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textuelles Frantextalisée par l'Institut National de
la Langue Fraaise (InaLF)
Satires de Dulorens [Document électronique] : édition de 1646 contenant vingt-
six satires / publiées par D. Jouaust ; précédées d'une notice littéraire par E.
Villemin
SATIRE 1
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Que je suis dégouté de la pluspart des hommes,
plus je les considere en ce temps où nous sommes !
Mais sur tous je hay ceux dont le semblant est doux,
qui n' entendent jamais la messe qu' à genoux.
S' ils parlent, c' est de Dieu, de sa bonté supréme,
de se mortifier, renoncer à soy-mesme ;
ils disent à tous cous qu' avecque son prochain
il faut traiter en frere et le coeur à la main,
que le monde n' est pas l' eternelle demeure,
et qu' il en faut partir, mais qu' on ne sçait pas
l' heure.
Après avoir tenu ce langage des cieux,
croirois-tu bien, monsieur, qu' ils sont fort vicieux,
et que celuy d' entr' eux qui fait plus d' abstinence,
dont la face est plus triste, a le moins d' innocence,
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et, prest sans marchander à faire un mauvais tour,
pour ne tenir parole à chercher untour,
il prent son avantage en concluant l' affaire,
encor que comme un prestre il dise son breviaire.
S' il rit, c' est un hazart, et ne rit qu' à demy ;
c' est avec un baizer qu' il trahit son amy ;
plus amateur de bien que Midas ny Tantale,
je le vous garanty harpie originale.
Il se laisse quasi mourir de faim chez luy,
mais il parle des dents à la table d' autruy.
Apres ses oraisons, est-il hors de l' eglise,
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à son proche voisin il trame une surprise,
et luy rend des devoirs sous couleur d' amitié,
mais, s' il a de l' argent, il en est de moitié ;
il flate son esprit avec certain ramage
qui l' attire, le charme et doucement l' engage ;
il cajole sa femme et la prie en bigot
de faire le peché qui fait un homme sot ;
encor qu' il soit tenu plus chaste qu' Ypolite,
il est aussi paillard ou plus qu' un chien d' ermite,
sur tout habile à prendre et le temps et le lieu
propres à demander la piece du milieu ;
elle qui le croit saint, afin de luy complaire,
et croyant meriter, le laisse humblement faire.
Et dehors et dedans il est tout contrefait,
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il n' obmet rien afin qu' on le croye parfait ;
à l' abord d' une femme il est froit et recule,
encore qu' à l' aimer il soit la canicule ;
au reste, à l' entretien il est si papelard
que vous ne diriez pas qu' il eut mangé le lard ;
à sa douce façon et modestie extréme,
il paroist innocent ou l' innocence mesme ;
il porte un coeur de sang sous un devot maintien ;
s' il préte, c' est en juif sous l' habit de chrestien,
et son debteur le fuit de me, s' il faut dire,
qu' un voleur un prevost, une nymphe un satyre ;
c' est le plus inhumain de tous les creanciers :
je le sçay pour avoir esté sur ses papiers.
S' il plaide, pensez-vous, il plaide main garnie ;
gardez vous bien de luy les jours qu' il communie :
c' est lors que son prochain il tâche de tromper,
et dans un vieux dessein, s' il peut, l' enveloper ;
on le prent pour beat, à sa mine, à son geste,
mais son discours de miel le fait juger celeste ;
on fait tout ce qu' il veut, on ne penseroit pas
qu' il voulut decevoir apres ce saint repas ;
de la religion il dispute, il babille,
et vous fait un procés dessus un point d' eguille ;
humble à l' exterieur et superbe au dedans,
il a tout seul du faste autant que six pedans,
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et luy semble que Dieu ne voit pas ses fredaines
ou qu' il n' ait pas de soin des affaires humaines ;
il se tient asseuré du royaume des cieux,
sous ombre qu' en priant il a fait les doux yeux ;
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il traite avecque Dieu de ruse et de finesse,
et pense l' atraper ayant plus d' une messe.
à son petit collet de moy je le connois,
et m' est aussi suspect qu' aux troyens les danois ;
il ne me prend jamais s' il ne me prend au giste,
que dis-je, il me craint plus qu' un diable l' eau
beniste ;
dieu mercy qu' à present il ne m' ose fâcher,
qu' il me fait compliment, sans pourtant m' aprocher ;
il se doute, et fait bien, qu' un jour je ne le grate,
moy qui suis de deux grains moins rassis que Socrate ;
j' ay tant d' aversion pour ses mauvaises meurs
qu' un docte medecin, qui connoit mes humeurs,
m' assure que mon mal ne vient que d' une envie
de battre un hypocrite ou le priver de vie :
" dussiez vous pas desja vous en estre acquité ?
Il n' est rien, ce dit-il, si cher que la santé. "
puis qu' il vit de la sorte et qu' il tient cette voye,
ce n' est pas la raison que le soleil le voye.
Pense t' il que celuy qui gouverne les cieux,
et qui nous a formez, soit sourd ou n' ait point
d' yeux ?
N' auroit-il jamais lû qu' il a des pieds de laine,
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c' est à dire qu' il va lentement à la peine ?
Ne sçait-il pas aussi que ses bras sont de fer ?
Que peut-il à la fin esperer que l' enfer,
t homme dont le coeur differe du visage,
et chez qui les vertus ne sont point en usage,
mais certaines façons dont le monde est pipé ?
Si d' un coup de tonnerre on le voyoit frapé,
qui diroit sans rougirt accident funeste
non de l' ire du ciel un signe manifeste ?
Il ne merite pas de mourir dans son lit,
ny d' avoir le moyen de pleurer son delit,
ce caffar importun avecque son teint bléme,
plus libertin au fond qu' un moine de Theléme.
Toutefois dans le monde il est conside,
on luy fait plus d' honneur qu' il n' en eust esperé,
le plus farouche esprit pour luy se rend docile,
il ne rencontre point d' affaire difficile,
et passe pour devot, mais sa devotion
est, entre vous et moy, sujette à caution ;
tout ce qui la deffend contre nostre caprice,
c' est qu' en ce joly siecle elle est de grand service ;
l' univers est remply de ces hommes fardez ;
souvent à leur profit leurs pros sont vuidez,
et font que leurs amis des leurs ont bonne issuë :
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je ne l' ay dit qu' à toy, papier, bouche cousuë.
Bref, que le bigotisme est un fort bon mestier,
et qui rend venerable un homme en son cartier.
C' est un plaisir de voir Jeanne qui bigotise
aller au pas ailleurs, mais au trot à l' eglise,
grimacer en priant le visage eston,
et ne point en sortir que midy n' ait sonné ;
retournée au logis, où chacun la revere,
pour mieux dire, la craint, c' est une autre megere ;
feignant, chiche qu' elle est, ses gens mourans de faim,
de pleurer ses pechez, elle pleure son pain.
Ce qui donne credit, ce n' est plus le merite,
c' est ce qu' il ne faut pas avoir peur que j' imite ;
j' aimerois mieux mourir que d' avoir seulement
contraint, pour sembler bon, mon humeur un moment.
Le monde ne vaut pas qu' on use de souplesse.
A t' on faim de peter, que par respect on vesse.
Le franc bigot fait tout pour gagner la faveur,
c' est où son zele tend, où vise sa ferveur ;
prés de la ligne droite on connoit moins la courbe
qu' au prix du vray devot il ne paroist qu' un fourbe ;
qui ne le connoistroit si tost qu' il l' auroit veu
seroit de jugement tout à fait depourveu :
afin de m' expliquer, il auroit la berluë.
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Sans clignoter des yeux jamais ne vous saluë
et croit que, pour se mettre au rang des vrais devos,
il ne faut que parler contre les huguenos ;
pourveu qu' en apparence on soit bon catholique,
qu' aux bonnes actions on peut faire la nique.
Tel n' eut jamais l' esprit de ce vice infecté,
qui le feint pour un temps, voyant l' utilité,
voyant qu' il regne tant et qu' il est si commode.
Pour la mesme raison qu' on s' habille à la mode,
qu' un esprit moutonnier par l' exemple s' instruit,
et, subissant son joug, en esclave le suit,
le bigot du bigot la requeste enterine,
ils sont de méme paste et de méme farine.
C' est assez pour un coup le tenir sur les rans ;
quand j' y pense, ma muse, il a trop d' aderans.
Je veux bien, disant vray, qu' on croye que je rie,
ou que j' ay le cerveau troublé de reverie.
Si l' un de ces caffars, se pretendant blessé,
encor qu' en luy je n' eusse aucunement pensé,
pour en avoir raison m' alloit faire une instance,
ce seroit me livrer une mauvaise chance.
Je ne veux voir chez moi ny diables ny sergens,
sans dire que ceux-cy ne soient de bonnes gens ;
et puis sçavons nous bien ce qui parfois nous pousse ?
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Les plus fins repreneurs vendent feves en gousse.
Il s' en faut la moitié qu' un chat craigne tant l' eau
que je crains seulement qu' on me nomme au bareau ;
plustost que pour des vers on me voye en justice,
je fais voeu de bon coeur que ma veine tarisse.
SATIRE 2
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Tout de bon, tu vas donc épouser la donzelle !
Je ne demande point si tu la trouves belle :
ce seroit, mon amy, te faire un sot discours,
puisqu' il n' est, ce dit-on, point de laides amours.
Il vaudroit bien autant que tu t' allasses pendre,
voire, mais tu n' es plus en estat de m' entendre ;
depuis qu' amour t' a mis dans son aveuglement,
tu fais sans marchander ce qu' il veut seulement ;
je parlerois en vain contre le mariage,
et pour t' en degouter je l' appellerois cage,
collier spirituel, invisible lien
qui nous est figuré par ce noeu gordien,
n' estoit que s' en est fait, et qu' il s' en faut donc
taire ;
je l' appellerois joug et prison volontaire,
je dirois qu' il est saint, je dirois qu' il est beau,
toutefois qu' on n' en sort que par l' huys du tombeau,
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et, si je n' evitois en mes discours le vice,
qu' il n' a rien de si doux que le voeu qu' il finisse,
car j' y suis par destin, ou bien pour mon peché,
n' en deplaise au lecteur, comme un autre attaché :
au lieu de me jetter un jour par la fenestre,
je souffry que l' on mist à mon col ce chevestre ;
c' est où je tiens encor, d' où je puis de mon mal,
en qualité d' expert, dresser procés verbal.
La femme que j' ay prise est une des meilleures,
mais toutefois elle a de si mauvaises heures
que, Socrate y fust-il, que Xantipe exerçoit,
la pire, à ce qu' on dit, des deux qu' il nourrissoit,
il seroit bien contraint de luy quitter la place.
On peut juger dece qu' il faut que je face.
Elle est melancolique et hait tout passe-temps ;
si parfois elle rit, c' est signe de beau-temps ;
son humeur est fascheuse et contraire à la mienne ;
mais neantmoins le mal que je luy veux m' avienne ;
j' ay tant souffert qu' un autre en auroit blasfemé ;
il est vray qu' à souffrir je suis accoustumé,
et quand je souffrirois plus qu' une ame damnée.
C' est donc pour m' éprouver que Dieu me l' a donnée.
Tout ainsi qu' un précheur, s' il entend le metier,
sur trois mots de Saint Luc fait un sermon entier,
elle sur un ruban, sur un linge, une ecuelle,
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un mouchoir égaré, bastit une querelle
qui commence au matin et n' acheve qu' au soir ;
mais, si je n' ay payé ce qu' on nomme devoir,
j' ay tué, j' ay volé, j' ay profané le temple,
dont je suis châtié pour te servir d' exemple,
t' instruire à mes dépens de n' y manquer jamais :
de cét article seul dépend toute la paix ;
un mary pourroit estre en autre chose habile,
aussi prudent qu' Ulysse, aussi vaillant qu' Achille,
les merites à part, s' il est de frigidis,
son épouse voudroit qu' il fust en paradis.
Or, plus elle est pudique et plus en est gourmande,
preste à le demander si l' on ne luy demande ;
la bigote en est là qu' à toute heure elle en veut,
tellement qu' avec elle on est Jean qui ne peut.
L' une et l' autre est jalouse, et son mary fidelle
doit de jour et de nuict estre collé sur elle :
grande sujettion, dure captivité,
mon destin, mon astre et mon sort m' ont jetté.
Et toy, vieux cajolleur, t' y pourras tu reduire ?
Aussi-tost le soleil pourra cesser de luire.
Quiconque est marié n' est pas moins prisonnier
que celuy qu' on écrouë et qu' on baille au geollier,
il n' importe pour quoy, soit pour crime ou pour dette ;
une femme te garde, une femme te guette,
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comme un tireur un liévre, et le chat la souris ;
devant elle un mary n' ose faire un souris ;
il n' ose spirer, eut-il la pluresie ;
un atome, un soupçon, forme sa jalousie.
Tout ce mystere là je sçay dessus le doy,
à cause qu' à mon dam il se passe chez moy,
sans sujet toutefois ; mais il faut que j' en rie
et que j' observe en tout la grande confrerie,
dont le premier statut, ou l' auspice de sot,
est se baisser la nuict pour luy bailler le pot.
D' abor à ce devoir j' eu de la repugnance.
Je croy que tu seras enfant d' obeïssance
et que tu ne feras point de rebellion ;
te fist-on prattiquer la loy de talion
en decorant ton chef du panache invisible,
à ce mal, si c' est mal, tu seras insensible ;
ne danceast-on chez toy que le branle du lou,
l' ayant ailleurs dancé, tu diras : " chou pour chou. "
or estre icy cocu n' est plus une merveille,
la femme d' autruy le fait à la pareille ;
ce n' est plus aujourd' huy qu' un commun accident,
qui tomba l' autre jour dessus un president.
D' autres dans ton jardin voudront cuoeuillir la rose ;
cornard et marié, c' est une mesme chose,
et, disoit un pedant plein d' erudition,
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ainsi que pere et fils une relation.
Cette grande maxime est quasi generale :
quelques-uns en sont hors par grace speciale.
Mais tu la garderas : c' est l' unique moyen
d' avancer le dessein de ton concitoyen,
que ses yeux ont blessé, qui spire pour elle ;
c' est ce qui luy fera trouver cent fois plus belle.
N' en use pas ainsi, car c' est faire le fol ;
mets luy, si tu m' en crois, la bride sur le col :
aussi bien ne peut-on voir la pure innocence
que dans les justes bords d' une honeste licence.
Si garder une femme et la lune des lous,
c' est tout un, il vaut mieux estre sot que jalous,
et celle qui le veut le fait sans doute aucune ;
de recette à cela, le mary n' en a qu' une :
c' est d' avoir à son doigt tousjours le vieux anneau
qu' un peintre mit au sien qui fit le diable beau.
Il se faut marier, puisque c' est la coûtume,
pour esteindre ce feu qu' un bon visage allume.
Amour entroit jadis par les yeux dans le coeur,
maintenant c' est du dot que vient son trait vainqueur ;
le meilleur mariage un fort esprit barboüille,
voire c' est un hazard s' il ne tombe en quenoüille,
s' il ne rend les devoirs en toute humilité :
la poule avant le coq de tout temps a chanté.
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Le mary toutefois se peut dire le maistre,
pource que, s' il ne l' est, au moins il le doit estre :
ainsi faut-il parler. Ce fût à nôtre dam
qu' Eve dans le jardin fût maistresse d' Adam.
Pour un jour que l' on a de calme au mariage,
on en a six au moins de tempeste et d' orage ;
ce ne sont que tourmens, ce ne sont que malheurs,
de toutes les façons, de toutes les couleurs,
d' où naist ce repentir que si cher on achette ;
c' est un gouffre connû, neantmoins on s' y jette ;
on n' en est pas sorty, que l' on y veut rentrer,
vint-on d' estre échaudé, deut-on pis rencontrer.
Un mary n' est ny doux ny souple par adresse,
mais la mesme douceur et la mesme souplesse,
car sa femme par force à son gré le poitrit,
et n' a de ses pechez jamais le coeur contrit ;
le faisant Acteon, elle fait la devote ;
c' est assez qu' elle est belle ou pour le moins
bellote :
le pauvre homme la souffre, et, voyant ce qu' il voit,
n' en apprend tous les jours que ce qu' il en sçavoit.
Il faut bien que ce sexe ait des apas estranges,
puis qu' au commencement il fut ay des anges,
tout nu, sans ornement ; on ne voyoit encor
ny satin ny velours, perles ny toile d' or,
encor du blanc d' Espagne on n' avoit point l' usage ;
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il n' estoit point d' eau d' ange à laver le visage.
Maintenant, à la cour, la beauté sans l' habit
et sans les affiquets n' est pas de promt debit ;
on veut parestre et plaire, on veut suivre la mode ;
dieu mercy que le luxe est en son periode :
toutefois dans l' honneur il se faut maintenir.
Mais, amy, tes moyens y pourront-ils fournir ?
Tu rangeras, dis-tu, son humeur à la tienne :
tout se fait par amour ; helas ! Qu' à moy ne tienne.
Si tu la veus hr, il la faut épouser ;
quantité de maris en peuvent poser,
à qui, pour te montrer qu' ils sont aux repentailles,
on n' oseroit parler seulement d' épousailles.
Que l' amour soit un dieu tant qu' il te plaira fort,
le lict du mariage est le lict de sa mort ;
il n' a que faire d' arc, de fléches ny de trousse,
voulontairement une fille se trousse ;
tout s' y fait, tout s' y passe avec trop de loisir ;
cette grande licence en oste le plaisir :
en vertu d' un contract, et qui n' est pas de verre,
on baise, on bat sa femme, on laboure sa terre.
Un quidam dist un jour à son amy parfait :
" ce peintre a commencé de faire mon portraict ;
de plus je me marie. " et l' autre de le pleindre
et répondre en riant : " c' est t' achever de peindre. "
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les filles de ce temps en sçavent-ja trop,
qui vont suivant partout leur meres au galop ;
elles n' ont pas quinze ans qu' on les marie en France ;
deslors sur leurs maris commence leur puissance,
ce que tu connoistras à tes dépens un jour,
puisque tu te resous de cuire à nôtre four
et sous la loy d' hymen de finir ta fusée,
servant aux uns de fable, aux autres de risée.
Je voy dans mon esprit ta dolente façon,
et je t' oy regretter de n' etre plus gaon,
dire de sens rassis, et puis dire en collere :
" il vaudroit mieux pour moy que je fusse en galere. "
je ne controlle point ta resolution,
mais plus-tost je prens part à ton affliction.
Pourras tu supporter une femme qui préche,
qui de faire un marché te contraigne et t' emche,
qui dissipe ton bien en te faisant cocu,
n' eut-elle en t' épousant apporté que le cu ?
Si cela n' arrivoit, tant mieux : une satyre
doit, sans de rien jurer, prendre la chose au pire ;
elle connoit de tout, voire en juge bien-tost ;
son resort est plus grand que celuy d' un prevost ;
tout est de son gibier, tout est de son calibre ;
taisant l' individu, dans l' espece elle est libre ;
encore qu' un méchant s' y puisse aisement voir,
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que cela luy déplaise à cause qu' il est noir,
il dore la pillule avec cette pensée :
je ne suis qu' un morceau dans une fricassée ;
d' autres y sont touchez plus grands seigneurs que moy,
ce qui doit justement consoler mon émoy.
Ceux qui souffrent là bas, pour soulager leur peine,
s' il faut croire un poëte, y regardent Helene,
Helene des beautés le parfait racourcy,
le doux tourment des coeurs lors qu' elle estoit icy,
et pour qui ce Pluton, pour un dieu trop severe,
dût avoir renvoyé Proserpine à sa mere.
En disant qu' une femme est la maistresse au lict,
que c' est où ne rien faire est appellé delit,
que cette longue absence, et qui n' eut point de bornes,
à Paris et par tout fist pousser plus de cornes
que n' en avoit l' autel du demon inconnu ;
qu' un tel fut bien confus quand il fut revenu
du malheureux voyage, et qu' il vit sa Charlotte
regardant un bambin qu' une vieille emmaillotte,
je ne me promets pas de rompre ton dessein.
Prends, pour t' y confirmer, que je ne sois pas sain.
La peur que j' ay pour toy d' affection procede ;
mais Dieu veuille pourtant que la chose succede,
que celle que tu prens avec toy vive bien,
qu' en jupes et collets ne s' en aille ton bien ;
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sur tout qu' elle n' ait point, afin qu' on la contemple,
comme une que je sçay, de rendez-vous au temple,
qui, faisant la devote en son maintien contraint,
regarde quelquefois un homme au lieu d' un saint :
elle montre sa chair, ou plus-tost elle estalle,
comme fait ce boucher la sienne sous la halle ;
que vos coeurs et vos corps soient tellement unis
qu' elle soit ta Venus, et toy son Adonis ;
bref, qu' en vostre maison n' entre point la discorde,
et ne soit pas besoin qu' un curé vous accorde ;
quand l' un parlera haut, comme ne l' oyant pas,
que l' autre soit muet, du moins qu' il parle bas.
Pource que ce beau sexe est foible de nature,
le nôtre, le souffrant, ne se fait point d' injure ;
c' est où le bon voisin témoigne sa bonté,
qui n' est que tous les jours par la sienne frotté,
pour des sujets notez, les plus maigres du monde.
Or sa mauvaise humeur sur ce point elle fonde,
et sur cette raison, qui pourtant ne vaut rien ;
voicy ce qu' elle dit : " je suis femme de bien.
chant, si je voulois, estant si desirée,
ferois-je pas cela ? Suis-je trop déchirée ? "
sur tout il faut tenir des dames de Paris ;
il ne se trouve là que fort peu de maris
qui ne soient, diront-ils, mais ce n' est rien du vôtre,
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ou c' est un grand hasar, bien souvent l' un et l' autre,
j' entens cocus, battus ; et puis en toutes cours
accusez une femme, elle a les talons cours ;
maistre tel la deffent qui chez luy dit la glose,
dudisant barreau souffre la méme chose ;
à force de prier en un temps opportun,
que ne peut obtenir un amant importun ?
Une femme se rend : l' astre de sa naissance
a mélé sa foiblesse avec son ignorance.
Eut elle à son mary preparé du poison,
pour s' en justiffier elle a quelque raison ;
son desir est sa loy, son passion son juge ;
si le cas est douteux, l' audace est son refuge,
et jamais avec elle il n' aura de repos,
à cause qu' elle tient son honneur en depos,
et que, d' homme qu' il est, fust-il grand personnage,
le changer en oiseau pend de son ménage ;
cruelle à sa famille et facheuse aux voisins,
celuy qui la reprend n' est plus de ses cousins.
Elle veut achever toutes ses entreprises,
et les voeux qu' elle en fait sont connus aux eglises :
que ceux qui l' aimeront soient de condition
et joignent la constance à la discretion ;
que sa fille soit belle, et qu' estant mure et grande,
en dépit de Turnus Enée la demande ;
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que son mary, jaloux de monsieur le baron,
paye bien-tost le droict au nautonnier Charon.
Les saincts ont de la peine à s' empescher de rire
l' oyans journellement ces fadeses redire.
Ce fantasque grimoire est fait pour t' avertir ;
de peur d' estre ennuyeux, je veux donc en sortir.
Rumine ce qu' écrit le prince des apostres,
ses conseils à peu prés sont conformes aux nôtres ;
le libre Juvenal avant nous a tranc
que se mettre en ménage est faire un fou marché,
qu' il vaut mieux se jetter la teste la premiere,
comme par desespoir, du pont dans la riviere.
Jamais homme ne fut si piqué sur le jeu
à nous rendre odieux ce legitime noeu ;
sa femme, à mon avis, en cas qu' il en eut une,
non contente de luy, voulut estre commune.
Moque toy, si tu veux, d' un si docte moqueur
que tout homme sçavant le doit sçavoir par coeur ;
quand à moy, je le sçay mieux, s' il estoit possible,
et sans comparaison, qu' Esdras n' a sceu la bible.
Mais, si l' on s' apperçoit que nous nous écartons,
il vaut mieux revenir tout court à nos moutons.
Sois marié demain, puisque tu le veux estre ;
s' il ne tient qu' à cela, j' iray querir le prestre.
N' en demeure pas ; si j' en ay discouru,
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il me faut pardonner quand j' ay l' esprit borru ;
plustost dessus moy-méme il faut que je m' egaye,
se taise de l' écot celuy qui rien n' en paye ;
des affaires d' autruy c' est tousjours te méler,
mais ce que j' en ay dit n' est pas pour en parler,
et si j' avois erré, comme je m' en retracte,
en tant que besoin est ou seroit, j' en prens acte.
SATIRE 3
p28
Qu' on ne s' estonne point veu qu' au siecle où nous
sommes,
tant il est malautru, se trouvent si peu d' hommes,
veu méme que les grands, les moyens, les petis,
au lieu de la raison suivent leurs appetis,
ayant aucunement égard à la matiere.
Si, pour me contenter, j' ay pris cette maniere
et ce genre de vers commode à se venger
d' un mal que par douceur on ne peut corriger,
commode à censurer les façons det homme
qu' on ne connoit que trop, encor qu' on ne le nomme ;
toutefois il est noble et nay de si bon lieu
que quelquefois pour luy j' en rends graces à Dieu :
car, ostez luy cela qui l' enfle et le console,
c' est le plus sot matin qui soit sous nôtre pole ;
si l' on souffre de luy, c' est par discretion
et qu' on porte respect à son extraction ;
p29
on luy fait des affrons, qu' il boit, tant il est
beste ;
le jour des innocens on celebre sa feste.
Du sçavoir, il n' en a que pour dire en passant :
" je suis ton serviteur " , ou : " qu' il est ravissant !
Qu' il a de bons oiseaux, de bons chiens ! " pour écrire
une lettre si bien qu' on ne la sçauroit lire ;
pour faire un compliment en style si nouveau
qu' on juge que son corps n' a qu' une ame de veau ;
pour se dire ecuyer ou seigneur d' un village,
cela ne conclud pas que l' on en soit plus sage,
ny plus judicieux, ni plus fidelle au roy ;
pour avoir des ayeus que l' on sçait sur le doy,
descendit-on d' Artus, voire de Merlusine,
le sang ne donne pas le sens ny la doctrine ;
des couleurs, des valets, abondance de biens,
un suisse, une littiere, une meute de chiens,
un magnifique hostel, n' empéchent point qu' un maistre,
epluché dans ses moeurs, ne soit un pauvre prestre.
De l' homme que j' honore extremement civil
le pere est moins connu que la source du Nil ;
cependant on le croit, on le craint, on l' adore,
on luy rend plus d' honneur que je ne dis encore ;
quand il seroit yssu de quelque mandian
qui demandoit aux huis son pain quotidian,
n' importe, sa vertu, son merite et sa gloire,
p30
de son extraction efface la memoire ;
ses belles actions et ses propos de miel
me font imaginer qu' il est tom du ciel ;
plus je le considere et plus je l' examine,
je ne sçaurois chercher ailleurs son origine.
L' autre dont je parlois n' a rien qu' au lieu d' aimer,
en bonne conscience, on ne doive blâmer ;
dans son geste badin et dans son humeur vaine,
on lit incontinent qu' il n' a pas l' ame saine,
et, quoy qu' il tache assez de faire l' entendu,
que c' est un courtisan chetif et morfondu,
qui prent quasi tousjours le contre-pié des choses
et n' a que fort peu lû dans les metamorphoses ;
il se fait trop connoitre à ses mauvais discours,
qui, selon mon avis, ne furent jamais cours,
joint qu' à les bien gouster, ils n' ont raison ny
suite,
et cela, de par Dieu, fait que l' on prend la fuite,
qu' on s' echape des mains de ce mauvais parleur
comme un marchand feroit de celles d' un voleur.
Aussi bien que mon corps, mon ame, l' oyant, suë ;
bref que je n' ay nul bien jusqu' à ce qu' il concluë ;
tant moins il parle, et plus il est bon orateur,
et sa brieveté delecte l' auditeur ;
on se moque de luy quoy qu' il die ou qu' il face ;
mais n' est-ce pas assez qu' il soit de bonne race ?
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Sa race est son bouclier, ses parens son appuy,
quoy qu' il doive penser qu' ils n' ont rien fait pour
lui.
Il croit, tant il est fou, tant il se plait et s' aime,
que l' on n' estime pas un homme par luy-mesme,
que selon sa naissance il est grand ou petit,
et sur ce fondement sa vanité batit :
les faits de ses ayeux sottement il s' applique,
pensez que c' est ainsi que l' on entend l' etique,
et, parlant comme il parle à sa confession,
il s' en peut bien aller sans absolution :
" j' ay beu froid, mangé chaud, trop aimé le bon giste. "
or tout cela s' efface avec de l' eau benite.
Jamais ne s' accusa d' aucuns enormes cas,
ny méme de duel, aussi n' y va t' il pas ;
il s' amuse plustost à digerer l' offence :
en effet, il n' a pas mauvaise conscience ;
il dit pour ses raisons qu' il est trop deffendu,
mais c' est, ma foy, qu' il a soin de l' individu.
Bien souvent, sans sujet, encor qu' on ne l' en somme,
il offre de prouver qu' il est bien gentilhomme,
que son pere l' estoit ; il cite des contracts,
la bataille de Dreux et celle de Coutras ;
on a beau dire amen, tousjours il contin
sur cette qualité qui le suit toute nuë ;
il en discourt à table, il en parle au privé,
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tant il est de raison et jugement privé ;
à son goust, la vertu n' est rien qu' une chimere,
quoy qu' en ait discouru Platon apres Homere ;
il ne parle jamais qu' en pris des verriers,
et fait si peu d' estat de tous les roturiers
qu' il semble, en le voyant les traiter de haut style,
qu' ils ne soient qu' à destrempe, et les nobles à
huile ;
il diroit volontiers que la divine main
n' a pas tout d' un limon poitri le genre humain.
Sans garder en ses meurs ny regle ny mesure,
il suit en animal les instincts de nature ;
voire il est tellement en sottise confit
qu' on a beau le joüer, s' il en fait son profit.
Qu' en dis-tu, mon amy ? Tout ce que j' en puis dire,
c' est que j' ay de la peine à m' empescher de rire
quand je voy ses façons ou que j' oy ses propos ;
je le souffre d' autant que tout est plein de sots ;
je trouve des ragous en son impertinence,
comme si je voyois dancer hors de cadence,
mal précher, mal plaider, un acteur hesitant ;
je pardonne tousjours, à la charge d' autant.
Ton esprit chatoüilleux, ton humeur délicate,
ne peuvent seulement souffrir que l' on te flate ;
tu ne pardonnes rien. Tout beau ! C' est me choquer ;
je croy qu' il est permis au moins de se moquer
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d' un qui journellement, quasi de haute lute,
avec ses vanitez cruel me persecute.
Me voit-il quelque part, et luy de s' avancer,
non pour autre dessein que pour me relancer.
Seroit-ce la raison de laisser impunie
son humeur importune, ou plustost sa manie ?
Lut-il et relut-il cecy, c' est à sçavoir
si sa stupidité pourra s' appercevoir,
car il n' a tout au plus que la vegetative.
Que ma muse mordante en ce lieu le decrive,
quoy qu' il en arrivât, je voudrois qu' il le sceut,
que dés le premier mot l' asne s' en apperceut :
je serois delivré du mal qui me talonne.
Quand je m' en vangerois, que Dieu me le pardonne.
J' aurois déja tce maistre des baudés,
mais le divin precepte a dit : non occides ;
et puis d' en discourir dessus une sellette,
j' ayme autant estre sous une autre planette.
Encor ne peut on pas souffrir si longuement ;
j' ay trop d' impatience et trop de sentiment ;
on voit d' autres fâcheux, c' est chose veritable,
mais, diable ! Cetuy-cy n' eut jamais son semblable.
En luy disant : " bon soir, je m' en vais aux marets,
je n' ay pas trop de temps " , il prend mes interests,
il répond qu' il y vient et d' amitié se pique ;
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moy de baisser l' oreille en asne fantastique :
on diroit, à me voir, que je suis condamné,
tant je parois confus, tant je suis eston ;
et puis je luy souhaite, avisez si je l' aime,
cette mort que Cesar souhaitoit à soy-méme,
dans mon coeur, sans parler ; mais que me sert cela ?
Me sent-il quelque part, aussi-tost l' y voilà.
Si faut-il neantmoins à la fin me resoudre,
ne sçachant quelle piece à ce trou je doy coudre.
Or c' est où de par Dieu je suis bien empéc :
mon confesseur me dit que c' est pour mon pec,
que sans doute en ses mains je fais mon purgatoire.
