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la Langue Fraaise (INaLF)
De la suffisance de la religion naturelle [Document électronique] : revues sur
les éditions originales / Denis Diderot ; étude sur Diderot et le mouvement
philosophique au XVIIIe siècle par J. Assézat et Maurice Tourneux
p261
1.
La religion naturelle est l' ouvrage de Dieu ou des
hommes. Des hommes, vous ne pouvez le dire,
puisqu' elle est le fondement de la religionvélée.
Si c' est l' ouvrage de Dieu, je demande à quelle fin
Dieu l' a donnée. La fin d' une religion qui vient de
Dieu ne peut être que la connaissance des vérités
essentielles, et la pratique des devoirs importants.
Une religion serait indigne de Dieu et de l' homme
si elle se proposait un autre but.
Donc, ou Dieu n' a pas donné aux hommes une religion
qui satisfît à la fin qu' il a se proposer, ce qui
serait absurde, car cela supposerait en lui
impuissance ou mauvaise volonté ; ou l' homme a
obtenu de lui ce dont il avait besoin. Donc, il ne
lui fallait pas d' autres connaissances que celles
qu' il avait reçues de la nature.
Quant aux moyens de satisfaire aux devoirs, il serait
ridicule qu' il les eût refusés ; car, de ces trois
choses, la connaissance des dogmes, la pratique des
devoirs et la force cessaire pour agir et pour
croire, le manque d' une, rend les deux autres
inutiles.
C' est en vain que je suis instruit des dogmes si
j' ignore les devoirs. C' est en vain que je connais
les devoirs, si je croupis dans l' erreur ou dans
l' ignorance des vérités essentielles. C' est
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en vain que la connaissance des vérités et des
devoirs m' est done, si la grâce de croire et de
pratiquer m' est refusée.
Donc, j' ai toujours eu tous ces avantages ; donc, la
religion naturelle n' avait rien laissé à la
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vélation d' essentiel et de nécessaire à suppléer ;
donc, cette religion n' était point insuffisante.
2.
Si la religion naturelle eût été insuffisante,
c' t été, ou en elle-même, ou relativement à la
condition de l' homme.
Or, on ne peut dire ni l' un ni l' autre. Son
insuffisance en elle-même serait la faute de Dieu.
Son insuffisance, relative à la condition de l' homme,
supposerait que Dieu eût pu rendre la religion
naturelle suffisante, et par conséquent la religion
vélée superflue, en changeant la condition de
l' homme ; ce que la religion révélée ne permet pas de
dire.
D' ailleurs, une religion insuffisante, relativement à
la condition de l' homme, serait insuffisante en
elle-même ; car la religion est faite pour l' homme ;
et toute religion, qui ne mettrait pas l' homme en
état de payer à Dieu ce que Dieu est en droit d' en
exiger, serait défectueuse en elle-même.
Et qu' on ne dise pas que, Dieu ne devant rien à
l' homme, il a pu, sans injustice, lui donner ce
qu' il voulait ; car remarquez qu' alors le don de
Dieu serait sans but et sans fruit ; deuxfauts
que nous ne pardonnerions pas à l' homme, et que nous
ne devons point avoir à reprocher à Dieu. Sans
but ; car Dieu ne pourrait se proposer d' obtenir
de nous, par ce moyen, ce que ce moyen ne peut
produire par lui-même. Sans fruit ; puisqu' on soutient
que le moyen est insuffisant pour produire aucun
fruit qui soit légitime.
3.
La religion naturelle était suffisante, si Dieu ne
pouvait exiger de moi plus que cette loi ne me
prescrivait ; or Dieu ne pouvait exiger de moi plus
que cette loi ne me prescrivait, puisque cette loi
était sienne, et qu' il ne tenait qu' à lui de la
charger plus ou moins de préceptes.
La religion naturelle suffisait autant à ceux qui
vivaient sous cette loi pour être saus, que la loi
de Moïse aux juifs,
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et la loi chrétienne aux chrétiens. C' est la loi
qui forme nos obligations ; et nous ne pouvons être
obligés au delà de ses commandements.
Donc, quand la loi naturelle t pu être
perfectionnée, elle était tout aussi suffisante pour
les premiers hommes, que la même loi, perfectionnée,
pour leurs descendants.
4.
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Mais, si la loi naturelle a pu être perfectionnée
par la loi de Moïse, et celle-ci, par la loi
chrétienne, pourquoi la loi chrétienne ne
pourrait-elle pas l' être par une autre qu' il n' a
pas encore plu à Dieu de manifester aux hommes ?
