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textuelles Frantextalisée par l'Institut National de la
Langue Française (InaLF)
De la religion considérée dans ses rapports avec l'ordre politique et civil
[Document électronique]. Première partie. [1] / par l'abbé F. de La Mennais
PREFACE.
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On ne lit point aujourd' hui les longs ouvrages ;
ils fatiguent, ils ennuient : l' esprit humain est las
de lui-même ; et le loisir manque aussi. Tout se
précipite tellement depuis qu' on a mis la société
entière en problème, qu' à peine est-il possible de
donner un moment très court à chaque question,
quelle qu' en soit d' ailleurs l' importance.
Dans le mouvement rapide qui emporte le monde,
on n' écoute qu' en marchant ; et comment l' attention,
sans cesse distraite par des objets nouveaux,
pourroit-elle se fixer long-temps sur aucun ? C' est
ce qui nous détermine à publier seule la première
partie de ce petit traité, tandis que certains
souvenirs sont encore vivants. Dans trois mois on ne
sauroit de quoi nous venons parler. Nous tâcherons
de saisir, au milieu des événements qui se préparent,
l' occasion la plus favorable pour
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faire paroître la seconde partie. Il ne faut pas
troubler indiscrètement les ditations des
peuples éclairés qui ont entrepris de réformer
l' oeuvre de la sagesse et de la puissance divine, ni
les ramener trop brusquement de la bourse à l' autel,
et de la rente à la religion.
Nous n' ignorons pas que cet écrit, dicté par
une conviction profonde, choquera beaucoup
d' opinions, à une époque où tant d' hommes ont
un tact si fin sur ce qu' il est à propos de penser.
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Mais cette considération n' a pas dû nous empêcher
de dire ce que nous croyons vrai. On n' est
point obligé de plaire, et ce n' est pas une des
conditions que la charte a mise au droit de
publier ses opinions ; droit dont nous userons sans
autre désir que celui d' être utile, sans autre
espérance que de recueillir force injures et
calomnies.
Personne n' est plus soumis que nous aux lois
du pays où nous vivons ; nous le serions deme
à Constantinople, nous l' eussions été de même à
Rome, sous la république comme sous les empereurs,
et par les mêmes motifs, et dans la
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me mesure. Une fausse liberté ne nous séduit
pas, et nous sentons en nous quelque chose qui
nous met à l' abri de la servitude. Le christianisme
a pour toujours délivré l' homme du joug de
l' homme, et il n' est pas un chrétien qui ne puisse
et ne doive, en obéissant, selon le précepte de
l' apôtre, répéter ces belles paroles que l' auteur
de l' apologétique adressoit aux magistrats
romains : " je reconnois dans le chef de l' empire mon
" souverain, pourvu qu' il ne prétende pas que je le
" reconnoisse pour mon dieu : car du reste je suis
" libre. Je n' ai d' autre maître que le Dieu
" tout-puissant, éternel, qui est aussi le sien. "
que si, examinant quelques unes des lois qui
nous régissent, nous les avons jugées défectueuses
à plusieurs égards, elles nous autorisent elles-mêmes
à émettre le jugement que nous en portons.
On ne nous contestera pas sans doute un
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privilége qu' on ne cesse, quel qu' il soit, de vanter
avec tant d' emphase. De semblables discussions,
sincères, graves, sur un sujet qui occupe
tous les esprits, ne sauroient être interdites que
par un despotisme timidement souonneux, et,
dans ses vagues inquiétudes, esclave de sa propre
tyrannie.
Mais le génie du mal, tremblant pour ses oeuvres,
a su trouver une autre ruse, et se faire contre
la vérité un autre rempart. " combattez l' erreur,
dit-il, mais en la séparant des personnes ; "
comme il dit encore : " soutenez la religion, mais
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en la séparant de Dieu. " qu' on lui laisse les
réalités, il nous abandonnera les abstractions,
afin d' avoir le droit de nous traiter de rêveurs.
Assurément il seroit plus doux de n' avoir à établir
que des théories générales ; mais il n' en va pas
ainsi en ce monde. Les sociétés humaines vivent
ou meurent selon les doctrines des hommes qui
les gouvernent ; et l' on ne sauroit attaquer ces
doctrines sans attaquer en me temps et les
discours qui les expriment, et les actes qui les
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consacrent. Or, quand il s' agit d' actes et de discours,
les hommes, quoi qu' on fasse, reparoissent
nécessairement ; et plus leur autorité est grande
aux yeux des peuples, plus il est nécessaire de
déchirer le voile qui cause leur illusion. étrange
charité que celle qui sacrifieroit la société,
l' ordre, la religion, à l' orgueil ombrageux de
quelques individus pervertis ou aveuglés ! Ce n' est
pas là l' exemple que Jésus-Christ nous a donné : il
n' est point, il ne sera jamais de langage qui approche
de la sévérité de ses paroles, lorsqu' il foudroyoit
de son indignation divine les scribes et les
pharisiens hypocrites, sépulcres blanchis, éclatants
au dehors, et au dedans pleins de pourriture et
d' ossements à demi consumés. et parceque vous le
voyez, en d' autres circonstances, rempli de douceur
et de miséricorde, n' allez pas vous imaginer
qu' il se contredise. " on doit, dit saint Augustin,
" reprendre devant tous les fautes commises devant
" tous, et secrètement les fautes secrètes.
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" distinguez les temps, et l' écriture s' accorde avec
" elle-me. "
il y a, n' en doutez pas, des reproches qu' il est
plusnible de faire, qu' il n' est dur de les
entendre. Mais, en ces temps tout est renver
dans l' homme, on a plus de pitié pour le remords qui
gronde, que pour la conscience qui gémit. Ses
douleurs importunent, irritent ; comme le sauvage
à son enfant, on lui dit : souffre, et tais-toi.
Eh ! Que n' est-il permis de se taire ! Ce n' est,
certes, aucun motif d' intérêt personnel ou
d' amour-propre qui peut engager maintenant à défendre
la religion et la vérité : qui ne le sait ? Mais dès
lors aussi l' on doit comprendre que quiconque
descend dans l' arène, sachant d' avance ce qui
l' y attend, croit accomplir un devoir sacré. Peu
nous importe, au reste, les jugements des hommes
et leurs vains discours. Lorsqu' aux premiers siècles
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de la foi, les confesseurs, livrés, dans le cirque,
à la dent des bêtes féroces, combattoient pour
Jésus-Christ en présence de César, et des
nateurs, et des pontifes, et du peuple, qui ne se
rioit de ces insensés et de leur Dieu ? Nous
annonçons aujourd' hui le même Dieu aux nations qui
l' oublient, à leurs chefs qui le proscrivent : et
quelque chose pourroit nous empêcher d' élever la
voix ! Et l' on demanderoit ce que veut donc ce
prêtre ! Ce qu' il veut ? Ce que vouloit Jésus de
Nazareth, ce que vouloient les martyrs : heureux s' il
l' obtenoit au même prix !
Il y a long-temps que le monde est le même, et
qu' il poursuit de sa haine tout ce qui s' oppose
à ses passions et à ses idées. Il en sera ainsi
jusqu' à la fin ; et ce n' est pas une raison de lui
der. Il faudra bien qu' il cède lui-même à la vérité,
quand le jour de son triomphe sera venu, et qu' il
de éternellement. Les lois de la terre, même
fondamentales, seront un peu ébranlées alors :
et je ne sache pas que l' ordre qu' on nous fait à
l' aide de toutes les théories modernes d' athéisme ait
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reçu du Dieu vivant des promesses d' immortalité.
Quelle que soit, au surplus, en certains moments, la
vivacité de nos expressions, nous désirons qu' on
les juge par le sentiment qui les a
dictées. L' envie de blesser fut toujours aussi loin
de nous que le dessein de flatter. Nous avons été,
grâce au ciel, conduits par des vues plus hautes ;
et si nos efforts avoient besoin d' être justifiés
devant des chrétiens, nous produirions, pour toute
défense, ces paroles d' un illustre docteur de
l' église.
" il y a, dit l' ecclésiaste, un temps de se
taire, et un temps de parler. et maintenant donc,
après un assez long silence, il convient d' ouvrir la
bouche pour révéler ce qu' on ignore. Ne craignez ni
le mensonge ni la calomnie ; ne vous laissez point
troubler par les menaces des hommes puissants ;
ne vous attristez point d' être raillé par les uns,
outragé par les autres, et condamné par ceux
qui affectent de la tristesse, et dont les
remontrances séduisantes sont ce qu' il y a de plus
propre à tromper : que rien ne vous ébranle, pourvu
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que la vérité combatte avec vous. Opposez à
l' erreur la droite raison, appelant à son secours,
dans cette guerre sainte, l' auteur même
de toute sainteté, notre seigneur Jésus-Christ,
pour qui il est doux d' être affligé, et heureux de
mourir. "
CHAPITRE I
état de la société en France.
Instruite par l' expérience et par la tradition
universelle des peuples, la sagesse antique avoit
compris qu' aucune société humaine ne pouvoit ni
se former ni se perpétuer, si la religion ne
présidoit à sa naissance, et ne lui communiquoit cette
force divine, étrangère aux oeuvres de l' homme,
et qui est la vie de toutes les institutions durables.
Les anciens législateurs voyoient en elle la loi
commune, source des autres lois, la base,
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l' appui, le principe régulateur des états
constitués selon la nature ou la volonté de
l' intelligence suprême. " en toute république bien
ordonnée, dit Platon, le premier soin doit être d' y
établir la vraie religion, non pas une religion fausse
ou fabuleuse, et de veiller à ce que le souverain y
soit élevé dès l' enfance. " ces maximes, partout
admises comme une règle immuable, furent
aussi partout le fondement de l' organisation sociale :
de là l' importance, quelquefois excessive
à nos yeux, qu' on attachoit non seulement aux
croyances publiques, mais aux plus petites cérémonies
du culte ; de là l' union intime des lois religieuses
et des lois politiques dans la constitution
de chaque cité, quelle que fût la forme de son
gouvernement ; de là enfin le pouvoir toujours si
étendu du sacerdoce chez les nations, soit civilisées,
soit barbares : et il faut en qu' il y ait en cela
quelque chose decessaire, conforme à la nature de
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l' homme et de la société, puisqu' aucun temps ni
aucun lieu n' offre d' exception à ce fait primitif
et permanent.
Il n' est pas de notre dessein de rechercher comment
la religion, suivant ce qu' elle contenoit de
rités et d' erreurs, modifia les institutions des
peuples divers. Il nous suffit de faire remarquer
qu' à l' époqueson influence, dans l' état et dans
la famille, s' affoiblit et menaça de s' éteindre
entièrement à Rome, sous les premiers Césars, tous
les liens qui unissent les hommes se relâchant à
la fois, l' empire tomba en dissolution ; et bientôt
l' on vit ce grand corps languissant, épuisé, se
débattre quelques instans, et succomber enfin
sous les coups que lui portèrent des nations
envoyées de Dieu, pour faire disparoître de la terre
le peuple athée.
Exemple à jamais mémorable ! Les romains
avoient renoncé aux dogmes conservateurs de tout
ordre politique et civil : leur nom seul demeura
pour rendre témoignage de ce qu' ils furent. La
religion, bannie par les systèmes philosophiques,
sortit de cette société auparavant si vivante ; et il
ne resta qu' un cadavre. Le monde étonné contemploit
cet informe débris, quand tout-à-coup s' éleva
une société nouvelle, fondée par le christianisme
et pénétré de son esprit. Croissant et se développant
selon l' invariable loi reconnue des anciens, elle
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reçut tout de l' église, et sa forme essentielle et
ses institutions, et son admirable hiérarchie.
Gibbon lui-même en fait l' aveu. Ce furent les
souverains pontifes, ce furent les évêques qui,
appelant nos grossiers ancêtres à la vraie
civilisation, créèrent, avec la royauté, les
monarchies chrétiennes, qu' ils travailloient sans
cesse à perfectionner. On chercheroit en vain dans
l' antiquité rien de semblable à ce genre de
gouvernement, qui n' y pouvoit avoir de modèle,
puisqu' il n' étoit que l' expression publique du
christianisme et des nouveaux rapports
qu' il avoit établis entre les hommes, la manifestation
pour ainsi dire sociale de ses préceptes et de
ses dogmes mêmes.
Indépendamment de ce qui touche la constitution
intime de l' état, les règles de discipline établies
par l' église, la forme de ses jugements et de
ses tribunaux, eurent une influence aussi heureuse
qu' étendue sur la législation civile. Cette influence
est surtout remarquable dans les capitulaires de
nos premiers rois, monument trop peu admiré de
sagesse et de justice. Il est vrai cependant que des
erreurs et des passions, diverses selon les époques,
mais qui toujours tendoient à rompre l' unité
politique en ébranlant l' unité religieuse, altérèrent
peu à peu l' esprit de la société européenne, la
détournèrent de sa direction, et en arrêtèrent les
progrès, avant quelle eût atteint son parfait
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développement. Elle ne laissa pas de subsister avec
la plupart des caractères qu' elle tenoit de son
origine, tant que le christianisme fondu, pour ainsi
parler, dans toutes ses institutions, put exercer sur
elle son action puissante ; et après les désordres
amenés par trois siècles d' hérésie et près d' un
siècle d' incrédulité, il fallut, pour achever de la
détruire, la séparer violemment de la religion qui la
protégeoit encore contre elle-me. Mais cette fatale
paration une fois accomplie, la société changea
de nature, et cela nécessairement. Qu' est-elle
aujourd' hui en France ? Quel genre de gouvernement
a remplacé la monarchie chrétienne ? Grave question,
certes, et qui, bien éclaircie, serviroit
à en résoudre beaucoup d' autres.
Long-temps avant notre révolution, la prétendue
forme du seizième siècle avoit ébranlé le système
politique de l' Europe. Partout où elle s' établit, on
vit naître aussitôt ou le despotisme, ou l' anarchie.
L' histoire n' a conservé le nom d' aucun tyran plus
abominable que le fils de Gustave Wasa. Nulle
part aussi l' ordre de succession n' a été plus souvent
troublé qu' en Suède. Après d' assez longues
agitations, le Danemarck a cherché le repos à
l' abri d' un pouvoir beaucoup moins réglé par les
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lois que tempéré par les moeurs. Que l' armée de
Gustave-Adolphe, fixée au sein de l' Allemagne,
eût quitté ses tentes pour des habitations plus
stables, ce serait l' image de la Prusse luthérienne,
soumise, depuis son origine, à un despotisme
militaire, adouci par l' influence des états voisins
et des tribunaux de l' empire. En embrassant le
calvinisme, les Provinces-Unies formèrent une
publique turbulente, avare, cruelle. Le même peuple
qui vendoit au Japon son Dieu, égorgeoit en Europe
son chef, et voroit son coeur palpitant. Qui
jamais exerça une autorité plus despotique que
Henri Viii ? Y avoit-il en Angleterre, sous le
règne de ce monstre, d' autre loi que son caprice ? Il
meurt, et bientôt l' anarchie la plus profonde dévaste
cette terre d' où le christianisme antique, le vrai
christianisme étoit banni. Le monde eut le spectacle
d' une nation qui, ayant renoncé à la foi dont
elle avoit vécu jusqu' alors, cherche dans les
ténèbres et dans le sang une religion nouvelle et une
nouvelle civilisation. De l' anarchie elle passe
encore derechef sous le despotisme. Un fourbe
ambitieux, qui savoit vouloir et agir, chasse vers
l' échafaud un prince foible, cite la bible à des
fanatiques, puis courbe tout sous son épée. Cette
épée, il
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l' emporta dans la tombe ; il ne la légua pas à son
fils, et ce fils fut renversé. L' ancienne dynastie se
remontre un moment, et disparoît ensuite pour
toujours.
