, mes yeux se mouillent seulement a
la vue de vos lettres et c'est tout; je les relis plusieurs fois et
suis plus courageux alors que jamais. La nuit, parfois, lorsque je suis
eveille, je batis des chateaux en Espagne, je me vois parmi vous tous,
en famille ou nous avons tant ri. Eh bien! courage, oui, vous rirez
encore, Dieu me protegera. S'il doit en etre autrement, le sort en est
jete maintenant, vivons dans l'esperance....
Que vous dire de plus, pas grand chose; nous sommes toujours au meme
endroit depuis un mois, nous allons aux avant-postes trois jours et
trois jours en arriere, nous tenons bon le Grand-Couronne ... qui a recu
des milliers et des milliers de marmites allemandes qui font plus de
peur que de mal; les cochons ont attaque furieusement pendant huit
jours; nous etions le bloc intangible, ils avaient pris un peu de
terrain, nous les avons deloges, ils ont fui en laissant quantites de
munitions, de vivres, etc.... Resterons-nous longtemps la, je ne crois
pas, il faudra sous peu, je pense, remettre les pieds en pays annexe,
esperons que nous irons rapidement. J'espere que vous allez revenir
a Jugazan, si toutefois vous n'y etes pas quand cette lettre vous
parviendra. Je serais bien heureux qu'Amelie reste le plus longtemps
possible chez elle; je suis bien sur qu'elle a du trouver les vendanges
longues quoique n'en ayant jamais parle. Vous ne semerez probablement
pas a la Clotte, vous n'avez donc pas besoin d'elle la-bas.
Encouragez-la a rester chez elle le plus longtemps possible; je
suis bien sur que vous lui ferez bien plaisir et a moi aussi; c'est
actuellement la chose seule qui me tracasse, elle n'ose rien dire, j'en
suis bien sur, mais elle serait bien heureuse, ses parents aussi; de
deux enfants ils n'en ont plus aucun; vous souffrez aussi, mais si le
sort veut que mon tombeau soit en Lorraine, vous avez quatre enfants,
il vous en restera quatre, au lieu d'avoir deux garcons et deux filles,
vous aurez trois filles et un garcon, vous aurez le meme nombre de
coeurs pour vous aimer et vous soigner, a ma mere et a vous dans vos
vieux jours; pensez donc a ceux qui sont aupres de vous, rendez-leur
autant que possible la vie douce; je ne crois pas un seul instant qu'il
en soit autrement; quant a moi, advienne que pourra, je suis la pour
une noble cause, je ferai mon devoir facilement, le votre est plus
difficile, je compte sur vous....
Bien des baisers a tous.
JEAN.
_P.-S._--Inutile de montrer cette lettre a Amelie.
_Lettre ecrite par Pierre PELERIN, 36e Regiment d'Infanterie, blesse
mortellement, a Neuville-Saint-Vaast, le 3 Juin 1915._
Abbeville, 5 Juin 1915.
Ma chere Tante,
Enfin! ca y est, j'ai paye mon tribut a la Patrie et je vais me reposer
un peu. Je suis blesse d'un eclat de grenade a l'epaule droite et j'ai
ete envoye a l'arriere.
Je t'ecris a toi directement pour que tu puisses prevenir maman et
surtout qu'elle ne se fasse pas trop de soucis.
Je vous embrasse tous, tous, tous, de tout coeur, comme je vous aime.
PIERRE.
_Dernieres lettres ecrites par le Soldat Louis-Joseph PENEL, du 174e
Regiment d'Infanterie, 3e Bataillon, decede a l'ambulance 9/21._
_Ces deux lettres furent ecrites le meme soir et envoyees a la famille,
sur le desir du mourant, a vingt-quatre heures d'intervalle._
10 Septembre 1918.
Ma chere Caroline,
Vous avez du etre bien etonnes en recevant la lettre que j'ai envoyee il
y a trois jours a Antoinette. Je parlais de la vue; pour le moment, il
n'en est plus question. Les gaz m'ont pris a la poitrine et, comme tu
sais que j'ai toujours ete faible, ils ont pris le dessus; ce sera long
a guerir.
Ne vous faites tout de meme pas trop de mauvais sang a mon sujet; si la
maladie prend une autre tournure, je vous en aviserai aussitot.
J'ai le plaisir de t'annoncer qu'en recompense a ma conduite, on
m'accorde la medaille militaire.
Septembre 1918.
Ma chere Caroline,
Les choses se sont passees comme c'etait prevu: ma maladie a eu le
dessus.
Je meurs! que cela soit votre consolation a tous: j'ai toujours vecu en
bon Francais et en bon chretien.
Embrasse bien tout le monde de la famille.
_Lettre ecrite par le Sergent PESSIN, Robert-Charles-Louis, 313e
Regiment d'Infanterie, tombe au champ d'honneur, a Rarecourt (Meuse), le
5 Juillet 1916._
Argonne, le 29 Novembre 1915.