5.
Si la loi naturelle a été perfectionnée, c' est, ou
par des vérités qui nous ont été révélées, ou par
des vertus que les hommes ignoraient. Or, on ne peut
dire ni l' un ni l' autre. La loi révélée ne contient
aucun précepte de morale que je ne trouve
recommandé et pratiq sous la loi de nature ; donc
elle ne nous a rien appris de nouveau sur la morale.
La loi révélée ne nous a apporté aucune rité
nouvelle ; car, qu' est-ce qu' une vérité, sinon une
proposition relative à un objet, conçue dans des
termes qui me présentent des idées claires, et dont
je conçois la liaison ? Or la religion révélée ne nous
a apporté aucune de ces propositions. Ce qu' elle a
ajouté à la loi naturelle consiste en cinq ou six
propositions qui ne sont pas plus intelligibles
pour moi que si elles étaient expries en ancien
carthaginois, puisque les ies représentées par les
termes, et la liaison de ces idées entre elles,
m' échappent entièrement.
Les idées représentées par les termes et leur liaison
m' échappent ; car, sans ces deux conditions, les
propositions révélées, ou cesseraient d' être des
mystères, ou seraient évidemment absurdes. Soit, par
exemple, cette proposition révélée : les enfants
d' Adam ont tous été coupables, en naissant, de la
faute de ce premier père. Une preuve que les idées
attaces aux termes et leur liaison m' échappent
dans cette proposition, c' est que si je substitue
au nom d' Adam celui de Pierre , ou de
Paul , et que je dise : les enfants de Paul
ont tous été coupables,
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en naissant, de la faute de leurre, la proposition
devient d' une absurdité convenue de tout le monde.
D' il s' ensuit, et de ce qui précède, que la
religion révélée ne nous a rien appris sur la
morale ; et que ce que nous tenons d' elle sur le
dogme, se réduit à cinq ou six propositions
inintelligibles, et qui, par conséquent, ne peuvent
asser pour des vérités par rapport à nous. Car, si
vous aviez appris à un paysan, qui ne sait point
de latin, et moins... encore de logique, le vers
asserit a, negat e, verum generaliter ambo,
croiriez-vous lui avoir appris une vérité nouvelle ?
N' est-il pas de la nature de toute vérité d' être
claire et d' éclairer ? Deux qualités que les
propositions révélées ne peuvent avoir. On ne
dira pas qu' elles sont claires ; elles contiennent
clairement, ou il est clair qu' elles contiennent une
rité, mais elles sont obscures ; d' il s' ensuit
que tout ce qu' on en infère doit partager la me
obscurité ; car la conséquence ne peut jamais
être plus lumineuse que le principe.
6.
Cette religion est la meilleure, qui s' accorde le
mieux avec la bonté de Dieu. Or la religion
naturelle s' accorde avec la bonté de Dieu ; car un
des caractères de la bonté de Dieu, c' est de ne
faire aucune acception de personne. Or la loi
naturelle est de toutes les lois celle qui cadre le
mieux avec ce caractère ; car c' est d' elle que l' on
peut vraiment dire que c' est la lumière que tout
homme apporte au monde en naissant.
7.
Cette religion est la meilleure, qui s' accorde le
mieux avec la justice de Dieu. Or la religion ou la
loi naturelle, de toutes les religions, est celle
qui s' accorde le mieux avec la justice. Les hommes,
présentés au tribunal de Dieu, seront jugés par
quelque loi ; or, si Dieu juge les hommes par la
loi naturelle, il ne fera point injustice à aucun
d' eux, puisqu' ils sonts tous avec elle. Mais, par
quelque autre loi qu' il les juge, cette loi n' étant
point universellement connue comme la loi naturelle,
il y en aura parmi les hommes à qui il fera
injustice. D' où il
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s' ensuit, ou qu' il jugera chaque homme selon la loi
qu' il aura sincèrement admise, ou que, s' il les juge
tous par la même loi, ce ne peut être que par la loi
naturelle, qui, également connue de tous, les a tous
également obligés.
8.
Je dis, d' ailleurs : il y a des hommes dont les
lumières sont tellement bornées, que l' universalité
des sentiments est la seule preuve qui soit à leur
portée ; d' où il s' ensuit, que la religion
chrétienne n' est pas faite pour ces hommes-là,
puisqu' elle n' a point pour elle cette preuve, et que
par conséquent ils sont, ou dispensés de suivre aucune
religion, ou forcés de se jeter dans la religion
naturelle, dont tous les hommes admettent la bonté.