Il falloit que l' Angleterre pérît, ou qu' elle se
reconstituât sous des institutions plus stables. Ce
que le temps avoit conservé des anciennes lois et
des anciennes moeurs, se combinant avec ce qui
restoit de christianisme chez ce peuple, il en
sulta une forme de société analogue à ces divers
éléments, mais entièrement différente, au fond, de
celle qui existoit avant la réforme : et c' est ce que
ne voient pas assez ceux qui, frappés des noms
plus que des choses, croient que l' Angleterre est
une monarchie, parcequ' il y a, dans cette terre
natale des fictions politiques et de toutes les
déceptions modernes, un homme qu' on appelle roi.
La monarchie anglaise expira sous le glaive des
bourreaux avec Charles Ier. Son fils n' en
reproduisit qu' une vague et triste image. Jacques
Ii, doué d' un sens droit, mais dénué du génie
nécessaire à l' ecution des desseins qu' il avoit
conçus, voulut la rétablir ; il succomba. L' esprit du
protestantisme, incompatible avec l' existence de la
ritable royauté, triompha de tous ses efforts. En
cessant de reconnoître l' autorité suprême, et même
toute autorité réelle dans l' ordre religieux, le
peuple avoit perdu la notion de la souveraineté dans
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l' ordre temporel. Il ne pouvoit plus comprendre
ce que c' est qu' un monarque ; il ne pouvoit surtout
plus souffrir un pouvoir au-dessus du sien. Le
trône, pour lui, ce fut un fauteuil, comme l' autel
n' étoit plus qu' une table. Par la force même
des choses, on vit recommencer en Europe le
gouvernement républicain. Il ne resta de la monarchie
et de la religion chrétienne que des mots vides de
sens. L' Angleterre devint en effet une véritable
publique, selon l' acception rigoureuse du mot ;
mais la souveraineté qui, suivant les principes
introduits par la réforme, appartient de droit à la
nation entière, se concentra de fait entre les mains
d' un petit nombre de familles propriétaires du sol,
et qui seules possèdent les emplois et forment les
deux chambres : c' est en elles que le pouvoirside
essentiellement. Le parlement est le vrai souverain,
puisqu' il peut tout, selon Blackstone, tout sans
exception, même changer la dynastie, même changer la
religion ; et ces deux choses, il les a faites : la
loi, c' est sa volonté. Il gouverne par des ministres
responsables envers lui, et non envers le roi, qui ne
peut jamais en choisir d' autres que ceux désignés par
la majorité des chambres, ou que cette majorité
consent à soutenir. De royauté, à peine en existe-t-il
une vaine apparence ; elle est nulle en réalité. Les
affaires sont discutées, décidées dans le
parlement ; celles que la constitution
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paroît abandonner au roi dépendent entièrement
des ministres, que le parlement fait etfait à son
gré. Le refus des subsides arrêteroit sur-le-champ le
monarque, si, sur ce point comme sur tout autre, il
essayoit de s' opposer à ce que veut le parlement.
L' Angleterre est donc réellement une république
aristocratique. Aussi a-t-elle tous les caractères
qui appartinrent toujours à ce genre de gouvernement :
une administration forte, mais à qui tous
les moyens sont indifférents pour arriver au but
proposé ; des conseils suivis et soutenus d' une
action qui ne se relâche jamais ; un système
d' agrandissement progressif et continuel, qui, portant
au dehors les pensées du peuple et son activité,
assure la tranquillité intérieure ; une grande
prospérité matérielle, la soif des richesses, l' estime
de l' or, des croyances vagues, des moeurs foibles, et
dans les classes inférieures une sorte de licence
qu' elles prennent pour la liberté.
Telles furent dans tous les temps les républiques
aristocratiques ; telle est l' Angleterre aujourd' hui.
Cependant l' on compare sans cesse notre gouvernement
au sien ; c' est chez elle que l' on va chercher des
exemples dont on fait des modèles, et quelquefois
des lois. Il faut s' entendre. Veut-on dire que la
France n' est pas plus que l' Angleterre une vraie
monarchie ; on a raison. Veut-on dire qu' elle est
comme elle, et dans le même sens, une
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publique ; on a raison encore. Mais si l' on
prétend que la France est une république
aristocratique, on se trompe, car nous n' avons pas
me les premiers éléments d' une aristocratie.
En effet, qu' on nous montre en France ce corps
de noblesse propriétaire, ou à peu près, de tous
les pays, possédant en outre les premiers emplois
du gouvernement, de l' église, de l' administration,
de l' armée ; ce corps de noblesse privilégiée comme
ne l' étoit pas la noblesse française en 1789,
investie d' une foule de droits lucratifs et
honorifiques, que personne ne lui conteste, et qu' on
lui contesteroit vainement ; qu' on nous montre dans
nos codes des lois semblables à celles qui assurent
la perpétuité de ces grandes familles, par l' hérédité
de certaines charges, les partages inégaux, les
substitutions, etc., etc.
Non seulement il n' y a point de noblesse en
France, car ce ne sont point les titres, mais les
fonctions privilégiées qui font le noble ; il n' y a
pasme de familles à proprement parler, puisque la
loi ne fait rien pour elles, qu' elle ne connoît
que des individus. Et c' est là, pour quiconque
sait voir, la différence essentielle qui existe
entre notre gouvernement et le gouvernement
anglais.
Parmi nous, nulle hiérarchie, nulle classification
sociale, nuls rangs, nuls droits reconnus que
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ceux acquis à tous par la loi commune. ôtez
l' indélébile distinction qui résulte de l' inégalité
des facultés naturelles et de leur développement, un
peu d' or de plus ou de moins fait toute la différence
entre les hommes ; et aussi est-ce uniquement de
cette différence variable, et qui le devient
davantage de jour en jour, que dépend ce qu' on est
convenu d' appeler les droits politiques.
Ainsi la France est un assemblage de trente
millions d' individus, entre lesquels la loi ne
reconnoît nulle autre distinction que celle de la
fortune. Mais cette distinction, qui n' a rien de
fixe, devient énorme par le fait, pendant qu' elle
subsiste, puisque entre l' homme qui paie 1000 francs
d' impositions et celui qui n' en paie que 299, il y a,
comme on s' en convaincra bientôt, toute la distance
qui sépare le souverain du sujet.
Voilà ce qu' est la nation, considérée en elle-même ;
voyons ce qu' est son gouvernement. Pour
en avoir une idée exacte, il faut répondre à ces
questions : qu' est-ce que les chambres ? Qu' est-ce
que le ministère ? Qu' est-ce que le roi ? Et ce
n' est pas sans motif que nous les posons dans cet
ordre. Tout à l' heure on comprendra qu' on ne
pourroit, à moins de tout confondre, les poser
autrement.
Nous avons vu, et c' est un fait qui n' est pas
contesté, que le parlement anglais représente une
aristocratie
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souveraine. Les aînés des premières familles
forment en effet la chambre des pairs ; celle des
communes est formée, dans sa plus grande portion,
des cadets de ces mêmes familles, et de quelques
autres propriétaires, membres aussi de l' aristocratie ;
car en Angleterre toutes les terres sont nobles
ou privilégiées. Ainsi, les deux chambres, ayant
au fond les mêmes intérêts à défendre, et représentant
toutes deux une même classe de la société, ne
sont réellement que deux parties, l' une élective,
l' autre héréditaire, d' un seul corps appe
parlement, en qui réside la souveraineté.
Nos chambres offrent, dans le même sens, deux
sections d' un seul et même corps, qu' on pourroit
aussi appeler parlement, et qui reçoit effectivement
ce nom dans le langage des chambres.
Les pairs, à la vérité, possèdent des prérogatives
personnelles que les putés ne partagent pas ;
leurs titres et leurs fonctions sont héréditaires ;
mais il en est de même chez les anglais. L' unique
différence est que, chez nous, les pairs ne
représentent point une aristocratie qui n' existe
pas, et que le temps même ne sauroit former sous
l' empire des lois qui nous régissent. Ils ne peuvent,
ainsi que les putés, représenter que ce qui est
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c' est-à-dire une vaste démocratie, dans laquelle la
richesse seule marque des degrés variables comme
elle. Hors de là, il n' existe aucun ordre à maintenir,
aucun intérêt à défendre. La chambre des
pairs fait donc essentiellement partie d' un système
démocratique ; voulût-elle être autre chose, elle ne
le pourroit pas ; elle forme nécessairement, avec
la chambre des députés, un seul et unique corps
divisé en deux sections qui délibèrent à part ; aussi
retrouve-t-on dans les deux chambres la même
classification identique de leurs membres, un cô
droit, un côté gauche, un centre, suivant la nature
des opinions adoptées par chacun, et qui partagent
également la nation elle-même.
Ce grand corps, divipar une sorte de fiction,
mais réellement un, comme le parlement d' Angleterre,
consent comme lui l' impôt, et comme lui fait la loi :
nous disons qu' il la fait, et non qu' il y concourt,
car les droits attribs sur ce point à la royau
ne sont encore qu' une autre fiction, ainsi qu' on le
verra dans un moment.
Or quiconque fait la loi, exerce la souveraineté.
Sans juger ce qui est, sans le louer ni le blâmer,
mais en l' examinant de la même manière
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qu' on pourroit examiner la constitution d' une
publique de l' ancienne Grèce, nous sommes donc
conduits à cette conclusion, que la souveraineté
side dans les chambres : en soutenant le principe
de l' omnipotence parlementaire, on n' a fait
qu' énoncer le même fait en d' autres termes.
Aucun souverain, ni surtout un souverain collectif,
ne pouvant gouverner seul, des ministres lui sont
indispensables pour l' exercice de son pouvoir.
Le ministère, chez les anglais, n' est que l' action
publique du parlement qui renvoie les ministres
au moment même ils commencent à gouverner d' une
manière contraire aux vues de la majorité des
chambres, sans que le roi puisse s' y opposer, quel
que soit son attachement personnel pour eux, ou
l' approbation qu' il accorde à leur administration.
Il en est ainsi en France ; nul ministre ne pourroit
y garder ses fonctions malgré l' une des deux chambres,
puisque le rejet d' une loicessaire suspendroit à
l' instant même le gouvernement : aussi est-ce une
maxime admise que les ministres doivent se retirer
lorsqu' ils perdent la majorité dans l' une ou l' autre
chambre ; et ce
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ne seroit pas une maxime, que ce seroit encore
unecessité.
Le ministère n' est donc, en France comme en
Angleterre, que l' action publique du parlement,
d' une aristocratie souveraine chez nos voisins, et
chez nous d' une démocratie souveraine.
Que si maintenant nous cherchons quelle place
la royauté occupe dans ce système, et ce qu' elle
est en réalité, nous ne voyons pas que sa condition,
examinée attentivement, soit de nature à exciter
de vives alarmes parmi ceux qui redoutent le pouvoir
absolu.
à s' en tenir aux mots qui fixent l' étendue et
les limites de la progative royale, nous trouvons
d' abord, en ce qui concerne l' autorité législative,
que le roi propose les lois aux chambres, et
qu' il peut ne pas présenter celles que les chambres
l' auroient supplié de proposer.
voilà, certes, une prérogative qui semble lui
rendre une partie de la souveraineté. Mais il faut
considérer que le roi n' a le droit de proposer ni de
rejeter aucune loi directement ; il est légalement
indispensable que tout se fasse par l' intermédiaire
d' un ministre responsable. Or les ministres, comme
on l' a vu, sont dans une dépendance absolue des
chambres. Qu' ils viennent à perdre la majorité,
ils tombent au même moment. Ils ne peuvent
donc, de fait, rien proposer ni rien rejeter,
qu' autant
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qu' ils seront sûrs de ne pas contrarier la majorité
des chambres.
Supposons que le roi, voulant les contraindre à
faire quelque chose d' opposé à ce que veut la majorité,
ils se retirent, et que d' autres les remplacent :
les nouveaux ministres se briseront contre
cette majorité, ou bien il faudra que le roi cède.
est, en ce cas, le pouvoir souverain ?
Il est vrai que le roi peut dissoudre les chambres,
et ordonner d' autres élections : c' est ici le terme
de sa puissance, et encore ne s' étend-elle qu' à
une moitié du parlement, à la chambre desputés.
La voilà dissoute, et la question qui étoit
débattue entre elle et le roi est soumise au jugement
du peuple souverain payant 300 f. D' impositions.
Rien de plus naturel dans l' hypothèse d' un
gouvernement républicain. C' est l' appel au roi en
ses conseils, des anciennes monarchies : il faut
bien toujours un tribunal suprême qui décide en
dernier ressort : nulle société ne subsisteroit sans
cela.
Enfin une nouvelle chambre envoyée par le peuple
arrive : que fera-t-elle ? Ce qu' elle voudra ; rien
ne peut contraindre sa volonté, c' est le même
corps composé seulement de membres différents,
mais toujours souverain. Il décidera, suivant son
bon plaisir, entre le ministère actuel et le ministère
qui l' a précédé, et, quelle que soit sa décision,
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il est impossible désormais, à moins d' une révolution
dans le gouvernement, qu' elle ne soit pas
rigoureusement exécutée.
Toute fiction mise à part, voilà les droits de la
royauté en ce qui touche la législation : car il ne
faut pas confondre avec les droits fixés par la
constitution de l' état, une influence toute différente,
fondée sur des sentiments qui se rattachent à un
autre ordre de choses, et qui subsistoient encore
en partie lorsque la providence ramena parmi nous
la famille de nos anciens monarques.
Mais, dira-t-on, si le roi ne jouit plus de la
puissance législative, l' administration du moins lui
appartient tout entière ; il conclut les traités, fait
la paix, déclare la guerre, nomme aux emplois
de l' armée et de toutes les autres branches du service
public. Ceci seroit un grand pouvoir, sans
néanmoins être la souveraineté, et je m' étonnerois
que le souverain osât confier à d' autres que lui une
autorité si étendue. Mais est-ce bien réellement
le roi qui exerce cette autorité ? Non, ce sont
les ministres, qui, censés responsables, font tout,
en France comme en Angleterre, où rien ne peut
être fait que par eux ; ministres au choix desquels
le roi n' a d' autre part que de signer l' ordonnance
de leur nomination ; ministres qu' il garde ou qu' il
renvoie suivant le bon plaisir des chambres ;
ministres placés, sous tous les rapports, dans une
p32
dépendance absolue de ces chambres, et simples
exécuteurs de leurs ordres. Car enfin, qu' ils jugent,
par exemple, la guerre nécessaire à l' honneur et
aux intérêts de l' état : pour faire la guerre il faut
des hommes, pour faire la guerre il faut de l' argent.
