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Langue Française (INaLF)
De la fréquente communion Les sentimens des pères, des papes et des
Conciles, touchant l'usage des sacremens de pénitence et d'Eucharistie, sont
fidèlement exposez... [Document électronique] / par M. Antoine Arnauld,...
PARTIE 1 CHAPITRE 1
p1
Où il est traité de la veritable
intelligence des passages de l' escriture, et
des peres que cét auteur allegue pour la frequente
communion. Des conditions d' un bon directeur
pour regler les communions. Si l' on doit
porter indifferemment toutes sortes de personnes
à communier tous les huit jours. Et de l' indisposition
que les pechez veniels peuvent apporter à
la frequente communion.
que l' auteur de cette question
a grande raison de proposer comme la meilleure regle,
qu' on doive suivre en toutes choses, les sentimens
de l' antiquité, les traditions des saints, et les
vieilles coustumes de l' eglise.
p2
response.
Cette premiere maxime, sur laquelle
vous pretendez establir tout
vostre escrit, est si solide, et si sainte,
que je ne me tiendrois pas pour
catholique, si je ne l' embrassois de tout mon
coeur, et si je ne portois une reverence particuliere
à ces paroles, par lesquelles vous reconnoissez,
que (...).
Car en effet, quelle asseurance pouvons-nous
avoir, que nostre esprit, qui n' est de soy-mesme
qu' erreur et que tenebres, ne s' esgare point
dans la conduite des ames ; qu' en suivant la
lumiere que Jesus-Christ a donnée à son
eglise, et qui se conserve dans la tradition de
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la mesme eglise.
Si le fils de Dieu ayant esté envoyé par son
pere, pour illuminer le monde, n' a rien dit que
ce qu' il a oüy de son pere, comme il le declare
dans l' evangile ; si le Saint Esprit, ayant esté
depuis envoyé par le fils, n' a rien dit que ce
qu' il a oüy du fils, comme le mesme fils le
tesmoigne ; si les apostres, ayans esté envoyez
par le Saint Esprit, n' ont rien dit que ce qu' ils
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ont appris de luy ; et enfin, si les evesques ayans
esté envoyez par les apostres, n' ont rien enseigné
que ce qu' ils avoient appris d' eux ; il n' y a point
d' apparence, comme vous le jugez fort bien, qu' il
soit permis à des hommes foibles, et aveugles
comme nous, de rechercher dans nostre
propre sens, et dans nostre fantaisie, les
instructions que les ames nous demandent, et de
leur enseigner une autre doctrine, et d' autres
regles de pieté, que celles que l' eglise a receuës
des peres de main en main, et de siecle en siecle,
comme les premiers d' entr' eux les avoient
receuës des apostres, les apostres du Saint
Esprit, le Saint Esprit du fils, et le fils du
pere.
Car ne me croyez pas si peu instruit dans la
science de l' eglise, que je vueille renfermer
dans les seuls poincts de la foy, et de l' intelligence
des mysteres, l' excellente regle que
vous proposez. Je reconnois avec vous, qu' elle
s' estend dans toutes les maximes qui regardent
la vertu et la pieté chrestienne, comme est la
question que vous traittez ; et qu' ainsi que
vous dites, nous la devons suivre generallement
en toutes choses ; c' est à dire, dans toutes les
veritez de la foy, et dans toute la morale du
christianisme.
Et qui seroit le catholique, qui pûst avoir
en cette rencontre un sentiment different du
vostre ; qui pûst croire, que la tradition divine
deust estre seulement la regle de nostre creance,
p4
et non pas le modelle de nos moeurs ; que
l' approbation de la doctrine des peres nous fust
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commandée, et que l' imitation de leur conduite
nous fust defenduë ; qu' il soit interdit de
nous esloigner de ce qu' ils enseignent, et qu' il
soit permis de chercher des voyes pour aller au
ciel, ou differentes des leurs, ou qui mesme leur
sont entierement opposées ; et enfin, que l' on
ne puisse pas dire de la foy, (...), la foy des
temps, et non pas de l' evangile ;
et que l' on puisse dire des moeurs,
(...), les moeurs des
temps, et non pas de l' evangile.
Nous apprenons des peres, et particulierement
de S Gregoire Le Grand dans ses morales ;
que la vertu et la pieté chrestienne ne doit
pas estre moins fondée dans la succession
apostolique, que la doctrine et la foy ; (...).
Ce qu' il confirme dans son pastoral, escrit
depuis ses morales, où il remarque, (...).
p5
Voila quel est le devoir, selon ce grand pape,
d' un pasteur evangelique, et d' un fidelle
directeur des ames. Voila le modelle de sa conduite :
voila ce qui le rend digne de recompense devant
Dieu, et de loüange devant les hommes : voila ce
qui le deffend contre les attaques de l' ignorance,
ce qui le justifie contre les accusations de la
calomnie, et ce qui l' absout, comme entierement
irreprochable devant les sçavans et les vertueux.
Adrien Ii impose la mesme loy à tous les
fidelles, et leur represente en peu de mots, (...).
Mais on ne peut rien adjouster aux paroles
toutes divines d' un concile de nostre France sur
ce sujet. (...).
p6
Si les papes et les conciles parlent de cette
sorte, comment est-ce que nous qui ne sommes
rien, prendrons la hardiesse de mespriser
les regles saintes de la pieté chrestienne, que
les ss. Nous ont laissées, et par leurs escrits,
et par leurs exemples ; et croirons marcher plus
seurement, en marchant par des voyes toutes nouvelles,
que ces grands maistres de la vertu ont entierement
ignorées, qu' en suivant les routes anciennes qui les
ont conduits et menez au ciel.
C' est veritablement ce que vous avez grande
raison de ne pas vouloir souffrir, et ce qui est
si contraire à l' esprit du christianisme, qu' un
autre grand pape dit, qu' il ne faut pas moins
s' opposer à ceux, qui combattent les constitutions
des ss. Peres, en ce qui regarde les moeurs,
qu' en ce qui regarde la foy. C' est la decision
que Gregoire Vii prononce dans une apologie
qu' il fit dresser pour les decrets de son concile
de Rome : (...).
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Que si l' autorité de ces trois grands papes, et
de tous les autres peres, n' est que trop suffisante
pour confirmer cette maxime si sainte et si
constante, que vous avez avancée ; cét oracle du
S Esprit mesme que vous alleguez, est capable
de fermer la bouche à tous ceux qui ne la
respecteroient pas autant qu' ils doivent.
Car puis que dans le passage que vous avez
cité, Saint Jean oblige tous les chrestiens, de
demeurer fermes dans ce qu' ils ont receu au
commencement ; afin que le pere demeure en
eux, et eux dans le pere ; ne seroit-ce pas
resister à la voix de Dieu, que de ne vouloir pas
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escouter celle de ce grand apostre ; ou plûtost
la voix generalle des apostres, et des prophetes :
puis que le vieil et le nouveau testament,
ne condemnent rien si puissamment en plusieurs
endroits, que de quitter les voyes anciennes,
et de passer les bornes que nos peres ont marquées,
pour se laisser emporter à des doctrines
estrangeres, et à des nouveautez prophanes.
Ainsi d' une part vous avez cet avantage, que
l' on ne peut esbranler le fondement que vous
avez estably en cette dispute ; que l' on ne peut
vous combattre que par vos propres armes, ny
juger de vos consequences, que par la verité de
vostre principe : mais de l' autre, vous avez grand
sujet d' apprehender, qu' il ne se trouve par
l' examen de vostre discours, qu' au lieu de bastir avec
de l' or, de l' argent, et des pierres precieuses sur
un fondement si divin, vous n' ayez basty qu' avec
du bois, du foin, et du chaume : et qu' ainsi,
la parole de Dieu, qui est appellée feu dans les
escritures, ne reduise en cendres tout vostre
edifice. Vous avez sujet de craindre que vos
propres armes ne se tournent contre vous ; que
la verité, sur laquelle vous avez pensé appuyer
vostre doctrine, ne s' esleve la premiere pour la
destruire ; et que Jesus-Christ ne vous
adresse ces paroles estonnantes de son evangile ;
je vous juge par vostre bouche . C' est ce que
j' espere vous monstrer dans la suitte de cette
response ; et ce que vous reconnoistrez vous-mesme,
p9
pourveu que l' amour de la verité soit
plus fort dans vostre esprit, que la passion de
defendre vos sentimens, (...).
Lors que vous serez victorieux de l' animosité
qui vous possede, vous pourrez posseder
la verité qui est victorieuse de vous.
PARTIE 1 CHAPITRE 2
de quelle sorte on doit suivre
l' exemple de la frequente communion des
premiers chrestiens.
response.
Vous ne sçauriez avoir un plus
loüable dessein, que celuy que
vous proposez en t article ; mais
parce que la confusion sert autant
à couvrir l' erreur, que la distinction à éclaircir
la verité ; pour proceder avec ordre dans la
recherche où vous m' engagez, il est besoin de
considerer avant toutes choses, ce que tous les
peres nous enseignent, que l' eglise est composée
de deux sortes de personnes, d' innocens et de
pecheurs ; c' est à dire, de ceux qui sont
demeurez
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dans la grace du baptesme, et de ceux qui l' ont
perduë par quelque peché mortel.
Pardonnez moy si je vous dis, que toutes
vos mauvaises consequences ne sont procedées
que de l' ignorance de cette distinction, et de
la diversité de la discipline envers deux estats si
differents. Car tout ce recueil de passages, que
vous n' avez peut-estre jamais leus dans leurs
sources, comme il est aisé de le juger, ne monstre
autre chose, que ce qui se pratiquoit envers
les premiers, qui sont les innocens et les justes ;
et envers ceux d' entre les derniers, c' est à dire,
d' entre les pecheurs , qui s' estans purgez de
toutes leurs impuretez par une longue et serieuse
penitence, s' estoient remis dans l' exercice d' une
vie vrayment chrestienne.
Mais quant à ceux qui s' estoient nouvellement
relevez de quelque peché mortel, je feray
voir dans la suitte, que tant s' en faut, qu' aucun
des peres leur ait jamais conseillé de communier
souvent, qu' au contraire par la pratique
de l' eglise ils ont tousjours esté retranchez
de la communion pour quelque temps, comme
d' une viande trop solide, et disproportionnée
à leur foiblesse.
De sorte que celuy qui veut regler la maniere
dont il se faut conduire, pour ce qui regarde
l' eucharistie envers les pecheurs et les
penitens, (qui est le principal point dont
veritablement il s' agit) par l' usage de l' eglise
p11
ancienne envers les innocens et les
justes, se rend aussi ridicule qu' un homme
qui ramasseroit tout ce que disent Hipocrate
et Galien touchant la nourriture de ceux qui se
portent bien, pour en conclure que les malades,
ou ceux qui ne font que sortir de la maladie,
se doivent servir du mesme regime de vivre.
Mais pour vous monstrer, qu' en tout cecy
je ne desire rien dire de moy-mesme ; escoutez
ce que Sainct Bonaventure nous enseigne sur la
mesme question que vous proposez ; s' il vaut
mieux communier souvent que rarement ; et
sur le mesme exemple dont vous vous servez,
des frequentes communions de l' eglise primitive.
Ce grand homme, dont Gerson prefere
la doctrine à celle de tous les autres
scholastiques, apres avoir rapporté ce qui se peut
dire de part et d' autre touchant la frequente
reception de l' eucharistie, forme enfin sa decision
en ces excellentes paroles. (...).
p12
Ce seul passage pourroit servir de response
toute entiere à tout vostre escrit, puis qu' il
renverse en ce peu de mots toutes vos fausses
maximes. Car vous proposez generallement à toutes
sortes de personnes, quelques foibles et imparfaites
qu' elles soient, afin de ne dire pis,
l' exemple des premiers fidelles, pour les porter
à communier souvent : et ce saint soustient
au contraire, que cét exemple ne doit estre
imité que de ceux qui imitent la ferveur et la
sainteté de ces premiers chrestiens, et qui
comme eux se conservent inviolablement
dans la renaissance divine, et dans la plenitude
p13
du Saint Esprit, que le baptesme et la confirmation
leur ont conferée.
Vous voulez que pour tiede et pour froide
qu' une ame se reconnoisse, elle communie
souvent sans aucune crainte : et luy, soustient
au contraire, que les ames froides, et qui se
trouvent en l' estat de l' eglise finissante, dont
Jesus-Christ mesme a predit que le feu
de la charité se refroidiroit, ne doivent
communier que rarement.
Vous ne voulez pas, que ce soit une action
de respect envers l' eucharistie, que de s' en
abstenir quelquesfois par humilité : et luy nous
asseure, que ceux-mesmes, qui sont arrivez à
une plus grande perfection que ne porte cét
estat de la vieillesse de l' eglise, se doivent
partager entre le respect, et l' amour ; et que ce
mystere demande d' estre honoré égallement par
une abstinence religieuse, et par une sainte
avidité.
Vous osez nier, que le delay serve en quelque
chose à communier avec plus de reverence :
et S Bonaventure condemne si clairement
cét erreur, qu' il enseigne en termes exprez, que
l' ame qui a desja fait quelque progrez dans la
vertu chrestienne, doit se retirer quelquesfois
du saint sacrement, pour apprendre à le reverer,
ut addiscat revereri .
Et enfin, vous ne connoissez point d' autre
voye pour toutes sortes de personnes, que la
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multiplication des communions : et ce saint
qui estoit poussé d' un autre esprit que le vostre,
et qui sçavoit en combien de differentes manieres
Jesus-Christ a accoustumé de conduire
ses serviteurs, veut que chaque personne
juge par sa propre experience, s' il luy est plus
utile pour son avancement dans la pieté de
communier plus, ou moins souvent ; et qu' elle
choisisse la voye qu' elle sent estre la plus
agreable à Dieu, et que Jesus-Christ favorise
davantage de ses graces.
Jugez quelle doit estre vostre doctrine, puis
qu' elle est directement contraire à celle de ce
grand docteur. Jugez, si c' est le plus grand
malheur qui puisse arriver à l' eglise , comme
vous dites sur la fin de ce discours, de suivre le
conseil de ce saint, pour porter quelques personnes
à se retirer quelquesfois de l' eucharistie par
humilité et par reverence ; et pour destourner
les ames impures et pecheresses de communier
souvent ; ou d' y pousser indifferemment tout
le monde, comme vous faites par vostre escrit.
Jugez si c' est sa doctrine, ou la vostre, qui
est un stratageme du diable , pour user de vos
paroles. Et pardonnez-nous, si nous estimons
davantage le jugement de Saint Bonaventure, qui
estoit animé de l' esprit, et esclairé de la lumiere
des anciens peres ; que celuy d' un homme,
qui tesmoigne ne sçavoir que des maximes que
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les peres ont ignorées, et ignorer celles que les
peres ont sceuës. Pardonnez-nous, si nous
reverons autant la sagesse, avec laquelle il
distingue le temps de la plus grande vigueur, et de
cette force heroïque de l' eglise primitive, d' avec
celuy de sa decadence et de son declin, les
chrestiens du treiziesme siecle, d' avec ceux du
premier, les foibles estincelles du feu divin,
d' avec les flammes ardentes, qui embraserent
toute la terre, comme nous improuvons l' indiscretion
avec laquelle vous confondez des
âges si differents, et des choses si distinctes et si
separées. Et enfin pardonnez-nous, si nous aymons
mieux nous conduire selon cette regle
ancienne d' un religieux si saint, d' un docteur si
celebre, et d' un prelat si illustre ; que selon les
nouveaux advis d' un directeur inconnû, qui
peut-estre n' a qu' une vertu commune, et qui
certainement n' a qu' une suffisance tres-mediocre,
et nulle autorité dans l' eglise.
PARTIE 1 CHAPITRE 3
de la frequente communion,
dont il est parlé dans les actes des apostres.
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response.
Si vous aviez entrepris de confirmer
ce que je viens de dire, vous
n' en pouviez apporter une preuve
plus evidente. Les apostres ont
estably la communion ordinaire entre les fidelles :
mais entre quels fidelles ? Entre ceux
que le baptesme venoit de despoüiller du vieil
homme avec toutes ses actions, et revestir du
nouveau ; à qui l' imposition de leurs mains
venoit de conferer la plenitude de l' esprit sainct ;
dont la foy operoit tous les jours une infinité
de miracles ; dont l' esperance les eslevant desja
dans le ciel, leur faisoit fouler aux pieds toutes
les richesses de la terre ; dont la charité, qui est
le comble de la perfection chrestienne, estoit
si parfaicte, qu' ils ne faisoient tous ensemble
qu' un coeur et qu' une ame : enfin entre ceux,
que l' eglise a tousjours considerez, comme le
modelle le plus accomply de la saincteté du
christianisme, et de toutes les religions.
Examinez, je vous prie, la solidité de vos
raisonnemens. Les premiers fidelles tout bruslans
p17
encore de ce feu, que Jesus-Christ
venoit d' envoyer du ciel, pour embraser les
coeurs des hommes, participoient souvent à
l' eucharistie : donc quelque tiedeur, et quelque
indevotion que l' on ressente , sans peser, si
c' est un effect de nostre foiblesse, où une suitte de
nostre mauvaise vie, on doit faire la mesme chose
sans aucune crainte ; c' est vostre doctrine.
Ceux que le sang de Jesus-Christ encore
tout boüillant venoit de remplir de son
saint amour, s' approchoient souvent des
autels : donc ceux qui sont remplis de l' amour
d' eux-mesmes, font tres-bien de communier souvent ;
c' est vostre conduite.
Ceux qui se trouvoient si destachez de toutes
les choses du monde, qu' ils portoient avec
joye tous leurs biens aux pieds des apostres,
recherchoient souvent dans l' eucharistie de
s' unir à Jesus-Christ : donc ceux-là luy font
grand honneur, de faire la mesme chose, qui sont si
attachez au monde que de merveille ; ce sont
vos termes, et vos conseils.
Ceux qui venoient de recevoir la grace avec
abondance, se nourrissoient souvent de ce pain
des forts : donc plus on se trouve denué de grace,
plus on se doit hardiment approcher de
l' eucharistie ; ce sont vos propres paroles. Par
quelles regles du raisonnement pourroit-on tirer ces
conclusions de ces principes ?
Mais pour considerer la parole de Dieu,
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avec un peu plus d' attention que vous n' avez
fait ; je trouve que ce mesme endroict des actes
des apostres, nous fournit deux considerations
extremément remarquables.
La premiere, c' est que l' escriture nous
declare deux choses de ces premiers chrestiens ;
l' une, qu' ils perseveroient en la doctrine des
apostres, et l' autre, qu' ils perseveroient en la
sainte communion ; où la seconde est une
suitte de la premiere. ils perseveroient, dit
l' escriture, en la doctrine des apostres, et en la
communion de la fraction du pain. ne craignez vous
point de commettre un sacrilege en renversant
l' ordre estably par le Saint Esprit, en faisant
marcher, comme vous faites tousjours en
cét escrit, la perseverance en la communion,
avant la perseverance en la doctrine des apostres ;
au lieu que la perseverance en la doctrine
des apostres, c' est à dire l' observation des
regles divines qu' ils avoient apprises de
Jesus-Christ, et qu' il leur avoit commandé
d' enseigner aux autres, precede selon l' escriture
la perseverance dans la participation de
l' eucharistie.
La seconde remarque, qui vous monstrera
bien evidemment, quelle pureté l' on doit
avoir pour se presenter à la table du seigneur ;
c' est qu' au lieu que dans ce second chapitre il
est expressément dit des nouveaux convertis,
qu' ils perseveroient en la doctrine des apostres,
p19
et en la sainte communion : dans le premier,
où l' escriture descrit particulierement,
ce que faisoient ces six vingts personnes, qui
depuis l' ascension de Jesus-Christ attendoient
dans Jerusalem les effects de sa
promesse ; il n' en est dit autre chose, sinon
qu' ils perseveroient en prieres, sans y adjouster
un seul mot de l' eucharistie ; d' où l' on
peut aysément conclurre, que les apostres,
apres avoir receu depuis la resurrection tant
de graces de leur maistre ; apres avoir receu le
Saint Esprit par le souffle mesme de sa bouche ;
apres avoir receu de luy le commandement
de prescher par tout sa doctrine, et la
puissance de la confirmer par toutes sortes de
miracles, ne se creurent pas neantmoins encore
assez bien disposez pour se nourrir de ce
pain du ciel ; et voulurent attendre la
plenitude du Saint Esprit, pour celebrer plus
dignement ces redoutables mysteres. Ce qui
monstre l' ordre dans lequel l' eucharistie doit
estre receuë selon son vray usage : et l' on
peut croire avec raison que c' est pour cette
cause que l' eglise, conduite par son espoux, a
fait celebrer la feste du saint sacrement
immediatement apres celle de la pentecoste ; afin
d' apprendre à ses enfans, que la premiere est
une preparation à la seconde ; et qu' il faut que
le Saint Esprit descende sur les hommes, pour
les rendre capables de s' approcher de cette
p20
viande sainte, afin que le mesme esprit qui a
preparé la Sainte Vierge par la plenitude de ses
graces, pour former dans elle le corps mortel du
fils de Dieu, prepare encore et purifie par ses
lumieres les ames des chrestiens pour recevoir
ce mesme corps du fils de Dieu ; mais impassible,
immortel, et glorieux, selon ce que les peres
enseignent, que le saint sacrement est une
suitte et une estenduë de l' incarnation, extensio
incarnationis .
Et cette consideration de l' eglise est si solide,
et si veritable, que lors que le fils de Dieu
communia les deux disciples d' Emaüs, qui est
la seule communion qui ait esté faite avant la
descente du Saint Esprit, l' evangile fait voir
expressément par leurs propres paroles, qu' il
leur avoit auparavant remply le coeur du feu
divin, ainsi qu' ils le tesmoignent eux-mesmes,
en s' escriant comme dans un transport de la
grace qu' ils avoient receuë ; nonne cor nostrum
ardens erat in nobis ? nostre coeur n' estoit-il
pas tout bruslant dans nous ? De sorte qu' ainsi
qu' il avança pour eux la distribution de son
corps, il avança de mesme l' effusion de son
esprit, il leur donna des dispositions
extraordinaires, comme il les communia en
un temps extraordinaire ; pour tracer en eux
une image de ce qui devoit arriver à tous
les fidelles apres la descente du Saint Esprit,
comme il a figuré en une infinité de manieres
p21
dans l' evangile ce qui devoit arriver à toute
l' eglise.
PARTIE 1 CHAPITRE 4
qui sont ceux qui meritent
d' assister à la messe, selon S Denys.
p22
response.
Si vous aviez bien compris l' esprit
veritable de cette sainte discipline,
qui s' observoit à la naissance
de l' eglise, non seulement vous
vous seriez abstenu de la rapporter comme
vous estant favorable, mais vous auriez facilement
reconnu, qu' il ne se peut rien concevoir
qui soit plus contraire à vos maximes, et qui
ruine davantage toutes vos pretensions.
Car que sert-il de nous dire, qu' avant la celebration
des mysteres, on chassoit tous ceux qui
n' estoient pas disposez à recevoir l' eucharistie,
si vous ne nous enseignez, qui estoient ceux
qu' ils n' y jugeoient pas disposez. Et s' il se
trouvoit, qu' ils eussent mis de ce nombre, non
seulement ceux, qui ne font pas profession de vivre
vertueusement, qui neantmoins vous conseillez
la frequente communion, ainsi que je le feray
voir,) mais ceux mesmes, qui estoient une fois
tombez de l' estat d' une vie sainte et chrestienne,
quoy qu' ils eussent dessein d' y r' entrer : non
seulement ceux, qui portans à la haste aux pieds
d' un prestre leurs habitudes enracinées, et leurs
crimes encore tous vivans, doivent, selon vous,
estre aussi-tost admis à l' eucharistie, mais
ceux mesmes, qui s' estans desja retirez de la vie
contraire à la vertu, ne sont pas encore purifiez
des images qui leur restent
p23
de leurs déreglemens passez : non seulement ceux,
qui sont remplis de l' amour d' eux-mesmes, mais
aussi ceux, qui n' ont pas encore l' amour divin,
pur, et sans aucun meslange : non seulement ceux,
qui sont si attachez au monde que de merveille ;
mais tous ceux, qui ne sont pas encore parfaictement
unis à Dieu seul, et entierement irreprochables.
si, dis-je, il se rencontroit, que toutes ces
personnes eussent esté chassées du sacrifice,
cette sainte discipline feroit-elle voir autre chose,
sinon, que ceux que vous admettez, ou plustost
que vous poussez à la frequente participation
des mysteres ; ne devroient pas seulement y assister,
selon le sentiment de ces grands saints,
que vous confessez avec tous les catholiques
au commencement de ce discours, nous devoir
servir de regle.
Je ne desire pas que vous m' en croyez, mais
escoutons tous deux vos propres tesmoins ; et
principalement celuy d' entr' eux qui vous en
peut le mieux informer, comme estant le seul
qui ait escrit particulierement de ces choses.
Le grand S Denis declare ce que vous rapportez,
qu' apres l' evangile, et la lecture des saintes
lettres, ceux, qui n' estoient pas disposez à
recevoir l' eucharistie, estoient mis dehors : mais
parce que vous avez oblié de nous dire, quels
estoient ces gens-là, que l' on mettoit hors de
l' eglise, il faut que ses paroles vous l' apprennent ;
ouvrez donc les yeux et les oreilles du coeur,
p25
et voyez si vous pourrez soustenir la splendeur
de ces esclairs, et le bruit de ce tonnerre.
Cette doctrine est-elle conforme à la vostre ?
Et si ce grand saint avoit preveu tous vos
excez, et tous les desordres que vous voulez
establir, (comme l' esprit qui l' animoit les
prevoyoit bien) les auroit-il peu estouffer avec des
paroles plus pressantes ?
PARTIE 1 CHAPITRE 5
de la coustume de communier
tous les jours.
vous nous obligerez de nous
monstrer ces divers endroicts, où
Saint Augustin fait cette remarque
des eglises de Rome, et d' Espagne ;
car je suis fort trompé si vous en pouvez
faire voir un seul.
Pour Saint Hierosme il ne parle, dans
l' apologie adressée à Pammachius pour ses livres
contre Jouinien, que des eglises de Rome ;
c' est dans l' epistre à Lucinius qu' il y adjouste
celles d' Espagne : mais il ne dit en nul endroict,
p26
que cette coustume leur fust demeurée du
temps des apostres ; comme il semble par vos
paroles que vous le vouliez persuader.
Et de plus, vous ne deviez pas obmetre, que
dans le lieu mesme que vous citez, Saint Hierosme
parle fortement contre ceux, qui sous
le pretexte de cette coustume prenoient la
hardiesse de communier, n' estans pas dans toute
la pureté que demande cet auguste sacrement.
Ce qui nous fait voir que quelque coustume
qu' il y ait eu dans l' eglise d' approcher souvent
de l' eucharistie, elle ne donne jamais la
liberté d' en approcher qu' avec les dispositions
necessaires pour un mystere si adorable : et
qu' ainsi, ne s' agissant pas s' il est bon de
communier souvent, mais quelles doivent estre les
dispositions pour le faire, il suffit de vous
renvoyer à Saint Denys, pour apprendre sur ce
sujet les sentimens des apostres ; et de leurs
disciples.
PARTIE 1 CHAPITRE 6
du commandement de communier
en la primitive eglise.
p27
vous avez raison de reconnoistre
qu' il n' y a point de fondement
assez solide, pour establir dans la
primitive eglise le precepte de
communier tous les jours : et quant à la
coustume de participer au sacrifice toutes les fois
que l' on y assistoit ; je vous ay desja monstré
qu' elle ne nous fait voir autre chose, sinon
que ces saints disciples des apostres, demandoient
les mesmes dispositions pour entendre
la messe, que pour recevoir l' eucharistie : et
par consequent, qu' il ne faut pas s' estonner si
la plus grande partie de ceux qui l' entendoient,
y communioient.
C' est pourquoy, quand vous aurez banny
de l' eglise tous ceux qu' ils en bannissoient,
c' est à dire, (comme Saint Denys nous le
tesmoigne,) (...) ;
p28
l' on ne trouvera nullement mauvais,
qu' à l' exemple de ces premiers
chrestiens, vous conviez à la reception
de l' eucharistie, tous ceux qui demeureront
pour assister à la celebration des mysteres.
Mais que vous vous serviez de cette sainte
pratique, pour porter ceux qu' ils auroient
chassez de l' eglise à s' approcher souvent des autels ;
c' est ce qu' on ne peut voir sans gemissement,
et sans douleur. Et pour vous apprendre en
passant (en attendant que je le fasse plus au long
en un autre endroit) que la coustume, ou mesme
le precepte, si vous le voulez, de communier
souvent en la primitive eglise, ne regardoit,
que les innocens et les justes , et non pas
les pecheurs et les penitens , il ne faut que vous
renvoyer à vostre office, où vous trouverez
que Saint Soter pape, faisant commandement
à tous les fidelles de communier le jour de la
cene, ne manque pas d' en excepter ceux,
qui estoient separez de l' eucharistie pour
quelque peché mortel.
PARTIE 1 CHAPITRE 7
p29
en quel sens les peres
conseillent la frequente communion.
hé ! Qui ne la conseille avec eux ?
Mais vous ne nous dites jamais,
que la moitié de ce qu' il faut dire.
Ce n' est pas assez de nous monstrer,
que les peres ont conseillé la frequente
communion ; il faut faire voir à qui ils l' ont
conseillée. Tous les medecins conseillent le pain
et la viande, comme une fort bonne nourriture :
s' ensuit-il pour cela qu' ils les conseillent
indifferemment à toutes sortes de personnes, et
qu' ils en nourrissent les malades, aussi-tost
mesme qu' ils sont hors de fievre ? C' est pourquoy
je vous conjure au nom de celuy, qui ayant
rachepté ses brebis de son propre sang, ne veut
pas qu' on les nourrisse du poison d' une
mauvaise doctrine ; de nous declarer, si vous croyez,
que cette frequente communion, dont les
p30
peres parlent, s' estendist égallement aux
innocens et aux coupables ; aux justes ,
et aux penitens . Si vous avez cette creance,
je vous feray voir par tous les peres que vous citez,
que vous n' estes pas fort intelligent dans leur
doctrine : que si vous ne l' avez pas ; vous abusez
de l' ignorance des autres dans une matiere aussi
importante que la conduite des ames ; leur faisant
accroire, que suivant l' esprit des peres, ils doivent
communier souvent, au lieu qu' en l' estat où une
grande partie se trouve, les peres les eussent
retranchez pour long-temps de la veuë mesme
des mysteres.
PARTIE 1 CHAPITRE 8
sentimens de Saint Basile,
touchant la penitence et la sainte communion.
ce que vous rapportez de Saint
Basile, (puis qu' il faut que je vous
trouve tous vos passages) ne se
rencontre que dans un recueil
d' epistres adjousté à ses oeuvres, dont une
p31
grande partie n' est pas de luy : et il y a mesme
beaucoup de sujet de croire, que celle que vous
citez, qui est la 289 ad caesariam patritiam ,
n' est pas de ce saint. Mais quoy qu' il en soit,
en retranchant de ce passage le mot de, tous, que
vous y avez adjousté, le reste ne nous monstre,
que ce qui se pratiquoit envers ceux, qui menoient
une vie veritablement chrestienne ; et
non point envers ceux, qui en estoient decheus
par des pechez mortels ; en quoy consiste le
principal point de nostre contestation,
personne ne doutant que la frequente communion
ne soit utile aux ames pures.
Mais pour ce qui regarde les personnes, qui
ont besoin de penitence, si vous aviez un peu
leu Saint Basile, vous n' auriez eu garde de le
produire en cette rencontre pour apuyer vos
sentimens : car si entre les ouvrages qui sont
indubitablement de luy, vous aviez leu seulement
ses deux epistres à Amphilochius, qui
ayant esté inserées par l' eglise grecque dans le
corps de ses canons, ne doivent plus estre
considerées, comme l' opinion du seul Saint Basile,
mais comme la voix de toute l' eglise d' Orient ;
vous y auriez trouvé des choses fort peu propres
à establir vostre doctrine.
Vous y auriez veu plusieurs années de penitence,
et de separation de l' eucharistie, pour
des pechez fort ordinaires, et pour
quelques-uns des moindres d' entre les pechez mortels.
p32
Une année, et quelquefois deux pour un
larcin : quatre ans, et quelquefois sept pour
une simple fornication : onze ans pour les
parjures : quinze ans pour un adultere : le
mesme temps pour avoir contracté mariage
dans les degrez deffendus : vingt ans pour
un homicide : toute la vie pour le violement
qu' un religieux ou une religieuse auroient
fait de leur voeu de chasteté.