9.
Cicéron, dit l' auteur des pensées
philosophiques , ayant à prouver que les romains
étaient les peuples les plus belliqueux de la terre,
tire adroitement cet aveu de la bouche de leurs
rivaux. Gaulois, à qui le cédez-vous en courage, si
vous le dez à quelqu' un ? Aux romains. Parthes,
après vous, quels sont les hommes les plus
courageux ? Les romains. Africains, qui
redouteriez-vous, si vous aviez à redouter
quelqu' un ? Les romains. Interrogeons, à son
exemple, le reste des religionnaires, dit l' auteur
des pensées . Chinois, quelle religion serait
la meilleure, si ce n' était la tre ? La religion
naturelle. Musulmans, quel culte
embrasseriez-vous, si vous abjuriez Mahomet ?
Le naturalisme. Chrétiens, quelle est la vraie
religion, si ce n' est la chrétienne ? La religion
des juifs. Et vous, juifs, quelle est la vraie
religion, si le judaïsme est faux ? Le naturalisme.
Or, ceux, continuent Cicéron et l' auteur des
pensées , à qui l' on accorde la seconde place
d' un consentement unanime, et qui ne cèdent la
première à personne, méritent incontestablement
celle-ci.
10.
Cette religion est la plus sensée au jugement des
êtres raisonnables, qui les traite le plus en êtres
raisonnables, puisqu' elle ne leur propose rien à
croire qui soit au-dessus de leur raison, et qui n' y
soit conforme.
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11.
Cette religion doit être embrassée préférablement
à toute autre, qui offre le plus de caractères
divins ; or la religion naturelle est, de toutes les
religions, celle qui offre le plus de caractères
divins ; car il n' y a aucun caractère divin dans les
autres cultes qui ne se reconnaisse dans la religion
naturelle ; et elle en a que les autres religions
n' ont pas : l' immutabilité et l' universalité.
12.
Qu' est-ce qu' une grâce suffisante et universelle ?
Celle qui est accordée à tous les hommes, avec
laquelle ils peuvent toujours remplir leurs devoirs,
et les remplissent quelquefois.
Que sera-ce qu' une religion suffisante, sinon la
religion naturelle, cette religion donnée à tous les
hommes, et avec laquelle ils peuvent toujours
remplir leurs devoirs et les ont remplis
quelquefois ? D' où il s' ensuit que non-seulement la
religion naturelle n' est pas insuffisante, mais qu' à
proprement parler, c' est la seule religion qui le
soit ; et qu' il serait infiniment plus absurde de
nier la nécessité d' une religion suffisante et
universelle, que celle d' une grâce universelle et
suffisante. Or, on ne peut nier la nécessité d' une
grâce universelle et suffisante, sans se précipiter
dans des difficultés insurmontables, ni par conséquent
celle d' une religion suffisante et universelle. Or la
religion naturelle est la seule qui ait ce
caractère.
13.
Si la religion naturelle est insuffisante de quelque
façon que ce puisse être, il s' ensuivra de deux
choses l' une, ou qu' elle n' a jamais été observée
fidèlement par aucun homme qui n' en connaissait
point d' autre, ou que des hommes qui auraient
fidèlement observé la seule loi qui leur était
connue, auront été punis, ou qu' ils auront été
compensés. S' ils ont été compensés, donc leur
religion était suffisante, puisqu' elle a opéré
le même effet que la religion chrétienne. Il est
absurde qu' ils aient été punis. Il est incroyable
qu' aucuns n' aient été fidèles observateurs de leur
loi. C' est renfermer toute probité dans un petit coin
de terre, ou punir de fort honnêtes gens.
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14.
De toutes les religions, celle-là doit être
préférée, dont la vérité a plus de preuves pour
elle, et moins d' objections. Or, la religion
naturelle est dans ce cas, car on ne fait aucune
objection contre elle, et tous les religionnaires
s' accordent à enmontrer la vérité.
15.
