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Langue Française (InaLF)
De l'origine et des progrès d'une science nouvelle [Document électronique] /
par P.-S. Dupont de Nemours
p335
Si, d' une extrémité du monde à l' autre, on
promène un oeil philosophique sur l' histoire des
sciences les plus sublimes ; si l' on considère
comment elles se sont formées, étendues et
perfectionnées, on remarquera avec surprise que
c' est au milieu des obstacles les plus grands,
des
p336
préventions les plus décidées, des contradictions
les plus amères, des oppositions les plus
redoutables. On verra Confucius poursuivi et
menade la mort à la Chine, Pythagore obligé
de couvrir sa doctrine d' un voile mystérieux,
et de cacher la vérité aux peuples pour conserver
la liberté de lavelopper à quelques adeptes,
Démocrite cru fou et traité comme tel par les
abdéritains, Socrate buvant la ciguë, Galilée
dans les fers de l' inquisition, Descartes contraint
de chercher une retraite dans le nord, Wolff banni
et sacrifié pendant dix-huit ans aux intrigues des
Lange et des Strahler, etc.
tout est dit... tout est connu...
prétendrons-nous être plus habiles que nos
pères ? ... phrases triviales que la paresse,
l' ignorance, la vanité de tous les siècles et de
tous les pays ont opposées par acclamation à
quiconque a eu l' audace, le génie, le talent, le
bonheur de chercher, de découvrir et de manifester
des vérités utiles.
On a beaucoup rété que l' homme est un animal
crédule . On s' est trompé : il fallait dire que
l' enfant est crédule, et que l' homme est
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opiniâtre . Vous ne trouverez aucun homme qui
croie légèrement, et sans raisons suffisantes,
autre chose que ce qu' on lui apprit dans sa tendre
enfance. Alors, comme je le dis, ce n' est pas
crédulité , c' est routine et opiniâtreté .
Examinez l' homme fait, vous ne pourrez vous
emcher de voir que, loin d' être crédule, il
tomberait plutôt dans l' extrémité opposée. Son âme
est fermée aux idées nouvelles. Il est porté à nier
tout ce qu' il ignore. Erreur, vérité, il combat
également tout ce dont il n' a jamais entendu parler.
Il y a quelques exceptions à faire en faveur des
hommes très supérieurs ; mais la nature me de ces
exceptions indique combien elles sont rares.
Il ne faut donc pas être surpris, il faut encore
moins se fâcher quand on rencontre des personnes,
je disme des personnes illustres et studieuses,
qui, entraînées par l' évidence de ce qu' elles
savent, et ne se formant que des idées confuses de
ce qu' elles ne savent point, croyent toucher au
terme des connaissances possibles à l' espèce
humaine, et ne conçoivent pas qu' il puisse
exister une science nouvelle en Europe.
Si quelqu' un de ces habiles gens vous disait :
" que nous manque-t-il ? Qu' ignorons-nous ? Nous
mesurons les cieux et la terre ; nous observons
leurs volutions ; nous calculons leurs
mouvements ; nous prédisons les éclipses ; nous
pesons l' atmosphère ; nous connaissons, nous
évaluons, nous employons la force des vents et
des eaux ; nous avons découvert le fluide actif
qui, diversement logé dans l' intérieur de tous
les corps, tend sans cesse et avec une force
prodigieuse à en disperser toutes les parties,
mais qui, environnant aussi tous les corps,
comprime ces mes parties et les retient par
son effort immense à
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la place que leur marque la nature ; nous savons
dans plus d' un cas diriger à notre gl' action
puissante de ce premier mobile universel,
imiter les feux et les coups du tonnerre ; toutes
les propriétés des êtres semblent des instruments
préparés pour notre intelligence ; nous appliquons
à notre usage la pesanteur, le mouvement, la
manière dont l' un naît de l' autre ; les fardeaux
les plus énormes s' élèvent dans les airs par nos
mains faibles et débiles ; un minéral communique
au fer une tendance naturelle vers un certain
point du globe, et cela suffit pour nous tracer
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une route sur la vaste plaine des mers, " il
faudrait applaudir à de si grandes lumières.
Et, si vous demandiez à ce même homme comment
il faut s' y prendre pour qu' une société politique
soit florissante, riche, puissante ; pour que les
familles, pour que les individus dont elle est
composée soient le plus heureux qu' il est
possible, et qu' il vous répondît " que ce n' est
pasl' objet d' une science exacte, et que cela
dépend d' une infinité de circonstances variables,
difficiles à démêler et à évaluer, " il ne faudrait
pas trouver cette réponse ridicule, car elle paraît
naturelle et raisonnable à ceux qui la font de
bonne foi ; et c' est à vous, quand vous proposez
des questions avec lesquelles on n' est pas
familiarisé, de juger d' avance combien doit être
petit le nombre des hommes auxquels il appartient
de savoir ce qui ne leur fut pas enseigné par
leurs maîtres. Songez que Montesquieu lui-même,
si digne à tous égards d' instruire solidement le
genre humain, nous a dit, comme un autre, que les
principes du gouvernement doivent changer selon la
forme de sa constitution, et que, sans nous
apprendre quelle est la base primitive, quel est
l' objet commun de toute constitution du
gouvernement, vous avez vu cet homme sublime
employer presque uniquement la finesse extrême,
la sagacité supérieure de son esprit, pour
chercher, pour inventer des raisons particulières
à des cas donnés.
Les hommes, cependant, ne se sont pas unis par
hasard en sociétés civiles. Ce n' est pas sans
raison qu' ils ont étendu la chaîne naturelle des
devoirs réciproques, qu' ils se sont soumis à une
autorité souveraine. Ils avaient, ils ont un but
essentiellement marqué par leur nature, pour
se conduire ainsi. Or, leur constitution physique,
celle des autres êtres dont ils sont environnés,
ne permettent pas que les moyens pour parvenir à ce
but soient arbitraires ; car il ne peut rien y avoir
d' arbitraire dans des actes physiques tendant à une
fintermie. On ne peut arriver à aucun point
que par la route qui y conduit.
Il y a donc une route nécessaire pour
approcher le plus qu' il est possible de l' objet
de l' association entre les hommes, et de la
formation des corps politiques. Il y a donc un
ordre naturel, essentiel et général, qui
renferme les lois constitutives et fondamentales
de toutes les sociétés ;
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un ordre duquel les sociétés ne peuvent
s' écarter sans être moins sociétés , sans
que l' état politique ait moins de consistance,
sans que ses membres se trouvent plus ou moins
désunis et dans une situation violente ; un
ordre qu' on ne pourrait abandonner
entièrement sans opérer la dissolution de la
société et bient la destruction absolue de
l' espèce humaine.
Voilà ce que ne savait pas Montesquieu ; ce que
les petits auteurs soi-disant politiques qui ont
cru marcher sur les traces de ce grand génie,
étaient encore bien plus loin d' entrevoir que
lui ; ce qu' ignore très profondément une multitude
d' hommes derite fort instruits, d' ailleurs,
dans toutes les connaissances dont nous venons
de faire l' énuration au commencement de cet
écrit.
L' ignorance, comme toutes les choses de ce monde,
tend à se perpétuer d' elle-même. La nôtre, sur
ces vérités les plus importantes de toutes pour
les hommes réunis en société, était entretenue et
nourrie par un grand nombre de causes extérieures
inutiles à développer ici. Nous ne savons pas
combien elle aurait duré, mais on peut juger par
la résistance qu' elle oppose aujourd' hui à la
lumière naissante, que son tempérament était
robuste. Il y a environ treize ans qu' un homme du
génie le plus vigoureux (Quesnay), exercé aux
ditations profondes, connu par d' excellents
ouvrages et par ses succès dans un art où la
grande habileté consiste à observer et à respecter
la nature, devina qu' elle ne borne pas ses lois
physiques à celles qu' on a jusques à présent
étudiées dans nos collèges et dans nos académies ;
et que, lorsqu' elle donne aux fourmis, aux
abeilles, aux castors la faculté de se soumettre,
d' un commun accord et par leur propre intérêt, à
un gouvernement bon, stable et uniforme, elle ne
refuse pas à l' homme le pouvoir de s' élever à la
jouissance du me avantage. Animé par l' importance
de cette vue et par l' aspect des grandes
conséquences qu' on en pouvait tirer, il appliqua
toute la pénétration de son esprit à la
recherche des lois physiques relatives à la
société, et parvint enfin à s' assurer de la
base inébranlable de ces lois, à en saisir
l' ensemble, à en développer l' enchaînement, à en
extraire et à en démontrer les résultats. Le tout
formait une doctrine très nouvelle, très éloignée
des pjugés adoptés par l' ignorance générale, et
fort au-dessus de la portée des hommes vulgaires,
chez lesquels l' habitude contractée dans leur
enfance d' occuper uniquement leur mémoire, étouffe
le pouvoir de faire usage de leur jugement.
Le moment n' était cependant pas absolument
défavorable pour publier cette doctrine.