Je pense que j' auray plustost fait de le croire,
et, sans plus lamenter ny me plaindre, patir,
de sorte qu' en nos jours l' eglise ait un martyr :
car, aussi bien, tant plus je me plains et lamente,
moins mon mal diminuë, au contraire il augmente.
M' a t' il entretenu de ses predecesseurs,
il demande comment se portent les neuf seurs,
brouille du temps, du sort et du siecle ; il se monte,
s' échauffe en son harnois, et hors de temps me conte
qu' il est bien veu du roy, qu' on l' adore à la cour,
qu' il se couche fort tard et se leve à grand jour,
que la beauté qu' il aime a plus d' appas que celle
qui mit jadis l' Asie et l' Europe en querelle.
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Que contre l' espagnol et contre l' allemand
son bras en a plus fait que n' en dit un romant,
qu' on luy fait un habit qui coute cent pistoles,
qu' il me voudroit servir, et d' autres fariboles
dont la relation iroit jusqu' à demain.
De plus, pour m' arter il me tient une main ;
et puis sur nouveaux frais au discours il m' engage
aussi-tost qu' il me void prest à trousser bagage ;
j' ay beau faire, je pers tousjours l' occasion,
et puis je dis aprés : " sotte discretion !
Respect lasche à mon dam ! " avec ces diables d' hommes
et ces bourreaux d' esprits, fussent-ils gentils-hommes,
il est fort bon d' avoir quatre grains d' esprit fort
et pour tout compliment les planter là d' abord.
Avec trop de raison j' abhorre cette race.
Se faut-il estonner d' en voir un dans Horace
et l' autre dans Renier comme il faut gouvernez,
peins de toutes couleurs, c' est à dire bernez.
Evite qui voudra leur entretien funeste,
mais je croy qu' aux esprits il peut donner la peste.
Claude fait des cocus, Jean pipe, Robert ment,
et si Pierre est debteur il paye d' un serment,
Jacques est un ingrat, Guillaume est un perfide,
un autre sacrilege, un autre parricide.
tend cette légende ? Elle tend à prouver,
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en comparant ces maux, qu' il ne s' en peut trouver
de plus grand que celuy de cette ame tortuë
dont le caquet par jour plus d' une fois me tuë :
caquet impertinent, inepte, sans raison,
et, ce qu' il faut noter, tousjours hors de saison.
Pour luy d' orenavant je bouche les oreilles,
ou je gagne le haut si tu me le conseilles ;
encor ne faut-il pas qu' il sçache en quel endroit,
car en continuant sans faute il y viendroit.
Tousjours pour me surprendre il est en embuscade,
je ne le voy jamais que je n' en sois malade.
SATIRE 4
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C' est l' usage de France, ou plustost la coustume,
que chacun à son gré s' escrime de sa plume ;
dessous le regne heureux de vostre majesté,
nous faisons imprimer en toute liberté :
j' entens qu' il est permis aux ames bien sensées
de faire voir le jour à leurs saines pensées
et de s' entretenir des choses d' icy bas ;
pour un mot de travers on ne les brouille pas.
On doit écrire en vers encore plus qu' en prose ;
autrement, le moyen de fournir belle rose ?
Il est loisible ailleurs seulement de réver ;
l' esprit gros de science est contraint d' y crever.
Si quelqu' un accouchoit d' une piece bizarre,
il seroit en danger de voir du tintamarre
et d' estre tost apres mené de sa maison,
pour étre enquis sur elle, au fond d' une prison.
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Or, de ce que dessus voicy la consequence :
Balzac à vous loüer fait voir son éloquence ;
un autre, qui pour but n' a que la verité,
transmet vos faits guerriers à la posterité :
il semble neantmoins, tant ils sont admirables
et hors le sens commun, qu' il raconte des fables.
L' univers aujourd' huy fourmille d' écrivains ;
on peut juger de là si les esprits sont vains.
Qu' un homme ait du sçavoir, tant s' en faut qu' il le
cache,
qu' il veut et qu' il entend qu' un autre aussi le
sçache ;
jamais ne s' étoit veu tant de rimeurs françois.
L' astre qui les produit veut aussi que j' en sois,
astre dont l' influence et la force divine
fait d' un homme un poete, et d' un oison un cyne.
Leur mine, qui n' est pas une mine d' argent,
fait trouver moins de grace à leur doux entregent,
car on a tousjours peur, comme c' est leur maniere,
que leur discours poly se termine en priere ;
ils n' ont jamais dequoy, tousjours l' argent leur faut,
et seroient tous parfaits s' ils n' avoient ce deffaut ;
du froid et de la faim contrains de se deffendre,
ils ne composent rien qu' à dessein de le vendre ;
le theatre, ô pitié ! Le theatre en nourrit
je ne sçay pas combien : c' est dequoy Phebus rit.
Voilà que c' est d' aimer l' excellente doctrine.
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Si tost que son desir entre dans la poitrine,
celuy du bien en sort, et la muse, amusant
tant d' hommes en ses arts, les va tous abusant ;
ils y trouvent un gout dont leur ame amoureuse
se paist, quoy qu' il ne soit qu' une viande creuse ;
sont-ils en leur étude, ils n' en voudroient bouger ;
ils y perdent souvent le boire et le manger.
Mais le plus haut excez de la bizarrerie
est certainement lors qu' un rimeur se marie
et qu' il n' a pas dequoy nourrir son petit train,
reduit à presenter humblement le quatrain.
Un d' entre eux, que je sçay n' avoir pas dequoy vivre,
demeure tout le jour collé dessus un livre,
encor qu' apres l' avoir bouquiné quatorze ans,
il ne s' en trouve pas plus riche de cent frans.
S' il n' eut en financier que dans un regitre,
non en livres moulez, il ne fust pas belitre.
à sa face égarée, à sa fantasque humeur,
on le juge pte, ou pour le moins rimeur :
car, de poëtes vrais, il n' en est, ma foy, guere
plus que de medecins qui demandent l' eguere.
Il ayme plus ses vers qu' un singe ses petits,
encor qu' ils soient de ceux que font les aprentifs.
Quel grand coup de guiblet sa cervelle estropie,
qu' il se croit rossignol, et pourtant n' est que pie ?
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Que dis-je, aymer ses vers, il en est vrayment fou,
et l' on n' en a pas lû quatre qu' on en est sou.
Or ce n' est pas plustost en France qu' en Espagne
qu' on voit la pauvreté de la vertu compagne.
Mais que fait un pte ? Il arrange des mots
pour s' immortalizer en la bouche des sots,
et ne changeroit pas une loüange fausse,
tant il en est friant, aux epis de la Beauce.
Encor le plus souvent ne luy vient-elle pas,
moutarde apres disner, qu' estant ombre là bas :
il n' est que trop ravy pourveu que Sommaville
achette ce qu' il fait pour le vendre à la ville.
Apres que ces reveurs ont amplement revé
et selon leur portée un poëme ache,
qu' à vôtre majesté leur Calliope adresse,
si vous le regardez, c' est toute leur richesse.
Pourveu que le public, qui ne pardonne rien,
apres qu' il les a lûs, témoigne qu' ils font bien,
que l' on parle un peu d' eux, ils ont l' ame contente,
comme s' ils jissoient de mil écus de rente.
Ils jurent qu' ils sont sous, et n' ont pas déjeuné.
Dieu sçait si ce peché leur sera pardonné :
ce laurier d' Apollon qui leurs testes enserre
les peut bien proteger des fléches du tonnerre,
non pas les garantir de ce mal si commun
p41
qu' il semble que poëte et pauvre ce n' est qu' un.
Il est tout vray que tel qui rime ou qui rimaille
se va souvent coucher sans denier ny sans maille ;
mais, sous ombre qu' il croit avoir un peu d' aquis,
il vaut, à son calcul, pour le moins un marquis ;
et puis à beaux pasquins lors qu' ils sont en collere ;
voilà le vif crayon des avortons d' Homere.
Au surplus, n' attendez du bon ny duchant,
sur unme sujet, tousjours qu' un méme chant.
Ce que j' ay tant pensé, faut-il que je le die :
ne travailleront-ils qu' apres la comedie,
qu' ils traitent de haut style, et non pas de moyen,
representant Renaut au lieu d' un citoyen.
Que ce soit une bonne ou mauvaise habitude,
ils ne quitteront pas le train de leur etude ;
si leurs vers semblent doux, si ce qu' ils font se vent,
ces modernes auteurs sont au-dessus du vent.
Si je les touche icy, ce n' est que par caprice,
je n' ay pas resolu de rimer un convice,
et, puisque mon genie est du leur approchant,
nous traitons entre nous de marchand à marchand.
Posé qu' un bon chretien doit aymer son semblable,
si je ne les aymois, j' en serois moins aymable ;
estant sujet comme eux au mal du bout des doits,
j' en sçay bien en tout lieu parler comme je dois ;
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je chery leurs vertus, je ne voy point leurs vices,
dans le moindre livret je trouve des delices :
il seroit bien ingrat, et son maistre bien sot,
s' il l' avoit mis au jour sans y mettre un bon mot ;
tombe t' il sous mes yeux, aussi-tost je le gouste
et me dis qu' il vaut bien les deux sols qu' il me
couste.
M' en blâme qui voudra, je leur suis indulgent ;
en oeuvres de leurs mains j' employe mon argent.
Mes vers sont si peu vers qu' ils n' ont point
d' esperance
que d' eux et de la prose on face difference ;
mais il vaut encor mieux qu' ils sentent le rebus
que de faire parler en satyre Phebus.
Je n' ay, faute de fond, le jeu guere moins rude
que ce maistre de lut qui ne sçait qu' un prelude ;
des livres, Dieu mercy, j' en ai provision,
mais je ne les voy plus que par occasion,
ou pour me divertir à quelque jour de feste ;
je reprimende l' homme en langage de beste ;
j' ay beau laver mes sens de blanc et de clairet
et chercher Hypocrene où l' on mene Faret,
mon sujet, mon humeur, l' astre qui me gouverne,
ne me permettent point d' écrire à la moderne.
Apres tout, il n' est rien de plus en seureté,
pour n' estre pas repris, qu' un poëte crotté,
et n' est non plus parlé de ses oeuvres badines,
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de son nom ny de luy, que de vieilles matines :
c' est pourquoy, s' il n' estoit dépourveu de raison,
il voudroit que son livre eut gardé la maison.
Sire, si mon travail avoit l' heur de vous plaire,
qu' il rendist seulement les frais à mon libraire,
qu' il ne me maudit plus, je serois satisfait ;
si l' on m' avoit payé, j' aurois un peu mieux fait.
Toutefois quelques-uns me payent de loüange ;
il faut avec cela qu' un faiseur de vers mange,
qu' il paroisse entre ceux de sa profession.
Quiconque parle ainsi demande pension,
non pas moy, qui préchant jamais ne fis la queste :
j' aurois peur que l' on mist neant sur ma requeste.
SATIRE 5
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Vignon, c' est à toy seul que ma muse revele
ce qu' à beaucoup de gens ma discretion cele.
Je suis, comme tu sçais, soit nature ou hasart,
grandement amoureux des oeuvres de ton art ;
autant qu' homme qui soit j' honore la peinture,
lisant qu' un jeune grec aymoit une figure,
qu' un jour il demanda congé de l' épouser,
et qu' on la luy voyoit à toute heure baiser.
Je veux que quelques-uns nomment cela sottise :
les gousts sont differens, c' est d'mon feu s' attise ;
un marbre l' enflamoit, et l' on me voit épris
d' une toile que j' ay, dont tu sçais bien le prix,
qu' un de nos curieux apporta d' Italie.
Estime qui voudra que c' est une folie.
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C' est de la vision que l' on vit dans les cieux ;
je nourry bien souvent mon ame par mes yeux ;
mon petit cabinet des beautez me découvre
que je ne verrois pas dans les chambres du Louvre :
car je n' ay de l' amour que mediocrement,
et point de passion, pour un beau bastiment ;
des traicts de Titian mon ame est si ravie
que je suis bien trompé s' ils n' inspirent la vie ;
le fantasque Bassan me donne des apas
qui me charment assez, mais ne me perdent pas ;
je suis bien plus touché de Paul dit Veronese :
celuy que je possede est cause de mon aise ;
quand pour le contempler je l' ay mis en son jour,
je ressens les plaisirs d' un innocent amour.
Une fille s' y voit prés, du petit Moyse,
apres l' avoir péché retordant sa chemise ;
mais la fille du roy, pleine d' affection
et du soin vers l' enfant, preside à l' action,
en pompeux appareil, au milieu de ses filles,
belle ce qui se peut, elles bien fort gentilles.
Le peintre, en ce tableau parfait extremement,
a mélé le caprice avec le jugement ;
les jours bien observez y temperent les ombres,
qui ne semblent à l' oeil ny trop durs ny trop sombres.
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Si j' en discours icy, c' est entre familiers :
on parle bien latin devant les cordeliers.
Tu m' excuseras donc si ma plume hagarde,
comme celle d' Icare en ce lieu se hazarde.
Je connois mes deffauts ; n' eut esté l' amitié,
je t' en eusse moins dit de plus de la moitié.
Mais je me veux moquer de ces doctes barbares,
et bailler sur les doits à nos riches avares,
qui mettent leur argent au dessus du sçavoir ;
font-ils cas d' un tableau, ce n' est que pour le voir ;
à qui jusqu' à present le nom de Michel Ange,
merveille de son temps, a semblé fort estrange.
Ils ont l' entendement si sourd et si mal sain
qu' ils ne peuvent gouster les raisons d' un dessein ;
ces mots de coloris, de lointain, d' ordonnance,
eloignez de leur sens, choquent leur ignorance.
Estant donques privez des plaisirs infinis
que nous en recevons, ils sont assez punis ;
c' est un bon-heur pour eux d' avoir l' esprit malade,
qu' ils ne discernent rien et qu' ils ont le goust fade ;
de la perte qu' ils font ils n' ont nul sentiment,
et sont moins affligez faute de jugement.
Mettre écu sur écu, c' est toute leur estude ;
du desir d' en avoir naist leur inquietude.
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Tel d' eux ne baille rien et prend à toutes mains,
en dépit de Saint Paul dans l' epistre aux romains,
qui d' un zele divin la charité conseille ;
un autre a toute nuict la puce dans l' oreille
pour le jeu, pour la chasse, ou pour un fol amour ;
Jean est ambitieux ; Jacques boit tout le jour,
Bacchus est son mignon, et, tenant un grand verre,
il se mocque de ceux qui meurent à la guerre.
Passe pour cettui-cy, sa face est son tableau
et le vin sa couleur, son verre est son pinceau.
Ce sçavant à demi se charge de passages,
au diable le teston qu' il met en paysages ;
t avare marchand pour tout original
et pour toute copie a son papier journal ;
il fera de son fils un maistre des requestes,
encor qu' en tous estats il se trouve des bestes.
ô qu' il ne voudroit pas donner un Jacobus
d' un des meilleurs portraicts que jamais fit Porbus !
Ces manieres de gens de mauvaise nature,
sans qu' ils sçachent pourquoy, haïssent la peinture,
ou, pour mieux raisonner, ne la connoissent pas.
Ce n' est point le gibier de tous ces esprits bas,
dont le nombre est si grand que tout le monde en creve,
et sont plus drus icy que crocheteurs en greve.
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Leurs plus hauts mouvemens se font sur le pavé :
comment aimeroient-ils cét art si relevé ?
Qui leur auroit donné le goust des belles choses ?
Et quand Homere dit : " l' aurore aux doits de roses " ,
comment comprendroient-ils que ce discours est peint,
que c' est pour delecter que telle il nous la feint.
à leur exclusion nous goustons les delices ;
si l' ignorance est crime, ils ont bien des complices.
Excusons les, de grace, au lieu de les blâmer :
ce qu' on ne connoit pas, on ne sçauroit l' aimer.
Je ne m' estonne plus s' ils me portent envie
et si pour des tableaux ils censurent ma vie,
s' ils crient apres moy, comme on crie aux voleurs,
que je mets tous les jours mon argent en couleurs,
que mon contentement ne peut estre solide,
puisque ma passion me fait macher à vuide.
Quand je leur avourois que cela fust ainsi,
hors de leur interest c' est prendre du soucy.
Controllant mon humeur, au moins qu' on se souvienne
qu' une bizarre fleur fait soupirer Estienne,
qui, pour faire le riche ou bien le curieux,
acheta l' autre jour cent écus un cayeux ;
ce que j' admirerois si j' ignorois qu' en France
un bouquet en amour a bien de la puissance.
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Tant d' hommes, tant d' humeurs et tant de jugemens ;
tel ne conte que deux, l' autre quatre elemens.
Hors le point du salut, chacun vive à sa mode ;
qu' il se leve à midy, c' est chose fort commode ;
je n' oblige personne à l' amour d' un tableau.
Si je l' entens ainsi, qu' on me relie en veau.
SATIRE 6
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Souvent je considere et souvent j' examine
pourquoy les plus méchans ont la meilleure mine.
Il suffit maintenant d' avoir bonne façon ;
la mere aime la fille, et, luy faisant leçon,
luy dit : " ma fille, il faut, si tu veux estre belle,
prendre des lavemens pour aller à la selle,
boire du laict d' asnesse et manger des oeufs frais,
te lever quand messieurs reviennent du palais,
avoir tousjours grand soin d' estre des mieux parée,
sur tout lors que tes yeux vont à la picorée,
de faire la doucette et sucrer un souris. "
mais cela n' appartient qu' aux dames de Paris.
On laisse le vray bien pour suivre l' apparence ;
à la perfection Jean fait la reverence ;
lors qu' il jure si bien qu' il est mon serviteur,
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ma foy, je le croirois s' il n' estoit point menteur,
si je ne sçavois bien que son coeur et sa langue
ne sont pas quelquefois d' accord en sa harangue ;
et de ces complimens qui ne sont que du fard,
qu' eau benite de cour, ils en ont fait un art,
pour s' en mieux escrimer, et qui ne s' en escrime
entre les courtisans n' est pas en bonne estime.
Il leur faut un quart d' heure à donner le bon jour,
et puis, comme à la paulme, à beau jeu beau retour.
Les discours un peu longs, en fait de courtoisie,
dessous des mots triez cachent l' hypocrisie.
De ces fadeses, qu' on prend pour la vertu,
et qu' il faut prattiquer, je suis tout rebatu ;
tant de soumissions, tant d' offres de services,
me tenir tant debout, m' ont causé des varices ;
je ne suis pas tousjours habillé de satin,
je gronde quand je fais le diable Saint Martin
et le sot par devoir : aussi la compagnie
d' un seigneur pretendu m' est une tyrannie ;
je n' ay pas trop d' adresse à faire un compliment,
jamais je ne m' en suis aquitté doctement ;
on voit quelle est mon ame aux traits de mon visage,
je ne suis pointché qu' il soit sa vraye image.
Les pourrois-je imiter, moy qui suis si naïf
qu' on me croit estre encor du siecle de Baïf,
qui ny peu ny beaucoup ne me puis contrefaire,
fusse pour me tirer d' une mauvaise affaire ?
Jugeast-on que j' en sceusse autant que Turnebus,
j' en interjetterois appel comme d' abus.
Si l' on me trouve sain, je me trouve malade ;
c' est un fou medecin qui me baille l' aubade.
Que ferois-je pour moy de dire en animal
que je me porte bien, et je me porte mal ?
En decevant autruy se decevoir soy-mesme,
c' est le style de ceux sur qui je prens mon théme.
à propos de celuy qui veut estre tenu
autant homme d' honneur qu' il a de revenu,
il fait bibliotheque, il parle, et veut qu' onache
que ce n' est que du grec et du latin qu' il crache.
Estimez-le sçavant, et dites, quand il dort,
qu' il lit dans Sainct Thomas, vous l' obligez bien
fort.
Pour monstrer qu' il est docte, il tient tousjours un
livre,
et puis se fait loüer par des gens qu' il enyvre,
qu' il soule d' ordinaire et qu' il traite en prieur.
Nous ne prenons plus soin que de l' exterieur.
Il nous suffit d' avoir une façon fort douce,
une barbe qui soit d' autre couleur que rousse,
et qu' en habit décent nous puissions comparoir
apres nous estre veus un quart d' heure au miroir ;
pour estre creus vaillans nous feignons des audaces,
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steriles en effets et fécons en grimaces,
chiens d' Esope de plus et pareils aux tombeaux,
qui sont laids par dedans et par dehors sont beaux.
Pourveu qu' un homme soit d' assez bonne rencontre,
il est fort asseude passer à la montre.
Apres qu' on a tant dit : " ce n' est pas bien vécu " ,
on donne aux bonnes moeurs un coup de pié au cu.
Soit bourgeois ou païsan, soit gentilhomme ou prestre,
ils veulent sembler bons, et se moquent de l' estre.
Pour le souverain bien de sa condition
chacun s' est estably sa reputation ;
juste ou non, fausse ou vraye, il faut bien qu' elle
serve,
si par raison d' estat le vice la conserve.
Perrine, qui jamais ne s' en est fait prier,
prise dessus le fait, osa bien s' écrier,
et s' en purgea des mieux en estant accusée.
Je veux bien qu' elle soit moins chaste que rusée,
mais, comme dit l' auteur en l' art d' aimer parfait,
le nier fermement, c' est ne l' avoir point fait ;
et celuy qui n' est pas moins poltron qu' une vache
fait croire au simple peuple, en tranchant du bravache,
qu' il est homme de coeur, aux perils resolu,
et qu' il en a plus fait qu' un autre n' en a lû.
Pour se mettre en credit chacun a son adresse ;
l' hypocrite par jour entend plus d' une messe,
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pour faire voir son zele et ferveur en la foy
à d' autres qui seroient plus credules que moy ;
sa parole est de sucre et si jamais ne jure,
mais il ne fait contract qui ne sente l' usure.
Comparez ses façons à son discours fallot :
" je n' aime pas le vin " , mais il en prend en lot ;
ses moeurs et ses propos sont deux pieces diverses
et s' accordent ainsi que les turcs et les perses ;
s' il parle à son voisin, pensant estre au sermon,
se tait, ou ne répond que " voire " ou que " c' est-mon " .
La pluspart des humains a la cervelle folle,
ce qui ne se connoit que trop à leur parole.
Que l' on oit de discours lourdement enfilez,
et, loin d' estre polis, qui ne sont pas dolez !
Tant qu' ils durent, pour moy je languis quand j' y
songe,
de l' ennuy qu' ils me font je baille ou je m' allonge.
Si les grands parlent mal, il en faut bien passer ;
n' aguere, en oyant un, je pensay trépasser ;
mais tout leur est permis, qu' ils parlent, qu' ils se
taisent,
ladres ou verolez, jamais ils ne déplaisent ;
le peuple les revere et les autres aussi :
j' ay donc quelque raison de les choyer icy ;
il fait mauvais contr' eux prendre à coeur les
matieres,
témoin la Philippique, ils taillent des croupieres
au maistre, à ses chevaux qui n' ont point offencé :
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trop injuste rigueur, mais cela s' est passé.
Devant eux de tout temps les plus diserts begayent,
ou bien ne disent mot, car on sçait comme ils payent.
Quoy ! Je m' amuserois à les reprimender,
pour avec Eumolpus me faire lapider !
J' ay l' esprit chatoüilleux, l' aureille delicate,
et quand je souffre trop il me tient à la rate.
Mais où penseroit-on que va mon interest ?
Ce juge me pourroit perdre par un arrest,
parlant de son état et suivant son caprice,
si j' écrivois qu' il vend, non qu' il rend la justice,
ou bien que ce prelat est avaricieux.
Il n' est pas deffendu d' estre judicieux
et de marcher tousjours dans la plus seure voye ;
j' ayme bien mieux conter de ma commere l' oye,
et dire hors propos, en rimant à romains,
qu' une femme en pissant ne gaste point ses mains,
qu' en esté le soleil à sept heures se couche,
vrayment, vrayment, aga, s' il me vient à la bouche.
Celuy que l' on tenoit pour un second Renaut,
lors qu' il fallut donner, fut un jour bien penaut ;
mais je n' empéche point qu' un autre ne le nomme,
plus desireux que moy de faire le preud' homme,
ou bien à qui le ciel a donné la vertu
d' écrire hardiment, deut-il estre battu.
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Ainsi que les regens sçavent gloser un texte,
messieurs pour se vanger ont tousjours un pretexte
d' honneur, ou de justice, ou de religion,
vieux manteau sous lequel agit la passion ;
l' action est mauvaise, indifferente ou bonne,
c' est selon la couleur ou façon qu' on luy donne.
Or la raison n' est plus qu' un instrument commun
et dont à sa maniere use icy bas chacun,
ou fait à ce qu' il dit une si bonne sausse
qu' on ne peut discerner la vraye de la fausse.
Le vulgaire ne vit que par comparaison,
et son goust incertain change avec la saison ;
il imite quelqu' autre et le suit à la piste ;
on ne l' offence point de l' appeller copiste ;
il ne sçait ce qu' il ayme, encor moins ce qu' il hait ;
le discours d' un caffar le promene à souhait ;
à le bien definir, c' est la mesme sottise :
tant plus on le connoit, tant plus on le méprise.
On ne conte plus rien qui soit vray simplement,
ce que l' on pense tel n' est que déguisement ;
la justice à present est mesquine et badaude,
qui feroit informer pour une chiquenaude ;
et s' agit-il d' un crime, un témoin parlera,
en faisant ce qu' il faut ainsi qu' il te plaira ;
ce n' est plus seulement au perche qu' il se treuve,
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tellement qu' il n' est plus d' innocence à l' épreuve ;
les bons par ce moyen sont reputez méchans,
et sans le meriter faits evesques de champs ;
quiconque a de l' argent, moyennant une somme,
peut donc asseurement se deffaire d' un homme.
Or, si cela n' est point en doute revoqué,
qu' avant le carnaval tout le monde est masqué,
que la foy n' est plus seure, et que la perfidie,
en ce siecle vereux, est ce qu' on estudie ;
que chacun son prochain traite non autrement
qu' un soldat indiscret son hoste au logement,
et qu' un noble croiroit, au royaume de France,
n' estre que roturier s' il gardoit l' ordonnance ;
que l' homme est un fantôme, et, pour conclusion,
que ce qui sort de luy n' est qu' une illusion,
conseille moy comment il faut que je me garde,
de ses desseins malins en ce qui me regarde,
car je suis si sçavant qu' avec tout mon sçavoir
il n' est rien plus aisé que de me decevoir.
D' autres ont des ressors, des recoins, des resources,
moy j' y vais franchement comme un coupeur de bourses ;
dans ma simplicité remuant mon tonneau,
un plus fin à tous coups me met dans le paneau,
et n' est pas necessaire, afin de me connoistre,
que devant ma poitrine on fasse une fenestre.
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Bon pour ceux qui jamais le traicté n' ont conclu
que pour tromper quelqu' un et le prendre à leur glu ;
leur haleine aspirant échauffe et soufflant gelle.
Le satyre prudent qui vit cette cautelle
ne voulut point entrer en la societé,
craignant que le profit n' allat tout d' un costé ;
t avare marchand par doux propos l' alleche,
il estoit attrapé s' il n' eut senty la méche :
" si je n' estois loyal, dit-il, j' eusse eu du bien ;
mais je n' ay pas mélé l' autruy parmy le mien. "
sur tous il faut fuyr ces hommes à coeur double,
qui, pour les bien priser, ne vallent pas un double.
Or, d' autres maintenant il s' en trouve si peu
que je suis bien d' avis que l' on cache son jeu,
qu' on se fie à la mer aussi-tost qu' au visage.
Comme disoit Petrone, on fait par tout naufrage.
Pert-on pas ses moyens lors que l' on est volé ?
Est-ce pas un écueil qu' un chose verolé ?
Ce n' est pas seulement sur l' eau qu' est la tempeste,
ailleurs qu' au jeu de l' homme on peut faire la beste.
Et comment aujourd' huy ne seroit-on surpris
qu' on est presque toujours avec des noirs esprits ?
la puissance agit, la raison estouffée
ne sert qu' estant vaincuë à luy faire un trofée ;
la coustume et le droict vainement nous citons,
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témoin le vieux procés des loups et des moutons.
Laissons ces vanitez qui n' offencent personne ;
les morde qui voudra, pour moy je leur pardonne.
Si pour se faire rire on se peut chatoüiller
je ne m' étonne point de voir qu' un conseiller
qui n' est que de (...) face un peu trop le grave,
qu' un qui n' a pas dequoy soit à tous les jours brave,
qu' il change aussi souvent d' habits comme Neron,
qu' unchant advocat se croye Ciceron.
Je supporte aisement que cette putain sale
soit la sainte n' y touche et fasse la vestale,
que tous les quinze vingts pensent avoir bons yeux,
qu' un asne soit bizarre, un coquin glorieux ;
et, croyant me fâcher, si quelque pedantaille
me disoit de ces vers que ce n' est rien qui vaille,
je ne m' en deffendrois qu' avec un itane,
au lieu d' en disputer avec ce domine.
Pour ces sottises là, sans y mettre l' enchere
ny les canoniser, je n' ay point de collere.
La pluspart d' entre nous n' a de l' entendement
qu' autant qu' il est requis pour faire un testament :
or à cét acte là souvent un tiers assiste,
propre à le suggerer, quelque fois casuiste.
Les hommes de ce temps veulent estre employez,
et ne reffusent rien pourveu qu' ils soient payez,
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car le payment fait tout, et la reconnoissance
rend les plus scrupuleux enfans d' obeïssance.
Traitez avec des gueux, vous n' y gagnerez rien ;
il ne faut point chercher de gresse en nid de chien,
les marmiteux en sont sur la mine et d' aumône,
s' ils en font, c' est apres l' avoir fait dire au prône ;
en public, en plein jour, ils chassent à beau bruit,
et couvrent leurs péchez du voile de la nuit.
Quand ils m' auroient trompé, que dis-je, fait injure,
pense-tu, j' en rirois : ils péchent par nature.
Puisqu' à present le monde est basty de caquet,
qu' on y passe pourveu qu' on parle parroquet,
que, d' un ris d' hostelier et d' une humeur folastre,
d' un habit fort modeste on sçache faire un plastre,
sous lequel ces esprits, s' il faut dire bossus,
pour tuer l' innocent se mettent à l' affus,
il est bon d' acquerir cette belle science,
et puis faire la nique aux cas de conscience,
dont il faut discourir pour estre crû devot.
Qui peut faire cela pipe aisement un sot.
Dans le gouffre d' erreur où les a mis le vice,
seront-ils point fâchez que je les advertisse ?
N' aimeront-ils pas mieux se perdre en ses apas
que de changer de note et vivre par compas ?
La race des humains en deux parts se divise,
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en trompeurs et trompez, amy, je t' en avise,
et on péche partout, si tromper est péché.
On se peut excuser sur le cours du marché :
si l' un pert, l' autre gagne, et cette broüillerie
est plus vieille que nous et tourne en raillerie.
à cause qu' on vend tout et qu' on ne donne rien,
chacun par tous moyens tâche d' avoir du bien ;
l' honneur est à l' encan, l' amour méme s' achette :
aussi dans les partis tout le monde se jette.
Les chevaliers romains estoient tous maltotiers ;
il faut en certains temps faire plusieurs métiers,
menager son argent, changer sa pane en frise,
ne mettre que le jour une belle chemise.
L' épargne, dit quelqu' un, est un grand revenu :
non qu' au fort de l' hyver il falle aller tout nu,
ny s' abstenir de vin lors qu' on n' a point de fiévre,
comme fait malgré luy ce gentilhomme à liévre,
qui croit, en avallant son cidre, que ce soit
de ce que Ganimede à son maistre versoit ;
les jambons du pays luy semblent de Mayence.
Je ne luy voudrois pas oster cette croyance :
il a fait sagement, pour éviter le coust,
n' ayant guere dequoy, de se former un goust.
Chacun suivant cela se doit faire une regle ;
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un oison ne sçauroit voler si haut qu' un aigle,
de façon que Messer qui n' a que peu de biens
ne devroit pas ainsi jetter son lard aux chiens,
mais plustost le garder pour sa foible vieillesse,
car, s' il veut l' avoüer, déja le bas le blesse.
SATIRE 7
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ô le méchanttier, ô le sot exercice,
d' employer son loisir à censurer le vice !
On fait un ennemy d' un amy qu' on reprent ;
c' est ce qu' on y profite, aux fautes on apprent.
Bestise de penser que le mal on empéche
ou qu' on le diminuë aussi-tost qu' on le pche,
et de s' imaginer, ayant esté battu,
de vice qu' il estoit il devienne vertu ;
au contraire, en cheval, il est d' humeur retive,
et dur à l' éperon d' une sage invective ;
vainement on le drogue, il retient ses façons.