Mon cher petit Fernand,
Je profite que j'ai un peu de temps a moi aujourd'hui pour t'adresser
ces quelques lignes. Ce sera d'abord pour te feliciter pour les beaux
progres que j'ai remarques dans ta derniere lettre. Elle m'a fait bien
plaisir sous tous les rapports. Continue de bien apprendre, fais ton
devoir a l'ecole comme nous faisons le notre ici, apprends a bien
connaitre ton beau pays que nous defendons et souviens-toi toujours de
tous ces grands freres et tous ces papas qui sont dans les tranchees,
empechant la race maudite de penetrer plus avant. J'espere recevoir
bientot une belle lettre de mon amour de petit Fernand, sur laquelle je
souhaite remarquer encore de beaux progres.
Mille baisers du grand a son petit nini, nounou.
ROBERT.
_Lettre ecrite par le General PLESSIER, commandant la 88e Brigade
d'Infanterie, blesse mortellement, en Alsace, le 19 Aout 1914._
17 Aout 1914.
...Quoi qu'il en soit, nous voila en guerre, et quelle guerre! on n'en
aura jamais vu de semblable.
Puissions-nous etre victorieux! Pour obtenir ce resultat, je sacrifierai
tout ce que j'ai de plus cher. Je ne parle pas de ma vie qui, a l'age
que j'ai, n'est pas du tout precieuse. J'espere que tous nous allons
nous battre avec un acharnement inoui.
J'ai hate de partir d'ici. C'est l'affaire de quelques jours, et je ne
suis plus inquiet maintenant; je serai bel et bien de la partie. Elle
sera interessante. Les debuts sont bons, mais tout dependra de la grande
bataille. Je crois que la guerre sera longue.
PLESSIER.
_Lettre ecrite par Marcelin PORTEIX, tombe au champ d'honneur, a Lankhof
(Belgique), le 24 Decembre 1914._
Bien chers Parents,
La lettre que je vous ecris est une lettre d'adieu et lorsqu'elle vous
parviendra je serai probablement tombe sous les balles de l'ennemi.
Mais, qu'importe, ne pleurez pas trop, ma mort sera bien peu de chose si
elle peut contribuer a la victoire de mon pays. Mon seul regret aura ete
de mourir sans avoir pu jouir du beau spectacle de son triomphe.
Naturellement, ayant deja perdu mon pauvre frere, ce sera pour vous et
toute la famille une grande douleur; vous acheterez une petite couronne
ou un rameau de laurier que vous mettrez sur la tombe de mon frere et
vous lui direz un dernier adieu pour moi.
Embrassez bien mes soeurs et freres et beaux-freres s'ils reviennent
sains et saufs. Dites-leur que si ma vie a ete courte, mon role aura ete
suffisamment rempli, car j'aurai disparu au champ d'honneur sous les
plis du drapeau, en faisant mon devoir de Francais.
Chers parents, j'ecris cette lettre avant de partir au feu, car
probablement demain nous arriverons sur le champ de bataille. Et, avant
d'y aller, j'ai voulu vous faire mes adieux; pour le moment, je suis
en parfaite sante et desire qu'il en soit de meme pour vous tous; vous
donnerez le bonjour a Monsieur Jacques et vous lui ferez voir ma lettre.
Je termine ma lettre en vous embrassant bien tous.
MARCELIN.
_Lettre ecrite par Etienne POTIER, tombe glorieusement dans les bois de
l'Argonne, le 1er Octobre 1914._
1er Aout 1914.
Cher Papa,
Comme vos autres fils, je pars a coup sur pour me battre; je sais que
vous pouvez compter qu'a l'exemple des vertus que vous nous avez appris
a pratiquer, nous saurons les pratiquer a notre tour.
Merci mille fois de nous avoir eleves dans le sentiment du devoir. Je
dois vous le dire en cette heure solennelle, tout ce que je suis, c'est
a vous que je le dois, apres Dieu, que vous nous avez appris en toutes
circonstances a voir presider au destin des peuples et des familles.
Qu'il protege la France! Qu'il protege les miens! Qu'il me protege! Je
pars confiant dans l'avenir. J'ai mis ordre a mes affaires....
Embrassez bien mes freres pour moi et tous nos parents et que tous nous
priions fervemment pour ceux que Dieu rappellera a lui ou seront blesses
dans cette effroyable tuerie qui se prepare.
Si je disparais, je sais que vous entourerez toujours Marguerite de vos
conseils si sages, surtout en ce qui regardera l'education de mon fils.
Je lui demande de vous ecouter comme elle m'aurait ecoute.
Donnez-moi votre benediction....
E. POTIER.
_Lettre ecrite par le Sous-Lieutenant grenadier Louis QUITTET, 158e
Regiment d'Infanterie, tombe au champ d'honneur, le 4 Septembre 1916, au
combat de Sajecourt._
Soyez forts, mes chers parents, et, si je dois tomber, vous aurez au
moins la consolation de penser que j'aurai fait mon devoir jusqu'au
bout. Il ne faudra pas pleurer, on ne pleure pas celui qui meurt pour sa
Patrie.
_Lettre ecrite par Charles RAVINET, 119e Regiment d'Infanterie, tombe au
champ d'honneur, le 24 Juin, a Ablain-Saint-Nazaire._
_Ils etaient quatre freres au front. Le frere aine, Marcel, fut tue vers
le 10 Juin. C'est en apprenant cette nouvelle que Charles ecrivit cette
lettre; deux jours apres, il etait tue a son tour._
22 Juin
Mes pauvres Parents,
Hier, dans la tranchee, on m'a apporte la lettre de papa m'apportant
la terrible nouvelle. C'est bien triste de penser qu'il est parti pour
toujours, mais c'est bien beau de songer qu'il est mort pour la Patrie,
a son poste. C'est une belle mort pour un Francais comme lui qui etait
soldat dans le fond de l'ame.