Qui donne l' argent ? Qui accorde les hommes ? Le
parlement, et le parlement seul. Nulle guerre ne
peut donc être faite que de son consentement ; le
système entier de l' administration lui est soumis
de la même manière. Les ministres sont liés sur tous
les points par ses volontés ; qu' ils choquent
aujourd' hui, en quelque chose, ses vues, ses
opinions, ses désirs, et même ses caprices, il les
chassera demain malgré le roi. Ils ne sont donc
pas effectivement les ministres du roi, mais les
ministres du parlement. Le parlement est donc en
réalité le pouvoir administrant, comme il est le
pouvoir législatif.
Il nous semble que quiconque ne s' arrête pas à
de simples apparences, mais voit les choses telles
qu' elles sont au fond, ne sauroit contester aucun
des faits que nous venons d' avancer, ni aucune des
conséquences que nous en déduisons. Nous n' avons
d' ailleurs rien dit qui n' ait été dit et redit
mille fois, dans les chambres mêmes, en termes
équivalents, rien que ce qu' on lit dans tous les
ouvrages qu' on a publiés depuis dix ans sur le
gouvernement représentatif. Tous nos raisonnements
p33
reposent sur des bases positives, sur des
maximes avouées, sur ce qui se passe chaque jour
sous nos yeux.
Reprenant donc les questions poes précédemment,
qu' est-ce que les chambres ? Qu' est-ce que
le ministère ? Qu' est-ce que le roi ? Nous
pondrons sans hésiter :
les chambres sont une assemblée démocratique,
divisée en deux sections qui délibèrent à part ;
assemblée dans laquelle réside, avec la souveraineté,
toute la puissance du gouvernement.
Le ministère est l' action publique des chambres,
leur agent responsable en tout ce qui tient à
l' administration.
Le roi est un souvenir vénérable du passé,
l' inscription d' un temple ancien, qu' on a placée sur
le fronton d' un autre édifice tout moderne.
Nous avons expliqué avec le plus de netteté que
nous avons pu la vraie nature de notre gouvernement,
parcequ' il est impossible de rien concevoir
à la société actuelle, si auparavant l' on n' a pas
compris que la France n' est qu' une vaste
démocratie : c' est la source la plus commune, et des
illusions qu' on se forme sur l' avenir, et des
comptes que l' on éprouve dans le présent, et des
injustes plaintes dont la royauté est trop souvent
l' objet.
Chaque espèce de gouvernement a son caractère
p34
propre. Le caractère de la démocratie est une
mobilité continuelle ; tout sans cesse y est en
mouvement, tout y change, avec une rapidité
effrayante, au gré des passions et des opinions.
Rien de stable dans les principes, dans les
institutions, dans les lois ; on n' y connoît la
puissance du temps ni pour établir, ni pour détruire,
ni pour modifier. Une force irrésistible pousse et
agite les hommes ; ce qui se trouve sur leur route,
quel qu' il soit, est foulé aux pieds : ils avancent,
reviennent, avancent encore, et tout l' ordre social
devient pour eux comme un chemin de passage. Le
pouvoir ne donne pas l' impulsion, il la reçoit. Je
ne sais quoi d' indéfinissable emporte et le peuple
et ses chefs. Il y a dans les esprits une certaine
indocilité, dans les coeurs un certain mépris haineux
et défiant pour l' autorité, qui fait qu' on luide,
et qu' on n' obéit pas. Censurer est le besoin de tous ;
c' est un soulagement pour l' orgueil, et aussi une
vengeance. Nulle faute n' est pardonnée à ceux qui
gouvernent, parceque nul n' étant, par les lois,
obligé de gouverner, quiconque se charge du gouvernement
se rend garant du succès même.
La médiocrité réussit mieux dans les démocraties
que le vrai talent, surtout lorsqu' il s' allie à
un noble caractère. La flatterie, la servilité, la
bassesse, une fausse habileté souple et patiente,
p35
conduisent plusrement aux emplois que le génie
et la vertu, chez les peuples qu' on appelle
libres. Lenie d' ailleurs et même le talent, s' il
avoit quelque chose d' élevé, rencontreroit trop
de difficultés, trouveroit trop d' obstacles à ses
entreprises dans un état démocratique. Pour atteindre
un but important, pour opérer de grandes choses, le
temps est indispensable, ainsi que la suite dans les
conseils. Cette persévérance est le propre des
gouvernements aristocratiques ; jamais ils ne
sommeillent, jamais ils ne se lassent, jamais ils
n' abandonnent un dessein cou : tout, au contraire,
se fait au hasard, par entraînement ou par caprice,
dans les démocraties ; aussi n' eurent-elles jamais
d' autre éclat que celui des armes, ni d' autre
prospérité que la conquête.
Le christianisme avoit créé la véritable monarchie,
inconnue des anciens ; la démocratie, chez un grand
peuple, détruiroit infailliblement le christianisme,
parcequ' une autorité suprême et invariable dans
l' ordre religieux est incompatible avec une autorité
qui varie sans cesse dans l' ordre politique. Le
christianisme conserve tout, en fixant tout ; la
démocratie détruit tout, en déplaçant tout. Ce sont
deux principes qui se combattent sans relâche
dans l' état : un principe d' unité et de stabilité,
un principe de division et de changement perpétuel ;
et comme nulle société ne sauroit sortir de
p36
ses voies tant que le principe qui la régissoit et
qui a présidé à sa formation subsiste avec toute
sa force, nulle monarchie chrétienne ne peut
dégénérer enmocratie sans que le principe religieux
n' ait subi auparavant une profonde altération.
Toujours et nécessairement la révolution, commencée
dans l' église, passe ensuite dans l' état, qui à son
tour l' achève dans l' église. C' est ainsi qu' on a vu
naître et s' établir en Europe, avec des
gouvernements ou despotiques ou républicains, les
religions nationales ou civiles, qui ne sont qu' un
athéisme déguisé.
L' égalité absolue, ou la destruction de toute
hiérarchie sociale, ne laissant subsister d' autres
distinctions que celles de la fortune, produit une
cupidité extrême, une soif insatiable de l' or ; car,
quoi qu' on fasse, les hommes veulent s' élever,
c' est-à-dire se classer : et comme la richesse
participe elle-même à la mobilité du gouvernement
et de la société entière, elle devient corruptrice au
plus haut degré. Les désirs sans bornes et sans
règle se précipitent vers tout ce qui promet cet or,
seule noblesse désormais, seul honneur, seule
considération ; et dans ce mouvement rapide, le
temps manquant à tous pour apprendre à posséder, tous
se jettent dans les jouissances avec une sorte de
fureur. Nulle prévoyance pour les siens, nulle pensée
d' avenir ;
p37
le présent est tout pour l' homme concentré dans
l' abjection des sentiments personnels, et les lois
et les moeurs tendent de concert à l' anéantissement
de la famille.
Dans le désordre universel, chacun cherche avec
anxiété la place due à son mérite, à ses services, à
ses besoins, ou à ses convoitises. De là des
prétentions innombrables, des murmures, des plaintes,
des haines passiones, un fonds général d' aigreur et
de mécontement qui croît sans cesse. Pour le calmer,
pour offrir, au moins en espérance, une pâture aux
désirs qui dévorent le peuple, un but fixe et présent
aux passions qui l' agitent, on le jette, selon les
circonstances, dans la guerre ou dans le jeu ; on
l' attire à la bourse, ou on le pousse dans les
camps ; on multiplie les spectacles, les loteries,
les maisons de jeu ; on le corrompt de toutes les
manières, pour se mettre à l' abri de sa corruption.
Le système du crédit, renfermé en de certaines
bornes, dirigé avec prudence, servi par les
événements, peut, quoique jamais sans inconvénients,
aider quelquefois une nation à vaincre un obstacle,
ou à sortir d' un péril extraordinaire : mais ni la
sagesse qui se prescrit des limites, ni la force qui
s' arrête, ni la constance qui persévère dans
l' exécution d' un plan mûri par la réflexion ; rien,
en un mot, de ce qui est absolument nécessaire au
succès d' un pareil système ne sauroit exister dans
aucune démocratie.
p38
La mobilité des hommes et des choses empêchera
toujours que le crédit y soit, pour ainsi dire,
gouveravec plus de suite et de règle que tout
le reste. Exagéré bientôt au-delà de toute mesure
pour satisfaire la cupidité même qu' il excite, devenu
un immense agiotage, il remplace momentanément la
conquête, et finit par la ruine générale, qui rend
la guerre réelle plus inévitable encore : et l' on peut
hardiment prédire que l' époque n' est pas éloignée
l' Europe reverra les armées françaises, animées
dume esprit qui fit leur force sous notre première
démocratie, reparoître au milieu des nations
étones ; et si elles demandent d' où vient cette
agression nouvelle, on leur dira qu' il y a des temps
les peuples sont contraints de chercher dans les
camps une image de la société, et une image du
bonheur dans la gloire.
Ce ne sont pas là les seules conséquences qu' entraîne
avec soi le gouvernement démocratique, lorsque la
religion n' y exerce pas une autorité puissante et
première, ce qui ne s' est jamais vu qu' en des états
très bornés, comme les petits cantons suisses ; et
alors la mocratie se change de fait en une
théocratieritable. Hors ces cas extrêmement rares,
et lorsqu' elle demeure ce qu' elle est par sa propre
essence, la démocratie détruit la notion de toute
espèce de droit, soit divin, soit humain ; et c' est
pour cela que, lorsqu' elle
p39
ne vient pas à la suite de l' athéisme, elle l' enfante
tôt ou tard. La souveraineté absolue du peuple, telle
me qu' elle est devenue de doctrine publique en
Angleterre, cependant elle est modifiée dans ses
applications par la nature aristocratique du
gouvernement ; la souveraineté du peuple, disons-nous,
renferme le principe de l' athéisme, puisqu' en vertu
de cette souveraineté, le peuple, ou le parlement qui
le représente, a le droit de changer et de modifier,
quand il lui plaît et comme il lui plaît, la religion
du pays. Ce droit, que Blackstone attribue sans
hésiter au parlement anglais, suppose, ou que toutes
les religions sont indifférentes, c' est-à-dire qu' il
n' y a point de Dieu ; ou, s' il y a un Dieu, que le
parlement peut dispenser de ses commandements, abolir
sa loi, ordonner ce qu' il défend, défendre ce qu' il
ordonne, ce qui évidemment est renverser toute notion
du droit divin. Mais, dès lors, comment pourroit-il
exister quelque autre droit, et sur quoi reposeroit-il ?
La raison, la loi, la justice, n' est plus que ce que
veut le peuple, ou le pouvoir qui représente le
peuple : et c' est ce qu' ont très bien vu le protestant
Jurieu et Jean-Jacques Rousseau, qui admettent
l' un et l' autre formellement cette conséquence.
Il suit de là manifestement que la démocratie, qu' on
nous représente comme le terme extrême de la liberté,
n' est que le dernier excès du despotisme :
p40
car, quelque absolu qu' on le suppose, le despotisme
d' un seul a pourtant des limites : le despotisme
de tous n' en a point ; et voilà pourquoi les
démocraties finissent toujours par un despote ; après
elles, il n' est rien qui ne paroisse tolérable au
peuple.
La démocratie n' étant autre chose, ainsi qu' on
vient de le voir, que le plus haut degré du despotisme,
son action publique doit nécessairement présenter le
me caractère. Quand donc on se plaint en France de
l' administration, du ministère, quand on lui reproche
d' être despotique, on se plaint que l' administration
soit ce qu' elle est forcée d' être, on reproche au
ministère ce qui ne dépend de lui en aucune façon.
Toute espèce de gouvernement a ses conditions
inévitables. Les hommes peuvent bien sans doute y
ler leurs passions, leurs vices, leur bassesse
propre, et même il est rare qu' ils y manquent ; mais
ils ne sauroient changer la nature des choses, ils ne
peuvent pas plus empêcher que l' action de la
démocratie soit le despotisme, qu' ils ne peuvent
empêcher une conséquence de sortir de son principe :
et ceci nous conduit à de nouvelles considérations.
Nous avons montré que le ministère, simple agent des
deux chambres, et administrant pour elles, étoit dans
unependance absolue de leurs volontés. Or, telle
est dans les assemblées
p41
démocratiques nombreuses la mobilité des opinions,
des passions, des intérêts, en un mot de tout ce qui
détermine les hommes à se réunir dans une volon
commune, que nulle majorin' y sauroit être assez
durable pour que l' administration eût seulement une
légère apparence de stabilité, si le principe du
gouvernement, son esprit, ne fournissoit pas au
ministère le moyen de donner une fixité plus grande à
cette majorité, qui lui est indispensable pour se
maintenir, au moins quelque temps. à peine le
souverain, c' est-à-dire le parlement, l' auroit-il
choisi, qu' il s' apprêteroit à le renverser, si le
ministère ne réagissoit sur le souverain par la
corruption : voyez l' Angleterre. Honneurs, emplois,
argent, tout sera promis, tout sera donpour
obtenir et pour conserver la pluralité des suffrages ;
la corruption s' étendra du souverain à ceux qui
élisent le souverain ; elle pénétrera par la contagion
de l' exemple, jusque dans les dernières classes du
peuple, et peut-être, après tout, sera-ce pour lui
une occasion d' apprendre que la conscience est
pourtant quelque chose, puisqu' enfin cela se vend et
s' achète.
Venir, dans un pareil système, réclamer des lois, des
règlements, faire valoir des services rendus, des
titres acquis, c' est presque une extravagance, c' est
demander le renversement complet du gouvernement. La
justice distributive dans l' administration
p42
seroit la mort du ministère livré sans défense aux
attaques de toutes les ambitions. Qui jamais lui
permettroit de régner pour lui seul, de recueillir
seul les avantages de la souveraineté, tandis que le
souverain, dont il n' est que l' agent, languiroit dans
l' angoisse éternelle du désir ? Il faut donc qu' il
administre au profit du souverain, et dès lors qu' il
administre despotiquement, par deux raisons : et
parceque les grâces, les faveurs doivent être
accordées, justement ou non, à ceux de qui dépend son
existence ; et parceque le despotisme administratif
est le seul obstacle qui puisse, dans les
démocraties, contenir quelque temps les violences de
la multitude sans cesse provoquées par ceux qui
spéculent sur ses passions et sur ses erreurs.
Chez un peuple ainsi constitué, la législation,
soumise à mille influences variables, représentera
dans son ensemble les triomphes successifs des
opinions et des intérêts les plus opposés ; à chaque
page on y lira les vicissitudes du pouvoir, les
craintes et les espérances des partis, les victoires
des factions. L' administration n' offrira
qu' incohérence et caprice, un flux et reflux perpétuel
de mesures contradictoires, et des déplacements sans
fin. L' estime ne s' attachera plus aux fonctions, mais
aux appointements. Ainsi, plus de services gratuits.