Le monde d' apresent ne veut point de leçons ;
il est si libertin qu' en se donnant carriere,
des venerables loix il fausse la barriere :
aussi ne faut-il point luy parler de sermon,
et, s' il voit un précheur, il croit voir un demon.
Quand quelque vicieux se voit dans ma satyre,
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il me tuë en son coeur, ou bien n' en fait que rire ;
qu' un autre la recite, il baille, et puis s' endort
si quelque bout de vers davanture le mord.
Je me fais mon procés discourant de la sorte ;
je ne reprendrois pas, mais la fureur m' emporte,
ou plustost la raison, voyant ce que je voy.
Cependant je sçay bien ce qu' on dira de moy,
et que ces vers piquans en diverses manieres,
pour leur punition, serviront aux beurrieres.
Ce vieux pécheur les hait plus que la mort, aussi
est-il bien asseuré qu' on le peut voir icy,
comme l' on voit un saint en lisant sa legende ;
je fais, sans rien nommer, en sorte qu' on m' entende ;
il m' aura toutefois de l' obligation
pource que je l' ay peint à la perfection.
Je travaille à cecy quand je n' ai rien à faire ;
qu' on ne demande point où je prens mon salaire :
j' en suis fort bien pa lors qu' au dépens d' un sot,
en faisant son portraict, il m' échape un bon mot,
et me souvient, alors qu' il tombe sous ma plume,
de ce peintre qui fist par hasard cette écume.
Ce n' est point sans raison que je chery cét art,
qui me donne sujet, à propos du caffart,
qui traite quelque dieu d' une façon estrange,
de dire qu' il se croit meilleur que son bon ange,
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et que, pour obtenir le royaume des cieux,
en priant son patron il luy fait les doux yeux ;
du juge criminel, qu' il est habile à prendre,
qu' on le peut gouverner, et qu' il est homme à vendre ;
qu' on tourne son esprit et dessus et dessous,
que moyennant un prix on est quitte et absous ;
de remarquer aussi des vallons d' Aganippe
que la femme d' un tel depuis peu s' emancipe ;
s' il n' a déja son fait, je n' en demande rien,
et si tant mieux pour luy si je n' en juge bien.
Un quarteron de maux me sollicite encore :
un tabellion faussaire, un procureur remore,
un rapporteur tousjours enclin à se fâcher,
et son clerc qu' on ne peut sans la croix approcher ;
un noble casanier qui se contente d' estre
yssu d' une maison plus vieille que bicestre ;
un prestre dameret ; un docteur ignorant,
à cause du bonnet qui fait le reverant ;
un citadin plus fier, quand il a mis sa fraise,
qu' un estron que Beauvais jette sur une these ;
un valet impudent ; un merveilleux garçon,
qui croit que c' est assez d' avoir bonne fon,
d' ajuster un rabat avecque des manchetes,
et sçavoir certains mots qui charment les fillettes.
" quant au reste, dit-il, quand au reste, il ira,
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sinon comme il devroit, au moins comme il pourra. "
or ce n' est pas le tout, mon sujet est si large
qu' il me faut retrancher si je ne cotte en marge ;
et d' ailleurs je suis las de m'ir caqueter,
outre qu' il n' est rien tel que de se limiter ;
mon ouvrage n' est pas cette toile infinie,
joint que, croyant peter, souvent on se conchie ;
un mot pourroit donner de l' ombrage à celuy
qui pense, quand je dors, que je parle de luy.
Non que jusques icy, pour croistre la blesseure,
j' aye au delà des loix estendu la censure,
que je veuille chercher avec des yeux d' Argus
quelqu' un pour le percer de mes traits plus aigus,
qu' on se puisse aisement connoistre dans mes lignes,
pour designer Bachus que je parle de vignes,
et que je montre au doit ceux dont je tais le nom,
par un mauvais dessein de ternir leur renom.
ô que mon écritoire est bien plus innocente,
encore que je sois bien aise qu' on me sente,
que l' on sçache que j' ay, dessous le general,
touché l' individu dans ce discours moral !
Parle d' amour celuy qui voit la demoiselle,
pour faire de bons vers qu' il ne pense qu' en elle ;
je ne m' empéche point du goust que chacun a,
dont peut estre en naissant nature l' étrena.
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Si tu m' en crois, amy, tout l' honneur où j' aspire
n' est que de faire voir en France la satyre,
mais telle que la vit le peuple aux carrefours
avant que l' on joüast la passion à Tours,
et qui baille, railleuse, en son rude langage,
aussi-tost sur le nez comme sur le visage ;
sans mentir que par fois je m' y veux exercer,
et sans intention de plaire ou d' offencer,
quoy qu' inutilement, attendu que le vice
est plus sourd aux conseils qu' un compagnon d' Ulysse.
Quand je parlerois d' or, quand je serois disert,
je n' edifirois pas, Saint Jean pche au desert.
Au reste, je ne crains que mon fâcheux libraire,
qu' on oit, mais tu sçais bien qu' on oit un asne braire,
me dire tous les jours : " je ne vens presque rien,
tre livre n' est lû que par les gens de bien,
dont le nombre est petit, vos discours me ruïnent,
qui ne sont entendus que par ceux qui devinent.
Plus ce genre de vers est libre et s' en permet,
et tant mieux il se vent ; hardy qui rien n' y met. "
seroit-ce ton avis, s' il te plait de m' entendre,
pour le faire gagner que je me fisse prendre,
qu' un beau jour un huyssier, pour n' étre pas discret,
me menast sans scandale en vertu d' un décret ?
J' aymerois beaucoup mieux renoncer aux delices
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que gouste un vercoquin à se moquer des vices.
Que je diffame un grand qui s' en peut ressentir
et me faire acheter bien cher un repentir !
Moy, que je me procure une puissante hayne !
Il vaut bien mieux tenir mon couteau dans ma gaine ;
je m' abstiendrois plustost de macher le laurier,
et pour fuyr ce malheur chirois sur le métier.
Ces manieres de gens ne regardent qu' au lucre ;
dessus nôtre moutarde il faut mettre du sucre ;
l' autre n' en eut pas eu s' il eut fait sicut nos
depuis miserere jusques à vitulos ;
si ce n' est la raison, que ce soit le supplice,
qui porte le rimeur à brider son caprice,
à ne pas trop s' étendre à la correction,
pour n' estre pas sujet à la punition,
ou plustost au payment en certaine monnoye
qui se fait du baston dessus la petite oye.
J' ay sceu flater Martin en faisant son crayon,
bien qu' entre vous et moy ce ne soit qu' un couyon.
La verité plait estant librement dite,
il la faut deguiser afin qu' elle profite.
SATIRE 8
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Monsieur, si tu m' en crois, je n' ay plus faim de rire ;
le plaisir me déplait, je ne veux plus que lire
quelque chose qui soit utile à mon salut,
que veut dire cela que le monde me put.
Je hay ses vanitez, ses pompes et sa joye ;
tu de simple drap, je n' ayme plus la soye ;
il m' est indifferent que, dans le bruit commun,
je sois à l' avenir ou ne sois pas quelqu' un,
que l' on me montre au doit et que l' on me saluë,
ou bien que l' on me siffle en passant par la ruë ;
et, sans deduire icy le tout par le menu,
si cela se pouvoit, je serois inconnu.
Chaque homme est maintenant aussi subtil qu' Esope,
et c' est cela qui fait que je suis misantrope,
que souvent à dessein je garde la maison.
Les bonnes qualitez ne sont plus de saison ;
la pluspart des mortels sont traitres ou fantasques ;
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les visages sont faux, les esprits ont des masques ;
on paye d' un " peut estre " ou d' un " c' est à sçavoir " :
c' est toute la raison que l' on en peut avoir ;
le merite est befflé, la science moquée ;
jamais la charité ne fut moins prattiquée ;
le profit est le blanc où vise un concordat ;
nous voyons des docteurs vendre du mytridat ;
c' est avec les presens que nous faisons embûche :
on donne afin de prendre, ainsi tout bois vaut buche ;
excepté l' interest, rien n' est consideré,
soit à faire un bailly, soit à mettre un curé ;
c' est l' argent qui fait tout ; malgré le vieux exemple,
nous voyons les marchands traffiquer dans le temple ;
on préche vainement ce grand custodinos,
qui répond : " nos majeurs faisoient sicut et nos. "
d' un asne, d' un bouffon, d' un maquereau peut estre,
eut on bien deviné que l' on eut fait un prestre ?
Tout homme est idolatre et se forge des dieux ;
il adore des sacs, ou des rangs, ou des yeux ;
chacun a son désir qui luy donne la fiévre,
et croit, s' il l' accomplit, que c' est gist le liévre ;
l' insolence est en regne, et je ne sçay quel art,
en parlant sottement, de rire en Saint Medard ;
les sujets des discours ne sont que des vetilles ;
Paris depuis six ans regorge de soudrilles ;
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Bellone est en campagne, on jure, un fanfaron
peut dire librement poüilles à Ciceron ;
pource que la loy dort tant que dure la guerre,
la robe et le bonnet donnent du nez en terre ;
nous ne faisons plus rien qu' à la charge d' autant.
Que l' homme est variable, et qu' il est inconstant,
ennemy de son sort ! Si l' advocat s' advise,
il sera laboureur ou fera marchandise ;
chacun approuve un autre et sa condition
autant que pour la sienne il a d' aversion :
c' est que nôtre nature est tousjours inquiete
et ne peut demeurer long-temps en me assiete,
tout ce qu' un homme fait, tout ce qu' un homme dit,
selon qu' il a dequoy rencontre du credit.
Je ne sçaurois souffrir les façons d' un sot asne,
qui fait le reverent et le grave en sotane ;
qu' un financier poupin s' oze moquer de moy,
sous ombre que je lis lors qu' il vole le roy ;
qu' un noble soit si fier qu' il n' hazarde la gloire ;
que les honnestes gens ne parlent que de boire ;
qu' une femme, notez, face un mary cocu,
moins par infirmité que pour plaire à son... ;
qu' une fille s' exerce à l' amour dés l' école,
dont la mere à douze ans souffre qu' on la cajolle.
Ce beau sexe n' a plus de pudeur sur le front ;
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si vous ne l' en priez, vous luy faites affront,
et s' il fait la chosette, il veut bien qu' on le
sçache :
on se moque à present de celle qui s' en cache ;
Venus avecque Mars une autre en cas pareil,
couchée entre deux dras, ne craint plus le soleil.
Onprise à bon droict la physionomie ;
celuy que l' on croyoit la mesme preud' hommie
enfin vers l' interest s' est lâchement fléchy,
pour monstrer qu' il n' estoit qu' un sepulcre blanchy ;
plus de foy nulle part, plus d' amis qu' à la table ;
l' homme n' est quasi plus animal raisonnable ;
tant s' en faut qu' il se porte à la bonne action
et qu' il mette une regle à son affection.
Que Diogene s' aille avecque sa lanterne,
Dieu sçait comme aujourd' huy le monde se gouverne.
Pourrois-je dire icy, rimant à carnaval,
et sans luy faire tort, qu' il est un peu brutal,
qu' il est pire qu' antan, et puis, rimant à pommes,
ou parlant caporal, qu' il ne se voit plus d' hommes,
d' hommes originaux, rabotez ou fourbis ;
ils ne sont maintenant curieux que d' habis,
et les femmes aussi fort aises qu' on les voye
porter nonchallamment à tous les jours la soye,
et, si le bon époux n' est riche qu' à demy,
pour payer le marchand il se trouve un amy.
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Le siecle des gallans est fecond en astuces ;
les chiens y sont pourtant encor sujets aux puces ;
la raison, en effect, n' est plus rien, entre nous,
à bien philosopher qu' un baston à deux bouts :
on la tourne, on la vire, on l' adapte à la chose ;
nuit-elle toute entiere, on n' en prend qu' une dose.
Que pense faire Jean de voler son voisin,
Pierre de le tromper ? L' homme à l' homme est cousin.
C' est ce qu' un bon payen disoit en ses offices.
Et d' ailleurs chacun sçait quels sont les fruits des
vices.
Nul méchant n' est heureux, si l' on croit Juvenal,
pour abuser les gens dit-il son diurnal.
Dire que, de cinq cens qui donnent leur parole,
deux ne la tiennent pas, ce n' est point hyperbole.
Et, comme s' il n' estoit ny Dieu ny jugement,
il ne s' en voit pas un qui garde son serment ;
si c' est un serviteur, qui ne ferre la mule ;
à cause qu' un pauvre homme est icy ridicule,
qu' on y vit à grands frais, qu' il faudroit des écus,
autant qu' on trouveroit à Paris de cocus,
à qui ne porteroit que des manteaux de pane,
tousjours un bon habit dessous une sotane.
Or c' est ce qui se fait, et qu' on devroit punir,
car, à moins de tout faire, on n' y sçauroit fournir.
C' est pourquoy ce marchand vend à fausse mesure ;
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au nombre des pechez on ne met plus l' usure ;
aux maistres de tout temps le larcin est permis,
et s' appelle vertu, fait par un beau commis ;
le bien sert de beaucoup, ce qu' à propos on donne
d' une mauvaise cause en peut faire une bonne ;
comme le blé, le drap, la faveur est à prix ;
c' est à l' odeur du gain que courent les esprits,
chacun pour en avoir s' empresse, et, quand j' y pense,
vivant en honneste homme, on fait de la dépence ;
quelque chose qu' on die, on ne sçauroit de peu
bien traicter ses amis et leur faire beau feu.
On n' avoit jamais veu porter tant de calotes
pour feindre la sagesse ; or, à propos de botes,
les bouchers, en trottant au marc de Poissi,
pour faire les messieurs en portent de roussi ;
les vivres sont deux fois plus chers que de coustume,
un hetoudeau se vend quatorze sous en plume.
Ce n' est pas seulement à Paris, c' est ailleurs
que les plus opulens sont au prix des meilleurs.
Sur cette opinion generale et publique,
tel n' a guere dequoy qui fait le magnifique ;
un homme veut tousjours rouler avec honneur :
c' est ce qui, de par Dieu, le rend hardi preneur
et luy fait mépriser la bonne renommée,
afin que sa cuisine en ait plus de fumée ;
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ou quand en Euclion il couve son thresor,
qu' il ayme trop l' argent et fait son dieu de l' or,
et, loin de s' en servir quand l' occasion s' offre,
au contraire il le tient prisonnier dans un coffre,
ou bien il le regarde à cause qu' il est beau,
et n' en joüit qu' ainsi qu' on joüit d' un tableau.
Dieu mercy, quand j' en ay, que souvent il remuë,
qu' il sert à mes besoins et qu' il n' est pas en muë ;
je n' û jamais l' esprit ny le coeur à cela,
et je serois marri que mon foible fust là.
Je ne fay cas du bien qu' entant qu' il est commode,
notamment à celuy qui veut vivre à la mode ;
je ne suis pas tant propre à faire un mauvais coup,
à me tuer le corps pour en avoir beaucoup ;
tant s' en faut que j' amasse et que je thesaurise
que jamais je ne fis métier ny marchandise ;
et puis je versifie, exercice fatal
pour envoyer en poste un homme à l' hospital.
Si de mon ascendant le regard ne m' y porte,
j' essaierai pourtant de n' en voir que la porte ;
on ne me verra plus aux plaisirs attaché ;
je croiray que devoir est le plus grand peché,
et que manger son bien est la plus sotte affaire
qu' un homme de bon sens icy bas puisse faire.
SATIRE 9
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Est-il vray ce qu' on dit, que, pour étre tranquille,
dans quinze jours au plus tu vas quitter la ville,
pour demeurer aux champs dans ta belle maison ?
Si tu le fais, monsieur, ce n' est point sans raison.
Tu n' es pas éloigné d' un assez bon village.
En vivant doucement avec le voisinage,
tu feras connoissance au barbier, au cu,
gens de fort bonne humeur, cettuy-cy reveré,
non qu' il sçache la bible ou qu' il pipe en l' histoire,
mais pource qu' il est bon et tousjours prest à boire.
Tu vois l' eau de chez toy, la campagne et les bois,
tu peux courre un cerf et le mettre aux abois,
et puis comme devant te ranger à l' estude,
car il faut faire tout pour fuir l' inquietude.
C' est aux champs qu' il fait beau, c' est où manque ce
bruit
qui fait que dans Paris on ne dort point la nuit ;
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les hommes étans là vivent d' un autre style,
on n' y craint nullement la chûte d' une tuile,
n' y d' étre par hasar, marchant sur le pa,
entre deux crocheteurs dans la presse crevé,
battu venant du bal ou de la comedie,
volé par des filous, surpris d' une incendie.
Les paysans, sans mentir, y sont grandement sots,
mais on les oit venir avecques leurs sabos ;
ils menagent leur fait, ou plustost sont avares ;
en recompence aussi les fâcheux y sont rares :
" Dieu vous doint le bon jour ; comment vous
portez-vous ?
Si vous n' avez dis, disnez avecque nous " ;
ce sont les complimens que l' on fait au village.
Au reste, la viande est pareille au langage ;
tout y va simplement ; les gens de qualité,
en allant aux privez, quittent la gravité ;
c' est où l' on vit sans art et sans ceremonie,
l' on se trouve seul faute de compagnie.
Pour y passer le temps, on peut bien, selon moy,
y chanter au lutrin, car c' est tousjours employ ;
on s' y peut divertir aux petits exercices.
Leur demeure, au surplus, est moins sujette aux vices ;
cependant qu' Isabelle au village acu,
l' on tient que son mary n' a point esté cocu :
elle n' eut pas si tost pris l' air de la villote
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qu' elle fist le peché qui se fait sous la cotte.
Bacchus n' est point aux champs, la ville est son
sejour,
c' est où les bons buveurs font de la nuit le jour,
tantost dans leurs maisons, tantost dans la taverne,
que les predicateurs nomment un autre averne,
mot significatif des choses qui s' y font ;
mais ils ne disent pas que les prétres y vont,
et qu' ils y boivent sec pour celebrer l' orgie,
au lieu de s' amuser à la theologie.
Aller à la taverne est acte scandaleux
pour tous, disoit Minot, mais notamment pour eux,
et, venant au peché qui se fait dans la fente,
apres qu' un homme est sou, l' on sçait ce qui le tente :
c' est où, bien que ce soit de piques rencontré,
Socrate se vantoit n' étre jamais entré.
Ce ne fut pas cela qui le fist juger sage,
mais ce poison qu' il but avec tant de courage
qu' on ne l' it jamais ny pleindre ny crier,
et qu' il voulut mourir plustost que de prier.
Quoy que ce soit un lieu qui n' est pas trop honneste,
on y trouve tousjours de la viande preste ;
il fait parler françois un poëte gascon,
et, si vous l' en croyez, c' est le vieux Helicon.
Afin qu' un cytadin icy ne me demente,
comme si je croyois la campagne innocente,
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je ne connois que trop de brutaux villageois,
selon mon jugement, pires que des bourgeois ;
leur façon me déplait ; je les hay, s' il faut dire ;
mais sans offencer Dieu je ne puis voir un sire.
On se passe bien là d' avoir tant de suivans,
encore mieux d' y voir tous ces demy-sçavans
dont l' importun babil, autant de temps qu' il dure,
tient effectivement une ame à la torture.
Sur tous autres humains on doit craindre ceux-là ;
s' il faut quitter Paris, ce n' est que pour cela.
Tel y seroit encor, n' étoit que tant de crottes
l' obligeoient au mois d' aoust à demander ses bottes,
et, faute de cheval, à piquer le pavé,
pource qu' il n' étoit pas un peu si relevé
que ce jeune frisé monté comme un Saint George,
tout rade clinquans, et qui d' aise regorge.
L' autre ne l' ayme pas, voyant que sa maison
le rne en loyers, et n' est qu' une prison.
Jean en est si ravy que, lors qu' on luy conseille
d' habiter autre-part, il fait la sourde oreille,
on répond en ces mots avec un doux souris :
" tout ce qu' il vous plaira, mais il n' est qu' un
Paris ;
vos conseils seroient bons à qui les pourroit suivre.
Vivant en autre lieu, je ne croirois pas vivre.
Tous les peuples y sont, l' anglois et l' allemant,
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avec le poitevin, le picar, le normant,
que l' on peut discerner, aussi bien qu' au visage,
à leurs divers habits, à leur divers langage ;
quiconque est à Paris croye qu' il est par tout
et qu' il voit l' univers de l' un à l' autre bout ;
avec peu l' on y vit, ou l' on manque d' adresse ;
aux champs l' on prend cinq sols, et là dix, d' une
messe.
Venons à sa grandeur : si le Caire et Quinsay
sont de beaucoup plus grands, j' en doute ou je ne
sçay,
car, si j' ay voyagé, ce n' est que dans la carte,
et je n' allé jamais de Paris à Monmarte.
Paris est si charmant et si delicieux
qu' il n' en faudroit partir que pour aller aux cieux ;
le temps n' y dure point, Dieu sçait comme il s' y
passe ;
on s' y plaist, et fust on de la derniere classe ;
les vieux l' ont appellé paradis des putains,
tant on y voit d' enfans de peres incertains,
et tel ne les a faits qui toutefois les berse :
c' est entre mariez un estrange commerce.
" lorsque je suis ailleurs, c' est avec un regret,
que je ne puis tenir un demy-jour secret ;
tout ce qu' on y remarque a pour moy tant de charmes
que pour luy resister ma raison n' a point d' armes ;
ce que vous y blâmez, c' est dequoy je fais cas ;
cette foule m' y plaist, j' en ayme le tracas ;
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je reçoy de ce bruit que font tant de carrosses
plus de contentement que si j' étois aux noces ;
les perils de la nuit vous m' alleguez en vain :
mon manteau, Dieu mercy, ne craint pas le serain,
je passe hardiment prés la samaritaine
lors que les assassins courent les tirelaine ;
le Louvre est à mon goust non encore achevé ;
j' admire le palais, de blanc et noir pavé,
figure, si l' on croit à ma philosophie,
du sort des jugemens : ergo fou qui s' y fie ;
je me fierois plustost au perfide élement. "
la foire Saint Germain le touche extremément,
le Pont-Neuf et le Mail le mettent en extase ;
pour aller vite au cours Jean monte sur Pegase,
il hante Luxembourg, et fait son promenoir
du parc et des jardins de ce royal manoir,
et, pour en recevoir du plaisir davantage,
il croit estre, estant là, dessus son heritage.
Encore qu' il n' ait pas de moyens plus que moy,
il est en son esprit aussi riche qu' un roy ;
qu' une femme en passant luy fasse bonne mine,
il s' est déja frotté contre son étamine ;
ses divertissemens il sçait bien menager,
un homme ne peut pas tousjours d' un pain manger,
l' esprit comme le corps change de nourriture,
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on ne lit pas tousjours dans la sainte ecriture ;
il ayme les tableaux, et se contente bien
de les voir à loisir sans demander combien ;
dans le repos d' esprit il se maintient en joye
et laisse volontiers le travail à Bridoye ;
qu' il plaide ou qu' il consulte aupres de l' angelier,
et qu' il tire en cheval tout le jour au collier,
luy cherche son plaisir, et la melancolie
est ce qu' à son avis on doit nommer folie.
Puis il dit qu' à Paris on ne voit en deux mois,
voire en trois, qui ne veut, un homme qu' une fois,
qu' une petite ville est un vray purgatoire :
c' est parler evangile, ou pour le moins histoire ;
j' y suis malgré mes dents et non sans rechigner ;
comme instruict par mes sens, j' en puis doncmoigner.
Or, si quelque gallant s' y testonne et s' y frise,
s' il hante en quelque lieu, chacun s' en scandalise.
Paris est son aimant, Paris est son amour,
et dit qu' étre à Paris, que c' est estre à la cour ;
qu' estant à la campagne, on ne trouve qu' un arbre ;
que tous les habitans sont figures de marbre ;
s' ils parlent, en effet, que ce n' est point parler ;
que l' entretien d' un sot ne le peut consoler ;
que l' on s' y fait tout beste, et tout sot, et tout
sale,
certains jours plus chagrin qu' un rat dans une male,
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prest, regorgeant d' ennuis, à se desesperer ;
que chacun n' est pas propre à faire labourer
et n' avoir pour objet qu' un porc ou qu' une vache ;
qu' il n' est tel que d' ouyr vépres à Saint
Eustache ;
qu' il ne sçauroit tousjours estre dans sa maison
à voir pondre une poule et nager un oison ;
que c' est porter son toict ainsi qu' une tortuë,
qu' il faut tuer le temps de peur qu' il ne nous tuë ;
la conversation, au reste, luy plait fort ;
faute de converser, qu' aux champs un homme est mort ;
vient-il un nobilis, il luy donne la fiévre
à force de parler cheval, ou chien, ou liévre ;
que Paris icy bas est un sejour parfait ;
que l' on vivoit jadis autrement qu' on ne fait ;
que, lors qu' un dictateur on prit de la charuë,
il faut s' imaginer que le monde estoit gruë ;
qu' aujourd' huy les seigneurs se tiennent prés du roy ;
ceux qui ne le font pas, c' est qu' ils n' ont pas
dequoy.
Paris est, à son goust, une piece excellente ;
c' est où les bons coureurs atteignent Atalante,
l' on fait sa fortune, où qui doit de l' argent
apprend à discerner un homme d' un sergent ;
ce que l' on y prise, aussi-tost il le louë,
et pense, quand à moy, qu' il en ayme la bouë.
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Luy qui par l' univers a si fort voya
asseure que l' on peut l' en nommer l' abregé :
beau sejour a chi ha danari assai,
mais en manquant c' est où l' on jouë à l' ébay ;
l' hoste las de préter ne fait plus de caresse,
pour ouïr murmurer il faut ouïr l' hotesse,
qui sçait que de Paris tel part qui, de par Dieu,
en valet de Marot, oublie à dire à Dieu.
Voila ses sentimens, c' est ainsi qu' il raisonne ;
la demeure des champs n' en sera pas moins bonne ;
chacun a son discours, son goust, son jugement,
qu' il suit, et, le suivant, croit faire sagement.
De moy, lors que je fais des chasteaux en Espagne,
je demeure à la ville et puis à la campagne,
changeant d' air en malade, et sans que je dise où ;
pour ne bouger d' un lieu je ne suis pas un clou ;
il me déplaist enfin de ne voir qu' un visage,
et, pour n' en rien celer, je maudi le village ;
apres que je n' ay plus personne à qui parler,
je dis à mon valet que je m' en veux aller ;
estant sou de rever, las de la solitude,
je me veux refourrer dans cette multitude
de tant d' hommes bien-faits et de femmes aussi
qu' en me les figurant je me hay d' étre icy.
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Me gouvernant ainsi, je morguerois l' envie,
j' ay trouvé cette poéle à fricasser ma vie ;
l' astre qui fait le jour change ainsi de maisons,
sagement inconstant, pour faire les saisons ;
le monde tout entier est le pays des hommes,
il s' y faut promener tandis que nous y sommes.
SATIRE 10
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Plus je repense aux maux que souffre un pauvre juge,
plus je croy que pour luy dure encor le deluge ;
je m' en rapporte à vous, messieurs des parlemens,
nos juges souverains, vous sçavez si je mens.
Penseriez-vous avoir un assez grand genie
pour estre entierement exempts de calomnie ?
Tout plaideur affolé de son propre interest,
s' il pert, entre ses dens appelle de l' arrest,
et, jettant contre vous mille pointus yambes,
regaigne son pays la queüe entre les jambes ;
puis, tout desesperé de ce qu' il a perdu,
dit que son procureur, qu' il nomme, l' a vendu ;
il l' appelle méchant, il l' appelle perfide,
et va legerement : pourquoy ? Sa bourse est vuide.
Il est troublé dequoy son malheureux procés
ainsi qu' il esperoit n' a pas eu bon succés ;
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son esprit estonné ne sçait à qui s' en prendre ;
si l' on n' en mouroit point, il voudroit bien se
pendre.
Je vous laisse à penser, si l' on parle de vous,
que l' on craint justement, ce qu' on fera de nous,
juges inferieurs royaux ou subalternes,
y compris les elus anciens et modernes.
Pour messieurs nos sergens, les nobles, ce dit-on,
s' ils travaillent contre eux, les payent du baston ;
ils n' osent assiner un sujet pour sa debte,
que le seigneur du lieu, requis, ne leur permette ;
à mamiselle méme ils rendent ce devoir :
si vous ne le sçavez, je vous le fais sçavoir.
Quand nous avons jugé le procés d' un messire,
à qui, comme appellant, il faudra de la cire,
quand nous n' aurions jugé que celuy d' un plumet,
Dieu sçait s' il nous menace et s' il nous en promet,
s' il publie en tous lieux que nous sommes barbares,
que l' on ne vit jamais les bons juges si rares,
et que nous épiçons aujourd' huy par excés ;
il donne de bon coeur au diable le pros :
" si je plaide jamais, que le ciel me chastie ! "
il prendroit volontiers son bon ange à partie,
qui n' a pas détourné, par un avis prudent,
de sa triste maison ce fâcheux accident.
Il s' estoit figuré qu' on juge sur la mine,
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et que c' est en procés tout ce qu' on examine,
qu' on mesure le droict à la condition,
que tout cela ne va que par affection,
que le mot d' ecuyer éblouït un arbitre,
que madame raison n' a plus voix en chapitre,
et qu' un petit present fait changer un dicton ;
il reserve au bailly trente coups de baston,
s' il le peut rencontrer un jour à la campagne ;
il dit que la justice est meilleure en Espagne,
bien qu' il n' en soit instruit et ne l' ait éprouvé ;
mais c' est pour en parler en homme relevé.
Un juge est un larron s' il prend une pistole,
eut-il quitté les sacs pour feuilleter Bartole,
Mathieu des affligez, Alexandre et Jason,
afin d' y proceder avec plus de raison ;
au detriment d' un autre il veut qu' on le conserve,
que la belle Themis à poinct nommé le serve.
Moyse, qui tira des eaux de ce rocher,
jugeat-il son procés, n' en pourroit arracher
que des civilitez, des offres de services :
c' est dequoy volontiers il paye les épices.
Toutefois, dés le temps du bon Charles Martel,
qui servoit à l' eglise, il vivoit de l' autel.
Au fait que nous traitons les raisons sont égales ;
les juges, au surplus, ne sont pas des cygales,
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et leur état requiert de beaux habillemens,
leur corps non fantistic a besoin d' alimens ;
les salaires sont deus à celuy qui travaille,
s' il ne vit de son suc comme un huitre à l' écaille.
A t' il fait au greffier le moindre compliment,
il pense que cela luy tient lieu de payment ;
quand il faut debourser, il se met en furie ;
son plus grand revenu, c' est sa bizarrerie ;
il médit des recors, il maudit les sergens,
et dit qu' à l' offencer ils sont trop diligens,
qu' ils sont entrez chez luy, qu' ils ont saisi sa terre,
mais que dans peu de temps nous reverrons la guerre,
et qu' il ruinera le fermier du bailly,
qu' il ait, en le jugeant, ou qu' il n' ait point failly,
du furieux Ajax imitant le caprice,
qui battoit des moutons au lieu de battre Ulysse.
Ce pseudonobilis n' est que trop coûtumier
d' en avoir la raison aux dépens du fermier ;
voicy comme il en use : avec fons bravaches,
a t' il mangé sa poule, il court apres ses vaches ;
ce sont ses hauts explois, ses actes genereux,
qui le font de la guerre estre si desireux ;
il craint les coups, Dieu sçait, et sa modeste espée
du sang des limaçons est seulement trempée ;
il n' est ny bon soldat, ny bon homme de paix :
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qu' est-il donc ? Propre à faire un pillier de palais,
semblable à ceux qu' on fit des dames de carie,
qu' il ne s' offence pas de cette allegorie ;
s' il plaide à l' avenir et paye, c' est tant mieux ;
nous luy donnerons tous ce qu' il nous doit de vieux.
Plaider et non payer, c' est chose trop cruelle ;
un maçon en tel cas jetteroit sa truelle ;
à propos d' un abbé, que j' aime pourtant bien,
qui m' employe souvent et me paye de rien,
je passe donc pour dupe en ce que sa monnoye
est celle qui paya les murailles de Troye.
Maintenant en justice on ne met plus gratis,
j' en connois qui l' ont fait et s' en sont repentis ;
si jamais on m' y prend, si jamais on m' excroque,
je le di de bon coeur, j' approuve qu' on s' en moque,
et que l' on crie au sot ; je me feray payer ;
ma foy, je le feray, fust-ce d' un escuyer.
Puis que le meilleur juge est traitté de la sorte,
vrayment il a besoin d' avoir la teste forte
et de se gouverner d' une estrange façon :
sçavant à mes dépens, j' en puis faire leçon.
