aspect, sans pouvoir comprendre lui-même d'où venoit son effroi. Dans
ce moment, un vieil officier, qui avoit servi sous son père, entra
dans l'église, le reconnut, et se jeta à ses pieds. «Que faites-vous,
s'écria Léonce; que faites-vous?--Je suis arrivé hier, lui dit-il, de
la campagne où je vis, pour vous voir, pour embrasser encore une fois
avant de mourir le fils de mon général; j'ai appris, faut-il le
croire! que vous, noble jeune homme, que vous, héritier d'un sang
illustre, vous alliez faire une action déshonorante; je ne sais pas ce
qu'on peut dire pour excuser votre résolution, mais je sais que vous
n'oserez plus regarder sans rougir les anciens amis de vos parens, et
je viens vous supplier, pendant qu'il en est temps encore, d'abjurer
cette erreur d'un jour, que démentent votre caractère et votre
vie.--Laissez-moi, s'écria Léonce, laissez-moi; vous ne savez
pas!...--Oserez-vous me refuser, dit le vieillard en se relevant, si
j'embrasse ce tombeau en suppliant?» et il alla s'appuyer, les mains
jointes, sur le marbre noir qui étoit placé au fond de la chapelle.
«Quel est ce tombeau, s'écria Léonce; quel est-il?--C'est celui de
votre mère, répondit le vieil officier; elle m'a ordonné d'apporter
ici son coeur. Je suis venu du fond de l'Espagne avec ces précieux
restes, elle m'a commandé de les déposer dans cette chapelle, pour
reposer près de vous, quand le temps vous auroit frappé à votre tour;
mais si votre conduite flétrit la gloire de votre famille, au nom de
votre mère, si noble, si fière, si délicate sur l'honneur, je vous
défends de placer votre tombe auprès de la sienne; je bannis votre
cendre loin des cendres de vos aïeux!» Pendant qu'il parloit, Léonce
fit quelques pas en chancelant, pour arriver jusqu'au tombeau de sa
mère; mais l'excès de son émotion surpassant enfin ses forces, il
tomba comme mort sur le pavé de l'église; on le transporta chez lui,
et la malheureuse Delphine le vit arriver dans cet état. Comme elle se
jetoit sur lui pour l'embrasser et mourir avec lui, l'impitoyable
vieillard qui l'avoit suivi, lui dit: «Madame, c'est vous qui plongez
M. de Mondoville dans le désespoir; c'est le combat de l'amour et de
l'honneur, c'est l'effroi que lui cause la honte à laquelle vous le
condamnez en vous épousant, qui causera sa mort; de grâce,
éloignez-vous, ne sentez-vous pas que vous le devez à vous-même?» Il
n'en falloit pas tant pour anéantir Delphine; et, malgré son
inquiétude mortelle pour Léonce, elle tomba sur une chaise, derrière
le lit où on l'avoit posé, et ne prononça pas un seul mot. Léonce, en
revenant à lui, ne la vit pas; il aperçut l'officier, dont les paroles
avoient produit sur lui une impression si terrible qu'il étoit encore
dans le délire. «Malheureux, s'écria-t-il, vous voulez que je lui
plonge un poignard dans le sein! que je l'abandonne, quand elle a tout
sacrifié pour moi, quand elle sera seule dans cet univers, quand elle
mourra! et moi, qu'est-ce que je veux? le déshonneur, la honte?
Opinion! exécrable fantôme! me poursuivras-tu jusque dans la retraite,
jusqu'auprès de cet ange qui m'aime? Non, ce n'est pas l'ombre de ma
mère, homme cruel, que vous avez fait parler; non, ce n'est pas elle,
c'est l'opinion; c'est son inflexible puissance que vous avez armée
contre moi. Si les morts pensent encore à nous, c'est avec des
sentimens plus doux, plus purs, plus dégagés des misérables préjugés
des hommes; mais, moi, comment ferai-je pour supporter la honte, ces
soldats, ces femmes, ces tombeaux? Tuez-moi, s'écria-t-il en regardant
le vieillard qui se taisoit; tuez-moi,» et il s'élança pour saisir son
épée. Dans ce moment, un cri de Delphine la fit reconnoître; il
comprit qu'elle avoit tout entendu; il voulut s'approcher d'elle, la
prendre dans ses bras; un froid mortel l'avoit déjà saisie, elle ne
pouvoit plus ni parler ni faire un mouvement; elle n'étoit pas tombée
sans connoissance, mais son état étoit plus effrayant. Encore
immobile, le regard fixe, on auroit dit qu'elle se relevoit du