Autrefois on se dévouoit, maintenant on se vendra :
p43
quelques chiffres pourront exprimer ce que l' état
demande, ce qu' on lui promet ; et le ministère, à
chaque article de son tarif dégradant, aura soin de
stipuler une lâche et servile obéissance. Toute
charge, quelque haute qu' elle soit, sera, dès lors,
placée entre le pris qu' elle inspire, et la
convoitise qu' elle excite, à cause de ce qu' elle vaut
d' argent. Il y aura me, en certains cas, un revenu
attribué à l' honneur, afin que quelques uns en
veuillent. Le trésor devra solder tous les désirs
qu' on redoute : il paiera les discours, il paiera le
silence même. Les finances deviendront une immense
loterie, vers laquelle afflueront toutes les cupidités.
Dans le délire universel, les mots changeront de
valeur, les dettes s' appelleront richesse ; on
échangera avidement ses terres contre un morceau de
papier : ce sera le temps de l' imagination.
Un mouvement prodigieux, sans aucun but connu, sans
direction constante, agitera la société. Dans
l' instabilité générale, chacun, sentant que tout lui
échappe, que la famille même n' a plus de garantie de
durée, ne regardera que soi, ne pensera qu' à soi.
également privés d' avenir et de passé, sans ancêtres
dont le souvenir ait désormais quelque prix, sans
postérité sur laquelle ils puissent fonder un sage
espoir, isolés dans le temps comme dans la vie, les
hommes demanderont au jour présent ce qu' au sein
d' une vraie société les siècles
p44
seuls accordent. Ils voudront tout, et tout à la fois.
Des extrémités de l' ordre social, si ce mot a ici un
sens, on les verra se précipiter, accourir en foule,
pour passer à travers les richesses, les grandeurs,
le pouvoir. Qui restera ferme alors ? Qui ne dera
pas à l' entraînement, à la séduction générale ? S' il
en est, qu' ils rendent grâce à Dieu ; c' est lui qui
les aura sauvés. La probité, la vertu, la religion
me, succomberont en plusieurs, qui se mettront à
raisonner avec leur conscience, à se dire que pourtant
on ne doit non plus rien exagérer ; qu' on a des
devoirs envers les siens ; que trop de roideur
achèveroit de tout perdre ; que la sagesse conseille
de se prêter aux circonstances ; que le bien, tel
qu' on le voudroit, n' est plus de saison, que c' est
beaucoup déjà d' éviter l' excès du mal ; et en croyant
ne choisir qu' entre deux maux, souvent ils choisiront
entre deux crimes. Lacheté, dans le langage de ce
temps, s' appellera modération. De tristes exemples
seront donnés ; on en fera des modèles : car il
faudra bien qu' à cette époque de vertige et de
bouleversement, la foiblesse ait son lustre, et le
scandale sa gloire.
Jamais les charges publiques n' auront été si pesantes :
on taxera jusqu' à la lumière. Dans les siècles de
servitude on prélevoit la dîme des gerbes, dans le
siècle de la liberté on prélèvera celle des hommes.
De là un nouveau genre de trafic, plus ou moins
étendu, plus ou moins lucratif, selon
p45
les consommations de la guerre. On achètera pour
les revendre des créatures humaines, et nul ne
s' en étonnera ; que sait-on si, au contraire, on n' y
verra pas un progrès de l' industrie, qui pourra
figurer dans le tableau de la prospérité nationale.
Il y aura dans les âmes un tel avilissement, que
l' on ne comprendra plus aucun sentiment noble,
et que la simple probité deviendra presque
incompatible avec tout ce que le pouvoir exigera de
ses agents, suivant les moments et les circonstances.
Ce sera, certes, une grande affliction pour les
honnêtes gens qui aiment les places. Afin de sortir
de cet embarras, ils sépareront ingénieusement
l' homme public de l' homme privé ; de sorte qu' en
demeurant irréprochable comme homme privé, on pourra,
comme homme public, être en sûreté de conscience
et d' honneur le dernier des misérables.
Cette heureuse distinction une fois établie,
l' administration marchera sans gêne : certaine d' être
obéie, elle pourra tout commander, même les
plusvoltantes vexations, même les plus viles
pratiques. Rien désormais ne sera respecté : les
confidences intimes de la confiance et de l' amitié,
les secrets des familles, tout ce qu' il y a de plus
sacré sur la terre, sera violé impudemment pour
tranquilliser une lâche défiance, ou pour satisfaire
une infâme curiosité.
Cependant la politique, bornée aux intrigues
p46
intérieures, et n' étant plus qu' une dispute de
places, la nation perdra rapidement toute considération
et toute influence au dehors : elle sera livrée
aux hommes d' argent, et pour peu qu' on y rêve quelque
profit, vendue peut-être à un juif.
Les spéculations particulières se mêlant à celles
de l' état, et se multipliant à l' infini, il s' établira
une circulation toujours plus active, et toujours
plus effrayante, des fortunes réelles et des fortunes
fictives créées par le crédit. L' industrie épuisera
toutes ses combinaisons pour entretenir ce
mouvement et pour l' accroître. Les sciences mêmes
viendront au secours. On perfectionnera les procédés
destiers, des arts, ou on en inventera de
nouveaux ; on tirera de la matière tout ce qu' elle
peut donner, tout ce que les sens peuvent lui
demander de jouissances ; et jusqu' au moment où cet
édifice d' illusions et de folies disparoîtra dans le
gouffre d' une ruine universelle, on se récriera sur
les progrès de la civilisation et de la prospérité
publique.
Cependant la raison s' affoiblira visiblement.
On contemplera avec surprise et comme quelque
chose d' étrange les plus simples vérités ; et
ce sera beaucoup si on les tolère. Les esprits
s' en iront poursuivant au hasard, dans des routes
diverses, les fantômes qu' ils se seront faits. Les
uns s' applaudiront de leur sagesse qui n' admet
p47
rien que de positif, c' est-à-dire ce qui se voit,
ce qui se touche, ce qui se laisse manier avec la
main ; les autres se passionneront pour des rêves,
et plaignant le genre humain de son opiniâtre
attachement à des idées qui ne durent après tout
que depuis six mille ans, voudront, pour son bonheur,
le forcer à vivre de leurs immortelles abstractions.
Tous, quelles que soient leurs pensées, leurs opinions
particulières, s' accorderont pour rejeter l' unanime
enseignement des siècles. Il sera convenu que rien de
ce qui fut ne peut plus être ; que le monde doit
changer ; qu' il faut à ses lumières présentes une
nouvelle morale, une religion nouvelle, un dieu
nouveau. En attendant qu' on le découvre, nous allons
faire voir qu' en France l' état a cessé de reconnoître
l' ancien.
CHAPITRE II
p48
Que la religion en France est entièrement hors de la
société politique et civile, et que par conséquent
l' état est athée.
La révolution française, dont les causes remontent
beaucoup plus haut qu' on ne se l' imagine généralement,
ne fut qu' une application rigoureusement exacte des
dernières conséquences du protestantisme, qui,
des tristes discussions qu' excita le schisme
d' occident, enfanta lui-même à son tour la philosophie
du dix-huitième siècle. On avoit nié le pouvoir dans
la société religieuse, il fallut nécessairement le
nier aussi dans la société politique, et substituer
dans l' une et dans l' autre la raison et la volonté de
chaque homme, à la raison et à la volonté de Dieu,
base immuable, universelle de toute vérité, de toute
loi et de tout devoir. Chacun dès lors ne dépendant
plus que de soi-même, dut jouir d' une pleine
souveraineté, dut être son maître, son roi, son Dieu.
Tous les liens qui unissent les hommes entre eux et
avec leur auteur étant ainsi brisés, il ne resta
p49
plus pour religion que l' athéisme, et que l' anarchie
pour société.
Les affreuses proscriptions qui ensanglantèrent
la France à cette époque de crime, proscriptions
qu' on a depuis appelées des égarements,
vélèrent tout ce qu' il y avoit au fond des
doctrines philosophiques, dont le triomphe, proclamé
au milieu des ruines, sur l' échafaud où montoient
chaque jour et le prêtre, et le noble, et le
savant, et le riche, et le pauvre, et l' enfant
me, sembloit être une orgie de l' enfer.
Ces épouvantables horreurs renfermoient dans leur
excès même le terme de leur durée. Le meurtre
s' arrêta, mais les doctrines restèrent ; elles
n' ont pas un moment cesde régner : leur
autorité, loin de s' affoiblir, se légitime de
jour en jour. Elles deviennent une espèce de
symbole national consacré par les institutions
publiques, et révéré de ceux-mêmes qui l' avoient
long-temps combattu. Dans l' ordre politique, nous
en sommes encore, sous des formes et des noms
différents, à la pure démocratie ; elle gouverne
et administre selon l' esprit qui lui est propre,
et d' après les maximes du droit philosophique qui
a fait la révolution. Partout on en retrouve les
conséquences, au grand étonnement de ceux qui
croient vivre dans un état chrétien, sous un
gouvernement monarchique, et qui, dans l' erreur
de leur esprit, s' en prennent
p50
injustement aux volontés particulières de quelques
hommes, de ce qui n' est que le résultat naturel,
inévitable des principes et des choses.
Buonaparte, qu' il faut louer de ce qu' il a fait
de bien, mit fin, par le concordat, aux
persécutions religieuses du directoire et de la
convention. Il rendit aux catholiques le libre
exercice de leur culte, mais par un simple acte de
tolérance, ou de protection bornée aux individus ;
l' état, pendant son règne, n' en demeura pas moins
athée ; et rien, depuis, n' a été changé à ce qui
existoit sous ce rapport.
Combien de fois n' a-t-on pas remarqué que l' on
chercheroit en vain le nom de Dieu dans nos
codes, seul monument de ce genre où l' homme
apparoisse pour commander à l' homme en son propre
nom. Si ce recueil d' ordonnances humaines passoit
aux siècles futurs, sans qu' aucun autre souvenir de
notre temps leur parvînt, ils se demanderoient
avec effroi si l' idée de la cause suprême, du
souverain législateur, s' étoit donc perdue chez ce
peuple ; et ditant l' oubli profond dans lequel
il est tombé, ils s' efforceroient de jeter encore
un voile plus épais sur samoire.
La charte, il est vrai, déclare que la religion
catholique est la religion de l' état ; mais que
signifient ces paroles ? Et comment y voir autre
chose que l' énonciation d' un simple fait, savoir,
que le
p51
plus grand nombre des français professe la religion
catholique, lorsque cette même charte déclare
aussi que l' état accorde une égale protection
à tous les cultes légalement établis en France ?
Et, de fait, les ministres de ces cultes divers
ne sont-ils pas nommés, ou au moins approuvés par
l' état ? Ne reçoivent-ils pas de lui une rétribution ?
N' alloue-t-on pas chaque année des fonds pour
l' entretien et pour la construction de leurs
temples ? Ne jouissent-ils pas d' autant de priviléges
que le clergé catholique ? Ne sont-ils pas même à
certains égards traités avec plus de faveur ? Or,
l' état qui accorde une protection égale aux cultes
les plus opposés n' a évidemment aucun culte ;
l' état qui paie des ministres pour enseigner des
doctrines contradictoires n' a évidemment aucune
foi ; l' état qui n' a aucune foi, ni aucun culte,
est évidemment athée. Ce sont là des choses trop
claires pour qu' on puisse les contester ; et aussi
ont-elles été solennellement reconnues, en 1819, par
le tribunal institué pour empêcher que nos lois ne
reçoivent de fausse interprétation.
il s' agissoit de savoir (nous citons le
conservateur) si l' autorité publique pouvoit exiger
de chaque citoyen des témoignages extérieurs de
respect pour la religion de l' état... etc.
p52
les esprits alors étoient frappés de ce caractère
p53
hideux impri à nos lois par la révolution.
M De Châteaubriand écrivoit à la même époque :
aujourd' hui, c' est le ministre de la justice qui
combat jusqu' au nom de la religion, qui écarte
de nos transactions politiques la loi divine,
comme peucessaire sans doute aux règles
humaines... etc.
on s' est fort calmé depuis ce temps-là ; tant les
hommes se font à tout ! Et puis l' on ne sauroit
penser perpétuellement à Dieu ; il faut bien aussi
penser un peu à soi ; c' est, dans notre siècle, le
le qui s' use le moins, et il y a souvent lieu
d' admirer toutes les formes qu' il sait prendre, et
toutes celles qu' il sait quitter.
L' esprit de notre législation et les principes qui
en sont le fondement jettent quelquefois les hommes
qui gouvernent en d' étranges embarras, lorsqu' ils
essaient de concilier ces principes athées avec le
besoin de l' ordre, et avec les voeux de la partie de
la nation restée chrétienne. Rien de plus instructif
à observer que cette espèce de combat entre
l' ancienne foi, la foi du genre humain, et les
maximes nouvelles que la philosophie a données pour
p54
base à la société. Deux projets de loi, l' un sur le
sacrilége, l' autre sur les communautés religieuses
de femmes, ont été présentés aux chambres en 1825.
Les tribunaux n' avoient pu jusqu' alors punir les
vols commis dans les églises, parceque, d' après nos
codes, la maison de Dieu étoit considérée
comme inhabitée. en 1824, le gouvernement,
effrayé du grand nombre de vols sacriléges qui se
commettoient, proposa de l' assimiler aux lieux qui
servent d' asile à nos animaux domestiques, ou,
suivant la juste expression de m l' évêque de Troyes,
de l' élever à la dignité d' une étable ! On avoit
soigneusement exclus de ce projet de loi le mot de
sacrilége, et si l' on s' est cru obligé de le
laisser paroître dans la loi de 1825, en revanche on
y chercheroit inutilement le nom de Dieu,
parcequ' en effet le sacrilége, selon les auteurs du
projet, n' est pas un crime contre Dieu, mais contre
les opinions, les sentiments et les croyances des
peuples.
la discussion dans la chambre des pairs ayant porté
principalement sur la nature et le degré des peines
qu' on infligeroit aux malheureux qui se rendent
coupables de sacrilége, nous sommes bien aises de
dire ici que la religion étoit tout-à-fait étrangère
à cette question. Elle a miséricorde pour tous ceux
qui se repentent, et même pour ceux à qui la socié
ne peut ni ne doit pardonner. Que celui qui a reçu
le glaive use du glaive pour faire
p55
respecter Dieu et sa loi, c' est son devoir, car nul
ordre n' existeroit sans cela sur la terre. Mais la
religion n' a point de bourreaux ; et quand le crime,
poursuivi au dehors par la justice humaine, au
dedans par le remords, ne sait plus où se réfugier,
elle lui ouvre son sein, et là encore il trouve et la
paix et des espérances immortelles.