Vous y auriez mesme rencontré des années
entieres de retranchement de l' autel pour des
actions qui sont innocentes d' elles-mesmes,
à cause seulement qu' elles portent quelque
image d' incontinence, et que procedantes de
quelque sorte de relaschement, elles sembloient
un peu blesser cette grande pureté, que
l' eglise jugeoit necessaire à ceux qui s' approchoient
de l' eucharistie ; sçavoir pour les secondes
nopces ; quoy qu' il declare formellement,
qu' il les tient pour de bons, et legitimes
mariages : mais afin que cette severité ne vous
estonne pas trop, vous apprendrez deux choses
du mesme saint, qui vous feront voir le
juste temperament, que l' esprit de Dieu veut
estre observé entre la trop grande rigueur, et
la trop grande condescendence.
La premiere, que bien que ces temps fussent
prescrits par les canons, il demeuroit tousjours
en la puissance de l' evesque d' en relascher
quelque chose, selon les fruits de penitence,
p33
que ceux à qui l' on l' avoit imposée, faisoient
paroistre. La seconde, que si les pecheurs
refusoient de subir ces lois, ces grands saints ne
se relaschoient pas pour cela de la vigueur de
l' evangile.
Le canon 84 de la seconde epistre justifie
l' un et l' autre en des termes tres remarquables,
(...) !
Mais pour apprendre encore plus particulierement
de ce grand saint avec quelle
disposition il se faut approcher de l' eucharistie,
il ne faut que lire ce qu' il escrit dans le chapitre
p34
dernier du livre premier du baptesme ; (...). Et
Sainct Basile ne separe point ses deux nourritures,
l' une d' avec l' autre ; establissant comme une maxime
constante, que celuy qui ne fait pas la volonté de
Dieu, en violant les preceptes de l' evangile par
la corruption de ses moeurs, doit estre privé de
la communion ; c' est à dire que celuy qui ne
se nourrit pas de bonnes oeuvres, qui sont la
premiere nourriture celeste, et spirituelle, doit
estre privé de l' autre : ce qu' il ne dit pas
seulement de ceux qui sont dans le desordre du
vice, et qui commettent des pechez mortels à
toutes rencontres ; mais de ceux mesmes qui
menent une vie plus reglée, et comme moitié
chrestienne, et moitié seculiere, ne vivans
pas tout à fait pour Jesus-Christ, selon ce qu' ils
ont promis au baptesme. Et il establit cette
maxime, (...).
p36
Considerez, je vous prie, avec quelque attention,
les paroles de ce grand saint, et jugez
si celuy qui ne se contente pas que l' on soit
exempt de toute impureté de corps, et d' esprit ,
pour approcher de l' eucharistie, envoyeroit à
la table sacrée ceux qui auroient commis des
pechez mortels, aussi tost apres une simple
confession. Jugez, si celuy qui veut, que l' on
monstre clairement, que l' on est mort au peché,
(ce qui ne se peut faire, que par le tesmoignage
des bonnes oeuvres, qui sont les fruits certains
et visibles de cette mort sainte) feroit communier
tous les huict jours, ceux dont les habitudes
inveterées, et les passions criminelles
sont encore toutes vivantes. Jugez enfin si
celuy qui veut, que l' on tesmoigne clairement, que
l' on est mort au monde, et à soy-mesme, et que l' on
ne vit plus que pour Dieu seul, porteroit à des
frequentes communions (ainsi que vous faites, et
que vous le declarez en termes formels dans cet
escrit) ceux qui sont remplis d' amour d' eux-mesmes,
et si attachez au monde que de merveille ?
PARTIE 1 CHAPITRE 9
que Saint Epiphane ne dit
rien qui favorise cet auteur.
vous demeurez tousjours dans le mesme
esgarement, ne prouvant jamais
ce dont il s' agit. Mais de plus, encore
que vostre façon de citer des volumes tous entiers,
p37
sans specifier aucun lieu, soit fort propre
pour n' estre pas facilement convaincu d' alleguer
à faux : je prendray neantmoins la hardiesse
d' asseurer en cét endroit que vous vous trompez,
ou que vous voulez tromper les autres, ce
que j' aurois plus de peine à croire.
Vous n' avez pû prendre ce que vous
rapportez de Saint Epiphane, que de la declaration
de la foy, qui est à la fin de son ouvrage
contre les heresies : où il ne dit autre chose,
sinon (...) ; mais par ce qu' il
y a dans le grec le mot de (...), qui se prend
assez souvent pour l' eucharistie, un medecin
alleman la traduit inconsiderément, communiones,
ce que vous avez aussi-tost pris, pour
un precepte de communier trois fois la semaine,
en y adjoustant du vostre, que Saint Epiphane
parle de son eglise en particulier.
On pourroit traiter cette question, si toutes
les fois que les chrestiens s' assembloient, on leur
distribuoit l' eucharistie ; mais elle n' est pas de
nostre sujet, et il n' est point besoin de l' examiner
icy. Car quand cela eust esté, les penitens
en seroient tousjours demeurez exclus, et pour
ce qui regarde les autres fidelles, il eust
entierement dependu de leur liberté, de ne s' en
approcher pas. Ce qui justifie bien le peu de
verité qu' il y a dans vos paroles : lors que vous
p38
faites dire à Sainct Epiphane ; qu' il estoit
enjoint à ceux de son eglise de communier trois
fois la semaine. et pour monstrer, que vous
faites force sur ce mot, d' enjoint ; qui marque
precepte, et necessité, vous adjoustez ; qu' aux
autres jours il n' estoit pas deffendu, comme de fait
plusieurs ne laissoient pas de communier ; ce
qui est une fausseté si estrange, et qui m' a
tellement surpris, que je ne puis m' empescher d' en
rougir pour vous, n' y ayant pas un seul mot dans
Sainct Epiphane, qui puisse donner la moindre
occasion de luy attribuer des choses, aux
quelles il ne pensa jamais. C' est à vous à me
detromper si je m' abuse, et à nous descouvrir
ce secret, par lequel vous lisez dans les peres,
ce que tous les autres n' y ont jamais leu.
PARTIE 1 CHAPITRE 10
explication d' un passage de
Saint Ignace.
il ne faut qu' opposer à l' obscurité de
vos paroles la clarté de celles de S Ignace,
pour juger, que leur vray sens est
tres-éloigné de vostre pensee : car voicy comme
p39
ce S Martyr parle dans l' epistre aux ephesiens,
de laquelle seule vous pouvez avoir tiré ce
passage, quoy que sur vostre citation il soit assez
difficile de le reconnoistre. (...).
Je sçay bien, que ces paroles du texte grec
(...), ont donné lieu à quelques
interpretes d' entendre de l' eucharistie le
commencement de ce passage. Mais le mot de (...)
qui suit apres, monstre clairement,
que ces termes ne signifient autre chose en ce
lieu, que l' action de graces, et de loüanges
qu' on rend à Dieu ; pour laquelle l' on sçait que
les chrestiens s' assembloient, et non pas seulement
pour communier.
p40
Et d' ailleurs, il est visible, que l' effect dont
vous parlez en vostre article, de repousser les
puissances de Sathan, n' est pas attribué à
l' eucharistie, quand mesme le mot (...), la
marqueroit ; mais à l' unité de l' esprit, et de la
foy, au lien de la paix, et de la concorde, qui
s' entretenoit par ces saintes assemblees, et
qui s' enflammoit par les hymnes, et par les
cantiques qu' ils chantoient, pour imiter dans
la terre, ce que les anges font dans le ciel.
Et ce que Sainct Ignace dit icy a grand
rapport à ces paroles celebres de Tertullien ;
(...). Qui peut douter, que ce qui est agreable à
Dieu, ne soit odieux, et formidable aux demons,
comme dit ce grand martyr ? Et qui ne voit, que ces
esprits de tenebres conspirans tous ensemble
pour blasphemer Dieu, ils ne peuvent rien
haïr davantage, que ceux qui conspirent ensemble
pour le loüer ?
Cette interpretation neantmoins, qui paroist
tres veritable et tres naturelle, n' empesche
pas, que sous ces paroles generales de rendre
graces à Dieu, et de le loüer , l' eucharistie
p41
ne puisse estre comprise, comme la plus parfaite
de toutes les actions de graces, et qui est
appellée particulierement le sacrifice de loüange.
Mais apres que vous aurez remarqué, que
ceux à qui il escrivoit, estoient en un si
eminent degré de saincteté, qu' il prie Dieu peu
auparavant, (...). Apres cela,
dis-je, vous n' aurez plus sujet d' abuser de ce
passage (quand mesme il ne s' entendroit que
de la seule communion ; ce qui n' est pas) pour
porter à une aussi frequente participation de
l' eucharistie, ceux qui n' ont pas seulement
l' ombre de la vertu de ces chrestiens d' Ephese,
et qui pour user de vos mesmes termes ; (...), que
ces premiers fidels estoient remplis de l' amour de
Dieu, et attachez à Jesus Christ seul.
PARTIE 1 CHAPITRE 11
p42
sentimens de Saint Cyprien
touchant la penitence et la frequente communion.
si vous aviez quelque connoissance
de l' antiquité, vous n' allegueriez
pas ce livre de la cene du
seigneur, comme un ouvrage
de Saint Cyprien ; quoy qu' il ne contienne
rien, qui ne vous condamne : et le nom seul
de ce grand saint, vous feroit trembler en
parlant de cette matiere : n' y ayant point de
pere, qui soit plus propre à vous faire voir la
difference que l' on doit mettre entre la communion
des justes et innocens , et celle de ceux
qui veulent revivre, apres avoir fait mourir
leurs ames, par quelque offence mortelle : c' est
à dire des penitens .
Il faudroit transcrire une grande partie de
p43
ses ouvrages, pour vous monstrer, avec
quelque vehemence et quelle sainte cholere il
parle contre ceux, qui estans tombez durant la
persecution, vouloient estre admis à l' eucharistie,
avant que d' avoir fleschi la misericorde de
Dieu par une longue, et serieuse penitence,
par des gemissemens continuels, par des
larmes inépuisables, par les veilles, par les cilices,
par les prieres, par les jeusnes, par les aumosnes,
et par toutes sortes de bonnes oeuvres.
Je n' en rapporteray que trois ou quatre endroits
pour vous donner sujet de reconnoistre,
ou devant les hommes, ou devant Dieu, avec
combien d' indiscretion vous avez osé appuyer
vostre mauvaise doctrine sur celle de ce grand
saint. Voicy quelques-unes de ses paroles du
traitté qu' il a faict de ceux qui estoient
tombez durant la persecution.
(...).
p44
Si vous n' estes convaincu de ces paroles, et
si apres les avoir ouïes, vous voulez encore
abuser les ames par une fausse douceur ; ce
saint vous pourra reprocher, comme il fait
en cét endroit à ceux qui vous ressembloient :
(...).
p45
Et si vous n' estes satisfait ; il adjoustera ce
qu' il dit dans son epistre dixiesme : (...).
Que si vous pensez vous eschapper en disant,
qu' il ne parle que des idolatres ; il vous
repliquera au mesme endroict : (...).
Et de peur que vous ne croyez, que cela
luy soit eschappé, il repete la mesme chose
dans son epistre douxiesme, et en termes
encore plus forts ; (...).
p46
Et en fin pour vous oster toute sorte de
replique, il vous soustiendra dans l' epistre à
Antonien, (...). Apres cela, je
doute, qu' il vous prenne plus envie de vouloir
faire passer ce saint evesque, et ce saint martyr
pour partisan de vostre doctrine.
Mais si je vous monstre, qu' à l' endroit
mesme que vous citez, il vous condamne formellement,
p47
que vous restera-il pour vostre
deffence ? Escoutez donc, je vous prie, les
propres paroles de vostre texte, que vous avez
horriblement corrompu, en y retranchant tout
ce qui ruinoit vostre dessein. (...).
N' est-il pas clair par ces termes, que Saint
Cyprien ne conseille en façon quelconque de
communier souvent ; mais qu' il dit seulement,
que ceux qui sont, qui demeurent, et
qui vivent en Jesus-Christ, et qui
reçoivent tous les jours l' eucharistie, prient Dieu
de les preserver des grands pechez, (qui sont
les pechez mortels) pour lesquels ils seroient
separez du corps de Jesus-Christ : ce qu' il
explique encore un peu plus bas en ces termes :
(...). C' est ce qu' il avoit appris
de Tertullien, qui dans le traité de la priere
explique la mesme chose en ce peu de mots : (...).
p48
Et c' est aussi ce que Saint Augustin n' a
point faict de difficulté d' imiter, lors que dans
son homelie 42 expliquant le mesme
endroit de l' oraison dominicale, il semble
avoir pris plaisir de declarer plus au long le sens
de Saint Cyprien, comme ceux qui sont
versez en la lecture de ses ouvrages, sçavent qu' il a
faict en beaucoup d' autres endroits : (...).
Ne voyez-vous pas, que ces deux grands
saints establissent la perseverance dans la
pieté, dans la vertu, dans la foy, dans la bonne
vie, dans les bonnes oeuvres, comme une
condition absolument necessaire pour n' estre
point retranché de l' eucharistie ? Et vous au
p49
contraire enseignez, que tous les crimes et
toutes les abominations du monde, n' empeschent
pas qu' aussi-tost qu' un homme s' en est confessé ;
c' est à dire, aussi-tost qu' il a donné une
demy-heure à Dieu, pour des vingt années qu' il
aura données au diable, il ne doive sans aucune
crainte se presenter à son juge : et non seulement
vous poussez les ames à cette presomption ; mais
vous condemnez, comme temeraires , ceux qui
par la frayeur des jugemens de Dieu voudroient
prendre quelque temps pour fleschir sa misericorde
par l' exercice des bonnes oeuvres, avant
que de prendre la hardiesse de se nourrir de son
propre corps.
PARTIE 1 CHAPITRE 12
Saint Athanase allegué
mal à propos.
Saint Athanase n' a point fait de
commentaire sur les epistres de
Saint Paul, comme vos paroles le
pourroient faire croire. Et ceux
qui luy ont esté attribuez dans quelques vieilles
p50
editions, en ont esté retranchez dans toutes les
autres, parce qu' il est indubitable que ce saint
n' en est point l' auteur.
Mais qui ne souscriroit aisément à la doctrine
que vous en rapportez ? Il n' est question que
de sçavoir ce que c' est qu' une conscience bien
examinée. Et j' espere de faire voir à tout le
monde les excés que vous commettez, lors que
vous voulez decider ce point.
PARTIE 1 CHAPITRE 13
sentimens de Saint Ambroise
touchant la penitence.
un homme judicieux auroit remarqué
que ces livres des sacremens de Saint
Ambroise (si neantmoins ils sont
de luy) sont faits pour les neophytes, qui
sortans des eaux du baptesme, revestus d' innocence,
p51
et de pureté, ou pour mieux dire de Jesus-Christ
mesme ; et remplis en suitte de
la plenitude du Saint Esprit par la confirmation,
se trouvoient dans les plus saintes dispositions
que l' on puisse desirer pour recevoir
l' eucharistie. Et pour vous faire comprendre
cette verité, escoutez je vous prie, de quelle
sorte il leur parle : (...).
Ce n' est donc pas de cét ouvrage qui ne
s' adresse qu' aux innocens , qu' il faut apprendre les
regles, que l' eglise veut qu' on observe pour
remettre les pecheurs dans la participation de
l' eucharistie ; mais des deux livres de la
penitence, qui sont indubitablement de luy, et
qui traittent plainement cette matiere. Voicy
ce qu' il en dit en peu de mots, mais pleins de
vigueur et de verité. (...).
p52
Se peut-il rien adjoûter à cette decision ? Il
vous la confirmera neanmoins, si vous le desirez
par l' exemple de l' apostre ; (...).
Vous voyez, que les apostres ont establi le
retranchement de l' eucharistie pour l' une des
principales parties de la penitence ; et vous osez
appeller un stratageme du diable , ce que les
disciples du Saint Esprit, et les maistres de
toutes les nations ont enseigné à toute l' eglise.
Et vous voyez encore que Saint Ambroise
n' attribue pas à une moindre douceur d' imposer
au pecheur cette peine pour sauver son ame ;
que de le restablir en suitte dans l' usage des
sacremens, lors que Dieu l' en a rendu digne par
les oeuvres de penitence : tant il est vray que le
veritable esprit de la douceur chrestienne ne
p53
consiste, qu' à procurer le salut des ames, selon
les differentes voyes que leurs differentes
dispositions demandent, et qu' il n' y a point au
contraire de plus veritable cruauté, (...).
Que si l' on considere, que les livres de Saint
Ambroise de la penitence ont esté faits
contre les novatiens, qui par une dureté inhumaine
ne laissoient aucune esperance, à ceux qui
pechoient mortellement apres le baptesme, de
r' entrer dans la participation de l' eucharistie,
l' on jugera facilement, que si l' on pouvoit
entrer en quelque soupçon que ce saint eût passé
les bornes de la verité dans cét ouvrage ; ce
devroit estre plustost par une trop grande
indulgence, que par une trop grande rigueur : et
cependant remarquez de quelle sorte il s' oppose
à l' excessive severité de ces heretiques ; et
quelle penitence il veut que l' on fasse des pechez,
mesme secrets, pour pouvoir estre remis dans
la communion de l' eglise. (...).
p55
Voila les veritables sentimens de Sainct Ambroise,
touchant les preparations que ceux
qui ont perdu par des pechez mortels
le diamant
celeste , c' est à dire, l' innocence de leur
baptesme, comme il dit en ce mesme livre, doivent
apporter à la sainte communion.
Mais pour vous faire reconnoistre encore
davantage vostre peu de jugement ; je vous veux
monstrer, que l' endroit mesme que vous citez
du livre cinquiesme des sacremens ch. 4 porte
avec luy vostre condemnation. (...) : ces dernieres
paroles ne devroient-elles pas avoir un peu arresté
vostre esprit, et vostre plume, lors que vous avez
escrit en termes generaux, et sans exception
quelconque, que les pechez mortels n' empeschent pas
de communier aussi-tost que l' on s' est confessé ;
de sorte que vous pouvez dire à un homme tout
au contraire de S Ambroise. Quelque vie que
vous meniez, quelques crimes que vous commettiez,
pourveu que vous vous confessiez souvent,
vous meriterez de communier souvent.
PARTIE 1 CHAPITRE 14
explication d' un excellent
passage de Saint Augustin, que l' auteur attribuë
faussement à Saint Hilaire.
p56
vous vous abusez ; Saint Hilaire,
que vous citez sur la foy de Gratien,
ne dit en aucun lieu ce que
vous rapportez comme de luy. Ce
passage ne se trouve que dans S Augustin : mais
si vous l' aviez leu dans sa source, et non pas dans
de faux memoires, et que vous comprissiez
quelque chose dans la doctrine de ce grand
homme, vous vous fussiez bien gardé de l' alleguer ;
puis qu' il renverse entierement la plus
grande partie des poincts de vostre mauvaise
conduite. C' est ce qu' il est important de faire
voir pour des-abuser les ames, à qui sous le nom
de ces grands saints, vous presentez le poison
comme dans une coupe d' or.
C' est dans son epistre cent dix-huitiesme,
où il propose à un de ses amis les sentimens
differens de deux personnes vertueuses, touchant
la reception de l' eucharistie, avec une decision
veritablement chrestienne. (...).
p58
De cét excellent passage nous pouvons faire
cinq remarques fort importantes. La premiere,
que les paroles que vous en rapportez,
ne sont point de Saint Augustin, parlant en sa
personne : mais ne contiennent, que les raisons
de l' un des deux advis qu' il propose, sans les
approuver davantage, ou peut-estre encore
moins, que celles de l' advis contraire, comme
j' espere de le faire voir plus bas, lors que vous
voulez encore abuser du mesme passage.
La seconde, que cette dispute ne se propose
pas sur le sujet de ces demy-chrestiens, qui
s' eforcent d' accorder les regles de l' evangile avec
p59
toutes leurs passions déreglées ; qui voudroient
bien meriter le paradis, sans estre obligez de
faire aucune des actions qui y menent ; qui
taschent de se partager entre Dieu, et le monde,
et faire mentir la verité mesme, qui nous
asseure, que l' on ne peut servir deux maistres ;
dont toute la vie se passe en une suitte continuelle
de pechez, mesme mortels, et de confessions
sans amandement ; et enfin (pour descouvrir
en un mot, et par vos propres termes ;
la cause de tous leurs desordres) qui sont remplis
d' amour d' eux-mesmes ; ce qui leur donne
quelque desir de ne se pas perdre : et si attachez
au monde, que de merveille ; ce qui les empesche
d' embrasser ce qu' il faut faire pour ne se pas
perdre. Ce n' est pas, dis-je, entre les personnes
de cette sorte, que ce grand saint propose ce
differend, ausquelles il eust esté si esloigné de
permettre la communion de tous les jours ;
qu' à peine leur eust-il seulement permis
d' assister aux sacrez mysteres. Mais il ne le propose
qu' entre ceux dont la vie ne des-honore point
la sainteté du christianisme ; dont la foy est
fortifiée par l' esperance, et l' esperance animée
par la charité ; qui offensent Dieu tous les jours,
parce qu' ils sont hommes, mais qui ne l' offensent
point mortellement, parce qu' ils sont enfans
de Dieu ; qui ont droit de se nourrir du
corps de Jesus-Christ, parce qu' ils sont
eux-mesmes ce corps, comme parle Saint Augustin :
p60
et enfin pour dire tout, cette dispute
ne s' agite qu' entre deux hommes, dont l' un
a une sainte avidité, qui merite d' estre
comparée à la ferveur de Zachée, qui le fit resoudre
en un moment à donner aux pauvres la
moitié de tout son bien : et l' autre a une crainte
respectueuse, qui merite d' estre comparée à
l' humilité du centenier, dont la foy a esté
preferée à celle de tout Israël par la bouche du
sauveur mesme.
La troisiesme remarque qui suit de cette
seconde, est qu' encore que Saint Augustin
propose deux avis differens sur la reception de
l' eucharistie ; sçavoir, s' il est meilleur de la
recevoir tous les jours, ou de s' en abstenir
quelquesfois par reverence, il declare neantmoins
en termes clairs, comme une chose constante
parmy tous les fidelles, et dont personne ne
pouvoit douter ; que pour les pechez mortels,
il faut differer cette sainte nourriture ; se
separer de l' autel pour faire penitence ; et ne s' en
approcher point, que par l' autorité du prestre,
apres la penitence achevée. Car il ne faut point
douter, que par cette playe du peché, et cette
violence de maladie, qui nous doivent oster
l' usage de ces remedes, lesquels ne sont utiles
qu' aux ames plus fortes ; il n' entende toute sorte
de pechez mortels, et qui tuent l' ame par une
seule playe, comme il dit ailleurs : puis que
vous-mesme le reconnoissez, en alleguant plus bas ce
p61
mesme endroit pour prouver, que les pechez
veniels ne doivent pas empescher de communier.
Autrement l' on feroit approuver à Saint
Augustin une pensée abominable, et absolument
contraire à ses sentimens, (...).
Je sçay bien, que l' imagination des hommes
n' estant remplie que de ce qu' ils voyent
prattiquer, et ne se parlant en nostre temps
d' excommunication que pour de certains
pechez, qui bien que tres-grands, ne sont pas
tousjours les plus enormes devant Dieu, et
pour lesquels on ne l' ordonne qu' apres beaucoup
de formalitez ; aussi-tost qu' ils trouvent
dans les peres le mot d' excommunication , ils
l' appliquent à l' image qu' ils en ont formée
dans leur esprit ; et voyans qu' aujourd' huy
l' eglise n' excommunie pas pour la pluspart des
pechez mortels ; ils s' imaginent, que ces
pechez sont bien differens de ceux, que les peres
asseurent meriter l' excommunication. Mais il
est aisé de monstrer (et j' espere de le faire si
clairement en son lieu, que personne n' en
pourra douter) premierement, que dans la
doctrine de l' antiquité, et principallement de
Saint Augustin, (...), ne sont que la mesme chose,
quoy que dans cette mesme peine, il y eust quelque
p62
diversité, selon la diversité des personnes,
impenitentes, ou penitentes, comme nous dirons
en un autre endroit. Et en second lieu, que cette
peine estoit imposée pour tous les pechez mortels,
c' est à dire, pour ceux qu' il appelle, (...).
Il suffira pour cette heure d' avoir monstré
l' absurdité qu' il y auroit d' entendre autrement
ce saint docteur au lieu que
nous expliquons ; puis qu' il s' ensuivroit, qu' il
auroit laissé libre la communion de tous les
jours à ceux qui commettent des pechez mortels,
que les bons chrestiens ne commettent
point, comme il le soûtient ailleurs en termes
formels : (...).
La quatriesme remarque, qui est d' une extréme
importance, pour soustenir la verité que
vous avez si hardiment condemnée ; c' est que
selon la doctrine de l' eglise, expliquée par la
bouche de ce grand saint, recevoir indignement
le corps de Jesus-Christ, ce n' est
pas seulement le recevoir, ayant la conscience
chargée de quelque peché mortel ; mais mesme
le recevoir durant le temps où l' on doit
faire penitence de son peché. (...).
p63
Et ne craignez-vous point, que
ce grand maistre de l' eglise, que vous osez
condemner en la personne de ceux qui
voudroient suivre ses saintes regles, ne s' esleve
quelque jour en jugement contre vous, et ne
vous soustienne, que ce n' est pas luy, mais
toute l' eglise que vous condemnez, puis qu' il
n' en a esté en cét endroit que la voix, et le
tesmoin ?
C' est ce que je vous laisse à considerer, pour
passer au cinquiesme et dernier poinct, qui
vous monstrera avec combien peu de retenuë
vous voulez que l' on s' approche de l' eucharistie
sans crainte aucune , et blasmez generallement
tous ceux qui s' en retirent durant quelque
temps par crainte, et par reverence. Je
viens de vous faire voir, que ce grand homme
qui a esté si particulierement esclairé de Dieu,
proposant les raisons de deux personnes, dont
l' un pretend, qu' il faut s' approcher fort
souvent de la communion ; et l' autre, qu' il s' en faut
quelquefois separer par retenuë, n' ose porter
jugement en faveur de l' un, ou de l' autre : mais
p64
les exhorte seulement à vivre en paix, et à suivre
chacun les mouvemens que la foy luy inspire ;
adjoutant : (...).
Reconnoissez, je vous prie, combien ces excellentes
paroles, remplies d' une sainte moderation,
sont esloignées de vos jugemens precipitez :
et ne travaillez plus desormais à citer
beaucoup de peres, dont vous ne connoissez
que le nom, pour persuader aux ignorans, que
vous parlez selon leurs maximes.
PARTIE 1 CHAPITRE 15
combien Saint Augustin est
contraire aux sentimens de cét auteur.
p65
un homme sçavant, et judicieux
m' auroit espargné la peine de
répondre à cet article. Car vous
venez de citer un passage de
Saint Augustin sous le nom de
Saint Hilaire ; et icy, comme pour luy rendre
autant que vous luy avez osté, vous luy en
attribuez un qui ne fut jamais de luy, et que vous
mesme avez cité un peu auparavant sous le
nom d' un autre auteur. Apprenez donc, je
vous prie, puisque vous tesmoignez ne le sçavoir
pas, que ce sermon 28 des paroles du seigneur
n' est autre chose, que le quatriesme chapitre
du livre cinquiesme des sacremens de
Saint Ambroise, comme il y a desja long-temps
que les docteurs de Louvain l' ont remarqué.
Voila la preuve de vostre science : celle de
vostre jugement, est d' alleguer encore une fois ce
passage, auquel je vous ay desja monstré que
vous ne pouviez souscrire, sans souscrire en
mesme temps à vostre condamnation.
Il n' est pas neantmoins raisonnable, que
vostre erreur nous empesche de declarer sur
cette matiere quel a esté le sentiment de ce
pere, en qui la nature et la grace semblent avoir
conspiré pour en faire la plus grande lumiere
p66
qui ait éclairé l' eglise depuis les apostres. Je
pense que vous avez encore les yeux esbloüis
de l' esclat de ces paroles puissantes, qu' il a
prononcées contre vous dans le chapitre precedent :
que si vous pensez luy repliquer, il vous
fermera la bouche par celles qu' il a escrites en
un autre endroit, qui outre leur propre autorité
sont encore appuiées de celles de l' eglise,
puis qu' elles ont esté jugées dignes de faire
partie du divin office. Elles sont prises du sermon
deux cent cinquante-deuxiéme ; et vous les
trouverez aux leçons de la dedicace ; ce qui
m' a donné sujet de les rapporter d' autant plus
volontiers, qu' elles ne peuvent pas vous estre
inconnuës : lisez-les, je vous prie, sans passion,
et jugez si elles se rapportent à vostre
doctrine.
(...).
p67
Que l' eglise a perdu de ce que le pape ne
vous a point appellé à la derniere reveuë du
breviaire ! Vous l' eussiez sans doute adverti
d' en retrancher des leçons, qui contiennent
une si pernicieuse doctrine, et si contraire ,
selon vostre avis, à l' usage de l' eglise
d' apresent. vous luy eussiez remonstré, qu' elles
pouvoient donner occasion à quelque temeraire de
se retirer de vostre pratique, c' est à dire, de la
pratique universelle de l' eglise ; parce que vous
croyez que toute l' eglise depend de vous. Et
enfin vous donnez sujet de croire, que s' il vous
arrive quelque jour de reciter ces leçons, vous
ne manquerez pas de faire quelque conjuration
pour destourner ce stratageme du diable (comme
vous appellez la doctrine qu' elles enseignent)
ou que si le nom de Saint Augustin
arreste un peu vostre zele, au moins vous formerez
en vous-mesme quelque remarque
pour servir de contrepoison, et pour empescher
que cela ne fasse concevoir à quelque
personne simple cette mauvaise pensée, qui ne
peut venir du Saint Esprit , de se retirer
humblement de l' autel divin, lors qu' elle trouve sa
conscience blessée par quelque peché mortel ;
p68
et de ne s' en approcher point, avant que de
s' estre purifié quelque temps par les prieres,
par les jeusnes, et par les aumosnes.
PARTIE 1 CHAPITRE 16
abus d' un passage de Gennadius
qui est expliqué plus au long en un autre endroit.
je ne dis rien de ce que vous
doutez encore du veritable auteur du
livre des dogmes ecclesiastiques,
que le consentement universel
de tous les sçavans a rendu à Gennadius
il y a desja long-temps : ny de ce que vous le
faites contemporain de Saint Augustin, qui
estoit mort il y avoit plus de soixante ans, avant
que Gennadius commençast à escrire. Pleust
à Dieu, que vous n' eussiez point de fautes plus
dangereuses.
p69
Mais l' absurdité de vostre glose n' est pas
supportable : car vous dites que lors que Saint
Augustin ou Gennadius, n' approuve ny ne
desapprouve la coustume de communier tous
les jours, cela ne se doit pas entendre de ceux qui
veulent vivre vertueusement . Il faut donc que cela
s' entende de ceux qui ne veulent pas vivre
vertueusement : et ainsi selon cette estrange
explication, Saint Augustin ou Gennadius aura
laissé indecis, s' il est bon de communier tous
les jours à ceux qui ne veulent pas vivre
vertueusement. Et parce que le mesme auteur
conseille la communion de tous les dimanches
à ceux à qui il n' oseroit la conseiller tous les
jours, ce sera à ces mesmes personnes, qui ne
font point profession de vivre vertueusement,
qu' il aura conseillé cette communion de tous
les dimanches. Vous voyez bien que toutes
ces propositions ne sont qu' une suitte
necessaire de vos paroles : et cependant je ne puis
croire, que vous mesme n' en soyez surpris, puis
qu' elles blessent si fort la pieté chrestienne. Je
ne dis rien davantage de ce passage de Gennadius,
parce que je me reserve d' en parler plus au
long en un autre endroit, où vous l' alleguez
encore pour appuyer vostre mauvaise doctrine.
PARTIE 1 CHAPITRE 17
p70
Saint Hierosme allegué mal à propos.
vous vous fussiez bien passé de rapporter
cet endroit de Saint Hierosme,
puis que d' une part il touche
un point qui ne se doit jamais traitter
qu' avec une extréme discretion : et que de l' autre
il ne contient rien qui ne vous soit tout
à fait contraire. Car si ce pere est d' avis
qu' une action de soy innocente, pour tenir
quelque chose de la corruption generale, fasse
differer la communion ; quel doit estre son
sentiment touchant les actions criminelles de
cette nature ? Traiteroit-il moins severement
l' impudicité, que le mariage ? Et celuy qui
desire que les personnes qui sont jointes de ce
noeud sacré suivent le conseil de Saint Paul,
p71
avant que de se presenter à l' eucharistie ;
envoiroit-il à l' autel aussi-tost apres s' estre
confessez, comme vous voulez que l' on fasse, ceux
dont l' esprit est encore rempli des images
impures de leurs debauches ? Je ne vous en dis pas
davantage pour cette heure ; nous trouverons
peut-estre quelque occasion de vous declarer
le sentiment de Saint Hierosme, touchant les
preparations necessaires pour approcher
dignement de cette table divine.