Je confesse pourtant qu' en ce tempsle vice
fait la figue au bonnet, je ne suis qu' un novice,
que peut-estre voudrois-je estre à recommencer,
ne sçachant plus tantost dessus quel pié dancer ;
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c' est un fascheux métier ; si je ne m' en retire,
il ne tient pas en moy, je le vous puis bien dire ;
j' en fusse dé-ja hors, sans un qui me pria :
or tout cela conclud que j' en suis à quia.
Tous les jours cas nouveaux, nouvelles insolences ;
Astrée revint elle aveque ses balances,
son celeste maintien, sa régle et son compas,
le mal est si puissant qu' il ne la craindroit pas ;
effronté jusqu' au point qu' aujourd' huy qu' on luy cede,
il roteroit au nez du venerable bede.
Un homme qui perdit n' aguere son procez,
accusé devant moy de quantité d' excés,
en barbe d' appellant me fit bien des menaces ;
mais tout cela n' est rien qui ne voit ses grimaces ;
il est temps ou jamais de gouster le repos,
mon esprit harassé me demande campos :
pourquoy n' useroit il de ce beau privilege
qui remplit d' allegresse un grimaut au college ?
Le sommeil est si doux apres qu' on a veillé !
On se veut reposer quand on a travaillé.
Encor n' est-il pas dit que j' achéve ma vie
dans les divers malheurs que luy trame l' envie,
que je supporteray les façons d' un hagar,
et qu' à ses sots discours je n' auray point d' egar,
alors qu' il me viendra, sauf vostre reverence,
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demander les raisons d' une vieille sentence,
et dont il me souvient moins que d' un vieux peché.
Aveque des brutaux on est bien empesché ;
outre cela notez que je suis fort colere.
N' ay-je point assez fait le grave et le severe ?
Je l' ay fait jusqu' icy, puis que Dieu l' a voulu,
et m' en suis aquitté pource qu' il l' a fallu.
Il vaut mieux resigner que quelque autre le face ;
moyennant de quibus je luy quitte la place,
s' il veut, je luy vendray mes livres quand et quand ;
si non, j' ay resolu de les mettre à l' encant ;
il n' est plus question de m' amuser à lire,
je me veux enquerir quelle part le blé tire,
pour ce qu' il m' en faut plus c' est honnestement lu ;
bouchez donc les ruisseaux, mes prez ont assez bu.
Et puisque la science est icy prisée,
qu' un homme de latin sert aux sots de risée,
j' en ay trop pour m' instruire au devoir de chrestien
et donner du ragout au commun entretien,
pour dire qu' une laide est d' assez belle taille,
que les rats dans Homere ont gagné la bataille,
que le jour me fait mal, qu' on tire le rideau,
que nous aurions du vin s' il tomboit un peu d' eau,
et dans l' occasion pour en prendre en Silene ;
si je m' en veux aller, pour feindre une migraine ;
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je suis assez sçavant pour dire, quand je mens :
" monsieur, honnorez moy de vos commandemens ;
je vous suis tout aquis, je meure, Dieu me damne " ;
avecque des devots pour loüer Sainte Janne ;
pour éviter l' abord d' un mauvais discoureur,
et, si j' y suis contraint, le voir par procureur ;
pour m' accoster de ceux que la bonne fortune
a juchez au dessus des cornes de la lune ;
pour me faire estimer de ceux de ma maison,
et ne plus m' endebter, de peur de la prison ;
quand un grand soustiendroit que la neiget noire,
au lieu d' en disputer, pour luy dire que voire.
SATIRE 11
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à tes intentions je ne sçaurois répondre,
sur la fin de mes jours il me faudroit refondre,
ou me faire boüillir aveque ce vieux grec.
Prens qu' on nous ai passé la plume par le bec,
que ce soit une fable ou bien une avanture,
car je n' ajouste foy qu' à la sainte escriture.
Tu dis souvent, monsieur, que je vis en paysan,
et que mon élement est d' estre courtisan,
que j' ay l' esprit adroit et l' humeur assez bonne,
que j' en sçay presque autant qu' un docteur de
Sorbonne,
que je ravirois ceux qui m' auroient prattiqué,
ne disant pas un mot qui ne fust remarq;
que j' aquerrois du bien par moyens legitimes,
non pas comme celuy qui doit le sien aux crimes ;
que je serois bien-tost dedans l' esprit du roy ;
si je ne suis heureux, qu' il ne tient donc qu' en moy ;
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et puis, mettant du vent dedans ma cornemuse,
que nature m' a fait des graces dont j' abuse.
Te dois-je croire ou non, j' en fais difficulté,
apres que là dessus je me suis consulté ;
laisse moy dans ces lieux où nul ne me commande,
je croy, vivant bien, que ma fortune est grande ;
l' éclat de la grandeur jamais ne m' ébloüit,
à l' égal du repos rien ne me réjoüit ;
si j' ay quelque sçavoir, au lieu de le produire,
il suffit qu' en lanterne il serve à me conduire.
Pour estre courtisan il faut dissimuler,
faire le chien couchant, ou ne s' en point méler ;
je n' ay point ces vertus : comme sous une halle,
mon esprit simplement sa marchandise estalle ;
je hay tout artifice et tout déguisement,
je ne sçay ny loüer ny blâmer faussement,
bref qu' en tous mes propos je suis si veritable,
qu' un grand ne me veut voir qu' une fois à sa table ;
et d' ailleurs je ne suis ny flateur ny devin,
un peu trop librement je demande du vin ;
je joürois à la cour un mauvais personnage,
veu, comme chacun sçait, que je n' ay qu' un visage,
qui n' est fait que pour moy ; si je veux obliger
quelqu' un de mes amis en le pensant changer,
il me reussit mal, toute ma contenance
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n' est que d' un homme triste et qui fait penitence ;
la contrainte paroist qui pique un grand seigneur,
à qui par un souris je voulois faire honneur ;
je tiens si fort de moy que vrayment j' aurois honte
de faire le doucet en riant d' un sot conte ;
au lieu de luy ceder au discours, croirois-tu
que j' ergote et dispute en maistre és arts testu !
Ou je deviens muet, ou je ne me puis taire ;
avec plus grands que moy je suis trop volontaire ;
ils ne peuvent sur moy prendre aucun ascendant,
aussi je ne les voy qu' en mon corps deffendant.
Que je me veux de mal d' avoir tant de caprice !
Je n' en suis pour cela pas moins à leur service.
Vivant à moy, chez moy, l' heure de mon repas
est celle de ma faim, que je ne sçay donc pas.
Un suivant avisé se doit garder de faire
toute chose qui peut à son maistre déplaire ;
n' eut-il mangé du jour, fust-il midy sonné,
il n' oseroit disner qu' apres qu' il a disné.
C' est qu' il faut que chacun, en ce monde si drole,
notamment à la cour, sçache joüer son rolle ;
il faut courir, trotter, aller le pas souvent,
qu' il fasse chaud ou froid, ou neige, ou pluye, ou
vent,
tantost sur un cheval, tantost sur une mule,
qui comme un des neuf cieux en avanceant recule.
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Quand je pense flater, je ne fais que le sot,
et je perdrois plustost un amy qu' un bon mot.
Mais que dis-je, un amy, c' est un oyseau bien rare.
Je ne sçay ny mentir ny faire le bizarre,
je hanterois la cour si je me trouvois beau,
ou plustost si j' estois excellent maquereau ;
dans ce brave métier, chacun connoist en France
comme aupres d' un bon maistre un bon valet s' avance.
Allant mon grand chemin, j' ay perdu le soucy
de vivre au gré d' un autre, et ne suis bon qu' icy.
Pour reussir en cour il faut estre un peu fourbe,
et dedans un corps droict porter une ame courbe ;
si l' on fait le devot et le pieux, au moins
que ce soit en public et presens bons témoins.
J' ay du bien, grace à Dieu, ce qu' il m' en faut pour
vivre ;
je mange fort peu seul, jamais je ne m' enyvre ;
si je n' ay des estats, estant homme privé,
je m' en couche plustost, j' en suis plus tard levé,
et, pour le faire court, j' en vis plus à mon aise ;
je me fâche déja quand ma femme me baise,
je suis blanc comme un cygne et proche du trépas,
moy que j' aille à la cour, et que je n' y vais pas.
J' ayme bien mieux couver ma petite fortune
que de monter sur mer en dépit de Neptune,
ou de me transplanter en l' arriere saison ;
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si je fais ce coup là, que l' on m' appelle oison ;
ce conseil estoit bon au temps de ma jeunesse,
mais, en l' âge où je suis, si j' y vais, qu' on m' y
fesse ;
vendre ma liberté pour un méchant disner,
et de plus n' oser fuir, me voulut on berner,
cela n' est bon qu' à ceux qui font plus pour la pance
qu' un chien de basteleur quand son maistre le tance ;
que j' allasse où l' on n' a que faire de chapeau,
l' on n' ose le mettre, et tombat-il de l' eau,
, si je ne suivois ce monsieur par la ville,
si je ne le croyois comme on croit l' evangile,
si je ne l' estimois contre mon sentiment,
chacun m' estimeroit digne de chastiment ;
que j' allasse au pays où, sans en faire enqueste,
et par raison d' estat, on adore une beste ;
n' importe s' il ne fait du plaisir à celuy
qui le suit et le sert, il ne tiendra qu' en luy ;
ce n' est que l' interest qui gouverne la chose,
et pour luy qu' en ce monde on se metamorphose.
Comme un vaisseau sur mer, selon qu' il a le vent,
fuit quelquefois le nort pour singler au levant,
pource qu' il periroit s' il n' avoit qu' une route,
l' homme que tu connois fait de mesme sans doute ;
il a sur son esprit tant de commandement
qu' à tout ce qu' il luy plait il le ploye aisement ;
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selon le temps qui fait, ou l' astre qui domine,
il change d' entretien, et de geste, et de mine ;
l' eglise a divers chants en diverses saisons,
et tout cela fondé sur de bonnes raisons ;
luy sans comparaison ne fait rien qu' il n' en die
le pourquoy, le comment, et qu' il ne l' estudie ;
c' est le cameleon qui prend toute couleur,
qui soûpire en sa joye, et chante en sa douleur ;
enfin il s' est acquis un pouvoir sur luy-mesme
tellement absolu qu' il n' en est point de mesme ;
à ce que veut un autre il est si tost porté
qu' il semble n' avoir point de propre volonté.
Or on dit à la cour que c' est une merveille ;
quand le veau marin dort, que c' est luy qui l' eveille,
qu' apres il l' entretient d' un discours si charmant
qu' une heure, voire deux, ne luy sont qu' un moment ;
il luy sied encor mieux à conter des frivoles
qu' à l' histoire à parler du jour de Cerisoles ;
tout ce qui se peut dire il est facetieux,
goinfre autant qu' il le faut, et bouffon gracieux ;
on le prendroit plustost sans vert que sans nouvelle ;
la gazette en sçait bien, mais il en sçait plus
qu' elle ;
le plus grand de ses soins est de complaire aux
grands,
et tient toûjours chez eux quelqu' un dessus les rangs ;
en devant il exalte et monsieur et madame,
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en derriere il s' en moque ou plustost les diffame ;
lors qu' il est aupres d' eux il croit estre en
honneur,
et les quitte aussi peu qu' arcas l' ourse mineur :
il les suit à la selle, et, moy qui suis severe
et moins officieux, de loin je les revere ;
on croit à ses discours, qui sont remplis d' apas :
moy, quand je jurerois, on ne me croiroit pas ;
le malheur de tout temps me suit en toutes choses,
je blesserois un homme en lui jettant des roses,
il me voudroit du mal quand je le servirois,
voila le grand-mercy qu' à la fin j' en aurois :
sans que ce lieu commun je veuille icy deduire,
croirois-tu que le four tombe quand je veux cuire ?
J' ay tâché plusieurs fois de monter, et n' ay pû,
l' echelle est renversée ou la corde a rompu ;
encor n' est-ce pas peu qu' en ce point d' importance,
je sçache prattiquer lypse dans sa constance ;
cela fait que je suis bien moins entreprenant,
et que je n' ose rire à caréme prenant ;
tousjours l' oisiveté m' a semblé fort plaisante,
je trouve seulement une bague pesante,
je ne m' habille plus de peur de travailler,
comme aux petits enfants il me faut tout bailler ;
et ce qui m' a rendu tardif à la besongne,
c' est que je voy qu' un sot sur mes vers taille et
rongne,
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juge d' eux, les condamne, et fort sommairement,
si celuy peut juger qui n' a nul jugement ;
toutefois je l' excuse, il a droict d' en médire,
pource que sans s' y voir il ne les sçauroit lire.
à d' autres tout succede, ils n' ont point de rivaux,
un lutin fait leur lict et pense leurs chevaux.
Je voudrois bien hanter, mais toutefois je n' ose ;
le monde à mes desseins comme un tribun s' oppose,
et s' est tousjours montré si contraire à mon bien
que ce n' est plus à moy de luy demander rien ;
c' est ce que je pratique, et croy que je suis sage,
voyant que mon esprit n' est pas à son usage ;
chacun vivroit à soy s' il suivoit mon avis,
et puis le medecin a dit vita brevis.
Si contre mon humeur je pense me contraindre,
en asne trop sanglé l' on m' oit aussi-tost geindre ;
les talens sont divers, le mien est de n' avoir
point d' inclination à me faire tant voir ;
ayant bien rumi ces mots : " cache ta vie " ,
m' en blâme qui voudra, j' en ai perdu l' envie.
Il est vray qu' estant juge on a beau se cacher,
quelque fâcheux plaideur nous vient tousjours
chercher :
si faut-il bien qu' en moine à l' advenir je vive,
et qui me voudra voir me voye en perspective.
Je n' ay que trop hanté, parfois je m' en repens,
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mais j' ay fait en cela le sot à mes dépens :
car je n' ay pas trouvé mon compte en compagnie,
souvent un badin a choqué mon genie,
et je m' en suis allé de là, dans mon jardin,
dire en me promenant : " maugre-bieu du badin ! "
j' estois vrayment plus propre à vivre dans un cloistre
que parmy le tracas obligé d' y paroistre ;
Dieu mercy que je suis exempt d' ambition,
aussi ne vais-je plus à la procession.
Tant plus je m' examine et tant plus je me sonde,
ce n' est guere mon fait d' estre dans le grand monde ;
m' envoyer à la cour, c' est, à bien discourir,
me rendre ridicule ou me faire mourir,
au hazard un beau jour d' estre graté des pages.
Quelques hommes sont nez pour peupler les villages,
et la cour est pour eux un pays estranger ;
les oiseaux vainement tascheroient de nager,
les poissons de voler, ce n' est pas leur coustume,
encor, comme l' on sçait, qu' on vole bien sans plume.
Tu n' es pas à sçavoir qu' au commencement Dieu
mit avecque raison chaque chose en son lieu,
mon humeur dans le mien outre cela me fiche,
que j' emplis tout ainsi qu' une image sa niche :
j' y suis fort respecté de Jaquet mon voisin,
le seigneur du village est un peu mon cousin,
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le curé me caresse, aussi fait le vicaire,
je fais ce que je veux de monsieur le notaire,
nous beuvons tous ensemble en tirelarigot,
et que j' aille à la cour, je ne suis pas si sot :
bon pour ceux dont l' esprit à peu ne se limite,
croyons que pour ce faire ils ont trop de merite ;
au lieu d' y conserver ma reputation,
je n' acheverois pas l' an de probation,
et j' aurois bon marché de telle marchandise
si l' on ne m' en chassoit comme un peteux d' eglise.
SATIRE 12
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J' ay ce jourd' huy receu de mauvaises nouvelles,
en dépit du porteur j' estoy gaillard sans elles :
que pour peu d' interest tu plaides vivement,
et que vous en serez bien tost au parlement.
Tu plaides, pour certain, non, c' est de quelque
offence,
de quelque gros peché, que tu fais penitence ;
sans doute qu' un homme a l' esprit hors son fourreau
s' il ne croit qu' un procés est un divin fleau,
compris asseurement sous celuy de la guerre ;
et qu' il soit question d' un crime ou d' une terre,
c' est tousjours neantmoins contre le condamné
un foudre qu' un arrest fatallement donné.
Plaider, c' est un tourment qui ne se peut décrire,
et qui se connoit mieux à l' épreuve qu' à lire ;
un soldat est courtois au prix d' un procureur,
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arguant son client en sa grande fureur,
et luy contant des frais dont il dresse un memoire
non moins ample qu' obscur, ou plustost un grimoire ;
ô qu' il s' en faut beaucoup, qu' il s' en faut, selon
moy,
que ses articles soient des articles de foy !
Soit qu' on plaide à l' edit, soit qu' on plaide aux
enquestes,
il faut comme Cerbere avoir au moins trois testes ;
advocat en son temps plus fameux au barreau
que Macette au bordel, le plus fort de cerveau
qui jamais ait paru chez Madame Chicane,
sans sçavoir que c' étoit que de faire la cane,
tousjours prest à plaider, et ab hoc et ab hac,
eut-il veu seulement l' etiquette du sac,
au reste, aussi lettré que routier en prattique,
confit extrement en l' art de rhetorique.
Toy qui n' és que partie, il n' est pas de besoin
que tu sois tant remply de sçavoir que de soin ;
mais, en t' imaginant d' étre une ame damnée,
si tu pensois dormir la grasse matinée,
en dame de Paris, et puis ne plus trouver,
pour luy conter ton fait, monsieur à son lever,
le mener au palais en toute modestie,
aux mois ou les plus fins ont au nez la roupie,
tu n' y gagnerois pas, mesme estant rebuté,
encore que tu sois homme de qualité ;
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ne fay semblant de rien, ces messieurs sont austeres,
et souvent tout expres ils feignent des coleres,
ils demeurent couvers afin de maintenir
le rang de souverains et de nous contenir
en devoir de sujets demandans la justice ;
l' original plaideur doit estre sans caprice,
patient, liberal, hardy solliciteur,
et, s' il se peut, amy du clerc du rapporteur.
Bon droict a besoin d' aide, en ce temps l' innocence
a pour la proteger recours à l' éloquence,
aux lettres de faveur ; ce n' est plus la saison
qu' un juge n' ait égart qu' à la seule raison ;
il faut des plaidoyers venir à l' écriture,
à de vilains narrez que le papier endure,
aux motifs, aux factons, aux advertissemens ;
produire apres cela de vieux enseignemens
que cent ans ont jaunis, finallement conclure,
tant que le sac soit plein et l' appostume mure.
C' est horreur de penser à ces briborions
qui divisent l' esprit en tant d' opinions
et sont si mal écrits qu' on ne les sçauroit lire ;
à peu quand je les voy que je ne les chire.
Je laisse à part les gens qui me semblent humains,
honnestes et civils, et bien ils ont des mains :
qui diantre n' en a point, qui donne sa denrée,
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mais où n' entre t' on point par la porte dorée ?
Je ne sçache metier, art, ny profession,
pour saincte qu' elle soit, parlant sans passion,
qui de ce qu' elle fait, en bonne conscience,
ne prenne librement deniers ou recompence ;
chacun de son travail veut estre reconnû,
eut-il d' ailleurs pour vivre assez de revenu ;
tel ne demande rien, par honneur ou par honte,
qui sçait prendre son temps, qui sçait trouver son
compte ;
et quiconque aujourd' huy d' une loche fait don
ne le fait qu' à dessein d' attraper un gardon.
Il n' est que de payer tout ce que l' on marchande,
une obligation ne peut estre que grande.
Il n' en faut point mentir, le monde aime l' argent ;
si l' advocat en veut, aussi fait le sergent ;
de monsieur le greffier les griffes sont exactes,
il n' est pas qu' il ne t' ait delivplusieurs actes.
Quand le juge en prendroit, qui tient le gouvernail,
ce qu' il achette en gros il le vend en détail ;
pourveu qu' il se modere, on ne l' en peut reprendre :
ceux qui prennent de luy l' authorisent de prendre.
Pensez qu' en achettant il s' estoit endetté,
et que ce qu' il en fait, c' est par necessité ;
s' il prend trop et qu' il ait la conscience large,
il ne peut autrement s' aquiter de sa charge :
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tu sçais desja que c' est de role et parisis,
termes certainement sur le volet choisis ;
on les appelle droits pour en fonder la prise,
aussi pour son argent on a la marchandise.
Bref, qu' il faut depencer quand on a des procés,
en sacs, en poudre, en encre, en listes, en placés,
outre que par lais la justice est tardive,
en sorte qu' on n' y voit souvent ny fond ny rive.
Si les juges estoient si fort expeditifs,
on donneroit au diable et plumes et ganifs,
les postulans chiroient dedans leurs écritoires,
qui comme Fabius courent aux dilatoires,
prennent pour tout chemin celuy des écoliers,
et vont à reculons, ainsi que les cordiers.
Il faut que chacun vive, aussi par sa cautelle
Cepola sçait bien rendre une cause immortelle :
le procés est un hydre, il n' en faut pas douter,
fay ce que tu pourras afin de l' éviter ;
d' un il en renait deux, voire trois, voire quatre,
qu' il faut le plus souvent tout à la fois combattre ;
donne sans t' en lasser, car il est de besoin
d' avoir, si tu m' en crois, tousjours l' argent au
poin ;
n' espere de rien tant que de ce qui se couche.
Homere en quelque lieu ce grand mystere touche,
lorsqu' il nomme Themis deesse aux pieds d' argent.
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Il ne suffit donc pas d' estre fort diligent,
de courir, de trotter, pour gagner la victoire
et pour lever bien tost un bel executoire.
Mais souvent lespens passent le principal,
et qui ne peut ne peut, vertu-bieu, c' est le mal.
Aussi, qui veut plaider, s' il a de la cervelle,
doit contre ses papiers peser son escarcelle ;
l' un sans l' autre n' est rien, puis qu' il convient
payer
tantost un interdit, tantost un plaidoyer,
des faits, des contredits plus gros que Despautere ;
et puis il ne faut pas oublier l' inventaire :
il n' est rien, en effet, de si cher que des mots ;
c' est de quoy de tout temps on abuse les sots.
Bon si les advocats gardoient la loy cyncie,
mais quand ils prennent trop on les en remercie ;
en voicy la raison : ils savent du latin,
ils se couchent fort tard et se levent matin.
Leurs femmes en ce point semblent interessées,
qui voudroient à loisir estre d' eux caressées ;
ils estiment si fort cet art de bien parler,
qu' ils pensent que nul prix ne le peut égaler,
et trouvent dans leur code, ou bien dans leur digeste,
qu' apres qu' ils sont payez on leur en doit de reste.
La vigilance nuit à celuy qui s' endort,
et qui n' a point d' avis, eut-il raison, a tort.
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Tout ce qu' il te plaira, mais l' argent y commande ;
à cause de cela ta faute en est plus grande :
les plus sages humains achettent le repos ;
quandme on leur tondroit la laine sur le dos,
ils ne se plaindroient pas, sçachant bien qu' en ce
monde
roule comme sur mer une onde sur une onde,
un malheur sur un autre, et qu' il en faut passer
quinze parmy quatorze, au lieu de plaidasser.
Assez gagne qui perd et les procés evite,
qui des plus grands seigneurs renversent la marmite,
empéchent de dormir, de plus brillent l' armet ;
bref, c' est un labyrinte où le diable nous met.
Plusieurs, comme l' on sçait, et soit dit sans
scandale,
se sont imprudemment jettez en ce dedale
plus broüillé que ce vieux, et Thesée y fust-il,
jamais ne s' en pourroit tirer avec son fil.
On les peut bien nommer une ruine, un gouffre.
Je veux que cela soit, mais faut-il que je souffre
qu' on ravisse mon bien sans contestation ?
Je n' y suis pas tenu, sauf ta correction,
si quelqu' un vient apres me demander le reste,
voyant que je suis bon et que je ne conteste.
On conseille aisément un malade estant sain ;
les moines plaident bien, chacun deffend son pain ;
eux deffendent encor le clos de l' abbaye,
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qui n' ayant plus de vin seroit bien ébahie.
C' est ma foy que, tandis que l' homme est icy bas,
il a guerre ou procés, querelles ou débas.
Plaider est un enfer, c' est ce que je confesse ;
je ne plaiderois pas, n' estoit que l' on m' en presse.
Me vois tu pas changé de celuy que j' estois ?
Toute nuit en dormant je ne réve qu' explois,
on ne trouve chez moy que pieces, que liasses ;
déja d' un grand plaideur j' ay toutes les grimaces,
j' en ay l' humeur, le teint, je suis palle et deffait ;
dés que je voy quelqu' un, je luy conte mon fait ;
s' il me veut obliger il me préte l' oreille
et m' entend jusqu' au bout, apres il me conseille,
me cite des arrests donnez en pareil cas ;
je n' auray tantost plus que faire d' advocats.
Pourquoy ? Je dresse bien moy-méme une requeste,
j' ay, comme mon pater, mon procés dans ma teste ;
j' use des mots de l' art, je mets en marge hîc,
j' espere avec le temps que j' entendré le chic,
que je me sçauray bien garder d' une surprise
qu' un maistre chicaneur feroit méme à l' eglise.
En procés plus qu' en guerre on tâche de tromper,
c' est où sans dire gare il n' est que de fraper ;
on prendroit aussi-tost Hercule sans massuë
que moy sans un gros sac dedans une coh.
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Pousse, plaide, aussi bien je voy que tu t' y plais ;
mais croy que l' on est sage en revenant des plaids ;
encor que l' on gagnast, ce n' est que la coustume,
quelque fin que l' on soit, d' y laisser de sa plume ;
j' en connois plus de trois qui s' y sont ruinez,
dont toutefois les gens ont esté condamnez.
Un plaideur, quand j' y pense, à cause de la mise,
est un homme qu' on met, quand il gelle, en chemise,
qu' on tire, qu' on dechire, et sa figure, amy,
ou son pourtraict au vif, c' est Sainct Bartelemy.
Je t' en parle en ayant la souvenance amere,
Dieu veuille que ce soit le ventre de ma mere.
SATIRE 13
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Non, je ne doy ces vers ny ces mots que j' attise
qu' aux vices de ce temps ou bien à la sottise ;
je n' en suis obligé qu' à l' indignation
que j' ay, voyant chacun suivre sa passion ;
c' est elle qui m' a fait quitter le paragraphe
pour, à Dieu n' en deplaise, estre satyrographe.
Nostre estomach chargé nous demande à vomir ;
si je ne rime un peu, je ne sçaurois dormir ;
tout ce qui me déplait, aussi-tost je le note,
ne fut-il question que d' un asne qui trote.
Je ne suis point de ceux qui croyent en Phebus,
sa flûte n' est qu' un conte et son feu qu' un abus ;
ma verve me suffit et mon humeur fantasque,
lors qu' à reprimander je veux lever le masque.
Je ne puis supporter les moeurs du champignon,
qui n' est pas noble et met la main sur le rognon.
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Avec les grands seigneurs il tient son rang et cause,
souvent, quod notandum, sans raison et sans cause.
Je ne puis deviner ce que l' on trouve en luy,
sinon que l' on fait cas des sots pour le jourd' huy.
On ne distingue plus le poly du barbare,
c' est infailliblement que le merite est rare ;
à grand peine entre mil en trouveroit-on un
qui fut tant seulement garny du sens commun.
Estes-vous avec eux, vous estes en gallere ;
on ne les change pas pour se mettre en colere :
le remede pour moy c' est de les voir bien peu.
Me viennent-ils trouver jusqu' au coin de mon feu,
pour de petites gens je n' en suis pas en peine,
car apres quatre mots je feins une migrene,
et je les plante là s' ils ne me disent adieu ;
sont-ils hors de chez moy, j' en rends graces à Dieu.
Encor si nous n' étions affligez que des bestes,
que la peur deschans ne fust point sur nos testes,
mais quoy, la violence est maistresse des loix,
et nous faisons la nique aux meurs des vieux gaulois.
Puisque les accusez se moquent de leurs juges,
Dieu ne devoit-il pas faire plusieurs deluges ?
Les sergens resolus, à leur confusion,
s' en retournent souvent avec contusion ;
qu' ils soient ce qu' ils pourront, je les plains quand
je pense
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que c' est au roy qu' en veut cette injuste licence ;
il cour un certain bruit qu' on la veut reprimer.
En prose mieux qu' en vers je pourrois l' exprimer ;
toutefois, parmy nous elle est si fort hagarde
que les petits enfans en vont à la moutarde.
Le plus foible, à present, ne montre sa vertu
qu' à ne point murmurer ayant esté battu ;
eut-il craché trois dents pour montrer sa constance,
ou craignant d' avoir pis, il n' en fait point
d' instance ;
que si c' estoit un grand qui ne l' eut qu' edenté,
il en remerciroit humblement sa bonté.
Or, la religion ne sert plus que d' un leurre,
nos gens font la pluspart à Dieu barbe de feurre,
la malice du temps adjoute aux sept pechez,
à quoy les confesseurs se trouvent empéchez :
pource qu' à nouveau mal nouvelle penitence,
le nombre est infiny des cas de conscience.
Ne pouvant expliquer en détail nos humeurs,
avecque l' orateur je crie : ô temps ! ô meurs !
Mon esprit genereux dans le travail se fâche,
et, censurant en gros, a peur de sembler lâche.
C' est au particulier que ce genre de vers,
l' estrillant à plaisir, fait voir s' il a des nerfs,
en dépit du censeur et de son écritoire,
si parfois en Lucile il ne rompt la machoire.
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On ne sçait tantost plus à qui se confier :
celuy que je tenois pour mon intime hyer,
à qui méme j' avois rendu quelque service,
m' a payé ce jourd' huy d' un fort mauvais office ;
l' homme que l' on croyoit estre tout plein d' honneur
s' est fait riche aux dépens de son pauvre mineur,
et va dans peu de temps faire ouyr un tel compte,
qu' on s' estonne comment il n' en rougit de honte ;
non pas moy qui jamais ne m' estonne de rien,
et qui croit comme il faut le monde gens de bien.
Nous ne connoissons plus le coeur à la parole,
qui ne sert quasi plus qu' à bailler de la colle.
Quiconque a de l' argent peut avoir des témoins,
et quiposeront selon ou plus ou moins ;
Pierre dira qu' il vit, encor qu' il fust à Rome,
Milon et cetera, c' est le tout que la somme ;
pourtant il fait le bon et s' est aquis bon bruit ;
sa tarde vertu ne porte que ce fruict,
et pource qu' il luy fait avoir le vent en poupe,
il en est plus friand que les moines de soupe ;
aussi jamais ne fit une bonne action
qu' à dessein d' attraper la reputation :
à qui le gouste bien, c' est le plus vain des hommes,
mais ce n' est pas un vice en ce temps où nous sommes.
Tel à son jugement parle plus doux que miel,
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l' autre se va disant cousin de l' arc-en-ciel,
ce nain se croit Atlas relevé de galoche,
ce noir pense estre blanc, l' autre aller droit qui
cloche,
Jacques est au pays en bon predicament
pour avoir sceu dicter à Jean son testament
en faveur de sa femme et de son adultere ;
ce fameux usurier bâtit un monastere :
pour exercer son vice avecque seureté,
il s' est mis à l' abri de cette charité ;
de ce que l' on croyoit, maintenant on en doute.
Que son cas iroit bien si Dieu ne voyoit goute !
Cét homme est déplaisant, que je n' ose nommer,
et qui fait ce qu' il peut pour se gentilhommer.
Ceux à qui l' on ne peut disputer la noblesse
ne laissent pas d' avoir je ne sçay quoy qui blesse ;
mais ils sont les plus forts, et de plus tous cousins :
malheureux le bourgeois qui les a pour voisins.
Ce n' est point sans raison qu' on dit à fou fortune,
puis qu' un berger, jadis, fut aimé de la lune ;
cette deesse aveugle avance des butors,
les choses d' icy bas ont d' estranges ressorts ;
au contraire il se voit que l' esprit nuit à l' homme,
et s' il a trop d' éclat, qu' il est cause qu' il chomme,
qu' il est tousjours suspect et qu' on le croit
brillon,
et, loin de l' employer, qu' on le met au billon.
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Le bas ou le moyen est propre aux monarchies,
il n' est que d' éviter aux fausses propheties.
Ces riches la pluspart ne sont que des jeans-cus,
qui mettent les sçavans au dessous des écus.
Les bons sont obligez, pour détourner l' envie,
de complaire aux méchans et de cacher leur vie,
et ceux-cy, pour montrer qu' ils vivent saintement,
ont dans leurs cabinets un nouveau testament.
Tousjours de quelque trait ce faux devot s' avise,
il change chaque jour de posture à l' eglise ;
le souffre qui voudra, j' en suis importu,
et je jurerois bien qu' il estja damné.
