Cependant quelquefois, par une brusque transition,
il lui arrivait de retomber dans les ombres de
l' incertitude, un souvenir importun des jours passés
apparaissait tout à coup devant lui, comme une fatale
prophétie de l' avenir. Il voyait alors se dresser
devant lui le fantôme jaloux des femmes qu' il avait
aimées jadis, et toutes lui criaient : souviens-toi
de nos leçons ! Comme toutes celles qui ont tenté
de faire battre ton coeur si bien pétrifié, ta
nouvelle idole te prépare une déception : fuis-la
donc aussi, celle-là qui est notre soeur à nous
toutes, qui t' avons trompé. D' ailleurs, tu te
trompes toi-même en croyant l' aimer :
-les cadavres remuent quelquefois dans leur tombe ;
-tu as pris un tressaillement de ton coeur pour une
résurrection, ton coeur est bien mort...
mais, en relevant la tête, Ulric apercevait devant
lui Rosette, heureuse et belle, Rosette, dont le
coeur, gonflé d' amour et de juvénile gaieté, semblait,
comme un vase trop plein, déborder par ses lèvres en
flots de sourires. Alors, en regardant ce doux
visage, en écoutant cette voix vibrante d' une douceur
sonore, Ulric croyait voir dans sa maîtresse la fée
souriante
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de sa vingtième année, et il l' entendait lui dire :
-c' est moi qui suis ta jeunesse, ta jeunesse dont
tu t' es si mal servi. Tu m' as renvoyée avant l' heure,
et pourtant je reviens vers toi. J' ai de grands
trésors à prodiguer, et quand tu les auras dépensés,
j' en aurai encore d' autres. Laisse-toi conduire où
je veux te mener : c' est à l' amour. Tu t' es trompé,
et l' on t' a trompé, toutes les fois que tu as cru
aimer ; cette fois ne repousse pas l' amour sincère.
Celle qui te l' apporte a les mains pleines de
bonheur, et elle veut partager avec toi. Laisse-toi
rendre heureux ; il est bien temps.
Alors Ulric, couvrant de baisers insensés le visage
et les mains de sa petite Rosette, entrait dans une
exaltation dont la jeune fille s' étonnait et
s' effrayait presque. Il lui parlait avec un langage
dont le lyrisme, souvent incompréhensible pour elle,
faisait craindre à Rosette que son amant ne fût
devenu fou.
-merci ! Mon dieu ! S' écriait Ulric, vous êtes bon !
La vie a longtemps été pour moi un lourd fardeau,
-vous le savez. Il est arrivé un moment où nulle
force humaine n' aurait pu le supporter ; j' ai failli
fléchir et m' en débarrasser par un crime. -vous