L' illustre M De Gournay, intendant du
commerce, guidé comme Quesnay, par la seule
justesse de son nie, arrivait en même temps
par une route différente à une grande partie des
mes résultats
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pratiques. Il commençait à les présenter aux yeux
des suprêmes administrateurs, et à former, par ses
conversations et par ses conseils, de jeunes et
dignes magistrats qui sont aujourd' hui l' honneur
et l' espoir de la nation ; tandis que le docteur
Quesnay donnait à l' encyclopédie les mots
fermiers et grains , qui sont les premiers
ouvrages publics dans lesquels il ait commencé
l' exposition de la science qu' il devait à ses
découvertes. Bientôt après, celui-ci inventa le
tableau économique , cette formule étonnante
qui peint la naissance, la distribution et la
reproduction des richesses, et qui sert à calculer,
avec tant de sûreté, de promptitude et de
précision, l' effet de toutes les opérations
relatives aux richesses. Cette formule, son
explication, et les maximes générales du
gouvernement économique que l' auteur y joignit,
furent imprimées avec des notes savantes, au
château de Versailles, en 1758.
Trois hommes également dignes d' être les amis de
l' inventeur de la science et du tableau
économique , M De Gournay, m le marquis De
Mirabeau et M Mercier De La Rivière, se
lièrent alors intimement avec lui. Il y avait
tout à espérer, pour la rapidité des progrès de la
nouvelle science, du concours de trois hommes de
ce génie avec son premier instituteur. Mais une
mort prématurée ravit M De Gournay aux voeux et
au bonheur de son pays (1759). M De La Rivière
fut nommé intendant de la Martinique , et son
le, son activité pour servir sa patrie par des
opérations utiles, perpétuellement dirigées
d' après les principes lumineux dont il était
pénétré, ne lui permirent pas, dans tout le cours
de son administration, de s' occuper du soin de
développer aux autres l' évidence de ces principes
qui guidaient son travail immense et journalier.
Le vertueux ami des hommes resta seul à
seconder l' esprit créateur de la science la plus
utile au genre humain, et commea cette nouvelle
carrière par latractation publique des erreurs
qui lui étaient échappées dans son traité de la
population . Acte généreux, qui suffit pour
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servir d' échelle de comparaison entre la force de
la tête, l' honteté du coeur, la noblesse de
l' âme de ce véritable citoyen ; et la faiblesse,
le vil orgueil, les manoeuvres artificieuses de
quelques autres écrivains du même temps, dont les
erreurs étaient bien plus consirables et bien
plus dangereuses, mais qui, poursuivis par
l' évidence, voudraient persuader au public qu' ils
ne se tromrent jamais, et qu' ils n' ont obligation
à personne de la connaissance des vérités
contradictoires à leurs anciennes opinions, qu' ils
essayent en vain aujourd' hui de marier avec elles.
Il ne suffisait pas à l' ami des hommes de
convenir qu' il avait pris des conséquences pour
des principes, il fallait qu' il réparât son erreur
en publiant des vérités. Il le fit. On vit sortir
de sa plume féconde une introduction nouvelle
à son mémoire sur les états provinciaux , une
futation de la critique qu' un travailleur en
finance avait faite de ce mémoire, un
discours éloquent adressé à la société de
Berne sur l' agriculture , un excellent ouvrage
sur les corvées , une explication du tableau
économique , la théorie de l' impôt , la
philosophie rurale , etc., etc. Quelques
auteurs, formés par ses leçons et par celles du
maître qu' il avait adopté, entraînés par l' évidence
de leur doctrine, commencèrent à marcher sur leurs
traces. Des corps entiers, et des corps
respectables, l' académie des sciences et
belles-lettres de Caen, la société royale
d' agriculture d' Orléans, étudrent la nouvelle
science et s' enclarèrent les défenseurs.
Voilà en était cette science, si longtemps
connue, quand M De La Rivière revint de la
Martinique ter, précipiter ses progrès. Il eut
bientôt repris le cours des études qui l' avaient
occuavant son voyage. Il enrichit en passant le
journal du commerce de quelques mémoires
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sous le nom de M G, et composa enfin le livre
intitulé : l' ordre naturel et essentiel des
sociétés politiques, qui vient d' être publié.
Ce livre excellent garde dans sa logique, à la
fois éloquente et serrée, l' ordre même qu' il
expose à ses lecteurs. Toujours évident pour les
têtes fortes, il a supérieurement l' art de se
rendre intelligible aux têtes faibles, en
saisissant le côté par les vérités les plus
ignorées sont intimement liées aux vérités les
plus connues. Il présente leur union avec une
évidence si naïve, que chacun s' imagine avoir
pensé le premier des choses auxquelles il ne
songea jamais. C' est cette naïveté sublime, qui
démonte les sophismes, et qui vous fait
irrésistiblement entrer l' évidence dans la tête,
que les amis de l' auteur appellent les
simplicités de M De La Rivière . Il n' y a
aucune de ces simplicités qui ne soit un éclair
de génie.
Je m' estimerais bien heureux si je pouvais
présenter ici dignement une idée nette et rapide
des principales rités dont la chaîne,
découverte par le docteur Quesnay, est si
surieurement et si clairement développée dans
ce livre sublime. La conviction qu' elles ont depuis
longtemps portée dans mon âme m' emche de résister
au désir d' essayer cette entreprise, peut-être
au-dessus de mes forces ; mais, avant de céder à
ce désir impérieux, je crois devoir pvenir mes
lecteurs par une flexion que je tirerai de
l' ancien journal de l' agriculture, du commerce
et des finances : c' est qu' il serait aussi
imprudent de juger un ouvrage sur l' extrait même
le plus fidèle et le mieux fait, que de juger de
la beau d' un tableau sur l' esquisse de sa
copie, ou de celle d' un corps sur son
squelette .
PARAGRAPHE 1
Il y a une société naturelle, antérieure à toute
convention entre les hommes, fondée sur leur
constitution, sur leurs besoins physiques, sur
leur intérêt évidemment commun.
Dans cet état primitif, les hommes ont des droits
et des devoirs réciproques
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d' une justice absolue , parce qu' ils sont d' une
nécessité physique, et par conséquent absolue
pour leur existence.
point de droits sans devoirs, et point de devoirs
sans droits.
les droits de chaque homme, antérieurs aux
conventions, sont la liberde pourvoir à
sa subsistance et à son bien-être, la
propriéde sa personne, et celle des choses
acquises par le travail de sa personne.
Ses devoirs sont le travail pour subvenir à
ses besoins, et le respect pour la liberté, pour
la propriété personnelle et pour la propriété
mobilière d' autrui.
Les conventions ne peuvent être faites entre les
hommes que pour reconnaître et pour se garantir
mutuellement ces droits et ces devoirs établis par
Dieu même.
Il y a donc un ordre naturel et essentiel auquel
les conventions sociales
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sont assujéties, et cet ordre est celui qui assure
aux hommes réunis en société la jouissance de
tous leurs droits par l' observance de tous leurs
devoirs . La soumission exacte et générale à
cet ordre est la condition unique, dont chacun
puisse attendre et doive espérer avec certitude la
participation à tous les avantages que la socié
peut se procurer.
PARAGRAPHE 2
Les productions spontanées de la terre et des eaux
ne suffisent pas pour faire subsister une population
nombreuse, ni pour procurer aux hommes toutes les
jouissances dont ils sont susceptibles.
La nature de l' homme le porte cependant
invinciblement à propager son espèce, à se
procurer des jouissances, et à fuir les souffrances
et les privations autant qu' il lui est possible.
La nature prescrit donc à l' homme l' art de
multiplier les productions, la culture, pour
améliorer son état, et pour fournir abondamment
aux besoins des familles croissantes.
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La culture ne peut s' établir que par des travaux
préparatoires et des avances foncières ,
préliminaires indispensables des travaux annuels,
des avances perpétuellement entretenues, et des
dépenses pertuellement renouvelées, qu' on appelle
proprement la culture .
Avant de cultiver, il faut couper les bois, il faut
en débarrasser le terrain, il faut extirper leurs
racines ; il faut procurer un écoulement aux eaux
stagnantes, ou qui lavent entre deux terres ; il
faut pparer des bâtiments pour serrer et
conserver les récoltes, etc., etc.
En employant sa personne et ses richesses
mobilières aux travaux et aux dépenses
préparatoires de la culture, l' homme acquiert la
propriéfoncière du terrain sur lequel il a
travaillé. Le priver de ce terrain, ce serait lui
enlever le travail et les richesses consommés à son
exploitation ; ce serait violer sa propriété
personnelle et sa propriété mobilière .
En acquérant la propriété du fonds , l' homme
acquiert la propriété des fruits produits par
ce fonds. Cette propriété des fruits est le but de
toutes les penses et de tous les travaux faits
pour acquérir ou créer des propriétés foncières.
Sans elle, personne ne ferait ces dépenses ni ces
travaux ; il n' y aurait point de proprtaires
fonciers, et la terre resterait en friche, au grand
détriment de la population existante ou à exister.
Si l' homme, devenu propriétaire foncier par
l' emploi licite de ses propriétés personnelle et
mobilière, s' associe un autre homme pour continuer
l' exploitation de sa terre, ou me si, après avoir
fait toutes les dépenses foncières, il s' arrange
avec un autre qui se charge de toutes les dépenses
de la culture proprement dite, il se passera
naturellement et librement une convention par
laquelle chacun des contractants aura dans les
fruits la proprté d' une part proportionnée à sa
mise en travaux et en dépenses ; de sorte que le
droit de propriété personnelle et mobilière de tous
deux soit conservé dans son entier.