Comment prouve-t-on son insuffisance ? 1 parce que
cette insuffisance a été reconnue de tous les autres
religionnaires ; 2 parce que la connaissance du vrai
et la pratique du bon a manqué aux plus sages
naturalistes. Fausses preuves. Quant à la première
partie, si tous les religionnaires se sont accordés
pour convenir de son insuffisance, apparemment que
les naturalistes n' en sont pas. En ce cas, le
naturalisme retombe dans le cas de toutes les
religions qui sont tenues pour les meilleures
par chacun de ceux qui les professent, et non par les
autres. Quant à la seconde partie, il est constant
que depuis la religion révélée nous n' en connaissons
pas mieux Dieu, ni nos devoirs. Dieu, parce que
tous ses attributs intelligibles étaient découverts,
et que les inintelligibles n' ajoutent rien à nos
lumières ; nous-mêmes, puisque la connaissance de
nous-mêmes se rapportant toute à notre nature et à
nos devoirs, nos devoirs se trouvent tous exposés
dans les écrits des philosophes païens, et notre
nature est toujours inintelligible, puisque ce qu' on
prétend nous apprendre de plus que la philosophie,
est contenu dans des propositions ou
inintelligibles, ou absurdes quand on les entend,
et qu' on ne conclut rien contre le naturalisme de la
conduite des naturalistes. Il est aussi facile que la
religion naturelle soit bonne, et que ses préceptes
aient été mal observés, qu' il l' est que la religion
chrétienne soit vraie, quoiqu' il y ait une infinité
de mauvais chrétiens.
16.
Si Dieu ne devait aux hommes aucun moyen suffisant
pour remplir leurs devoirs, au moins il ne lui était
pas permis par sa nature de leur en fournir un
mauvais. Or, un moyen insuffisant est un mauvais
moyen ; car le premier caractère distinctif
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d' un bon moyen c' est d' être suffisant. Mais, si la
religion naturelle était absolument suffisante avec
la grâce ou lumière universelle, pour soutenir un
homme dans le chemin de la probité, qui est-ce qui
m' assurera que cela n' est jamais arrivé ? D' ailleurs,
la religion révélée ne sera plus que pour le mieux,
et non pas de nécessité absolue ; et s' il est
arrivé à un naturaliste de persister dans le bien,
il aura infiniment mieuxrité que le chrétien,
puisqu' ils auront fait l' un et l' autre la même chose,
mais le naturaliste avec infiniment moins de secours.
17.
Mais je demande qu' on me dise sincèrement laquelle
des deux religions est la plus facile à suivre, ou
la religion naturelle, ou la religion chrétienne. Si
c' est la religion naturelle, comme je crois qu' on
n' en peut jamais douter, le christianisme n' est donc
qu' un fardeau surajouté, et n' est donc plus une
grâce ; ce n' est donc qu' un moyen très-difficile de
faire ce qu' on pouvait faire facilement. Si l' on
pond que c' est la loi chrétienne, voici comme
j' argumente. Une loi est d' autant plus difficile à
suivre, que ses préceptes sont plus multipliés et
plus rigides. Mais, dira-t-on, les secours pour les
observer sont plus forts en comparaison des secours
de la loi naturelle, que les préceptes de ces deux
lois ne diffèrent par le nombre et la difficulté des
préceptes. Mais, répondrai-je, qui est-ce qui a
fait ce calcul et cette compensation ? Et n' allez
pas mepondre que c' est Jésus-Christ et son
église ; car cette réponse n' est bonne que pour
un chrétien, et je ne le suis pas encore : il s' agit
de me le rendre ; et ce ne sera pas apparemment par
des solutions qui me supposent tel. Cherchez-en
donc d' autres.
18.
Tout ce qui a commencé aura une fin ; et tout ce qui
n' a point eu de commencement ne finira point. Or le
christianisme a commencé ; or le judaïsme a
commen; or il n' y a pas une seule religion sur la
terre dont la date ne soit connue, excepté la
religion naturelle ; donc elle seule ne finira point,
et toutes les autres passeront.
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19.
De deux religions, celle-là doit être préférée, qui
est le plus évidemment de Dieu, et le moins
évidemment des hommes. Or la loi naturelle est
évidemment de Dieu ; et elle est infiniment plus
évidemment de Dieu, qu' il n' est évident qu' aucune
autre religion ne soit pas des hommes : car il n' y a
point d' objection contre sa divinité, et elle n' a pas
besoin de preuves ; au lieu qu' on fait mille
objections contre la divinité des autres, et qu' elles
ont besoin, pour être admises, d' une infinité de
preuves.
20.
Cette religion est préférable, qui est la plus
analogue à la nature de Dieu ; or, la loi naturelle
est la plus analogue à la nature de Dieu. Il est de
la nature de Dieu d' être incorruptible ; or
l' incorruptibilité convient mieux à la loi naturelle
qu' à aucune autre ; car les préceptes des autres
lois sont écrits dans des livres sujets à tous les
événements des choses humaines, à l' abolition, à la
sinterprétation, à l' obscurité, etc. Mais la
religion naturelle, écrite dans le coeur, y est à
l' abri de toutes les vicissitudes ; et si elle a
quelque révolution à craindre de la part des préjus
et des passions, ces inconvénients-là sont communs
avec les autres cultes, qui d' ailleurs sont exposés
à des sources de changements qui leur sont
particulières.