Autant qu' il a de trous, autant j' ay de chevilles :
qu' à d' autres hardiment il vende ses coquilles.
Je ne connois que toy qu' on ne puisse blasmer,
monsieur, que par respect je voudrois bien nommer ;
mais ce seroit laisser le train de la satyre,
dont la regle permet seulement de medire.
Il est bien mal-aisé de ler comme il faut,
monstrant une vertu, de cacher un deffaut ;
c' est où nos beaux faiseurs de harangues funebres
font voir que leurs esprits agissent en tenebres,
et sont cause, en prenant mal à propos l' essort,
que tel qui les entend se rit d' eux et du mort.
Donc, si l' on m' en croyoit, il ne s' en feroit guere ;
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il est vray que l' on peut déguiser la matiere,
c' est à faire aux tailleurs de suivre le droit fil,
à ce compte on doit peindre un borgne de porfil.
On peut bien appeller grand buveur un yvrongne,
il n' est pas deffendu de polir sa besongne.
SATIRE 14
Que tu t' acquiers d' amis en vivant de la sorte !
J' en connois de jaloux du respect qu' on te porte ;
jusqu' aux petits enfans, chacun dit bien de toy,
chacun te fait honneur, mais sçais tu bien pourquoy ?
Puis qu' il faut au besoin qu' un amy se declare,
monsieur, de mes conseils je ne suis point avare,
je te donne ceux-cy que tu dois ecouter,
et, s' ils te sont fâcheux, que tu peux rejetter.
Vois-tu ce complaisant, il se contraint soy-méme ;
s' il vouloit l' aver, ce n' est pas toy qu' il aime,
nyt autre qui sçait tellement deviner
qu' il se trouve tousjours à l' heure du disner.
Le papier souffre tout, aussi luy veux-je dire
que la soupe chez toy sans doute les attire :
la soupe de tout temps a de puissans appas ;
sans elle ces gens là ne te hanteroient pas,
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et n' étoit apres tout que tu tiens bonne table,
jamais ne te verroient, c' est chose veritable.
C' est elle à qui tu dois ces honneurs, et croy moy,
mais bien plustost fais en un article de foy.
Ne t' imagine pas que ce soit ton merite
ny ta vertu qu' on cherche, on court à ta marmite :
elle te donne plus de reputation,
de credit et d' amis que ton extraction,
que ta civilité, que ta modeste épée.
Qui ne sçait le pouvoir de Madame Lipée ?
La cuisine soutient, voire fait la grandeur,
nous n' en voyons que trop épris de son odeur ;
et tant plus à propos cette corde je touche,
que le coeur de plusieurs se gagne par leur bouche,
qui, de nôtre viande estant encore sous,
prendront nos interests et se battront pour nous ;
elle ne sera pas à demy digerée,
que leur affection parestra moderée ;
faillons à les traicter seulement une fois,
autant qu' ils estoient chauds ils nous sembleront
froids.
Il ne faut pas douter que l' art parasitique
ne soit encor en regne et n' ait sa rhetorique,
et son style, et ses mots, pour cajoller celuy
qui veut bien qu' on n' ait pas la goute aux dents chez
luy,
et qui hait que trop tost on cure la machoire ;
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apres graces Dieu but, on y demande à boire.
Le monde est maintenant remply d' écornifleurs,
et sont communs icy comme au prin-temps les fleurs.
Si je parle de toy, celuy qui te revere
s' écrie en me disant : " ô qu' il fait bonne chere !
Non, je ne pense point que, dessous le soleil,
pour soûler comme il faut je trouve son pareil ;
il se rue en cuisine avec un grand courage,
et, qui vaut mieux que tout, fait tousjours bon
visage. "
rien ne manque à son fait, je le croy fermement,
mais l' homme doit par tout montrer son jugement,
ou pour moins discourir faire le raisonnable,
car il faut ramener les bestes à l' estable.
Si tu ne veux loger aux petites maisons,
tu ne feras que bien d' entendre mes raisons,
voire de les gouster ; c' est l' extréme demence
de ne pas mesurer son bien à sa despence.
Ainsi fit Acteon, qui, mangé par ses chiens,
instruit ce haubereau, qui n' a que peu de biens,
de se passer de meute, et penser que le sage
sans parestre vilain son petit fait menage.
Antoine ton voisin, et de plus ton amy,
te dit assez souvent : " regarde le fourmy :
de ce foible animal l' action sans parole
à qui dépense trop est une bonne école. "
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quand tu n' auras plus rien ces dineurs s' en riront ;
ils te suivent par tout, et lors ils te fuiront ;
le bruit est tout commun que le rost diminuë ;
la cause outre cela n' en est que trop conn:
on a fait des arrests dessus ton revenu,
qui depuis quatre mois n' est quasi plus venu ;
il n' est plus de préteurs, si ce n' est sous bon gage ;
tu ne peux sans decret vendre ton heritage ;
faute d' argent content, le proviseurché
s' en retourne parfois sans poisson du marché ;
les attendans sont là qui n' ont pas faim de rire ;
voyant que l' heure passe et qu' on ne met rien cuire,
ils s' enrevont pleurans et pestans contre toy.
Voir pleurer un gourmand, c' est un plaisir de roy,
qui, quoy qu' un autre en juge et quoy qu' un autre en
die,
en excés de douceur passe la comedie.
Et pour vuider ce point, si toy-mesme t' es cher,
tu feras prudemment d' un peu te retrancher.
De grace, brisons là, ton discours m' importune,
les hommes ne sont pas maistres de leur fortune,
ils se laissent mener à monsieur le destin,
à me reprimander tu perdras ton latin,
et quand je dependrois mon bien en bonne chere,
à traitter mes amis, je ressemble à mon pere ;
si c' est vice, il me vient de sa succession ;
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l' homme est tousjours sujet à quelque passion ;
l' un se picque du jeu, l' autre est fou de la chasse,
l' autre d' une beauté ; que veux tu qu' on y fasse ?
De prodigue voulant me faire liberal,
dedans tes actions en es-tu plus moral ?
Et quoy ! Penserois-tu que chez toy rien ne cloche ?
Crois-tu que le bon sens soit tout dans ta caboche ?
Tais toy, je te connois, en peu je dis beaucoup,
ou je te fermeray la bouche tout d' un coup.
Est-ce assez de guetter les fautes au passage ?
Pour parler sagement crois-tu que l' on soit sage ?
C' est dequoy je te paye, et sur quoy je conclus ;
enfin, bran du précheur, ou ne me préche plus ;
ne sois plus mon censeur, à d' autres tes preceptes,
que je sçay mépriser autant qu' ils sont ineptes ;
des affaires d' autruy se rendant curieux,
outre qu' on fait le sot, on se rend odieux ;
donner apres cela des loix à sa cuisine,
celuy qui buvoit pot le reduire à chopine,
luy tailler ses morceaux, regler son appetit,
et sans considerer si son ventre en patit,
si ce regime là convient à sa naissance,
à sa condition, c' est un trait d' ignorance ;
les grands ne vivent pas comme font les petits ;
nos doctes cuisiniers cherchent nos appetits,
p125
nous aimons les ragous, nôtre bouche friande
se plaint à moins d' avoir tel jour telle viande.
Fay ce que bon te semble, épargne ou pers ton bien,
qu' on me baille le foit si je t' en dis plus rien ;
augmente l' ordinaire et mets tout par écuelles,
ou reveille ton goust par des sausses nouvelles ;
tu ne sers que dix plats, sers en vingt desormais,
appelle moy pedan si j' en parle jamais ;
et si j' eusse pensé te faire un deservice,
alors que je croyois te rendre un bon office,
au lieu de t' en parler je m' en fusse abstenu,
je voudrois bien avoir esté plus retenu.
Ton esprit justement a trouvé cecy rude,
dans l' humeur liberalle ayant pris habitude,
ou, quoy qu' il panche un peu vers l' excés vicieux,
c' est d' avoir trop de peur d' estre avaricieux,
contraire à ton voisin, d' ailleurs assez passable,
mais qui met rarement chez luy cousteau sur table ;
que si quelqu' un l' invite, il promet aysément,
et ce n' est pas le tout, il y va promptement ;
on l' oit crier tout haut : " veux-tu que l' on m' attende,
pendar, fils de putain ? " c' est ce que j' apprehende.
Si l' on se plaint qu' il tient un peu sa gravité,
pour le moins n' est-ce pas lors qu' il est invité.
De moy, comme tu sçais, si parfois l' on me traite,
p126
selon mes facultés je rends ce qu' on me préte ;
ne pouvant en dépence égaler un seigneur,
m' y gouvernant ainsi je l' égale de coeur,
et, n' estoit le respect, je ferois davantage ;
mais je veux bien qu' il ait sur moy de l' avantage.
Ainsi les plus discrets vivent en ces bas lieux,
on ne boit du nectar qu' à la table des dieux ;
suivant le bien qu' on a j' entens que l' on paroisse :
pourtant ce mal aisé fait le coq de paroisse,
tel a parfois cinq sols qui n' a pas un teston,
il faut garder en tout le gnati seafton ;
donc qui n' a qu' un teston dedans sa tirelire,
s' il marchande un brochet, appreste au monde à rire ;
puis chacun ne fait pas de banquets plein métier,
et n' a pas les (...) aussi gros qu' un mortier.
Ecoutant ma raison ou bien ma Calliope,
je n' imiteray pas la grenoüille d' Esope ;
pour durer plus long-temps je pense au lendemain,
et, craignant de tomber, j' ay tousjours bride en
main.
Basty comme je suis, pourveu que j' aye un livre,
de mes petits moyens je tâcheré de vivre ;
et puis à mon salut j' ay dessein de ver ;
si je me suis perdu, je me veux retrouver ;
les conversations aussi bien me deplaisent,
nous ne sommes trahis que par ceux qui nous baisent,
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en France un honneste homme à toute heure est bravé,
un sot avecque luy tient le haut du pavé ;
je voudrois de bon coeur estre comme Dedale,
car aussi-bien le monde a chié dans ma male.
SATIRE 15
Charles de ce qu' il voit, fut-il de consequence,
bien ou mal à propos veut dire sa loquence ;
mais ce n' est pas le tout, il en fait jugement,
et pense estre luy seul la cour de parlement ;
quoy qu' outre qu' il est asne il ait la teste folle,
il croit estre en sçavoir Pic De La Mirandole,
et dans son ignorance il se montre si vain
qu' il ne cederoit pas aux docteurs de Louvain ;
il ne doute de rien, de bond ou de volée,
de ce qu' on luy propose il dit sa ratelée ;
monsieur, il me déplait, je souffre quand je l' oy,
je l' approuve si peu que s' il pisse je boy ;
nature, qui jamais de bien faire n' est soule,
alors qu' elle le fist avoit perdu son moule ;
je veux, s' il n' est plus fou que le fou des échés,
que mes vers ne soient bons qu' à faire des sachés.
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Encor que les mortels soient d' uneme paste,
il semble qu' aucuns d' eux furent faits à la haste ;
les autres ne sont pas seulement achevez,
non plus que des tableaux ou des enfans trouvez ;
cependant ce sont eux à qui, dans son caprice,
le destin est si doux et le sort si propice,
qui regorgent de biens, qui crevent de santé,
et roulent puissamment dans la prosperité,
que le peuple revere et que le ciel avouë,
qui regardent les bons d' un carrosse en la bouë.
Moy qu' on appelle bon comme en me reprochant
que c' est faute d' avoir l' esprit d' estre méchant,
je suis cogne-fétu, jamais je n' eu la chance,
plus je travaille et moins ma besongne s' avance.
Estre perclus d' esprit et de corps contrefait,
c' est le moyen d' avoir toute chose à souhait,
le moyen de tenir la fortune en sa manche,
enfin d' étre nommé fils de la poule blanche.
Or celuy que j' entens, encore l' autre jour,
pensant m' étre fâcheux, me disoit de la cour
que c' étoit le portrait de cette vieille estable
qu' on ne curoit jamais, si l' on croit une fable ;
la retraicte du luxe et de l' impieté,
le lieu d'le mensonge exclud la verité,
l' agreable sejour de ces personnes vaines
p130
qui ne combattent point les passions humaines,
toute la finesse est d' étre bien vétu,
faire de vertu vice et de vice vertu ;
pour un bon discours on fait une grimace,
dans un petit esprit d' une grande efficace ;
le plus franc devot ne doit pas seulement
montrer son chapelet, s' il a du jugement ;
bref, où Messire Jean n' a quasi point à faire
de son gros manuel ny de son gras breviaire ;
le religieux devient tout libertin,
l' impudicité glose sur L' Aretin ;
l' on trahit, l' on tuë, ou l' on fait gloire d' étre,
lors qu' il en est besoin, témoin contre son maistre ;
les plus innocens joüent au boute-hors,
et croyans s' avancer font de mauvais rappors ;
l' on ne peut juger des meurs par le visage,
le dernier venu deguise son langage ;
fust-il d' aupres Suresne et le fils d' un païsan,
il parle barragoüin pour sembler courtisan ;
pour trouver la fortune il va souvent au Louvre ;
qu' un seigneur le salue, il luy dit qu' il se couvre ;
ayant mangé du fruict de l' arbre deffendu,
on le verra bien-tost faire de l' entendu ;
c' est-là que le respect se tourne en impudence,
parler comme on vit c' est la mesme imprudence ;
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on n' y peut reussir qui n' est dissimulé,
et pour cette raison je n' y suis pas allé.
Une mere y produit fort librement sa fille
à ce riche baron qui la trouve gentille ;
cela se fist jadis, et se fera tousjours,
l' argent en fait d' amour vaut mieux que le discours ;
une putain se rit d' un gueux qui la cajolle,
il s' en ira sans faire, eut-elle la verole ;
ce n' est pas deshonneur d' estre là maquereau
et faire aupres d' un grand le valet de carreau,
ny d' estre à son lever, ny luy baiser la botte,
luy ramasser son gand, le benir quand il rotte ;
s' il recitoit ses vers, pour enfler le ballon,
luy jurer qu' ils sont faits comme ceux d' Apollon ;
en toute occasion il entend qu' on le louë,
tant s' en faut qu' il s' en fâche encore qu' on le jouë ;
on se moque à la cour des conscientieux,
on n' y parle jamais du royaume des cieux ;
n' aille là qui veut faire avec dieux paix ou tréve,
qui ne sçait dire f... et le diable m' enleve.
Voilà ce qu' à peu prés luy dictoit son esprit.
Prenez qu' il m' ait baillé son dire par écrit ;
voyons si le bourgeois est hors de la censure,
et si du villageois la flute est sans ordure,
si par tout hors la cour, la grace du bon Dieu,
p132
le vice tout confus n' a plus ny feu ny lieu ;
si ce n' est que candeur, que bonté, que franchise,
si l' honneur est au front ou bien sous la chemise ;
examinons le tout avec syncerité,
et, nous deut-on hayr, disons la verité.
La cour est vicieuse, et toutes ces villotes
sont exemptes de vice aussi bien que de crottes ;
si ce n' est à la cour toutes choses vont bien :
le croye qui voudra, pour moy je n' en croy rien ;
il s' y fait de bons tours, le voisin prend querelle
avecque le voisin souvent pour l' amour d' elle,
le parent du parent est souvent ennemy,
la trahison s' y voit avec son front blémy,
et la mauvaise foy roûle dans le commerce,
la coquette souvent y tombe à la renverse ;
j' ay veu qu' on s' y traittoit par an au plus deux fois,
et qu' on ne s' y saouloit que la veille des rois ;
maintenant tous les jours les debiteurs convient
mesme leurs creanciers, qui de peur s' en conchient ;
parmy la pauvreté regne l' ambition,
l' habit ne convient plus à la condition ;
la femme d' un sergent, et ne fust il qu' à verge,
porte des cotillons qui ne sont plus de serge :
je veux qu' on les luy donne, on connoist aisement,
disoit Menot, sa vie à son habillement ;
p133
si son mary se plaint qu' elle passe les bornes,
à quoy cela sert-il qu' à découvrir ses cornes ?
La discorde y demeure et son fils le procés,
les petits habitans y font de grands excés,
et leurs femmes aussi par trop de braverie :
or cela proprement n' est qu' une singerie
des habits, des façons, des modes de la cour,
qu' ils prennent aussi-tost, mesme à dire bon jour ;
si l' on boit à la cour, voire si l' on s' enyvre,
ils s' enyvrent aussi, car la cour est leur livre,
et la vont imitant pour se faire estimer,
aussi ne croy-je pas qu' ils la veüillent blâmer.
Que si par grand miracle elle devenoit sainte,
comme un bon jesuite en ses discours l' a peinte,
si quelque courtisan, pour faire le miclot,
s' habilloit simplement, n' osoit dire un bon mot,
si par raison d' estat il jeunoit le caréme,
nos gaillards citadins en feroient-ils deme ?
Ils s' en garderoient bien, car leur style anomal
est de Frere Lubin, qui n' estoit bon qu' au mal.
à la campagne, idem, aux bourgs, dans les villages,
à Rouën, à Lyon, les fous ne sont pas sages,
le nombre en est si grand que c' est bien se flâter
et montrer qu' on en est que ne s' y pas conter.
Estans donc tous sujets à mesme maladie,
p134
à s' entre-pardonner que chacun s' étudie ;
je ne veux pas nier qu' en de grandes citez
il ne se fasse encor plus de chancetez :
dans le vaste ocean plusieurs ont fait leur biere,
on s' y noye plustost que dans une riviere ;
le mal selon les lieux a ses proportions,
mais il regne par tout dans les affections ;
c' est erreur de penser que la cour le limite,
il se cache parfois sous un manteau d' hermite,
parfois sous une aumusse, ou bien sous un rochet :
c' est pourquoy les plus fins sont pris au trebuchet ;
Guillaume le commet aussi bien que messire,
tout le monde subit le joug de son empire,
il prend de l' un à l' autre, et par contagion
son venin se repand en toute region.
C' est donc par verité, plustost que par caprice,
qu' on tient que tout habit est fourré de malice,
autant le chaperon que le demoiselin ;
on ne derobe pas seulement au moulin,
on derobe par tout, on assassine, on trompe ;
on diffame la cour à cause de sa pompe,
dont l' éclat ébloüit ce veau dont je parlois,
à qui pour la vanger j' ay baillé sur les doigts.
Mais il vaut mieux finir cette sotte dispute,
le discours d' un brutal soy-mesme se refute.
SATIRE 16
p135
Tu fais tousjours l' amour à cette jeune dame,
sans sçavoir si son bas est de soye ou d' estame,
elle t' a si bien sceu tenir le bec en l' eau
que pour te châtier il faudroit du bouleau.
Amy, je ne croy point qu' il se trouve demence
telle que de servir long-temps sans recompence ;
on sifle justement ta folle passion,
qui veriffie en toy la fable d' Ixion ;
non pas moy qui, gueri de méme maladie,
medecin charitable, il faut que je te die
qu' un homme est fol sublin, qu' un homme est fol royal,
qui fait sans esperer gloire d' étre loyal ;
nous devons seulement aimer ce qui nous aime,
le fasse qui voudra, pour moy j' en fais de mesme,
et d' un amour ingrat, sterile et sans progrés,
aux dames sans mercy je leur casse du grés,
p136
fors à celle que j' ay dans l' esprit imprimée,
tellement que je l' aime, et l' ay tousjours aimée,
par inclination plustost que par devoir ;
je ne suis pas aveugle, et je ne la puis voir ;
ou son merite est grand, ou ma passion forte,
puisque sans m' en lasser je l' aime de la sorte.
Estant maistre en cét art, c' est à moy d' en parler ;
entre amis, comme on dit, il ne faut rien celer.
C' est donc que je servois jadis une fillette,
mais qui ne couroit pas encore l' eguilette ;
durant qu' elle m' aima je luy garday la foy ;
voyant qu' elle en aimoit tant d' autres plus que moy,
que sa flame s' estoit renduë universelle,
apres, sauf vôtre honneur, avoir dit f... d' elle,
maugré-bieu de la louve et de la chienne avec,
ce qu' on oit à Roüen sur le pont de Robec,
et moy de me tirer doucement de la presse,
je n' ay plus eu depuis d' ange ny de maitresse ;
donnant certaines loix à mon affection,
de peur de retomber j' ay fuy l' occasion ;
amour pour me blesser vuide s' il veut sa trousse,
la pointe de ses traits contre mon coeur s' emousse,
on ne me verra plus au rang de ses soudars,
je puis sans me brûler soutenir des regards ;
en l' estat où je suis je me ry de ses forces,
p137
et je baise les mains à ses douces amorces ;
Dieu mercy que je prends en repos mes repas ;
qu' on ne me parle plus ny d' attraits ny d' apas ;
j' ay tousjours méprisé la puissance des charmes ;
depuis que ma raison a pris en main les armes,
qu' amour ne trotte plus dans mon pauvre cerveau,
et que mieux avisé j' ay défait son bandeau,
j' en vaux mieux de beaucoup ; du jour que de le suivre
j' ay cru que j' étois fous, je commence de vivre.
Alors que je tenois de t enfant ailé,
j' avois l' esprit perclus et le ventre opilé,
si bien que, si j' allois parfois à mes affaires,
c' étoit par le moyen des bons apotiquaires ;
je passois bien souvent la nuit sans clorre l' oeil,
et sans gouter au lit les douceurs du sommeil ;
mais, quand il m' en souvient, que j' étois maigre et
palle !
Que j' avois l' ame triste et l' humeur inegalle !
L' un, comme je revois, disoit : " je vous apprens
que vous révez bien fort " ; l' autre : " je vous y
prens. "
on connoit, à present que j' ay meilleur visage,
que c' est que je suis hors de l' amoureux servage ;
si je ne mangeois point, je suis un grand mangeur,
je ne suis plus lochez Guillot le songeur,
et je dors maintenant sur l' une et l' autre oreille,
jusques à me fâcher si quelqu' un me réveille.
p138
Ton mal est si plaisant que tu le veux nourrir,
et l' on te desoblige en te voulant guerir :
chacun a sa façon d' interpreter les choses,
les sots en leur chemin ne treuvent que des roses.
Tu ne fais que languir, tu n' as plus de vigueur,
si ce n' est pour souffrir constamment sa rigueur,
qui croist de jour en jour et tousjours devient pire ;
puis qu' elle te plaist tant, adore son empire,
demeure son vassal, croy la belle à ravir,
et prens en payement l' honneur de la servir ;
sois content de ton sort, c' est assez que tu l' aime ;
au lieu de te piquer de son pris extréme,
et de tant de refus qui m' auroient dégouté,
n' en sois pas moins gaillard pour estre mal traité ;
ne te lasse jamais d' oüir cette mauvaise
te dire en rechignant : " vous me gasté ma fraise " ,
ou : " vous me chiffonez, vous n' avez rien mis là ;
ma foy, je ne prens point de plaisir à celà. "
pense, pour confirmer ton ame dans sa peine,
que c' est une venus et qu' elle passe Helene,
et, loin de te resoudre à te desabuser,
croy qu' un tel qui fait tout ne l' oseroit baiser,
qu' elle se montre à tous également cruelle,
et que sa chasteté sans doute la rend telle ;
ne t' y gouvernant pas en homme de sçavoir,
p139
fay luy de grands presens seulement pour la voir ;
console toy souvent dessus ce grand merite,
estime à son égard ta peine trop petite,
et, fust-elle pareille à celle d' un damné,
prens que sur ton procez j' aye mal opiné ;
dy qu' inutillement à t' affranchir j' essaye,
puisqu' une bonne mine ou qu' un souris te paye,
que ton ame avec elle a cette paction
de donner son tourment à sa perfection ;
qu' elle te soit humaine ou qu' elle te mal traite
de ne penser jamais à faire la retraite ;
que tu benis ta chéne et cheris ta prison,
lors qu' on t' en veut oster qu' on te fait trahison ;
en y tâchant, au lieu d' employer bien sa peine,
qu' on ne travaille à rien qu' à s' acquerir ta hayne.
Comme un fou de jadis au mal habitué,
quelqu' un t' eut-il gueri, dis luy : " tu m' as tué. "
il faut bien que tu sois d' un naturel estrange
de raisonner ainsi ; pour moy, j' irois au change ;
c' est le style dont j' euse, et dont on doit user ;
l' on ne gagne rien, que sert de l' amuser,
de soûpirer cent ans pour une ingrate flame,
à moins d' estre tenu sans esprit et sans ame ?
Resou-toy d' essuyer chaque jour un affront
de l' homme que tu veux faire cerf par le front,
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et ne t' apperçoy pas que le monde se moque
de ta belle amitié, mais non pas reciproque ;
sans espoir d' aucun bien serviteur langoureux,
pends-toy pour l' amour d' elle encore trop heureux ;
et puisque ta raison est hors de ta cervelle,
que tu ne sçaurois plus rien faire selon elle,
ne t' imagine pas que tes travaux sans fruit,
en dissipant ton bien, te donnent mauvais bruit ;
pers le soin de regler ta famille confuse,
et cours avec Alfée apres cette Aretuse ;
le berger amoureux neglige son troupeau,
l' advocat pour aimer ne va plus au barreau ;
son étude est de plaire à sa maistresse, en somme,
ce diable d' exercice ambarasse tout l' homme.
Il n' en faut point mentir qu' un amant tel que toy,
actif et diligent, est tousjours dans l' employ ;
il voit un confident, il compose une lettre,
ou consulte au matin quel habit il doit mettre,
si son rabat est bien, sa barbe, ses cheveux,
s' il doit perseverer, s' il doit changer de voeux,
ou s' il se moquera de la perseverance,
se jettant comme Hylas dedans l' indifference,
ou bien quitter l' objet vainement essayé,
et dire à l' obligeant : " tant tenu, tant payé " ;
il songe si sa peine est assez reconnuë,
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ce qui peut arriver s' il ne la continuë,
pour s' entretenir seul il cherche un lieu secret ;
tantost il se repent d' avoir esté discret,
tantost il se reprend de trop d' effronterie,
ne sçait apres s' il doit changer de batterie,
s' il ira voir son ange, ou s' il s' en abstiendra ;
s' il se resoud d' aller, quel propos il tiendra ;
quelle mine il fera si le mary s' y trouve,
afin qu' aucunement la visite il approuve,
et qu' il ne montre point cette froide façon
ny ce mauvais accueil qui fait quitter l' arçon,
et le feroient sortir avec sa courte honte ;
puis on descent tousjours plus vite qu' on ne monte ;
de quatre mois apres il ne se reverroit,
au degré de bon-heur dont lors il tomberoit.
On feroit bien de luy, lors qu' il sert une garce
qu' il croit ne l' étre pas, une plaisante farce ;
et, vivant dans l' erreur qu' elle est contente d' un,
il pense boire seul, et le puis est commun.
C' est chez elle qu' on dit, sans égard qu' à la somme :
riche vilain vaut mieux que pauvre gentilhomme.
Une femme de bien luy fait d' estranges coups,
et puis, au bout du conte, on en devient jaloux,
le caquet des voisins sans cesse le traverse.
Quand j' étois des marchands, il troubloit mon commerce.
p142
Une tante, une soeur, y prenant interest,
les parens assemblez font donner un arrest
par lequel est ju que ta dame presente
recevra chastiment si plus elle te hante.
ô dieux ! Quelle disgrace, elle rend malheureux
un homme au pro rata qu' il estoit amoureux ;
on le voit plus penaut que n' est un bouc qu' on châtre ;
son barbier pour ce mal n' a point de bon emplâtre ;
bref, qu' il est si cruel qu' on ne peut sans l' avoir,
du moins sans l' avoir eu, quel il est concevoir.
Le change l' adoucit, c' est ce que je t' accorde,
mais c' est bien le plus court d' acheter une corde.
Aujourd' huy bien receu, deux jours apres exclus,
l' amour, comme la mer, a son flus et reflus,
ses vents bons et mauvais, son calme et sa tempeste.
Encore tout moüillé j' en sors et t' amonneste :
confession utile à moy qui m' en repens ;
c' est à faire à cela, sois sage à mes dépens.
SATIRE 17
p143
Croirois-tu bien, monsieur, que de pie ou choëte,
à force de réver, je deviendré poëte,
et mome m' avoüra, car mes vers rimeront,
en passant à tous ceux qui ces lettres verront,
pour témoigner au moins qui je les fais sans peine,
et que je suis sans choix aussi bien que sans veine,
et qu' en peignant le vice avecque du charbon,
comme à ces pauvres gens on voit que tout m' est bon.
Que je hay ces chevaux qui n' ont point de jugeoire,
qui ne sont attachez qu' à la grande mangeoire,
ou tirent nuit et jour au commun ratelier,
et n' ont ny sentiment ny goust particulier !
Ils vont le grand chemin de Paris et d' Amboise ;
toutefois en préchant ils citent Saint Ambroise,
Saint Augustin aussi, pour ce qu' aucun sermon,
s' il n' est lar de luy, n' est jamais trouvé bon.
p144
Mais, las ! Dieu sçait comment ils baillent la torture
lors qu' ils l' appliquent mal à la sainte ecriture ;
voire presque tousjours dégarnis de conseil,
prennent Marc pour renard, et Paris pour Corbeil.
C' est assez qu' en discours on montre une abondance,
qu' elle n' importe pas, car tousjours va qui dance ;
qu' on prouve qu' en doctrine on est des mieux fondé.
D' autres dans le barreau n' ont pas si tost plaidé,
pource qu' ils plaident mal, qu' aisement on ne voye
que le juge en son coeur en fait des feux de joye.
Mais, puis qu' il vient à point, moquons nous icy d' eux,
on se peut dégoiser lors que l' on n' est que deux.
Ils ont estudié durant la chere année,
de trois brocars au plus leur science est bornée,
et, ne leur en plaise, ils ont si peu d' acquis
qu' on leur oit à tous coups citter la loy si quis,
en cas qu' elle leur manque ; un certain paragraphe,
c' est dequoy l' on pourra faire leur epitaphe.
S' ils disent du latin en quelque plaidoyer
ou dans quelques écrits, ils s' en font bien payer,
et font bien, attendu le peu qui leur en reste,
qui n' est que de cuisine, et non pas du digeste.
Du digeste ? Et comment ? C' est celuy dont tu vois
les doctes si frians qu' ils s' en lechent les doigts ;
le moindre mot du moins en vaut une pistole.
p145
Ces asnes seulement n' entendent pas bartole,
c' est la vanité méme et la presomption,
encor qu' ils fassent honte à leur profession ;
or ils ne laissent pas de plaider une cause,
d' expliquer à leur mode une douteuse clause,
et mentir sans scrupule en arracheurs de dents,
pour déguiser le fait au nez des presidents.
Ils n' ont de tous les dons que celuy d' impudence,
qui supplée au deffaut de la jurisprudence.
Bien qu' aux vrais advocats ils servent de joüet,
tousjours dans leur estude ont ils Monsieur Louët,
pont aux asnes du temps et refuge commode
à ceux qui ne sont pas trop familiers du code,
les secrets motifs de la cour sont touchez,
et les beaux points de droict se trouvent tout machez.
Un chicaneur brillon, dans son humeur bachique,
mastine estrangement ce recueil mirifique,
et l' adapte si mal au fait de son procés
que c' est un grand hazard s' il en a bons succés.
Chacun de son métier s' estime fort capable,
tel n' y sçait que des boeufs qui fait le venerable.
Le nom qu' on donne à l' art contente un esprit vain ;
Thyrsis estoit berger aussi bien que Sylvain ;
tout cheval est cheval, et fust-ce une mazette :
témoin ce medecin qui n' a qu' une recette.
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La qualité fait tout, et de telle façon
qu' un advocat fust-il plus muet qu' un poisson,
il se croit neantmoins un autre Demostene,
ou celuy qui faisoit de sa langue une chéne.
Si tost que le galland a bû tanquam sponsus,
il croit estre un Arnaut, voire encor au dessus,
et qu' il s' aquittera fort bien d' une harangue,
apres qu' il a torché sa barbe de sa langue.
Selon l' esprit qu' on a, foible, fort ou perclus,
on croit asseurément valoir ou moins ou plus ;
les discrets en sontde penser que c' est vice,
quoy qu' ils se trouvent beaux de s' aimer en Narcysse.
Ce regent de logique, en se nommant Crassot,
s' aime dans un excés qui fait crier au sot.
Se faut-il estonner de voir de sottes ames,
au siecle qui produit tant de petites dames,
dont le train, l' attirail, le coche et le cocher
sont tels que pour bien rire il les faut voir marcher.
Dans tout ce qui se passe, et qui parfois m' irrite,
c' est un bon-heur pour moy d' estre un peu Democrite.
Que je hay ce pleureur misericordieux !