PARAGRAPHE 3
Nous venons de voir qu' indépendamment des
avances foncières , la culture exige un fonds
d' avances perpétuellement existantes, qui,
conjointement avec la terre, forment pour ainsi
dire la matière première de ses travaux. Tels sont
les instruments aratoires, les voitures, les
animaux de travail, les bestiaux nécessaires pour
fumer les terres, etc., etc.
Ces avances primitives de la culture sont
périssables et sujettes à divers accidents. Il
faut les entretenir, les parer, les renouveler
sans cesse.
Il faut encore subvenir aux dépenses annuelles
qu' exigent le salaire et
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l' entretien de tous les hommes et de tous les
animaux dont les travaux concourent à l' exploitation
des terres.
Il est donc indispensablement nécessaire que l' on
prélève tous les ans, sur la valeur des récoltes,
une somme suffisante pour entretenir les avances
primitives , et pour subvenir aux dépenses
annuelles de la culture dans l' année suivante ;
sans quoi l' on attirerait à la culture un
dépérissement notable et progressif, auquel serait
inévitablement attachée une diminution
proportionnée dans la masse des productions
renaissantes et dans la population.
Il est égalementcessaire que cette somme à
prélever sur les récoltes en faveur de la
perpétuité de la culture, ne soit point si
strictement mesurée auxpenses courantes qu' elle
doit payer, qu' elle ne laisse pas aux cultivateurs
le moyen de supporter les grands accidents causés
par les intempéries des saisons, telles que la
gelée, la grêle, la nielle, les inondations, etc. ;
sans quoi ces accidents inévitables enleveraient
aux cultivateurs la faculté de continuer leurs
travaux, et détruiraient, non-seulement la récolte
d' une année, mais celles des années suivantes.
Ces sommes, qui doivent être consacrées tous les
ans à perpétuer les récoltes, sont ce qu' on appelle
les reprises des cultivateurs .
Le soin de s' en assurer la rentrée forme l' objet des
conventions libres que les entrepreneurs de
culture passent avec les propriétaires fonciers.
PARAGRAPHE 4
Quand on a prélesur les récoltes les reprises
des cultivateurs , ces sommes nécessaires pour
faire les frais de la culture dans l' année
suivante, et pour entretenir le fonds d' avances
perpétuellement existantes en bestiaux, en
instruments, etc. ; ces sommes dont la nature
exige et détermine impérieusement l' emploi annuel
à l' exploitation de la terre : le reste se nomme
le produit net .
Ce produit net est la part de la proprié
foncière . C' est le prix des dépenses et des
travaux en défrichements, dessèchements,
plantations, bâtiments, etc. Faits pour mettre la
terre en état d' être cultivée.
Plus ce produit net est considérable, et plus
il est avantageux d' être propriétaire foncier.
Plus il est avantageux d' être propriétaire foncier,
et plus il se trouve de gens qui consacrent des
dépenses et des travaux à créer, à acquérir, à
étendre, à aliorer des propriétés foncières.
Plus il y a de gens qui employent des dépenses et
des travaux à créer ou à améliorer des propriétés
foncières, et plus la culture s' étend et se
perfectionne.
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Plus la culture s' étend et se perfectionne, et plus
il renaît annuellement de productions
consommables.
Plus les productions consommables se multiplient,
et plus les hommes peuvent se procurer de
jouissances, et par conséquent plus ils sont
heureux.
Plus les hommes sont heureux, et plus la population
s' accroît.
C' est ainsi que la prospérité de l' humanité
entière est attachée au plus grand produit net
possible, au meilleur état possible des proprtaires
fonciers.
PARAGRAPHE 5
Pour qu' il y ait le plus grand produit net
possible, il faut que tous les travaux qui
concourent à la renaissance et au débit des
productions, soient exécutés avec le moins de
dépense qu' il soit possible.
Pour que ces travaux soient exécutés avec le moins
de dépense possible, il faut qu' il y ait la plus
grande concurrence possible entre ceux qui font
les avances et qui essuyent la fatigue de ces
travaux ; car, dans la concurrence, chacun
s' ingénie pour économiser sur les frais de son
travail, afin de mériter la préférence, et cette
économie générale tourne au profit de tous.
Pour qu' il y ait la plus grande concurrence
possible entre tous ceux qui exécutent, et entre
tous ceux qui font exécuter tous les travaux
humains, il faut qu' il y ait la plus grande
liberté possible dans l' emploi de toutes les
propriétés personnelles, mobilières et foncières,
et la plus grande sûreté possible dans la
possession de ce qu' on acquiert par l' emploi de
ces propriétés.
On ne pourrait gêner, en quoi que ce fût, la
liberté de l' emploi des propriétés personnelles,
mobilières ou foncières, sans diminuer le produit
net de la culture, et par conséquent l' intérêt que
l' on trouve à cultiver, et par conséquent la
culture même, et par conséquent la masse des
productions consommables, et par conséquent la
population.
Se livrer à cet attentat, ce serait déclarer la
guerre à ses semblables ; ce serait violer les
droits et manquer aux devoirs institués par le
créateur ; ce serait s' opposer à ses décrets
autant que le peut notre faiblesse, ce serait
commettre un crime de lèse-majesté divine et
humaine.
La liberté générale de jouir de toute l' étendue de
ses droits de propriété suppose nécessairement à
chaque individu la sûreté entière de cette
jouissance, et proscrit donc évidemment tout emploi
des facultés des uns contre la propriété des
autres.
point de propriété sans liberté, point de
liberté sans sûreté.
PARAGRAPHE 6
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pour qu' il y ait la plus grande liberté possible
dans l' emploi, et la plus grande reté possible
dans la jouissance des propriétés personnelles,
mobilières et foncières, il faut que les hommes
unis en socse garantissent
mutuellement ces propriétés, et les protègent
ciproquement de toutes leurs forces physiques.
Ce sont cette garantie et cette protection
mutuelle qui constituent proprement la
socié.
PARAGRAPHE 7
Si, pour tenir la main à la garantie mutuelle du
droit de propriété, il fallait que tous les
hommes veillassent pour défendre leurs possessions
et celles d' autrui, ils seraient dans un état moins
avantageux que l' état primitif, où chacun n' avait
à conserver que son propre bien. Il faut donc une
autorité tutélaire qui veille pour tous, tandis que
chacun vaque à ses affaires.
Pour que cette autorité remplisse le ministère
important qui lui est confié, il faut qu' elle soit
souveraine, qu' elle soit armée d' une force
surieure à tous les obstacles qu' elle pourrait
rencontrer.
Il faut aussi qu' elle soit unique. L' ie de
plusieurs autorités dans unme état ne présente
qu' une absurdité complète. Si elles sont égales,
il n' y a point d' autorité, il ne peut y avoir que
plus ou moins d' anarchie ; si l' une d' entre elles
est supérieure, celle-là est l' autorité ; les
autres ne sont rien.
PARAGRAPHE 8
L' autorité souveraine n' est pas instituée pour
faire des lois ; car les lois sont toutes
faites par la main de celui qui créa les
droits et les devoirs .
Les lois sociales , établies par l' être
suprême, prescrivent uniquement la conservation
du droit de propriété , et de la liber
qui en est inséparable.
Les ordonnances des souverains, qu' on appelle
lois positives , ne doivent être que des
actes déclaratoires de ces lois essentielles de
l' ordre social .
Si les ordonnances des souverains étaient
contradictoires aux lois de l' ordre social ,
si elles défendaient de respecter la propriété,
si elles commandaient de brûler les moissons, si
elles prescrivaient le sacrifice des petits
enfants, ce ne seraient pas des lois , ce
seraient des actes insensés qui ne seraient
obligatoires pour personne.
Il y a donc un juge naturel et irrécusable des
ordonnances mes des souverains, et ce juge est
l' évidence de leur conformité ou de leur
opposition aux lois naturelles de l' ordre
social .
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La cause du respect extrême et de l' obéissance
entière que nous devons aux lois vient de ce
qu' elles sont avantageuses à tous, et de ce que
les hommes seraient obligés de s' y soumettre par
religion de for intérieur , quand même elles
ne seraient pas promulguées par le souverain,
et quand il n' employerait pas à les faire observer
tout le pouvoir de son autorité bienfaisante.
Les souverains sont obligés de promulguer par des
ordonnances positives les lois naturelles et
essentielles de l' ordre social , et ils ont le
droit de remplir ce sacré ministère ; dépositaires
de toutes les forces de la société, c' est à eux
seuls qu' il appartient de déclarer , au nom de la
société, guerre ouverte à tous ceux qui
violeront les droits de ses membres.
Ainsi, ce qu' on appelle le pouvoir législatif ,
qui ne peut pas être celui de cer , mais qui
est celui de déclarer les lois , et d' en assurer
l' observance, appartient exclusivement au
souverain, parce que c' est au souverain que la
puissance exécutive appartient exclusivement,
par la nature de la souveraineté me.