PARTIE 1 CHAPITRE 18
sentimens de Saint Jean
Chrysostome touchant les dispositions, qu' on doit
apporter à la sainte communion.
il faudroit que vous eussiez une merveilleuse
opinion de la credulité du monde,
si vous vous pouviez encore persuader
que l' on vous deust croire sur vostre parole, en
p72
citant onze volumes d' un trait de plume, apres
avoir esté si clairement convaincu de tant de
fausses citations ; mais la grande multitude des
ouvrages de S Chrysostome n' empeschera pas
que je ne vous soustienne, que vous n' abusez
pas moins de son authorité, que de celle des
autres peres, et qu' il vous est impossible d' en rien
rapporter, qui ne favorise la verité que je
deffens, et qui ne destruise les fausses regles dont
vous vous estes declaré le protecteur.
Vous nous rapporterez peut-estre ce qu' il dit
dans une homelie. (...).
Nous vous advouërons tout cela de tres-bon
coeur, et s' il est besoin, nous le signerons de
nostre sang : mais afin que vous n' en abusiez
pas, nous y adjoutterons ce qu' il dit au mesme
p73
endroit, et ce que nous vous supplions d' ajuster
à vos maximes. Vous enseignez, (...).
p75
Que si cette homelie ne vous semble pas
assez favorable ; peut-estre aurez-vous recours
à une autre, où se plaignant de la negligence
de ceux qui n' approchoient point de l' eucharistie ;
(...).
Surquoy je vous prie de peser deux poincts,
pour recompense de ce que je vous promets
d' examiner bien-tost les deux vostres.
Le premier est, que cette voix que vous venez
d' entendre ; que tous ceux qui
sont en penitence sortent ;
qui n' est pas la voix de Saint Chrysostome, mais
de l' eglise par ses ministres en la celebration
des mysteres, ne chasse pas seulement du temple
ceux qui sont encore plongez dans leurs
pechez ; mais ceux-mesmes qui en font
penitence : et qu' ainsi, tant que cette voix
conservée dans ses saintes archives retentira à nos
oreilles, il nous sera fort difficile d' escouter la
vostre, par laquelle vous osez la contredire en
asseurant, que ce n' a jamais esté la prattique de
l' eglise, que l' on fust plusieurs jours à faire
penitence de ses pechez, avant que de se presenter
à l' eucharistie.
Le second poinct est, qu' encore que Saint
Jean Chrysostome eust entrepris de combattre
la negligence criminelle de ceux qui par mespris,
ou peu d' attention aux choses de leur salut,
ne se presentoient que tres-rarement à
la sainte communion ; il n' a eu garde neantmoins
de passer les bornes, que la conduite du
Saint Esprit a establies dans l' administration
de cét auguste sacrement ; ny de donner lieu,
mesme en apparence, à aucun de vos excez. Il
ne pousse pas indifferemment tous les fidelles à
p76
communier souvent, comme vous luy attribuez
faussement : il les exhorte avant toutes
choses à se rendre dignes d' y participer souvent :
il les conjure de n' assister point aux mysteres,
s' ils ne sont pas dignes d' y participer : il declare
que ceux qui sont en penitence n' en sont pas
dignes : et enfin il parle avec vigueur contre ceux
qui reglent leurs communions selon l' occurrence
des grandes festes, et non pas selon la pureté
de leur ame. Escoutons ses divines paroles
dans cette mesme homelie. (...).
p77
Mais pour monstrer aux plus aveugles, que
ce grand evesque travaille bien plus puissamment
à faire entrer les fidelles dans la sainteté
necessaire pour la participation de ces mysteres
adorables, que non pas à porter indifferemment
toutes sortes de personnes à y participer
souvent, comme vous le voulez persuader, je
vous supplie de trouver bon que je rapporte
encore quelques-unes de ses paroles dignes de son
eloquence et de l' esprit qui l' animoit : c' est en
l' une de ses homelies sur l' epistre aux hebreux,
où apres avoir expliqué divinement le sacrifice
de l' eucharistie, et estouffé par avance l' impieté
de nos heretiques, il adjouste ; (...).
p79
à vostre advis est-ce pousser indifferemment
tous les fidelles à communier souvent,
que de rejetter de l' autel (...),
est-il conforme à vostre doctrine,
qui par la mesme indiscretion
dont vous loüez generallement tous ceux qui
s' approchent souvent de l' eucharistie,
condamnez sans exception tous les autres qui par
quelque motif que ce soit s' en approchent plus
rarement ? Et enfin ces redoutables paroles qui
font trembler les plus justes, vous passeront-elles
pour un stratageme du diable , qui veut
destourner les ames de frequenter les sacremens,
lors mesme que ce saint evesque asseure son
peuple, de ne luy vouloir proposer, que les
pensées du Saint Esprit ?
PARTIE 1 CHAPITRE 19
des deux maximes que cet
auteur attribue faussement à Saint Chrysostome,
l' une qu' en s' abstenant de communier, on ne doit
pas penser porter plus de respect au saint
sacrement. L' autre, que le delay ne nous rend pas
plus dignes de le recevoir.
mais c' est trop nous arrester à une chose
si claire. Il est temps de passer à ces deux
points, que vous jugez dignes d' estre
remarquez, et qui le sont veritablement ; mais
p80
en une maniere bien contraire à l' opinion que
vous en avez. Car lors que vous faites dire à
Saint Jean Chrysostome : (...) ; ou vous
l' entendez simplement de ceux
qui s' abstiennent de communier par negligence,
et par le peu de soin qu' ils ont des choses
divines ; et qui aussi durant le temps qu' ils
different leur communion, ne travaillent
point à s' y preparer : et alors, cette remarque
est tres-vaine, et tres-inutile ; parce que
personne ne doute, qu' un homme qui s' esloigne
de l' eucharistie par cet esprit de negligence, ou
de peu d' estime, ou de vanité, ou de pure crainte,
sans humilité, ny aucun amour, ne soit tres-digne
de blasme ; puis que c' est en cela, que
consiste ce degoust, dont parle Saint Augustin,
que cette manne sainte ne peut souffrir :
et ainsi tout ce que les peres disent contre cette
sorte de personnes est plein de justice, et de
verité. Mais si vous l' entendez generallement,
(comme la suitte de vostre escrit monstre assez,
que vous faites) de tous ceux, qui par quelque
motif que ce soit, se separent de l' eucharistie,
et quoy qu' ils fassent durant ce temps, pour se
preparer à la recevoir avec plus de pureté ; je
reserve à vous faire voir en un autre endroict,
par le sentiment de l' escriture, des peres, et de
p81
l' eglise, la fausse de cette estrange maxime,
dont vous composez l' une de vos regles : et je
me contenteray icy de justifier S Jean
Chrysostome, et de monstrer, que ces deux points
generaux, dont vous le voulez faire auteur, sont
contraires à ses sentimens, comme les tenebres
le sont à la lumiere.
Ce grand saint est si esloigné de condamner
une personne, laquelle se sentant coupable
d' avoir foulé tant de fois aux pieds le sang du
fils de Dieu par des offenses mortelles,
prononce contre elle-mesme l' arrest de sa
condamnation, en se jugeant indigne de participer
à ses mysteres, et s' en retire pour un temps
dans la reconnoissance de cette indignité, afin
de se purifier auparavant par l' exercice de cette
penitence : il est dis-je si esloigné de trouver cet
esloignement mauvais, et ce delay inutile,
qui sont les deux points que vous luy attribuez : que
suivant la doctrine generalle des autres peres, il
juge, que les veritables penitens doivent pratiquer
cette humilité, pour r' entrer peu à peu
dans la sainteté qu' ils ont perduë, et se nourrir
long-temps de la parole de Dieu, avant que se
nourrir de son corps.
Pour preuve de ce que je dis, vous n' avez
qu' à lire l' homelie de l' enfant prodigue, qu' il
propose comme le plus rare exemple de la
misericorde de Dieu, et la plus excellente figure
de tous les vrays penitens : où, entr' autres choses,
p82
pour l' explication de ces paroles ; (...).
C' est ainsi que ce grand personnage, explique
la conduite admirable de l' eglise envers
tous ceux qui desiroient de se jetter entre les
bras du pere celeste, apres avoir prodigué ses
thresors divins, en violant par des pechez mortels
la saincteté de leur baptesme. C' est l' arrest,
que l' eglise leur prononçoit par la voix du
diacre, en commandant à tous ceux qui estoient en
penitence de sortir dehors . C' est ainsi qu' elle
p83
entendoit que l' on s' esprouvast, et que l' on se
jugeast soy-mesme, selon le commandement
de Saint Paul, pour ne manger point le corps
de Jesus-Christ à sa condamnation.
C' est cet esloignement de l' eucharistie, en
quoy consiste la plus grande humiliation du
pecheur, et par consequent le plus grand honneur
qu' il soit capable de rendre à Dieu, puis
que Dieu n' est honnoré que par les humbles ;
et la plus grande esperance de son restablissement,
puis que l' élevation est promise à celuy
qui s' humilie.
C' est ce delay procedant d' humilité, et non
de deffaut d' amour, qui l' excite davantage par
la consideration du bien dont il est privé, à se
purifier de toutes ses taches par l' exercice des
bonnes oeuvres, pour estre digne de r' entrer
dans cette adorable participation. Apres cela,
continurez-vous d' imposer à Saint Chrysostome
ces deux maximes generalles : (...).
PARTIE 1 CHAPITRE 20
p84
excellent passage de Gennadius
touchant les dispositions requises à la frequente
communion, tant au regard des innocens, et qui
n' ont commis que des pechez veniels, qu' au regard
de ceux qui ont commis des pechez mortels apres le
baptesme.
apres avoir épuisé tous vos memoires,
vous voulez achever de
tromper les ignorans par cette
figure de rhetorique. Mais
ayant fait voir jusques icy, que
tout ce que vous avez rapporté des peres, n' est
qu' un ramas de citations fausses, ou prises à
contre-sens ; il ne reste plus qu' à monstrer, que
l' addition que vous faites en cet endroit, en est
le couronnement, et le comble.
Vous abusez si souvent de ce passage, tantost
l' attribuant à Saint Augustin, tantost à
Gennadius qui en est le veritable auteur ; qu' il
p85
est necessaire de le produire tout entier, comme
il est dans l' original, sçavoir dans le ch. 53
du livre des dogmes ecclesiastiques. Escoutez-le
donc une fois pour toutes, c' est à dire,
escoutez l' arrest de vostre condamnation.
(...).
p86
J' aurois trop mauvaise opinion de vostre
esprit, et de vostre jugement, si je ne croyois,
qu' apres la lecture de ces paroles, vous
reconnoistrez de vous-mesme, que ce seul endroict
est plus que suffisant pour renverser vostre
mauvaise doctrine en tous ses chefs, et pour
faire voir à tout le monde, que par un estrange
aveuglement, au lieu que les payens prenoient
les operations des demons agissans
dans les idoles comme dans des corps empruntez,
pour les operations de Dieu ; vous au contraire,
prenez la conduite de Jesus-Christ
agissant dans l' eglise, comme dans son veritable
corps, pour une conduitte de l' esprit d' erreur,
pour un stratageme du diable , et pour le plus
grand malheur qui puisse arriver à l' eglise .
p87
Car vous voyez, combien il est necessaire
en cette matiere de ne confondre point, comme
vous faites tousjours, les innocens, et les
pecheurs ; les justes, et les penitens ; ceux
qui sont demeurez fermes dans l' alliance contractée
avec Jesus-Christ par le baptesme, et
ceux qui l' ont violée par des offences mortelles.
Il ne faut pas s' estonner, si apres que vous avez
renversé ce fondement, vous avez ruïné en
suitte les plus saintes maximes de la religion
chrestienne : puis que les philosophes sçavent,
que d' une erreur dans les principes, il en naist
une infinité dans les conclusions ; comme tous
les ruisseaux se sentent de la corruption de leur
source. Mais ce qu' il y a de plus estrange, c' est
que Gennadius protestant en termes clairs,
qu' en exhortant de communier tous les huict
jours, il n' entend point parler de ceux qui ont
commis des pechez mortels depuis le baptesme,
vous dissimulez neanmoins une verité si
importante, et en laquelle consiste principalement
le sujet de nostre dispute.
PARTIE 1 CHAPITRE 21
p88
comment se doivent disposer
à la saincte communion ceux qui ont commis des
pechez mortels apres le baptesme. Où il est
principalement parlé de l' utilité des religions
pour faire penitence.
ainsi pour commencer où Gennadius
acheve, et declarer quel est l' esprit de
l' eglise dans la conduite qu' elle tient
touchant la dispensation de l' eucharistie
envers ceux qui se sentent coupables de pechez
mortels ; ne leur ordonne-t' il pas (ce que
vostre zele ne peut endurer, parce qu' il n' est pas
selon la science) d' estre plusieurs jours à faire
penitence, avant que de communier ; de satisfaire
à Dieu par les gemissemens, les soumissions,
les pleurs, les jeusnes, les aumosnes, les
prieres, que le nom seul de penitence publique
emporte avec soy ; pour estre admis en suitte
à la participation de l' eucharistie. Et enfin, ne
juge-t' il pas ce delay si necessaire, qu' il croit,
que faire autrement, c' est recevoir sa condamnation,
en recevant le plus precieux gage de
nostre salut, et convertir en poison cette
nourriture divine.
Il est vray, qu' il admet une exception pour
se pouvoir exempter de se mettre au rang
ordinaire des penitens, et pour changer ces
soumissions
p89
publiques en des satisfactions particulieres :
mais c' est une exception, qui confirme
cette regle sainte. Car quelle penitence peut
estre plus agreable à Dieu, et en un sens mesme,
plus publique, que de rompre entierement, et à
la veuë de tous, avec son ennemy, c' est à dire,
avec le monde ; que de renoncer pour jamais à
tous les plaisirs, ou plûtost à toutes les folies du
siecle ; que de quitter toutes sortes de pretensions,
pour embrasser une vie sainte et religieuse ;
que de se retirer dans une solitude à l' exemple
de tant de grands saints, ou choisir le
fonds d' un monastere, pour y satisfaire à la justice
de Dieu, par des larmes continuelles ; que
de luy sacrifier sans cesse le sang du coeur
blessé de regret et d' amour, pour l' expiation de
ses offenses, comme parle Saint Augustin ; et
enfin, que de passer tout le reste de sa vie dans
l' exercice des actions contraires à celles pour
lesquelles on gemit. Certes, je ne puis assez
admirer cette parole de Gennadius, qui juge la
penitence publique si salutaire, et si importante,
pour obtenir le pardon des pechez mortels,
qu' il n' en dispense que ceux qui en voudront
faire une plus secrette, mais qui est plus penible,
plus austere, et plus longue, que celle qu' on
faisoit publiquement.
Et cela me remet en l' esprit ce que j' ay oüy
dire autresfois à un grand homme de Dieu, et
fort esclairé dans la science de l' eglise ; que l' on
p90
ne pouvoit assez admirer la providence divine,
qui veillant sans cesse pour le bien de son eglise,
sembloit avoir suivy et autorisé par sa conduite
la pureté de cette doctrine de Gennadius : comme
si ç' avoit esté une prophetie de ce qui devoit
arriver un jour, ayant suscité la plus grande
partie des ordres religieux vers le douziesme et
le treiziesme siecle, lors que l' exercice de la
penitence ancienne a commencé à diminuer par
la dureté des coeurs des laïques, et par
l' ignorance des ecclesiastiques, ainsi que Saint
Bernard le tesmoigne, et le déplore.
Quand les chrestiens qui avoient perdu
la grace du baptesme par des offenses mortelles,
ont negligé de r' entrer dans l' eglise par la
porte publique de la penitence : Dieu a ouvert
des maisons publiques de penitence, afin que
ceux à qui il inspireroit la volonté de la faire, et
qui penseroient serieusement à se sauver, trouvassent
comme des aziles sacrez contre l' impenitence
des uns, et l' ignorance des autres ; et
peussent prattiquer plus commodément tous
les exercices de la penitence, les jeusnes, les
prieres, les veilles, le retranchement des
plaisirs, et les autres parties de la penitence
publique ; non seulement pour quelques mois, ou
quelques années ; mais pour tout le reste de leurs
jours.
C' a esté pour cela, que ces grandes lumieres
des ordres religieux, Saint Bruno, S Bernard,
p91
Saint Estienne De Grammont, Saint Norbert,
Saint Albert, Saint Dominique, et Saint
François ont paru dans l' eglise quasi en mesme
temps, ou l' un prés de l' autre ; qu' ils ont
deployé l' estendart de la penitence dans toutes
les provinces chrestiennes ; qu' ils sont venus
au nom de Jesus-Christ, au nom du prince
de la penitence, et du chef de tous ceux qui se
sauvent par la penitence , comme l' appelle
excellemment Saint Hierosme ; qu' ils ont
confirmé leur mission par une infinité de miracles, et
de prodiges, et par la conversion d' un nombre
innombrable d' hommes et de femmes ; qu' ils
ont esté comme des seconds apostres dans la
vieillesse du christianisme, et ont renouvellé
par le second baptesme, qui est celuy des larmes
et de la penitence, des millions de chrestiens
qui avoient violé l' innocence du premier.
En quoy l' on peut remarquer, qu' ainsi que
la persecution des empereurs payens ayant
commencé à cesser dans l' eglise, et la guerre
publique ne donnant plus de lieu au martyre
public, lequel estoit honoré de la plus illustre
des couronnes : Dieu suscita les anciens
solitaires, et les premiers hermites des deserts de
l' Asie, et de l' Afrique, qui firent fleurir un
nouveau genre de martyre, dans la paix mesme de
l' eglise, par leurs austeritez, et par leurs
souffrances presque incroiables, et qui ont fait
p92
douter quelquefois s' ils estoient hommes : de
mesme lors que l' usage ancien de la penitence
a commencé à diminuer dans l' eglise, Dieu a
suscité cette grande foule de religieux, ces
troupes saintes de penitens, qui ont pris le sac
et la cendre, dont les pecheurs du monde ne
vouloient plus guere se couvrir ; qui ont
promis solemnellement la conversion de leurs
moeurs, comme tous les penitens doivent faire ;
qui ont estably un certain temps pour esprouver
ceux qui se presentent, ainsi qu' on ne recevoit
pas les grands pecheurs à la penitence publique,
qu' apres les avoir fort examinez, sur
tout au siecle de Saint Augustin, et de
Gennadius où l' on ne les y recevoit gueres qu' une
fois ; et qui ont voüé pour toute leur vie les
abstinences, et les mortifications, que les peres
et les conciles n' ordonnent aux personnes seculieres,
que durant quelques mois, ou quelques années.
Et ç' a esté encore par une conduite particuliere
de Dieu, et par une suitte du mesme dessein
de conserver l' exercice de la penitence
dans son eglise, que depuis la mort de Saint
Bernard, et la naissance de Saint Dominique,
et de Saint François, les religieux se sont plus
meslez dans le monde, selon l' esprit de leurs
regles toutes saintes, qu' ils n' avoient fait
auparavant : afin qu' ils attirassent plus facilement
à la penitence les hommes du monde qui en
p93
avoient besoin, pour se purifier de leurs
pechez, comme dit Gennadius, et que la
conversation, et le commerce qu' ils avoient avec
eux, leur rendist la vie penitente plus agreable,
qu' elle ne leur paroissoit dans les personnes, et dans
les maisons des parfaits solitaires, tels
qu' estoient les religieux des siecles precedens, la
solitude effrayant d' ordinaire les pecheurs, et
les seculiers.
Mais comme la corruption des moeurs croistra
tousjours dans l' eglise, selon l' evangile, à
mesure que la naissance du soleil de justice
s' éloignera de nous par le cours des siecles ; de
mesme que le froid s' augmente dans la nature,
à mesure que le soleil s' éloigne par le cours des
mois : cette corruption s' est acreüe dans ces
derniers temps, et apres avoir esté la mere de
tant d' heresies, qui toutes ont rejetté les
exercices laborieux de la penitence, aussi bien que la
confession des pechez, et ont obligé l' eglise à
les soustenir selon la doctrine de tous les peres :
elle a encore reduit les theologiens catholiques
à les deffendre seulement dans leurs escrits,
et les predicateurs à les prescher dans les
chaires ; sans pouvoir dans l' application des
regles surmonter, que tres-rarement, le torrent
du siecle, et l' enchantement de l' amour du
monde, qui est la source de tous les vices, et
l' ennemy de la penitence. Et Dieu n' a pas manqué
en ce mesme temps, de susciter de nouvelles
p94
maisons de penitence, en suscitant de nouveaux
ordres, et en reformant les anciens ; et
de multiplier le remede, à mesure que le mal se
multiplioit : afin que les pecheurs qui seroient
dans une condition libre, et qui ne se trouveroient
pas assez forts pour faire une pleine et
entiere penitence en demeurant dans le
monde, et qui se sentiroient poussez par le Saint
Esprit à embrasser la vie religieuse, le peussent
faire plus facilement.
Et Monsieur De Geneve a tellement reconnu
le besoin qu' avoient les femmes du monde,
filles, ou veuves de se retirer dans les cloistres,
pour se conserver dans un estat qui n' ait point
besoin de penitence, ou pour aller pleurer leurs
vanitez et leurs folies hors du monde, où l' on
fait des choses deplorables, et où l' on ne les
pleure quasi jamais ; qu' apres un si grand nombre
de monasteres de filles, il s' est veu enga
par la conduite de Dieu à fonder encore un
nouvel ordre, lequel paroist plus doux que
tous les autres, afin que nulle fille, et nulle
veuve ne pust estre retenuë par la delicatesse de son
naturel, à demeurer dans les funestes engagemens
de la vie mondaine et impenitente.
Mais ce choix que donne Gennadius de sortir
du siecle, ou de subir le joug de la penitence
publique, me fait encore souvenir d' une
semblable proposition que le Pape Estienne,
qui vivoit au neuviesme siecle, fait à un grand
p95
seigneur nommé Astulphe, pour avoir tué sa
femme dans un transport de jalousie. Car il ne
luy propose que deux choses, en l' asseurant,
que le conseil qu' il luy donne est le plus doux
qu' il luy peut donner : ou de se retirer dans un
cloistre pour y estre humilié sous la main d' un
abbé, et y faire penitence toute sa vie : ou s' il
desire la faire demeurant dans le monde ; voicy
les regles qu' il luy donne en general. (...).
p96
Ne prendrez-vous pas les paroles de ce saint
pape pour un stratagéme du diable , puis qu' il ne
destourne pas seulement cét homme de communier
souvent : mais luy deffend de le faire
tout le temps de sa vie ; (ce que S Ambroise
avoit ordonné avant luy à une fille consacrée à
Dieu, qui s' estoit laissé corrompre.) et cependant
ceux qui ont recueilly les regles divines,
selon lesquelles le Saint Esprit a voulu que
l' eglise se gouvernast, ont estimé ces sentimens
si dignes du successeur de Saint Pierre, et si
remplis de ce zele judicieux, qui pesant les
crimes au poids du sanctuaire, veut guerir les
pecheurs par une penitence égalle à leurs maux,
avant que de leur permettre les viandes fortes ;
qu' ils leur ont donné place dans le corps des
saints canons, où ils les ont mis en depost
comme dans des registres sacrez ; afin que cette
ordonnance particuliere faite pour le salut
d' un seul homme, servist d' instruction generalle
p97
à toute l' eglise, et en tous les siecles. Aussi
Dieu a voulu que de nostre temps mesme le
grand Saint Charles redonnast comme une nouvelle
lumiere à la decision de ce pape, l' inserant
dans les canons qu' il a proposez pour modelle
à tous les ministres de Jesus-Christ, pour
leur apprendre à guerir plustost les ames par
une douce severité, qu' à les tuer par une
cruelle flaterie, ainsi que le clergé de Rome parle
escrivant à Saint Cyprien.
PARTIE 1 CHAPITRE 22
en quelles dispositions
doivent estre pour communier souvent, ceux qui ne
commettent que des pechez veniels. Où est aussi
expliqué l' avis que Monsieur De Geneve donne
de communier tous les huit jours.
mais pour revenir à Gennadius,
nous avons veu, de quelle sorte
ceux qui sont coupables de pechez
mortels se doivent purifier,
avant que de se presenter à l' eucharistie : et de
là je laisse à juger ce que l' on doit croire d' un
homme, qui ose asseurer, (...). Il reste
maintenant à considerer de
quelle sorte il se faut conduire pour ce qui
regarde les pechez veniels en la reception de
p98
l' eucharistie, qui est l' autre chef de la
proposition de Gennadius.
La consideration de l' extréme pureté que la
participation de ces saints mysteres desire, fait
que cét auteur n' ose conseiller la communion
de tous les jours aux ames qui vivent dans la
pieté, et qui se trouvent entierement exemptes
des playes mortelles ; quoy qu' elles ressentent
quelques legeres blessures, et pour dire ainsi,
des morsures de ces offenses, pour lesquelles les
plus saints frappent tous les jours leurs poitrines,
comme Saint Augustin parle ; il se contente
de les exhorter à communier tous les dimanches ;
et encore avec deux conditions extrémement
considerables. L' une, qu' avant que
de s' approcher de cette table sacrée, elles s' y
purifient de leurs fautes, quoy que legeres, par
les prieres et par les larmes. Et l' autre (qui est
d' une extréme importance pour la conduite
des ames, et qui ruine seule toutes vos maximes)
de n' avoir point la volonté engagée dans
ces pechez veniels.
Car il y a grande difference, comme Monsieur
De Geneve l' enseigne excellemment en sa
Philothee, (...) :
p99
ce qu' il explique par une comparaison si
excellente, que je ne puis m' empescher de rapporter
ses propres paroles. (...).
C' est pourquoy encore que les ressentimens
de quelques atteintes du peché, n' empeschent
pas que l' on ne communie tous les huit jours ;
l' on ne le doit pas faire neantmoins, si l' on y a la
volonté engagée : (...). Car alors on peut dire, qu' il
y a dans l' estomach de l' ame, quoy que d' ailleurs
saine, comme une mauvaise humeur qui l' empesche
de digerer cette viande sainte.
p100
Ce que Monsieur De Geneve a aussi parfaitement
bien compris, ayant estably sur ce passage
de Gennadius, la regle qu' il donne de la
communion ; et l' ayant exprimée en des termes,
lesquels je me crois obligé de rapporter ;
parce que beaucoup de personnes s' efforcent
d' autoriser leurs déreglemens par sa doctrine ;
et separant, à vostre exemple, le conseil qu' il
donne de communier toutes les semaines,
d' avec les dispositions qu' il y juge necessaires,
s' imaginent par un aveuglement déplorable,
suivre les maximes de ce saint evesque, en
quelque estat qu' ils communient, pourveu
qu' ils le fassent souvent : comme les juifs se
croyoient tres-religieux observateurs de la loy
de Dieu, en observant quelques-uns de ses
preceptes, selon la lettre qui t, et non selon
l' esprit qui donne la vie.
Voicy comme ce saint homme parle ; (...),
(c' est à dire, du livre des dogmes ecclesiastiques,
qui est souvent cité sous le nom de Saint
Augustin) (...).
p101
Ce n' est donc qu' à ceux, qui se trouvent
dans cette disposition de coeur, et cette pureté
de conscience, à qui Monsieur De Geneve
conseille la communion de tous les huict jours ; et
non pas indifferemment à toutes sortes de
personnes, comme vous faites, ne laissant pas au
jugement du confesseur d' en disposer
autrement, selon l' estat de son malade. Et afin que
vous ne croyez pas qu' il ait suivy ce sentiment
sans l' avoir bien pesé, il le repete dans la
conclusion de ce chapitre, et y establit comme
une regle certaine et indubitable ; (...).
Vous voyez que ce saint evesque ne se
contente pas, qu' un homme soit exempt de peché
mortel, pour le juger en estat de communier
tous les dimanches ; au lieu que vous en
jugez capables ceux qui commettent de ces pechez
p102
en toutes rencontres, pourveu qu' ils s' en
confessent aussi souvent qu' ils les commettent :
mais qu' il desire outre cela deux conditions
comme absolument necessaires, qui ne se
rencontrent pas en tant de personnes, qu' il y ait
sujet de blasmer d' imprudence, comme vous
faites, les confesseurs qui ne permettent pas à
tout le monde une si frequente communion.
La premiere est, de n' avoir aucune affection
au peché veniel ; ce qui ne consiste pas à
se tromper soy-mesme, comme beaucoup de
personnes font ; et à rejetter sur nostre fragilité
tous les effects de nostre peu de vertu, et de
nostre negligence ; mais pour juger sincerement,
si nostre coeur est veritablement desgagé de
l' affection au peché veniel, il est necessaire que
nos propres actions, qui sont les fruicts des
affections secrettes que nous nourrissons dans
l' ame, nous servent de tesmoignage, qu' autant
que nous pouvons, nous évitons ces pechez :
que nous fuïons avec soin toutes les occasions
qui nous y peuvent porter ; et que nous
embrassons toutes celles qui nous donnent moyen
de les fuïr. Ce qui consiste principalement à
aymer la solitude et la retraicte de sa maison, et
peu la compagnie des gens du monde, qu' une
telle personne ne doit voir que par
necessité et par force, pour s' acquiter des vrays
devoirs civils, et non de ceux qui sont
superflus, estant impossible, comme Sainte
Therese
p103
remarque fort bien, (...). Il
faut donc ; pour se croire avec raison desgagé de
l' affection du peché veniel, eviter l' occasion et
la negligence : car enfin la parole de ce
mesme saint dans cette mesme introduction, est
esgallement vraye pour toutes sortes de
pechez, et mortels, et veniels : (...).
La seconde disposition que ce saint evesque
demande, c' est d' avoir un grand desir de
communier : par où il nous remarque deux choses
extremément importantes : l' une que pour
exhorter un homme à communier, mesme les
dimanches, il faut avoir grand esgard au mouvement
particulier qui le porte à desirer d' avoir
part à ce saint banquet, parce que cette
sorte de conduite et de grace particuliere est
comme le temperament de chaque fidelle,
qui doit regler sa nourriture ordinaire. L' autre
que pour cette communion de tous les huict
jours, il faut avoir l' ame en une grande santé :
p104
parce que ce grand desir de communier dont
Monsieur De Geneve parle, et que Saint
Bonaventure appelle (...) ; n' est autre chose, que
l' effect de la santé de l' ame, comme l' appetit est
l' effect de la bonne disposition du corps : ce qui
fait dire à Saint Augustin, (...), dont la reception
temporelle de l' eucharistie nous donne les arres et
les premices, (...).
Mais, parce qu' il y a deux sortes de faim ,
comme ce mesme bien-heureux remarque fort bien
dans ses lettres, (...) ; il faut bien prendre garde
que ce grand desir de communier, qu' il juge
necessaire pour le faire toutes les semaines, soit
une veritable faim de la nourriture spirituelle
procedante de la chaleur de l' ame embrasée
d' amour ; (d' où Saint Thomas nous apprend
que ce desir doit naistre) et non pas une faim
trompeuse, et apparente, née de quelque cause
estrangere, ou de quelque qualité vicieuse :
comme celle qu' un ancien docteur tesmoigne
se rencontrer quelquefois dans des personnes
p105
mal-vivantes, qui n' ont aucun soin de garder
les commandemens de Dieu ; qu' il attribuë
avec raison à l' impression du diable, et à la
chaleur du demon de midy, pour me servir de
ses termes ; et non pas à celle du Saint Esprit.
Or pour juger si nostre faim spirituelle est
bonne, ou mauvaise, il ne faut que considerer,
que comme la faim corporelle naist asseurêment
de quelque indisposition, lors que le
corps ne profite point de la nourriture qu' il
prend : ainsi tous les desirs de communier les
plus ardens sont suspects de fausseté, lors que
l' ame ne s' engraisse point de ce pain du ciel,
dont l' eglise chante, (...), c' est à dire,
qui comble de ravissement les ames vrayement
royales. Car alors c' est un signe manifeste,
que l' ame n' ayant pas assez de chaleur
divine pour digerer cette sainte viande, la trop
grande nourriture estouffe plûtost le peu
qu' elle en a, qu' elle ne l' accroist. Et de là l' on
peut aisément comprendre, d' où vient, que
tant de personnes, qui mesme ont quelque
vertu, s' approchent si souvent de l' eucharistie,
sans que l' on puisse reconnoistre aucun
profit de tant de communions.
Voila les regles de Monsieur De Geneve
pour la communion de tous les dimanches,
apres lesquelles il n' en faut point chercher de
plus asseurées, ny de plus saintes, parce qu' elles
p106
ne sont point autres, que celles des peres de
l' eglise. C' est par elles que je conjure toutes les
personnes, que vous poussez indifferemment
à cette communion, de se juger elles-mesmes.