Et d' où pouvoit couler tant d' humeur à ses yeux ?
Qu' est-ce que font les pleurs que secher la cervelle ?
Un ris, non d' hostelier, soulage la ratelle.
Tel, mediocrement és lettres avancé,
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plus qu' Adrian Turnebe y croit étre versé ;
s' il se méle de vers il se prend pour un cyne,
ou bien pour Galien s' il juge d' une urine.
Qu' on ne luy parle plus d' estudier : pourquoy ?
Tout ce qu' il faut sçavoir, il le sçait sur le doy ;
la mediocrité ne peut estre dorée
de beauté, de sçavoir, ny de soupe embeurée ;
comme pour estre riche il faut beaucoup de bien,
s' il faut ainsi parler, qui sçait peu ne sçait rien ;
chacun sera content de la beatitude ;
à leur compte, il en va de mesme de l' étude,
non au mien, qui connois, grace à Dieu, mes deffaux,
et qu' on voit rechigner quand on me louë à faux.
Il est, à mon advis, en ce temps où nous sommes,
beaucoup d' étudians et peu de sçavans hommes,
comme il est peu d' elus et beaucoup de damnez.
Mais je voudrois quasi n' avoir pas tant de nez,
ou point de gout du tout, pour trouver toute chose
bien faite et bien écrite en rime comme en prose.
Que me doit importer que Jacques soit sçavant,
et dans ses actions quel bout aille devant,
qu' il soit fornicateur ou qu' il soit adultere ?
Je n' en doy discourir ainsi que d' un mystere ;
son estat et sa robe, ou sa condition,
obligent ma satyre à la discretion,
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et, contre sa nature, en celant son offense,
de jetter sur ses meurs le manteau du silence.
Il est fort peu de gens de tout point accomplis,
mais il faut, et pour cause, épargner le surplis ;
aussi bien, de quoy sert et censure et caprice,
puis qu' il est tout certain que chacun a son vice ?
C' est vrayment ce qui fait qu' en reprenant autruy,
je me repute encor plus coupable que luy ;
et, si la charité n' ouvre mon écritoire,
comment puis-je esperer qu' elle soit meritoire ?
On auroit plustost fait de ne plus censurer,
de voir tout, ouyr tout, et de tout endurer.
Qui préche bien souvent écrit dessus le sable,
en vain l' on drogue un mal quand il est incurable.
Je suis trop délicat en matiere d' esprits,
s' il en faut venir là que chacun vaut son prix.
Plut à Dieu que tout homme eut, suivant son merite,
honneur en son pays, et credit, et marmite ;
que l' on fit plus d' estat d' un homme que d' un veau !
C' est faire voir que j' ay trop de vuide au cerveau.
Les bons et les mauvais, le peuple, la canaille,
les asnes, les sçavans, sont comme rats en paille ;
ce n' est pas d' aujourd' huy qu' on vit confusément,
qu' on ne separe point le segle du froment.
Bestise de vouloir changer le train du monde,
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chacun en son sens, ainsi qu' il croit, abonde ;
il suffit d' y sçavoir bien jer son rollet ;
les meilleurs bien souvent y brident le mulet,
sont pauvres, endetez ; en toutes leurs affaires,
comme dessus la mer, ils ont les vents contraires ;
les puissans vicieux ont le temps et l' argent,
et jamais à leur porte il ne frape sergent ;
ils sont considerez, tel les hait qui les flate :
je croy bien, il a peur de tomber sous leur pate ;
s' il les fâchoit, fut-il plus habile cent fois,
qu' on le chargeat de coups comme un asne de bois.
Voilà leur procedé, c' est ainsi qu' ils en usent ;
qui les accuse est fou, les juges les excusent ;
Dieu sçait comment par eux le droict est debité :
ils choyent grandement les gens de qualité ;
demandez leur raison de leurs excés, ils geignent,
ou vous écoutent mal : c' est, ma foy, qu' ils les
craignent.
Les petits sont blamez, les grands n' ont jamais tort ;
ceux-là sont chastiez, pour ceux-cy la loy dort,
et la pluspart du temps c' est, ma foy, la personne,
non pas le plaidoyer, qui fait la cause bonne :
la force et la raison ayans quelque débat,
on voit que celle-cy ne rend plus de combat.
Je me tiens malheureux d' avoir l' ame sensible
au point de faire voir par trop son iracible,
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car, quoy que tout cecy marche sans rien nommer,
je me fais neantmoins bien plus craindre qu' aimer ;
tel m' est fort inconnu qui pourtant s' interesse,
croyant que c' est à luy que le paquet s' adresse ;
si je peins un larron, ses compagnons, dés-là,
regardant son portraict, se disent : " me voilà. "
c' est ce qui m' en déplait, je ne sçaurois qu' y faire ;
j' ay, comme les putains, de la peine à me taire ;
apres que j' ay parlé, je ne suis pas content ;
je prens la plume en main presque tout à l' instant,
afin d' enregistrer la derniere sottise
qui m' a choqué l' esprit, mesme dans une eglise :
car il est tant de sots par tout qu' en bonne foy,
je suis, pour n' en voir qu' un, le plus souvent chez
moy.
Au palais, un plaideur me vient rompre la teste
d' une commission ou bien d' une requeste ;
au Louvre, un courtisan, non pas original,
pour faire l' entendu, blâme le cardinal ;
vous n' ozeriez sortir seulement dans la ruë
que d' un mauvais discours un fascheux ne vous t;
les coquins aujourd' huy sont en possession
de porter les cheveux plus longs que Clodion ;
voire encore qu' ils soient plus poltrons que des
vaches,
pour faire les vaillans ils ont de grands pannaches ;
au reste, ils sont bastis et couvers tellement
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que l' on ne sçauroit d' eux faire un bon jugement ;
c' est faire prudemment que fuyr leur voisinage
et vendre à cette fin plustost son heritage :
je donne le conseil que je prendrois pour moy,
qui change de couleur si tost que je les voy.
Dieu garde le seigneur de mal et de fortune
que l' un d' eux voit chez luy, c' est à dire importune :
il ne fera que bien de fuyr ce campagnar,
dont le compliment mesme est un coup de poignard.
Il est tant d' autres maux que qui trop les epluche
et trop les examine en peut devenir cruche.
Pour voir beaucoup de fous, tant jeunes que grisons,
il ne faut plus aller aux petites maisons :
elles sont en tout lieu, puis que l' on s' y comporte
comme si la raison n' étoit plus la plus forte ;
le monde est un pays où l' on vit à tastons,
pourtant les quarts d' écus n' y valent pas testons.
Jean fait cas de l' honneste, et se range à l' utile,
quoy qu' il aille au sermon et lise l' evangile.
Que Socrate ait jadis, et son sage troupeau,
trouvé la pie au nid et la féve au gasteau
quand à bien discerner le vray de l' apparence,
ce Jean, quand au sçavoir, luy doit la deference,
et luy rend par devoir, et non point en lourdaut :
il est parisien, et, notez, point badaut ;
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mais l' interest le pique, une demy-pistole
plus que douze sermons sa faim d' avoir console ;
il ne souhaite point d' estre plus grand qu' il n' est,
sa volupté consiste à faire un bon aquest ;
pourveu selon la chair qu' il soit fort à son aise,
qu' il baille son argent à rente au dernier saise,
et soit riche en milour, nullement oberé,
entre les gens d' honneur un peu consideré,
il ne se fâche point que le monde le sifle,
qu' il méprise son jeu, pourveu qu' il ait mornifle.
Je l' oy bien souvent dire, estant avecque luy,
qu' il se porte appellant des jugemens d' autruy,
et que c' est devant luy que l' appel s' en releve,
" je me fais, dit-il, justice bonne et breve ;
que l' on parle de moy d' une et d' autre façon,
que l' on en face un hymne ou bien une chanson,
c' est, entre vous et moy, dequoy je me soucie
aussi peu que d' un pet ou que d' une vessie. "
il se moque de nous, qui lisons jour et nuit,
sans que de ce labeur nous revienne autre fruit
qu' un sçavoir qui nous porte un si grand prejudice
qu' il nous faut avoüer qu' en trop prendre est un vice.
Luy ne veut rien sçavoir que ce qu' il sçait : et
quoy ?
Que pour estre honneste homme il faut avoir dequoy.
Ces beaux sçavans de chien, s' en est la diablerie,
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n' ont pas dequoy sortir de leur hostelerie ;
c' est merveille comment ils sont si glorieux.
Mais ne dira-t' on point que je suis fait comme eux,
pource que ce discours, et sans fin et sans cesse,
de propre, d' accident, et de genre et d' espece,
de l' infini de me, et du temps et du lieu,
je voy d' une vertu les bouts et le milieu,
et parle, aussi correct que Robin de tulipes,
des secrets de nature et de ses deux principes ?
Le vin se porte mal dans unchant vaisseau :
aussi fait le sçavoir dans un foible cerveau ;
un homme en sceut-il plus que n' en sceut Heredote,
ou que Baronius, s' il n' est bon, il radote.
Estant jeune advocat apres estre docteur
et voyant qu' au barreau je n' étois qu' auditeur,
que d' autres moins sçavans plaidoient pour les parties,
moy de jetter le froc par depit aux orties,
detester le bonnet, n' aller plus au palais,
l' on m' eut pris souvent sans cause et de relais,
ne considerant pas que tant d' autres de méme
estoient là plus oisifs que bouchers en came.
Depuis le roy m' a fait ce que je suis encor,
mais on plaide si peu que c' est le siecle d' or ;
si Saint Georges bien-tost ne fait place à Saint
Yves,
à force de repos nous aurons les avives.
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Que diable sert cela pour dire unchant mot ?
Ce discours trop long-temps tourne à l' entour du pot ;
il n' est pas de mon cru, la pomme est tousjours
pomme ;
mais l' homme, de par Dieu, sans lettres n' est pas
homme :
c' est pourquoy l' on me voit souvent un livre en main,
pour me former l' esprit, soit grec ou soit romain.
Si je ne gagne guere à la judicature,
c' est que le peuple est pauvre et que la guerre dure.
Ce n' est pas le profit qui mene un juge entier,
c' est l' honneur seulement, bon en autre métier ;
et si mes jugemens ont le goust de saucisses,
demande-tu pourquoy ? C' est qu' on vent les offices.
Un juge, quoy qu' il fist, avec un petit gain,
s' il n' avoit autre chose, il periroit de faim.
Chacun achette et vend, noble et vilain trafique ;
tout le monde n' est rien qu' une place publique.
SATIRE 18
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Prince dont la valeur tout l' univers admire,
qui du cours du soleil va borner son empire,
pour vous rendre l' hommage, honneur des triomphans,
je vous offre mes vers, ou plustost mes enfans.
Qu' ils soient ce qu' ils pourront : c' est tout ce que
ma peine
depuis plus de vingt ans a tiré de ma veine.
On ne demande point, lors qu' on voit un tableau
qui donne dans la veet que l' on trouve beau,
quel temps l' excellent peintre auroit mis à le faire,
estant vray que cela ne fait rien à l' affaire.
Mon bon ange m' a dit, monarque florissant,
sous qui le siecle d' or nous voyons renaissant,
que, si vous jettez l' oeil sur ce bizarre livre,
c' est infailliblement ce qui le fera vivre.
Il fait la guerre au vice avec affection,
p156
et c' est vous qui glosez sur la perfection.
Avoüez mes escrits, dont l' utile amertume
empéche le debit et fait haïr ma plume.
Un recipé trop dous ne sçauroit operer,
c' est ce qu' il ne faut pas seulement esperer.
Il est vray qu' à l' instant qu' une satyre flatte,
elle n' est plus satyre : il vaut mieux qu' elle batte.
Chaque genre de vers est sujet à sa loy,
qu' il garde exactement s' il est de bon alloy.
La mienne est supportable en son extravagance ;
on y peut remarquer un deffaut d' elegance
et de suite au discours, où son esprit subtil
veut bien que pour le mot on en perde le fil :
quand je parle du mot, j' entend le mot pour rire,
qui frape les grands cous dedans une satyre,
beaucoup plus decisif que l' aigre ou serieux,
alors qu' il nous surprend et qu' il nous saute aux
yeux.
Horace, qui le mal excommunie en bulle,
en un de ses sermons le nomme ridicule.
Je n' ay pas tant besoin d' un style relevé
pour faire le crayon d' un sot sur le pavé
et donner une atteinte à ce mignon de ville,
à ce tuteur suspect qui mange son pupille,
à celuy qui n' est pas si bon que je pensois
et se met dans le ciel plus haut que S François,
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au pretendu seigneur, à cette demoiselle
que l' on appelle dame, et n' est riche ny belle.
Suffit comme entre amis tout simplement causer,
sans monter sur Parnasse et là peindariser
ô que ce m' est assez que le peuple m' entende,
et que sur le Pont-Neuf un libraire me vende,
qu' une fois seulement je sois leu de mon roy,
sans me persuader qu' il fasse cas de moy !
Il ne m' importe pas que les autres me lisent,
qu' ils approuvent ma rime ou bien qu' ils en medisent,
qu' ils en fassent un bon ou mauvais jugement :
c' est à quoy je ne veux former empéchement.
J' y serois bien venu si je pensois deffendre
qu' un plus asne que moy n' eut pas à me reprendre,
si j' esperois des dons ou bien des grand-mercis,
plustost que des lardons, de ceux que j' ay noircis.
Un adultere hait celuy qui le sermonne,
tousjours un huguenot en veut à la Sorbonne.
Si je fais bien ou mal, chacun en peut juger ;
je ne suis point de ceux qui se font proteger,
et je ne m' attens point qu' un vicieux m' achette.
Les chiens courent apres les pierres qu' on leur jette.
Repris, pour se vanger il me va reprenant ;
ouy, mais tout ce qu' il fait n' est qu' en recriminant ;
c' est ce qu' il n' entend pas, sa passion l' emporte ;
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la verité pourtant est tousjours la plus forte.
Je suis si deffiant de mon infirmi
que jamais je n' ay mis le droict de mon costé,
composé d' autre humeur que ces grands personnages
qu' on tient en droite ligne estre yssus des sept
sages,
et qui n' enfantent vers qu' ils ne trouvent si bon
qu' il surpasse à leur goust ceux qu' enfanta Bourbon.
Je n' entends parler d' eux qu' en toute reverence ;
leurs ouvrages divins meritent recompence ;
si vostre majesté daignoit en prendre soin,
sans les scandaliser, ils en ont grand besoin ;
leur chetif Appollon sert encor chez Admete,
et pour tous revenus il n' a que sa houlette.
En ce qu' ils font pourtant on voit briller tant d' art
qu' afin de les mieux lire on ne lit plus Ronsart.
Est ce point que le bien nuit à cet exercice ?
Quand un poëte est sou, qu' il n' a plus de caprice ?
Il n' oseroit mêler dans ces pieces les dieux,
ny les faire descendre et remonter aux cieux ;
il se tient au plein chant et suit tousjours son
théme ;
ce qu' il fait est plustost un monstre qu' un poëme,
il sommeille apres boire, et n' est plus si fougueux,
depuis qu' il a dequoy, que lors qu' il estoit gueux ;
son style est si grossier et sa rime si dure
que je ne sçay comment le papier les endure,
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tellement qu' il vaut mieux, pour leur propre interest,
laisser, comme l' on dit, le moutier il est,
qu' ils soient incommodez : ceux qui sont à leur aise
travaillent rarement et ne font rien qui plaise ;
l' extreme pauvreté, que je n' aimerois pas,
fait rimer une pie et chercher les apas.
Peut-estre que quelqu' un de ces melancoliques
chantera quelque jour vos exploits heroïques
dessus un ton si haut, en termes si guerriers,
qu' on verra son lierre au pié de vos lauriers.
De moy, qui n' entreprens qu' un mediocre ouvrage,
je mesure ma force avecque mon courage,
ne voulant que trainer dans ces communs propos ;
autant qu' Endimion je cheri le repos.
Ma foy, j' ayme bien mieux estre tant soit peu riche,
et que de son pissat ce cheval me soit chiche ;
faire de méchans vers, voire n' en faire point,
que l' on voye courir un pou sur mon pourpoint,
tels que seront ceux-cy qui vont du coq à l' asne,
et ne sont que trop bons d' un poëte à sotane.
Si par hasard l' un d' eux finissoit par hymen,
je prendrois dans l' hebreu pour le rimer amen,
tant je suis libertin en ce genre d' écrire,
qui s' excuse apres tout sous le nom de satyre :
un discours fort poly ne fut jamais son fait,
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et n' est pas plus aisé de voir mouches en laict
qu' à moy de rencontrer ce qu' il faut à ma plume,
pour faire de ces vers en un jour un volume.
Aussi j' en fais estat comme d' une chançon,
et pour les debiter j' en donne la façon.
Or je n' ignore point que cette renommée,
qui fait réver ceux-là, n' est qu' un peu de fumée.
Si j' en veux acquerir, ce n' est qu' à vous loüer,
à dire que vos mains ne se font que joüer
lors que de ces mutins vous reprimez l' audace.
Si j' avois la fureur de Virgile ou du Tasse,
j' ajouterois encor que, malgré les tirans,
enfin apres la pluye on a veu le beau temps ;
que par vostre valeur la discorde est esteinte
et la rebellion dans le devoir contrainte ;
que le premier qui bransle est aussi tost puny,
car le trône royal de justice est muny,
outre que les conseils que le cardinal donne
pour l' appuyer encor luy servent de coulonne ;
que c' est bien-fait à vous d' aimer ce cardinal,
qu' on peut de la vertu nommer l' original,
qui, malgré les efforts de la cruelle envie,
et parmy ses douleurs, nous vange de Pavie.
Enfin Arras est pris, Perpignan s' est rendu ;
l' allemand n' en peut plus, l' espagnol est perdu.
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Que ce soit la raison, ou qu' au plus fort les poches,
il n' importe, pourveu qu' on nous rende nos cloches.
Mais je suis importun, sire, je vay finir ;
il ne m' appartient pas de vous entretenir,
joint qu' il faut faire, ou bien n' estre pas catolique,
deux plats d' une satyre et d' un panegyrique.
SATIRE 19
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Mais conte moy, monsieur, comment vous a traittez
celuy qui vous avoit hier au soir invitez,
et tu m' obligeras, si tu l' as agreable,
de me faire aussi part de vos propos de table.
Il nous a bien traittez, enfin les plus fâcheux
s' en sont allez, ma foy, contens et sous chez eux ;
le vin estoit fort bon, et la viande exquise,
et, bref, rien n' y manquoit ; et pourtant je t' avise
que j' eusse mieux aimé soûper à ma maison ;
et, si tu veux m' entendre, en voicy la raison.
Durant tout le repas on ne fit autre chose
que reciter des vers, qu' alleguer de la prose ;
chacun, outre cela, faisoit sa question,
non pour estre enseignez, mais par ambition.
Comme parmy le bruit je gardois le silence,
p163
je fus tout ébaï qu' un d' eux, par insolence,
me dit que je parlasse et que je fisse voir
par quelque beau discours si j' avois du sçavoir.
Au lieu de repartir, je fis une grimace
qui monstra la colere emprainte sur ma face.
Tant s' en faut qu' il me laisse, et luy de m' en conter,
voire en continuant de me persecuter,
et moy d' accorder tout d' un " c' est mon " et d' un
" voire " ;
le plus souvent sans soif je demandois à boire.
N' eût esté le respect que j' avois au banquet,
j' estois bien resolu de punir son caquet ;
mais quoy ! L' on est blâmé lors qu' on trouble la
feste.
Cét enragé pedan, et moins homme que beste,
est-il pas raisonnable ? Est-il pas obligeant ?
Il veut parlant qu' on mange, et qu' on parle mangeant !
Il murmuroit encor ayant le nez au verre.
Ces fantasques sçavans ne veulent que la guerre,
et tiennent en cela des anciens romains ;
mais c' est le beau du jeu quand ils viennent aux
mains ;
ne se pouvans ceder, qu' ils s' arrachent la face ;
apres les argumens, que cous viennent en place.
Ils ignorent le sens aussi-bien que les mots,
et ne sont attachez qu' à de vilains ergos ;
ils rongent assez l' os, mais, faute de cervelle,
au diantre s' ils sçauroient en tirer la moüelle,
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moins prudens, moins subtils, moins doctes, moins
adroits,
que ce chien qu' en son lieu décrit maistre François.
Leur goust, s' ils ont un goust, n' est que leur
fantaisie,
qui les mets plus communs prend pour de l' ambrosie ;
et, pour voir s' ils sont vains, presomptueux et fous,
il n' est pas de besoin de leur taster le poux :
leur discours le témoigne au sortir de la lévre,
pource qu' il s' entretient comme crottes de chevre ;
neantmoins il se voit, aux familiers devis,
qu' il se faut battre ou bien estre de leur avis.
La façon des pedans et leur trongne autentique
feroient rire au besoin l' humeur melancolique ;
leur nez, fecond en morve, et long hors de raison,
estonneroit sans doute et Nasique et Nason.
C' est leur souverain bien qu' un peu de renommée,
dans de mauvais esprits crotesquement semée ;
or, pour mieux l' aquerir, ces pretendus sçavans
sont curieux sur tout d' estre surpris révans,
les yeux fichez en terre ou portez dans la nuë,
n' importe en quel endroit, chez eux ou dans la ruë.
Demandez leur sur quoy, voicy ce qu' ils feront :
une bonne grimace, et puis vous le diront
par hoquets, ou tordans de maniere la bouche
qu' on croit qu' ils vont chier ou que leur ame
accouche.
Ils n' ont la pluspart d' eux qu' un esprit animal ;
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s' ils sçavent quelque chose, ils la sçavent fort mal ;
mais pour rire il faut voir leurs plantureuses
morgues :
ne disent-ils pas bien, ils pensent dire d' orgues.
Pour peindre au premier coup ces infames pedans,
ils sont hommes dehors, asnes vero dedans,
et renversent celuy qu' a décrit Apulée,
qui de face asinesque a l' humaine voilée ;
hargneux ce qui se peut, chagrins et renfrongnez ;
une fois en dix ans leurs ongles sont rongnez ;
on voit à leur marcher quatre choses ensemble :
le trot, et l' entrepas, et le galop, et l' amble ;
tout cela sans mesure, et de plus si tortu
que ce train là n' est pas le train de la vertu ;
et qui ne le verroit, sans autre conjecture,
passeroit pour un sot dans ma nomenclature ;
scrupuleux, pointilleux, et vivans par compas.
L' yvrongne devant eux n' ose faire un faux pas ;
le vulgaire les croit, les suit et les adore :
quelque fois à part moy c' est ce que j' en deplore.
Vous les reconnoistrez assez facillement
à l' humeur andoüillique, au sot raisonnement,
à leurs sourcils touffus, à leur brutale verve,
à leurs discours tissus en depit de Minerve ;
leur barbe est un desordre, aussi sont leurs cheveux ;
je ne les vy jamais qu' ils ne fussent baveux,
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et qu' au mois de juillet ils n' eussent la roupie,
à l' instar de Ramus et de Cornucopie,
leurs illustres majeurs, en leur temps si sçavans
que per ora virum ils sont encor vivans.
Au reste, les crachas de cette pedantaille,
correctement parlant, sont huistres à l' écaille ;
ils ont souvent ensemble et la galle et la toux,
et, s' ils sont mariez, des cornes quasi tous ;
ils affectent si fort une façon maussade
qu' ils tiennent sur les rangs le propre Alcybiade,
et se rendent fauteurs du sale Depiton,
qui foulait à deux pieds les beaux licts de Platon ;
sottement orgueilleux, testus, et font curée
des mots du philosophe à la cuisse dorée ;
avec leur sens gottique ils s' opposent au bien,
et pensent tout sçavoir, et si ne sçavent rien ;
le plus asne d' entr' eux se croit le plus capable.
Ils sont fort coustumiers de rendre gorge à table :
inde leur appetit estant renouvelé,
l' hoste par consequent en est le plus foulé ;
pour atteindre à la chair ou bien à la marée,
ils ont des bras plus longs que ceux de Briarée,
et mangent jusqu' aux plats encor qu' en discourant,
afin de n' avoir point regret au demeurant.
Ainsi, ce disent-ils, a vécu Giogene ;
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quand un homme est à table il n' est pas à la gesne,
il peut cracher, peter, et rotter, et vomir,
et, si Bacchus le berse, en liberté dormir ;
on marque à son habit, tousjours un, tousjours méme,
le temps du Roy François et de Henry Deuxiéme.
Se faut-il étonner si ce souffre-douleur,
cette vieille relique, a perdu sa couleur ;
que dis-je, s' il n' a plus ny matiere ny forme,
s' il eut pour premier maitre ou Gaguin ou Panorme ?
Qui voit un pain de sucre, il voit leur vieux chapeau,
gras, long, large d' entrée, estroit par le coupeau.
Or voicy le portraict de leur chere sotane,
ou plustost de leur bast : elle est faite à dos
d' asne,
comme si, lors qu' on est honnestement vétu,
on en estoit d' un brin moins propre à la vertu.
Disciples d' Aretin, artisans d' impostures,
ils ont en fait de meurs inventé des postures,
severes en discours à l' egal des Catons ;
mais ils ne suivent pas l' exemple des moutons,
qui font voir par leur laine au temps de la tonture,
non par leur beslement, leur bonne nourriture.
Ostez moy ces diseurs qui menent tant de bruit :
les arbres plus feuilleux portent le moins de fruit.
Que sert-il qu' en lisant on use de finesses,
que d' Aristote méme on se batte les fesses,
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qu' à force de veiller on se fasse docteur,
et puis s' il veut à point qu' on soit mauvais tuteur,
mauvais juge, et que sert de cotter ce passage,
le feüillet, la coulomne, et la ligne, et la page ?
Est-ce assez de sçavoir, de ranger sur le doy
les branches des pechez, les raisons de la foy,
de parler en devot des cas de conscience,
de l' oraison des fruits dignes de penitence,
de plus concilier Thomas aveque Scot,
et payer d' un sermon l' hoste de son écot ?
Tout cela, selon moy, quoy qu' au dehors honneste,
n' est rien, sans l' action, que rompement de teste.
Quand un homme seroit plusavant que lambin,
s' il ne vit comme il faut, et fust-il jacobin,
moy qui lis au privé, que l' estude ruine,
je ne donnerois pas un zest de ma doctrine.
Un idiot vaut mieux que soixante pedans,
mesme quand ils seroient sçavans jusques aux dens,
si cettuy-là n' avoit un coup dans la cervelle,
et qu' à Sainct Maturin il deut une chandelle.
Bien souvent d' une mouche ils font un elefant.
J' ay resolu de faire instruire mon enfant,
mais je crains que son maistre, imbu du pedantisme,
ne luy verse en la teste un mauvais catechisme,
qu' il ne luy recommande, estant dans un festin,
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de lâcher à propos des tripes de latin,
de disputer sans cesse et contre la commune,
soustenir qu' on peut faire une cotte à la lune,
qui luy pourra servir en tous ses changemens ;
sans marchander, en l' air faire des jugemens ;
qu' encor qu' on luy cedast, d' esprit contradictoire,
il ne reçoive pas sans combat la victoire ;
qu' il recommence encor apres le point vuidé,
et qu' il veuille en parlant avoir tousjours le dé ;
qu' il ne sente jamais que son esprit barbare
dans le chemin qu' il tient ou se broüille ou s' egare,
et qu' il n' attende pas, pour se monstrer disert,
à relancer ses gens, qu' on en soit au dessert ;
qu' il ne luy chante aussi que le vieux Pytagore
avecque son silence estoit une pecore,
qu' il faut estre amoureux de son opinion,
comme de sa figure estoit Pygmalion ;
quand un ange du ciel viendroit exprés luy dire
qu' elle fut erronée, il ne s' en fist que rire,
voire méme dut-il estre encore trouvé,
au jour du jugement, dans le sens reprouvé ;
qu' il luy mette en l' esprit qu' il a de grands merites
et qu' il est un docteur sans dire en pommes cuites,
qu' il n' est que de citter Bartole et Salicet,
que ce n' estoit qu' un sot qui fit le quos decet.
p170
Voilà ce qu' on entend en sa barbare école.
Que hors mon interest il y regne en Eole,
mais que l' astre qui fait les gueux, selon Cardan,
en fasse un de mon fils aussi-tost qu' un pedan,
que l' on ne peut hayr tant qu' il est haissable,
outre qu' en esté mesme il est indecrotable.
SATIRE 20
p171
Pour un homme de cour, ton entretien est rude ;
s' il ne tient du pedan, il sent trop son estude ;
au moins si tu pensois, chacun n' est pas latin
et n' a pas mis le nez dedans Sainct Augustin.
Aujourd' huy la science est une piece rare ;
si Thebes estoit prise, on pilleroit Pindare ;
nos gens font moins d' estat d' un sçavant que de rien,
aussi ne lit-on plus : je trouve qu' on fait bien ;
dans des temps saugrenus c' est ainsi qu' on en use,
on s' imagine avoir une science infuse,
le plus simple discours et le moins medi
est le plus agreable et le mieux écouté.
Tu fais de grands narrez sur de petites choses,
et tes menus propos auroient besoin de gloses.
Quitte cette maniere : au joly temps qui court,
p172
il n' est que d' estre brusque et de le faire court ;
estale ta pensée en termes si faciles
que, faute de l' entendre, ou ne face plus gilles ;
pour trancher du sçavant n' allegue plus d' auteur,
parle bon cavalier, ne fay plus le docteur ;
comme un berger se plaist au son de sa musette,
ecoute toy parler parlant de la gazette :
c' est le livre à la mode, il le faut estimer ;
on est plus admi, s' en pouvant escrimer,
que si l' on expliquoit le maistre d' Alexandre ;
on est autrement creu qu' on ne croyoit Cassandre,
predisant le succez des sieges et combas
d' entre les espagnols et ceux des Païs-Bas.
Que si l' on ne vouloit parestre en devinaille,
on pourra dire au moins : " le roy part de Versaille ;
il sera dans Paris au plus tard dans demain ;
sur toutes ses maisons il aime Saint Germain " ;
que celuy de Suede estoit grand personnage,
qu' en tous les cabinets on garde son image,
que Mastric est pressé, que d' Uvimar fait bien,
que Brizac sera pris on ne sçait dans combien,
et que la reine mere a planté là Bruxelles.
Le siecle d' apresent est friant de nouvelles ;
on est tout esbahy que l' on rencontre un veau
qui nous vient affronter d' un : " et bien ! De nouveau
p173
que nous apprendrez-vous ? " et qui n' en sçait en
forge.
Par ainsi tout le monde a menty par la gorge ;
il faut faire semblant que l' on vient de Ruël
pour montrer qu' on en sçait et qu' on est d' Israël ;
c' est le mets delicat, c' est la piece d' entrée.
Je ne sçay quels esprits se repaissent d' Astrée ;
maintenant que par tout on leve des soudars,
en se taisant d' amour il faut parler de Mars.
Il est bon de sçavoir tout ce qui nous regarde,
pource que Dieu nous donne à nous-mesmes en garde,
et qu' avecque le corps chaque membre patit,
le grand d' une façon, d' une autre le petit.
J' espere dans trois jours que de l' extrordinaire
j' apprend ce qu' on fait dessous nôtre hemisfere ;
ce qui se passe icy dessus nôtre orison
n' est que du beuf, et l' autre est de la venaison ;
tout ce qui vient de loin en guise de merveille
charme aussi-tost l' esprit comme il frappe l' oreille.
Or la saison permet d' estre un peu charlatan ;
manquant le serieux, venir aux nids d' antan ;
estre fort copieux, méme en ce qui ne touche ;
sans suer la verole avoir le flus de bouche.
Au goust des simples gens, celuy qui ne dit mot,
ou bien qui parle peu, n' est estimé qu' un sot.
Parlons, puis qu' il le faut, sans ordre et sans elite :
p174
comme on vit à present, c' est assez qu' on debite.
Chacun se veutler des affaires d' estat,
en parle d' appetit, que dis-je, en potestat ;
me des gouverneurs, il n' est pas la canaille
qui ne dise tout haut : " ils ne font rien qui vaille. "
on ne peut empescher la sotte liberté
que par le chastiment, c' est bien chié chanté.
Pense tu que ce soit ce moyen là qui l' oste ;
au rebours s' en servir, c' est conter sans son hoste ;
tout est permis aux gueux : dés les siecles passez
ils se chauffoient le cul des os des trépassez.
Toy, tâche d' adapter les mots à la matiere ;
il est de bon latin, il en est de breviaire,
du françois tout de me, et du vin à tout prix ;
un homme par sa langue est le plus souvent pris.