Dieu m'appellera peut-etre aussi a lui comme Marcel, que sa volonte soit
faite, je suis pret a paraitre devant lui. Depuis que nous sommes ici,
nous cotoyons la mort: les cadavres encombrent les boyaux, les anciennes
tranchees boches retournees par notre artillerie d'ou s'exhale une
odeur de cadavres en decomposition, les blesses ralent dans la plaine,
demandant a boire ou appelant a leur secours leur mere ou leur femme, le
tout couvert par les obus qui eclatent de tous cotes et les balles qui
sifflent a nos oreilles: voila le spectacle qui s'ouvre a nos yeux.
Quelle est ma destinee? je n'en sais rien, mais je jure, si Dieu me
prete vie, de venger Marcel, apres quoi qu'il fasse de moi ce qu'il
voudra, si je dois y rester je mourrai content de l'avoir venge. S'il
m'arrivait malheur (il faut tout prevoir), ne me plaignez pas, car Dieu,
dans sa misericorde, nous reunira tous dans un lieu ou ces cruelles
separations ne se produiront plus.
Bon courage, mes chers parents, priez pour lui, pour moi pendant les
heures terribles que je vis par ici.
Recevez de votre fils qui vous aime de tout son coeur beaucoup de bons
baisers.
Charles RAVINET.
_Lettre ecrite par le Caporal Robert RICAUX, 87e Regiment d'Infanterie,
blesse mortellement le 8 Septembre 1914._
Septembre 1914.
Chere Mere,
Lorsque tu recevras cette lettre, je ne serai plus sur la terre, ce sera
pour toi une emotion fort grande, mais, je t'en supplie, console-toi,
dis-toi que j'ai fait mon devoir jusqu'au bout et que je suis reste un
bon soldat.
Moi parti, il te reste papa; si nous sommes perdus tous les deux, tu
dois vivre pour les autres et rendre aux malheureux ce que tu aurais pu
faire pour nous.
Je suis convaincu que papa et toi avez fait votre devoir. Puisque
mon corps ne te parviendra pas, va prier pour moi sur la tombe de
grand'mere, ta voix montera vers moi.
L'on te fera parvenir, sans doute, en meme temps que ma lettre, un petit
carnet ou est enregistree l'histoire de la campagne, conserve-le en
souvenir de moi et montre a tes amis les endroits par ou j'ai passe.
Je tiendrais que tu ailles remercier l'amie Madame Medard, religieuse
laicisee de l'Institut Saint-Jean de Saint-Quentin, pour la medaille et
l'encouragement qu'elle m'a donnes avant mon depart, ainsi que le pretre
qui s'est interesse a moi.
Crois bien une chose, c'est que je suis mort en bon chretien, non muni
de l'absolution peut-etre, mais n'ayant jamais oublie la priere du soir
et pensant toujours a toi et a papa.
Je te dis un dernier adieu en t'embrassant bien fort ainsi que ceux qui
restent.
Ton fils qui a toujours pense a toi et a papa,
ROBERT.
_Lettre ecrite par Louis ROBBE, 217e Regiment d'Infanterie, tombe au
champ d'honneur, le 30 Mai 1918, a Terdeghem, pres Cassel._
Aux armees, le 12 Aout 1917.
Bien chers Parents,
Si vous recevez cette lettre, c'est que je ne serai plus de ce monde.
Oh! mes chers parents, croyez que je serai par la grace de Dieu aupres
de lui, et je vous supplie de ne pas pleurer sur moi, car, n'etant sur
cette terre que pour gagner le ciel, qu'importe-t-il que ce soit tot ou
tard, et quelle belle occasion de passer dans l'eternite en combattant
pour la France, qui a certainement commis bien des fautes, mais qui est
malgre tout le royaume de la Sainte Vierge; quoi de plus beau que de
mourir pour elle qui sert quand meme la juste cause?
Je fais ici le sacrifice de ma vie au bon Dieu pour la France, si c'est
sa volonte, et je pars avec le desir de faire tout mon devoir sans
exposer ma vie inutilement, bien entendu, mais de servir entierement
mon pays et aussi je pars reconforte a la pensee que je vous defends
vous-memes, mes chers parents.
Je vous demande bien pardon des peines que j'ai pu vous faire, et je
vous remercie de tout mon coeur de ce que vous m'avez eleve dans notre
religion et je demande au bon Dieu de vous benir pour cela.
Je n'oublierai pas non plus de remercier de tout mon coeur Monsieur
l'Abbe Perret, qui m'a instruit de ma religion et qui m'a fait tant de
bien; Monsieur l'Abbe Amiot, qui a ete pour moi un bon pasteur et qui
a si bien continue l'oeuvre de l'Abbe Perret; mes oncles et tantes des
Faittes, qui depuis mon plus jeune age ont ete pour moi des seconds
peres et meres, et en general tous mes autres parents et amis qui m'ont
fait du bien sur la terre; je me recommande aux prieres de tous: j'en
aurai tant besoin pour paraitre devant le souverain juge.