Qu' elles se donnent un peu la peine de considerer,
si elles sont dans les dispositions que ce
saint evesque demande. Je ne les renvoye
point à d' autres juges, qu' à leur propre
conscience : qu' elles escoutent cette voix, qui ne
trompe gueres que ceux, qui se veulent tromper
eux-mesmes : qu' elles s' examinent avec cét
oeil, qui est plus clair-voiant, selon la parole de
l' escriture, que sept sentinelles. Qu' elles
sondent sincerement le fonds de leur coeur ; et si
elles le trouvent mort à toutes les affections du
peché, mesme veniel ; dans le détachement de
toutes les choses, qui pourroient desplaire à
Dieu ; dans la ferme volonté de se conduire en
tout, selon ses divines loix ; dans l' ardeur du
Saint Esprit, d' où doit naistre ce grand desir de
communier ; à la bonne-heure, qu' elles approchent
souvent de cette table sacrée ; qu' elles
s' efforcent de s' y purifier de toutes les imperfections,
qu' elles detestent dans leur coeur ; qu' elles
y recherchent la guerison de toutes les
maladies, qui nous affligent sans cesse durant cette
vie mortelle : et enfin que la charité de
Jesus-Christ qui les presse les fasse souvent
recourir à luy, comme à l' unique consolateur dans
toutes leurs afflictions, l' unique liberateur
p107
dans leurs miseres, l' unique soustien dans leurs
foiblesses.
C' est ainsi que ce saint auteur exhorte sa
Philothée à communier souvent ; la presupposant,
comme il dit, dans une disposition encore
plus excellente, que celle que Gennadius
demande, (l' ayant cité sous le nom de S
Augustin) c' est à dire, dans un estat ferme, et
permanent d' une vie veritablement chrestienne :
dans une disposition de coeur, non seulement
entierement esloigné de toute sorte de peché
mortel ; mais destaché mesme de toute
affection au peché veniel. De sorte que c' est
abuser indignement de sa doctrine (je le repete
encore, et le repeterois volontiers incessamment
pour le faire mieux comprendre) que
d' appliquer aux personnes les plus imparfaites
et les plus foibles, pour ne dire pas vicieuses,
les conseils, que t homme de Dieu n' a
donnez, qu' à celles, qui se trouvent avoir
acquis une tres-grande pureté par la bonne vie,
et avoir estably de tres-solides fondemens d' une
vertu non commune.
PARTIE 1 CHAPITRE 23
p108
Saint Justin allegué mal à propos.
mais pourquoy avez-vous oublié
d' ajoûter ce que ce saint martyr
declare en ce mesme lieu ; (...).
Ceux à qui Dieu a ouvert les yeux
pour leur faire reconnoistre à quoy nous
sommes obligez par les promesses solemnelles de
nostre baptesme, et quelle doit estre la
perfection de la vie d' un chrestien, sçavent de quel
poids sont ces paroles, et combien il y en
auroit peu à qui l' on permist de communier, si
l' on rejettoit de l' autel, selon ce saint, et selon
l' esprit de l' eglise, qu' il ne fait que marquer en
p109
cét endroit, tous ceux qui ne vivent pas selon
les obligations de l' evangile.
PARTIE 1 CHAPITRE 24
concile de Basle touchant
la frequente communion.
et moy je vous respons en deux
mots : puis que le concile parle
ainsi, que pouvons-nous dire de
vos calomnies, et de vos aveuglemens ?
Car peut-on appeller autrement que calomnie
cette imposture si odieuse, par laquelle
vous taschez de persuader, qu' il y a des personnes
p110
de pieté, qui destournent generallement
les ames de la frequente communion, qui
retirent de l' usage des sacremens ceux-mesmes,
qui se rencontrent dans les dispositions
necessaires pour les recevoir ; qui portent les
veritables israelites au mespris et au dégoust
de cette manne divine ; et enfin qui de deux
extremitez où l' on peut tomber touchant la reception
de l' eucharistie ; sçavoir, en y poussant trop les
ames, ou les en detournant trop, commettent
dans l' une les mesmes excez, que vous commettez
dans l' autre. C' est dequoy Dieu vous demandera
compte un jour, si vous n' avez soin de prevenir
sa justice par une satisfaction chrestienne.
Mais vostre aveuglement n' est pas moindre,
de ne vous appercevoir pas, que les paroles
de ce concile sont esloignées de vos maximes,
comme le ciel l' est de la terre. Il nous
enseigne, (...). Qui est celuy
qui n' embrasse cette doctrine de tout son
coeur ? Mais l' importance est de s' en rendre
digne , comme le concile le dit, avant que de s' en
approcher. Et les peres nous apprennent, que
le moyen de le devenir, lors qu' on s' en est rendu
p111
indigne par des pechez mortels, c' est de s' en
tenir separé pour quelque temps, et durant ce
temps se purifier par les retraittes, par les
jeusnes, par les prieres, et par les aumosnes.
L' importance est d' avoir la devotion que ces
mysteres desirent : et cette devotion ne se trouve pas
dans les ames remplies d' amour d' elles-mesmes, et
si attachées au monde que de merveille . Et enfin il
est necessaire de sonder, et d' examiner
auparavant le fonds de sa conscience, cum
discussione debita, et selon la doctrine de
l' antiquité confirmée par l' un des plus saints
evesques de nostre temps, il ne la faut pas seulement
trouver exempte de tous les pechez mortels ; mais
détachée de l' affection des offenses mesmes legeres.
Aussi devez-vous remarquer que le concile
ne dit pas, qu' il est necessaire de s' approcher
souvent de l' autel, pour entrer dans le chemin
de la vertu et de la perfection chrestienne :
mais pour faire que l' on s' y avance, et que l' on
ne recule pas ; supposant qu' on y est estably en
quelque façon, et qu' il n' est besoin que de s' y
conserver, et de s' y perfectionner de plus en
plus, selon le sentiment de tous les peres, qui
nous enseignent, qu' il n' y a que ceux, lesquels
marchent dans cette voye estroite qui mene à
la vie, et qui est la voye de perfection, et des
parfaits, qui ayent droit de se nourrir de la
chair de cette victime salutaire.
Car c' est veritablement cét agneau paschal,
p112
qui ne se mange que par ceux qui sont dans
l' estat et dans la disposition necessaire pour
marcher : qui vivent sur la terre comme pelerins,
ne s' attachans point aux choses qu' ils
rencontrent en leur chemin, et ayans toute leur
conversation, et toute leur affection au ciel,
qui est leur patrie et le paradis dont ils ont esté
bannis ; vers lequel ils marchent toute leur vie
avec un regret continuel de s' en voir separez ;
et avec un perpetuel gemissement, lequel n' est
entendu que par l' esprit de Dieu, qui le forme
dans l' esprit de l' homme, et le luy fait sentir
dans le fonds de l' ame.
C' est ce pain cuit sous la cendre, qui n' est
donné qu' aux Elies, lors que fuyans Jezabel,
c' est à dire, se retirans de la corruption du monde,
ils ont desja fait le chemin d' une journée
toute entiere dans le desert ; et qui leur est si
advantageux, que fortifiés par cette nourriture ils
parviennent en fin au bout de quarante jours
à la montagne de Dieu, où ils jouïssent de sa
compagnie : c' est à dire, qu' apres le temps de
cette vie mortelle, que le nombre de quarante
consacré à l' affliction, et à la penitence,
marque tousjours dans l' escriture et dans les peres ;
ils sont receus en la maison du seigneur et en
sa montagne sainte, où ils ne mangent plus
cette viande sous des voiles sensibles, et corporels :
mais à découvert, et en la mesme maniere
que les anges mesmes la mangent.
PARTIE 1 CHAPITRE 25
p113
la doctrine du concile de
Trente touchant la frequente communion.
vous nous avez renvoyez à deux
conciles pour apprendre l' intention
de l' eglise : mais si je vous ay
monstré, que le premier ne contient
rien qui vous favorise ; il est encore plus
aisé de faire voir, que le dernier vous condemne
manifestement. (...). C' est
un souhait digne de cette sainte assemblée,
animée par le Saint Esprit, que tous les gens de
bien font avec elle ; et que vous seul par un
aveuglement
p114
prodigieux ne faites point en tout vostre
escrit, et que vous jugez mesme superflu
de faire. Car ce souhait monstre, que la bonne
vie est une preparation necessaire pour participer
souvent à l' eucharistie, et qu' il faut estre
dans la pieté pour aspirer legitimement à ce
bon-heur. Mais pour vous, je vous supplie de
me faire voir, qu' ayant entrepris de déduire les
regles de la frequente communion, et en ayant
proposé jusques à dix, vous ayez dit un seul
mot de la bonne vie, et de la pieté chrestienne,
comme d' une condition necessaire pour communier
souvent : ce qui monstre que selon vos
maximes, pour desirer que les chrestiens
s' approchent souvent de l' autel, il n' est pas besoin
de desirer qu' ils vivent en sorte qu' ils meritent
cette faveur : mais seulement au plus, que
quelque vie qu' ils menent, ils se confessent souvent.
L' autre endroict, que vous rapportez du
concile de Trente, ne contient qu' un desir
semblable à celuy qu' il avoit fait auparavant ;
et que la reconnoissance du peu de disposition
de la plus-part des fidelles luy a fait laisser dans
les termes d' un simple souhait ; sans passer
mesmes jusques à conseiller ce qu' il sçavoit ne se
pouvoir bien accomplir que par fort peu de
personnes.
Mais il est estrange, avec quelle hardiesse
vous avez osé corrompre les paroles sacrées du
concile : car il ne dit autre chose en cét endroit,
p115
sinon (...).
Mais ce que le concile a desiré de restablir
autant qu' il se pourroit, est qu' il y eust tousjours
des communians à chaque messe, comme Monsieur
De Geneve l' a parfaittement bien entendu,
en ayant pris sujet de faire cette ordonnance
sainte dans ses constitutions. (...). Et c' est ce
que des personnes, qu' on accuse par une imposture
noire, de condemner la frequente communion,
observent religieusement, par un esprit aussi attaché
à celuy de l' eglise catholique et universelle qui
a parlé dans ce concile, qu' ennemy de division
et de partialité.
Adjoustons de plus, que les paroles que vous
p116
avez retranchées du passage du concile, si on
les considere bien, donnent sujet d' en tirer tout
le contraire de ce que vous luy faites dire. Car
lors que le concile dit, (...) ; il tesmoigne
clairement, qu' il ne porte à la communion
sacramentale et reelle, que ceux qu' il suppose estre
en estat de communier spirituellement : or ceux-là
seuls sont en cét estat, selon le concile mesme,
(...). Et en effet qu' est-ce autre chose communier en
esprit, que d' attirer par l' esprit de Dieu residant
en soy la vertu de ce corps divin ; et en un mot,
s' unir à Jesus-Christ par l' esprit.
Voyons maintenant si ceux que vous poussez
à communier reellement, sont capables
seulement de cette communion spirituelle.
Demandons à S Paul, qui est celuy qui est uny
avec Jesus-Christ et devenu un mesme esprit
avec luy ? Et il nous respondra, (...), demeure-t' il
attaché à Dieu ? C' est à dire, celuy qui est
attaché par un amour extraordinaire au plus grand
ennemy de Dieu, demeure-t' il attaché à Dieu par
amour ?
p117
Ainsi nous voyons, que ceux que vous jugez
dignes de participer au sacrifice, ne sont pas
seulement dignes d' y assister, et d' ouïr la sainte
messe, selon la doctrine du concile ; puis
qu' ils ne sont pas en estat de communier
spirituellement, et que le concile suppose, que
les fidelles qui entendent la messe sont en cét
estat.
PARTIE 1 CHAPITRE 26
des paroles de l' escriture
qui nous invitent à la sainte communion.
p118
comme toute erreur tient quelque
chose de l' heresie ; et que pour
l' ordinaire les heresies ne font qu' achever
ce que les simples erreurs
ont commencé avant elles ; il est bien difficile,
que le procedé des enfans mesmes de l' eglise,
lors qu' ils attaquent sa doctrine, ou en ce qui
regarde la solidité de la foy, ou en ce qui
concerne la pureté des moeurs, ne soit semblable
en quelque sorte à celuy des heretiques.
Vous nous en faites voir un parfait exemple
en vostre maniere d' agir. Car tout de mesme
que les heretiques nous accusent de condemner
le mariage ; parce que l' eglise suivant la tradition
des apostres, ne le permet pas aux prestres,
ny à ceux que les liens indissolubles d' un
voeu sacré ont attaché pour jamais à une vie
plus pure et plus excellente : ainsi vous accusez
des gens de bien de condemner la frequente
communion, et d' en destourner les ames ;
parce qu' ils ne peuvent souffrir, avec tous les
peres, que l' on abuse indignement de la participation
de ces saints mysteres : que l' on donne
à tant de personnes la presomption de communier
souvent, lors qu' on les devroit separer
p119
pour long-temps du s. Autel, selon l' esprit de
l' eglise : que l' on fasse croistre la hardiesse, ou
pour mieux dire l' impudence, à proportion que
l' on se recognoist davantage dénué de graces :
que l' on pousse à s' approcher souvent d' un mystere, où
Dieu respand toutes les richesses de son amour
envers les hommes, ceux qui sont remplis d' amour
d' eux-mesmes, et horriblement attachez au monde :
et enfin que l' on abandonne sans aucune
discretion le pain des enfans à ces bestes horribles
aux yeux de Dieu, qui retournent à toutes
rencontres à leur premier vomissement .
Et tout de mesme encore que les heretiques
s' imaginent nous avoir convaincu d' erreur, en
persuadant aux simples, que nous sommes ces
faux prophetes, qui selon la prediction de Saint
Paul, devoient empescher les hommes de se marier ;
et en citant beaucoup de lieux de l' escriture
à la recommandation du mariage. Ainsi
vous pensez avoir suffisamment destruit
l' impieté pretenduë de ceux qui n' approuvent pas
toutes vos maximes, en rapportant d' une assez
mauvaise maniere quelques lieux de l' evangile,
où Jesus-Christ nous invite à demeurer
en luy par le moyen de l' eucharistie.
Mais comme vous imitez parfaitement les
artifices des ennemis de l' eglise : nous n' avons
qu' à emprunter les mesmes armes, dont elle se
sert pour destruire tous ces phantosmes. Comme
donc lors que les heretiques nous opposent
p121
ce que Saint Paul dit, (...).
Ainsi nous n' avons besoin que de semblables
responses à de semblables argumens. Et
qu' à opposer les veritables interpretations des
peres, aux fausses consequences que vous
voulez tirer de quelques paroles de l' escriture que
vous entendez fort mal.
Vous voulez donner la hardiesse à toute sorte
de personnes d' approcher souvent de l' eucharistie
par les douces invitations du fils de Dieu : mais
S Jean Chrysostome et S Ambroise vous
respondront, (...).
p122
Elle l' est veritablement ; mais tous les saints
interpretes de l' escriture vous apprendront,
qu' elle ne contient autre chose, qu' une vocation
generalle à la grace de l' evangile. Qu' elle
s' addresse à tous ceux, qui sont accablez sous la
pesanteur de leurs pechez, lesquels le prophete
Zacharie (comme Saint Hierosme remarque
sur cét endroit de l' evangile) appelle un talent de
plomb : que le prophete roy dit, s' estre
appesantis sur luy, comme un fardeau insupportable ;
et qui rendent, selon Job, et selon David,
l' homme pesant à soy mesme . Ce qui a fait que les
peres ont remarqué que Jesus-Christ designe par
ces paroles les deux peuples qu' il a reünis par
son sang ; et dont il a basty les deux murailles
qui composent l' edifice eternel de son eglise. (...).
Vous voyez donc, que ces paroles regardent
principalement les infidelles, les impies, et les
pecheurs ;
p123
et qu' ainsi elles ne les peuvent inviter à
la sainte communion, qu' ils n' ayent au moins
auparavant accomply ce que Dieu leur prescrit
en ce mesme endroit, de porter son joug ; qui
n' est autre chose, selon Saint Augustin, (...).
p125
C' est veritablement une conjecture, dont toute la
loüange vous est deuë, et qui n' estoit point encore
entrée dans l' esprit d' aucun interprete de
l' evangile. Car tous les peres ont bien reconnu dans
ces paroles de Jesus-Christ les richesses
inestimables de son amour envers les hommes ;
cette ineffable invention de nous faire vivre de
son esprit et de sa divinité, nous unissant à sa
chair spirituelle et divine ; cette bonté infinie
par laquelle il a voulu prevenir en quelque sorte
nostre eternelle felicité, en nous nourrissant
dés ce monde des mesmes viandes dont il nourrit
les bien-heureux dans le ciel. Ils y ont bien
aussi remarqué l' obligation que nous avions
p126
de participer à ces saints mysteres ; la necessité
d' avoir recours à la source de la vie pour pouvoir
vivre ; et en fin le besoin que nos corps
mortels ont de cette immortelle semence, pour
estre à jamais preservez de la mort et de la
corruption. Mais ils sont si esloignez de s' imaginer
que la grandeur et la vertu de ces mysteres
nous deussent oster la crainte de nous en approcher
sans une grande preparation ; que c' est
de là mesme qu' ils ont conclu, qu' il ne falloit
se presenter qu' avec horreur et avec tremblement,
à une table, que les anges ne regardent
qu' avec une frayeur respectueuse : qu' ils ont
conceu une si grande reverence de ces mysteres,
que l' eglise les a tousjours appellez les mysteres
redoutables : qu' ils ont jugé, que la pureté
de ceux qui participent à ce sacrifice devoit
avoir quelque rapport à la pureté de la victime :
que les choses saintes n' appartenoient qu' aux
saints, selon cette parole de toutes leurs
liturgies, sancta sanctis, les choses saintes
sont pour les saints : que les lasches et les
paresseux ne devoient point approcher de cette
nourriture divine ; mais que tous ceux qui en
approchent, devoient estre embrasez d' ardeur
et de zele : et en fin que de tous ceux qui
communient, soit souvent, soit rarement, ceux-là
seuls estoient dignes de loüange, qui le faisoient
avec une conscience sincere, un coeur pur, et
une vie irreprochable.
p127
C' est ainsi que Saint Chrysostome, lequel
on peut appeller avec raison le docteur de
l' eucharistie, comme ayant esté destiné
particulierement du ciel, pour expliquer autant
que les paroles des hommes en sont capables,
les ineffables grandeurs de cét auguste mystere,
et confondre par mesme moyen les impietez
que l' heresie pourroit enfanter, et tous les
abus que l' ignorance, ou la malice voudroient
introduire dans l' eglise ; c' est ainsi, dis-je,
que ce grand saint, apres avoir admiré la
bonté infinie de Jesus-Christ, (...).
p128
Et sur le mesme chapitre de l' evangile de S
Jean, lequel vous croyez n' avoir esté fait que
pour l' establissement de vostre mauvaise doctrine,
apres avoir relevé en des termes magnifiques
les effets admirables du saint sacrement,
apres nous avoir asseurez, (...). Enfin apres avoir
espuisé tout son esprit, et toute son eloquence à
expliquer la grandeur et la vertu de ce mystere ;
escoutez, je vous prie,
p129
si la conclusion qu' il en tire a quelque rapport
à la vostre ; (...) ?
Concluons donc avec tous les peres, que
comme les paroles de Jesus-Christ nous
obligent de rechercher dans la reception de son
corps la nourriture de nos ames ; elles nous
obligent aussi en mesme temps, à nous mettre
dans les dispositions requises pour une action si
sainte ; et qu' ainsi de la mesme sorte, qu' elles
serviront d' arrest contre tous ceux, qui par
negligence ne se seront point mis en peine de
recevoir les effets de cette viande divine, elles
condemneront encore davantage ceux, qui
animez de la presomption que vous leur voulez
inspirer, auront eu la hardiesse de se presenter
à cette table sacrée, avant que de s' en rendre
dignes par la bonne vie, et par les bonnes
oeuvres.
C' est pourquoy tout ce que je puis faire en
p130
cét endroit pour preserver les ames de l' un et de
l' autre de ces dangers, c' est de prier Dieu qu' il
luy plaise graver dans tous les coeurs ces paroles
de Saint Bernard. (...).
PARTIE 1 CHAPITRE 27
regles que cet auteur propose
pour les communions des personnes laïques.
p131
ne faites point, je vous prie, ce
tort à l' eglise, que d' attribuer
generallement vos fausses maximes
à tous ses docteurs. L' espouse de
Jesus-Christ est trop jalouse
de l' honneur de son espoux, pour autoriser
des regles si contraires à la sainteté de la doctrine
qu' il est venu annoncer aux hommes, et qu' il
a confirmée par son propre sang. Elle est trop
bien conduite par le Saint Esprit, pour se rendre
jamais partisane de vos égaremens. Et enfin
celle qui est establie sur l' immobilité de la
pierre, n' est pas capable de cette legereté,
d' obscurcir elle-mesme les lumieres qu' elles a
receuës du Saint Esprit, pour la conduite de ses
enfans, et de pervertir cette regle si fidelle de
la tradition des saints , que vous-mesme confessez
estre la meilleure que nous puissions suivre, pour
ne nous point tromper en cecy, comme en toutes
choses ; et que la force de la verité vous
oblige de renouveller icy par ces paroles suivantes,
qui serviront de precaution à vos propres regles.
PARTIE 1 CHAPITRE 28
p132
de la premiere regle que
cét auteur propose, qui est de suivre l' advis
d' un bon directeur.
comme rien ne doit estre si inviolable
que la verité ; nous devons
avoir un extréme soin de la separer
du mensonge, avec lequel elle
se trouve quelquesfois meslée ; de peur qu' en
pensant ne nous attaquer qu' à ce qui doit estre
le premier objet de nostre haine, nous n' offensions
celle qui doit estre le premier objet
de nostre amour. C' est ce qui m' oblige de
donner beaucoup d' éloges à la premiere regle
que vous establissez icy, puis que je la trouve
conforme à la verité que j' adore par tout où
je la rencontre, et qu' elle me presente une lumiere
capable de dissiper tous les nuages de vos
faussetez.
p133
Vous avez grande raison de desirer, que l' on
ne se conduise pas sans advis dans une affaire
aussi importante, qu' est la frequente participation
des mysteres. C' est un ordre estably de
Dieu, et dans la nature, et dans la grace, que
les choses qui sont moins parfaittes doivent
estre sousmises à celles qui le sont plus. C' est
cét admirable enchaisnement des causes
inferieures avec les superieures, qui compose
toute l' harmonie du monde. Et c' est aussi cette
mutuelle dépendance des membres entr' eux,
qui forme l' une des plus grandes beautez du
corps de Jesus-Christ. Les pieds pour
bien marcher se doivent laisser conduire par
les yeux : et il est tres-important, principalement
à ceux qui commencent, de se sousmettre
à la direction de ceux que le Saint Esprit a
plus esclairez. Ce que Saint Bernard explique
divinement, lors qu' il nous enseigne, (...).
C' est pourquoy tous ceux qui ont enseigné
p134
particulierement aux ames les moyens d' entrer
dans les voyes de Dieu, ont tousjours estably
comme l' une des regles les plus importantes, de
choisir un homme de bien, dont la lumiere
esclaire, nos pas en ce chemin si difficile à tenir à
ceux qui n' en connoissent pas encore les divines
routes.
Monsieur De Geneve entre les nouveaux, appelle
cét advis (...).
Et entre les anciens le grand Saint Basile
instruisant un jeune homme qui se vouloit donner
à Dieu ; (...).
p135
Que si la direction est utile dans les moindres
actions, elle ne peut estre que tres-importante
dans la plus importante de toutes, qui est la
communion. Aussi le sauveur du monde n' a
rien mis davantage en la puissance de ses ministres,
que la dispensation de ses mysteres : et il
a voulu, que le discernement de tous ceux qui
se doivent retirer, ou s' approcher de ce sacrement
auguste, dépendist de leur autorité. Cette
puissance est enfermée dans le pouvoir de lier
et deslier : d' où vient que les peres prennent
pour une mesme chose, lier les pecheurs, leur
imposer penitence, et les retirer de l' autel :
et se servent au contraire indifferemment des termes
de deslier, accorder le pardon aux penitens, et les
reconcilier à l' autel .
Et pour marquer encore cette puissance,
quoy que dans l' antiquité les fidelles
receussent l' eucharistie dans leurs mains, et que
mesme ils la portassent dans leurs maisons, et dans
leurs voyages, ils ne l' alloient pas neantmoins
prendre sur l' autel : mais il falloit qu' ils la
receussent de la main des prestres, (...),
p136
dit Tertullien : ce qu' il rapporte
pour un exemple d' une inviolable tradition,
quoy qu' il ne s' en trouve rien dans l' escriture.
Recevoir ce sacrement de la main des prestres,
c' est ne le recevoir que par leur ordre : de sorte,
que si celuy, qui se sent coupable de pechez
mortels n' est dans la disposition de ne point
approcher de l' eucharistie, que selon l' ordonnance
de son confesseur, et s' il ne peut souffrir que
l' on luy differe la participation de ces mysteres,
comme estans encore trop disproportionnez à
sa foiblesse, afin de luy procurer une plus
parfaitte guerison par les actions de la penitence, il
renverse la principale partie de la puissance
sacerdotale ; il fait violence au corps et au sang
de Jesus-Christ, pour me servir des paroles
de Saint Cyprien ; il merite, si nous en croyons
Saint Augustin, d' estre à jamais separé de
l' autel du ciel, à cause de la desobeïssance, par
laquelle il refuse d' estre separé de l' autel de la
terre pour quelque temps : (...) ?
Mais apres avoir estably la necessité d' un
directeur, il reste à en establir les conditions :
car quelque utilité qu' il y ait d' avoir un guide,
il vaut mieux neantmoins n' en avoir point, que
d' en avoir un qui ne sçache pas, ou qui ne vueille
p137
pas nous bien conduire. C' est ce qui a fait dire
à Monsieur De Geneve, (...).
Ce que ce saint evesque a tiré de l' evangile,
et de ces paroles prophetiques du fils de
Dieu, (...) ? Qui expriment égallement la difficulté
qu' il y a de trouver un tel directeur, (selon ce que
Saint Jean Chrysostome, Saint Gregoire, et Saint
Bernard enseignent que ce terme quis , marque
une grande rareté,) et enferment en substance
les mesmes conditions que Monsieur De Geneve
demande. Car personne ne peut estre excellemment
fidelle, s' il n' est excellemment bon : ce qui fait
que le fils de Dieu appelle bon en ce mesme lieu
celuy qu' il appelle fidelle : (...). Et nul ne
peut estre excellent en bonté, selon l' evangile, s' il
n' est excellent en charité ; et il n' est pas moins
clair, que la prudence, dont le fils de Dieu parle,
enferme la science que Monsieur De Geneve a jointe,
puis que le sens commun nous apprend, qu' il n' y a
point de prudence sans science : et qu' ainsi
qu' on ne peut estre prudent dans la guerre, si
l' on n' y est intelligent : de mesme on ne le sçauroit
p138
estre en la conduite des ames, si l' on n' a
beaucoup de science de cét art divin : de sorte,
que l' une de ces conditions regle l' autre ; et par
consequent, s' il doit avoir plenitude de charité,
il doit aussi avoir plenitude de science et de
prudence, comme ce saint prelat le desire. Ce
qui est si veritable, qu' on peut dire que celuy
qui est capable de bien conduire une ame, est
capable d' en conduire plusieurs : comme celuy
qui avoit paru bon conducteur d' une famille,
estoit presumé par les apostres capable de
conduire toute une eglise, où il y avoit quantité
d' ames et de familles à gouverner. Et c' est
pourquoy celuy qui a dit, qu' il est plus difficile
de gouverner une ame qu' un monde, a rencontré
une verité, que l' analogie de la raison et de la
foy confirmée par l' autorité des anciens peres,
fera confesser à tout homme, qui sçaura quelle
difference il y a entre le corps et les ames ; et que
l' excellence qu' a la grace de Jesus-Christ
par dessus l' ame (qui ne vit que par elle) est
incomparablement plus grande, que celle qu' a
l' ame par dessus le corps. Ce qui a fait escrire
aux deux grands Saints Gregoires avec beaucoup
de raison, que la conduite des ames est
le plus excellent et le plus difficile de tous les
arts.
PARTIE 1 CHAPITRE 29
p139
conditions d' un bon directeur
fort bien establies par l' auteur.
premiere, qu' il soit docte.
mais il est vray neanmoins que je
suis encore obligé de vous donner
cette loüange, que vous avez en
ce point suivi tres-fidellement le
sentiment de ces grands hommes,
et que les conditions d' un bon directeur
que vous avez marquées en peu de mots sont si
justes et si raisonnables, que pourveu qu' elles
soient bien entenduës, elles en peuvent former
une idee tres-excellente, et on le pourra
nommer hardiment, selon le langage de Platon,
ipse director .
Vous voulez premierement qu' il soit docte ;
et en effet comment les tenebres esclaireroient-elles,
et comment un aveugle pourroit-il servir de guide ?
Il faut que celuy qui se
mesle de gouverner les consciences soit rempli
des veritez de nostre foy : qu' il ait travaillé
long-temps pour s' instruire luy-mesme, avant
que d' instruire les autres. Il faut que l' estude et
la pieté soient jointes ensemble pour former
cette doctrine, et qu' il ne possede pas seulement
cette science qui s' apprend parmi les contentions ;
mais une plus haute et plus eslevée,
p140
que l' escriture nomme la science des saints,
que nous devons attendre du Saint Esprit, et
qui ne s' obtient que par des gemissemens, et
par des prieres.
De sorte qu' on peut dire qu' il a besoin de
trois sciences ; l' une est celle qu' on apprend
dans les escholes : l' autre est celle qu' on
apprend de la tradition de l' eglise catholique : la
troisiesme est celle qu' on puise dans la source
mesme par la communication familiere, et l' union
intime, que la pieté et la devotion donne aux
ames religieuses avec Jesus-Christ. La
premiere le rend disciple de ceux qu' on
appelle maintenant docteurs : la seconde le rend
disciple de l' eglise catholique, selon le langage
des peres : la troisiesme le rend disciple
de Jesus-Christ, qui instruit et conduit
les ames des pasteurs et des conducteurs de
son eglise par les lumieres invisibles, qui les
rendent docibiles dei , comme parle l' evangile ;
et leur fait comprendre les veritez d' une
maniere ineffable, que personne n' entend que
celuy qui les reçoit. Ce qui fait dire si souvent à
Saint Augustin, que le predicateur de la parole
de Dieu, et le directeur des ames, ne leur doit
rien dire que ce que Jesus-Christ mesme luy
suggere au moment qu' il les exhorte, et qu' il ne
doit pas moins avoir l' oreille du coeur attentive
aux paroles interieures, et aux instructions
secretes de Jesus-Christ, que celuy qu' il conduit
p141
doit avoir l' oreille de l' ame attentive à ses
discours, et à ses entretiens exterieurs.
PARTIE 1 CHAPITRE 30
seconde condition d' un bon
directeur, qu' il soit spirituel.
vous desirez outre cela que le directeur
soit spirituel ; sans cette
condition toute la sagesse du
monde n' est que folie, et toute la
lumiere de la doctrine n' est qu' un faux brillant
qui conduit au precipice : mais aussi cette
qualité en enferme tant d' autres ; qu' il n' est
peut-estre pas si aisé de la posseder que vous vous
l' imaginez : ce que je puis vous faire voir par
un discours tiré des enseignemens des peres, si
vous tesmoignez le desirer, ou en douter : mais
je me contenteray pour cette heure de vous
renvoyer au pastoral de S Gregoire Le Grand,
et de vous dire qu' un directeur, pour estre
spirituel, entre les autres conditions que vous
verrez dans ce saint, en doit posseder deux en
un degré eminent : la prudence de l' esprit, et
cette liberté genereuse, que l' esprit du seigneur
inspire à ceux qu' il remplit, ubi spiritus domini
ibi libertas, est l' esprit du seigneur là est la
liberté.
Ce sont les deux qualitez que Jesus-Christ
a conferées à ses apostres, lors qu' il les a establis
p142
pour estre le sel et la lumiere du monde ; afin
qu' ainsi que la qualité de lumiere leur donnoit
la puissance desclairer les ames, la qualité de sel
les rendist fermes et incorruptibles en eux-mesmes,
pour empescher la corruption dans les autres.