Toutefois ce seroit une profonde et dangereuse
erreur de conclure de là, contre l' exemple universel
des peuples anciens et des nations anciennes,
que la société abuse du droit de vie et de mort
qu' elle a sur ses membres, lorsqu' elle punit le
sacrilége de la peine capitale ; et nous avons peine
à comprendre comment ces paroles ont pu être
pronones devant la chambre des pairs.
n' arrêtez pas mes regards sur la dernière
conséquence de la loi, ou vous me ferez frémir...
etc.
p56
ce sophisme n' étoit pas digne de celui qui se
l' est permis. Un enfant répondroit que l' homme
ne pouvant condamner justement l' homme à mort,
qu' en vertu d' un pouvoir au-dessus du sien, toute
sentence de mort, si elle n' est pas un meurtre, est
rendue au nom de Dieu ; qu' il ne faudroit donc non
plus jamais parler de Dieu à aucun criminel
conduit à l' échafaud, à moins qu' on ne t lui
dire : c' est l' homme seul qui vous condamne ; on va
vous assassiner, et c' est pourquoi vous pouvez,
sans commettre votre raison, vous réconcilier avec
Dieu et croire qu' il vous pardonne. Tout cela
montre ce que deviennent les lois, et l' esprit des
lois, et celui des législateurs, sous les
gouvernements athées.
Et remarquez les progrès que ce genre d' athéisme
fait parmi nous d' année en année. En 1824, on
avoit demandé que, dans la loi sur le sacrilége,
on ne parlât que de la religion catholique,
apostolique, romaine, sauf à statuer, par une
autre loi, sur les vols commis dans les synagogues
et les temples protestants. En 1825, aucune voix ne
s' est élevée dans la chambre des pairs, qui compte
treize évêques dans son sein, pour réclamer cette
paration ; de sorte qu' il a été légalement
reconnu, sans la moindre opposition, qu' enlever
dans un prêche calviniste une table, un banc, une
nappe, ou une bible dans une synagogue, étoit un
ritable
p57
sacrilége ; par conséquent, que les objets
emplos à ces divers cultes, ne sont ni plus ni
moins sacrés que ceux à l' usage du culte catholique ;
ques lors, l' état considère tous ces cultes
comme également vrais, ou plutôt comme également
faux ; c' est-à-dire, que l' état s' est de nouveau
déclaré athée.
Il ne faut assurément pas de grands efforts
d' esprit pour comprendre une chose si claire : mais
si l' on souhaite de plus l' aveu précis du
gouvernement, nous le produirons.
Dans un discours extrêmement remarquable,
pronon devant lesputés, un homme d' un
rite incontestable et d' une rare habileté de
raisonnement, a réduit à un petit nombre de questions
aussi simples qu' importantes, toute la controverse
qu' a fait naître la loi sur le sacrilége. On ne
saurait être plus loin que nous le sommes de
partager les opinions de M Royer-Collard, mais
nous devons avouer que dans ce siècle si fertile en
sophistes niais, on est heureux de rencontrer un
adversaire dont les idées sont liées entre elles,
qui part de principes nettement posés, en admet les
conséquences, au moins presque toujours, et avec
qui l' on peut dès lors discuter sans dégoût.
En attaquant le projet de loi, il commence par
prouver d' une manière invincible que les dispositions
pénales qu' il contient, sont, au plus haut degré,
iniques, odieuses, impies, si la loi ne suppose
p58
pas la rité des dogmes d' où dépend la réalité
du sacrilège dans chaque cas particulier ; qu' ainsi,
par exemple, s' il n' est pas légalement vrai que
Jésus-Christ, Dieu et homme, soit présent sous
les espèces consacrées, le supplice infligé aux
profanateurs des saintes hosties n' est qu' une
épouvantable atrocité, un forfait légal, digne
de l' exécration de tout homme à qui il reste une
ombre de conscience.
Mais comme cette foi publique et sociale exclut
évidemment une égale protection de tous les cultes,
et que M Royer-Collard semble confondre dans
sa pensée cette protection égale avec la tolérance
civile, l' état, selon lui, ne doit adopter aucuns
dogmes, ni professer aucune foi. Pour user de ses
propres expressions, l' alliance que l' état forme
avec la religion, de quelque manière qu' elle soit
coue, ne sauroit comprendre de la religion que
ce qu' elle a d' extérieur et de visible. La vérité
n' y entre pas, elle est temporelle, rien de plus.
afin d' établir cette maxime, qu' on pourroit
traduire ainsi : l' état doit être athée, rien de
plus, l' orateur ajoute : est-ce qu' on croit,
par hasard, que les états ont une religion comme
les personnes ; qu' ils ont une âme et une autre
vie où ils seront jugés selon leur foi et leurs
oeuvres ?
voilà, certes, une bizarre demande : ce sont de
ces choses, comme Rousseau en fournit tant
d' exemples, qui échappent aux plus habiles, quand
ils se
p59
sont une fois engagés à soutenir quelque principe
faux. Car, du reste, M Royer-Collard sait aussi
bien que nous que, si jamais personne n' imagina
que les états aient une âme et une autre vie
ils seront jugés selon leur foi et leurs
oeuvres, tout le monde comprend à merveille
qu' un état forme un être moral, dont les maximes,
les croyances, les doctrines, sont exprimées par
ses actes publics et principalement par sa
législation. Il faudroit pour nier cela renverser
le langage humain. Si les états n' avoient point, en
ce sens, une religion, ils n' auroient point non plus
de morale, du moins obligatoire, puisque la morale
n' a de sanction positive et dogmatique que dans la
religion. or, sans morale, je dis sans morale
professée publiquement, et reconnue par les lois,
concevroit-on seulement l' idée de justice appliquée
par l' état aux rapports des hommes entre eux dans la
société ? Nous nous abstiendrons de montrer toutes
les conséquences de l' erreur que nous combattons en
ce moment, et sur lesquelles il y a quelque lieu
d' être surpris que M Royer-Collard ait fermé les
yeux.
L' horreur que l' athéisme inspire naturellement, l' a
fait tomber dans la seule contradiction qu' offre
son discours. il s' en faut bien, dit-il, que la
loi française soit athée. si la loi fraaise
n' est pas athée, elle reconnoît donc l' existence de
Dieu, il y a donc au moins une vérité légale ;
il est donc
p60
faux que la vérité n' entre pour rien dans
l' alliance de l' état avec la religion, que la loi
humaine ne participe point aux croyances
religieuses, qu' elle ne les connoît ni ne les
comprend. je m' étonne que M Royer-Collard
n' ait pas vu que, ce principe admis, toute son
argumentation contre ses adversaires et leur projet
de loi, croule par le fondement ; car si l' on avoue
que la loi peut et doit professer unerité
religieuse, une seule, elle doit et peut les
professer toutes : en d' autres termes, si l' état
peut avoir une religion, il doit en avoir
une, et par conséquent la vraie. Que si, au
contraire, l' état n' adopte aucune religion, si la
vérité n' entre pour rien dans la protection que
nos lois accordent aux différents cultes, si ces
lois ne consacrent, n' admettent comme vraies
aucunes croyances, j' en adjure tous les hommes qui
entendent la valeur des mots, ces lois sont athées.
le motif pour lequel M Royer-Collard s' oppose
à ce que la loi reconnoisse aucune rité religieuse,
c' est qu' il s' ensuivroit, selon lui, que toutes
les religions d' état seroient également vraies, ou
qu' il y auroit autant de vérités que de religions
d' état. bien plus, ajoute-t-il, si dans
chaque état, et sous le même méridien, la loi
politique change, la vérité, compagne docile,
change avec elle... etc.
p61
nous recueillons avec empressement l' aveu que
contiennent ces paroles. Appliquées au système
protestant, dont l' examen particulier est, comme
on le sait, la base, elles sont d' une justesse
rigoureuse ; mais il n' en est pas ainsi de la
religion catholique, qui repose sur le principe
absolument opposé.
Dans cette invariable religion, aucun individu
ne crée la vérité, ou ne la détermine par son
jugement ; mais il la reçoit sans discussion d' une
autorité toujours vivante et parlante, spirituelle
par sa nature, et infaillible même humainement,
puisqu' il n' en est point de plus élevée sur la
terre.
De me aussi l' état ne crée point la vérité ou
ne la détermine point par son jugement ; mais,
comme l' individu, il reconnoît cette loi
immuable des esprits et s' y soumet, en écoutant ce
qu' enseigne l' autorité indépendante, universelle,
perpétuelle, qui la promulgue sans interruption.
Ainsi il ne peut y avoir en matière de religion, ni
me, si on l' entend bien, dans quelque ordre d' idées
que ce soit, deux vérités contradictoires entre
elles, que par une violation du principe
catholique.
Dans le système protestant, au contraire, chaque
p62
individu crée la vérité ou la détermine par
son jugement ; d' où il suit que les vérités les
plus contradictoires entre elles, sont la vérité
au même titre, la vérité immuable absolue, ou
qu' il n' existe aucune vérité : et la même chose a
lieu pour l' état.
Ici reviennent, avec une force accablante, toutes
les conséquences si admirablement déduites dans le
discours que nous examinons, et qui conduisent
elles-mêmes non moins nécessairement à
une conséquence dernière, savoir, que le système
d' où elles découlent, le système protestant ou
philosophique, détruit, pour les individus comme
pour les états, toute vérité sans exception, et que
l' athéisme absolu, qui en est la suite inévitable,
en est aussi le fonds essentiel.
L' anxiété douloureuse qui tourmente le monde,
les mouvements convulsifs qui l' ébranlent, ne
sont que le résultat de la lutte établie entre
le protestantisme, parvenu à son terme extrême,
et la religion catholique, c' est-à-dire entre
l' athéisme et ses conséquences manifestées
partout, dans les lois, dans les moeurs, et la
doctrine contraire qui lui dispute et les moeurs
et les lois. En cet état de choses, il est
impossible de séparer les questions politiques
des questions religieuses ; leur étroite liaison
oblige de les traiter ensemble ; c' est une
nécessité indépendante des passions et des intérêts
personnels, par lesquels on cherche trop
aujourd' hui
p63
à tout expliquer. Et ce que nous disons ici est
un fait tellement évident qu' il frappe tous les
esprits capables d' observation. Il n' a point
échappé à M Royer-Collard. de même, dit-il,
que, dans la politique, on nous resserre entre le
pouvoir absolu et la sédition révolutionnaire,
dans la religion, nous sommes pressés entre la
théocratie et l' athéisme. ce qui signifie que,
dans la politique, on cherche vainement un milieu
entre la démocratie absolue ou l' anarchie, et
l' unité d' un pouvoir indépendant, de qui seul
peut émaner une hiérarchie sociale qui le limite
sans l' anéantir ; deme que, dans la religion,
on cherche vainement un milieu entre l' athéisme
et la doctrine catholique. Au fond, dans la
religion comme dans la politique, on se travaille
pour résoudre un problème insoluble, qui consiste
à trouver une autorité qui ne soit pas une
autorité : l' orgueil, qui ne sauroit se résigner
à obéir, ne veut point de la véritable ; on la
repousse de la politique sous le nom de pouvoir
absolu, et sous le nom de théocratie, de la
religion. Je ne sache point d' expérience plus
instructive ; mais quelle expérience instruisit
jamais les hommes ?
Dans cette position extraordinaire, les uns,
emportés par les conséquences du principe athée,
détruisent, jusque dans leurs derniers éléments,
la société religieuse et la société politique que
Dieu
p64
lui-même a unies par des liens indissolubles ; et
les autres, pressés du besoin de retrouver une
société véritable, parcequ' il n' y a pour l' homme
de vie que là, se concentrent forcément dans la
seule société qui subsiste aujourd' hui, l' église
catholique, apostolique, romaine, hors de laquelle
il n' existe plus ni ordre, ni vérité. Mais qu' elle
cherche à élever un empire temporel, que le
prêtre aspire à être roi, ce seroit aussi
trop d' extravagance que de soutenir sérieusement
une pareille pensée. L' église a sans doute des
droits en ce monde, puisqu' apparemment Dieu en a,
puisque Jésus-Christ a dit : toute puissance m' a
été donnée au ciel et sur la terre ; mais elle
ne réclame d' autre domination qu' une domination
spirituelle, et celle-là ne lui sera point ravie.
re d' elle-me, elle sait que sa durée sera
éternelle. Les hommes ne peuvent rien pour elle,
ni contre elle ; mais elle peut tout pour les
hommes, et son désir si calomnié, seroit de les
rappeler dans les voies du bonheur et de la
paix, en formant de nouveau avec l' état une
alliance, non pas de budget, mais de vérité,
de croyances, d' institutions et de lois.
p65
Rien n' étoit plus éloigné des pensées du ministère
qu' une semblable alliance : de toutes les
accusations, ce seroit celle qu' il redouteroit
le plus. M le garde des sceaux, répondant à
M Royer-Collard, défendit les dispositions
pénales de la loi, en niant qu' elle contînt un
acte de foi, et qu' il s' ensuivît qu' il existe
des vérités légales. La législation, dit-il, n' a
jamais pensé à autre chose qu' à un acte politique.
m le ministre des affaires ecclésiastiques, que nous
nommons ici à regret, développa la même doctrine en
des termes encore plus forts. Nous sentons avec
douleur que, pour être cru, il est nécessaire de
citer ses propres paroles ; les voici, telles que
les rapporte un journal ministériel : la charte
dit encore que la religion catholique est la
religion de l' état... etc.
p66
quoi ! Que Jésus-Christ soit ou non présent dans
les hosties consacrées, il suffit que le roi, la
famille royale, les grands corps politiques et
judiciaires, croient à la réalité de cette présence,
pour qu' on puisse justement condamner au supplice
des parricides un malheureux qui n' aura, selon
vous, manqué de respect que pour un morceau de
pain peut-être ! Et ce qui passe tout le reste,
on soutiendra cette doctrine pour maintenir
l' athéismegal, pour qu' on ne puisse pas dire que
la loi reconnoît une vérité, renferme la profession
d' un dogme ! On craindra moins de tuer politiquement
l' homme, que d' avouer légalement Dieu ! Enfin
voilà le langage qu' on osera tenir à la face de
la France et de l' Europe ; voilà les maximes du
ministère dans le royaume appelé très chrétien.
aussi, dans la loi qui a pour objet l' établissement
des communautés religieuses des femmes, loi
pénale contre la charité, contre le sacrifice
volontaire de soi-même au bonheur des autres ; dans
p67
cette loi, dis-je, on ne reconnoît aucun
engagement envers Dieu, et en cela l' on est
conséquent. On l' est peut-être un peu moins en
reconnoissant des engagements envers les hommes,
tels que ceux des sociétés de commerce,
d' agriculture, d' arts, de sciences, enfin de
toutes les sociétés d' utilipublique, parmi
lesquelles on veut bien ranger les communautés
religieuses. Sur quoi reposent ces engagements ?