Enfin, je termine, mes bien chers parents, en vous disant de croire que
ma derniere pensee apres Dieu sera pour vous crier un grand au revoir
dans l'Eternite.
Votre LOUIS.
_Lettre ecrite par le Sous-Lieutenant Louis ROBIN, 76e Regiment
d'Infanterie, blesse mortellement le 25 Septembre 1915._
Chere Soeurette,
Je t'ecris a toi, car je te sais assez courageuse pour preparer papa et
maman au cas ou je resterais dans la fournaise. Si, dans une dizaine
de jours, tu n'as rien recu de moi, tu pourras dire adieu a ton grand
frerot. Comme tu as du t'en rendre compte, c'est le grand coup que l'on
donne aux Boches et ce sera probablement la plus grande bataille des
temps modernes sur un front de 800 kilometres.
Que m'est-il reserve? Mystere. Le 76 deg. est appele a penetrer un des
premiers dans les pays envahis par les Boches. Tout le monde ici est
plein d'espoir, ainsi que moi d'ailleurs, et je te recommande mes vieux
parents, ma chere femme et surtout ton petit neveu.
Je termine en t'embrassant.
Ton frere,
LOUIS.
_Lettre ecrite par Pierre SAGOT, Sous-Lieutenant au 22e Bataillon de
Chasseurs Alpins, mort glorieusement pour la France, le 3 Septembre
1914, en conduisant sa section a l'assaut de la Tete de Behouille
(Vosges)._
J'ecris ce petit mot aujourd'hui 2 Septembre, ne connaissant pas le sort
que Dieu me destine.
Quand vous recevrez cette lettre, bien chers parents, j'aurai donne ma
vie pour la Patrie, je serai mort en pensant a vous, apres avoir fait
ma priere si Dieu m'en donne le temps! Vivez heureux malgre cette dure
epreuve, reportez votre affection sur votre petit Roger. Dites a tous de
bien aimer leur Patrie pour recompenser ceux qui sont morts pour elle.
Dites a tous de vivre en chretien, car on a besoin de Dieu au moment de
mourir.
Adieu, bien chers parents, je vous benis tous.
Votre PIERRE.
_Lettre ecrite par Marcel SARCIRON, blesse mortellement, le 6 Septembre
1914, a la bataille de la Marne._
Ma chere Maman,
A la hate, car le temps presse, une derniere lettre. Malheureusement,
les pourparlers dont je t'avais deja cause ne sont que trop vrais: avant
la fin de cette semaine, il y aura deja de mes camarades qui seront
blesses ou morts, peut-etre serai-je de ceux-la. En tout cas, il faut
que je te dise qu'avant d'aller a la mort, j'ai rempli mes devoirs de
chretien. Monsieur le Cure de Gaillon est venu et j'ai ete me confesser;
nous etions nombreux, plus que je ne l'aurais cru; il m'a remis une
medaille que je garde. Si tu voyais la figure des soldats, tous sont
pales et muets.
A l'heure actuelle ou je t'ecris, on nous informe que nous allons aller
demain a Maubeuge; tu regarderas sur la carte et tu verras que c'est
tout pres de la frontiere; enfin, je pourrai mourir content, car, bien
que nous soyons tous sacrifies, j'aurai fait mon devoir jusqu'au bout,
car je pars fier de servir ma Patrie, pour te defendre, et tu pourras
dire que ton fils aura accompli sans defaillance la tache qu'on lui
imposait, et au dernier moment, je te reverrai, ma petite mere cherie,
et mon cher papa qui a ete pour moi un grand ami. Je vous embrasse de
tout coeur en criant: "Vive la France!"
Votre fils qui vous aime et qui pense toujours a vous.
Marcel SARCIRON.
_P.-S._--Ce matin, les habitants de Gaillon nous ont accompagnes a la
gare, nous ont donne du pain, du tabac; tous pleuraient.
Encore un dernier souvenir a vous deux et je meurs en pensant a vous!
Adieu, mon papa cheri, adieu, ma maman adoree! Je vous embrasse comme je
vous ai toujours aimes.
MARCEL.
_Lettre ecrite par le Sous-Lieutenant Louis SAUVRY, tombe au champ
d'honneur, le 9 Aout 1918 a la prise de Montdidier, a son fils aine,
Aspirant au 61e d'artillerie, sur le front._
Mon bien cher Fils,
Nous voici a la veille de prendre part d'une maniere personnelle et
agissante a la lutte et a notre offensive generale.
Sans trahir aucun secret, nous allons pousser a notre tour par un
mouvement sur notre droite en traversant la voie ferree a trois
kilometres environ de la ville de X... (Montdidier), dans un endroit qui
possede des marecages malencontreux. Mais ce qui se passe a notre droite
et a notre gauche nous deblayera certainement beaucoup le terrain.
Il y a, bien entendu, des pieces de tous les calibres et il en arrive
encore cette nuit. Nous avons eu une nuit bruyante, le tapage s'est
continue toute la journee et des deux cotes cela a ete un grand concert,
toute la lyre.