Ces deux puissances ne peuvent être sépaes sans
désordre, car le droit de commander deviendrait
de nul usage sans le pouvoir de se faire obéir.
PARAGRAPHE 9
Par la raison même que le souverain a la puissance
législative et la puissance exécutive, la fonction
de juger les citoyens est incompatible avec la
souveraineté.
Elle est incompatible avec la souveraineté ; car
la fonction de juger quelle doit être l' application
de la loi à des cas particuliers entraîne la
recherche d' une infinité de faits particuliers, à
laquelle le souverain ne peut se livrer.
Elle est incompatible avec la souveraineté, car
elle ôterait à la souveraineté et aux lois la
sainteté de leur caractère ; elle exposerait le
souverain à toutes les séductions possibles, et
au soupçon perpétuel de toutes les séductions
possibles. On ne pourrait plus savoir s' il parle
comme législateur ou comme juge ; il n' y aurait
plus de ritables lois positives ; tous les
arrêts seraient regardés comme des volontés du
moment.
Elle est incompatible avec la souveraineté ; car
lorsque le souverain aurait été trompé dans son
jugement, comme il est impossible que tout juge
ne le soit pas quelquefois relativement à des
faits équivoques et difficiles à constater, comme
il serait surtout impossible à un souverain (qui
n' aurait jamais le loisir d' un examen suffisant
dans la multitude d' affaires dont il serait
écrasé) de ne l' être pas très fréquemment, il n' y
aurait personne
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à qui l' on pût s' adresser pour faire réformer le
jugement ; et pour avoir voulu rendre la justice,
le souverain serait privé du pouvoir de faire
rendre la justice.
Il faut donc qu' il y ait des magistrats établis
pour faire l' application des lois, pour examiner
les contestations qui s' évent entre les
particuliers, et même entre le souverain, comme
protecteur du public, et les particuliers accusés
d' avoir violé l' ordre public, et pour déclarer,
après un examen suffisant, qu' un tel est dans
tel cas, sur lequel la loi a prononcé .
Pour qu' il soit évident que les magistrats ont
apporté un examen suffisant dans les affaires
soumises à leur jugement, il faut qu' ils soient
assujétis à des formes qui constatent cet examen.
Le droit degler ces formes appartient au
souverain comme une branche de la législation
positive.
PARAGRAPHE 10
Les magistrats étant chargés de juger d' après les
lois positives et conformément aux gles prescrites
par les lois positives, et ayant à décider ainsi
des biens, de la vie, de l' honneur de leurs
concitoyens, ils sont religieusement obligés de
commencer par juger les lois positives.
Il est évident qu' un magistrat serait coupable,
qui se chargerait de prononcer des peines contre
ses semblables, d' après des lois évidemment
injustes .
Les magistrats doivent donc comparer les
ordonnances positives avec les lois de la justice
par essence , qui règlent les droits et les
devoirs de chacun, et qui sont ainsi la base de
l' ordre social, avant de s' engager à juger d' après
ces ordonnances.
L' ignorance ne peut justifier les magistrats de
n' avoir pas fait cet examen et cette comparaison ;
car l' ignorance elle-même est un crime capital
dans un homme qui embrasse un ministère grave qui
exige essentiellement que ceux qui le
remplissent ne soient pas ignorants.
PARAGRAPHE 11
L' examen auquel les magistrats sont obligés, ne
saurait être pjudiciable à l' autori
souveraine ; car l' autorité souveraine n' étant
telle que parce qu' elle est dépositaire des
forces publiques, elle n' a d' autre intérêt que
celui d' accroître, par les meilleures lois
positives, ces forces qui sont à sa disposition.
L' autorité souveraine est dépositaire des forces
publiques et leur commande, parce que l' évidence
de l' intérêt commun rallie à elle toutes les
volontés.
p350
C' est cette réunion des volontés et des forces
qui constitue la puissance et l' autorité
souveraine.
Voilà pourquoi ce qui est avantageux aux sujets
accroît la puissance et l' autorité des souverains.
Ce serait offenser grièvement les souverains, car
ce serait les supposer à la fois injustes et
insensés, que de supposer qu' ils voulussent
diminuer leur puissance et leur autorité, en
désunissant par des injustices évidentes les
volontés et les forces naturellement portées à
se rallier à leur personne.
Quand il échappe donc une erreur aux souverains
dans leurs ordonnances positives, ce ne peut être
qu' involontairement, et les magistrats les servent
utilement, fidèlement et religieusement, en leur
faisant remarquer ces erreurs involontaires.
PARAGRAPHE 12
Pour que les magistrats puissent remplir cette
fonction inséparable de leur ministère, la
fonction importante de vérifier les ordonnances
positives en les comparant avec les lois
naturelles et essentielles de l' ordre social ,
il faut, comme nous l' avons remarqué, que les
magistrats soient très profondément instruits de
ces lois primitives et fondamentales de toute
société.
Pour être certain que les magistrats sont
éclairés, et suffisamment instruits des lois
naturelles de l' ordre social, il faut que l' on
puisse juger de leur degré d' étude et de leur
capacité à cet égard.
Pour que l' on puisse juger de la capacité des
magistrats, il faut que la nation elle-même soit
très éclairée sur les droits et les devoirs
ciproques des hommes réunis en société, et sur
les lois physiques de la reproduction et de la
distribution des richesses.
Pour que la nation soit suffisamment éclairée sur
ces lois naturelles, il faut en établir
l' instruction publique et générale, et favoriser
les ouvrages doctrinaux en ce genre, de manière que
le dernier des citoyens en ait au moins une
teinture légère, et que tous ceux qui prétendent à
être constitués en dignité quelconque, en aient
une connaissance exacte, approfondie et complète.
PARAGRAPHE 13
L' autorité souveraine ne peut remplir ses fonctions
tutélaires, garantir la propriété de tous et de
chacun par des forces supérieures à toutes celles
qui voudraient y attenter, subvenir aux frais de
la justice distributive et de l' instruction
publique, que par despenses etme par des
dépenses considérables.
p351
Il faut donc que la société paye cespenses qui
sont essentielles à la conservation de la société,
à l' observation de l' ordre, au maintien du droit
de propriété.
La portion de richesses, qui paye cespenses
publiques, s' appelle l' impôt .
l' impôt, comme conservateur de la propriété,
est le grand lien, le noeud fédératif, le
vinculum sacrum de la société. Cet objet est
si important, que nous consacrerons plusieurs
paragraphes à l' explication des lois naturelles
qui le concernent.
PARAGRAPHE 14
Il ne dépend pas des hommes d' asseoir l' impôt
selon leur caprice, il a une base et une forme
essentiellement établies par l' ordre naturel.
Quand on dit qu' il ne dépend pas des hommes ,
c' est-à-dire des hommes éclairés et
raisonnables ; car personne ne conteste aux
ignorants le pouvoir physique de tomber dans de
grandes erreurs, mais les lois naturelles les
soumettent alors à des punitions très sévères,
inévitablement attachées à ces erreurs, et c' est
tout ce que l' on veut dire ici.
L' impôt doit fournir à des penses perpétuellement
renaissantes ; il ne peut donc être pris que sur
des richesses renaissantes.
L' impôt ne saurait même porter indifféremment sur
toutes les richesses renaissantes. La nature a
refusé à celles qu' on appelle reprises des
cultivateurs la faculté de contribuer à
l' impôt, puisqu' elle leur a impérieusement imposé
la loi d' être employées en entier à entretenir
et à perpétuer la culture, sous peine de voir
anéantir par degrés la culture, les récoltes, la
population, les empires.
La portion des récoltes nommée le produit net ,
est donc la seule contribuable à l' impôt, la seule
que la nature ait rendue propre à y subvenir.
Il est donc de l' essence de l' imt d' être une
portion du produit net de la culture.
PARAGRAPHE 15
Le but de l' impôt est la conservation du droit de
propriété et de la liberté de l' homme dans toute
leur étendue naturelle et primitive ; conservation
qui peut seule assurer la multiplication des
richesses et de la population.
Toute forme d' imposition qui restreindrait la
propriété et la liberté de l' homme, et qui
diminuerait nécessairement les richesses et la
population, serait donc manifestement oppoe au
but de l' impôt.
Si l' on établissait des impositions sur les
personnes, sur les marchandises, sur lespenses,
sur les consommations, la perception de ces
impositions
p352
serait fort coûteuse ; leur existence gênerait la
liberté des travaux humains, et augmenterait
nécessairement les frais de commerce et de
culture.
Cette augmentation de frais de commerce et de
culture, ces taxes dispendieuses entre la
production et la consommation, n' augmenteraient la
richesse d' aucun acheteur consommateur, et ne
pourraient faire dépenser à qui que ce fût plus
que son revenu.
Elles forceraient donc les acheteurs à mésoffrir
sur les denrées et les matières premières, en
raison de la taxe et de la perception coûteuse de
la taxe, et de l' accroissement de frais
intermédiaires de commerce et de fabrication que
la taxe et sa perception occasionneraient.
Elles feraient donc baisser nécessairement d' autant
le prix de toutes les ventes de la première main.
Les cultivateurs qui font ces ventes se trouveraient
donc en déficit dans leur recette, de toute la
diminution du prix de leurs denrées et matières
premres.