Par cette prudence de l' esprit, que Saint Paul
oppose tousjours à la prudence de la chair, un
directeur veritablement spirituel ne jugera
point des choses par les jugemens corrompus
des hommes ; mais selon l' advis de l' apostre, il
jugera des choses spirituelles par des regles
spirituelles, (...). Il ne
pesera point la bonté ou la malice des actions
dans la balance trompeuse de la coustume , comme
Saint Augustin parle : mais dans la balance
fidelle des enseignemens divins . Il aura tousjours
dans l' esprit l' obligation et la necessité de satisfaire
à la justice de Dieu, apres avoir violé l' alliance
du baptesme. Il taschera, autant qu' il luy est
possible, que l' appareil soit proportionné à
la playe, et que la penitence esgalle le crime,
selon la doctrine des peres et du concile de
Trente. Il pensera souvent, qu' il luy a esté
ordonné de ne point donner le saint aux chiens,
et de ne jetter point les diamans aux pourceaux :
c' est à dire, comme Saint Ambroise l' explique,
(...),
p143
comme le clergé de Rome
escrit à Saint Cyprien. Il jugera des arbres
plûtost par les fruits, que par les feüilles, selon le
precepte de l' evangile : c' est à dire, il examinera
la disposition des ames plûtost par les actions
que par les paroles. Et enfin, il fera bien entendre
aux pecheurs qui se veulent convertir, que
ce n' est pas assez de recourir aux prestres, et
aux sacremens, comme les pharisiens et les
saduceens, qui estoient les plus excellens, et
les plus vertueux des juifs, recouroient au baptesme
de Saint Jean : mais qu' il faut faire des
fruits dignes de penitence , ainsi que le Saint
Esprit a dit par la bouche de ce precurseur de
Jesus-Christ : c' est à dire, comme l' expliquent
les peres, protester par des actions visibles
et publiques, qu' on se repent vrayement
de sa vie passée : et qu' ainsi que ce n' est pas assez
aux pecheurs, pour avoir la remission de leurs
pechez, de faire des fruits dignes de penitence,
s' ils ne recourent aux prestres pour estre absous
de leurs pechez, apres s' y estre bien preparez :
de mesme les prestres ne sont jamais bien asseurez,
autant qu' on le peut estre en ce monde, de
la bonne disposition, et de la penitence
interieure de ceux qui viennent à eux, que lors
qu' ils voyent les fruits, et les oeuvres de leur
penitence.
la liberté de l' esprit de Dieu qui accompagnera
p144
cette prudence, l' empeschera d' estre esclave
d' aucune pretention du monde : elle l' élevera
au dessus de toutes les choses de la terre,
pour ne s' attacher qu' à celles du ciel. Elle
l' exemptera de la servitude des creatures, pour ne
servir que Dieu seul. Elle luy fera considerer ce
que Saint Chrysostome dit, touchant les apostres,
qu' ils ont esté les docteurs de toute la
terre, (...).
Elle luy representera dans les persecutions qui
pourront s' élever contre luy, (...).
PARTIE 1 CHAPITRE 31
p145
troisiesme condition d' un
directeur, qu' il soit experimenté, et quelle doit
estre cette experience. Où il est aussi parlé de la
necessité de la vocation.
la troisiesme condition que vous
demandez à vostre directeur,
c' est qu' il soit experimenté . Mais
ce qu' il y a de remarquable dans
cette experience, et ce qui la rend
bien differente de l' experience des autres arts,
c' est, qu' elle se doit autant considerer par les
habitudes que nous contractons au dedans,
que par les exercices que nous faisons au
dehors : parce qu' au lieu que la medecine corporelle
ne fait gueres ses premiers essais que sur les
autres, et le plus souvent aux despens de ceux
qu' elle traitte ; la spirituelle au contraire doit
commencer par nous-mesmes ; et ses premieres
fonctions doivent estre la guerison de nos
ames.
Il faut avoir esté long-temps disciple du
Saint Esprit, avant que prendre la charge de
maistre des hommes ; il faut les avoir long-temps
enseignez par les actions, avant que de
les enseigner par les paroles ; il faut consulter
Dieu long-temps dans la retraitte et dans la
solitude, avant que de paroistre en public, et se
p146
mesler de prononcer des oracles. Enfin quelque
science et quelque vertu qu' on ait acquis,
il faut estre appellé de Dieu par une vocation,
qui ne soit pas seulement exterieure, mais interieure,
qui ne soit pas seulement fondée dans
la bonne opinion que ceux qui nous appellent
ont de nous, mais dans le tesmoignage que
nostre propre conscience nous rend, qu' il n' y a
dans nous aucune incapacité notable, et que
Dieu se veut servir de nous en une telle occasion ;
parce qu' il n' y a pas moins de faute, de refuser
une charge d' ames, lors qu' on s' y sent appellé
de Dieu, et que le jugement interieur
qu' on porte sincerement de soy-mesme, ne repugne
pas evidemment à la bonne opinion
que ceux qui nous y appellent ont de nous ; que
de l' usurper et de s' y ingerer de nous-mesmes
sans y estre appellez, en prevenant la vocation
divine par un desir presomptueux.
Car cette sentence de l' apostre tirée de l' evangile
qu' il retrace tousjours dans ses epistres ;
(...), est aussi inesbranlable et
aussi immobile que l' eglise mesme, comme en
estant le fondement, sans qu' aucune interpretation
humaine puisse jamais l' alterer et la corrompre.
Saint Jean Baptiste, apres avoir esté designé
à l' office de precurseur du messie par la bouche
d' un prophete, long-temps avant que de naistre,
p147
apres qu' un ange eut asseuré qu' il ne naissoit
que pour l' accomplissement de cét oracle,
apres avoir deslié la langue de son pere pour en
recevoir encore une nouvelle confirmation,
passe neanmoins presque toute sa vie dans le
silence, et dans la retraitte, et ne sort du desert
pour faire sa charge à laquelle il sçavoit que
Dieu l' avoit desja appellé tant de fois, et d' une
maniere si extraordinaire, que par un nouvel
ordre, et par une nouvelle mission du Saint
Esprit : (...) ; le seigneur parla à Jean dans le
desert.
Et avant luy, Moyse, qui est le premier de
tous les officiers de l' eglise figurée par la
synagogue, se laisse appeller plus de trois ou quatre
fois, resistant tousjours à la voix manifeste de
Dieu, qui se descouvroit à luy, et luy parloit
plus clairement qu' il n' avoit fait aux patriarches.
Il se tenoit tres-content de servir Dieu
dans le desert, où il estoit depuis quarante ans,
et de n' avoir point d' autres occupations, que
de paistre des brebis, quoy qu' il eust tousjours
esté nourri dans la cour des roys, et dans les
armées, et destiné à la succession d' un royaume,
et qu' il fust remply non seulement de la
science des egyptiens, mais aussi de celle des
saints patriarches. Et ce qui estonne davantage
dans cette opposition qu' il fait à Dieu, c' est
qu' il sçavoit, qu' il avoit esté miraculeusement
preservé de la mort, et adopté par la fille de
p148
Pharaon pour estre un jour le liberateur du
peuple juif.
Mais ce qui est bien plus merveilleux, Jesus-Christ
mesme envoyé du ciel en terre
pour estre la lumiere du monde, passe trente
ans dans une vie de vertu, et de sainteté,
toute cachée et toute inconnuë au commun des
hommes, comme s' il eust eu besoin d' une si
longue retraitte pour se perfectionner, et pour
acquerir les vertus necessaires à la fonction
pour laquelle il estoit venu. Et ce qui est
extremément remarquable, et confirme la necessité
de la vocation divine pour le gouvernement
des consciences, quoy que le tesmoignage de
Saint Jean et celuy de son pere prononcé en
public avec cette voix de tonnerre, (...), etc.
Qui le declara son fils et ses delices,
fussent tres-suffisans avec la descente du
Saint Esprit, pour faire connoistre sa vocation
à tous les hommes, et les asseure qu' il venoit
les instruire comme ambassadeur de Dieu son
pere ; neanmoins il ne commence à prescher
publiquement en son païs, et en sa ville, qu' apres
avoir prouvé auparavant sa mission au
peuple par les paroles du prophete Isaye, qu' il
leut dans la sinagogue devant tout le monde ;
quoy qu' il eust fait beaucoup de miracles auparavant
parmi les capharnaïtes, qui estoient
venus à la connoissance de ceux de sa ville, et
qui leur devoient suffire pour s' asseurer que
p149
Dieu l' avoit envoyé parmy les hommes, afin
de leur annoncer la verité de son royaume.
Tous les saints ont esté dans les mesmes
sentimens et dans les mesmes pensées ; et nous
en voyons un exemple memorable dans Saint
Gregoire De Nazianze. Il estoit d' une maison
sainte, fils d' un grand evesque, et nourri dés
son premier aage dans la science et dans la
vertu : cependant il ne creut point, que tous ces
advantages luy donnassent droict de se pousser
de luy-mesme à la predication de l' evangile. Il
voulut suivre exactement la voye que Jesus-Christ
nous a tracée. Il demeura long-temps
comme Jesus-Christ avant que de recevoir
le baptesme pour s' y mieux disposer. Aussi-tost
apres l' avoir receu il passa, comme Jesus-Christ,
dans le desert. Il y vescut plusieurs
années pour se confirmer dans la vertu, et y
faire croistre la grace de son baptesme par un
exercice continuel de prieres, de jeusne, et de
meditation des escritures saintes, et de tous
les livres de l' eglise : et apres cela il n' en sortit
que par la necessité, et n' entra dans le clergé
et dans le sacerdoce que par une contrainte et
un commandement exprez, qui luy servit de
tesmoignage et d' asseurance, que Dieu l' appelloit
à la conduite des ames.
Voila comme Dieu a conduit ses saints
dans l' un et dans l' autre testament : et nous
au contraire, apres avoir passé la plus grande
p150
partie de nostre vie dans des occupations toutes
seculieres, et quelquefois mesme dans beaucoup
de desreglemens, lors que nous ignorons
encore la science de l' eglise, l' ordre de sa
veritable discipline, la sainteté de ses sacremens,
et la pureté avec laquelle les moindres chrestiens
doivent faire des bonnes oeuvres pour les
rendre agreables à Dieu, nous nous persuaderons,
que le premier mouvement que Dieu
nous donne de nous retourner vers luy, nous
fasse prophetes, et nous rende dignes de porter
aux peuples la lumiere de son evangile. Et
si nous sommes grands pecheurs par le tesmoignage
de nostre propre conscience, nous ne
nous contenterons pas de la grace que Dieu
nous fait de nous repentir, et de vouloir mener
à l' advenir une vie plus chrestienne : mais nous
croirons qu' il n' y a point de penitence plus
agreable à Dieu, que de nous engager à la prestrise
et aux fonctions qui l' accompagnent,
dont les principales sont la predication et la
conduite des ames.
(...).
p152
Mais il y en a qui sçavent par coeur ce discours
de Saint Bernard, et qui neanmoins ne
l' appliquent ny à eux ny aux autres : ce qui ne
peut arriver, que d' une tres-mauvaise indifference,
ou d' une tres-grande presomption, ou
d' une secrette preoccupation d' esprit, qui leur
persuade qu' on est dispensé de suivre ces
veritez en ce temps, et que ces discours n' estoient
bons qu' en la bouche de Saint Bernard, ou peut-estre
pour les prestres, et pour les directeurs
de son siecle.
PARTIE 1 CHAPITRE 32
quatriesme condition d' un
directeur, qu' il ne doit point avoir de sentimens
particuliers, et esloignez de ceux des saints peres.
que l' auteur a grande raison de desirer cette
condition dans un directeur.
enfin la derniere qualité d' un
directeur, c' est qu' il n' ait point de
sentimens particuliers, et esloignez de
ceux des saints peres . C' est le couronnement
de toutes les autres, et
peut-estre la plus importante. Car si tous les advis
p153
d' un directeur ne peuvent prendre leur origine
que de ses sentimens, peut-on esperer
d' estre bien conduit par un homme, qui s' attache
à ses opinions particulieres, et qui rejette les
maximes saintes, que l' esprit de Dieu a establies
depuis tant de temps par l' organe des saints
peres.
C' est le premier principe de nostre religion, (...),
comme Saint Augustin dit, et qu' ainsi elles ne
doivent point recevoir d' instruction, que de cette
source divine. (...). Le pere nous a commandé
d' escouter son fils. C' est le premier, et l' unique
directeur de nos consciences. Les hommes qui en font la
charge n' en doivent estre que les instrumens. Ils
ne nous doivent enseigner, que ce qu' ils apprennent
de luy : ils ne nous doivent donner, que ce
qu' ils reçoivent. Et par consequent, il leur est
interdit par cette premiere loy du christianisme,
de nous conduire selon leurs sentimens particuliers,
et de nous presenter les tenebres de
leur propre esprit, pour une lumiere que nous
devions suivre.
Que si ce premier fondement de nostre foy
leur apprend ce qu' ils doivent fuïr, c' est à dire,
de n' avoir point de sentimens particuliers :
un autre qui est en la suitte leur apprendra ce qu' ils
doivent
p154
embrasser parmy les fausses couleurs, et les
divers déguisemens que l' esprit d' erreur donne
aux paroles et aux veritez divines : c' est à dire
en un mot, qu' il faut, comme vous dites fort
bien, que leurs sentimens soient conformes à ceux
des saints peres.
car de mesme que cette premiere regle
distingue la seule religion veritable de toutes
les fausses, en y establissant pour principe de
son instruction la parole eternelle de Dieu, que
les autres ne veulent pas reconnoistre ; ainsi il a
esté besoin d' une seconde regle pour discerner
la veritable doctrine procedante de ce principe,
d' avec toutes les erreurs et les faussetez, qui
voudroient sous l' autorité de ce nom prendre
creance dans l' esprit des hommes. Et cette
regle n' est autre chose, que la tradition originelle,
comme parle Saint Irenée ; que le canal
sacré, par lequel les eaux salutaires de cette
source celeste découlent sur nous ; cette chaisne
indissoluble qui lie tous les aages de l' eglise dans
l' unité d' une mesme foy, et d' une mesme
pieté.
C' est de cette sainte tradition, dont l' eglise
s' est tousjours servie pour estouffer toutes les
erreurs, et tous les abus, par lesquels la malice
ou l' ignorance des hommes vouloit corrompre
la doctrine de son espoux.
C' est par elle que le concile oecumenique
d' Ephese confond les nestoriens, en leur monstrant
p155
par la production de quelques peres des
siecles precedents, que la doctrine qu' ils
attaquoient, estoit celle que ces saints evesques
avoient suivie, comme l' ayant receuë des apostres.
C' est par elle que Saint Augustin renverse les
pelagiens, lors qu' apres avoir cité quelques
peres, qui condemnoient leurs erreurs ; (...).
C' est par elle que Saint Epiphane confond les
arriens avec presque les mesmes paroles ; (...).
C' est par elle que S Athanase terrasse l' impieté
des arriens ; (...) ?
C' est par elle que S Cyprien a maintenu le
meslange de l' eau avec le vin dans le calice,
contre certains novateurs de son temps.
C' est par elle que le mesme saint s' est opposé
à deux sortes de personnes, qui ruïnoient la
penitence par des voyes toutes contraires.
p156
Les uns perdans les pecheurs par une fausse
douceur, en les admettant à la participation des
mysteres avant l' accomplissement d' une longue
et salutaire penitence. Et les autres les
desesperans par une rigueur cruelle, en leur ostant
tout espoir de rentrer jamais dans la communion
de l' eglise.
C' est par elle que le Pape S Estienne arresta
l' erreur de S Cyprien mesme, et des evesques
qui le suivoient, et qui croioient avec luy, qu' on
devoit rebaptiser les heretiques, en ne leur
opposant autre chose, sinon, qu' il falloit
demeurer ferme dans l' ancienne tradition.
C' est par elle que le Pape Saint Anicet, et
apres luy Saint Victor, ont maintenu le vray
temps de la celebration de la pasque contre les
evesques de l' Asie mineure, qui s' appuyoient
sur une coustume contraire, qui avoit mesme
son origine dans une condescendance de l' apostre
Saint Jean : ce qui n' empescha pas que
ces saints papes ne les obligeassent de la quitter,
ayant esgard à l' origine de la premiere verité,
qui s' estoit tousjours maintenuë dans l' usage
de toute l' eglise d' occident, où Saint Pierre
l' avoit establie.
C' est par elle enfin que Tertullien nous apprend,
que l' on peut convaincre facilement
toutes sortes d' heresies d' imposture et de mensonge,
par le tesmoignage de l' antiquité victorieuse,
et en ne leur opposant que ce prejugé
p157
(...).
L' eglise n' a point encore aujourdhuy de
plus fortes armes pour triompher de ses ennemis,
que le consentement universel des peres,
qui est tant de fois allegué dans le concile de
Trente ; que les depositions incorruptibles de
ces morts illustres qui vivent dans l' eternité ;
que les arrests de ces juges sans reproche, qui
n' ont peu estre touchez ny d' aversion, ny de
faveur envers aucune des parties, comme S Augustin
remarque si sagement.
Et en effet lors que les heretiques nous
accusent de superstition, et d' idolatrie, à cause
que nous invoquons les saints, et que nous
honorons leurs reliques, comment pouvons-nous
mieux monstrer à tous les esprits équitables
l' impertinence de ces calomnies, qu' en leur
faisant voir que nous ne suivons en cela que la
pieté de nos peres, et que cette mesme eglise,
qui s' est renduë victorieuse de l' idolatrie, et de
la superstition, nous a appris, que c' estoit
rendre gloire à Jesus-Christ, que de l' honorer
en ses serviteurs ?
Et, pour nous esloigner moins de nostre sujet,
p158
lors que ces mesmes heretiques nous veulent
persuader, que la penitence ne consiste
qu' en une nouvelle vie ; qu' il n' est point necessaire
de satisfaire pour ses pechez, par les jeusnes,
par les prieres, et par les aumosnes ; que
c' est faire tort à la bonté de Jesus-Christ,
et traitter les ames avec une insupportable
severité, que de les obliger à tant de peines et de
travaux pour l' expiation de leurs offenses ; que
Dieu n' ayme pas le sang en la loy nouvelle,
comme en la vieille, ny celuy des hommes,
comme celuy des bestes : nous n' avons qu' à leur
respondre avec le concile de Trente, (...), ayant
tousjours consideré ce sacrement comme un baptesme
laborieux , et où l' eau des larmes devoit suppléer
aux eaux du premier baptesme que l' on avoit
violé. Nous n' avons qu' à leur respondre avec
Saint Augustin, (...).
p159
Mais vouloir convaincre les heretiques par
l' autorité de la tradition, et ne la vouloir pas
suivre entre nous ; c' est faire deux regles
differentes, dont l' une est severe pour les autres,
et l' autre douce pour nous ; c' est faire deux
mesures, dont l' une est juste, et l' autre fausse ;
c' est faire deux poids, dont l' un est pesant, et
l' autre leger : (...). De sorte,
que c' est avec grand fondement que vous voulez
qu' un bon directeur n' ait point de sentimens
particuliers, et esloignez de ceux des
saints peres, afin qu' il puisse dire avec Saint
Augustin, (...).
p160
Et enfin, qu' il se puisse servir dans ses instructions
des mesmes paroles, dont S Jean Chrysostome
se servoit dans sa chaire ; (...).
Mais c' est assez avoir estably les conditions
d' un directeur. Il reste maintenant de voir dans
la suitte, si vos regles leur sont conformes ; et
principalement à la derniere, c' est à dire, si elles
ne sont pas esloignées des sentimens des saints
peres.
PARTIE 1 CHAPITRE 33
que cet auteur n' ose pas conseiller
indifferemment la communion de tous les
jours, et que neantmoins ses maximes vont à y
porter les personnes les moins vertueuses.
p161
quoy que cette regle ne semble
contenir rien que de bon, puis
qu' elle destourne les ames de
communier tous les jours sans y
avoir bien pensé ; toutefois pour monstrer
combien elle est defectueuse, et mesme pleine
de peril, lors qu' on la joinct avec vos autres
maximes, il est aysé de faire voir, qu' en la suivant,
une infinité de personnes, sans avoir fait
aucune avance dans la vertu, et dans la pieté
chrestienne, et pour user de vos propres termes,
estans remplies d' amour d' elles-mesmes, et attachées
merveilleusement au monde, et qui mesme
tombent souvent dans des pechez mortels,
feront fort bien de communier tous les jours.
Ce qui feroit horreur à tous les catholiques, et
à vous mesme.
Supposons donc, je vous prie, qu' une de
ces personnes se presente à vous, et vous declare,
qu' elle desire de recevoir tous les jours
l' eucharistie. Vous luy direz sans doute ce que vous
dites icy, (...) :
p162
ne serez-vous pas obligé de seconder
son dessein, et de l' envoyer tous les jours au
saint autel, quoy que sa vie fust peu conforme
au modelle de l' evangile.
Et afin de vous oster tout sujet de m' accuser,
que je n' agis pas sincerement avec vous ; et
qu' encore que vous n' ayez exprimé que cette
cause, vous en reconnoissez neanmoins beaucoup
d' autres, qui peuvent empescher une
communion si frequente, je vous veux monstrer
en peu de paroles, que vous destruisez generallement
dans cét escrit toutes les autres raisons,
que l' on pourroit apporter pour détourner
cette personne de communier tous les
jours dans une disposition si peu sainte. Car
que luy pouvez-vous dire de plus, qu' elle ne
renverse aussi-tost par vos propres paroles ?
Je ne pense pas, que vous vous arrestiez
beaucoup sur ce que cela la destourneroit de
ses occupations necessaires. Car vous voyez
bien que cette raison n' est pas assez generalle,
et qu' une infinité de personnes vous pourront
p163
dire avec tres-grande verité, qu' elles ne sont pas
si occupées, qu' elles ne puissent donner tous les
jours une heure aux affaires de leur salut, sans
beaucoup incommoder leurs affaires temporelles ;
et vous sçavez, que cette response n' est
que trop vraye pour le regard des personnes,
que vous avez eu principalement en veuë dans
vostre escrit.
Quoy donc ? Luy direz-vous qu' il faut estre
dans la ferveur de la charité, comme dit Saint
Jean Chrysostome, pour recevoir si souvent
cette nourriture celeste, comme il faut avoir
beaucoup de chaleur naturelle pour manger
souvent ? Elle vous respondra selon vos propres
paroles, (...).
Luy direz-vous : que, comme la quantité
des viandes extrémement nourrissantes ne
peut qu' estre dangereuse aux corps malades ;
ainsi une ame encore foible et imparfaite ne
peut sans peril se nourrir si souvent de ce pain,
que Saint Hierosme dit, (...).
p164
Luy direz-vous, que le respect, qu' elle doit
à Jesus-Christ, ne luy permet pas d' abuser
ainsi de sa bonté, en approchant si souvent
de luy, sans s' estre renduë digne auparavant
d' une si familiere communication par la sainteté
de la vie ; que Saint Chrysostome dit, (...).
Luy direz-vous, qu' il est à propos, que par
la reverence, que l' on doit porter à la grandeur
de ce mystere, elle s' abstienne quelquefois de
communier, selon Saint Bonaventure, qui ne
conseille pas mesme aux prestres de dire la
messe tous les jours ; tesmoignant qu' il semble
y avoir quelque irreverence à ne l' obmettre
jamais ? Elle vous respondra, que selon vostre
doctrine (laquelle vous attribuez faussement à
p165
Saint Chrysostome et à Saint Ambroise) (...).
Luy direz-vous, que si elle prenoit quelque
temps pour jeusner, pour prier, et pour faire les
autres exercices de la penitence, ce delay luy
pourroit servir à communier avec une meilleure
disposition, selon cette excellente parole
de Saint Hierosme, (...).
Luy direz-vous que Saint Thomas dit, (...), et
qu' ainsi elle a sujet de craindre,
que la trop grande familiarité ne
diminuë en elle le respect qu' elle doit à ces
mysteres ? Elle vous respondra, (...).
Luy direz-vous, qu' un si grand nombre
p166
de pechez qu' elle commet tous les jours, quand
ils ne seroient tous que veniels, la devroient
faire resoudre de s' en corriger, et d' en détacher
pour le moins son coeur et son affection, en se
retirant autant qu' elle peut de toutes les occasions
dangereuses, avant que de prendre la hardiesse
d' entrer si souvent dans le sanctuaire, ainsi
que Monsieur De Geneve l' enseigne dans sa
philothée ? Elle vous respondra, (...).
Luy direz-vous, que commettant assez souvent
des pechez mortels, si elle veut estre conduite
selon l' esprit de tous les peres de l' eglise,
elle se doit purifier par les exercices de la
penitence avant que d' approcher de l' eucharistie ?
Elle vous respondra, que comme elle desire
communier tous les jours, elle est aussi resoluë
de se confesser tous les jours, ou pour le moins
toutes les fois qu' elle aura commis des pechez
mortels ; (...), et qu' ainsi,
quelque peché qu' elle ait commis, elle peut, en
moins d' un quart d' heure, se rendre digne de
recevoir l' eucharistie.
p167
Luy direz vous, qu' il faut estre dans une
grande devotion pour communier si souvent,
comme tous les docteurs catholiques l' enseignent
generallement ? Elle vous respondra, (...).
Et enfin, si lassé de toutes ces reparties, vous
pensez l' arrester tout court, en luy disant avec
quelque émotion, que toutes ces deffaites
n' empeschent pas que ce ne soit une des premieres
notions de la pieté chrestienne, que la
communion de tous les jours doit estre reservée
aux ames saintes, et qui sont remplies de
grace, et de l' amour de Jesus-Christ ? Elle
vous fermera la bouche en vous repliquant,
que ce sentiment ne peut estre qu' une fausse
persuasion des ignorans, s' il est vray ce que
vous enseignez, (...).
Voyez je vous prie, et considerez, en quels
precipices l' on jette les ames, lors qu' on leur a
fait franchir une fois les bornes de la verité.
PARTIE 1 CHAPITRE 34
p168
que la principale chose,
à laquelle il faut avoir esgard pour regler les
communions d' une personne, ne sont pas ses
occupations.
c' est la seconde raison que vous
apportez, pour empescher de
communier tous les jours. Mais
outre qu' elle n' est pas generalle,
et qu' elle n' a point de lieu envers
un grand nombre de personnes, qui ont fort
peu, ou point d' occupation, ainsi que j' ay desja
p169
dit, elle monstre clairement que vous ne possedez
guere la seconde qualité que vous desirez
en un directeur, qui est d' estre spirituel ; puis
que vous jugez des choses divines plustost par
le jugement des sens, et par la prudence de la
chair, que par la lumiere de la foy, et par la
prudence de l' esprit. Toutes sortes de pechez
veniels ; les pechez méme mortels, aussi-tost que
l' on s' en est confessé ; la froideur ;
l' inapplication aux choses de Dieu ; le peu de
devotion ; toutes les maladies de l' ame ; estre
rempli de l' amour de soy mesme ; estre horriblement
attaché au monde, tout cela, selon vostre sentiment,
est tres-compatible avec la communion ;
mais les fonctions d' un magistrat, et
les occupations d' un mesnage ne le sont pas.
Un juge, qui doit rendre la justice ne doit pas,
dites-vous, penser à communier : mais une
femme qui s' est persuadée n' avoir autre chose
à faire toute sa vie, qu' à se coëffer, et à se
faire un visage de comedienne, qu' à aller au
cours, ou au bal, ou à une assemblée de jeu,
n' a aucun empeschement pour pouvoir communier
tant qu' elle voudra. Ces sentimens
sont-ils conformes à l' esprit du christianisme ?
Je ne dis pas, que pour regler les communions
d' une personne, l' on ne doive avoir quelque
esgard à ses occupations. Mais je soustiens,
qu' il y a plusieurs choses à considerer, avant
que d' en venir là ; que c' est estre pharisien que
p170
d' examiner le dehors, avant que d' avoir examiné
le dedans ; et que toute la religion chrestienne,
ayant son fondement dans le coeur,
c' est par le coeur, et par les dispositions que
l' esprit de Dieu y forme, qu' il faut regler la
participation du plus auguste de ses mysteres.
Et en second lieu, je vous responds, que s' il
se trouvoit des ames dans la sainteté necessaire
pour communier tous les jours, et à qui le
Saint Esprit donnast ce desir, il arriveroit
rarement que leurs occupations les en empeschassent,
pourveu qu' elles ne fussent pas entierement
soûmises à la volonté d' autruy ; parce que
si Dieu les vouloit dans ces occupations, et
qu' ils s' y conduisissent par son esprit, comme
la foy nous y oblige, elles leur tiendroient lieu
de prieres et de preparation pour approcher de
l' eucharistie ; et quant au temps, que cette
action demande, il faut estre bien occupé pour
ne le pouvoir pas trouver, lors qu' on le cherche
avec ardeur, et avec prudence pour le consacrer
à la gloire de Nostre Seigneur Jesus-Christ.
Ne voyons-nous pas des ecclesiastiques
dire tous les jours la messe, bien qu' ils
soient dans les mesmes fonctions, que vous
jugez incompatibles avec la communion de
tous les jours ? Et les premiers chrestiens, qui
communioient si souvent, laissoient-ils pour
cela d' estre engagez dans les occupations de
leur mesnage, dans le soin de leur famille, dans
p171
le travail de leurs mains, selon le precepte de
Saint Paul, et de mener une vie aussi semblable
en apparence à celle des autres hommes, qu' elle
en estoit differente aux yeux de Dieu et des
anges ?
PARTIE 1 CHAPITRE 35
si l' on doit porter indifferemment
toutes sortes de personnes à communier tous les
huict jours, et accuser generalement les confesseurs
qui ne le font pas, de ne pas agir prudemment.
l' ordre seul que vous gardez en donnant
ces regles, ou plutost le desordre
avec lequel vous les confondez, fait voir assez
p172
clairement, que vous n' avez pas eu dessein
dans cet escrit d' instruire les ames selon les
veritables maximes de la pieté chrestienne, mais
seulement de les precipiter, sans aucune discretion
dans une dangereuse frequentation des
sacremens. Avant que d' avoir dit un seul mot
de la preparation necessaire pour recevoir
l' eucharistie, comme s' il n' en estoit besoin
d' aucune : vous portez indifferemment toute sorte
de personnes à communier tous les huict
jours, et sans leur prescrire en façon quelconque,
qu' elle doit estre la pureté de leur coeur, et
la sainteté de leur vie, pour approcher si souvent
d' un autel redoutable aux saints, et aux
anges mesmes, selon la pensée de Saint Pacien,
vous les y envoyez, ou plutost vous les y poussez
avec moins de consideration, que s' il s' agissoit
d' une action toute prophane.
Est-il possible, que vous ayez une opinion
si basse des dispositions, qu' une communication
si ordinaire avec Jesus-Christ demande,
que dans un siecle aussi corrompu que le
nostre, vous croyez, qu' elles se rencontrent
dans tous les hommes ? Mais vous faites bien
voir, que vous estes dans ce sentiment, et que
la grandeur de la preparation, que l' on doit
apporter à ces saints mysteres, n' entra jamais
dans vostre esprit ; car puis que vous dites, que
vous ne croyez pas, qu' un confesseur fasse
prudemment de ne vouloir pas permettre à
p173
toutes sortes de personnes la communion de
tous les huict jours, il paroist, que vous ne
jugez pas quasi possible, qu' une personne ne soit
tousjours assez bien preparée pour une si
frequente communion.
Et en un temps, ou l' abus des sacremens est
ordinaire ; où toutes les chaires ne retentissent
que des plaintes contre ce desordre ; où
tant de personnes veulent couvrir de ce voile
tous leurs desreglemens ; où tant d' ames se
nourrissent dans une fausse presomption de la
misericorde de Dieu, en croyant trouver leur salut
dans la participation des mysteres sans les
bonnes oeuvres, et la bonne vie ; que faites-vous
autre chose, que prester des armes à cét erreur,
et les arracher des mains de ceux qui s' efforceroient
de le combattre ; puis que vous donnez
sujet à ces personnes de mespriser les advis de
leurs confesseurs, comme remplis d' imprudence,
et comme contraires à la plus sainte prattique,
que les chrestiens puissent observer ?
Mais pour leur donner un contrepoison
qui ne leur soit pas suspect, en attendant que
nous ayons estably par la tradition de l' eglise,
quelles doivent estre les dispositions d' une
ame pour approcher dignement de l' eucharistie ;
(ce que nous reservons de faire dans l' article
où vous en parlez.) je me contenteray d' un
seul passage d' un grand saint et d' un grand
docteur des derniers temps, qui fera juger au
p174
moins éclairées ; si le confesseur qui pousse
generallement toutes sortes de personnes à communier
tous les huict jours, agit avec plus de
prudence, que celuy, qui desire une grande
preparation pour une communion si frequente,
et qui establit pour la meilleure regle en cette
matiere, de suivre, autant que l' on pourra,
les diverses dispositions, que le Saint Esprit
met dans les ames.
Escoutez donc de quelle sorte Saint Bonaventure
parle sur ce sujet, et encore dans un
ouvrage, où il n' a dessein que d' instruire les
religieux, qui faisans profession d' une vie plus
pure, et plus sainte que les gens du monde,
sont d' ordinaire beaucoup mieux disposez
qu' eux pour recevoir souvent cette sainte
nourriture. (...) ; vous voyez, comme d' abord
il condamne vostre temerité, par laquelle vous
condamnez d' imprudence ceux qui ne veulent
pas comme vous, prescrire une mesme
regle à toutes sortes de personnes, en leur
permettant de communier tous les huict jours.
Mais entendez un peu ses raisons et ses pensées.