Mon bien cher Alfred, tu n'as pas oublie ce que je t'ecrivais l'an
dernier dans une semblable circonstance, tu es mieux place encore
pour apprecier mes sentiments. Si la mort me frappait sur le champ de
bataille, tu pourras te dire que je l'ai trouvee, que je suis venu la
chercher de loin, pour accomplir ce qui m'a paru un devoir, et que
j'ai considere, a tort peut-etre, mais en toute conscience, que je
travaillais pour notre honneur, inspire par mon amour pour vous.
Au demeurant, la confiance la plus entiere m'anime que Dieu veillera sur
mes jours comme il veille sur les tiens et je me place entierement sous
sa supreme volonte.
Ne t'etonne pas surtout si tu ne recois pas de lettres de moi, cela
prouvera simplement que les correspondances ne marchent pas, mes
dispositions etant prises a toutes eventualites.
Au revoir, mon bien cher Alfred, je t'embrasse avec tout mon coeur.
Ton pere qui t'aime,
Louis SAUVRY.
_Lettre ecrite par Charles SAVEL, Marechal des Logis au 11e Chasseurs, a
Vesoul, mort au champ d'honneur._
Chers Parents,
Si vous recevez cette lettre, c'est que mon reve se sera realise, je
serai mort pour la Patrie, j'aurai donne mon sang pour la France. Je
vous demande de ne verser sur mon cercueil que des larmes de joie;
faites en vos coeurs le sacrifice de votre enfant et exaucez ma priere.
Je pars avec la volonte ferme de me battre a outrance toutes les fois
que j'en aurai l'occasion; rassurez-vous, je ne m'acharnerai pas sur
un ennemi desarme ou sur un vieillard, non. Mais je veux montrer aux
Allemands que les jeunes Francais sont plus patriotes qu'ils ne le
croient. J'ai fait, pour ma part, depuis longtemps, le sacrifice que
je vous demande de faire, encore une fois, exaucez cet ultime voeu. Je
meurs pour Dieu, pour ma Patrie et pour vous et cela ne fait qu'un tout
indissoluble. Parents cheris, je vous presse une derniere fois sur mon
coeur.
Votre CHARLES.
_Lettre ecrite par Albert-Charles TAUZIN, 12e Cuirassiers a pied, blesse
mortellement devant La Pompelle le 19 Decembre 1917, decede sept jours
apres a l'ambulance du front, Chateau Pommery, a Chigny-les-Roses
(Marne)._
Le 25 Decembre 1917.
Mon petit Papa cheri,
Ma bonne petite Maman cherie,
Je ne vous verrai plus, mais je veux que vous sachiez, encore une
derniere fois, que vous etiez ce que j'ai de plus cher au monde et que
je vous ai aimes jusqu'a la derniere minute.
Albert TAUZIN.
_Lettre ecrite par le Sergent Charles TEMPLIER, 331e Regiment
d'Infanterie, tombe au champ d'honneur, le 16 Septembre 1916, a
Bouchavesne._
Jeudi 14 Septembre 1916.
Mon cher Georges,
Deux mots seulement pour te dire que cette fois j'ai vu la bataille, ou
du moins nous y sommes depuis hier.
Je ne veux pas m'en plaindre, loin de la. J'y suis, je ferai mon
possible pour faire pour le mieux, mais sois certain que ton frere fera
son devoir sans trembler, en pensant a vous tous.
Helas! je ne puis et ne veux te parler de la guerre que je ne
connaissais en rien depuis deux ans et cependant dans sa beaute (car
ce qu'elle represente dans un rayon tres etendu est beau), mais aussi
quelle horreur dans son detail, que de tristes choses que l'on voit....
Enfin, les operations vont assez bien et esperons que bientot ce sera
fini et j'espere aussi qu'il me sera encore permis de retourner vous
dire ce que j'aurai vu.
Voila deja qu'il ne fait pas chaud.
Embrasse bien tout ton monde pour moi et recois de ton frere un bien bon
baiser.
CHARLES.
_Lettre ecrite par le Caporal Jean TISSIER, 81e Regiment d'Infanterie,
tombe au champ d'honneur._
Chere petite Mere,
Bien recu ta longue lettre du 18, et tu penses si je suis heureux avec
une lettre pareille!
Je te remercie pour ton colis que j'ai bien recu. Tu parles d'une
surprise! je le recois hier au soir a la soupe, avant ta lettre, donc.
Que peut-il bien contenir? Je l'ouvre. Ciel, que vois-je! Un pate de
chez Bourbonneux.... Une demi-heure apres, il etait mort et enterre avec
les honneurs militaires ... ce qu'il etait bon! Et l'arrosage, donc!
Petite mere, ce que tu me gates! Je vois que tu es bien occupee avec tes
poilus! que de travail! et combien je suis heureux de voir, malgre tout
le travail qui t'est impose par la maison de commerce, tout le mal que
tu te donnes pour nous gater, et heureux surtout que tu te portes bien.
Ce qu'il en a de la veine, papa! Deja ete deux fois en perm a Paris, et
tu vas aller le voir. Tu es avec lui en ce moment! Je suis positivement
jaloux.... Oui, mais je me rattraperai quand ca sera fini.