Socrate dit un jour : " parle, que je te voye. "
il ne suffit donc pas d' estre vestu de soye,
se dire gentil-homme, avoir bonne façon,
il se faut expliquer mieux qu' un aide à mon.
Bon qui se connoistroit ; mais, caquetant en pie,
chacun veut faire voir qu' il n' a pas la pepie ;
n' importe que ce soit bien ou mal à propos.
Nous sommes icy bas persecutez des sots,
non seulement d' effet, mais aussi de parole,
et de ceux qui jamais n' allerent à l' escole.
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Les sçavans raffinez discourent sans effort,
et l' on ne diroit pas qu' ils eussent l' esprit fort ;
on n' entend plus celuy qui s' est fait un langage,
sous lequel est son sens, comme sous un nuage :
heureuse invention, car il seroit perdu
s' il estoit plus facile et qu' il fut entendu ;
il vétiroit l' encens, je veux bien qu' il le sache :
une belle se monstre, une laide se cache.
Il affecte sur tout la grande obscurité
qui transmet les auteurs à la posterité.
Or voicy la raison dont il faut qu' il se serve :
le vin paillet se gaste, et l' autre se conserve ;
la peine qu' en lisant on se donne au cerveau
fait conclurre qu' il faut que ce qu' on lit soit beau.
C' est trop peu qu' orateur, il se croit un oracle ;
toutefois il a pris ses degrez au bazacle ;
il penseroit faillir de prendre un ton plus bas,
et que ce qu' il diroit en auroit moins d' appas.
Chacun suit son humeur, ou plustost sa nature,
qu' il ne reforme pas au gré de la censure.
Moy, je juge d' autruy librement sans aveu ;
que l' on m' en face autant, je baille assez beau jeu ;
si plusieurs de mes vers semblent faits à la serpe,
c' est qu' entre les neuf soeurs je ne connois
qu' Euterpe,
qui, joüant de sa flute aux banquets d' Appollon,
p176
luy fait pour mieux l' ouyr quitter son violon ;
il suffit en riant que je morde ou je pique,
sans qu' à me rendre net mon esprit s' alambique.
Bon pour celuy qui croit avoir seul en cét art
ce qu' avoient Theophile, et Malherbe, et Ronsart ;
et n' estant pas de ceux qui s' en font tant à croire,
Dieu sçait si je m' attens qu' on me paye de gloire.
On ne me verra point enyvrer à dessein
que Denis pour m' aider se fourre dans mon sein,
ayant lû qu' Ennius n' escrivoit qu' estant yvre,
n' estant pas obligé de parler icy livre.
Au contraire, je fuy ces termes egarez,
et crains que mes discours ne semblent trop parez :
un style relevé gaste nostre mystere,
je voudrois bien n' avoir que celuy de notaire,
pour rire du prodigue à qui l' on fait faveur
d' aller boire chez luy, si l' on est bon buveur ;
de ce petit seigneur avec son petit page,
et point de cuisinier ; de ce préteur sous gage
qui vend le terme echeu sans attendre un moment,
si bien que, quand il preste, il sçait fort bien
comment ;
d' un qui, sans se conter, croit tout le monde beste,
et que mieux qu' Archimede il bande une arbaleste,
qui se dit fort vaillant, habile, et neantmoins,
s' il le falloit prouver, n' a que luy de témoins ;
p177
et du juge ignorant qui veut qu' on le revere,
sous ombre qu' il paroist ineptement severe.
Amy, je ne pretens qu' estre bon rimailleur ;
en galimatias le pire est le meilleur,
pour le dire en passant que la femme d' Ulysse
durant ce long voyage a pris une nourrice ;
que le bruit est commun qu' en frequentant le cours,
au mal qui la pressoit elle a trouvé secours ;
pour toucher les façons de nostre Galatée,
qui dans le point d' honneur depuis peu s' est gastée
par une lettre écrite en termes si confus
qu' on ne sçait bonnement s' ils portent un refus :
il vaudroit quasi mieux de bouche le promettre
que d' en faire douter par une sotte lettre,
qui se voit, qui se montre à quelques confidens,
dont il peut arriver de fâcheux accidens.
C' est avec peu d' effort qu' en ces vers je raisonne,
et que, parlant curé, le vice je sermonne ;
mon style est aussi lourd, qui s' éloigne du haut,
que celuy dont usoit le temps de Brunehaut ;
et puisque la science a perdu son estime,
ce bizarre labeur n' a que faire de lime ;
suffit qu' il soit prudent en sa naïveté,
que tousjours les rieurs il ait de son costé,
et comme Ferdinand qu' il sçache un homme peindre,
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de sorte, s' il n' est fou, qu' il ne s' en puisse plaindre.
De le rendre poly, je baille sous mon sein
que jamais je n' en eu seulement le dessein ;
puis qu' icy le serpent est caché dessous l' herbe,
ce seroit mal parlé qui parleroit Malherbe ;
sur de petits sujets si mon sens est petit,
si n' est-il neantmoins sausse que d' appetit ;
si je plais à l' un, l' autre me remercie,
pensant que j' ay trouvé la flute de Marcye.
Je ne dispute point la gloire de Renier,
on sçait bien que je suis en date le dernier ;
plus un poëte est vieux, plus on le croit habile ;
mille ans donnent la palme à l' autre sur Virgile ;
Macette me revient, l' importun luy plaisoit :
c' est ce qu' en devisant un jour il me disoit.
Jamais je ne me suis piqué de suffisance ;
Vulcan m' eut corrigé, si ce n' étoit qu' en France
je voy qu' égallement on nous estime tous ;
faisons bien, faisons mal, on se moque de nous :
c' est pour cette raison que j' aurois beau mal faire,
si j' en perdois plustost l' esperance de plaire.
Il n' est plus question de se rompre l' esprit ;
c' est assez de sçavoir lire ce qu' on écrit,
sans prendre garde aux mots deduire une fadaise,
et puis dessus un luth joüer la passemaise.
p179
Pour moy, d' estudier je suis tantost bien las,
et, comme Jupiter mit hors son chef Pallas,
je veux chasser du mien l' amour des neuf pucelles,
qui m' ont tousjours sembplus ingrates que belles ;
en leur faisant la cour, au lieu de m' enrichir,
sot et mal avisé, je n' ay fait que blanchir ;
c' est miracle dequoy je n' ay vendu mes livres :
tes livres ! Et pourquoy ? Pour achepter des vivres.
Les humains en tout temps n' ont pas mesmes raisons,
et leur goust incertain va comme les saisons ;
ce qu' on blâmoit jadis, c' est ce qu' ores on loüe ;
mais la cour au latin a tousjours fait la moüe,
elle fait riboüillés aux hommes studieux,
qui veulent, comme Adam, estre pareils aux dieux :
ils sçavent les auteurs tant sacrez que profanes,
et ne torchent leur cul qu' avec des tusculanes ;
leurs brayes mémement reverent leur sçavoir,
qui n' osent au besoin leur rendre ce devoir.
ô qu' ils sont glorieux ! Qu' ils ont de suffisance !
Et quand je dirois trop, ce n' est pas medisance :
leur discours doctoral en forme de leçon
n' est jamais approuvé, quoy qu' il sente Gerson,
quoy qu' edificatif et tiré de la bible,
que madame raison l' ait passé dans son crible ;
un boufon impudent les deferre d' abord
p180
qu' aux plus piquans brocars sa langue prend l' essort ;
son ris a du mystere, et veut dire sa mine :
" voila de sottes gens avecque leur doctrine ;
leurs propos non communs, pleins de science et d' art,
sont pires, à mon goust, que des poulets sans lard ;
quand ils en sçauroient plus que les livres de Blaise,
il faut, outre cela, faire en parlant qu' on plaise. "
si bien que, les voyant ainsi dans le mépris,
je tâche d' oublier ce que j' avois appris,
et me tiens doucement, pour cacher ma sçience,
comme un pere chartreux, dans la loy du silence ;
si je suis obligé d' en dire mon avis,
je le fais sans entrer avant dans le devis ;
puisque le vent n' est plus du costé de l' école,
vers un autre canal je tourne ma gondole ;
de ces gens non lettrez je me fais partisan ;
de peur d' estre odieux, je parle icy paysan ;
j' écry pour estre leu sans que l' esprit se bande,
et que sans calepin tout le monde m' entende.
SATIRE 21
p181
Biar, dont nostre siecle approuve la maniere,
au moins tu m' as forcé, par ta douce priere,
de loüer la sculture ; or je m' en excusois,
et me souvient encor de ce que je disois.
Soit fait, mais sçache donc, protestant d' ignorance,
que je ne suis icy qu' enfant d' obeyssance ;
n' estimant qu' au sujet mon esprit soit égal,
qu' on ne m' en blâme pas si je le traite mal.
En pensant obliger, on fait parfois injure :
de moy, ce qui se peut j' estime la sculture,
mais, parce qu' à mon gré je suis trop peu sçavant,
je crains de m' y fourrer un petit trop avant ;
comme un prudent nocher lorsqu' il prevoit l' orage,
sous un ciel inconnu, je suivré le rivage,
et, m' étant engagé pas trop facilement,
quoy que je m' en aquite un peu legerement,
p182
faisant voir, faute d' art, par bonté de nature,
d' où me naist le desir d' une vieille figure,
son nez fust-il rongé, n' eut-elle plus qu' un bras,
veu mon peu de sçavoir, je me croiré bien gras,
quoy que j' aye regret qu' elle ne soit entiere,
que le temps ait, cruel, amoindry sa matiere.
Je pretens en ce lieu montrer ce que tu vaux,
et que chacun devroit honorer ces travaux
qui font, industrieux, un Mercure d' un arbre,
puis à coups de ciseau donnent la vie au marbre :
on diroit que d' abord, au lieu de l' animer,
irrité contre luy, tu le veux assommer ;
mais enfin sur le haut il paroit un visage,
et de son tout se forme une si belle image
que, s' il étoit permis, on voudroit l' adorer ;
tes plus grands ennemis ne l' osent censurer.
J' ayme avec passion l' excellente peinture,
je donnerois pourtant ma voix à la sculture :
ses attraits sont si forts, et ses charmes si doux,
que c' est d' eux que souvent mes yeux font des ragoux.
Ceux qu' aussi bien que moy cette douceur attire
sçavent ce que je pense et ce que je veux dire ;
ils chatoüillent mon ame et flattent mon esprit,
je ne puis tels qu' ils sont les coucher par écrit :
la moderne me plaist, qui n' est que la servante ;
p183
l' antique me fait peur en ce qu' ell' est vivante ;
je suis, lors que j' en voy, ne fust-ce qu' un morceau,
emu d' un tel respect que j' oste mon chapeau,
je me mets à genoux, j' en suis tout idolatre,
si ce mot est receu dans un style follâtre :
il suffit qu' il agrée aux braves curieux,
car des autres, qu' importe ? On n' écrit pas pour eux.
Je n' ay pas entrepris de contenter les asnes,
pour faire les docteurs eussent-ils des sotanes ;
encor que je ne sois astrologue ou devin,
je voy bien toutefois qu' ils n' ont du goust qu' au vin,
et que leur sot esprit aux sciences s' adonne
qui font croître le bien sans orner la personne,
que leur vilain sçavoir ne tend qu' au revenu,
et que relief leur est un pays inconnu ;
me pour discerner l' ouvrage du modelle,
qu' il leur faut à midy prendre un bout de chandelle.
ô qu' ils font peu d' état d' un peintre ou d' un sculteur !
Je m' en rapporte à toy si je suis un menteur.
Ils seroient bien fâchez, faute de le connestre,
si, pour dire " monsieur " , ils ne disoient " mon maistre " ,
et, s' il est découvert, d' ordinaire ces fous,
pour le gratiffier, luy disent : " couvrez-vous. "
quant aux petits seigneurs, ils luy flattent l' épaule,
avec un " mon amy " , de quelque coup de gaule :
p184
il leur faut pardonner comme estans dans l' erreur ;
ils feront plus d' accueil au moindre procureur
qu' au plus grand artisan, qu' ils mettent dans la
fange ;
on n' ose devant eux parler de Michel Ange ;
quandme Phydias seroit encor icy,
l' homme que tu connois le traiteroit ainsi.
Ce sont des morts vivants, et plus fou qui s' offence
de toutes leurs façons, qui naissent d' ignorance.
J' ay quelque opinion que c' est pour leurs pechez
que de tant de beautez ils ne sont point touchez
et qu' ils n' ont point d' amour pour des choses si
rares.
De toutes qualitez il se voit des barbares ;
mais, si Dieu, qui d' enhaut regarde les humains,
leur oste le plaisir des oeuvres de vos mains,
je ne sçay si je dois les blâmer ou les pleindre,
ny de quelles couleurs on les pourroit bien peindre.
D' ailleurs, s' ils sont regis par leur temperament,
il est bien malaisé d' en faire jugement ;
si tous n' ont pas appris de la sainte ecriture
que Salomon usa de fonte ou de sculture,
témoins ces cherubins dessus l' arche élevez,
dois je mettre un barbare au rang des reprouvez,
qui se moque de moy quand je dis que j' estime
que ne l' estimer pas est espece de crime,
et que jamais esprit n' a fait de bons repas
p185
qui ne s' est point rendu sensible à ses apas,
ou que, lors que Picou me veut faire bien aise,
il me permet de voir la Diane d' Ephese,
ornement de la France, ouvrage de ces grecs,
que tu vas imitant avec de grands progrez ?
On ne voit rien de toy qui ne soit magnifique ;
encor qu' il soit moderne, on le prend pour antique.
Aussi c' est toy qui mets à cheval nostre roy,
choix qui de ton merite à chacun fera foy ;
et vient à mon propos que jadis Alexandre
en faveur d' Apelles par edict fit deffendre
qu' autre peintre que luy, tant il estoit parfait,
n' eut, sur peine de tant, à faire son portraict.
Considerant à qui ce grand honneur t' égale,
qu' on verra ton labeur dans la place royale,
qui fera mépriser ce que les autres font,
asseuré que je suis de ton labeur profond,
de ton experience et de ta prompte adresse,
que dans ton bel ouvrage on verra la tendresse,
les graces, les attraits et tout ce que j' entens
qui peut en cét endroit rendre les yeux contens,
tu m' excuseras bien si je me fais acroire
que mon affection s' interesse en ta gloire,
et, si sur ce sujet je n' ay que rimaillé,
ce que tu m' as promis ainsi m' as tu baillé.
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Son amour n' entre point dans l' ame du vulgaire ;
ne le connoissant pas, il ne luyauroit plaire.
Mais écoute un bon mot pris de mon vercoquin :
souvent un homme riche a le goust d' un coquin ;
un coquin a parfois d' un riche le courage,
c' est un mal qu' il n' a pas dequoy parer l' ouvrage.
Ainsi dame nature a basty les humains ;
on voyoit tout cela dés le temps des romains :
d' où vient qu' un bon sculteur est tout nu quand il
gelle,
et fist-il aussi bien que faisoit Praxitelle.
Un grand n' achepte rien : fait-il un cabinet,
il est assez orné d' un portraict de Janet,
d' un plat de porcelaine et de quatre coquilles ;
sa curiosité s' attache à des vetilles ;
si pour une fontaine il commande un Bacchus,
chez quelque méchant maistre il coute quatre écus ;
mais c' est le beau du jeu de voir comme il essaye
d' en rongner un teston ou deux quand il le paye.
Veu qu' on fait aujourd' huy si peu d' honneur aux arts,
que la fortune aveugle éleve des busars,
qu' elle tourne sa ro, et de telle maniere
que les honnestes gens demeurent dans l' orniere ;
qu' elle fait, s' il luy plait, d' un maistre un
serviteur ;
qu' elle aime un bachelier, qu' elle hait un docteur ;
puisque les biens, les rangs, cette bizarre donne,
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et qu' impertinemment on voit qu' elle en ordonne,
je m' étonne comment on veille jour et nuit,
pour un peu de science, à l' appetit d' un bruit,
qu' on use ses souliers au voyage de Rome
à cause que c' est là qu' un asne se fait homme,
sinon que la vertu non sujette au tombeau,
ou bien ce que Platon nomme par tout le beau,
rendent un studieux tout prest à faire encore
la méme election que fist Heliodore.
Vous le voyez gaillard avec sa pauvreté,
mais son manteau d' hyver est son manteau d' été,
et puis il a cela de mal ou de coûtume,
qu' il est chargé d' argent comme un crapaut de plume ;
la marque de sçavant ou d' homme de vertu,
soit peintre, soit sculteur, est d' étre mal vétu.
Comment gagneroit-il, qu' il fait peu de besongne,
plus actif au dessein, hazar s' il n' est yvrongne ?
Posé donc qu' il soit gueux, tousjours n' est-il point
sot
de vouloir estre illustre aussi bien que marot.
SATIRE 22
p188
M' en croye qui voudra, souvent je me propose,
pour ma commodité, de n' écrire qu' en prose,
alors qu' il s' offrira quelque sujet nouveau :
car aussi bien les vers me broüillent le cerveau ;
le plus sçavant poëte en douleur les enfante,
et, s' ils n' ont du caprice, ils ne sont point de
vente ;
on n' en fait point d' estat ; mon amy, c' est pourquoy
pour en faire de bons il faut sortir de soy,
inventer quelque traict qui les esprits chatoüille,
ou, comme ceux de (...), ils sentent la citroüille.
Ceux-là ne mentent point qui nous appellent fous,
encore qu' ils le soient autant ou plus que nous,
on ne rime pas bien, mais on paroist barbare
si l' esprit en rimant du chemin ne s' égare,
et si son chariot, à parler en Platon,
n' est manifestement conduit par Phaeton.
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Malgré tant de raisons, lors qu' un objet me touche,
cette fureur m' emporte en cheval fort en bouche,
les rimes par dépit me viennent en dormant.
Châque chose icy bas ayme son élement,
les poissons ayment l' eau, le feu vit dans sa sphere ;
si Parnasse est le mien, je ne sçaurois qu' y faire.
Si j' écrivois au goust des lecteurs delicats,
je n' aurois point regret à mon encre en ce cas ;
si mes vers meritoient d' estre mis sous la presse,
ou si l' on me tenoit unique en mon espece,
comme un qui son ouvrage a tellement poly
que ce qu' on fait apres ne semble que joly,
avec bien moins de peine et de meilleure grace
je conterois icy l' histoire qui se passe :
que dimanche prochain tu t' en vas, ce dit on,
ennuyé de la messe, au préche à Charenton.
Je ne puis deviner quelle mouche te pique,
sinon qu' on voit tousjours des monstres en Affrique,
dans de mauvais esprits de mauvais mouvemens.
Demeures-tu confus dans les deux testamens ?
Saint Paul te paroit-il un peu trop difficile ?
T' enquers-tu si le pape est plus que le concile ;
si, lors qu' on prie un saint, on fait injure à Dieu ;
s' il est un purgatoire, où peut estre son lieu ?
Ne sçais-tu pas encor ce qui nous justifie,
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ce qui nous affoiblit, ce qui nous fortifie ;
que le corps de Jesus, dans le grand sacrement,
sous le signe du pain se prend reellement,
et qu' il ne faut parler, en ce mystere sombre,
se perdent les sens, de figure ny d' ombre ?
As-tu philosop sur les traditions ?
Pense-tu que ce soient pures inventions ?
Ou le cas est douteux, ou la matiere obscure :
lequel en jugera, l' eglise ou l' escriture ?
En croiras-tu Calvin plustost que Du Perron ?
Disputeras-tu mieux que le Pere Veron ?
Aurois-tu depuis peu quelque science infuse ?
N' ayant point de raison, paye moy d' une excuse.
Messire Jean qui vit, ne disons point comment,
auroit-il pû causer en toy ce changement ?
Regarde-tu ses moeurs, qui ne sont pas trop bonnes,
ou bien mesure-tu la foy par les personnes,
au lieu que tu les dois mesurer par la foy,
suivant un qui sçavoit tout cela sur le doy ?
Pour differer de luy te veux-tu rendre infame ?
C' est se couper l' engin pour déplaire à sa femme ;
et sans luy faire mal que tu te vas perdant :
encor si ce n' estoit qu' en ton corps deffendant,
ou si tu ne l' as fait que pour suivre l' exemple
d' un qu' on ne connust pas s' il n' eust brûlé ce temple.
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Je pense t' obliger d' en faire le recit,
car l' on me prend apres que l' on est sou du sit.
J' aime trop la peinture et la tapisserie
pour n' estre pas fauteur de la bizarrerie ;
mais, si quelqu' un l' exerce en la religion,
son ame, à mon avis, a la contagion,
ou bien par le malin elle est si pervertie
qu' il luy fait delaisser la meilleure partie.
Puisque tu te veux perdre, on ne peut l' empécher,
et, si tu fais le sourd, on a beau te précher,
outre qu' en te préchant on préche une pecore,
on estocade l' air, et l' on blanchit un more.
Echange, si tu veux, de l' or avec du fer,
renonce au paradis et te livre à l' enfer,
garde ou ne garde pas ta premiere creance,
donne toy par caprice ou bien par ignorance,
je n' en parleré plus, joint que, si tu le fais,
tousjours témoin de toy, n' est-ce pas à mes frais ;
et ne sois pas si fou de penser que ma muse,
comme en son interest, à t' exhorter s' amuse :
tout ce que je t' en dy n' est que par entretien,
ou, si tu le prens mieux, par un devoir chrestien.
Quand tu mépriseras mon discours salutaire,
un malade parfois bat son apotiquaire ;
encore qu' il ne t' ait sans plus qu' importuné,
p192
je ne me repens point de t' avoir sermoné.
J' usse traité les lieux et les raisons diverses
si j' usse esté sçavant au fait des controverses ;
mais certes je n' y sçay que le haut allemant,
et puis cela ne peut reüssir en rimant.
Consulte ce docteur où consultoit Eudile
sur la ligne et le poinct, et sur l' amour Ovide.
Il est vray que chacun est en son art expert,
et qu' il est malaisé de l' y prendre sans vert.
Ce docteur, à mon gré, pipe en cette matiere :
va le trouver tandis que la chose est entiere ;
il est tard de vouloir n' étre plus huguenot
apres qu' on a chanté les pseaumes de marot ;
avant que de resoudre il fait bon conseil prendre
et comme les normans se garder de méprendre.
Encore qu' autrefois j' aye pris mes degrez,
je suis fort peu versé dans les livres sacrez ;
en ce sujet divin ma force m' est suspecte,
je n' oserois parler de ce que je respecte,
moins encor m' escrimer, ce fait historiant,
de mon style, qui rit et qui mord en riant.
S' agissant de ta vie ou de ta mort seconde,
que te pourra servir d' étre grand en ce monde,
puisque c' est aux humains un pays estranger,
et qu' apres quelque temps on en voit déloger
p193
les rois et les coquins sans difference aucune,
la mort en cet endroit égallant la fortune ?
L' un meurt dans un combat, l' autre meurt dans un lit ;
l' un pour avoir bien fait, l' autre pour son delit ;
nous n' avons qu' un chemin pour entrer à la vie,
qui pour mille accidens nous peut estre ravie ;
l' un perit d' abstinence, et l' autre d' aliment,
l' autre pour trop manger ou trop avidement ;
bref que tous les romans n' ont point tant d' aventures
ny tant d' étrangetez que la mort de figures.
Or notez que, tant plus un homme est riche ou beau,
moins volontairement il devale au tombeau ;
puis il faut comparoir, au sortir de la barque,
devant le tribunal du souverain monarque,
l' homme, son ouvrage, à luy non inconnu,
de tout ce qu' il a fait conte par le menu.
Nous ne sçaurions tromper ce soleil de justice,
à qui le mal ne peut faire aucun prejudice ;
mais il le hait si fort, avise si c' est peu,
que, s' il est grand ou noir, il le punit de feu,
eternel, invisible, et dont la flame pique
d' une cuisante ardeur l' ame d' un heretique.
L' heresie en geant s' efforce en bon françois
d' escalader le ciel pour la seconde fois,
et pretend denicher le vray dieu de son trône ;
p194
pour rompre son dessein vainement on la pne,
elle entasse tousjours, dans sa rebellion,
erreur dessus erreur, Osse sur Pelion.
Apres tout, j' ay raison de plaindre ta folie,
dans le noeu d' amitié qui de tout temps nous lie ;
puisque je t' ay voulu de bon coeur secourir,
sans plus m' en soucier je te verré punir ;
vrayment le medecin a l' esprit bien maussade
qui s' en reva fâché d' aupres de son malade ;
c' est bien assez pour moy de blâmer avec art
les sottises d' autruy, sans que j' y prenne part ;
quand ton ame seroit à tout malheur reduite,
et quand je la verrois grenoüille du Cocyte,
ou qu' elle souffriroit ces tourmens, à mes yeux,
qui furent preparez aux ennemis des dieux,
à Tantale, à Judas, à Thesée, à Flegie,
à celuy qui donna le nom à la magie,
eust-elle encore pis, ayant fait mon devoir,
je ne veux ny ne puis jamais m' en émouvoir,
outre que je ne suis fondé sur aucun titre
pour combattre en ce point ton liberal arbitre.
SATIRE 23
p195
La censure, monsieur, n' est, dis-tu, qu' importune,
nos discours comme chiens aboyent à la lune,
le vice en l' univers s' est trop authorisé ;
or un je ne sçay qui s' est fort scandalisé
de ce qu' en quatre vers, qui ne sont pas trop rudes,
d' assez vives couleurs j' ay peint ses habitudes,
son habit insolent, son grand nez, ses cheveux,
et bien il s' est mouché, pource qu' il est morveux.
Il m' en croira s' il veut, si le puis-je bien dire,
que jamais il ne fut l' objet de ma satyre,
dont le style est moyen, luy d' étage si bas
que, si je l' ay frapé, je ne le voyois pas.
Pourtant sans y penser j' ay gagné quelque chose,
car il a fait profit de sa mauvaise close,
on le voit en ses moeurs reformé grandement,
à l' entretien commun il a plus d' agrément,
p196
son geste est mieux reglé, son discours moins profane,
et son dos cét hyver s' est bien passé de pane.
Si Bertolot pouvoit luy faire un autre nez,
ou rajuster le sien, et nous plus estonnez
que de voir la reforme au monastere infame,
le plus chaste moine a trop peu d' une femme.
Laissans l' individu, parlons du genre humain,
qui promet aujourd' huy d' étre meilleur demain.
Quand ce demain vient il à la dame impudique
qui le fait à credit, tant elle est magnifique,
et mesme avec tant d' art son innocent épous
qu' elle le fait cocu sans le faire jaloux ;
au marchand dont l' ardeur au gain demesurée
fait qu' il jure et qu' il ment pour vendre sa denrée ;
à l' advocat qui croit avoir des mieux plaidé
lors qu' à bis ou à blanc il a persuadé ;
à l' homme qu' en tout temps sa passion gouverne,
son lict est au bordel, sa table à la taverne ;
à ce blasphemateur, au maistre fanfaron,
qui fourniroit bien seul la barque de Caron ?
Quand ce demain vient-il aux oiseaux de Phinée,
lors qu' il ne sera plus ny ciel ny destinée ;
à ce riche villain qui, pour en amasser
et boire peu souvent, n' ose quasi pisser ?
Sa reputation ne luy fait point de honte,
p197
il la prise fort pourveu qu' il ait son conte.
L' asne qui s' est couvert de la peau du lion
a fondé sa valeur sur son opinion ;
il la cherit, Dieu sçait, et, fust-elle plus sotte
que la sottise méme, il en fait sa marote ;
on a beau l' avertir qu' il possede un bien faux,
pource qu' il a le don d' ignorer ses deffaux.
T' imaginerois-tu, lors que tu me conseilles
de quitter ces discours qui blessent les oreilles,
que je croye guerir tel que j' auray touché,
et, si je ne l' ay fait, que j' en reste fâc ?
Ayant selon le mal ordonné le remede,
il m' est indifferend auquel d' eux l' autre cede ;
j' essaye seulement de me faire sentir ;
si l' on ne s' aide un peu, je ne puis convertir ;
lors que je préche autruy, je préche aussi moy-me ;
je ne suis pas Narcysse, encore que je m' aime.
Voyant parmy le monde un grand nombre de foux,
doutant si j' en suis un, je me taste le poux ;
apres je sçay fort bien me juger sans clemence,
baste si je ne suis premier de ma licence ;
je ne pense jamais au general amant,
que sans chois en tous lieux amour va consumant ;
pour ne l' en pas hayr, qu' il ne me resouvienne
qu' autrefois mon humeur fut semblable à la sienne ;
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ayant été sujet à mesme passion,
je ne le dois traiter qu' avec discretion,
et le bon sens me dit, en me tirant l' oreille,
que je dois excuser son vice à la pareille.
Qu' il aime encor s' il veut estant dans le tombeau,
que le plus laid visage il trouve le plus beau,
Dieu me face pardon comme je luy pardonne,
il est assez puny du tourment qu' il se donne.
Je ne suy plus l' enfant qui couche sur des fleurs,
dont la face est riante, et ne vit que de pleurs.
Le plus souvent on sert une dame infidelle :
à tout prendre, le jeu ne vaut pas la chandelle ;
je hay l' amour d' autant qu' il oste la raison
et se rend en soldat maistre de la maison,
que cette liberté, chose si precieuse,
ne fait plus de sejour dans une ame amoureuse,
que le salut oblige à quitter tout cela,
et que l' on ne se peut sauver par ce trou là.
Chacun de son delit soy-méme se chastie,
jamais ne s' en absout, quoy que juge et partie ;
quant à l' homme qu' on voit depuis peu soûpirer,
plustost mourir cent fois que de le censurer ;
si l' on a des remors, c' est ce que je demande,
je n' écry qu' à dessein que le monde s' amende.
Et tant que je croiray que l' homme à l' homme est lou,
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que le plus saint habit peu couvrir un filou,
et que la pieté, méme dedans l' eglise,
la foy, la charité, ne seront point de mise ;
tandis que l' interest tiendra lieu de raison,
et qu' il sera plus fort que l' avis de Jason ;
que le luxe en habits égallera le monde,
qu' on verra la coquette, en passemens feconde,
n' aller plus qu' en carrosse au milieu de Paris,
encore que de soy la chose excite à ris ;
qu' un asne d' un bonnet cachera ses oreilles,
et que les meilleurs mots se diront sous des treilles ;
qu' Apice pensera que ce soit la vertu
de garnir une table à " bouche, que veux-tu " ;
un autre qu' en discours son traffic se termine,
et que ce soit assez de l' exercer de mine ;
que celuy qui nous doit ne voudra nous payer,
sous pretexte qu' il prend qualité d' ecuyer ;
qu' un plus méchant que moy m' accusera, qu' un homme
s' ozera dire bon à son retour de Rome ;
puisque ce que l' on sçait a peu rendre Caton
aussi souple qu' un gan et plus doux qu' un mouton,
et qu' il ne se voit plus de femme dans la ville
qu' un present ne corrompe aussi bien qu' Erifile ;
qu' un tel a corrompu celle de son voisin,
l' autre de son amy, l' autre de son cousin ;
p200
que tout est perverti, qu' on ne fait nul scrupule
de plaider hardiment encontre sa cedule ;
qu' un bulliste caffar, pour un maravedis,
mais que dis-je, pour moins, promet le paradis ;
que le vice a cela que celuy qui l' évite
n' ayme pas toutefois la vertu gratuite ;
laissant l' honneur à part, si tu l' as essayé,
que chacun en son art desire estre payé ;
qu' un medecin croiroit gaster la medecine
s' il ne prenoit cinq sols pour juger d' une urine ;
tandis que l' on verra qu' un procureur fiscal
sans denonciateur laisse regner le mal ;
que le devoir n' est plus le motif à bien faire,
encor moins la raison, mais plustost le salaire,
je feray de ces vers pour m' en entretenir,
veritables témoins, aux peuples à venir,
que je fû tellement ennemy du desordre
qui se voit dans les moeurs que je le voulu mordre.
Si mon siecle m' approuve habile cuisinier,
j' ay rencontré son goust en suite de Renier,
qui coule aussi bourbeux que le pere Lucile ;
mais pour le reformer je ne suis pas concile ;
prenant la chose au pis, quand il seroit parfait,
il ne me feroit pas hayr ce que j' ay fait.
Si parfois neantmoins je croyois mon courage,
p201
par dépit ougoust je chirois sur l' ouvrage.
Et puis je me reprens de trop d' ambition,
de vouloir travailler à la perfection ;
c' est le signe certain d' une teste insensée,
de se crever les yeux pour n' estre pas Lincée ;
chacun a son esprit qu' il peut bien cultiver,
qui jusques à son point ne sçauroit qu' arriver,
et de s' imaginer qu' il puisse aller plus outre,
c' est vouloir par engins allonger une poutre.