21.
Ou la religion naturelle est bonne, ou elle est
mauvaise. Si elle est bonne, cela me suffit ; je n' en
demande pas davantage. Si elle est mauvaise, la
tre pèche donc par les fondements.
22.
S' il y avait quelque raison de préférer la religion
chrétienne à la religion naturelle, c' est que
celle-là nous offrirait, sur la nature de Dieu et de
l' homme, des lumières qui nous manqueraient dans
celle-ci. Or, il n' en est rien ; car le
christianisme, au lieu d' éclaircir, donne lieu à une
multitude infinie de ténèbres
p270
et de difficultés. Si l' on demande au naturaliste :
pourquoi l' homme souffre-t-il dans ce monde ? Il
pondra, je n' en sais rien. Si l' on fait au chrétien
la même question, il répondra par une énigme ou par
une absurdité. Lequel des deux vaut mieux de
l' ignorance ou du mystère ? Ou plutôt la réponse des
deux n' est-elle pas la même ? Pourquoi l' homme
souffre-t-il en ce monde ? C' est un mystère, dit le
chrétien. C' est un mystère, dit le naturaliste. Car,
remarquez que la réponse du chrétien se résout enfin
à cela. S' il dit : l' homme souffre, parce que son
aïeul a péché, et que vous insistiez : et pourquoi
le neveupond-il de la sottise de son aïeul ? Il
dit, c' est un mystère ; eh ! Répliquerais-je au
chrétien, que ne disiez-vous d' abord comme moi : si
l' homme souffre en ce monde, sans qu' il paraisse
l' avoir mérité, c' est un mystère ? Ne voyez-vous pas
que vous expliquez ce pnomène comme les chinois
expliquaient la suspension du monde dans les airs ?
Chinois, qu' est-ce qui soutient le monde ? Un gros
éléphant. Et l' éléphant, qui le soutient ? Une
tortue ? Et la tortue ? Je n' en sais rien. Eh ! Mon
ami, laisse là l' éléphant et la tortue ; et confesse
d' abord ton ignorance.
23.
Cette religion est préférable à toutes les autres,
qui ne peut faire que du bien et jamais du mal.
Or, telle est la loi naturelle gravée dans le coeur
de tous les hommes. Ils trouveront tous en
eux-mêmes des dispositions à l' admettre, au lieu que
les autres religions, fondées sur des principes
étrangers à l' homme et, par conséquent,
nécessairement obscurs pour la plupart d' entre
eux, ne peuvent manquer d' exciter des dissensions.
D' ailleurs il faut admettre ce que l' expérience
confirme. Or, il est d' expérience que les religions
prétendues révélées ont causé mille malheurs, ar
les hommes les uns contre les autres, et teint
toutes les contrées de sang. Or la religion naturelle
n' a pas coûté une larme au genre humain.
24.
Il faut rejeter un système qui pand des doutes sur
la bienveillance universelle, et l' égalité constante
de Dieu. Or, le système qui traite la religion
naturelle d' insuffisante, jette des
p271
doutes sur la bienveillance universelle et l' égalité
constante de Dieu. Je ne vois plus qu' un être
rempli d' affections bornées, et versatile dans ses
desseins, restreignant ses bienfaits à un petit
nombre de créatures, et improuvant dans un temps ce
qu' il a comman dans un autre : car si les hommes
ne peuvent être sauvés sans la religion chrétienne,
Dieu devient envers ceux à qui il la refuse un père
aussi dur qu' une mère qui aurait privé ou qui
priverait de son lait une partie de ses enfants. Si,
au contraire, la religion naturelle suffit, tout
rentre dans l' ordre, et je suis forcé de concevoir
les idées les plus sublimes de la bienveillance et de
l' égalité de Dieu.
25.
Ne pourrait-on pas dire que toutes les religions du
monde ne sont que des sectes de la religion
naturelle, et que les juifs, les chrétiens, les
musulmans, les païens même ne sont que des
naturalistes hérétiques et schismatiques ?
26.