Petite mere, tu te fais une trop belle idee de moi; de mon insouciance
et de ma gaiete, je n'ai pas de merite. N'ai-je pas tout ce qu'il faut
pour etre aussi heureux que possible? Tu me gates comme je ne pensais
pas qu'il fut possible d'etre gate; je suis jeune, je n'ai pas de soucis
pour plus tard, et n'ai rien a craindre, ou presque, pour ceux que
j'aime.... Au contraire, je vois autour de moi des poilus des pays
envahis, qui n'ont plus rien sur terre; leur pays est ruine, leurs
parents sont prisonniers, ils sont sans nouvelles; quelquefois, leurs
femmes, leurs enfants sont aux mains des Boches. Que trouveront-ils la
guerre finie? Leur maison saccagee, pillee, peut-etre en ruines; leurs
parents, leurs femmes, leurs enfants, que seront-ils?... Voila ceux qui
ont du merite a etre gais, a avoir un bon moral!
J'ai recu tous tes colis, chere maman, il n'en manque pas a l'appel. Le
beurre que je recois maintenant est delicieux.
J'espere que tu as recu les pellicules. Ici, il continue a faire un
temps epouvantable; je me souviendrai des huit jours que nous venons de
passer, c'est du joli. Heureusement que je suis costaud! Je n'ai
plus que deux hommes a mon escouade, le reste est evacue: angines,
bronchites, courbatures febriles, etc.
Chere mere, je te quitte en t'embrassant tres tendrement.
JEAN.
_Lettre ecrite par le Sous-Officier TOUSSAINT, 117e Regiment
d'Infanterie, tombe au champ d'honneur le 22 Juillet 1916._
17 Juillet 1916.
Cher Monsieur Croland,
Ces lignes pour vous exprimer toute ma reconnaissance, toute ma
gratitude, tout ce que je ressens de bons sentiments pour la constante
bienveillance dont vous avez fait preuve envers moi toujours, en
tout temps. Cher Monsieur Croland, je vais peut-etre casser ma pipe,
peut-etre cette lettre est la derniere que vous recevrez de moi, car
demain nous partons a V..., apres un repos d'une huitaine. Le regiment
a la mission de reprendre l'ouvrage de Th..., gagne et perdu plusieurs
fois. C'est vous dire qu'il va faire chaud. Je ne me dissimule pas
qu'il y a bien 90 chances sur 100 de n'en pas revenir, car on cite des
bataillons qui furent entierement decimes. Mais, quoi qu'il arrive,
soyez persuade, Monsieur Croland, que Toussaint cassera sa pipe tres
proprement. Tout ce que je souhaite est de ne pas etre amoche avant
d'avoir fait entrer Rosalie en danse. Le resine, ca me connait, vu que
je suis boucher.
Je vous prie, Monsieur Croland, de dire a Monsieur Dauphin que je serai
parti avec les bons souvenirs de satisfaction dus a sa grande amabilite
et a la profonde amitie de son fils. Non pas adieu, mais au revoir.
TOUSSAINT.
_Lettre ecrite par le Sous-Lieutenant Gustave VEUILLET, 23e Regiment
d'Infanterie, tombe au champ d'honneur, le 26 Aout 1916, a Curlu
(Somme)._
Ma chere Maman,
Lorsque tu liras ces lignes, je me serai, comme tant d'autres, acquitte
envers le pays de la dette sacree; et ce n'est certes que payer un juste
prix l'honneur d'avoir porte le nom de Francais en ces heures sublimes,
en renoncant a certains reves d'avenir. Depuis longtemps, j'avais fait
le sacrifice de ma vie a la noble cause, la plus belle entre toutes,
celle pour laquelle nous avons su souffrir, lutter et mourir.
Elle en vaut la peine. Que cette nouvelle te trouve forte et fiere
d'avoir donne un fils a la Patrie, c'est la mon dernier voeu. Le coeur
des meres est, je sais, bien sensible a de pareils coups, mais je sais
aussi que le coeur d'une Francaise les supporte vaillamment, et tu etais
la maman d'un bon Francais.
Comme j'ai sacrifie ma vie sur l'autel de la Patrie, offre ton heroique
douleur a notre chere France et nous aurons tous deux bien merite du
pays. Songe que la mort est notre lot fatal et qu'il faut la benir
lorsqu'elle concourt a un tel but. Sois assuree que je l'ai affrontee
sans crainte, mon seul souci etant de faire dignement mon devoir. Et je
meurs sans remords, ma tache consciencieusement accomplie, avec la joie
sereine de songer que mon souvenir survivra parmi celui des braves
tombes au champ d'honneur pour que l'humanite fut faite de plus de
justice. Je ne regrette rien de la vie, car j'ai vecu des heures uniques
et sublimes, exemptes de tout calcul et d'egoisme, et je ferme les yeux
sur une vision presque trop belle pour etre humaine.
J'ai vu tomber a mes cotes en un effroyable pele-mele, mais d'un geste
heroique, des heureux de la vie et des pauvres diables, de puissants
cerveaux et de rudes primitifs, qui, apres avoir souffert de longs mois,
fait abstraction de tout, sacrifie fortune, plaisir, famille, ont donne
leur vie pour un ideal d'amour, de justice et de liberte.