Ils seraient donc forcés d' abandonner la culture
des terrains mauvais ou médiocres, qui, avant la
diminution du prix des productions, ne rendaient
que peu ou rien par-delà le remboursement des
frais de leur exploitation, et qui, par cette
diminution de la valeur des récoltes, ne
pourraient plus rembourser ces frais cessaires
pour les cultiver. Denaîtrait une première et
notable diminution dans la masse totale des
subsistances, dans l' aisance du peuple, et
bientôt dans la population.
Les cultivateurs seraient forcés en outre de
retrancher, ou sur le revenu des propriétaires,
ou sur les dépenses de leur culture, une somme
égale au déficit qu' ils éprouveraient dans
leur recette.
Si les cultivateurs pouvaient retrancher cette
somme du revenu des propriétaires fonciers
(comme cela serait juste, puisque ce revenu est
le seul disponible, tandis que les reprises des
cultivateurs sont essentiellement
hypothéquées aux travaux de la reproduction), il
est évident qu' alors ces propriétaires
supporteraient en entier les taxes mises sur les
personnes, sur les travaux, sur les denrées, sur
les marchandises, et les frais multipliés de la
perception de ces taxes, et la diminution de
valeur que leur existence et la gêne qu' elles
entraînent à leur suite causeraient aux récoltes.
Il est également évident que, dans ce cas, il en
coûterait beaucoup plus aux propriétaires fonciers
que s' ils avaient payé directement au fisc, sur
leurs revenus, sans frais de perception, et sans
que la valeur des productions qui font la base de
leurs revenus fût dimine, une somme égale à
celle que le souverain retirerait des impositions
indirectes.
Si les cultivateurs étaient liés, vis-à-vis des
propriétaires fonciers, par
p353
des engagements qui les obligeassent à payer
annuellement à ceux-ci une somme déterminée, ils
seraientduits à retrancher despenses de
leur culture, en raison de la perte que leur
occasioneraient la diminution du prix des
productions, et le payement qu' ils seraient
contraints de faire de l' imposition indirecte
et des frais de sa perception.
Ce retranchement des dépenses productives
amènerait inévitablement la diminution de la
production ; car les dépenses nécessaires pour la
culture sont une condition essentielle, et
sine quâ non , des récoltes. On ne pourrait
supprimer ces dépenses sans supprimer les
coltes ; on ne pourrait les diminuer, sans que
les récoltes diminuassent en proportion.
Si les baux qui engageraient les cultivateurs
vis-à-vis des propriétaires avaient plusieurs
années à courir, et si les premiers ne pouvaient
les résilier, la dégradation deviendrait
progressive, et d' autant plus rapide, que le
cultivateur serait forcé de payer tous les ans
le même loyer et la même imposition sur une
colte affaiblie tous les ans par l' effet de
ces payements, auxquels il ne pourrait satisfaire
qu' en retranchant tous les ans sur les
dépenses de sa culture.
Cette dégradation, si redoutable à la population,
retomberait nécessairement à la fin sur les
propriétaires fonciers et sur le souverain, soit
par la ruine des entrepreneurs de culture, soit
par l' expiration de leurs baux.
Ceux des entrepreneurs de culture auxquels il
resterait encore le moyen de renouveler leurs
baux, instruits par l' expérience, stipuleraient
de manière à se dédommager des pertes qu' ils
auraient essuyées, ou du moins à ne pas s' exposer
à en faire de pareilles à l' avenir. Leurs facultés
affaiblies ne leur permettant pas de conduire leur
exploitation aussi avantageusement que par le
pas, ils ne s' engageraient qu' en raison de
l' impuissance où les aurait réduits la perte d' une
partie de leurs richesses, de la diminution
arrivée dans le prix des ventes de la première
main, et de la surcharge de l' imposition indirecte
et des frais de sa perception.
L' appauvrissement de ces entrepreneurs de
culture, et la ruine des autres auxquels il ne
resterait plus la faculté de faire les avances
des frais de l' exploitation, détourneraient les
hommes riches de se livrer à une profession qui
ne leur présenterait que la perspective de la
perte de leur fortune. La culture de la plus
grande partie des terres resterait abandonnée
à de malheureux manouvriers sans moyens, auxquels
les propriétaires fonciers seraient obligés de
fournir la subsistance. Alors, impossibilité de
se procurer des animaux vigoureux pour exécuter
les travaux avec force et avec célérité, et des
bestiaux en assez grande quantité pour fumer les
terres ; disette des engrais nécessaires ;
insuffisance des parations
p354
et de l' entretien indispensable des bâtiments,
des fossés, etc. ; extinction presque entière
des récoltes, des subsistances, de la population,
du produit net qui constitue la richesse des
propriétaires fonciers, du revenu public qui ne
peut être qu' une part de ce produit net , de
la puissance du souverain qui est fone sur le
revenu public.
Impositions indirectes ; pauvres paysans. Pauvres
paysans ; pauvre royaume. Pauvre royaume ; pauvre
souverain.
PARAGRAPHE 16
Nous avons prolongé le paragraphe pcédent pour
donner une idée des malheurs auxquels les nations
s' exposent, quand elles croient pouvoir se
gouverner ou être gouvernées arbitrairement,
tandis que la nature nous a environs de lois
suprêmes, et d' un enchaînement physique et
inviolable de causes et d' effets qui ne laissent
à notre intelligence et à notre liberté que le
soin de les étudier et d' y conformer notre
conduite, pour profiter des avantages qu' elles nous
offrent, et éviter les maux qu' elles nous
attireraient ivitablement, si nous refusions ou
si nous négligions de nous éclairer sur l' ordre
qu' elles constituent, et de nous soumettre à ce
qu' il nous prescrit.
Nous venons de voir que lorsqu' on veut prendre une
route indirecte pour lever l' impôt, il n' en est pas
moins payé, en dernière analyse, par le produit
net des biens-fonds ; mais qu' il l' est alors
d' une manière extrêmement désastreuse et beaucoup
plus onéreuse pour les propriétaires fonciers ;
qu' il gêne la liberté et restreint la propriété des
citoyens ; qu' il fait baisser le prix des
productions, à la vente de la première main ;
qu' il diminue la masse des produits, et encore plus
la somme des revenus du territoire ; qu' il amène la
misère et la dépopulation ; qu' il ruine par degrés
la culture, les cultivateurs, les propriétaires
fonciers, la nation et le souverain.
Il est évident par là que des impositions indirectes
seraient entièrement contraires au but de l' impôt,
à celui de l' établissement de l' autorité souveraine,
et à celui de la société.
Il est donc évident que l' impôt doit être le
directement sur le produit net et disponible des
biens-fonds ; car alors il nerangera point les
combinaisons légitimes et nécessaires des
cultivateurs, auxquels il est indifférent de payer
une partie du produit net entre les mains du
souverain, ou entre celles des propriétaires
fonciers. La liberté de tous les travaux restera
entière, et le prix des récoltes, à la première
vente, ne baissera nullement, parce que l' ordre
des dépenses ne sera point changé, que rien ne les
emchera de retourner directement à la terre
p355
pour en solder les productions, et que l' autorité
tutélaire ne sera que substituée aux propriétaires
fonciers pour la pense d' une partie du produit
disponible.
Il ne s' agit plus que d' examiner quelles règles
la nature indique pour la levée directe de la
part qui doit appartenir à l' impôt dans le
produit net du territoire.
PARAGRAPHE 17
D' abord il est évident que la proportion de
l' impôt, avec le produit net, ne doit pas être
arbitraire.
Elle ne doit pas l' être de la part de l' autorité
souveraine ; car alors le souverain pourrait
envahir toutes les propriétés, il n' en serait
plus regardé comme conservateur, les volontés
seraient plutôt portées à se défier de lui qu' à
lui obéir, il n' aurait bientôt plus d' autorité.
Cette proportion ne doit pas non plus être
arbitraire de la part des propriétaires fonciers ;
car, dans des moments d' ignorance, un intérêt mal
entendu pourrait leur faire restreindre le revenu
public, de manière à nuire à la consistance de la
société, à la sûreté de sa constitution fondée
sur la conservation de la propriété.
Il est encore évident que l' impôt ne peut pas être
invariablement fixé à une somme terminée ; car
le revenu public, suffisant pour une société
faible et commençante, ne le serait plus pour une
société étendue et enrichie qui aurait défriché
et mis en valeur un grand territoire ; et de
me celui qui aurait été nécessaire pour cette
société florissante, deviendrait excessif, onéreux
et destructeur pour la même société, si des
circonstances extérieures ou des erreurs politiques
avaient restreint le produit net de sa
culture, et l' avaient ainsi rapprochée de son état
de faiblesse primitive.
C' est une opinion bien redoutable que celle qui a
induit à croire qu' il fallait, pour assurer sa
défense, que tout état se soumît à un impôt
capable de soudoyer une force publique à peu ps
égale à celle des peuples voisins. Ce préjugé, qui
a fait augmenter et accumuler les impositions chez
des nations faibles et pauvres, sans autre raison
pour le faire que leur faiblesse et leur
pauvreté me, a causé les plus terribles
malheurs qu' ait essuyés le genre humain. Par lui,
la propriété a été sacrifiée, et les fondements
de la socté sappés, sous prétexte de protéger la
propriété et de maintenir la société ; par lui,
l' impôt est devenu arbitraire, et n' a connu de
bornes que celles qu' une imagination déréglée
donnait aux besoins publics sans cesse exagérés.