(...).
p175
Vous n' estes pas si scrupuleux, que de prendre garde
à tant de choses ; il vous suffit, qu' il n' y ait
point de condition où l' on ne
puisse prendre le temps necessaire pour
se disposer à la communion des dimanches,
et des festes, pour croire que tout le monde
en soit digne. Les saints y considerent les
merites, les actions, les affections, les mouvemens
de la grace, les operations du Saint Esprit,
parce qu' ils ne veulent pas prevenir Dieu, et
envoyer au saint autel ceux qu' il n' y appelle pas ;
mais pour vous, qui ne jugez que par l' exterieur,
à la façon des pharisiens, vous ne vous
embarassez pas l' esprit en tant de considerations.
Et neantmoins il est certain que Saint
Bonaventure en eust bien remarqué d' autres, s' il
eust escrit pour les gens du monde, et qu' il
n' eust pas manqué de considerer, qu' entre
ceux, de qui on est en peine de regler les
communions, les uns sont dans l' innocence de leur
baptesme, et les autres en sont decheus : et
qu' entre ces derniers, les uns en sont decheus
par un seul peché mortel, et les autres par
plusieurs pechez mortels ; les uns sont demeurez
fort long-temps dans leurs pechez, et les autres
s' en sont relevez incontinent. Il ne touche
point ces divers estats des ames, ausquels on
doit avoir beaucoup d' esgard dans le reglement
p176
des communions, parce que n' ayant
composé cet escrit que pour des religieux, il
suppose, que la profession religieuse est
comme un second baptesme, qui a remis l' ame dans
l' innocence, suivant le langage ordinaire de
Saint Bernard, lequel parlant à ses religieux ne
leur parle jamais des grands pechez qu' ils
pouvoient avoir commis dans le monde, parce
qu' il les considere tousjours comme renouvellez
par leur entrée en religion, ainsi que par
en espece de baptesme, et n' applique jamais
ces paroles de l' evangile, (...), qu' aux religieux qui
se sont relaschez, et qui sont tombez dans des
pechez notables apres leur profession. Que si
Saint Bonaventure eust eu le dessein particulier
de traitter de la communion des lques, il
eust sans doute remarqué ces diverses indispositions,
qui sont plus ou moins grandes, selon
la qualité des pechez, et la durée du temps que
l' on y est demeuré. Mais parce qu' il ne pensoit
alors principalement qu' à instruire les religieux.
Il adjouste, (...). Vous ne croyez pas
qu' un confesseur fasse prudemment de n' oser
permettre à toutes sortes de personnes seculieres,
ce que ce grand docteur n' osoit permettre
à toutes sortes de religieux. Ce saint n' ose
establir la communion de toutes les semaines
p177
parmy tous ceux, qui ont tout quitté pour
servir Dieu, et qui se sont consacrez à une
profession plus particuliere de la pieté chrestienne
par un voeu public et solemnel ; et vous avez
la hardiesse de prononcer des arrests pour establir
cette communion de tous les huict jours
entre les laïques, quelques indevots, quelques
froids , quelques denués de grace qu' ils
puissent estre, quoy que remplis d' amour d' eux-mesmes,
et si attachez au monde que de merveille , et vous
jugez quasi, que c' est violer les loix de l' eglise,
que de leur ordonner de communier moins souvent.
(...). Il n' est point necessaire de rien
adjouster à ces paroles pour en tracer une parfaite
image de vostre mauvaise conduite, et vous
y faire voir semblable à ces empiriques ignorans,
qui sans considerer les divers temperamens,
et les differentes dispositions de leurs
malades, leur ordonnent à tous un mesme
remede, et ainsi en tuënt beaucoup plus qu' ils
n' en guerissent.
p178
(...). Et cependant c' est à ces personnes embarassées
dans les soins du monde que vous ordonnez
comme une regle inviolable la communion
de tous les huict jours, laquelle Saint
Bonaventure n' ose prescrire à tous ceux qui
ont quitté le monde ; et ce qui est encore pis,
vous l' ordonnez aux personnes, non seulement
attachées aux occupations du monde, qui peuvent
estre innocentes, mais aussi aux affections
du monde, qui ne sçauroient estre que
mauvaises : tant vos opinions sont conformes
aux enseignemens des saints.
(...). Il ne suffit
donc pas selon ce grand saint et ce grand
docteur, de se confesser souvent pour meriter de
communier souvent ; de s' accuser tousjours
des mesmes pechez sans s' en corriger jamais ;
de ne faire autre chose, que tomber, se relever,
et retomber, et enfin de se joüer honteusement
de la misericorde de Dieu. Il faut veiller avec
grande circonspection, premierement à la garde
de son ame ; c' est à dire, à s' esloigner avec
soin et avec prudence non seulement des occasions,
p179
qui la peuvent perdre entierement ; mais
aussi de celles qui luy peuvent causer le moindre
mal. En second lieu, au reglement de ses
moeurs, c' est à dire, à les rendre conformes aux
enseignemens immuables de l' evangile, et à
marcher sur les pas que Jesus-Christ nous
a tracez. Et enfin à la pureté de sa conscience,
c' est à dire, à la conserver pure de toutes les
affections du monde ; et à la purifier avec soin
des moindres taches par l' eau des larmes, et par
le feu de la charité.
Mais apres avoir appris de Saint Bonaventure
ce qu' un sage directeur doit considerer,
pour juger, s' il est plus utile à une ame de
communier souvent que rarement, qui est precisément
la question que vous proposez en cét escrit,
escoutez, je vous prie, sa decision et la
conferez avec la vostre ; (...).
Ces paroles ne vous frappent-elles point
d' estonnement ? Vous avez la hardiesse d' establir,
comme une regle generalle entre les docteurs
catholiques, que la communion de
tous les huict jours doit estre commune à
toutes sortes de personnes ; et ce saint veut qu' elle
soit le prix et la recompense de la plus parfaite
vertu qui se puisse quasi rencontrer ; il croit
qu' à peine se peut-il trouver quelqu' un si religieux
p180
et si saint, qui ne se doive contenter de
cette frequentation de l' eucharistie ; et vous
croyez au contraire qu' à peine se peut-il trouver
une personne si imparfaite et si déreglée
qui n' en soit digne.
Enfin Saint Bonaventure pour demeurer
tousjours ferme dans cette importante maxime,
que la frequentation de cét auguste mystere
ne se peut regler que par beaucoup de circonstances,
et principalement par les diverses
operations du Saint Esprit dans les ames, apres
avoir declaré que son sentiment estoit qu' il n' y
avoit gueres de personnes si vertueuses, qui ne
deussent se contenter de communier une fois
la semaine, il y adjouste pour exception ;
(...).
PARTIE 1 CHAPITRE 36
p181
refutation des raisons que
cét auteur apporte pour establir generallement que
ceux qui communient tous les huict jours font
tres-bien : dont la premiere est que les peres
nous y exhortent.
mais, si vostre autorité n' est pas
tout à fait si grande, que celle de
Saint Bonaventure, vos raisons
possible sont plus fortes et plus
puissantes. C' est ce qu' il faut examiner
en peu de paroles. Vous en apportez
trois, dont la premiere est que les peres nous
exhortent à la communion de tous les huict
jours. Vous n' avez allegué pour cela que
l' auteur des dogmes ecclesiastiques que vous avez
cité sous le nom de Saint Augustin : et c' est
veritablement l' un des plus beaux passages de
l' antiquité sur ce sujet, et que tous les auteurs
suivans ont tousjours pris pour le principal
fondement de toutes leurs decisions en cette
matiere ; mais je pense avoir descouvert si
clairement vostre peu de lumiere et de fidelité
sur cét endroict, que ce seroit abuser de la
patience des lecteurs, de leur monstrer encore
une fois, comme Gennadius excepte formellement
de cette exhortation à la communion
de tous les huict jours, tous ceux qui se sentent
p182
coupables de pechez mortels commis depuis le
baptesme, voulant que ceux-là se separent
entierement de la sainte table jusques à ce qu' ils
se soient purifiez par les exercices de la penitence.
Et comme de plus il tesmoigne, (ce que
Monsieur De Geneve fait aussi à son exemple)
que ce conseil ne regarde que les bonnes ames,
non seulement détachées de toutes les passions
criminelles ; mais ce qui est un point de vertu
plus eslevé que l' on ne croit, degagées mesme
de toutes les affections aux offenses les plus
legeres.
C' est pourquoy le mesme Monsieur De Geneve
qui conseille à sa Philothée de communier
tous les huict jours, la supposant, comme
il dit, dans les dispositions saintes, qu' il declare
estre requises pour une si frequente communion,
escrit à une dame ; qu' il n' est point d' advis
qu' elle permette à sa fille de communier
tous les quinze jours, si elle n' a, non seulement
une grande ferveur pour la sainte communion ;
mais aussi un grand soin de mortifier les
petites imperfections de la jeunesse. Les
paroles de ce saint prelat sont admirables sur ce
sujet. (...).
p183
Si ce saint evesque croyoit que les petites
imperfections de la jeunesse devoient empescher
une jeune fille élevée dans la vertu et dans la
pieté, sous la conduite d' une bonne mere, de
communier plus souvent que tous les mois,
si elle ne travailloit beaucoup à s' en corriger,
se fust-il persuadé, comme vous faites, que des
personnes engagées dans le monde, et sujettes
à bien d' autres imperfections, se trouvassent si
facilement dans les dispositions requises pour
communier tous les huit jours, qu' il y eust
sujet d' accuser d' imprudence tous ceux qui les
en empescheroient ? Eust-il poussé à cette
communion
p184
de toutes les semaines ces demy-chrestiens
de nostre temps, qui pretendent se sanctifier
en communiant souvent, et en menant
une vie toute payenne ; qui s' imaginent
avoir trouvé un nouveau chemin pour aller au
ciel, qui est tout couvert de fleurs et bien
different de la voye estroitte de l' evangile ; qui
pensent payer Dieu d' un acte imaginaire de
contrition, lors que leur coeur est tout bruslant
d' ambition et d' avarice ; et qui voudroient bien
trouver leur salut dans les souffrances du sauveur
du monde, mais à la charge de n' y prendre
point de part, et de passer toute leur vie
dans les plaisirs et dans les delices ? Enfin cét
homme de Dieu eust-il approuvé la fausse
imagination que vous avez, qu' en quelque estat,
et quelque imparfait que l' on soit, il ne faut
que communier souvent pour acquerir beaucoup
de graces, luy qui declare avec tant de jugement,
qu' il est vray, (...), et qu' ainsi
elle nuit plus qu' elle ne profite, à ceux qui ne
s' en approchent pas avec ces dispositions,
comme dit Gennadius.
Je ne puis m' empescher de joindre aux advis
de Monsieur De Geneve ceux d' un autre
grand serviteur de Dieu du dernier siecle, qu' il a
p185
extrémement estimé ; c' est du Saint Prestre
Avila, qui parle de cette sorte de la conduite
qu' on doit tenir envers les ames, pour ce qui
est de la communion, dans une lettre escrite à
un directeur. (...).
p187
Vous voyez comme cét auteur si vertueux
est esloigné de la fausse imagination que vous
avez, que toutes sortes de personnes font
tres-bien de communier toutes les semaines, et que
ce n' est pas agir prudemment à un confesseur,
que de ne leur pas permettre une si frequente
communion.
PARTIE 1 CHAPITRE 37
refutation de la seconde raison,
que cette pratique generalle de communier toutes
les semaines, approche plus de la communion de tous
les jours observée en la primitive eglise.
mais sans doute que vous mespriserez
le conseil d' Avila, comme
contraire à l' esprit de l' eglise dont
vous pretendez appuyer vostre
sentiment, en disant, que la pratique
de communier tous les huict jours approche
plus de la communion de tous les jours
observée en la primitive eglise, et que le saint
concile de Trente souhaitteroit de restablir.
C' est la seconde raison, que vous apportez
pour fortifier vostre opinion. Mais pour le
concile de Trente, je m' inscris en faux encore
une fois, et vous soustiens, que le concile
tesmoigne bien desirer qu' il ne se dise point de
messe sans communians ; mais qu' il ne parle
en aucun endroict de restablir pour tous les
fidelles la communion de tous les jours.
Pour la pratique de la primitive eglise, je
vous ay desja respondu, que vostre frequente
communion en approche veritablement, si elle
est animée du mesme esprit ; mais que si elle
n' en a que le corps, et qu' elle soit destituée de
la manducation spirituelle par la pureté de la
p188
foy, et par l' ardeur de la charité, qui doit
estre l' ame de la manducation corporelle, comme
disent les peres ; vostre comparaison est
semblable à celle d' une personne qui diroit
qu' un homme mort approche fort d' un homme
vivant.
Et je repeterois icy volontiers ces excellentes
paroles de Saint Bonaventure que j' ay desja
rapportées au commencement de ce discours ;
que celuy qui se trouve dans l' estat des chrestiens
de l' eglise primitive, c' est à dire dans la
sainteté de son baptesme, dans l' innocence,
dans la charité, et dans la ferveur du Saint
Esprit, fait fort bien de les imiter dans leurs
frequentes communions : mais que celuy qui se
trouve dans l' estat de l' eglise finissante, c' est à
dire, froid et lent aux choses de Dieu, fait
beaucoup mieux de ne communier que rarement.
Que si l' on se trouve dans un estat comme
moyen entre ces deux, l' on doit aussi se gouverner
d' une maniere temperée, se retirant
quelquefois par reverence de cette table, et
d' autresfois s' en approchant par amour, et
prendre, ou quitter l' une ou l' autre de ces deux
voyes, d' éloignement, ou de frequentation,
selon que nous reconnoistrons en nous un plus
grand advancement dans la pieté.
PARTIE 1 CHAPITRE 38
p189
refutation de la derniere
raison : qu' il n' y a point de condition en laquelle
on ne puisse prendre le temps necessaire, pour
se disposer à la communion les dimanches
et les festes.
enfin, pour la derniere raison,
et qui sans doute fait le plus d' impression
sur vostre esprit ; c' est
dites-vous, qu' il n' y a condition
aucune en laquelle on ne puisse prendre le
temps necessaire pour se disposer à la communion
les dimanches et les autres festes. (...), vous ne
connoissez pas l' esprit du christianisme. Vous
traittez en pharisien les mysteres les plus augustes
de nostre religion : vous prenez une chose exterieure
pour regle de la plus importante des actions
d' un chrestien.
Quoy ? Vous vous imaginez que toute la
preparation pour recevoir l' eucharistie, ne
consiste qu' à dire quelques prieres avant que
de communier, et que l' on merite de le faire
toutes les fois que l' on peut prendre ce temps ?
Et quelle asseurance avez-vous que le Saint Esprit
s' assujettisse à vos heures, et qu' apres qu' un
homme du monde aura passé toute la semaine
à satisfaire à ses plaisirs, à son ambition, à son
p190
avarice, c' est à dire qu' il aura oublié Dieu
toute la semaine ; Dieu s' oblige à luy donner
chaque dimanche les graces necessaires pour
n' approcher pas indignement de son autel ?
Les saints veulent, que pour juger s' il est
plus utile de communier souvent, que rarement,
l' on regarde aux merites, aux affections,
aux reglemens des moeurs, à la pureté de la vie,
aux operations du Saint Esprit : et vous, (pour
user des termes de Saint Chrysostome) vous
croyez que c' est assez pour se preparer à une
action si grande, et pour s' approcher d' une
hostie, que les anges ne regardent qu' avec
tremblement, de s' y regler par l' intervalle des
festes et des dimanches, et par le loisir que nos
autres affaires nous laissent.
Si un roy avoit resolu de faire manger à sa
table ses plus fidelles serviteurs pour
recompense de leurs services, et pour gage de la
grandeur de son affection ; pourroit-on, sans se
rendre ridicule ; persuader à un homme, qu' il a
droict de se presenter à cette table royalle par
cette seule raison, qu' il ne manque pas de loisir
pour aller au palais du prince, et pour se
preparer à ce festin ? Vous faites icy la mesme
chose. Le roy des roys par une bonté sans exemple,
pour tesmoigner la grandeur de son amour
à ceux qui le servent fidellement, ne les reçoit
pas seulement à sa table ; mais les nourrit de
son propre corps, estant tout ensemble, comme
p191
Saint Hierosme dit excellemment, (...) : c' est la
plus grande recompense qu' il puisse donner en ce
monde à ses plus grands amis, et à ses plus chers
enfans ; et le gage plus amoureux des recompenses
eternelles qu' il leur prepare dans l' autre : et vous
entreprenez de nous faire croire, qu' il n' y a
personne, quelque imparfait et quelque dénué de
vertu et de sainteté qu' il puisse estre, qui ne
doive tres-souvent pretendre à cette faveur, à
cause seulement qu' il n' y a point de condition,
où l' on ne puisse prendre le temps necessaire
pour se disposer à communier souvent.
Vous ressemblez en ce poinct à la plus grande
partie des gens du monde, qui vivans dans
toute sorte de déreglemens et de crimes, ne laissent
pas de se flatter de l' esperance de leur salut,
sur la confiance qu' ils ont, que Dieu leur donnera
quelques heures avant que de mourir, pour
se preparer à la mort, et qui se persuadent, que
c' est assez pour bien mourir, d' avoir quelque
temps pour y penser, comme vous croyez que
c' est assez pour meriter de communier souvent,
d' avoir le temps necessaire pour s' y disposer
souvent.
PARTIE 1 CHAPITRE 39
p192
quel egard on doit avoir aux
pechez veniels, pour regler les communions. Et ce
que les peres nous enseignent sur ce sujet.
Saint Augustin a raison de remarquer,
que si S Paul eust aussi
bien ordonné, que l' evesque soit
sans peché, comme il ordonne,
qu' il soit sans crime, il ne se fust trouvé personne
capable de cette charge, parce que tous
ceux qui vivent chrestiennement sous la conduite
de l' esprit de Dieu, se doivent, et se peuvent
bien exempter des crimes, c' est à dire, des
pechez mortels, mais ils sont tousjours redevables
à la justice divine d' une infinité d' autres
pechez. Nous pouvons dire de mesme en
cette rencontre, que si tous les pechez veniels
nous devoient empescher de recevoir l' eucharistie,
toute la terre souffriroit un interdit general,
et ce ne seroit pas pour des hommes fragiles
p193
commes nous sommes, que Jesus-Christ
auroit institué ces mysteres. Mais cela
n' empesche pas, que vostre proposition generalle
dans le dessein que vous semblez avoir pris
d' oster aux ames toutes sortes de sujets de se retirer
quelquesfois de la communion par reverence,
n' ait besoin d' estre accompagnée de quelques
considerations, pour empescher que les foibles
n' en abusent à leur ruïne. J' en rapporteray
quatre, dont je ne traitteray les trois premieres
qu' en passant, pour m' arrester un peu davantage
sur la derniere qui est plus de nostre sujet.
La premiere est, que l' abus si dangereux de
ne tenir conte des pechez veniels, et de les
commettre avec la mesme hardiesse que l' on feroit
les meilleures actions, est monté jusqu' à un tel
poinct d' excez en ce siecle, qu' il est d' extréme
importance de n' y pas donner de l' accroissement,
en representant ces offenses, comme des
choses de nulle consideration, et ausquelles il
ne faut avoir aucun esgard, lors qu' il s' agit de
se presenter au plus redoutable des mysteres.
La seconde, qu' encore que ces pechez ne
tuënt pas l' ame d' un seul coup, comme font les
mortels, il est necessaire neanmoins d' avoir
grand soin d' en effacer sans cesse les taches par
les remedes de la penitence, par les prieres, par
les aumosnes, par de fortes resolutions suivies
de fidelles et de frequentes pratiques, par
l' esloignement des mauvaises compagnies, par
p194
les retraittes dans son logis, par des oeuvres
contraires à celles que l' on a faites ? Comme par
l' occupation contre l' oisiveté ; par le silence
contre la liberté des paroles ; par les loüanges
et les tesmoignages d' estime contre les médisances ;
par de favorables interpretations, contre les
mauvais soupçons, par la liberalité contre la trop
grande espargne, et la dureté vers les pauvres ;
par des actions humbles contre des actions
orgueilleuses ; par de bons accueils, et des
marques d' amitié contre les aversions ; par la
vigilance contre la paresse ; par la mortification
contre l' attachement aux plaisirs des sens ; et
enfin par des traittemens doux et favorables
contre les aigreurs et les choleres domestiques
qui troublent toute la maison interieure et
exterieure. (...).
D' où vient, que ce saint establit en deux
choses le devoir d' un homme juste touchant
les pechez ; la premiere, de n' en commettre
jamais de mortels ; la seconde, d' expier sans cesse
les veniels par les oeuvres de charité. Et c' est ce
qui doit faire prendre garde, que vostre maxime
si generalle ne donne sujet aux ames de negliger
la satisfaction qu' ils doivent à Dieu pour
p195
leurs offenses venielles, lors principallement
qu' ils desirent s' approcher du saint autel.
Certes quand je considere ce que Saint Hierosme
escrit de la penitence continuelle que
Sainte Paule faisoit pour ces sortes de pechez, je
ne puis m' empescher de la rapporter en cet
endroit, pour monstrer l' extreme soin qu' ont
les ames saintes de se purifier de leurs moindres
fautes par de grandes satisfactions. Cette
illustre romaine, qui n' avoit esté toute sa vie
qu' un exemple rare de chasteté, ne laissoit pas
de se traitter avec autant de rigueur, que si elle
eust esté la plus criminelle du monde. (...).
p196
La troisiesme consideration est, que pour
instruire fidellement ceux qui veulent vivre
dans la pieté chrestienne, comme leur baptesme
les y oblige ; il ne falloit pas oublier de
distinguer avec soin l' affection aux pechez veniels,
d' avec les pechez veniels, puis que cette
affection, selon le sentiment de l' antiquité, que
l' un des plus saints evesques de nostre temps,
a estably de nouveau, comme une regle judubitable
en matiere de devotion, est un juste
empeschement de frequenter l' eucharistie ;
ainsi que nous l' avons fait voir dans le chapitre
22 où nous supplions le lecteur d' avoir recours
pour s' esclaircir de ce point si important.
La quatriesme et derniere consideration
qui nous descouvrira la fausseté de vostre regle
prise en general, c' est, qu' encore que tous les
pechez veniels ayent cela de commun, qu' ils ne
separent pas eternellement de la possession du
royaume, il y en a neanmoins de tant de sortes,
qu' il est necessaire de ne les pas confondre,
comme vous faites, pour juger s' il ne s' en trouve
aucun qui nous doive porter à nous separer
quelquefois de la sainte communion. Il y en a
de volontaires, et d' involontaires selon le langage
p197
des anciens peres. Il y en a qui procedent
de nostre mauvaise inclination, et d' autres qui
sont causez par quelque tentation estrangere.
Il y en a que nous commettons avec deliberation,
et d' autres que nous ne faisons que par imprudence.
Il y en a qui viennent d' une longue
accoustumance, et d' autres qui naissent d' une
occasion passagere. Il y en a de negligence, et de
pure fragilité ; de malice, et d' ignorance ;
d' exterieurs et d' interieurs. Les uns blessent
davantage la pureté de nostre ame, et les autres
moins. La charité du prochain semble plus
interessée dans les uns que dans les autres. Il y en a
qui causent quelque scandale, et d' autres qui
n' en causent point. Les uns apportent plus de
trouble à nostre esprit que les autres : et enfin
ils sont quelquesfois en plus grande multitude,
et d' autresfois en plus petit nombre.
Si vostre proposition comprend tous les
pechez veniels de toutes ces sortes, elle renverse
de tres grands fondemens de la pieté chrestienne,
et condamne une infinité de saints,
qui nous ont appris, et par leurs escrits, et par
leurs exemples, que les seuls pechez veniels
nous doivent porter quelquefois à une abstinence
respectueuse de cette nourriture celeste.
Je ne vous en rapporteray que quelques-uns ;
mais pris de divers aages de l' eglise, pour vous
faire mieux comprendre sa perpetuelle conformité
dans cette doctrine.
p198
Sainct Augustin vous apprendra que les pechez,
mesme veniels, qui blessent un peu la
chasteté, principalement lors qu' on y retombe
souvent, doivent faire apprehender que l' on
ne reçoive indignement l' eucharistie, si l' on
n' a grand soin de les rachepter auparavant par
les aumosnes. C' est dans son sermon 244
où parlant de ceux qui usent intemperamment
du mariage, et hors la fin de la generation des
enfans ; (...).
p199
Cecy vous servira de responce à l' authorité
de Saint Augustin et de Saint Hilaire, que vous
prenez tres-mal à propos pour le fondement
de vostre regle. Car vous n' avez autre chose à
nous rapporter de ces deux peres, que ce que
vous en avez cité dans le chap. 14 où je vous
ay desja monstré que la citation de Saint Hilaire,
n' estoit qu' un effet de vostre peu d' intelligence
en ces matieres. Et pour celle de Saint
Augustin, qui est le seul veritable autheur de
ce passage lequel vous attribuez à ces deux
peres, je vous ay fait voir qu' il ne parle pas en sa
p200
personne ; mais qu' il rapporte seulement les raisons
et les paroles d' un autre, et qu' ainsi les
enseignemens qu' il donne à son peuple dans ce
sermon nous doivent estre de plus grand poids
pour nous asseurer de ses veritables sentimens :
outre que ce qui est rapporté dans cette epistre
118 se doit entendre de ce qui arrive ordinairement
et de ces pechez veniels, que la fragilité de nostre
nature nous fait commettre sans cesse.
Saint Gregoire qui peut rendre tesmoignage
de la doctrine de l' eglise dans un âge plus
avancé, nous enseigne, (...).
Saint Bonaventure qui a vescu prés des derniers
temps escrit ces paroles dans son traitté
de la preparation de la messe ; (...).
p202
Advoüez que ces excellentes
paroles de Saint Bonaventure destruisent
absolument vostre decision, puis qu' il declare en
termes clairs que non seulement les pechez
mortels, mais aussi les veniels venans à se
multiplier par nostre negligence et par nostre
paresse, mettent l' ame hors de la disposition que
ces sacrez mysteres demandent.
Enfin pour descendre jusques à nostre siecle
le bien-heureux François De Sales est si
esloigné d' approuver vostre maxime, que nous
ne devons point avoir esgard aux pechez veniels
pour regler nos communions ; qu' escrivant
à une dame de grande vertu, et à laquelle
il rend ce tesmoignage si advantageux, que
le sentiment qu' elle avoit d' estre toute à Dieu
n' estoit point trompeur, il approuve extremément,
que son confesseur luy eust retranché la
consolation de communier souvent, à cause
seulement de quelques paroles d' impatience
ausquelles elle estoit sujette. (...).
PARTIE 1 CHAPITRE 40
p203
exemples de beaucoup de grands
saints, qui se sont separez eux-mesmes de la sainte
communion, ou en ont separé d' autres, pour
des fautes venieles.
mais pour monstrer encore mieux la
fausseté de vostre maxime, (...) ;
il ne sera pas inutile de la destruire par
p204
les actions de ces mesmes saints, apres l' avoir
renversée par leurs paroles, et d' ajoûter la force
de leur exemple à la puissance de leurs raisons.
Palladius rapporte dans la vie de Saint
Chrysostome lequel il connoissoit particulierement,
que s' estant trouvé à une assemblée d' evesques
qui se faisoit en la ville de Constantinople,
un d' entr' eux nommé Eusebe, se declarant
accusateur d' Antonin evesque d' Ephese,
il le pria avant que d' avoir oüy les chefs de
l' accusation, de ne point porter cette affaire plus
avant, et l' asseura, que si on l' avoit mesconten
en quelque chose, il auroit soin de luy oster
tout sujet de plainte. Et ayant exhorté Paul
evesque d' Heraclée, qui sembloit estre pour
Antonin, de les remettre bien ensemble, il
entra dans l' eglise, parce que c' estoit l' heure du
sacrifice, où ayant donné la benediction au
peuple ; et s' estant assis avec les autres evesques,
le mesme Eusebe estant entré secrettement,
vint luy presenter devant tout le peuple un
memoire des chefs de son accusation contre
Antonin ; le conjurant avec des sermens estranges
de luy rendre justice en cette affaire. Et alors
Saint Chrysostome voyant les instances qu' il
luy faisoit, receut ce memoire, de peur qu' il ne
s' excitast quelque trouble parmy le peuple, et
apres qu' on eust leu publiquement l' escriture
sainte selon la coustume ; il pria un de ces
evesques de dire la messe, et sortit de l' eglise,
(...).
p205
Et cependant si on examine bien tout ce qu' il fit
alors, on ne trouvera qu' un exercice continuel de
charité, et une tranquillité d' esprit merveilleuse,
qui ne conserve pas seulement la paix en soy, mais qui
tasche encore de la rendre à ceux qui la veulent
violer. Mais parce que la seule veuë du trouble
des autres, avoit pû exciter quelque petit nuage
dans son esprit, il creut que cela seul suffisoit
pour le faire justement retirer de l' autel où il
alloit monter, et pour priver tout ce grand
peuple de la joye et du fruict qu' il recevoit
d' estre nourri de la main de son pasteur. Certes
cela nous monstre bien clairement, quelle injure
on feroit à ce grand saint de croire que parlant
de l' extréme pureté qu' il est besoin d' apporter
à la participation de ce mystere, il ait parlé
avec exageration, et se soit servy des hyperboles
des orateurs, puis qu' en s' en retirant par
reverence pour des causes tres-legeres, il luy a
porté le mesme respect qu' il a tasché d' imprimer
dans le coeur des autres, et qu' on ne sçauroit
accuser ses discours d' une chaleur imprudente,
et d' excez irreguliers sans condamner
son action, comme l' effect d' un scrupule
superstitieux, et reprocher au plus genereux et
au plus ferme de tous les evesques d' Orient une
humilité basse et indiscrette.
Que si vous l' osez faire, eslevez encore vostre
p206
zele contre Saint Hierosme, qui escrivant
contre Vigilance declare, (...). Et ainsi celuy
qui avoit l' esprit et la lumiere
des plus grands hommes du christianisme,
pour deffendre la sainteté des reliques,
avoit le coeur et la timidité des plus simples
femmes pour en approcher, comme luy-mesme le
declare au mesme endroit. Jugez
maintenant par ces paroles de Saint Hierosme,
s' il eust esté de l' opinion que vous attribués
aux saints, que l' on ne se doit point abstenir de
communier pour les pechez veniels, puis qu' apres
un mouvement de cholere, ou une mauvaise
pensée, ou une illusion de nuit, qui se peuvent
assez souvent rencontrer sans aucun peché,
il n' osoit pas entrer dans les basiliques des
martyrs. Se fust-il presenté pour recevoir
l' eucharistie, lors qu' il n' osoit se presenter devant
les reliques des saints ? Eust-il plus reveré le
serviteur, que le maistre ? La presence de celuy,
dont la gloire et la majesté fait trembler les
anges, luy eust-elle donné moins de crainte et
de frayeur, que celle de ces corps sacrez, qui
gemissent encore icy bas dans l' attente de leur
p207
gloire ? Et enfin eust-il porté plus de respect à
des cendres mortes, qui tirent leur principale
dignité de cette semence de vie, qui leur est
restée de l' attouchement de la chair immortelle
et vivifiante de Jesus-Christ, selon le
langage et la doctrine de tous les peres, qu' à
cette chair mesme qui les rend si venerables ? Je
ne sçaurois croire que cette pensée puisse entrer
jamais en l' esprit d' aucun homme de bon sens.
Et certes elle se peut moins concevoir de ce
saint, que de personne, puis que tout le monde
sçait avec quelle vehemence il parle contre
ceux, qui apres l' usage du mariage, n' osans entrer
dans l' eglise, communioient chez eux en
particulier, et ainsi par un jugement déreglé
ne se croyans pas assez purs pour entrer dans les
basiliques des martyrs, se persuadoient l' estre
assez pour recevoir le roy des martyrs. Reconnoissez
donc que Saint Hierosme trouvoit
fort bon, que l' on s' abstinst quelquefois de
communier pour des pechez veniels ; et par
consequent, effacez-le du nombre des saints,
afin de faire plus aisément passer vostre opinion
pour l' opinion des saints.
Mais faisons voir encore par d' autres exemples
que cet humble respect, et cette sainte
timidité se trouve dans les grandes ames, et dans
les coeurs les plus magnanimes. Nous lisons
du grand Theodose dans l' histoire ecclesiastique,
qu' apres avoir deffait Eugene usurpateur
p208
de l' empire, apres avoir remporté une victoire
toute remplie de miracles, de laquelle il avoit
esté asseuré de la part de Dieu par la bouche
d' un grand solitaire, dans laquelle les vents et
les tempestes avoient combattu pour sa querelle,
et par laquelle il asseura la paix de l' eglise,
et la tranquillité de toute la terre ; il s' abstinst
assez long-temps de la participation des mysteres,
n' ayant pas voulu porter si tost à l' autel
ses mains encore teintes du sang de ses ennemis,
quoy qu' il eust esté si justement respandu.