Si tu savais comme de tels exemples aident a mourir! J'emporte dans la
tombe le radieux espoir d'une France grande, forte et respectee, avec la
pensee que j'aurai modestement contribue a l'oeuvre de renovation; ma
derniere pensee s'envole vers toi, chere petite maman, et aupres d'Henri
que j'ai beaucoup aime, dans la communion de pensee ou nous reunissait
l'amour profond de notre belle France.
Ne pleurez pas ma mort, ce serait faire injure a ma memoire; placez mon
portrait en tenue a la place d'honneur du salon et ne l'encadrez pas
de crepe, car je veux etre uniquement un souvenir de gloire et non de
deuil. Ceux qui sont tombes en soldat ont droit que l'on ne pleure pas
leur trepas puisqu'ils l'ont librement consenti et juge utile.
Adieu et vivez pour transmettre mon exemple a ceux qui auront la gloire
d'achever la tache.
GUSTAVE.
_Lettre ecrite par Louis-Don-Joseph VINCENTELLI, 158e Regiment
d'Infanterie, tombe au champ d'honneur, le 9 Juillet 1917, a Souchez._
8 Juillet.
Chers Parents,
J'ai recu votre lettre datee du 13 Juin et suis tres heureux de vous
savoir en bonne sante. Nous etions au repos pour un mois, mais un ordre
vient d'arriver et nous partons dans deux heures pour Lorette. _Ca doit
chauffer_, mais mon courage n'a pas diminue. Je suis tres content de
savoir que vous vous soumettez a la volonte de Dieu. Oui, chers parents,
je ne vous demande que cela. Meme si un jour vous appreniez ma mort, eh
bien! ayez la consolation de savoir que votre fils aura fait tout son
devoir.
J'ai prevenu un de mes camarades de combat de vous envoyer la photo
si je venais a tomber: il s'appelle Velin, Marius, de Saint-Saveurnin
(B.-du-R.).
Un Marseillais a recu une lettre de Marseille dans laquelle on lui dit
que les Marseillais en ont assez. J'ai ete peine d'apprendre cela. Quant
a vous, je suis persuade que vous aurez toujours bon courage.
Voyez, chers parents, je ne vous cacherai rien. Au Valdabon,
j'etais toujours malade, depuis le debut jusqu'a ce que je rentre a
l'infirmerie, j'ai souffert des intestins; les premiers jours, a la
visite, on m'a reconnu et apres le major ne m'a plus reconnu; depuis ce
jour, j'ai toujours marche.
Dieu sait toutes les fatigues que j'ai supportees et pourtant, grace a
lui, jamais je ne me suis decourage, non, jamais, car je priais.
Il n'y a que le jour ou, arrive au maximum de mes forces, on m'a
rapporte a moitie mort a l'infirmerie. Mais Dieu m'a reconforte, car
ma maladie a disparu et je suis frais et dispos, aussi j'emploierai ma
sante au service de la France.
Que Michel n'oublie pas son devoir de chretien: je lui demanderai de
faire une sainte communion pour moi.
Ce soir, j'irai a l'eglise voir si l'on me fera la faveur de communier
avant de partir pour les tranchees.
J'espere recevoir l'argent demain ou apres-demain. Heureusement, il me
reste encore 3 francs pour m'acheter quelques provisions pour le voyage:
nous avons 40 kilometres a faire en automobile.
"Le caporal me remet a l'instant 200 pruneaux pour aller faire des
cartons a la foire."
Ici, il fait chaud. Donc, chers parents, bon courage, trouvez la
consolation dans la priere.
Je vous embrasse de tout mon coeur.
LOUIS.
Chere Maman,
Je veux ajouter quelques mots pour toi afin de t'apporter un peu de
courage. Je ne te cacherai pas que nous partons dans un vrai enfer.
Dieu m'a choisi pour vous representer au combat, et c'est tout joyeux
que j'accepte. Il est vrai que c'est dur, qu'a chaque minute, a chaque
seconde, la mort vous guette, mais malgre tout je ferai mon devoir et,
s'il le faut, je donnerai ma vie.
Je t'embrasse de tout mon coeur.
Au revoir. Vive la France!
_Lettre ecrite par le Sous-Lieutenant Pierre VIOLET, 6e Tirailleurs,
mort au champ d'honneur le 26 Octobre 1918._
30 Mars 1918.
Je n'ai, a mon age, pas connu grand'chose de la vie. La France et son
ideal de liberte fut et demeure mon grand amour, et je serai fier de me
devouer pour elle.
Si, comme tant d'autres, je dois succomber dans la lutte ardente, je ne
demande a Dieu qu'une chose: me laisser vivre assez longtemps pour
voir les Boches en deroute et je mourrai content, comme un soldat doit
mourir: face a l'ennemi.
Pierre VIOLET.