D' tirent-ils leur force obligatoire ? Quelle
puissance humaine peut lier la volonté de
l' homme ? Et le devoir est-il autre chose que
l' obéissance à une volonté plus haute, à la
volonté de Dieu même ? Au lieu donc de renverser
le fondement des devoirs, en refusant de
reconnoître les obligations envers Dieu,
peut-être eût-il mieux valu s' en aider pour
raffermir le principe de toute obligation morale,
déjà certes assez ébranlé par nos opinions et par
nos moeurs. Mais enfin admettre des voeux, c' eût
été faire une brèche à l' athéisme légal, qu' il
faut sauver avant tout ; point de voeux
p68
donc, et, comme dit le ministre, l' état ne s' en
mêlera pas : ce sont là des choses d' un ordre
plus élevé, qui se passeront entre la conscience
et Dieu. et toutefois qu' une pieuse fille
s' engage devant Dieu à garder, suivant le conseil
évangélique, une perpétuelle virginité, l' état, qui
ne se mêle point de voeux, lui ravira les droits
dont jouissent les autres membres de la société,
tout prêt à les lui rendre, il est vrai, si elle
sortoit du cltre pour entrer dans un lieu de
prostitution. C' est la première fois que, chez
aucun peuple, les lois, s' armant de rigueur contre
les plus sublimes dévouements, se soient effrayées
de la vertu.
Déclarée par l' état indifférente ou fausse, la
religion est encore exclue, sous un autre rapport,
de l' ordre politique. Quelle influence y exerce-t-elle ?
Quels droits lui reconnoît-on ? Assurément
aucuns. Dans les anciennes monarchies chrétiennes,
l' église étoit la première des institutions
publiques, et le clergé le premier des ordres de
l' état, parceque l' on ne connoissoit point en ce
temps-là
p69
de fonctions plus nécessaires ni plus élevées que
les siennes. Il composoit, avec la noblesse et les
députés des communes, les états-généraux de la
nation. Il ne vivoit point comme étranger au
milieu de la société qui lui devoit tout, ses
croyances, ses lois, ses moeurs. Des propriétés qui,
entre ses mains, furent toujours, en grande partie,
le patrimoine des pauvres, assuroient, avec son
existence, la perpétuité des bienfaits qu' il
pandoit autour de lui ; il les administroit
lui-même ; et quoi de plus juste ? Une corporation
ne possède-t-elle pas au même titre qu' un
particulier ? Ne doit-elle pas être, comme celui-ci,
maîtresse derer ses propres affaires, et de
disposer à son gré de ce qui lui appartient
légitimement ? La folle manie d' administrer tout,
de centraliser tout, qui, de nos jours s' est
emparée de certains gouvernements, est, de leur
part, un envahissement des seules vraies libertés
des peuples, et peut-être, à la longue, la plus
dure des tyrannies, car, en ôtant aux hommes le
soin de ce qui les intéresse directement, pour
les tenir sous une tutelle ruineuse et despotiquement
inepte, on froisse sans interruption, et le bon
sens universel, et tous les sentiments qui forment
le lien des associations humaines.
En Angleterre, l' église établie possède
d' immenses revenus ; les évêques sont de droit
membres
p70
de la chambre haute, et à peu près le tiers des
causes qui se plaident dans les trois royaumes
ressortent de leurs tribunaux. Le clergé, en
France, reçoit un salaire, mais la religion n' est
point dotée. Ce qu' aujourd' hui l' état lui donne, il
peut le lui retirer demain ; elle n' occupe aucune
place dans le corps politique ; elle est au-dessous
d' un électeur à trois cents francs. Sans droits
reconnus, et, quand on lui en reconnoîtroit, sans
moyens de les défendre, une nullité complète est
le partage qu' on lui a fait. Objet de crainte et
de jalousie pour le gouvernement qui l' opprime
beaucoup plus qu' il ne la protège, on ne lui laisse
pasme le libre exercice de son propre
gouvernement ; onne, comme nous le dirons plus
tard, les communications des évêques avec leur
chef ; on entrave leur juridiction ; on les isole
les uns des autres pour les maîtriser plus
facilement ; on ne leur permet pas de s' assembler
selon les ordonnances de l' église : abaissement
tel que l' on ne cooit point de servitude plus
profonde.
Si de l' ordre politique nous passons à l' ordre
civil, nous y retrouvons encore l' athéisme : il
préside parmi nous à toute la vie humaine. Un
enfant naît, on l' enregistre, comme, à l' entrée de
nos villes, les animaux soumis à l' octroi. Rien,
dans ce que l' état prescrit, ne rappelle ni la
nature de cet être fait à l' image de Dieu, ni
les devoirs
p71
qui l' attendent, ni les destinées qui lui sont
promises. Il pourra croître sans qu' aucune parole
du ciel ait été prononcée sur son berceau ; il
pourra mourir sans avoir connu d' autre religion
que le culte de lui-me, d' autre morale que le
code criminel, d' autre divinité que le bourreau.
Suivons-le dans sa carrière, afin d' admirer
jusqu' au bout l' opiniâtre impiété de la loi. Ses
premières années se sont écoulées ; il est
maintenant en âge de fonder une nouvelle famille,
de contracter un engagement dont l' importance égale
la sainteté, et que les législateurs du monde
entier, fidèles à la tradition universelle et
primordiale, protégèrent soigneusement contre
l' inconstance de l' homme, en l' environnant de ce
que la religion, dans ses menaces, dans ses
promesses, dans ses rites et ses pompes, a de plus
auguste et de plus solennel. Chez toutes les nations,
me les plus barbares, le mariage eut toujours un
caractère sacré ; jamais il ne fut, en aucun pays,
un simple acte civil, une pure convention
humaine garantie par l' état. Le souvenir, partout
conservé, de son institution primitive apprit
aux hommes qu' à Dieu seul appartient le pouvoir
de former le lien mystérieux, indissoluble, qui
doit unir l' époux à l' épouse, et comme il unit
originairement le père et la re du genre
humain. Pour nous, peuple sans Dieu, nous avons
chargé un adjoint
p72
de village d' accomplir, loin de l' autel, l' oeuvre
de la toute-puissance, de lier à jamais les
destins de l' homme à ceux de la compagne qu' il
s' est choisie, d' enchaîner les caprices de son
coeur, de soumettre sa volonté à une règle
immuable, de créer la famille, la puissance
paternelle, les devoirs des enfants : car, s' il
ne fait pas toutes ces choses, le mariage dont il
est le ministre n' est qu' un concubinage légal, une
ritable prostitution.
Hâtons-nous d' arriver à la dernière scène du lugubre
drame de la vie dans les sociétés athées. De
consolations, d' espérances, la loi n' en connoît
pas ; hors de la terre il n' y a rien pour elle :
ses sollicitudes touchant à leur terme, elle n' a
plus à s' occuper que de quelques soins de voirie.
Un officier public vient constater la mort. Il
déclare qu' appelé en tel lieu, il y a vu un
cadavre ; on écrit sur un registre le nom du
décédé : deux fossoyeurs font le reste.
Cherchez dans l' univers, je ne dis pas une nation,
mais une horde sauvage dégradée jusqu' à cet excès,
vous n' en trouverez point. Jamais, avant le
dix-huitième siècle, il n' exista de société
publique systématiquement athée, de législation
qui se combattît elle-même en renversant la base
des devoirs ; qui, dépouillant l' homme de sa
grandeur, et le ravalant au rang des brutes, ne
lui montrât dans la naissance qu' un accroissement
p73
de l' espèce, dans le mariage qu' un bail à vie,
dans la mort que le néant. Voilà nous en sommes
venus à force de lumières ; voilà ce que nous
appelons, avec complaisance, les progrès de la
civilisation. Et maintenant, ô France ! Sois
fière, lève la tête, regarde en pitié les contrées
barbares où l' état croit encore en Dieu, et
professe une religion, où l' enfant, à son entrée
dans ce monde, est sanctifié, béni, placé sous la
protection de la miséricorde et de l' espérance ;
l' union conjugale, formée en présence du
très-haut, reçoit de lui son auguste consécration ;
le trépas, consolé par une foi sublime, n' est
pas la fin de toutes choses pour le juste et pour
le méchant, mais le passage à une existence
immortelle. Grâces à tes législateurs, tu t' es
élevée au-dessus de ces préjugés vulgaires :
affranchie de la loi divine et des croyances du
genre humain, tu t' avances à grands pas vers la
perfection sociale. Encore quelque temps, et l' on
cueillera les derniers fruits de la sagesse, qui,
pour animer les hommes aux travaux du devoir, aux
sacrifices de la vertu, leur enseigne que le pas
n' est qu' un peu de cendre, et l' avenir un
pulcre éternel !
CHAPITRE III
p74
Que l' athéisme a passé de la société politique et
civile dans la société domestique.
Quelques personnes, dont nous voudrions partager
les espérances, ont cru remarquer que l' Europe,
après tant d' égarements, de malheurs et de crimes,
tendoit à se rapprocher de la religion. Ce retour,
s' il étoit réel, s' il étoit général, sauveroit
sans doute, en la régénérant, notre vieille société,
qui tombe de toutes parts en dissolution ; mais,
en se flattant que les doctrines vitales font
chaque jour de nouveaux progrès, que le
christianisme reprend sur les peuples l' ascendant
qu' il avoit perdu, n' est-on pas rassuré plutôt par
des désirs que par des faits ? Il y a aujourd' hui
dans les gens de bien une disposition singulière à
la confiance, et comme une volonté fixe d' espérer
sur de vagues motifs et de trompeuses apparences.
Ils comptent sur le temps, pourvu qu' on le laisse
p75
faire et qu' on ne dérange point son action. à les en
croire, tout ira bien ; il suffit d' attendre : et
c' est qu' ils sont las de combattre, ils veulent du
repos.
Il faut réveiller ces endormis, en frappant leur
oreille du bruit des révolutions qui grondent dans
le sein de l' avenir. Mais cependant voyons ce que
des hommes d' un haut talent peuvent dire en faveur
de l' opinion sur laquelle ils se tranquillisent.
on a beaucoup parlé de la marche du siècle et du
mouvement des esprits, et personne n' a remarqué
un phénomène digne de fixer l' attention de
l' homme d' état et du législateur... etc.
p77
nous convenons des efforts du zèle ; on ne sauroit
trop les louer. Du reste ce brillant tableau,
duit à ce qu' il contient d' exact, peut être
su en ce peu de mots : la religion, objet d' une
haine non moins active que persévérante, est
attaquée partout, et partout défendue par les
vrais chrétiens.
La question qui agite la Grèce est d' un ordre
différent. Après une longue et dure servitude,
elle combat pour recouvrer son indépendance
nationale, et, à force de sacrifices,
probablement elle parviendra à la reconquérir,
si les vues étroitement intéressées et les basses
jalousies de quelques puissances rivales ne la
courbent pas de nouveau sous le sabre des
musulmans.
Esclaves, depuis deux siècles, dans leur propre
pays, et sous quelques rapports plus misérables
que les grecs mêmes, persécutés, dépouillés de
leurs biens, massacrés au nom de la tolérance,
les irlandais demandent à leurs oppresseurs
combien de temps encore six millions d' hommes, à
qui l' on ne sauroit reprocher d' autre crime que
leur attachement inviolable à la foi de leurs
p78
pères, seront tenus hors de la loi des nations. Ce
noble peuple, indigné de ses fers, et pouvant
les briser, donne l' exemple d' une modération aussi
admirable que le furent sa constance et sa fermeté.
Il réclame par les voies légales une justice trop
tardive pour l' honneur de l' Angleterre ; heureux
s' il peut passer, sans que ni une larme ni une
goutte de sang soit répandue, de l' état de proscrit
au rang de sujet !
Rien, dans les deux exemples que nous venons
d' examiner, n' autorise à penser que l' esprit
religieux soit le caractère particulier du nouveau
siècle. le débordement des livres impies, les
complots chaque jour renaissants des sociétés
secrètes, conduisent bien moins encore à cette
conclusion. Et quant aux prodiges de la charité,
j' avoue que partout l' on aperçoit de grands
effets, l' on doit admettre une cause puissante.
Cette cause existe sans aucun doute ; c' est la
foi, c' est l' amour que le christianisme commande
et inspire. Mais qu' on prenne garde de s' yprendre :
de ce qu' une lutte universelle s' est engagée entre
le bien et le mal, il ne s' ensuit pas que le bien
prédomine ; cela prouve plutôt, qu' au lieu de régner,
il estduit à se défendre. Qui auroit songé, il y
a cinquante ans, à se réjouir de la formation d' une
école religieuse comme d' une victoire ? On ne
remarque tant l' action du christianisme que dans
les sociétés qui ne
p79
sont plus chrétiennes. La vue d' une croix étonne
et frappe en un pays protestant : ailleurs à peine
excite-t-elle l' attention de la piété.
La situation présente de l' Europe diffère tellement
de tout ce qu' on avoit encore vu, que les
meilleurs esprits, faute d' un terme de
comparaison, s' abusent quelquefois d' une manière
étrange dans les jugements qu' ils en portent. Il est
impossible de rien comprendre à ce qui se passe sous
nos yeux, si l' on ne reconnoît d' abord, dans les
deux mouvements opposés qui agitent le monde, la
continuation de la guerre que l' athéisme déclara
ouvertement, vers le milieu du dernier siècle, à la
religion catholique, sa seule véritable ennemie ;
et si l' on ne considère, d' une autre part, que cette
guerre, plus vive qu' elle ne le fut jamais, a
totalement changé de nature, en ce qu' autrefois
l' athéisme, n' ayant à ses ordres que des soldats
dispersés et sans presque aucune organisation,
combattoit la société publique, chtienne alors,
sinon dans ses membres, au moins dans ses lois,
ses institutions, ses usages, ses maximes ; tandis
que, maître aujourd' hui de cette société qu' il a
conquise, il attaque avec toutes les forces qu' elle
lui prête la religion, défendue seulement par des
individus isolés. Loin que, d' un bout à l' autre,
l' Europe soit travaillée par un ferment religieux,
introduit dans la masse du corps social, le
corps social
p80
s' est au contraire entièrement séparé de la
religion. Il y a maintenant deux sociétés, non
seulement distinctes, mais ares l' une contre
l' autre : la société des hommes sans Dieu, dont
presque partout les systèmes prévalent dans le
gouvernement et l' administration ; la société des
chrétiens unis sous l' autorité de l' église, et qui,
pour maintenir sur la terre une foi, un culte, un
ordre moral, sont forcés de lutter sans relâche
contre l' athéisme politique et ses conséquences.
De là les prodiges de zèle qu' on admire avec
raison ; et de là aussi les maux extrêmes que
produit nécessairement une oppression légale et une
persécution savante. Qu' en cet état les esprits
soient agités d' une inquiétude vague, cela
se conçoit ; on n' est pas à l' aise dans le vide :
mais que cette inquiétude les pousse à de hautes
contemplations, on en douteroit fort, si celui
qui l' affirme n' avoit plus qu' un autre le droit
d' être cru, toutes les fois qu' il s' agit de
contemplations élevées.