En quoy il se trouve que ce prince apres avoir
imité par sa penitence publique l' exemple illustre
de la penitence de David ; l' imita encore
par cette action ; puis qu' il fit par le mouvement
de sa pieté, ce que David fit par l' ordre
de Dieu, lors qu' il receut le commandement
de ne point bastir le temple où l' arche
qui estoit figure de l' eucharistie devoit
reposer, à cause seulement qu' il avoit respandu
le sang des ennemis d' Israël, et de Dieu
mesme.
Que si vous pensez improuver cette humilité
de Theodose, comme l' effet d' une devotion
mal reglée ; apprenez, qu' elle estoit si
conforme à l' esprit du christianisme, que l' eglise
ordonnoit, (ainsi que Saint Basile tesmoigne)
que ceux qui auroient tué des ennemis
en guerre se separassent fort long-temps de
l' eucharistie, marquant par là l' extréme pureté,
p209
qu' elle desiroit en tous ceux qui vouloient
participer à ce mystere.
Aussi Saint Ambroise dans l' oraison funebre
de cét empereur, entre tant d' actions
heroïques, qui ont rendu sa memoire si celebre
dans l' eglise, releve celle-cy par un eloge
particulier, et en fait le couronnement des
loüanges qu' il donne à sa penitence. (...).
Le tesmoignage si glorieux que S Ambroise
rend à la pieté de ce prince, la doit rendre
venerable à tout le monde, et la liaison qu' il
met entre ces deux actions, l' une de penitence,
p210
et l' autre d' humilité, marque bien clairement
quelles partent de la mesme source. Que le
mesme mouvement de la grace, qui inspire de
souffrir tres-volontiers la separation de
l' eucharistie durant plusieurs mois (comme ce grand
empereur la souffrit durant huict mois tous
entiers) pour se purifier des pechez mortels par les
exercices de la penitence, inspire aussi la devotion
de s' en separer durant quelques jours pour
des offenses venielles, et quelquefois mesme en
des occasions, où il y a plus d' indecence que de
peché. Que l' esprit de penitence fait embrasser
l' un et l' autre, comme l' esprit d' impenitence
les fait souvent rejetter tous deux ; et enfin que
la mesme humilité chrestienne porte à ne pas
recevoir quelquefois le saint des saints, comme
le mesme orgueil humain peut porter à
l' aller prendre sur les autels sans aucune
crainte, en tout temps, en toute rencontre, et apres
toutes sortes de crimes et de pechez.
Voila quel estoit le respect et la reverence,
qu' une personne reverée de toute la
terre, rendoit à l' eucharistie. Voila quel estoit
le sentiment si religieux d' un des plus grands
empereurs en sagesse et en pieté qui ait
gouverné l' empire romain, d' un empereur
nourry dans la pureté de la doctrine de l' eglise,
instruit dans l' eschole de Saint Ambroise, et
publié pour saint apres sa mort, par celuy qui
avoit tant servy à le rendre saint durant sa vie.
p211
Apres cela n' aurez vous pas quelque sujet de
rougir d' avoir proposé comme une maxime
de Saint Ambroise, qu' en s' abstenant de
communier, on ne doit pas penser porter plus de
respect et de reverence au tres-saint sacrement ?
Et les lecteurs n' auront-ils pas quelque
sujet de s' estonner, qu' on soit en peine
aujourdhuy de justifier des actions, que les peres
ont canonisées, et d' opposer à la censure et au
blasme d' un nouveau directeur de consciences,
l' approbation et les loüanges des anciens
docteurs de l' eglise universelle ?
Mais voyons agir Saint Ambroise apres
l' avoir entendu parler. Nous lisons dans
Sozomene, qu' un de ses diacres, nommé Geronce,
s' estant vanté ridiculement d' avoir enchaisné
un demon qu' il disoit luy estre apparu durant
la nuit, il le separa de son ministere, et luy
ordonna de demeurer dans sa maison durant
quelque temps, et d' expier par la penitence
l' indiscretion de ses paroles, comme les jugeans
indignes d' un ministre de Jesus-Christ.
C' est la seule cause et le seul motif que
l' historien rapporte de cette separation, qui
emportoit necessairement celle de l' eucharistie.
Ainsi vous voyez, que Saint Ambroise ne parloit en
cette matiere que selon l' esprit de l' eglise, puis
qu' il le suivoit dans ses ordonnances, aussi bien
que dans ses discours, et que non seulement il
jugeoit que l' on pouvoit par reverence s' abstenir
p212
de communier pour des pechez veniels, et
quelquefois mesme pour moins, mais qu' il
obligeoit aussi de le faire pour une faute qui ne
paroissoit point mortelle, pour une simple
intemperance de langue.
Voulez-vous encore l' exemple d' une
personne plus relevée et de plus grande autorité
dans l' eglise ? Nous lisons dans la vie du grand
S Gregoire, qu' il fut quelques jours à faire
penitence et à s' abstenir de dire la messe, pour
avoir ouy dire, qu' on avoit trouvé un pauvre
mort en un village prés de Rome, craignant
qu' il ne fust mort de faim ou de misere faute de
l' avoir secouru. Un homme autant eslevé au
dessus des autres fidelles par l' eminence de sa
vertu, que par celle de sa charge, dont l' ardente
charité sembloit tousjours le rendre assez
disposé pour offrir à Dieu ce sacrifice d' amour,
et qui pouvoit y estre d' autant plus porté, que
comme pasteur universel de toute l' eglise, il
sembloit estre plus obligé d' offrir continuellement
cette victime adorable pour le salut et
le bien de tous les fidelles sousmis à son
ministere, abandonne les autels, et se retranche
humblement de la celebration des mysteres,
sur le simple soupçon d' avoir manqué
en quelque chose à la charité du prochain :
et on se laissera persuader par vostre regle,
que les pechez veniels ne doivent jamais
porter un homme à se separer quelque temps de
p213
l' eucharistie par une humilité sainte.
Nous lisons de Saint Romuald, qu' il privoit
de dire la messe, les religieux qui
s' estoient laissé aller un peu au sommeil durant
l' oraison.
Saint Bernard loüe Saint Malachie d' avoir
repris un diacre pour avoir servi à l' autel apres
avoir eu une illusion la nuit precedente. Il
rapporte que ce saint evesque luy imposant
penitence pour cette faute, luy dit ; (...).
Mais pour descendre encore plus bas dans
la suitte des aages de l' eglise, et vous faire
voir, que le Saint Esprit a tousjours conservé
ce sentiment dans le coeur des saints : n' a-t' on
pas remarqué de cét illustre martyr, et de ce
grand prelat d' Angleterre Saint Thomas De
Cantorbie, que pour s' estre un peu relasché de
sa fermeté à soustenir la puissance ecclesiastique,
sous l' esperance d' adoucir le roy, et de
guarentir le clergé de la persecution qui le
menaçoit, il se retrancha luy-mesme du sacrifice
de la messe, et ne retourna point à l' autel,
qu' apres avoir receu l' absolution du pape ?
Et de nostre temps ne lisons nous pas du
grand Saint Charles, que pour avoir fait quelque
p214
faute dans la celebration du sacrifice de la
messe, il voulut par penitence demeurer
plusieurs jours sans la dire ; et qu' il fust encore
demeuré plus long-temps dans cette humble
separation, s' il ne se fust laissé aller aux desirs
ardens de son peuple, qui souhaittoit avec passion
de le revoir à l' autel pour participer à ses
sacrifices.
Ces grands evesques n' ignoroient pas cette
parole si commune de Bede, dont tant de personnes
ignorantes ont abusé, (...) : mais ils sçavoient
aussi, que c' estoit un legitime sujet d' obmettre le
sacrifice de l' eucharistie, que de le faire par
esprit de penitence, mesme pour des fautes legeres :
que Dieu, qui n' est honoré que par les humbles,
reçoit le sacrifice d' un coeur humilié devant
luy, comme une offrande, qui luy est tres-agreable :
que les anges, qui ont une si grande joye de la
penitence des meschans, se réjoüissent aussi de
celle des bons ; et que les larmes d' un evesque,
qui estoient tousjours jointes autrefois à celles
des penitens, sont tres-puissantes devant Dieu,
pour attirer sa misericorde
p215
sur les pecheurs, ses dons sur les justes, son
indulgence sur les morts, ses bien-faits sur
l' eglise, et ses graces sur luy-mesme.
Il est donc indubitable par le tesmoignage
des peres, et par les exemples de tant de saints ;
qu' encore que les pechez veniels ne soient pas
tousjours des empeschemens pour approcher
de l' eucharistie, lors principalement qu' ils
procedent plus de fragilité, que de faute, ou de
negligence ; il peut neanmoins arriver quelquefois,
qu' il est tres-utile de s' en abstenir humblement
et par reverence, pour avoir commis de
ces pechez, lors que Dieu nous en inspire le
mouvement, et que nous sentons avoir besoin
de cette peine, tant pour nous purifier des
taches que nous croyons avoir contractées, que
pour nous accroistre le soin de les éviter à
l' advenir. Et c' est le conseil que Monsieur De
Geneve donne à une dame de vertu et de pieté,
luy escrivant en ces termes sur ce sujet. (...).
PARTIE 2 CHAPITRE 1
p217
Où est traittée cette
question, s' il est meilleur et plus utile aux
ames, qui se sentent coupables de pechez
mortels, de communier aussi-tost qu' elles
se sont confessées ; ou de prendre quelque
temps pour se purifier par les exercices de
la penitence, avant que de se presenter au
saint autel.
la question est proposée,
et divisée en trois poincts.
p218
je ne sçay quel esprit vous pousse
à declarer si ouvertement une si
grande aversion de la penitence.
Mais j' ay bien de la peine à croire,
que tous ceux, qui font sincerement
profession de la pieté chrestienne,
soient si peu zelez pour sa defense, que de
p219
souffrir sans emotion, que vous taschiez d' en
renverser l' un des principaux fondemens, et
que vous parliez avec autant de chaleur contre
ceux, qui par une grace particuliere de Dieu,
pensans serieusement à se relever de leurs
cheutes, et à se guerir de leurs blessures, voudroient
prendre quelques jours , et si ce n' est assez
quelques mois, pour faire penitence avant que de
communier, que s' il s' agissoit de deraciner
l' un des plus grands abus de ce siecle.
Que si je ne me sentois emeü à apporter
plûtost quelque éclaircissement à la verité, qu' à
parler contre vos excez, n' aurois-je pas raison
de vous reprocher en cét endroit le tort
extréme que vous faites à l' eglise, en voulant
persuader, que ce que la foy nous propose comme
l' unique ressource des pecheurs apres leur
cheute, comme la seconde table apres le naufrage,
comme le seul moyen d' appaiser la cholere
d' un dieu irrité, comme la joye du ciel, et la
consolation de la terre, est tellement aboli
dans le coeur des chrestiens, que ses plus saints
exercices peuvent passer aujourdhuy pour des
actions criminelles ?
Mais pour ne sortir point des bornes, que
je me suis moy-mesme prescrittes, et demesler
avec quelque ordre ce que vous proposez avec
tant de confusion, s' agissant icy de sçavoir s' il
est meilleur et plus profitable aux ames qui se
sentent coupables des pechez mortels, de communier
p220
aussi-tost qu' elles se sont confessées, ou
de choisir quelque temps pour se purifier par
les exercices de la penitence avant que de
s' approcher du saint autel, je diviseray toute ma
response en trois parties.
Dans la premiere desquelles j' examineray en
peu de paroles toutes les authoritez de l' escriture,
des peres, et des conciles, dont vous appuyez
vostre sentiment.
Dans la seconde je feray voir, si ce n' a jamais
esté la pratique de l' eglise de faire penitence
plusieurs jours avant que de communier,
comme vous le pretendez.
Dans la troisiesme je monstreray, quel jugement
l' on doit faire de cette temeraire censure,
par laquelle vous condemnez de temerité
ceux qui en ce temps, selon le langage des
canons, honorent la penitence, et s' efforcent de
fléchir la misericorde de Dieu par la mortification
de leur chair, et l' exercice des bonnes oeuvres,
avant que de prendre la hardiesse d' approcher
du sanctuaire.
Et parce qu' il paroist manifestement par
l' aigreur que vous tesmoignez en cét article,
que ce qui doit plus edifier tous les fidelles est
ce qui vous donne plus de scandale, et que
vous n' avez pas moins entrepris de détourner
les hommes de la penitence, que de les pousser
indiscrettement à la sainte communion : je
supplie tres-humblement les lecteurs de trouver
p221
bon, que je m' arreste icy un peu davantage
que je n' ay fait jusques à cette heure, pour
maintenir dans une matiere si importante les
veritables sentimens de la pieté chrestienne,
contre vos fausses opinions.
PARTIE 2 CHAPITRE 2
premier point de la question
proposée, contenant la response à toutes les
autoritez alleguées par l' auteur contre ceux,
qui demeurent quelque temps à faire penitence
des pechez mortels, avant que de communier.
vous prononcez comme une decision
indubitable, et comme le
sentiment de tous les saints, que
les pechez mortels ne doivent pas
empescher de communier aussi-tost
que l' on s' en est confessé : et pour esblouïr
les ignorans, vous vous contentez de nommer
beaucoup de peres, sans neantmoins alleguer
aucunes de leurs paroles, pour appuyer vos
fausses maximes de l' autorité de ces grands
noms, et les rendre en mesme temps difficiles
à refuter par la peine qu' il y auroit de verifier
ces citations en l' air de tant de volumes. J' espere
neantmoins empescher facilement que
cét artifice ne vous reüssisse.
Et pour ne point perdre de temps, j' avoüe
d' abord, que je ne comprends pas ce que vous
p222
pretendez prouver par vostre allegation de
Saint Paul I corinth. Ii. comme si toute la
preparation, que cét apostre demande pour
manger le corps du seigneur, estoit renfermée
dans la seule confession : ce qui seroit une
manifeste depravation du sens de l' escriture
sainte. Car nous apprenons bien de Saint Paul,
qu' il faut prendre une extréme soin pour se
disposer à la participation de ces saints mysteres,
de peur d' y participer à nostre condemnation,
et de là nous avons raison d' inferer contre
les heretiques de nostre temps, que puis qu' il
faut apporter à cette table une conscience
pure ; ceux à qui des pechez mortels ont fait
perdre la pureté de leur ame, la doivent
premierement recouvrer par les moyens instituez par
Jesus-Christ, c' est à dire, en s' adressant
au tribunal qu' il a establi dans son eglise, pour
recevoir par l' entremise des prestres la remission
de leurs pechez. Voila de quelle sorte la
confession est enfermée dans le commandement
que S Paul fait de s' esprouver soy-mesme,
avant que de manger ce pain du ciel : mais
que ce commandement ne contienne autre chose,
c' est ce qui ne se peut soustenir sans ravaller
indignement la reverence que l' on doit à ce
sacrement auguste, et ce qu' il est aisé de refuter
par l' apostre mesme, pour ne rien dire maintenant
de tous les peres. Car comme l' auteur
du commentaire attribué à Saint Anselme, et
p223
avant luy Saint Augustin ont remarqué
excellemment, S Paul ne reprend pas les
corinthiens de s' estre approchez indignement de
l' eucharistie, pour y avoir apporté une conscience
chargée de crimes, sans s' estre confessez
auparavant ; mais pour n' avoir pas assez bien
distingué cette viande sainte des viandes communes,
par la reverence particuliere qui luy est deuë. Ce
que nous voyons, disent-ils, en ce qu' ayant dit
qu' un tel homme mange et boit sa condemnation,
il adjouste aussi-tost ces paroles, ne discernans
pas le corps du seigneur ; de sorte qu' il
est manifeste, que le principal dessein de
l' apostre n' est pas, que l' on soit hors de l' estat
du peché mortel lors que l' on communie, comme
la pluspart des corinthiens estoient sans doute :
mais qu' il demande beaucoup davantage ;
et qu' outre une plus grande pureté de l' ame,
que celle d' estre delivré simplement des
pechez mortels, il veut que l' on y apporte une
circonspection merveilleuse, et un respect
extraordinaire. Et c' est ce qui fait que Saint
Bonaventure ne craint point de dire, (...).
p224
Et pour ramener les choses à leur source,
comme Saint Paul nous asseure, qu' il a appris de
la bouche du seigneur ce qu' il nous enseigne ;
toutes ces preparations de l' eucharistie sont
renfermées en ce precepte de Jesus-Christ,
de celebrer ce mystere en memoire de sa mort.
(...). Est-ce là n' obliger les hommes qu' à se
confesser pour manger ce corps, et boire ce
sang, selon les enseignemens de Jesus-Christ
et de Saint Paul, apres avoir tant de fois foulé
aux pieds ce mesme sang, par des offenses
mortelles ? Mais pour cette heure, c' est assez sur ce
sujet. Nous le traitterons plus bas. Passons à
vos autres autoritez.
(...).
p225
Que n' adjoutez-vous encore Saint
Cyprien, Saint Basile, Saint Hierosme, Saint
Ambroise, Theodoret, et autant d' autres
peres que vous eussiez voulu ? Il vous eust esté
aussi aisé d' asseurer, qu' ils sembloient estre de
vostre sentiment, comme ceux que vous citez, et les
ignorans vous en eussent aussi facilement creu
à vostre parole. Est-il possible qu' en des
matieres où il s' agit du salut des hommes, l' on se
joüe de telle sorte de la simplicité des vivans,
et de l' authorité des morts, et que l' on fasse
dire aux peres tout ce que l' on veut qu' ils
disent, quoy qu' ils n' y ayent jamais pensé, et que
mesme ils ayent creu tout le contraire ?
Car est-ce dire, qu' apres avoir commis des
pechez mortels, il ne faut que se confesser, sans
estre plusieurs jours à faire penitence avant la
communion, que d' enseigner comme Saint
Jean Chrysostome fait par tout, (...).
p226
Est-ce estre de vostre advis, que d' asseurer,
comme Saint Augustin fait en cent endroicts,
(...) ?
Que si ces deux peres ne disent rien qui ne
vous condamne, les deux autres n' ont garde
d' estre pour vous, puis que S Anselme, ou
plustost Herveus que vous avez pris pour S
Anselme, n' est que le perpetuel disciple de S
Augustin ; comme Theophylacte de S Chrysostome.
p227
Et en effect il me seroit aisé de faire voir, si
je l' avois entrepris, que tout ce que l' autheur
des commentaires attribuez à Saint Anselme
escrit sur le chap. Ii de la premiere aux corinth.
Qui est le seul lieu que vous pouvez avoir eu en
veuë, n' est presque autre chose, qu' un recueil
de divers lieux de Saint Augustin. Mais je me
contente de vous remarquer entr' autres choses ;
que parlant de ceux qui mangent et qui
boivent indignement le corps et le sang de
Jesus-Christ, il definit apres Saint Augustin
que (...) ; il rapporte mot à mot les
excellentes paroles de l' homelie
cinquantiesme de Saint Augustin, où parlant
de tous ceux qui se sentent coupables de pechez
mortels, il veut qu' ils previennent l' arrest
de leur juge, selon cét advertissement de
Saint Paul, (...). Si vous aviez leu ces peres et ces
docteurs de vos propres yeux, (comme la
profession que vous faites d' instruire les ames,
p228
vous y obligeoit) à moins que d' estre frappé
de la malediction dont Isaie parle, qui fait
qu' en voyant on ne voit pas, oseriez-vous
asseurer qu' ils semblent dire des choses, dont ils
disent tout le contraire ?
Et quand à Theophylacte, je n' y trouve autre
chose qui fasse à nostre sujet, sinon qu' ayant
dit apres Saint Jean Chrysostome son maistre,
que celuy qui reçoit indignement le corps et
le sang de Jesus-Christ, se rend aussi
coupable que les bourreaux qui respandirent ce
mesme sang ; il conclud, qu' il n' en faut approcher
qu' avec une conscience nette : qui est le
mesme passage que vous avez cité auparavant
sous le nom de S Athanase.
Nous avons veu la foiblesse de vos conjectures,
voyons si vos preuves seront plus fortes.
Vous adjoustez pour confirmer vostre opinion,
que Nicolas I, Gregoire Vii, le concile de
Cologne, et S Isidore l' enseignent
formellement. il faut
estre bien hardy pour dire des faussetez du
mesme ton que l' on prononceroit des oracles.
Nicolas I dans le chap. 9 de la responce aux
bulgares, qui est le seul endroit que vous pouvez
apporter sur ce sujet, ne dit autre chose,
sinon qu' il est bon de communier tous les jours,
durant le caresme, pourveu que l' ame soit dégagee
de toute affection de peché : qui est un degré
de vertu plus rare que vous ne pensez, ainsi que je
vous l' ay fait voir, en expliquant l' endroit de
Gennadius dont cette parole a esté tirée. Mais de
plus
p229
le pape excepte de cette communion, outre
ceux qui par leur faute sont en quelque dissension
avec leur prochain, tous ceux qui ayans commis
des pechez mortels, ou ne s' en repentent pas,
ou ne sont pas encore reconciliés. ce qui fait
voir qu' encore qu' un homme ne fust plus dans
l' impenitence, et qu' il se fust venu confesser de
ses pechez, il se passoit neanmoins du temps avant
qu' il fust reconcilié, et admis à la participation
de l' eucharistie ; durant lequel il accomplissoit
la penitence que le prestre luy avoit enjointe ;
comme je vous feray voir plus bas par des preuves
indubitables qu' il se pratiquoit du temps de
Nicolas I qui vivoit au 9 siecle, et encore
long-temps depuis : et que personne en ce temps là,
ne pouvoit estre receu à la communion apres des
offenses mortelles, qu' il n' eust passé plusieurs
jours en penitence pour l' expiation de ses pechez.
Trouverez-vous apres cela que le Pape Nicolas I
soit formellement de vostre advis.
Pour Gregoire Vii, je ne pense pas que
vous ayez autre chose à en citer, qu' une lettre
à une princesse nommée Mathilde, laquelle il
exhorte à communier souvent, où il ne parle
en aucune sorte, ny de pechez mortels, ny de
confession, ny de contrition. Est-ce enseigner
formellement une opinion que de n' en
dire pas un seul mot ? Mais de plus, si nous
prenons la peine de considerer quelle a esté la
vertu de cette excellente princesse, et quelles
marques elle a donnees d' une pieté extraordinaire,
p230
par les services importans qu' elle a rendus au
saint siege dans les troubles de l' eglise ; nous
n' aurons pas sujet de trouver estrange, que ce
pape luy conseille la frequente communion ;
mais seulement de nous estonner, que vous
ayez osé vous servir de l' exemple d' une personne
si vertueuse, pour prouver que les pechez
mortels, dont toutes les personnes de pieté
doivent estre exemptes, ne peuvent pas empecher
de communier aussi-tost que l' on s' en est
confessé.
Elle estoit fille de Beatrix, laquelle estoit
tante de l' empereur Henry Iv. Les lettres de
Gregoire Vii sont pleines des eloges de la
mere et de la fille, et il ne se peut lasser de
loüer leur zele pour la deffense de l' eglise. Il
leur tend ce tesmoignage si advantageux, (...).
Voilà quelle estoit la vertu et
la pieté de celle que ce pape exhorte de
communier souvent dans l' epistre 47 qui est le
p231
seul endroict auquel vous puissiez avoir recours
pour prouver ce que vous pretendez.
Il remarque qu' elle estoit retenuë par humilité
de communier souvent ; ce qui estoit
une marque de sa vertu. Il allegue, pour l' y
porter, cette parole de Saint Ambroise, (...).
Il la croyoit donc dans un estat tres-pur
et digne d' une si frequente communion.
Il cite Saint Gregoire Iv (...).
Ce qui nous monstre, que la preparation
necessaire pour communier souvent, est
de mespriser de tout son coeur le siecle et le
monde, et d' offrir à Dieu tous les jours des
sacrifices de larmes avant que de luy offrir celuy
de son corps et de son sang. Comment est-ce
apres cela que vous pretendez vous servir de
cette epistre pour porter à la frequente communion
ceux dont la vie est toute payenne ; qui sont
attachez prodigieusement au monde, et qui ne
respirent que les delices ? Et comment en
pouvez-vous inferer que Gregoire Vii enseigne
formellement, que les pechez mortels n' empeschent
p232
point de communier, aussi-tost que
l' on s' en est confessé ? Comme si cette lettre
portoit à communier ceux qui commettent
des pechez mortels, au lieu qu' elle n' y porte
qu' une personne qui menoit une vie tres-chrestienne ;
et qui par consequent ne commettoit
point de pechez mortels, puis qu' ils
ne se commettent point, dit Saint Augustin,
par tous les bons chrestiens, (...).
Mais pour vous monstrer encore clairement
dans l' exemple de la mesme Mathilde, combien
Gregoire Vii estoit éloigné du sentiment
que vous luy attribuez ; cette princesse
estant tombee dans une faute, et s' estant laissee
aller à espouser un marquis, nommé Azon,
qui estoit son parent au quatriesme degré ; le
pape ne luy parle plus de communier, mais
seulement de satisfaire à la justice de Dieu, et
de travailler au recouvrement de la grace
qu' elle avoit perduë, par une penitence qui fust
proportionnee à la grandeur de son peché.
Tant il est vray, que selon l' esprit de l' eglise, ce
n' est point aux pecheurs à penser à la sainte
communion, s' ils ne pensent auparavant à expier
leurs crimes par des fruits dignes de penitence.
Pour revenir à vos autres authoritez. Le
concile de Cologne n' est guere cité moins
mal à propos. Il enseigne contre les heretiques
de ce temps (comme nous dirons du
p233
concile de Trente) qu' il ne faut point approcher
de l' eucharistie, sans avoir descouvert le
fonds de sa conscience au prestre, et sans avoir
contrition de son peché : mais je ne trouve
point qu' il abolisse la penitence, et qu' il ne
veüille pas qu' on prenne quelques jours, pour
se purifier par les bonnes oeuvres, par les
aumosnes, et par les prieres avant que de communier.
Et ce qu' il y a de remarquable, c' est que ce
concile rapporte en termes exprez, une grande
partie de t excellent passage de Gennadius,
touchant les dispositions où il faut estre pour
communier souvent.
Mais pour ce qui regarde Saint Isidore, il est
veritablement difficile de voir, sans estre émeu
de douleur et de zele pour la verité, avec quelle
hardiesse vous asseurez, qu' il enseigne
formellement une chose, dont il enseigne
formellement le contraire, et cela dans le seul
et unique endroit que vous pouvez alleguer sur
cette matiere. Le simple recit de ses paroles fera
juger aux moins intelligens, qui de nous deux a
raison, et monstrera clairement, que Saint Isidore
n' a fait qu' emprunter en ce lieu, les paroles de
Saint Augustin de l' epistre 118 que nous avons
rapportées dans le chap. 14 de la premiere partie.
(...).
p234
Est-ce enseigner formellement, que se
reconnoissant coupable de pechez mortels, il ne
faut point estre plusieurs jours à faire penitence
avant que de communier, que d' enseigner
comme fait ce saint ; que l' on ne peut
communier, que lors qu' il n' intervient aucun
peché mortel ; que tous les pechez qui tuent
l' ame, portent avec eux la separation de l' autel ;
qu' il faut faire penitence (il ne dit pas
seulement qu' il faut confesser son peché, mais
qu' il en faut faire penitence) avant que de
recevoir ce remede salutaire : et enfin que c' est
recevoir indignement le corps de Jesus-Christ,
que de le recevoir durant le temps
où l' on doit faire penitence ? Ce qui marque
p235
clairement qu' apres les offenses mortelles, on
doit estre un espace de temps raisonnable, comme
Saint Cyprien parle, à se purifier par les bonnes
oeuvres, avant que d' approcher de l' eucharistie.
Pour ce qui regarde les theologiens scholastiques,
quand vous les citerez un peu plus
distinctement, on taschera de vous respondre ;
mais je ne pense pas que vous nous voulussiez
obliger de rechercher sur cette matiere, tout ce
que les docteurs en ont peu escrire. Je diray
seulement, qu' ils demeurent tous d' accord,
qu' un confesseur peut obliger son penitent,
d' accomplir la penitence qu' il luy aura imposée,
avant que de luy donner l' absolution, et
par consequent avant que de luy permettre de
recevoir l' eucharistie.
La derniere de vos autoritez est le concile
de Trente, lequel vous entendez aussi peu que
les peres que vous alleguez. Cette sainte
assemblée destinée particulierement de Dieu,
pour estouffer les heresies qui se sont eslevées
dans ces derniers siecles ; dans la session 13 de
l' eucharistie, pour ruïner l' impieté de Luther,
qui enseignoit par des argumens semblables
aux vostres, comme je monstreray plus bas,
qu' il se falloit d' autant plûtost approcher de
l' eucharistie, qu' on sentoit davantage sa
conscience chargée de crimes ; monstre
premierement, qu' il ne faut recevoir ce sacrement
p236
qu' avec une grande reverence, et sainteté ;
suivant le precepte de Saint Paul de s' esprouver
soy-mesme, avant que de manger ce pain, et
boire ce sang. Et en suite, pour renverser une
autre erreur de tous les heretiques de ce temps,
qui ont voulu abolir la confession, il adjouste
que la coustume ecclesiastique declare, que
ceux qui se trouveront coupables de pechez
mortels ne doivent approcher de l' autel, qu' apres
la confession sacramentale. Que fait cela
je vous prie à la question dont il s' agit, et par
quelle dialectique peut-on conclure ? Le concile
veut, que l' on se confesse des pechez mortels
avant que de communier ; il ne veut donc
pas que l' on prenne quelques jours pour satisfaire
à Dieu pour ses crimes par les exercices de
la penitence avant que de communier. Qui
pourroit comprendre ce raisonnement ?
Mais le concile ne le renverse-t' il pas luy-mesme
par tous les principes de sa doctrine ?
Car demandez à ce concile qu' est-ce que le
sacrement de penitence, par lequel il veut que
tous les pecheurs passent avant que de se presenter
à la sainte communion ? Et il vous dira,
que ce n' est pas sans raison, que les peres l' ont
appellé un baptesme laborieux , parce que la
justice divine ne peut souffrir, que nous y soyons
renouvellez que par beaucoup de larmes, et de
grandes peines. Il vous dira, que ce sacrement
est composé de trois parties, dont la derniere,
p237
qui est la satisfaction, qui se fait (comme
il enseigne en un autre endroit) par les jeusnes,
par les aumosnes, par les prieres, et par les
autres exercices de la vie spirituelle, a tousjours
esté principalement recommandée par l' eglise
au peuple fidelle. Il vous dira, que la principale
raison pourquoy la confession particuliere
de tous les pechez mortels est necessaire
de droit divin ; c' est qu' il n' est pas possible que
les prestres gardent la justice, et principalement
la proportion dans l' imposition des peines
pour le chastiment des offenses, s' ils ne les
cognoissent en particulier : et de là vous jugerez
facilement, si commander qu' apres des
pechez mortels, l' on ne passe point au sacrement
de l' eucharistie, sans passer par celuy de
penitence, c' est ne vouloir pas que l' on accomplisse
l' une des principales parties, qui consiste à
satisfaire à Dieu par les bonnes oeuvres, et pour
laquelle la confession mesme a esté instituée
par Jesus-Christ, selon la doctrine du mesme
concile.
Mais nous traitterons en un autre endroit
des sentimens de ce concile, touchant la penitence
et j' espere vous y faire voir, combien il
est esloigné de vostre mauvaise conduite.
Cependant nous pouvons remarquer icy, qu' il
declare expressément ne vouloir faire autre
chose sur ce sujet, que de conserver inviolablement
la coustume de l' eglise, de sorte qu' il ne
p238
nous reste pour decider cette question, que de
rechercher la coustume de l' eglise en ces
occasions ; et c' est ce que vous nous donnez sujet
de faire dans le second des trois points, que nous
avons proposé de traitter.
PARTIE 2 CHAPITRE 3
proposition du second point de
la question principale ; sçavoir, si ce n' a jamais
esté la pratique de l' eglise, comme cét auteur le
pretend, que ceux qui se sentent coupables de
pechez mortels, fussent plusieurs jours à faire
penitence avant que de communier.
que dans les premiers siecles de l' eglise, la
penitence publique n' estoit pas seulement pour les
crimes enormes et publics.
c' est une ignorance si prodigieuse
de soustenir comme vous faites,
(...) ; qu' il ne faut
que sçavoir lire pour vous confondre, et pour
trouver, dans tous les conciles, et dans tous les
peres, une infinité de preuves plus claires que le
soleil, de ce que vous osez nier avec autant de
hardiesse, que d' aveuglement.
Mais parce que vous croyez avoir dissipé
p239
cette divine nuée de tesmoins sacrez et
irreprochables, qui déposent contre vous, dans tous
les siecles de l' eglise, et en toutes les regions de
la terre ; et avoir rendu leurs depositions
inutiles, par ce seul mot : (...) : il vaut mieux
pour retrancher les discours
superflus, que nous nous resolvions tout d' un
coup, de vous aller attaquer jusques dans vos
retranchemens, et que la verité qui est plus
forte et plus invincible que l' Hercule des poëtes,
aille estouffer ce mensonge grossier, comme le
monstre de la fable au milieu de cét antre
obscur d' une fausse distinction, où il se retire et se
renferme.