_Lettre ecrite par le Sous-Lieutenant Pierre-Eugene VUITTON, 101e
Regiment d'Infanterie, tombe au champ d'honneur le 28 Septembre 1917._
19 Juin 1915.
Mon cher Pere,
Oui, evidemment, je sais que je fais mon devoir, mais je me demande si
je ne pourrais pas le faire mieux. Je sais qu'en ce moment on manque
d'officiers d'infanterie; je crois donc que je pourrais etre beaucoup
plus utile dans cette arme qu'ici, surtout si je reussis a etre
sous-lieutenant. Cette guerre dure si longtemps et affecte le moral de
si nombreuses personnes (aussi bien civiles que militaires) que j'estime
que ceux qui en sont capables doivent faire plus que leur devoir et je
vous sais assez patriotes pour etre sur que vous pensez comme moi. Mais,
naturellement, je ne ferai rien avant d'avoir votre avis.
PIERRE.
_Lettre ecrite par le Sous-Lieutenant Rodolphe WURTZ, 405e Regiment
d'Infanterie, tombe au champ d'honneur en Champagne._
Ma chere petite Maman,
J'espere que tu ne recevras jamais cette lettre, car si elle te parvient
un jour, c'est que je serai alle retrouver papa et mon cher petit frere.
Cette idee de mort ne m'epouvante pas le moins du monde. Si je tombe,
ce sera pour la France, en faisant mon devoir, comme autant d'hommes le
font en ce moment.
Il n'y a que toi qui m'inquiete, et je me dis: "Que deviendr [illisible]
a pauvre maman?" Si je viens a mourir, voila ce que tu feras. D'abord,
tu auras et conserveras beaucoup de calme, tu garderas ton sang-froid
et tu ne t'en iras pas par les rues en criant ton desespoir; ta douleur
sera calme et digne.
Puis tu iras a Luche-Thouarsais, sur la tombe de papa, et tu lui diras
que ses deux fils sont morts en faisant leur devoir et que son gendre en
a fait autant.
Mon pere sera content de savoir que son grand Rodolphe et son petit
Emile sont tombes au champ d'honneur.
Tu lui diras aussi que Rodolphe est tombe avec l'epaulette, face a
l'ennemi et en tete de ses hommes. Il sera heureux, notre pauvre pere,
et toi aussi, chere maman, tu auras la satisfaction d'avoir donne le
jour a des gens de bien, quoique certains en aient doute.
Tu retourneras a ton travail a la gare de Chef-Boutonne, et tu
continueras jusqu'au jour ou tu jugeras etre assez fatiguee et avoir
assez travaille pour te reposer.
Tu retourneras dans ton pays, en Alsace redevenue francaise, et tu
te diras si tu es a Thann ou a Strasbourg, c'est que tes fils auront
contribue a rendre a la France nos cheres provinces.
Que cette pensee te soit douce au coeur. Elle sera une consolation dans
ta vieillesse. Je te veux et te desire toujours bon courage et de la
confiance. Le sacrifice bien accepte, la joie dans la resignation font
les forts. Tu chasseras bien loin de toi toute colere contre qui que
ce soit; tu ne seras point jalouse des meres qui auront conserve leurs
enfants. S'il t'arrive parfois de pousser des soupirs en voyant les
camarades de mon frere ou les miens, songe que tes fils ne souffrent
plus et que leur mort glorieuse vaut bien la miserable existence de ceux
qui restent.
C'est bien promis, n'est-ce pas? si je ne reviens pas, tu diras que les
dernieres pensees de ton grand fils ont ete vers toi et vers ma soeur
Blanche et que du paradis des braves je vous protegerai toutes les deux.
Bons baisers, donc, et du courage et de la force de coeur, dans la vie
comme dans la mort.
Rudolphe WURTZ.
End of the Project Gutenberg EBook of La derniere lettre ecrite par des
soldats francais tombes au champ d'honneur 1914-1918, by L'Union
des Peres et des Meres dont les fils sont morts pour la Patrie
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The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements. We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance. To
SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
particular state visit http://pglaf.org
While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.
International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
ways including including checks, online payments and credit card
donations. To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
works.
Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
concept of a library of electronic works that could be freely shared
with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
Each eBook is in a subdirectory of the same number as the eBook's
eBook number, often in several formats including plain vanilla ASCII,
compressed (zipped), HTML and others.
Corrected EDITIONS of our eBooks replace the old file and take over
the old filename and etext number. The replaced older file is renamed.
VERSIONS based on separate sources are treated as new eBooks receiving
new filenames and etext numbers.
Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
http://www.gutenberg.net
This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
EBooks posted prior to November 2003, with eBook numbers BELOW #10000,
are filed in directories based on their release date. If you want to
download any of these eBooks directly, rather than using the regular
search system you may utilize the following addresses and just
download by the etext year.
http://www.gutenberg.net/etext06
(Or /etext 05, 04, 03, 02, 01, 00, 99,
98, 97, 96, 95, 94, 93, 92, 92, 91 or 90)
EBooks posted since November 2003, with etext numbers OVER #10000, are
filed in a different way. The year of a release date is no longer part
of the directory path. The path is based on the etext number (which is
identical to the filename). The path to the file is made up of single
digits corresponding to all but the last digit in the filename. For
example an eBook of filename 10234 would be found at:
http://www.gutenberg.net/1/0/2/3/10234
or filename 24689 would be found at:
http://www.gutenberg.net/2/4/6/8/24689
An alternative method of locating eBooks:
http://www.gutenberg.net/GUTINDEX.ALL
Livros Grátis
( http://www.livrosgratis.com.br )
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