Il aurait mené les hommes jusqu' à vouloir, malgré
la nature, que le prince de Monacot un revenu
propre à balancer le pouvoir du roi de France.
p356
Ce n' est donc pas aux prétendues nécessités des
états que l' impôt doit être proportionné, c' est
à leur richesse disponible. Dès qu' on s' écartera
de cette règle, on n' en pourra reconnaître
aucune ; et les empires seront bientôt conduits à
cette époque terrible, où il devient indifférent
à la nation que son territoire soit ravagé par
l' ennemi ou par les exacteurs.
La proportion de l' imt avec le produit net,
lequel constitue les seules richesses disponibles,
doit être telle que le sort des propriétaires
fonciers soit le meilleur possible, et que leur
état soit prérable à tout autre dans la société.
Car, si quelqu' autre état était préférable à celui
de propriétaire foncier, les hommes se tourneraient
tous vers cet autre état. Ils négligeraient
d' employer leurs richesses mobilières à créer, à
améliorer, à entretenir des propriétés foncières,
et les consacreraient à d' autres entreprises et
à d' autres travaux. Dès-lors lestiments
nécessaires à la culture, les granges, les étables,
les pressoirs, etc., tomberaient en ruine ; les
plantations seraient abandones ; les futaies
seraient abattues ; les clôtures se dégraderaient ;
les fossés se combleraient ; les eaux croupiraient
sur le terrain ; les marais et les friches
prendraient la place des moissons ; les récoltes,
le produit net et l' impôt lui-même s' anéantiraient
progressivement et nécessairement.
Cette proportion naturelle et légitime de l' impôt
avec le produit net qui doit le payer, s' établit
d' elle-même dans une société naissante. Car alors
ce sont ces propriétaires fonciers qui, pressés de
la nécessité de se soumettre à l' autorité tutélaire
qu' ils élèvent au milieu d' eux pour se garantir
mutuellement la jouissance des biens dont ils sont
en possession, consacrent volontairement, et par
leur propre intérêt, une partie du produit net de
leurs domaines à faire les frais du ministère de
cette autorité protectrice.
C' est ainsi que l' institution de l' impôt, loin
d' être opposée au droit des propriétaires fonciers,
est au contraire un usage de leur droit de
propriété.
Elle est même un usage profitable du droit des
propriétaires fonciers, car, au moyen de la
reté que cette institution donne aux propriétés
et à la liberté, les propriétaires peuvent
étendre, multiplier leurs travaux, et accroître
infiniment la culture et les produits de leurs
propriétés.
Si l' on statue alors que l' autorité tutélaire
restera à perpétuité copropriétaire dans le
produit net de la culture, selon la proportion
établie par l' évidence de la quotité que doit
avoir l' imt pour donner le plus grand deg
de reté possible à la société, et pour que le
sort des propriétaires fonciers soit le meilleur
qu' il est possible, et préférable à tout autre
dans la société, on constitue la forme de l' imt
le plus avantageux possible au souverain et à la
nation.
Par cette forme, l' imt est naturellement
proportionné aux besoins
p357
réels de la société, puisqu' il s' accroît à mesure
que l' accroissement de la population occasion
par les progrès de la culture et par l' augmentation
du produit net ,cessite l' augmentation des
dépenses publiques consacrées à maintenir le bon
ordre, et à protéger la proprié.
Par cette forme, les cultivateurs payent selon
leurs engagements libres et volontaires la valeur
du produit net à ceux qui en sont propriétaires.
Il leur est très avantageux qu' une partie de ce
produit net passe entre les mains de l' autori
souveraine, puisque c' est l' unique moyen de
mettre cette autorité à portée de protéger leurs
droits de propriété. Et cela ne leur est
nullement à charge, puisqu' ils n' ont aucun droit
de propriété sur le produit net , qu' ils sont
contraints par la concurrence d' en tenir compte
en entier à qui il appartient, et que peu leur
importe qu' une partie de ce produit net
s' appelle impôt , tandis que l' autre s' appelle
fermage , pourvu qu' on n' exige rien d' eux
au-delà du produit net , et que leurs
reprises soient toujours franches, intactes et
assurées.
Par cette forme, les propriétaires fonciers qui
paraissent payer l' impôt sur leurs revenus, le
paient au contraire sur une augmentation de
richesses disponibles ou de produit net qui
n' existerait pas sans l' établissement de l' impôt,
puisque c' est la reté que l' imt donne à la
propriété, qui a seule pu soutenir et favoriser
les entreprises et les travaux, par lesquels la
culture est parvenue au point de faire naître un
produit net tant soit peu considérable.
Par cette forme, l' imt, auquel appartient une
part proportionnelle du produit net , est donc
très avantageux aux propriétaires fonciers,
puisqu' il étend leurs richesses et les jouissances
qu' ils peuvent se procurer. Il forme une espèce de
propriété commune inaliénable ; il n' entre dans
aucun des contrats que les propriétaires fonciers
passent ensemble ; lorsqu' ils achètent et vendent
des terres, ils n' actent ni ne vendent l' impôt,
ils ne disposent que de la portion du terrain qui
leur appartient, l' imt prélevé. Ainsi l' existence
de cet impôt n' est pas plus à charge à aucun
propriétaires fonciers que le droit qu' ont les
autres propriétaires sur les domaines qui limitent
le sien.
Par cette forme, l' imt est très avantageux à la
classe des hommes qui ne subsistent que de
salaires, puisqu' il leur procure la sûreté et la
jouissance de toute l' étendue de leurs droits de
propriété personnelle et mobilière. Et il ne leur
est nullement à charge, puisque, loin de
retrancher rien de la somme des salaires, ni de la
facilité de les obtenir, il en augmente la masse
par l' augmentation des richesses, qui résulte de
l' assurance complète de tous les droits de
propriété.
Par cette forme, la liberté des travaux humains
est la plus grande qu' il soit possible, la
concurrence entre tous ceux qui font exécuter, et
p358
entre tous ceux qui exécutent ces travaux, la
plus étendue qu' il soit possible ; l' état des
propriétaires fonciers, le meilleur qu' il soit
possible ; la multiplication des richesses et
du produit net, le plus rapide qu' il soit possible,
et, par conséquent, le revenu public toujours
proportionné au produit net , sans cesse
augmentant, le plus considérable qu' il soit
possible.
Par cette forme, l' autorité tutélaire jouit en
entier de toutes les sommes consacrées à la
formation du revenu public, puisque les frais
de la perception se trouvent réduits à rien ou à
presque rien, comme les frais de la perception des
fermages qui ne coûtent rien à la nation.
Par cette forme, toute espèce de contestation est
pour jamais bannie entre les dépositaires de
l' autorité et les sujets, puisque la proportion de
l' impôt une fois établie et connue,
l' arithmétique suffit ensuite pourcider
souverainement quelle est la part de chacun
dans le produit net du territoire.
Par cette forme donc, le revenu public le plus
grand possible et qui s' accroît tous les jours,
est le plus profitable qu' il soit possible à tous
les membres de la société, et n' est onéreux à
personne, ne cte rien à personne, n' est payé par
personne, ne retranche rien de la propriété de qui
que ce soit.
Par cette forme enfin, l' autorité souveraine est
dans une parfaite communauté d' intérêts avec la
nation. Le revenu de celle-ci ne saurait
dépérir sans que le prince, averti par la
diminution de son propre revenu, ne soit excité
par les motifs les plus pressants à remédier au
désordre qui détruit les richesses de ses sujets
et les siennes, et à prendre les mesures les
plus efficaces pour accrtre, au contraire, l' un
et l' autre revenu.
PARAGRAPHE 18
La communauté d' intérêts entre le souverain et la
nation, manifestement établie par le partage
proportionnel du produit net du territoire, est
le plus sûr garant de l' observation des lois de
l' ordre naturel.
Il est impossible qu' un souverain,
arithmétiquement convaincu qu' il ne saurait
accroître ses richesses, et par conséquent sa
puissance, que par la prospérité de ses sujets,
ne soit pas très attentif à s' instruire de tout
ce qui peut augmenter l' aisance et le bonheur de ses
peuples, et très actif à les maintenir dans la libre
jouissance de tous leurs droits de propriété.
Partout où une mauvaise constitution rendrait cette
communauté moins visible, et où les dépositaires de
l' autorité pourraient, ou croiraient pouvoir,
faire au moins passagèrement leurs affaires,
indépendamment de celles de la nation ;
l' instruction publique des lois naturelles dont
l' observance
p359
peut seule assurer le meilleur état possible des
princes et des peuples, serait bientôt négligée.
On pourrait en venir jusqu' à ne trouver que peu
ou point de magistrats éclairés sur ces lois. Tout
serait abandon au torrent des préjugés, aux
caprices de l' opinion, aux ruses d' une politique
ténébreuse et arbitraire. On pourrait oublier ce
que c' est que propriété , que liberté ;
les richesses diminueraient en raison de cet
oubli funeste. Des expédients ruineux pourraient
être regars comme faisant partie du régime
habituel, voiler momentanément au souverain la
dégradation à laquelle ils contribueraient,
conduire la société au terme de l' affaiblissement
et de la ruine, et le gouvernement à celui de la
pauvreté et de l' impuissance, avant que celui-ci
vît la nécessité de remédier efficacement à un
désordre si funeste pour lui-même et pour la
nation.