Ne pourrait-on pas prétendre, conséquemment, que la
religion naturelle est la seule vraiment
subsistante ? Car, prenez un religionnaire, quel
qu' il soit, interrogez-le ; et bientôt vous vous
apercevrez qu' entre les dogmes de sa religion il y
en a quelques-uns, ou qu' il croit moins que les
autres, ou même qu' il nie, sans compter une
multitude, ou qu' il n' entend pas, ou qu' il interprète
à sa mode. Parlez à un second sectateur de la
me religion, itérez sur lui votre essai, et vous
le trouverez exactement dans lame condition que
son voisin, avec cette différence seule, que ce
dont celui-ci ne doute aucunement et qu' il admet,
c' est précisément ou ce que l' autre nie ou suspecte ;
que ce qu' il n' entend pas, c' est ce que l' autre croit
entendre très-clairement ; que ce qui l' embarrasse,
c' est ce sur quoi l' autre n' a pas la moindre
difficulté, et qu' ils ne s' accordent pas davantage
sur ce qu' ils jugent mériter ou non une
interprétation. Cependant tous ces hommes
s' attroupent au pied des mes autels ; on les
croirait d' accord sur tout, et ils ne le sont presque
sur rien. En sorte que, si tous se sacrifiaient
ciproquement les propositions sur lesquelles ils
seraient en litige, ils
p272
se trouveraient presque naturalistes, et transportés,
de leurs temples, dans ceux du déiste.
27.
La vérité de la religion naturelle est à la vérité
des autres religions comme le témoignage que je me
rends à moi-même, est au témoignage que je reçois
d' autrui ; ce que je sens, à ce qu' on me dit ; ce que
je trouve écrit en moi-même du doigt de Dieu, et ce
que les hommes vains, superstitieux et menteurs ont
gravé sur la feuille ou sur le marbre ; ce que je
porte en moi-même et rencontre le même partout, et ce
qui est hors de moi, et change avec les climats ; ce
qui n' a point été sincèrement contredit, ne l' est
point et ne le sera jamais, et ce qui, loin d' être
admis, et de l' avoir été, ou n' a point été connu,
ou a cessé de l' être, ou ne l' est point, ou bien est
rejeté comme faux ; ce que ni le temps ni les hommes
n' ont point aboli et n' aboliront jamais, et ce qui
passe comme l' ombre ; ce qui rapproche l' homme
civilisé et le barbare, le chtien, l' infidèle et
le païen, l' adorateur de Jéhova, de Jupiter et de
Dieu, le philosophe et le peuple, le savant et
l' ignorant, le vieillard et l' enfant, le sage même et
l' insen, et ce qui éloigne le père du fils, arme
l' homme contre l' homme, expose le savant et le sage
à la haine et à la persécution de l' ignorant et de
l' enthousiaste, et arrose de temps en temps la terre
du sang d' eux tous ; ce qui est tenu pour saint,
auguste et sacré par tous les peuples de la terre,
et ce qui est maudit par tous les peuples de la
terre, un seul excepté ; ce qui a fait élever vers
le ciel, de toutes les régions du monde, l' hymne, la
louange et le cantique, et ce qui a enfanté
l' anathème, l' impiété, les exécrations et le
blasphème ; ce qui me peint l' univers comme une seule
et unique immense famille dont Dieu est le premier
père, et ce qui me représente les hommes divis par
poignées, et possédés par une foule demons
farouches et malfaisants, qui leur mettent le poignard
dans la main droite, et la torche dans la main
gauche, et qui les animent aux meurtres, aux ravages
et à la destruction. Les siècles à venir continueront
d' embellir l' un de ces tableaux des plus belles
couleurs ; l' autre continuera de s' obscurcir par les
ombres les plus noires. Tandis que les cultes
humains continueront de se déshonorer dans l' esprit
des hommes par leurs
p273
extravagances et leurs crimes, la religion naturelle
se couronnera d' un nouvel éclat, et peut-être
fixera-t-elle enfin les regards de tous les
hommes, et les ramènera-t-elle à ses pieds ; c' est
alors qu' ils ne formeront qu' une société ; qu' ils
banniront d' entre eux ces lois bizarres qui semblent
n' avoir été imaginées que pour les rendre méchants et
coupables ; qu' ils n' écouteront plus que la voix de
la nature, et qu' ils recommenceront enfin d' être
simples et vertueux. ô mortels ! Comment avez-vous
fait pour vous rendre aussi malheureux que vous
l' êtes ? Que je vous plains et que je vous aime ! La
commisération et la tendresse m' ont entraîné, je le
sens bien ; et je vous ai promis un bonheur auquel
vous avez renoncé et qui vous a fuis pour jamais.
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