Nous ne faisons pas tous égallement des vers,
suivant qu' il est écrit que les dons sont divers ;
c' est vice d' étre exact dessus une matiere
si vile qu' on la prend parfois au cymetiere,
ou desireux sur tout d' écrire surement
sous le nom d' un qui put au fond d' un monument
et qui jadis vécut à peu prés en pécore.
Je fais le crayon d' un qui boit et mange encore ;
or ce champ ne se peut en sorte moissonner
que d' autres apres nous n' y trouvent à glaner ;
je ne me promets pas d' étre net de fadaises,
mais je n' ay point encore fait mes ennemis aises,
me voyant chicané pour un terme ambigu.
Qu' un autre à ses dépens, s' il veut, paroisse aigu ;
je me garderé bien, si j' ecoute mon ange,
de nommer un vivant, de peur qu' il ne se vange ;
p202
j' espere sans cela qu' il me sentira bien :
l' importance est de rire, et qu' il n' en couste rien.
C' est bien force aujourd' huy d' avaller sa collere
et de macher son frein, la justice est trop chere ;
c' est l' argent qu' elle pése, et non pas le bon droit ;
quelque ignorant plaideur autrement l' entendroit,
et ce peintre eut raison qui changea d' ordonnance,
mettant un trébuchet au lieu d' une balance.
Un juge criminel estonneroit Trason ;
un poëte est bien sot qui se voit en prison,
banni de la clarté, honteux, vétu de pierre ;
et puis c' est d' chacun ne sort pas en Saint
Pierre :
ô qu' il s' en faut beaucoup ! On est interrogé,
à quelque temps de là, Dieu sçait comment, jugé ;
dans ce triste manoir prest de faire à partie,
encor plus à dancer le branle de sortie,
il maudit Apollon et son docte troupeau,
Parnasse tout de me et son double coupeau,
et fait voeu qu' aussi-tost qu' il sera hors de peine,
il ira parpit chier dans leur fonteine.
Comme Bacchus couvroit de pampre un javelot,
je tasche de cacher ma pointe en Bertelot.
Un quidam, aussi fou que toutes les menades,
fût, dit-on, l' autre jour payé de bastonnades :
à la discretion sa disgrace m' instruit,
p203
et de mon naturel je n' ayme pas le bruit.
Qu' il fasse apres cela bonne ou mauvaise mine,
tousjours a t' il porté du bois à la cuisine ;
dise tant qu' il voudra, de sa peau liberal,
que, si les cous sont durs, c' est au sens literal,
qu' au mystic, fruits de l' art, ils sont doux, ce luy
semble :
discours scientifique et genereux ensemble ;
moy, quand tous les matins j' habillerois un veau,
et quand méme j' aurois trop d' humide au cerveau,
j' observe pour le moins que mes rimes soient telles
qu' on ne me puisse mettre en peine à cause d' elles,
je ne traite jamais avec trop de rigueur,
aussi ne prens-je pas les matieres à coeur ;
que j' emporte la piece, et que je me hasarde,
plus libre qu' il ne faut, Dieu, s' il luy plait, m' en
garde.
Je veux que le plus gras demeure au font du pot,
pour la crainte qu' on a d' un méchant ou d' un sot,
et que cela déplaise à madame satyre ;
Harpocrate a montré qu' il ne faut pas tout dire.
SATIRE 24
p204
Encor que la vertu soit une belle dame,
elle n' a point d' apas dans nostre siecle infame ;
on la méle au discours, elle sert d' ameçon
à pécher un esprit comme onche un poisson.
Veux-tu sçavoir en quoy consiste la science ?
à tirer le bon bout, jurer en conscience ;
lors qu' il s' agit de lucre, à ne garder la foy ;
à faire l' impossible afin d' avoir de quoy.
C' est pourquoy tous les jours ce pere à son fils note,
il n' aura qu' un denier, car il n' a qu' une note,
qu' où marche l' interest il faut ouvrir les yeux,
et joüer à l' épargne avant que l' on soit vieux,
imitant les fourmis, qui, d' instinct de nature,
font l' é pour l' hyver amas de nourriture.
Mon fils, ce luy dit-il, apprens à calculer ;
de grec ny de latin, il n' en faut point parler ;
p205
les lettres te perdront, s' il faut que tu les suives,
et Thales eut bien fait de vendre des olives.
Or, tout ce que l' on dit, de bouche ou par écrit,
sont d' agreables mets qui repaissent l' esprit ;
mais toutefois " rien trop " est un des bons adages,
et puis les plus grands clercs ne sont pas les plus
sages
qui pourroit y garder la mediocrité,
apres qu' on a bien lû, qu' on a bien feüilleté,
qu' on prit soin de ses gens, qu' on revit son menage,
afin qu' il n' en receut ny perte ny dommage,
cela n' iroit que bien ; mais il se voit souvent
qu' un homme se croit riche aussi-tost que sçavant,
et s' imagine avoir les grands biens de Seneque
sous ombre qu' il repose en sa bibliotheque.
Je ne t' ordonne pas d' avoir l' esprit au bien
tellement attaché que tu n' apprennes rien :
il n' est, comme il se voit en ce temps où nous sommes,
que trop de la moitié d' asnes vétus en hommes,
dont l' on conte les voix, qu' on a beau mépriser,
puisque le president ne les ose peser.
J' obmets expressément ceux dont le caractere,
quand j' en voudrois parler, fait que je m' en veux
taire,
qui sçavent tout au plus, avecque du plain chant.
Je ne sçay quel latin, ny loyal ny marchand.
Si tu prens mon dessein, je veux qu' on estudie ;
p206
mais trop estudier est une maladie
dont quiconque est touché, pense que l' en guerir,
au lieu de l' obliger, c' est le faire mourir.
Nous sommes bien contraints de nous passer d' un livre
maintenant que le drap paye le sol pour livre,
et qu' estre maltotier, au joly temps qui court,
pour bien-tost s' enrichir est le chemin plus court ;
qu' on voit que tout de bon, sans resistance aucune,
tout le monde obeït à madame pecune ;
que l' on n' oit que tambours, que fifres, par les
champs ;
que les bons rebutez font hommage aux méchans,
et, sans aller plus loin, qu' en mon méchant office,
je ne puis seulement vivre de pain d' epice ;
que la guerre est par tout, et la peste, et la faim,
et si l' on craint encor d' estre plus mal demain.
Durant cette saison fascheuse et difficile,
il ne faut plus trouver de vacation vile ;
la convoitise extréme a chassé la pudeur
et rendu quant et quant tout gain de bonne odeur ;
un homme sans moyens croit que c' est un bon style
de soustenir par tout que l' honneste est l' utile,
contre ce qu' en écrit l' éloquent Ciceron :
le ciel en a pitié s' il n' est qu' un peu larron,
ou s' il flatte quelqu' un pour avoir la lie,
qu' il porte une sotane ou qu' il traine une épée.
p207
Combien en voyons nous de ces deux qualitez,
qui faute de préteurs ne sont point endebtez,
qu' un present d' un écu, voire de moins, gouverne,
un écot que pour eux on paye à la taverne.
L' argent commande à tout, ce trait de Cupidon
est un terme inventé pour figurer un don,
et quiconque d' amour ou d' amitié se pique
doit offrir de l' argent pour toute rhetorique ;
sans luy l' on ne sçauroit entrer dans les partis ;
il en faut pour mourir, on ne meurt plus gratis ;
pour avoir un habit, or l' habit fait le moine,
le baudrier le soldat, l' aumusse le chanoine ;
pour estre conseiller, pour se mettre en credit,
et donner en parlant croyance à ce qu' on dit.
Il est vray que l' argent nourrit par tout le vice ;
sans luy, s' il est profés, il ne fust que novice ;
mais, pour vuider ce point jadis tant debatu,
c' est le commun outil du vice et de vertu :
la beauté, la valeur, la race et la sagesse,
amy, tres-volontiers cedent à la richesse ;
l' homme riche à toute heure est par tout bien venu,
dans l' usage du monde il n' est rien si connu.
N' aurois tu point appris que cette vieille idole
aux rayons du soleil rendoit une parole ?
Un advocat venal est muet, a bon bec,
p208
selon que son client est liberal ou sec ;
celuy qui peut donner à la fille un grand doire,
encor que dans ses moeurs il soit redibitoire,
du corps plus laid qu' Esope, ou proche du tombeau,
l' aura plustost qu' un bon, qu' un moins riche et plus
beau.
C' est pour cette raison que l' on voit les boutiques
pleines de beaux garçons, que les arts mécaniques
sont plus suivis que ceux qu' on nomme liberaux,
attendu que ceux-cy ne font que des maraus,
et toutefois contens ; mais, à leur contenance,
qui voit que ce n' est pas d' avoir trop de finance ?
Ils la vont prisant, mais c' est un à sçavoir
si tout de bon, ou bien qu' ils n' en peuvent avoir.
Malgré leurs beaux discours ce metal est utile,
bien souvent sans canon il fait prendre une ville ;
je veux bien que l' on soit actif et diligent ;
ma foy, l' on ne sçauroit rien faire sans argent,
sans luy l' on ne sçauroit faire de bonnes sausses,
c' est dequoy l' on paya cette paire de chausses
promise à Janotus, dont il fist tant de cas,
alors qu' il dit pour Dieu : date clochas nostras ;
c' est des plaisirs humains et la cause et la source ;
les eaux sont à la mer, les amis à la bource ;
ignorer ses effets est un crime pareil
à ne pas avoüer les beautez du soleil ;
p209
on le peut sans faillir nommer l' ame du monde :
que le plus grand docteur là dessus meponde ;
il fait naistre la joye et bannit le soucy ;
l' or de mesme : les deux passent pour un icy.
Aussi ne fait-on plus que ces voeux dans le temple :
que je trouve un tresor, mon revenu soit ample,
que j' aye plus d' écus que ce vieux usurier,
qu' un tel meure bien-tost, dont je suis heritier ;
puisque l' argent fait tout, Dieu veuille que j' en
manque
le reste de mes jours aussi peu qu' une banque.
D' ailleurs, comme tu sçais, chacun fait sa raison
de ce qui peut servir à faire sa maison ;
tel est saint au dehors, doux comme une épouzée,
dont l' ame neantmoins est fort cauterizée ;
nos gens ne donnent plus qu' afin de recevoir,
par fas et par nefas ils en veulent avoir ;
on se rit du discours de la haute sagesse,
qui veut persuader que la vraye richesse
n' est pas à posseder tousjours de plus en plus,
mais bien à retrancher les desirs superflus ;
plus on en a, tant mieux, une demie pistole
sert plus que deux testons, un denier qu' une obole ;
ayant peu, l' on ne peut se souler que de lar,
non plus qu' au trente et un on n' oze passer d' ar,
et ce peu devient rien si tost qu' on se dispense
p210
de hausser l' ordinaire et croistre sa dépence ;
il ne faut qu' un festin, qu' une maison en feu,
la perte d' un procés, pour consommer ce peu.
On haste le trépas d' un oncle et d' une tante,
aussi Jean ne veut plus que son neveu le hante,
qui, selon ce qu' il croit, aimeroit mieux tenir
que d' attendre son bien, qui met trop à venir ;
c' est le bien qu' on cherit, c' est le bien qu' on adore,
on ne se lave plus la teste d' ellebore
pour avoir l' esprit pur, le cerveau net, et puis
pour y chercher le vray descendre au fond du puis.
Bon lors que la vertu, familiere et connuë,
à ces premiers mortels plaisoit encore nuë,
qu' entre les qualitez la seule probité
rendoit en son village un homme respecté,
sans regarder le sang, l' estat ny la marmite,
que la bondes moeurs faisoit tout le merite ;
maintenant tout cela sert de peu sans argent,
à ce que nous disoit un jour nostre regent.
De toutes les vertus, le pauvre, quand j' y pense,
ne se peut escrimer que de la patience ;
fust-il homme de coeur, fust-il homme de cour,
est-ce à luy de jurer ou de faire l' amour,
s' il n' est avec cela ferde gibeciere
et n' a dequoy fournir à l' humeur cavaliere,
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festoyer ses amis, joüer, faire le beau,
et payer au fripier le retour d' un manteau ?
Comment, estant de ceux qu' on recommande au prône,
emu de charité, donneroit-il l' aumosne ?
Il faut bien qu' il soit juste, on ne pend aujourd' huy
que ceux que l' on connoit belistres comme luy ;
à l' homme de moyens la loy n' est point severe,
il se pourroit sauver, eut-il tué sa mere ;
en faisant ce qu' il faut les juges sont humains,
on ne sçauroit faillir à leur gresser les mains :
un present les flechit, les attire, les tente,
et fait prendre au procés une meilleure pente ;
l' autre pourroit citer le droict et l' equité,
la glose et les docteurs, qu' il sera debouté.
L' argent en nos avis nous ébranle ou confirme :
c' est que l' esprit est prompt et la chair est infirme ;
en cét avare siecle, un amy, ce dit-on,
s' essaye, et, s' essayant, se pert pour un teston ;
encore un coup, l' argent est necessaire à l' homme,
aussi bien à Paris comme à la cour de Rome,
il en faut pour payer les expeditions,
sans luy ce sont deffaux que les perfections.
Non que pour en avoir icy ma muse ordonne
qu' on prenne à toutes mains, qu' on n' epargne personne,
d' usure et de larcin qu' on fasse plein métier,
p212
pour laisser en mourant riche son heritier :
pour avoir petit membre est-il dit qu' on se chastre ?
Tout le monde en naissant n' est pas veu d' un bon
astre,
il n' est pas de besoin que tous les chassieux
se pitent au point de se crever les yeux,
et quiconque est berger n' est pas si beau qu' Amynthe :
tous indifferemment n' alloient pas à Corinthe.
D' un vice on ne court pas à son extremité ;
les plus judicieux craignent la pauvreté,
qui rend l' homme honteux, et de plus ridicule,
et, loin de l' approcher, le voyant on recule :
il cherche qui luy pte, il n' a jamais le sou,
et, si vous luy prétez, il a trouvé son fou.
Le remede à ce mal est assez manifeste :
il est pestiferé, c' est celuy de la peste ;
or tout demande en luy, son habit plus que vieux,
sa façon, et d' abord il nous fait les doux yeux.
La disette est des maux le plus grand, et s' y fie
celuy qui fait l' amour à la philosophie,
et l' ayant embrassée, à beau pied voyageant,
comme fit ce vieux grec qui jette son argent,
par ce sentier qui meine à la gloire batarde ;
le suive qui voudra, quand j' en ay je le garde ;
je voudrois en avoir assez pour mon besoin,
car l' esprit d' un rimeur ne peut loger qu' un soin ;
p213
si le ciel eut voulu, j' usse un plus grand domaine,
mais je ne prens mon ton que suivant mon halene,
j' use, en mangeant mon fait, de mesure et de poids :
cecy vient à propos comme fait lard à poix,
il est vray que l' esprit d' un homme satyrique
n' est pas si bien reglé qu' un papier de musique.
SATIRE 25
p214
J' ay beau te remontrer, courtisane fameuse,
qui donne de l' amour et n' es point amoureuse,
qui crois que Cupidon est logé dans tes yeux,
qu' il est temps de penser au royaume des cieux
et de te retirer : aussi bien ta jeunesse
se passe incontinent et n' a plus ce qui blesse,
ta peau se ride un peu, c' est dequoy l' on se pleint,
et puis on s' apperçoit que ton visage est peint ;
je veux qu' au temps jadis il fust tres-agreable,
mais ce n' est à present que terre labourable ;
ce teint de rose est mort qui faisoit soûpirer,
enfin tu n' as plus rien qu' on puisse desirer ;
ce reste de beauté se doit à l' artifice ;
on ne te va plus voir, si ce n' est par caprice ;
les chalansgoustez tournent ailleurs leurs pas,
d' autant que la douceur n' est plus dans tes apas ;
p215
tu vois diminuer tous les jours ta prattique,
comme ce procureur ferme donc ta boutique ;
n' ayant plus ces attraits qui gagnent les esprits,
curieuse d' honneur, évite le mépris :
c' est bien force, à present que tu n' es plus des
belles,
que tu sois comme Anés vendeuse de chandelles ;
lorsqu' un advocat voit qu' il ne plaide plus tant,
il quitte le barreau pour estre consultant.
Mais, sans qu' il soit besoin que je suë à t' instruire,
en disant : " jeune chair, vieux poisson " , c' est tout
dire ;
et ne te promets pas, en l' aage je te voy,
que quelqu' un tout de bon soit amoureux de toy,
que tes flasques tetons, confus, sans ordonnance,
soient encor des objets qui meuvent la puissance ;
la femme est laide apres qu' elle a trente ans vécu,
les roses à la fin deviennent gratte-cu.
Si celuy qui te voit est tombé dans ton piege,
c' est lors que sa raison estoit hors de son siege ;
amour dessus son front tient encor son bandeau,
et s' imagine aimer quelque chose de beau.
ô qu' il dira bien tost : " que vostre (...) est large !
Est-ce du grand papier, veu qu' il a tant de marge ? "
c' est pourquoy tire, excroque, attrape de l' argent,
dis-luy pour l' emouvoir que tu crains un sergent,
que ta jupe est en gage avec ta hongreline,
p216
ayant fort mauvais jeu que tu fais bonne mine,
qu' il ne tiendra qu' en luy que ton fait n' aille
mieux ;
nomme le ta chere ame et jure par ses yeux ;
comme Cyrce faisoit, change cét homme en beste,
tant durera le vin que durera la feste ;
afin d' avoir tousjours dequoy tenir ton rang,
tandis qu' il est en feu, qu' on me le mette en blanc.
En prevenant le change ainsi l' on se conserve.
Tu me repartiras que j' enseigne Minerve,
et de plus que chacun est expert en son art ;
si je rencontre un peu, que ce n' est que hazard ;
des affaires d' autruy que je parle à mon aise,
que je n' y connois rien, mais qu' il ne m' enplaise ;
si tu voulois changer et de vie et d' humeur,
que ce ne seroit pas sur l' avis d' un rimeur ;
que chacun s' establit d' une façon de vivre
la meilleure à son goust, et qu' apres il veut suivre :
" les braves gens chez moy seront les bien-venus,
et, si je renoois au metier de Venus,
je ne sçaurois sur quoy prendre ma nourriture,
quand je la bornerois aux desirs de nature ;
encor moins un habit, quelque simple qu' il soit,
qui pust tant seulement me garantir de froid.
Je n' ay donc pour tout bien que celuy qu' on me donne ;
en ce mauvais estat ma raison n' est que bonne,
p217
je me porte fort bien de l' humeur dont je suis ;
vive les passe-temps, et bran pour les ennuis !
Jamais on ne m' apprit lequel des doits on mille
quand pour gagner sa vie on file sa quenille :
une femme à filler ne fait pas grand butin ;
ma besongne commence et finit au matin ;
qu' on ne s' attende pas que je couse ou tapisse,
le plus aisé travail pour moy n' est qu' un supplice ;
puisque j' ay de quoy vivre et de quoy m' habiller,
qu' on me parle de rire, et non de travailler ;
tout mon contentement est d' estre bien ornée " ;
une femme d' amour vit au jour la journée,
elle suit le plaisir, elle fuit le soucy,
l' oysiveté luy plait, aux poëtes aussy :
non qu' ils soient des milours, car leur habit demontre,
toutchiré qu' il est, qu' ils n' ont pas reçeu montre,
mais plustost qu' ils ont fait le voeu de pauvreté ;
puis qu' il te reste encor quelque peu de beauté,
que pour la conserver tu sçais mainte recette,
que tes yeux ne sont point la nuit sous la toilette,
ton dentier encor moins, et qu' à tes beaux cheveus
tel que tu dirois bien fait encore des voeus ;
que l' espoir du salut, le regret de l' offence,
t' obligeront pourtant à faire penitence,
à renoncer au monde et quitter le peché,
p218
lors que du saint esprit le tien sera touché,
et que tu pretens bien, cette heure estant venuë,
d' estre bien plus modeste et bien plus retenuë,
de chastier ton corps, te confesser souvent,
de prier, de jeusner le caresme et l' avent ;
que ce n' est pas assez d' avoir de la doctrine
plus que ce grad, j' entens de la plus fine ;
quand ce vient à l' effect, qu' il la faut prattiquer ;
que je ne t' aime pas, que je te veux piquer ;
qu' on doit précher le vice, et non pas la personne ;
que je condamne autruy, mais que je me pardonne,
et me rends importun dans une vaine aigreur ;
que, pour estre sçavant, on n' en est pas meilleur ;
bref, qu' on me connoit bien, et, puis qu' il faut tout
dire,
que je suis le sujet d' une bonne satyre.
Je ne t' empesche point d' user de ces propos,
c' est à moy d' écouter et de tendre le dos ;
j' estime une censure autant qu' une loüange,
ne t' imagine pas que je me croye un ange :
bien souvent, grace à Dieu, si je vis hors la loy,
je me fais mon procez quand je suis à part-moy ;
mais, dans mon vercoquin si quelqu' un j' admoneste,
je ne suis pas tenu de me faire de feste ;
la prudence requiert un homme tout entier,
je veux qu' on m' ait trouvé pissant au benétier,
p219
et de plus, quand j' aurois chié dans ma chemise,
m' en irois-je vanter : fou qui se scandalise.
Fay ce qu' il te plaira, je ne t' oblige à rien ;
persevere plustost si tu crois faire bien ;
chery ton propre sens, suy ta vieille methode,
et puis il n' est rien tel que de vivre à la mode ;
prattique habilement, en te moquant de moy,
tous les tours du bordel que tu sçais sur le doy ;
et puis, en les mettant comme par inventaire,
je les enseignerois, il vaut donc mieux les taire,
ou je te ferois tort en ta vacation,
et ce n' est mon dessein ny mon intention.
Si tu veux en user, tu n' as que trop d' adresse,
jusqu' à, s' il est besoin, contrefaire Lucresse.
Croy que Dieu ne voit pas ce qui se passe icy,
que de nos actions il n' a point de soucy ;
fay toûjours cas du bien plus que de la personne ;
vuide de passion, sois à qui plus te donne :
l' amour est un moyen de bien-tost s' avancer,
il est vray que plustost tu devois commencer.
La dame que tu sçais te doit avoir instruite,
qui ne doit ses grands biens qu' à sa grande conduite,
et c' est d' elle que vient l' employ de son mary,
qui sçait ce qui se passe et n' en est point marry,
si bien que l' on ne peut l' estimer effrontée
p220
en luy faisant porter des cornes d' Amaltée :
ce n' est qu' à son profit qu' il a fait les grands yeus,
et tousjours à bon titre est-il officieus.
Mais pourquoy le mary trouvera-t' il estrange,
s' il a de la raison, que sa femme aille au change ?
Qu' il s' interroge, et puis qu' il se responde ainsi :
" elle y peut bien aller, puis que j' y vais aussi. "
nous confondons la vraye et la fauce semence,
on ne s' amuse plus à cette difference ;
s' il berse des enfans qui ne sont pas à luy,
c' est faire ce que font tant d' autres aujourd' huy ;
à Paris, où se fait le grand trafic de fesses,
un bastard d' importance a toutes les caresses,
non sans les meriter, car ce n' est pas le sot,
mais c' est bien plustost luy qui fait billir le pot.
Pendant que l' on est jeune il faut faire fortune,
la vieillesse n' est plus la saison opportune ;
tu possedes un peigne, un charlit, un miroir,
une table à trois pieds qu' il fait assez bon voir,
un busc, un éventail, un vieux verre sans pate,
de l' eau d' ange, du blanc, de la poudre, une chate,
une paire de gans qui furent jadis neufs,
une boëte d' onguent, une houpe, des neuds,
un poilon, un chaudron, une écuelle, une assiete,
pour te servir de nappe un engin de serviette.
p221
Pauvrette qui ne vis que du gain de ton cu,
qui jamais ne te vis plus haut d' un quart-d' écu,
à ton discours hautain, à ta mine contente,
à ton habit tout neuf, on te croit opulente ;
quelques-uns toute-fois en jugent autrement,
fondez sur ce qu' on voit que tu vis maigrement ;
ce rat des champs de qui nous lisons une fable
avec ses petits mets tenoit meilleure table :
tu n' appaises ta faim d' aucun friant morceau,
ta viande est du pain, ton breuvage est au seau,
en esté tu remplis ton ventre de salades,
extrémement habile à bailler des cassades,
à faire niche à l' un et l' autre caresser,
à tirer un present, cela fait le chasser ;
insensible aux bien-faits, conteuse de sornettes,
impudente, menteuse, et qui sçait ses deffaites,
des autres et de toy je connois les façons,
voire qu' en un besoin j' en ferois des leçons.
Souviens-toy neantmoins de la belle promesse
que tu fais d' imiter la saincte pecheresse,
de te ranger un jour à la devotion :
le ciel sera joyeux de ta conversion,
et moy je la tiendray pour un coup aussi rare
que quand nostre Seigneur resuscita Lazare.
Ton métier est infame et doux infiniment,
p222
c' est pourquoy l' on n' en sort que difficilement,
il le faut avoüer, ce qui fait que ma muse
d' un esprit inégal en t' accusant t' excuse ;
les plus sages humains quittent le vieux Adam,
et sans trop dilayer, ce disoit un quidam
de trogne doctorale, et qu' on suivoit à foules,
ainsi que le renard lors qu' il préchoit les poules.
SATIRE 26
p223
Muse, c' est à ce coup qu' il faut que je me rime,
c' est mon dernier labeur, qui ne veut point de lime.
Un peintre qui feroit luy-mesme son portraict
n' en seroit pas blâmé, ne fut-il pas bien fait ;
il est fort malaisé de se peindre soy-mesme ;
bien souvent on se flate à cause que l' on s' aime ;
fut-on grandement laid, que l' on se trouve beau,
aussi bien que celuy qui se voyoit dans l' eau.
Moy qui suis peu sujet à cette filaftie,
pour un simple delit qui me prens à partie,
comme un vray penitent je me puis bien fesser,
voire en Saint Augustin icy me confesser :
non qu' en parlant de moy celuy qui me veut lire
ne doive, s' il m' en croit, à mes dépens s' instruire,
estant persecuté de méme passion,
car je ne bas le chien que devant le lyon.
p224
La raison en des vers artistement enclose,
bien qu' elle soit la mesme, opere plus qu' en prose ;
c' est le vray recipé qui guerit les esprits
d' amour, d' ambition et d' avarice épris.
Il est tant d' autres maux qu' outre qu' ils nous font
honte,
un casuiste méme en ignore le compte.
Un homme qui m' en voit toucher un autre icy,
en cas qu' il soit morveux, se doit moucher aussy ;
les moins presomptueux, s' ils ont l' esprit malade,
oyans mon violon, prennent part à l' aubade.
Or donc, si je vous dy que je suis peu devot,
non que, graces à Dieu, je sente le fagot,
et que je me connois en gens mieux qu' en monnoye,
en ce point degouté plus qu' homme qui se voye ;
que je fuis cettui-cy, je cherche cettuy-là,
sans haine toutefois, approuvez-vous celà ?
Si nostre ame a son goust, son palais, sa viande,
il n' en faut point mentir que la mienne est friande.
Trop est trop, c' est dequoy je me tance parfois ;
je ne voy tout au plus un asne qu' une fois.
Que sert de s' espargner ? C' est ne sçavoir pas vivre.
Chacun n' est pas docteur et ne parle pas livre.
Je mets en méme rang le grand et le petit,
il n' est à l' entretien sausse que d' apetit ;
si le bon pere Adam n' eut point mordu la pomme,
p225
tout le monde aussi bien eut esté gentilhomme,
chacun eust discouru librement et sans art,
et l' on n' eust point baillé de soufflets à Ronsart.
à parler franchement, mon humeur m' incommode,
qui n' a jamais voulu s' ajuster à la mode,
contraire à mon desir, et, quand cela seroit,
sans doute qu' au galop elle s' en raccourroit :
nous ne sçaurions oster, par force ou vigilance,
si le ciel n' y consent, ce qui vient de naissance.
Or le monde est brutal, le monde est indiscret,
et je ne voudrois pas luy dire mon secret ;
il est fol, impudent, tout ce qu' il est possible.
Le remede à cela, c' est d' estre peu sensible,
avec les sots vivans il faut faire le mort ;
pource j' en dy ma coulpe et confesse avoir tort.
à souffrir à propos consiste la science,
ainsi possede t' on son ame en patience.
C' est un mal que d' avoir l' esprit trop delicat ;
on veut tousjours gloser sur le magnificat,
et l' on n' approuve rien dans la bizarrerie,
qui dans certain degré se peut nommer furie.
Il n' est que d' en passer et d' estre complaisant,
que ce provincial jure ou parle païsant.
Les peres, aujourd' huy qu' on va rassieger Dole,
ne peuvent envoyer leurs enfans à l' escole,
p226
il n' est plus question, au lieu de disputer,
que d' aller à la guerre et de se bien frotter.
Tout bien consideré, les lettres sont fort belles :
le moyen de se faire honneste homme sans elles !
Ce que Jean pretendroit, mais inutilement.
Un homme ne sçauroit parler correctement
si durant sa jeunesse il n' a lû Despautere ;
avec certaines gens il fait bien de se taire ;
a-t' il dit à la cour : " parta, j' avons esté " ,
il vaudroit beaucoup mieux pour luy qu' il eut peté ;
on le siffle, Dieu sçait, il perd de son estime :
une incongruité passe là pour un crime.
La conversation des sçavans me plaist fort,
et je hay neantmoins ceux-là comme la mort
qui ne font que citer afin qu' on les en croye ;
ce n' est pas mon dessein de les noter de croye,
sans trop desaprouver la diverse leçon,
mais j' entens que par tout on use de façon ;
aussi n' aymé-je pas qu' un autre s' apperçoive,
quand j' ay dit un bon mot, qu' aux livres je le doive,
que je l' emprunte icy d' un romain ou d' un grec,
et ne m' ait seulement que passé par le bec,
imitant en cela ce curé debonnaire
qui prent tout ce qu' il dit dans un vieux sermonaire ;
je croy que mon esprit n' est point si malautru
p227
qu' il ne puisse parfois rencontrer en bautru ;
en matiere d' écrits jamais je ne derobe,
j' allegue peu souvent Aulugelle et Macrobe ;
sçachant que copier n' est que faire le veau,
je tasche de chanter dessus un ton nouveau,
et suis grand ennemy du vulgaire profane,
que je remarque aussi dessous une sotane.
Parmy clercs, parmy lais, sous ce long habit noir,
combien s' en trouve-t' il qui n' ont point de sçavoir,
ou, quand ils en auroient, s' en servent de maniere
qu' il semble, à les ouyr, qu' ils soient yvres de
biere ?
Un de mes grands deffauts est de trop reculer,
et d' estre un peu craintif lors qu' il me faut parler,
outre que je n' ay pas cent bouches et cent langues.
Je sçay bien que la cour se moque des harangues ;
si j' en fais par devoir, j' essaye d' estre court,
et voudrois que celuy que j' entretiens fust sourd ;
quand mesme il m' entendroit, qu' au moins à Dieu ne
plaise
qu' il paroisse que j' aye autrefois Nervaise :
un langage empoulé, contraire à mon humeur,
dans le corps d' un discours engendre une tumeur.
Ainsi que de parler, le champ d' agir est large ;
chacun à sa façon s' aquite de sa charge.
Moy qui suis president, mais non pas au mortier,
si n' ay-je point encor fait rougir le metier :
p228
c' est ce que tous les jours fait ce juge de bale,
qu' il faut fouëtter pour voir s' il n' auroit point de
gale,
qui jamais en son temps des lettres n' a gousté,
quoy que ses jugemens il épice en pasté ;
l' argent pesé tout pese, et sur tout il appointe :
c' est en quoy son esprit fait paroistre sa pointe ;
il n' a, pour exercer sa jurisdiction,
pour tous livres qu' imbert de vieille impression.
Trouvera-t' on mauvais que ce discours le berne,
luy qui mene souvent Themis à la taverne ?
Il y rend la justice, et inter pocula,
si vous l' avez perdu, vous le trouverez là,
et monsieur son greffier avec son écritoire,
mais qui tousjours sous luy n' écrit pas une histoire.
Or, si me confessant j' ay quelque chose omis,
je me puis bien traiter comme un de mes amis ;
quoy que de sens rassis mon ancre me noircisse,
je ne trouve en cela ny raison ny justice.
Ce n' est pas d' aujourd' huy qu' on me tient sur les
rangs ;
Dieu mercy qu' on en veut tousjours à Du Lorens,
et puis la medisance aide assez à la lettre,
voire supplée à tout ce que l' on peut obmettre.
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