PARAGRAPHE 19
Cette communauté ni nécessaire entre la partie
gouvernante et la partie gouvernée de l' état, cette
communauté qui place le plus grand intérêt du
souverain dans l' accroissement du produit net des
terres soumises à sa domination, cette
communauté sans laquelle aucune nation ne peut
se pondre d' avoir une administration
constamment prosre, nous indique quelle doit
être la forme de l' autorité souveraine, et en
quelles mains doit être déposée cette autorité.
Car toute forme de gouvernement qui ne
comporterait pas cette communauté parfaite et
visible d' intérêts, entre ceux qui exercent
l' autorité souveraine et ceux sur lesquels elle
est exercée, serait évidemment une forme proscrite
par les lois de l' ordre naturel le plus
avantageux possible aux hommesunis en société.
Il est évident qu' un souverain démocratique ne
peut exercer lui-même son autorité, et qu' il ne
saurait en faire d' autre usage que celui de se
nommer des commissaires ou des représentants pour
exercer cette autorité. Ces représentants chargés
d' exercer l' autorité d' un souverainmocratique,
sont des particuliers dont les fonctions sont
nécessairement passagères. Ces passagers ne
sauraient être en communauté perpétuelle
d' intérêts avec la nation. Ces particuliers ont,
peuvent avoir, du moins, des intérêts particuliers
exclusifs opposés à l' observance de l' ordre
et à l' intérêt public. Ce n' est donc pas leur
administration qui est indiquée par l' ordre
naturel, et qui peut resserrer les liens de la
société par l' union de l' intérêt des dépositaires
de l' autorité et de celui du reste de la nation.
Il en faut dire autant d' un souverain
aristocratique. Les membres qui le composent sont
aussi des particuliers qui ont aussi des domaines
et des familles, dont l' intérêt particulier
exclusif peut être souvent en opposition avec
l' intérêt des autres propriétaires fonciers
soumis à leur domination,
p360
et se trouve naturellement plus cher aux
aristocrates, que cet intérêt des propriétaires
qui constitue l' intérêt public.
Il en faut dire autant d' un monarque électif. Ce
prince a aussi des domaines et une famille qui lui
appartiennent comme particulier, qui subsistent
indépendamment de sa souveraineté, et qui
subsisteront encore après que sa souveraineté sera
pase. Il a donc l' intérêt particulier
exclusif d' employer la puissance dont il est
dépositaire, pour améliorer et étendre ses
domaines, pour agrandir et enrichir sa famille.
Si cet intérêt se trouve opposé à celui des
revenus publics et particuliers de la nation,
le prince sera exposé à des tentations
perpétuelles qui peuvent souvent devenir funestes.
Ce n' est pas qu' une haute vertu et un grand génie dans
un monarque électif, dans des co-souverains
aristocratiques, ou dans les repsentants
d' un souverain mocratique, joints à des lumières
suffisantes dans les nations sur les droits de la
propriété et de la liberté, ne puissent assurer
pendant un certain temps la prospérité des sociétés
soumises à ces différentes formes de gouvernement.
Mais un grandnie et une haute vertu sont des
qualités personnelles qui ne passent pas toujours
d' un prince à son successeur, et qui s' étendent
rarement sur un grand nombre d' individus à la fois.
Quand, dans ces gouvernements imparfaits, elles
manquent aux administrateurs supmes, ceux-ci
peuvent se laisser aisémentduire par l' attrait
de leur intérêt particulier exclusif. Alors, les
lumières de la nation peuvent leur paraître
redoutables. Alors, la nation devient
nécessairement moins éclairée qu' elle ne devrait
l' être, et qu' elle ne le serait si l' inrêt
personnel présent et visible despositaires de
l' autorité était d' étendre et de favoriser
l' instruction publique de l' ordre naturel. Alors,
l' ignorance concourt à entretenir la dissension
des intérêts, et à la rendre plus dangereuse.
Il n' y a que les monarques héditaires dont tous
les intérêts personnels et particuliers, psents
et futurs, puissent être intimement,
sensiblement et manifestement liés avec celui de
leurs nations, par la co-propriété de tous les
produits nets du territoire soumis à leur
empire.
Il est vrai que cette co-propriété seule peut
opérer une parfaite communauté d' intérêts entre
un monarque, même réditaire, et son peuple ;
car si ce monarque avait, au lieu de cette
co-propriété, des domaines à faire valoir pour
en appliquer le revenu aux penses publiques, il
ne pourrait remplir les fonctions de propriétaire
foncier sur une si grande étendue de terres, et
il ne lui resterait, pour en soutenir le revenu,
que la ressource ruineuse de privilégier ses
domaines au triment de ceux de ses sujets, ce
qui mettrait ce monarque domanial , vis-à-vis
de sa nation,
p361
dans un état absolument incompatible avec le
ministère de l' autorité souveraine.
Mais la monarchieditaire présente la forme
du gouvernement le plus parfait, quand elle est
jointe à l' établissement de la co-propriété du
public dans le produit net de tous les biens-fonds,
sous une telle proportion que le revenu du fisc
soit le plus grand possible, sans que le sort des
propriétaires fonciers cesse d' être le meilleur
que l' on puisse avoir dans la société.
PARAGRAPHE 20
Un monarque héditaire, associé avec sa nation
par le partage proportionnel du produit net
des biens-fonds, a un intérêt visible que le
produit net soit le plus grand possible.
Il a donc un intérêt visible que toutes les
conditionscessaires à l' existence du plus
grand produit net possible soient complètement
remplies.
Il a un intérêt visible que la concurrence soit
la plus grande possible dans tous les travaux
qui contribuent directement ou indirectement à la
formation de ce produit net.
Il a un intérêt visible que la liberté de toute
espèce de commerce, tant intérieur qu' extérieur,
soit entière.
Il a un intérêt visible que la jouissance de tous
les droits de propriété personnelle, mobilière et
foncière soit assurée.
Il a un intérêt visible que l' usage de ces droits
soit éclairé par l' instruction publique la plus
lumineuse, la plus étendue, la plus universelle,
la plus favorisée.
Il a un intérêt visible que cette instruction
générale des lois de l' ordre naturel lui
forme des magistrats, sur les lumières et sur
les vertus desquels il puisse compter, pour
examiner et décider, d' après ces lois, quelle
doit être dans les cas particuliers l' application
de son autorité souveraine, afin de maintenir la
propriété, sur le produit de laquelle est fondé
son revenu.
Il a un intérêt visible que ces magistrats habiles
et studieux comparent les lois positives qu' il est
obligé de promulguer avec les lois divines de
l' ordre naturel, afin de l' avertir, s' il lui
échappait dans ses ordonnances quelque erreur
préjudiciable à ses revenus ; car les lois
positives, qui paraissent même les plus éloignées
d' être des lois fiscales, ne sauraient jamais être
indifférentes aux revenus d' un monarque
co-propriétaire.
Elles sont nécessairement ou conformes, ou
contraires aux lois naturelles,
p362
ou favorables ou nuisibles à la propriété, et à
la liberté qui en est inséparable.
Si elles sont conformes aux lois de l' ordre
naturel, favorables à la propriété et à la
liberté, elles excitent les hommes à mettre la
plus grande activité dans leurs travaux, en
laissant le champ ouvert à l' intérêt licite
de tous, et donnant à chacun la certitude de
recueillir le fruit de ses peines ; alors elles
étendent la culture, multiplient les richesses,
accroissent le produit net , et par
conséquent le revenu du souverain proportionné
à ce produit net .
Si elles sont contraires aux lois de l' ordre,
nuisibles à la propriété et à la liberté, elles
jettent le découragement dans le coeur des
hommes, en raison de l' impuissance elles les
duisent et des difficultés dont elles
hérissent leurs travaux ; elles restreignent la
culture, elles diminuent les richesses et le
produit net , et par conséquent le revenu du
souverain.
Il n' y a donc aucune ordonnance positive sur
laquelle on ne puisse proposer cette question :
s' agit-il d' augmenter nos moissons, d' élever nos
enfants et d' accroître les revenus du prince, ou
de brûler nos récoltes, d' étouffer notre
postérité, de ruiner les finances publiques ?
la solution de cette question, discutée jusqu' à
l' évidence par les magistrats, rappellera toujours
à un monarque réditaire et co-propriétaire
quelle est sa véritable volonté ; car on ne peut
supposer un souverain, on ne peut même supposer
un homme, qui veuille nuire à autrui sans profit,
et encore moins avec une perte évidente pour lui
et pour ses descendants : ce serait supposer une
détermination sans motifs, un effet sans cause ;
ou plutôt une détermination contraire aux motifs,
un effet contraire à sa cause : ce serait
supposer une absurdité complète.