à cause de l' abaissement où on l' a duite, des
attaques dont elle est l' objet, des sacrifices
mes attachés à la pratique sincère de sa doctrine
et de ses commandements, la religion peut-être
exerce aujourd' hui une action plus forte sur la
portion des peuples qui lui est demeurée vraiment
fidèle : mais le nombre des chrétiens a diminué
depuis un demi-siècle, et continue de diminuer
progressivement.
p81
Ce fait n' est que trop incontestable, et seroit,
au besoin, susceptible d' être établi par les
documents les plus positifs. Le gouvernement
lui-même, à cet égard peu suspect d' exagération,
est convenu, en exposant les motifs du projet de
loi sur le sacrilége, de la multitude d' impiétés
commises par des malheureux dépourvus de foi,
et il a présenla négligence, l' oubli,
l' indifférence, comme le caractère particulier
de ces tristes temps. C' étoit avouer, en d' autres
termes, l' affoiblissement de la vie morale dans la
société ; car la société vit de foi ainsi que
l' homme, et la religion, fondement des devoirs,
est aussi l' unique source des idées spirituelles,
et de tout ce qui élève au-dessus des sens. Si
l' on en doutoit, qu' on observe comment la
philosophie du dernier siècle, en se répandant, a
introduit peu à peu un matérialisme abject dans
les esprits et dans les moeurs, d' où il a passé
dans les lois, l' administration et le gouvernement.
Des individus, égarés par de fausses doctrines, ont
corrompu l' état, qui corrompt à son tour les
individus : car quel est le peuple dont la foi pût
sister à des lois athées, à l' influence
continuelle d' un gouvernement à qui toute croyance
est indifférente ? Quand on le voit payer
également, protéger également les cultes les plus
opposés, que voulez-vous que pense la multitude,
toujours déterminée par l' exemple ? Incertaine de ce
p82
qu' elle doit croire, elle s' affranchit bientôt de
la pratique gênante des devoirs religieux ; elle
déserte l' église pour tous les lieux où ses
passions l' appellent, et, privée d' instruction,
de conseils, de règle de conduite, elle tombe
rapidement dans une ignorance profonde et dans
des habitudes brutales. Le repos du jour saint
n' est plus gar, et en cela l' on ne fait
qu' imiter l' administration même. Le dernier signe
de communion qui existe entre les peuples, au
milieu de tant de cultes divers, disparoît.
Cependant la dépravation va croissant ; les liens
de la famille se relâchent, ou plutôt l' on ne
connoît plus ni mariage, ni paternité ; un homme
a sa femelle et ses petits, voilà tout ; et encore
souvent ne sait-on à qui ils appartiennent.
p83
Les vices se propagent ; on les étale sans honte
à tous les yeux. Ils entourent l' enfant dès le
berceau, et leur hideuse nudité n' inspire ni
horreur, ni étonnement. Au sens moral, à peu près
éteint, succède une sorte de mouvement aveugle
qui pousse stupidement des êtres dégradés vers
tout ce qui promet quelque jouissance à leurs
grossiers appétits. Quelquefois un instinct féroce
se développe en eux, ils ont soif du sang, et des
forfaits inouïs épouvantent le monde.
Que dire d' une semblable société, de ses doctrines,
de ses lois ? Que dire des hommes qui, possédés
de je ne sais quel esprit de vertige, jettent les
peuples dans cet abîme, et de ceux, plus coupables
encore, qui, par foiblesse ou par intérêt, se
rendent les apologistes, les soutiens, les agents
d' un si exécrable désordre ? Encore une fois, que
dire ? Il n' y a que les paroles de l' esprit saint :
malheur à vous dont le coeur est malade, qui ne
croyez point en Dieu, et que Dieu ne protègera
point ! Malheur à vous qui établissez des lois
impies,
p84
et qui écrivez l' injustice ! Malheur à la nation
pécheresse au peuple chargé d' iniquités, à la
race perverse, aux enfants du crime, qui ont
abandonné le seigneur, qui ont blasphéle saint
d' Israël, et qui se sont retirés de lui ! Malheur
aux prophètes insensés qui suivent leur esprit, et
ne voient rien ! Malheur à vous qui dites que
le mal est bien, et que le bien est mal ; qui
appelez les nèbres la lumière, et la lumière les
ténèbres ! Malheur à vous qui êtes sages à vos
propres yeux, et qui vous applaudissez de votre
prudence ! Malheur à vous qui avez un coeur double,
et des lèvres criminelles, et des mains souillées,
et qui marchez en deux voies sur la terre ! Que
feront-ils, quand tout à l' heure Dieu les
regardera ?
p85
malheur à eux, car leur jour vient, et le temps
de la visite approche !
nous n' avons encore montré qu' une partie de
l' influence que l' état exerce sur la socié
domestique pour la corrompre. Le moyen sans
contredit le plus puissant et dont le génie du mal
a su le mieux profiter pour étendre le règne de
l' athéisme, est l' éducation publique. C' étoit,
avant la révolution, une maxime universellement
reçue, qu' elle appartenoit, chez les nations
chrétiennes, à ceux à qui Jésus-Christ a dit :
allez et enseignez. les conciles provinciaux, dit
monseigneur l' évêque d' Amiens, les ordonnances
synodales, les édits de nos rois, les arrêts du
conseil d' état et des parlements, la double
puissance du sacerdoce et de l' empire, reconnurent
solennellement que l' éducation de l' enfance étoit
le droit exclusif de l' episcopat.
p86
après avoir détruit l' ordre ancien, on se hâta
d' établir le principe contraire, afin d' assurer le
triomphe de l' impiété et de l' anarchie. Il n' y avoit
plus d' évêques en France, mais il y avoit encore
desres ; on les dépouilla de l' autorité que Dieu
me leur a donnée sur leurs enfants : la leur
a-t-on rendue depuis ? Non, certes. écoutez
M De Corbières :
l' instruction publique est chez nous une
institution (politique,) et ce n' est pas une chose
nouvelle ; les temps ont amené des changements
successifs dans les établissements comme dans les
formes de l' instruction ; le principe est resté
de même.
p87
une assertion si positive étonne de la part d' un
avocat, qui devroit avoir au moins quelque idée
de notre ancienne législation ; qu' il remonte
seulement jusqu' à Louis Xiv, il verra que personne
alors ne se doutoit de ce principe, qui est resté
le même. il est manifeste, déclaroit le 23 janvier
1680 le conseil d' état, il est manifeste qu' il
n' appartient qu' à l' église de prendre connoissance
du fait des écoles. Cet usage a toujours été suivi
en France ; ... aussi les jurisconsultes disent
que le soin des écoles est soumis aux
ecclésiastiques.
puisque le ministre l' ignore, il est bon de lui
apprendre que la doctrine qui le charme, et dont
l' antiquité lui paroît si vénérable, est née dans
la convention. C' est elle qui, la première, en
violant tous les droits, essaya de faire de
l' éducation une institution politique, projet
digne de ses inventeurs, et que, sous ce rapport,
il y a certainement quelque courage à adopter. Car
enfin le ministre veut-il savoir quelle est, après
la sienne, la plus haute autorité qu' on puisse
alléguer en faveur de la maxime qu' avec tant
d' à-propos il entreprend de soutenir ! C' est
l' autorité de Danton. En 1793, ce profond
publiciste s' exprimoit ainsi : il est temps de
tablir ce grand principe, que les enfants
appartiennent à la république avant d' appartenir
à leurs parents.
voilà certes un imposant accord : aussi M Lainé,
p88
dont toute la France connoît la vive imagination,
paroît-il n' avoir pas été peu flatté de voir son
administration justifiée par ce double suffrage. Sa
naïve satisfaction se montre tout entière dans ces
paroles qu' il adressoit à la chambre des pairs.
on est heureux d' entendre dire que l' instruction
publique pour les hommes est une institution
politique à régler par les lois ; cela peut
ranimer des espérances et des voeux légitimes ;
mais pour n' avoir pas autant d' intérêt politique,
l' instruction des femmes n' en est paspourvue.
saisissant cette dernière idée, qui double le
domaine de la politique, m le marquis De
Lally-Tolendal exprima le voeu légitime, qu' on
s' occupât promptement de former des citoyennes,
et, en vérité, la chose est tellement facile,
tellement simple, que si nous ne jouissons pas
bientôt de ce développement si désirable de nos
institutions constitutionnelles, ce sera mauvaise
volonté pure de la part de l' administration. Il ne
s' agit que de faire apprendre à lire aux petites
filles dans la charte, à qui le noble pair n' assigne
cependant que la seconde place dans la bibliothèque
de l' enfance. Il ne dit pas à quel autre ouvrage il
serve
p89
la première : mais il tient extrêmement à ce qu' on
mette entre les mains des jeunes personnes,
lorsqu' elles seront déjà suffisamment familiarisées
avec les lois fondamentales et les lois organiques,
la défense des quatre propositions de 1682, par
Bossuet. Les esprits légers trouveront peut-être
ces lectures excessivement graves ; on ne nie pas
qu' au premier aspect elles n' offrent quelque chose
d' un peu sérieux pour des petites filles, et même
pour des petits garçons : mais après cela aussi la
France pourra se flatter d' avoir des citoyennes
comme on n' en voit guère assurément, et les femmes
les plus fortes de l' Europe en théologie et en
politique gallicanes.
il n' est pas inutile de rappeler ces extravagances :
p90
mieux que tout ce qu' on pourroit dire elles montrent
ce que devient la raison publique chez les peuples
qui abjurent le christianisme. Ils tombent dans une
sorte d' imbécillité à la fois risible et effrayante.
Le sens leur est ôté, et c' est leur premier châtiment.
On se plaint depuis long-temps de l' esprit dans
lequel la jeunesse est élevée en France ; mais dès
qu' on fait de l' éducation une institution
politique, l' éducation est nécessairement ce qu' est
l' état lui-même ; ses doctrines règnent dans les
colléges comme dans la société, quel que soit
l' enseignement particulier de tel ou tel maître :
aucune puissance humaine ne sauroit faire qu' une
institution politique soit opposée, et en elle-me
et dans ses effets, au principe dont elle émane ;
qu' il y ait de la foi dans des écoles établies et
administrées par un gouvernement qui professe
l' indifférence absolue des religions. De là cette
espèce de doute contagieux et cette impiété froide
et tenace, qu' on observe avec épouvante dans la
plupart des établissements publics d' éducation. Les
désordres de moeurs, bien que portés à un degré
autrefois inconnu, sont moins alarmants pour l' avenir.
On se corrige du vice ; rarement on revient d' une
incrédulité précoce. Nous avons cité des faits
terribles ; nous en garantissons de nouveau la
trop exacte vérité ; et combien n' en pourrions-nous
pas
p91
citer d' autres ? On dit qu' il auroit fallu taire ces
faits : non, non, quand il s' agit d' avertir les
parents des dangers auxquels ils peuvent, sans le
savoir, exposer ce qu' ils ont de plus cher, quand
il s' agit du salut des âmes, se taire est un crime,
et dissimuler en est un plus grand.
La religion ne se commande point, elle s' inspire.
L' exemple général, l' esprit des institutions,
l' influence des lois, voilà ce qui fait sa force et
ce qui la conserve ; et c' est pour cela aussi, qu' à
bien peu d' exceptions près, nos écoles publiques ne
peuvent être que des écoles d' impiété, et par
conséquent de mauvaises moeurs. Lorsqu' on établit
dans un collége, à côté d' une chapelle catholique,
un prêche calviniste, quel doit être, je le demande,
sur la foi des élèves, l' effet d' un semblable
rapprochement ? Protestant, catholique, chacun se
moque de son culte, et ne voit dans la religion qu' une
verie absurde, ou tout au plus qu' une coutume
indifférente. Et qu' on ne croie pas remédier aux
inconvénients d' un pareil système d' éducation, en
plaçant à sa tête un évêque ; car l' uniquesultat
d' une si choquante inconvenance est d' abuser quelques
familles, de perdre quelques enfants de plus,
d' augmenter les dangers du mal en le couvrant d' un
voile sacré, de mettre l' athéisme sous la protection
de la religionme, et de persuader peut-être aux
oppresseurs de l' église,
p92
qu' il n' est point de complaisance qu' on ne puisse
exiger et attendre de ses ministres.
Cependant corrompre l' enfance, c' est corrompre
l' avenir tout entier, c' est appeler les fléaux,
et provoquer la ruine. Car quel est le peuple qui
puisse subsister lorsque la base des devoirs,
connue par l' état, est encore ébranlée dans la
société domestique ? Le temps approche ces
rités, éternelles comme Dieu, cesseront d' être
un objet de doute et de raillerie insensée. Quand,
de sa main inexorable, la justice qui ne meurt
point les aura écrites en caractères de sang sur
une terre désolée, on comprendra que le monde
est soumis à d' autres lois que celles inventées par
la raison du dix-neuvième siècle. Beaucoup de
générations ne passeront pas avant que cette grande
et dernière leçon soit donnée aux hommes. Jusque là
tous les avertissements seront vains ; mais ils ne
laissent pas d' entrer dans les vues de la providence
pour éclairer ceux qui ont le coeur droit, et pour
justifier la vérité de ses jugements sur les autres.
CHAPITRE IV
p93
Que la religion, en France, n' est aux yeux de la
loi qu' une chose qu' on administre.
Tout se lie et s' enchaîne tellement dans les
sociétés humaines comme dans l' univers, que l' on
ne sauroit traiter une question de quelque
importance, sans en remuer un grand nombre d' autres,
surtout lorsque l' absence de maximes établies et
généralement reconnues oblige d' éclaircir et de
prouver jusqu' aux vérités les plus simples.
Aujourd' hui principalement qu' il n' est rien sur quoi
l' on ne conteste ; aujourd' hui qu' à la place de la
raison publique, presque entièrement éteinte, il
n' existe que des opinions aussi opposées entre elles,
aussi diverses que toutes les chimères qui peuvent
s' offrir à des esprits abandonnés sans règle à
eux-mêmes, on ne doit supposer comme admis aucun
principe, ni aucun fait, mais chercher d' abord, en
parlant aux hommes, à se faire avec eux une raison
commune, si l' on veut en être entendu. Ce n' est pas
assurément
p94
une difficulté médiocre, et parvînt-on à la
surmonter, il y a loin de là encore à persuader
et à convaincre. Malgré l' anarchie des croyances,
jamais on ne fut plus affirmatif, et le caractère
du temps présent est le dogmatisme individuel et
le scepticisme social.
De cette disposition, signe infaillible d' un
profond désordre et d' une foiblesse profonde,
sulte, puisqu' il faut le dire, une espèce
d' idiotisme public, auquel on ne voit rien à
comparer dans les siècles précédents. De
l' étrange facilité avec laquelle on se laisse
abuser par des mots. Appelez liberté la servitude,
et la persécution tolérance, les hommes, tels que
les a faits la civilisation philosophique, ne se
croiront libres que dans les fers, et s' imagineront
de bonne foi protéger en opprimant. Partout on
remarque ce genre d' illusion ; il se propage si
rapidement, qu' il devient chaque jour plus difficile
de trouver des esprits qui en soient tout-à-fait
exempts ; et c' est pourquoi, voulant traiter de
la religion dans ses rapports avec l' ordre politique
et civil, nous avons été obligé, pour être compris,
d' examiner ce que sont actuellement en France et
l' ordre civil et l' ordre politique. Un court résu
des réflexions qu' il nous a paru nécessaire de
présenter sur cet important sujet aidera beaucoup à
saisir les conséquences que nous ne tarderons pas
à en tirer.
p95
Pour quiconque est capable d' assembler deux idées,
il est clair qu' à la place de la monarchie
chrétienne, dont la révolution qui travaille
l' Europe a fait disparoître jusqu' aux dernières
traces, nous avons un gouvernement démocratique par
essence, mais qui tient de son origine et des
circonstances de sa formation un caractère
particulier. Car on se tromperoit prodigieusement si
on le comparoit à certaines démocraties que des
causes naturelles avoient établies dans le sein de la
chrétienté, et qu' on pourroit appeler légitimes.