PARAGRAPHE 21
Voici donc le résumé de toutes les institutions
sociales fones sur l' ordre naturel, sur la
constitution physique des hommes et des autres
êtres dont ils sont environnés.
propriépersonnelle établie par la nature,
par la nécessité physique dont il est à chaque
individu de disposer de toutes les facultés de
sa personne, pour se procurer les choses propres
à satisfaire ses besoins, sous peine de souffrance
et de mort.
liberté de travail, inséparable de la
propriété personnelle dont elle forme une partie
constitutive.
propriémobilière, qui n' est que la
propriété personnelle même, considérée dans son
usage, dans son objet, dans son extension
nécessaire sur les choses acquises par le travail
de sa personne.
p363
liberté d' échange, de commerce, d' emploi de
ses richesses, inséparable de la propriété
personnelle et de la propriété mobilière.
culture, qui est un usage de la propriété
personnelle, de la propriété mobilière et de la
liberté qui en est inséparable : usage profitable,
nécessaire, indispensable, pour que la
population puisse s' accroître par une suite de la
multiplication des productionscessaires à la
subsistance des hommes.
propriéfoncière, suite nécessaire de la
culture, et qui n' est que la conservation de la
propriété personnelle et de la propriété
mobilière, employées aux travaux et aux dépenses
préparatoires indispensables pour mettre la terre
en état d' être cultivée.
liberté de l' emploi de sa terre, de l' esce
de sa culture, de toutes les conventions relatives
à l' exploitation, à la concession, à la
rétrocession, à l' échange, à la vente de sa terre,
inséparable de la propriété foncière.
Partage naturel des coltes, en reprises des
cultivateurs , ou richesses dont l' emploi doit
indispensablement être de perpétuer la culture,
sous peine de diminution des récoltes et de la
population ; et produit net , ou richesses
disponibles dont la grandeurcide de la
prosrité de la société, dont l' emploi est
abandonné à la volonté et à l' intérêt des
propriétaires fonciers, et qui constitue pour
eux le prix naturel et légitime des dépenses
qu' ils ont faites, et des travaux auxquels ils
se sont livrés pour mettre la terre en état d' être
cultivée.
reté, sans laquelle la propriété et la
liberté ne seraient que de droit et non de fait,
sans laquelle le produit net serait bientôt
anéanti, sans laquelle la culture même ne pourrait
subsister.
autorité tutélaire et souveraine, pour
procurer lareté essentiellement nécessaire à
la propriété et à la liberté, et qui s' acquitte
de cet important ministère, en promulguant et
faisant exécuter les lois de l' ordre naturel,
par lesquelles la propriété et la liberté sont
établies.
magistrats, pour cider dans les cas
particuliers quelle doit être l' application des
lois de l' ordre naturel réduites en lois positives
par l' autorité souveraine, et qui ont le devoir
imrieux de comparer les ordonnances des
souverains avec les lois de la justice par
essence, avant de s' engager à prendre ces
ordonnances positives pour règle de leurs
jugements.
instruction publique et favorisée, pour que
les citoyens, l' autorité et les magistrats ne
puissent jamais perdre de vue les lois invariables
de l' ordre naturel, et se laisser égarer par les
prestiges de l' opinion, ou par l' attrait des
intérêts particuliers exclusifs qui, dès qu' ils
sont exclusifs , sont toujours mal entendus.
revenu public, pour constituer la force et
le pouvoircessaire à l' autorité
p364
souveraine ; pour faire les frais de son ministère
protecteur, des fonctions importantes des
magistrats, et de l' instruction indispensable
des lois de l' ordre naturel.
impôt direct, ou partage du produit net du
territoire entre les propriétaires fonciers et
l' autorité souveraine, pour former le revenu
public d' une manière qui ne restreigne ni la
propriété, ni la liberté, et qui par conséquent
ne soit pas destructive.
proportion essentielle et nécessaire de
l' impôt direct avec le produit net, telle
qu' elle donne à la société le plus grand revenu
public qui soit possible, et par conséquent le plus
grand degré possible de reté, sans que le sort
des propriétaires fonciers cesse d' être le
meilleur sort dont on puisse jouir dans la
société.
monarchie ditaire, pour que tous les
intérêts présents et futurs du positaire de
l' autorité souveraine, soient intimement liés
avec ceux de la société par le partage
proportionnel du produit net .
Tel est le précis de cette doctrine, qui, d' après
la nature de l' homme, expose les lois
cessaires d' un gouvernement fait pour
l' homme, et propre à l' homme de tous les climats
et de tous les pays ; d' un gouvernement qui
subsiste à la Chine depuis quatre mille ans
sous le tropique du cancer, et que le génie d' une
grande impératrice va, pour le bonheur de ses
sujets, établir au milieu des glaces du nord ;
d' un gouvernement évidemment le plus avantageux
possible aux peuples, puisqu' il leur assure la
pleine et entière jouissance de tous leurs droits
naturels, et la plus grande abondance possible des
choses propres à leurs besoins ; évidemment le
plus avantageux possible aux rois, puisqu' il leur
procure la plus grande richesse et la plus grande
autorité possibles.
Ce n' est que dans ce gouvernement simple et
naturel, que les souverains sont ritablement
despotes ; qu' ils peuvent tout ce qu' ils
veulent pour leur bien, lequel se trouve
inséparablement et manifestement attaché
à celui des nations qu' ils gouvernent. Demander
plus pour eux, ce serait leur nuire et les
insulter. Le privilège de se faire du mal à
soi-même,
p365
n' appartient qu' aux fous, et la démence n' est pas
faite pour le trône. Quand on supposerait même
qu' elle pût y parvenir, elle ne serait gre
nuisible, ni au souverain qui aurait le malheur
d' en être affecté, ni à ses sujets, tant que les
nations seraient suffisamment instruites sur les
lois de l' ordre, et que les magistrats, surveillés
par l' évidence publique, seraient par conséquent
nécessités d' être fidèles à leurs devoirs envers le
prince et envers le peuple. Et il n' en serait pas
moins despote , autant qu' il soit donné à
l' homme de l' être, le souverain co-propriétaire
du produit net d' un empire éclairé par la
lumière, et gouverné selon les lois de l' ordre
naturel ; lui qui, lorsqu' il veut augmenter ses
revenus et sa puissance, est r de trouver toutes
les volontés et toutes les forces de ses sujets
disposées à le seconder, et de leur entendre
dire à tous : ni soit le prince qui veut
accroître nos richesses et nos revenus .
Un gouvernement qui concilie aussi parfaitement
l' intérêt de tous les hommes, qui assure si bien
tous leurs droits et tous leurs devoirs
ciproques, qui conduit aussi cessairement
à leur procurer les plus grandes jouissances dont
ils soient susceptibles, est évidemment le
meilleur gouvernement que l' on puisse imaginer, le
gouvernement prescrit aux hommes par l' ordre
naturel.
Croirait-on cependant que, malgré l' évidence des
rités souveraines dont nous venons de tâcher de
suivre le fil, et qui nous manifestent les lois
de ce gouvernement physiocratique , il se
trouve encore des hommes, il se trouve encore des
écrivains, et me des écrivains qui prétendent
avoir étudié ces vérités, et qui,anmoins,
s' acharnent à soutenir qu' il n' est pas vrai que
Dieu ait établi un ordre naturel qui doive servir
de règle à la société, ou que s' il l' a fait, il
n' est pas vrai que les hommes puissent acquérir
la connaissance de cet ordre et s' y soumettre ;
ou, du moins, que s' ils le pouvaient, il n' est
pas vrai qu' aucun d' eux dût commencer le premier
à prendre ce parti ? Non, sans doute, on ne le
croirait pas, et la posrité, qui ne verra point
leurs écrits, sera surprise d' apprendre qu' il
en ut jusqu' à trois que je pourrais citer .
Il faut les plaindre, s' ils ont effectivement
le malheur de douter que Dieu ait donné des lois
à tous les êtres, ou si, contraints par
l' expérience d' avouer que nous pouvons nous
procurer la connaissance certaine d' une infini
de lois naturelles
p366
qui ne nous importent guère, ils pensent
néanmoins que nous ne pouvons acquérir aucune
connaissance de celles qui intéressent le plus
notre existence et notre bonheur. Il faut les
plaindre s' ils ont effectivement le malheur de ne
pas sentir que l' homme soit un animal raisonnable
et susceptible d' être guidé par l' évidence de son
intérêt. Mais, s' ils n' épargnaient aucunes
manoeuvres pour retarder les progrès des
recherches sur des objets aussi importants, s' ils
pandaient la plus âcre animosité dans leurs
écrits, s' ils chargeaient d' inculpations odieuses
des hommes paisibles qui travaillent avec zèle
dans la seule vue de concourir au bonheur du genre
humain, s' ils tâchaient, quoique en vain, de rendre
suspects à l' administration des citoyens vertueux
dont tous les voeux et toutes les études ne tendent
qu' à la gloire du prince et à la prosrité de
l' état, il faudrait les plaindre encore bien
davantage ; l' activité, la multiplicité des efforts
qu' un orgueil mal entendu, que de vils intérêts
particuliers font faire contre l' évidence des
rités utiles, ne peut jamais servir qu' à
enfoncer de plus en plus ceux qui s' y abandonnent
dans la fange du mépris et de l' indignation
publique.
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