Elles n' étoient, à vrai dire, que des communautés
indépendantes où chacun avoit apporté et conservoit
des droits égaux ; une réunion de familles liées par
les mes intérêts, et qui, selon des règles
convenues, administroient en commun la chose
publique. La raison conçoit très bien une semblable
forme de police, dans un petit état où règnent des
moeurs simples, maintenues par une foi simple comme
elles.
La démocratie de notre temps, toute différente par
son principe, repose sur le dogme athée de la
souveraineté primitive et absolue du peuple.
Considérées en elles-mêmes, nos institutions, sur
lesquelles des discoureurs peuvent faire des phrases
et bâtir des systèmes sans fin, ne sont évidemment
que des conséquences de ce dogme absurde. Il règne
dans les esprits, il est l' âme de la société et le
fond
p96
réel, quoique inaperçu, des opinions en apparence
les plus divergentes. Combiné avec les idées étroites
et matérielles de la politique moderne et la
corruption morale qu' elles engendrent, il produit, et
dans les lois une anarchie hideuse, et dans
l' administration un despotisme tel qu' il n' en exista
jamais de si funeste et de si dégradant. à la vue de
ce supplice, car c' en est un, on seroit tenté de
croire qu' il y a des crimes pour lesquels la justice
suprême condamne les peuples à être étouffés dans
la boue.
Or la révolution, qu' on a confondue, et que l' on
continue de confondre avec ce qui n' en fut qu' une
horrible circonstance, n' est en réalité que le
renversement des doctrines qui, depuis l' origine
du monde, ont été le fondement des sociétés humaines.
On la reconnoît bien moins à ses atroces violences,
qu' à sa haine réfléchie pour le christianisme, qui
partout se présente à elle comme un obstacle, et le
seul qui retarde son triomphe complet. Aussi
n' a-t-elle pas un moment cessé de le poursuivre.
Tantôt, en poussant des cris de rage, elle le traîne
sur les échafauds, tantôt elle le bannit de la
société publique avec toutes les formules du respect,
armant contre lui tour à tour, et la fureur des
hommes de sang, et la basse astuce des légistes, et
les bouillantes passions de la jeunesse, et la
corruption froide de la classe qui se vend,
p97
et l' ignorance de la populace, et l' imbécillité même
de quelques bonnes gens qui se croient religieux,
qui le sont réellement, et qui, imperturbables dans
leur confiance hébétée en des malheureux qui se
jouent de leur incurable innocence, s' imaginent
faire merveille et sauver la religion toutes les fois
qu' ils prononcent contre elle un arrêt de mort.
à l' aide de ces divers moyens, la révolution est
parvenue à exclure Dieu de l' état, et à établir
l' athéisme dans l' ordre politique et dans l' ordre
civil, d' où il passe dans la famille. L' éducation
l' y introduit ; il s' y propage par l' exemple et par
l' influence secrète et puissante qu' a sur les hommes
l' esprit de la société dans laquelle ils vivent.
Mais dès lors qu' est-ce que la religion pour le
gouvernement ? Que doit-être à ses yeux le
christianisme ? Il est triste de le dire, une
institution fondamentalement oppoe aux siennes, à
ses principes, à ses maximes, un ennemi ; et
cela, quels que soient les sentiments personnels des
hommes en pouvoir. L' état a ses doctrines, dont
chaque jour il tire les conséquences dans les actes,
soit de législation, soit d' administration. La
religion a des doctrines essentiellement opposées,
dont elle tire aussi les conséquences dans
l' enseignement des devoirs et de la foi, et dans
l' exercice du ministère pastoral. Il y a donc entre
elle et l' état une guerre continuelle, mais
p98
qui ne sauroit durer toujours. Il faudra nécessairement,
ou que l' état redevienne chrétien, ou qu' il abolisse
le christianisme ; projet insensé autant qu' exécrable,
et dont la seule tentative amèneroit la dissolution
totale et dernière de la société.
Déjà elle chancelle de toutes parts, déjà sa vie
s' affoiblit manifestement, à mesure qu' elle se
pare davantage de la religion ; et cette effrayante
paration, qu' on s' efforceroit en vain de ne pas
apercevoir, s' accroît d' année en année. Dans
l' impossibilité actuelle de prononcer son abolition
légale, on combat son influence, on restreint son
action, on la façonne à l' esclavage, pour en faire,
s' il se peut, en la dénaturant, un docile instrument
du pouvoir. On redoute, et l' on a raison de redouter,
une lutte ouverte, où l' église, qu' on ne subjugue
point, puiseroit un nouveau courage et des forces
nouvelles. à la place de la violence, on emploie
contre elle la ruse et la séduction. L' habituer
à la servitude, en la flattant et en l' intimidant
tour à tour, voilà ce qu' on cherche. On voudroit, non
pas former avec elle une alliance sainte pour le
triomphe de l' ordre et de la vérité, mais qu' elle se
fondît peu à peu dans l' état tel qu' il est, en
renonçant à ses croyances, à son propre gouvernement,
à ses propres lois, c' est-à-dire en s' anéantissant
elle-même ; ce qui est arrivé partout où l' unité
catholique
p99
a été rompue. Les révolutionnaires de tout degré
ne dissimulent point à cet égard leurs voeux, et je
les loue de leur franchise, parcequ' au moins l' on
sait clairement à quoi s' en tenir sur leurs desseins.
L' administration tend aume but, en feignant de les
combattre : on l' a déjà vu, et nous n' aurons encore
que trop d' occasions de le prouver. Hypocrite dans
son langage, pour tromper les simples, elle se refuse
obstinément aux améliorations comme aux réformes les
pluscessaires, à tout ce qui contrediroit le
grand principe de l' athéisme légal, et il n' est pas
un seul de ses actes qui n' ait, sinon pour fin, du
moins pour effet de propager dans les esprits
l' opinion funeste de l' indifférence absolue des
religions, devenue l' une des maximes fondamentales
de notre droit public.
Déjà, dans les chambres, on la défend comme le
principe même de la civilisation moderne, et de je
ne sais quelle fraternité universelle, politique et
religieuse, dont Paris, dit-on, est le centre,
dont les plaisirs sont le lien, et qui, pour le
bonheur de l' humanité, doit unir à jamais, sans
distinction de croyances, tous les peuples à l' opéra.
Les hommes qui parlent ainsi en présence d' une
assemblée grave, ou qui doit l' être, pourroient se
souvenir que Rome aussi eut une semblable
civilisation : de tous les points du monde on accouroit
à ses spectacles ; les lettres et les arts
fleurissoient ;
p100
avec une extrême politesse de moeurs régnoit une
philosophie douce et voluptueuse. L' empire étoit
heureux sans doute. Demandez-le à l' histoire : la
félicité de ces temps commence aux triumvirs et
finit à Néron.
Certes, nous sommes descendus bien bas, si bas qu' à
peine conçoit-on qu' il soit possible de descendre
encore. Une nation peut se corrompre, et même périr
par l' excès de la corruption : cela s' est vu ; mais
qu' un peuple rejette systématiquement de ses lois
tout principe spirituel, toute vérité religieuse et
par conséquent toute vérité morale, il n' en existoit
aucun exemple ; c' est un phénomène nouveau sur la
terre. Cependant je m' étonne moins encore de cette
prodigieuse dégradation, que de l' espèce d' orgueil
qu' elle inspire à certains êtres qu' il faut bien
appeler humains, puisqu' il leur reste la figure et le
langage de l' homme.
Dans cet affoiblissement général de la conscience et
de la raison, la tribune ne laissera pas de retentir
de belles paroles : on s' y montrera fidèle à toutes
les phrases obligées ; le trône et l' autel
viendront régulièrement orner les pieuses harangues
de quelques orateurs, dont le zèle plus effrayé, ce
semble, des erreurs de l' opinion que de l' impié
des lois, combat les unes par conviction, et vote
les autres par dévouement.
p101
Lorsqu' on en est arrivé à ce point, atténuer le mal,
excuser les lâches complaisances qui nous perdent,
ce seroit s' en rendre complice. On doit la vérité,
on la doit tout entière à ceux qui sont capables de
l' entendre ; aux autres on ne doit rien que la pitié.
Disons-le donc sans crainte : si, dans cette
contradiction malheureusement trop commune entre les
discours et la conduite, on est de bonne foi, il y a
démence : si on ne l' est pas, il y a crime.
Deux choses ont aujourd' hui des conséquences funestes :
l' une est le penchant qui porte à pallier, à justifier
les actes les plus déplorables, d' après le motif
présumé qui a fait agir. Cet homme, dit-on, a de
bonnes intentions. On ne lui en demande pas davantage ;
avec cela il peut faire le mal en sûreté. Ce mal,
quelque grand qu' il soit, cesse d' inspirer une juste
et salutaire horreur ; ce n' est plus qu' une foiblesse,
un travers ; et ainsi peu à peu s' éteint dans les
âmes le sentiment de l' ordre et l' amour du devoir.
Si la disposition à excuser tout en faveur des liens
de parti, de coterie, ou d' opinion, déprave
insensiblement la conscience, la dangereuse manie
de chercher dans le passé des analogies chimériques
avec le présent égare et fausse l' esprit. Ce qui est
ne ressemble à rien de ce qui fut ; et l' idée
contraire est la source d' une multitude d' erreurs
p102
qui, à force d' être répétées, passent enfin pour des
rités établies. Voyez avec quelle confiance et
quel sérieux on apprend à la France que ses
institutions actuelles remontent à Charlemagne et à
rovée ; que ses chambres ne sont autre chose que
les assemblées du champ de mai, et ses codes une
édition revue et corrigée des capitulaires. Chaque
jour on tourmente le bon sens par de semblables
inepties. Aux fictions politiques, assez graves
déjà, on ajoute encore des fictions historiques, afin
de compléter ce vaste système d' illusions. Il n' est
point de peuple dont la raison pût résister
long-temps à l' influence de tant de causes diverses
qui tendent incessamment à la troubler et à la
détruire. La même confusion d' idées règne en partie
dans la jurisprudence, comme nous aurons occasion de
le montrer ; et quant à l' administration, qu' est-elle,
qu' un chaos de maximes et de règles empruntées à
tous les régimes, modifiées selon les caprices du
moment, appliquées selon les intérêts, violées selon
les passions, et qui, sous quelque point de vue qu' on
les considère, ne présentent rien de fixe que le
despotisme, et d' immuable que l' oppression ?
Un matérialisme abject a tout envahi. Dans la société,
on ne voit que de la terre, des bras et de l' argent ;
dans la loi, que le rapport entre des boules noires
et blanches, dans la justice, que les
p103
prescriptions variables d' une loi sourde et aveugle ;
dans le crime, qu' un simple fait, dont, pour la
reté commune, l' idée doit se lier avec celle du
bourreau.
Du reste, l' état ne connoît ni Dieu ni ses
commandements, ni vérité, ni devoirs, ni rien de ce
qui appartient à l' ordre moral. Il se glorifie d' être
indifférent à l' égard de tous les dogmes, et même
de les ignorer. Il n' existe à ses yeux nul pouvoir
supérieur à celui qui le régit ; il ne s' élève pas
plus haut que l' homme, et il appelle indépendance
la soumission servile à ses volontés. Tout lui est
bon, pourvu qu' il renie la souveraine autorité, de
qui découlent toutes les autres, pourvu qu' il
n' obéisse point au suprême législateur. Il repousse
jusqu' à son nom ; ce nom lui est odieux même à
entendre ; il l' a effacé de ses lois, ne leur laissant
que la force pour principe, et pour sanction que la
mort.
De cette affreuse apostasie politique, il résulte
que la religion, toujours à la veille d' être
proscrite, puisque son esprit et sa doctrine sont en
contradiction absolue avec les maximes de l' état,
n' est qu' une sorte d' établissement public accordé
aux préjugés opiniâtres de quelques millions de
français.
p104
On la tolère pour eux, comme on protège pour d' autres
les spectacles. Elle figure dans le budget au même
titre que les beaux-arts, les théâtres, les haras.
Elle dépend de la même manière de l' administration
qui la salarie. On règle sa dépense, on détermine le
mode de comptabilité, on nomme aux emplois ; c' est là
tout. Une église n' a rien de plus sacré qu' un autre
édifice ; elle n' est, comme une prison, comme une
halle, qu' un bâtiment à construire ou à parer ; et
nulle différence entre le sanctuaire où repose le
saint des saints, et un temple protestant, et une
synagogue, et une mosquée même, s' il prenoit
fantaisie au premier venu d' en établir. évêques,
consistoires, prêtres, ministres, rabins, tout est
égal aux yeux de la loi, et nous dirions aussi aux
yeux des administrateurs, si le clergé catholique
n' étoit trop souvent pour eux l' objet d' une défiance
particulière et d' une aversion que rarement
prennent-ils le soin de déguiser.
Ainsi la religion qui devroit, placée à la tête de
la société, la pénétrer tout entière, est reléguée
parmi les choses qui l' intéressent le moins, ou qui
ne l' intéressent que sous des rapports matériels.
On la souffre à cause du danger de l' abolir
subitement ; on l' avilit, on gêne son action, on
rétrécit autant qu' on peut le cercle de son influence,
on ne laisse échapper aucune occasion de lui
contester
p105
ses droits divins ; on s' efforce de la rendre odieuse
et méprisable au peuple, espérant, par ces moyens,
s' en délivrer peu à peu sans secousse ; ou, ce qui
reviendroit au même, asservir ses ministres, en ce
qui regarde leurs fonctions spirituelles, à la
puissance civile, devenue maîtresse dans l' église,
comme elle l' est de droit dans l' état.
Et qu' on ne se tranquillise pas sur les obstacles que
rencontreroit l' exécution d' un pareil plan : il n' est
point de mal qu' on doive aujourd' hui juger impossible ;
il se trouvera des gens pour tout faire, et pour
justifier tout. Car, on ne sauroit se le dissimuler,
une race d' hommes nouvelle a apparu de notre temps,
race détestable et maudite à jamais par tout ce qui
appartient à l' humanité ; hommes de fange, les plus
vils des hommes après ceux qui les paient ; hommes
qui n' ont une raison que pour la prostituer aux
intérêts dont ils dépendent, une conscience que pour
la violer, une âme que pour la vendre ; hommes
au-dessous de tout ce qu' on en peut dire, et qui,
après avoir fatigué l' indignation, fatiguent le
pris même.
Nous le répétons, l' anéantissement du christianisme
en France, par l' établissement d' une église nationale,
soumise de tout point à l' administration, voilà ce
qu' on prépare avec une infatigable activité ; voilà
neroit infailliblement
p106
le système suivi jusqu' ici ; voilà enfin ce que veut
la révolution : l' obtiendra-t-elle ? L' avenir
pondra.
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