Et premierement le mot de crimes enormes ,
dont vous vous servez, n' est propre qu' à tromper
les simples, lesquels peuvent s' imaginer aisément,
que l' on ne doit entendre par ces paroles,
que des crimes extraordinaires, comme seroient
les parricides, et ceux que Tertullien
appelle des monstres ; et prendre ainsi occasion
de se flatter dans leurs pechez, quoy que
tres-grands, pour ne les croire pas du nombre de
ceux que l' on doit chastier par une penitence
publique.
Je ne puis toutesfois vous croire si ignorant,
ou si hardy, que d' oser nier, que pour le moins
les homicides, les adulteres, les fornications, les
p240
sacrileges, les parjures, les blasphemes, ne
fussent sujets à la penitence publique, et qu' ainsi
ceux qui se trouvent coupables de ces crimes,
qui ne sont qu' en trop grand nombre à la honte
de nostre siecle, ne fissent fort bien, selon
l' esprit de l' eglise, et le sentiment des peres, de
se retrancher durant plusieurs jours, voire
plusieurs mois, de la sainte communion, pour
faire durant ce temps penitence de leurs pechez.
Le seul exemple de Fabiole est capable de
vous convaincre, et de monstrer à tout le monde,
combien il est esloigné de la verité, que
l' on ne fist penitence publique que pour des
crimes enormes. Car Saint Hierosme, qui a fait
un eloge de cette dame romaine, comme
d' une sainte, rapporte qu' ayant quitté son
mary pour cause d' adultere, et s' estant remariée
à un autre, dans la creance qu' elle avoit que son
premier mariage fust rompu, elle se soumit à
la penitence publique pour cette faute, qui
venoit plûtost d' erreur et d' imprudence, que de
malice, selon le tesmoignage de Saint Hierosme.
(...).
p241
Considerez cét exemple, et
jugez s' il donne sujet de persuader à tant de
fornicateurs, et d' adulteres, qui se rencontrent
en ce siecle corrompu, qu' ils n' ont pas besoin
de faire penitence avant que de communier.
En second lieu, il ne faut pas icy confondre,
comme plusieurs font, la penitence publique
avec la confession publique. Il n' est point
necessaire pour faire penitence publique, de faire
devant tout le monde une confession de ses
p242
pechez. Jamais la discipline de l' eglise n' a
imposé ce joug au commun des penitens, comme
elle leur a imposé celuy de la penitence. (...),
et c' estoit au prestre en suitte de reduire le
pecheur au nombre des penitens, de le separer de
la communion des justes, comme on fait les
malades, de ceux qui se portent bien, de luy
prescrire les remedes convenables à ses playes,
et principalement le temps qu' il devoit
demeurer dans l' affliction de la penitence, avant
que de pretendre à la joye de la participation
des mysteres.
Et cependant, faute d' avoir discerné la
confession publique, d' avec la penitence
publique, et parce qu' encore qu' il soit tres-certain
que la confession publique n' a jamais esté
dans l' usage ordinaire de l' eglise, il est arrivé
neantmoins en quelques rencontres fort rares,
qu' elle l' a peu ordonner, ou permettre à
quelques grands pecheurs qui avoient peché
publiquement, et qui se trouvoient disposez à
faire cette sorte de confession ; cela a donné
lieu à quelques autheurs, de se persuader que
la penitence publique n' estoit que pour les
pechez publics.
Et quoy que ceux qui depuis peu ont traité
plus particulierement ces matieres, comme
feu monsieur l' evesque d' Orleans et autres,
p243
ayent refuté cette opinion, reconnoissans, que
dans les premiers siecles de l' eglise, la penitence
publique regardoit les pechez mortels
secrets et cachez, aussi bien que les publics :
(comme le seul passage de S Ambroise que nous avons
rapporté dans la I partie le fait voir clairement)
neantmoins le sentiment, contraire est demeuré
dans l' esprit de plusieurs, qui se sont accoustumez
par un long usage à rejetter les veritez
les plus claires, aussi-tost qu' elles ne se trouvent
pas conformes à leurs vieilles imaginations.
Et comme une erreur est d' ordinaire feconde ;
d' autres ne trouvans dans les peres anciens, et
principalement dans Tertullien, que la penitence
publique en laquelle l' eglise exerceast la
puissance de ses clefs ; joignants cette verité à ce
faux principe, que la penitence publique n' est
que pour les pechez publics, en ont tiré cette
fausse conclusion, et qui porte grand prejudice
à la doctrine catholique touchant la necessité
de l' absolution des prestres pour tous les pechez
mortels, qu' en ce temps-là on n' avoit recours
à l' eglise que pour des pechez publics.
Mais comme il est clair par la lecture de
Tertullien (pour ne point parler à cette heure
des autres peres) qu' il ne reconnoist point
d' autre penitence, que la publique, pour relever les
pecheurs de leurs cheutes, ce que monsieur
l' evesque d' Orleans a fort bien monstré : il
n' est pas moins evident, à qui le lit sans
preoccupation
p244
d' esprit, qu' il y sousmet toutes sortes
de pechez, qui font perdre la grace du baptesme,
soit publics, soit particuliers et secrets.
Car outre ce qu' il dit contre ceux, que la
honte empeschoit de se resoudre à ces exercices
de penitence, et la comparaison qu' il apporte
de ceux, (...) ; outre disje
que cela monstre assez qu' il n' a pas dessein de
parler seulement des pechez publics, qui ne
sont pas cachez aux hommes, la seule suitte de
son discours fait voir clairement, qu' il propose
la penitence, dont il parle, pour remede
necessaire à tous les pechez mortels.
Apres avoir expliqué dans les six premiers
chapitres la penitence des catechumenes ; dans
le septiesme, pour passer à celle des baptisez,
(...).
p245
Il est certain que cette rage du diable, dont
Tertullien parle, contre un homme que le
baptesme a arraché de ses mains, est pleinement
satisfaite, lors qu' il le peut faire tomber dans
quelque peché mortel, puis qu' il retombe par
ce moyen sous sa tyrannie, et qu' il luy importe
fort peu que ce peché soit public ou secret,
p246
spirituel ou corporel, pourveu qu' il le fasse
sortir de la liberté des enfans de Dieu, et qu' il le
rende son esclave, y ayant mesme raison de
croire, que les pechez purement spirituels, et
qui se passent dans le secret du coeur, comme
l' orgueil, l' envie, l' hypocrisie, et les heresies
contre la foy dont cét auteur parle, le contentent
en quelque sorte davantage, comme ayant
plus de rapport à sa nature et à ses crimes.
(...). Puis que
les remedes doivent estre d' aussi grande estenduë
que les maux, les artifices par lesquels le
diable tasche de nous faire perdre la sainteté
de nostre baptesme comprenant toutes sortes
de pechez mortels ; il faut que la penitence
que Tertullien propose pour remede à ces
artifices comprenne aussi toutes sortes de
pechez mortels.
Outre cela, Tertullien nous enseigne que
la premiere porte, qui est celle du baptesme,
estant fermée, l' on ne peut plus retourner à
Dieu que par la seconde porte, qui est celle de
la penitence. Or tous les pechez mortels,
mesme secrets, ferment la porte du baptesme, puis
p247
qu' ils en font perdre la grace, et par consequent
apres avoir commis des pechez mortels,
soit publics, soit secrets, on ne pouvoit plus
retourner à Dieu que par cette porte de la
penitence dont il parle.
(...). Puis que
tous les pechez mortels, soit publics, soit
cachez, nous font perdre le bien, dont le
baptesme nous a donné la possession, n' est-il pas
manifeste, que cette penitence qu' il dit en
suitte se devoir faire dans le sac, et dans la
cendre, dans les larmes, et dans les souspirs, dans
les veilles, et dans les jeusnes, avec toutes sortes
de sousmissions, et de prosternemens à la face
de l' eglise, regarde tous ces pechez ; et qu' ainsi
c' est une chose entierement éloignée de la
verité, que la penitence publique ne fust que
pour les crimes publics ?
Mais pour en convaincre tous les esprits
p248
équitables ; je les supplie seulement de
considerer, que d' une infinité de canons qui
condamnent les adulteres ou les fornicateurs à
plusieurs années de penitence publique, il ne s' en
trouvera pas un, qui ne les y condamne generalement,
sans aucune distinction de public, et
de secret ; quoy que ces sages legislateurs ne
peussent pas ignorer que pour un adultere, ou
une fornication dont le public a connoissance, il
s' en commet cent, qui demeurent ensevelis dans les
tenebres honteuses, que ces crimes recherchent
avec tant de soin, pour couvrir leur infamie.
Et en effet ; ne voyons-nous pas aujourd' huy
que les evesques, n' ayans pas dessein de comprendre
les adulteres cachez dans leur cas reservez,
ne sont pas si peu judicieux, que de mettre
l' adultere en general, comme un crime qu' ils
se reservent, mais ils nomment expressément
l' adultere public ; c' est à dire (comme ils
l' expliquent) celuy qui est prouvé en jugement,
ou qui est si connu dans tout le voisinage, qu' il
ne se peut couvrir par aucune excuse ? Ce qui
nous fait voir que si les anciens evesques
eussent esté dans cette mesme prattique, que le
relaschement a introduite dans les siecles
posterieurs, de ne soûmettre à la penitence
publique que les pechez publics, ils se seroient bien
gardez d' y soûmettre generalement dans leurs
canons, la fornication et l' adultere, qui sont si
souvent cachez : mais ils y eussent adjoûté cette
p249
clause ; lors qu' ils seroient connus et publics ;
ainsi que l' on fait maintenant.
Mais en dernier lieu, pour ne point entrer
en cette question, que je reserve à un autre
temps, et pour m' arrester simplement à ce qui
est necessaire à la defence de la verité, que vous
voulez obscurcir, par cette distinction de
crimes enormes et de penitence publique, dont
vous esbloüissez les ignorans ; je vous soustiens
formellement, que tous les peres ont creu, que
generalement pour tous les pechez mortels, il
falloit estre plusieurs jours à faire penitence
avant que de communier, qui est ce que vous
ne pouvez souffrir. Appellez, ou n' appellez
pas cette penitence, publique, ce n' est pas à
cette heure dequoy il s' agit : il me suffit de
vous convaincre par le tesmoignage des peres,
de ce que vous niez si hardiment ; et pour
rendre les preuves plus claires, je les reduiray
toutes à six ou sept chefs.
PARTIE 2 CHAPITRE 4
que selon le sentiment de
tous les peres, toutes sortes de pechez mortels nous
obligent de demeurer quelque temps en
penitence avant que communier.
premiere preuve de cette verité, fondée sur la
distinction des pechez mortels et veniels.
la premiere de ces preuves servira de fondement
à toutes les autres, expliquant la
p250
distinction, que les peres mettent entre les
pechez. Il n' y a rien de plus constant dans
toute l' antiquité, que ce que l' heresie nous
conteste, touchant la distinction des pechez
mortels, et veniels ; (...).
Saint Augustin establit cette distinction en
cent endroits, et sur tout ce qu' il en dit au
sermon vingt-neufviesme des paroles de l' apostre
merite d' estre remarqué ; (...). Ce qui
nous apprend deux veritez importantes. Premierement,
que puisque S Augustin definit
p251
un peché mortel celuy qui tue l' ame
d' un seul coup ; il n' y peut avoir lieu de
douter, que ce pere n' ait mis de ce nombre
tous ceux qui font perdre la grace de Dieu, soit
publics, soit secrets, soit qu' ils soient nommez
par les canons, soit qu' ils ne le soient pas. Et
en second lieu, que ceux qui commettent des
pechez mortels, quand ce ne seroit que rarement,
ne sont point, selon ce saint, du nombre
des bons chrestiens, qui vivent sous la
conduitte de la foy, et dans la veritable esperance
du christianisme.
Mais la distinction la plus ordinaire entre
les pechez veniels et les pechez mortels est, que
ceux-cy sont appellez crimes, et les autres
simplement pechez . Je sçay bien qu' en nostre
langue le mot de crime signifie ordinairement
quelque chose de plus qu' un simple peché
mortel ; mais dans le langage de l' eglise
principalement en latin, il s' estend generallement
à tous les pechez, qui tuent l' ame, et qui
esteignent le Saint Esprit.
C' est ainsi que l' eglise a entendu le precepte
de Saint Paul de ne faire point d' evesque
qui ne fust sans crime . (...).
Et dans le livre quatorziesme de la cité de
p252
Dieu chap. 9 (...). Si les crimes
ne comprenoient pas toutes sortes de
pechez mortels, seroit-ce assez bien vivre que
d' en commettre, pourveu qu' ils ne fussent pas
crimes ? (...).
p253
Ce qui paroist encore
davantage en ce qu' il appelle un homme
sans tache, qui est exempt de ces crimes :
estant ridicule de s' imaginer, qu' une ame
coupable d' un peché mortel, quel qu' il fust, pust
estre estimée sans tache.
Mais il passe encore plus avant dans l' homelie
quaranteuniesme, puis qu' il asseure le salut
eternel à tout homme baptisé, qui aura passé sa
vie sans crime. (...).
Saint Hierosme, ou l' auteur des commentaires
sur les pseaumes, qui sont parmy ses
ouvrages, ne verifie pas moins clairement
que le mot de crime dans le langage de l' eglise,
comprend toute sorte de pechez mortels :
puis qu' il nous apprend aussi bien que Saint
Augustin, (...), lesquels il oppose à ces
pechez legers, sans lesquels nous ne sommes
jamais en cette vie.
Et cette façon de parler est perpetuellement
p254
demeurée dans le langage de l' eglise, comme
il se void par Saint Eloy, qui escrivoit dans le
septiesme siecle, lequel oppose les crimes
capitaux aux pechez veniels, en disant dans
l' homelie sixiesme, ce qu' il repete trois fois dans
l' homelie huictiesme, (...).
Et par Saint Fulbert qui escrivoit dans
l' onziesme siecle ; lequel parlant des pechez qui
font perdre la grace du baptesme, dit, (...).
Et depuis luy, Pierre De Bloys oppose dans
son sermon sixiesme et dixiesme les pechez
criminels , criminalia, aux veniels ; et met du
nombre des criminels ceux mesmes qui se
consomment dans la pensée, comme la convoitise
d' une femme. Gratien parle le mesme langage.
Et de nostre temps le concile de Trente
appelle crimes tous les pechez, qui obligent
les baptisez qui les commettent, à recourir au
tribunal de l' eglise, tels que sont sans aucune
p255
difficulté toutes sortes de pechez mortels.
Mais l' on voudra possible esbranler une
doctrine si constante par un passage d' Origene
qui semble dire, qu' il y a des pechez mortels
qui ne sont pas crimes, et pour lesquels on
estoit tousjours receu à faire penitence. En
voicy les paroles de la version latine, faute de
l' original qui n' a point encore paru au jour. (...).
Mais ce passage n' a pas besoin de longue
response ; et pour peu qu' on y apporte d' attention,
l' on reconnoistra, que tout ce qu' on en
objecte n' est fondé que sur un erreur de copiste
tres-visible. (...).
Premierement la faute est facile par la seule
addition d' une lettre.
Secondement elle est evidente puis qu' il y
a une manifeste contradiction en ces paroles,
(...), estant impossible de monstrer dans aucun pere
p256
ancien qu' il y ait distinction entre (...).
Quatriesmement, comment pouvoit-il
mieux marquer, que par ces fautes, qu' il
oppose aux crimes mortels, il n' entendoit que les
pechez veniels, qu' en les exprimant par ces
paroles sur la fin de ce passage ; (...),
qui sont les mesmes
termes dont tous les peres se servent pour
exprimer cette sorte de pechez ; d' où vient qu' ils
les appellent ordinairement, (...).
Et qui se pourroit persuader qu' Origene
ou aucun des peres, qui tous nous representent si
puissament l' estat deplorable d' un homme qui
perd la grace de son baptesme, et l' extréme
difficulté de la recouvrer lors qu' elle est une fois
perduë, ait parlé d' aucuns des pechez mortels,
comme de fautes legeres, communes, ordinaires,
dans lesquelles nous tombons souvent, et
qui se racheptent sans cesse ? (...). Il ne se peut
rien concevoir de plus contraire à la doctrine des
peres. Car ils sont bien esloignez
de croire, que la grace se perde et se
recouvre avec la facilité, que quelques-uns
s' imaginent
p257
en ce temps ; et que ce soit une chose
ordinaire à des chrestiens, d' estre
aujourdhuy enfant de Dieu, et demain enfant du
diable ; de retourner quelques jours apres à
Jesus-Christ, et à la premiere occasion
de l' estouffer dans son coeur, de vivre, mourir,
revivre, mourir encore une fois, tantost saint,
tantost demon, tantost digne de l' eternelle
jouïssance de Dieu, et aussi-tost apres digne
d' une eternelle damnation, et cela par des
revolutions continuelles, et qui durent toute la vie.
Et ainsi tant s' en faut que ce passage d' origene
prouve quelque chose contre la doctrine de
tous les autres peres, qu' au contraire, estant
bien leu et bien entendu, il la confirme entierement,
et monstre quelle difference l' on doit mettre
entre la remission des pechez mortels,
et celle des pechez veniels.
Cette distinction estant establie comme le
fondement de tout ce discours, je me contenteray
pour cette premiere preuve, d' un seul
passage, mais formel, et d' un auteur irreprochable,
puis qu' une rare doctrine jointe à une
dignité illustre, ne luy permettoit pas d' ignorer,
quelle estoit la pratique de l' eglise dans
l' administration des sacremens. C' est de
Saint Cesarius archevesque d' Arles, et l' une des plus
grandes lumieres de nostre France, qui vivoit
dans le sixiesme siecle.
Ce grand saint dans son homelie 8 que
p258
quelques-uns, quoy que faussement, ont attribuée
à Saint Augustin, expliquant ces paroles
de l' apostre ; (...) ; ne fait
autre chose qu' establir la distinction entre les
pechez mortels, et les pechez veniels ; et des
diverses peines qui leur sont deuës. Il appelle les
pechez mortels , crimes capitaux, et les veniels ,
petits pechez. Il dit, que les uns tuënt l' ame,
et que les autres ne la tuënt pas,
quoy qu' ils la rendent fort difforme ; que les
bons évitent les uns, mais que personne n' est
exempt des autres ; que l' enfer est la peine des
uns, et que le purgatoire l' est des autres ; que
pour les premiers, si l' on ne s' en corrige, et que
l' on ne les efface par les eaux de la penitence,
l' on ne peut attendre avec raison qu' une damnation
eternelle ; mais que les derniers se purifieront
par le feu passager, dont l' apostre Saint Paul
parle.
Cette opposition qu' il fait dans toute cette
homelie, monstre évidemment que par les
crimes capitaux, il entend toutes sortes
de pechez mortels . Et cependant escoutez
comme il veut qu' on se conduise, lors qu' on
s' en trouve coupable. Apres avoir fait un
denombrement de ces pechez, et avoir mis de
ce nombre le sacrilege, (...) .
p259
Si ces paroles estonnantes ne sont pas capables
de vous convaincre, ce qu' il dit plus bas le
pourra faire plus puissamment. (...).
Apres avoir, dis-je, enseigné, que par ces sortes
de bonnes oeuvres, et autres semblables, on
rachete tous les jours les pechez veniels ; il
adjouste, (...).
p260
Ces paroles n' ont pas besoin de commentaire pour
persuader à l' opiniastreté mesme, que selon ce
grand archevesque, l' esprit de l' eglise est, que
tous ceux qui se sentent coupables de pechez
mortels, soient plusieurs jours à faire penitence
avant que de communier. Ce que neantmoins
vous osez nier avoir jamais esté la prattique de
l' eglise.
Je pourrois alleguer icy le passage de Gennadius,
du livre des dogmes ecclesiastiques ; et
celuy de Saint Augustin dans son sermon 252
mais pour éviter la longueur, j' ayme mieux
vous renvoyer à ce que j' en ay dit dans la premiere
partie.
J' adjoûteray seulement, que dans cette opposition
des pechez mortels aux veniels, les
peres ont creu si constamment, que tous les
mortels doivent separer de l' eucharistie, jusques
à tant que l' on en ait fait penitence ;
qu' une de leurs manieres de parler pour expliquer
les pechez veniels ; c' est de les appeller, (...).
Ainsi le grand Saint Augustin, pour dire
p261
que nous avons besoin de pardon pour toutes nos
offenses, encore qu' elles ne soient que venielles,
et non mortelles : (...). Et en un autre
endroit, pour dire qu' un homme ne doit pas
se glorifier, encore qu' il ne commette pas des
pechez mortels : (...).
PARTIE 2 CHAPITRE 5
seconde preuve. Que toutes
sortes de pechez mortels meritent l' excommunication,
selon le langage des peres. C' est à dire,
le retranchement de l' eucharistie.
la seconde preuve se peut prendre
de l' excommunication, que je
soustiens estre la peine ordinaire
qu' on imposoit à tous les laïques,
qui se vouloient relever de quelque peché mortel.
Je ne doute point que cette proposition ne
vous semble d' abord un peu estrange ; mais j' espere
neantmoins de la faire voir si clairement
dans les peres, que pour peu que l' on veüille se
despoüiller de preoccupation, et ouvrir les
yeux à la verité, je ne puis croire que l' on n' en
demeure entierement convaincu.
p262
Et pour la comprendre plus aisément, il
faut remarquer avant toutes choses, que bien
que l' excommunication fust generallement la
peine de tous les pechez mortels, comme nous
le monstrerons ; il y en avoit neantmoins de
deux sortes, selon les deux differentes dispositions
où se trouvent les pecheurs ; dont les uns
demeurent endurcis dans leurs crimes ; et les
autres en conçoivent de l' horreur, et gemissent
devant Dieu pour en estre delivrez.
La premiere sorte d' excommunication s' exerçoit
par l' evesque envers ces pecheurs incurables,
et qui defendoient leur erreur, ou leur
peché, par une animosité opiniastre, comme
Saint Augustin dit au livre de la veritable
religion ; et elle s' exerçoit par le retranchement de
l' eglise, comme de membres pourris, et de brebis
infectées, qu' il falloit separer des saines, de
peur que la contagion ne se respandist plus
avant dans le troupeau de Jesus-Christ,
comme le mesme saint dit dans le livre de la
correction, et de la grace.
La seconde se faisoit par le mesme evesque,
separant un chrestien qui se repentoit de ses
pechez de la communion des fidelles, pour le
disposer par les exercices de la penitence, à se
rendre digne d' y rentrer.
La premiere est la plus grande peine de l' eglise,
ainsi que Saint Augustin le tesmoigne au mesme
endroit.
p263
Et la seconde, la plus grande apres celle-là,
et pour laquelle principallement la penitence
des pechez mortels (à laquelle elle estoit
inseparablement jointe) estoit appellée une
penitence rigoureuse, une penitence triste et
lamentable ; comme il se voit en plusieurs
endroits du mesme pere.
La premiere se fait malgré l' excommunié,
comme estant le dernier foudre de la cholere de
l' eglise, irritée par son endurcissement dans les
crimes.
La seconde se fait avec son consentement,
lors que le pecheur touché de Dieu, et
reconnoissant la peine que ses ingratitudes
meritent, se presente au prestre pour recevoir
cette sentence, par laquelle il est esloigné de
la presence de Dieu, et de la manducation de son
corps, et qu' il doit avoir le premier prononcée
contre soy-mesme, comme Saint Augustin nous
enseigne dans son homelie cinquantiesme : et Saint
Caesarius apres luy dans les paroles que nous
venons de citer de sa huictiesme homelie, et
encore plus expressément dans la treiziesme, où il
asseure, (...).
Et enfin, quoy que ces deux sortes
d' excommunications, dont l' eglise se sert contre les
pecheurs, soient l' image de l' excommunication
funeste que Jesus-Christ prononcera
p264
contre les reprouvez au dernier jour :
(parce qu' ainsi que la manducation du corps du
fils de Dieu dans l' eucharistie, est l' image de
celle du ciel ; l' exclusion de ce corps est une
espece de damnation). Il y a neantmoins cette
difference que la premiere est tellement
l' image de ce dernier jugement, qu' elle en est le
prejugé, comme Tertullien dit ; au lieu que la
derniere n' en est l' image, que pour en estre le
remede, et comme le prejugé de la sentence
favorable de Jesus-Christ au dernier jour.
afin (dit Saint Augustin dans son homelie
cinquantiesme, digne d' estre gravée dans les
coeurs de tous les veritables penitens) (...).
Et c' est pour cette raison, comme Saint
Eloy le remarque dans son homelie huictiesme,
que l' on faisoit retirer les penitens au costé
gauche de l' eglise, et qu' on les couvroit de
cilices
p265
qui sont faits de poil de bouc et de chevre,
afin qu' ils se considerassent, comme ayans
merité par leurs pechez d' estre mis à la gauche
du souverain juge, et au rang des boucs et des
reprouvez : et que dans cette pensée ils
s' estimassent trop heureux de pleurer et de gemir
pour sortir de ce miserable estat, et de se retirer
humblement de l' autel divin pour purifier
leur vie, afin de n' estre point rejettez du
banquet celeste et eternel.
Saint Augustin marque assez ces deux sortes
d' excommunication contre les impenitens
et contre les penitens ; lors qu' il appelle
l' une mortelle, et l' autre medecinal, pour me
servir de ce mot. Mais pour signifier l' un et
l' autre, les peres se servent indifferemment de
ces termes, (...), et assez souvent de celuy
d' abstinere , non seulement passivement pour
signifier celuy qui s' abstient de l' eucharistie ;
mais aussi activement, pour signifier l' action
de celuy qui oblige à cette abstinence ; d' où
vient qu' abstentus parmy eux ne veut dire autre
chose qu' excommunié .
C' est ce que nous voyons dans Saint
Cyprien (et ce qui servira de commencement à
nostre preuve touchant l' excommunication
pour tous les pechez mortels) lors qu' expliquant
la quatriesme demande de l' oraison dominicale
p266
dans le traitté qu' il en a fait ; il se sert
de ces paroles, qu' ayant desja rapportees
cy-dessus en nostre langue, l' on trouvera bon
qu' icy je les rapporte en la sienne ; (...).
Ce qui monstre clairement que
pour toutes sortes de grands pechez, c' est
à dire, de pechez mortels, comme nous avons
prouvé cy-dessus, on encouroit l' excommunication,
et la separation du pain celeste.
Celuy qui ne se rendra pas à cette lumiere,
qu' il se persuade pour le moins, que Saint
Augustin ne manquoit pas d' intelligence, pour
entendre la doctrine de ce saint martyr, qu' il
avoit estudiee avec tant de soin : et qu' il
reçoive de luy l' explication de ce passage. Voicy
de quelle sorte il en parle, apres l' avoir cité
tout au long, dans son livre du don de la
perseverance ; (...).
p267
Car que ce mot de crime dans
les peres, et en particulier dans Saint Augustin,
ne veüille dire autre chose que peché mortel,
je pense l' avoir assez prouvé cy-dessus, et outre
ce que j' en ay dit, un seul passage, dont il me
souvient presentement, de l' epistre 89 est
capable de fermer la bouche aux plus obstinez.
(...). Il est indubitable que les pechez
sans lesquels on ne vit point en ce monde ; sont
les pechez veniels, et par consequent ceux qu' il
leur oppose, et qu' il tesmoigne s' appeller
crimes , sont tous les pechez mortels.
Mais pour continuer la preuve que nous
avons entreprise : le troisiesme concile de
Tours assemblé sous Charlemagne l' an 813 se
sert du mesme mot d' abstinere , dont Saint
Cyprien se sert, pour marquer la separation de la
p268
communion, dont l' eglise punissoit encore
en ce temps là toutes sortes de pechez mortels.
C' est dans le canon 22 où pour donner un
advertissement general aux evesques et aux
prestres de se conduire, selon le veritable
esprit de l' eglise, dans l' exercice de leur
ministere ; (...).
Et long temps depuis ce concile Saint Fulbert
evesque de Chartres nous enseigne clairement,
que cette sainte discipline duroit encore
dans son siecle, il n' y a guere que cinq
cens ans ; (...). Ces paroles ne font elles pas
voir clairement que jusques dans l' onziesme siecle
tous les pechez qui font perdre la sainteté du
p269
baptesme, jusques à l' yvrognerie, la cholere,
l' envie, l' avarice separoient le pecheur
de l' eglise, qui est la plus forte expression, dont
l' excommunication puisse estre marquee.
Et ce que nous lisons dans l' epistre 230
d' Ives, l' un de ses successeurs en cet evesché,
monstre bien la succession perpetuelle de cette
doctrine : puis qu' il y tesmoigne que l' eglise
suspendoit de la communion des sacremens ceux qui
confessoient leurs crimes : c' est à dire, selon
l' explication indubitable de ses predecesseurs, et
de tous les peres, ceux qui confessoient des pechez
mortels.
Mais si l' on desire voir le mot propre
d' excommunication (quoy qu' il ne faille jamais
disputer des mots, lors qu' une chose est
évidente) le seul Saint Augustin nous en fournira
plus d' exemples qu' il n' est necessaire, pour
persuader tous les esprits raisonnables. Dans le
livre de la foy et des oeuvres , il divise tous
les pechez en trois sortes, dont il dit, (...).
Que les autres n' ont pas besoin de cette penitence
que l' eglise ordonne, mais se guerissent par les
remedes de la correction fraternelle, suivant
cette parole de Jesus-Christ, (...).
p270
Et en fin que les derniers sont ceux
sans lesquels cette vie ne se fasse point, dont le
seigneur a constitué le remede dans la priere
qu' il nous a luy-mesme apprise. Il est manifeste
que ces deux dernieres sortes de pechez ne
comprennent que les pechez qui se peuvent
expier sans le ministere de l' eglise. Et qu' ainsi
aucun des mortels n' estant de ce nombre, ils
appartiennent à la premiere branche, et qu' ils
doivent par consequent estre tous punis par
l' excommunication.
Et dans ce mesme livre, pour expliquer
une fausse opinion de quelques personnes de
son temps, qui s' estoient persuadez, qu' il n' y
avoit que trois sortes de pechez mortels,
l' impudicité, l' homicide, et l' idolatrie, et que
tous les autres pechez se rachetoient facilement
par les aumosnes, en sorte que sans les quitter
l' on pouvoit estre admis au baptesme, il se sert
de ces termes. (...). D' où l' on voit clairement
deux choses la premiere que lors qu' il est
question de la grandeur d' un peché ; ce n' est qu' un
dans la doctrine des peres, d' estre mortel
et de meriter l' excommunication . La seconde
que non
p271
seulement les opiniastres, mais les penitens
mesmes demeuroient excommuniez, c' est à
dire, separez de la sainte communion, jusques à
l' accomplissement de leur penitence ; ainsi qu' il
tesmoigne encore en un autre endroit ; où il dit
(...).
Ce que nous avons desja rapporté beaucoup
de fois de l' epist. 118 n' est pas moins clair :
car que peut on dire à ces paroles ; (...).
Si par les pechez qui
meritent l' excommunication Saint
Augustin n' entend pas toutes sortes de pechez
mortels, il faudroit necessairement qu' il eût
creu, qu' il y a des pechez mortels, qui
n' empeschent pas qu' un homme en ayant la conscience
chargée, ne puisse communier tous les jours. Ce
qui est si absurde, que pour le croire, il faut
estre capable de croire tout plustost que la
verité.
Et enfin dans l' epist. 108 S Augustin ne
reconnoist que deux sortes de penitence apres
celle du baptesme ; (...).
p272
Et pour monstrer que cette penitence jointe
à l' excommunication est d' institution
apostolique, et non seulement de l' ordonnance
de l' eglise, il adjoûte : (...).
Tout pecheur et tout peché a besoin de
penitence. Or, selon S Augustin, il n' y a que
deux sortes de penitence : apres le baptesme.
La premiere n' est que pour les justes, et pour
les offenses legeres qui ne ruinent pas la
sainteté. (...). Il faut donc
necessairement que la seconde
soit pour tous ceux qui ne sont pas justes, et
pour tous les pechez qui ruinent la sainteté,
comme font tous les mortels : et par consequent
puis que cette seconde penitence n' est
que pour ceux qui meritent l' excommunication :
il faut que tous les pechez mortels meritent
l' excommunication, c' est à dire, le retranchement de
l' eucharistie. Et de plus il parle de cette
prattique comme d' une prattique generale de
l' eglise, (...), etc. Et ainsi il
falloit qu' elle fust descenduë de la tradition
des apostres,
p273
selon cette regle de ce mesme saint
que tous les catholiques reçoivent comme un
oracle ; (...).
PARTIE 2 CHAPITRE 6
troisiesme preuve. Que les
peres n' ont reconnu que trois sortes de penitence ;
l' une avant le baptesme ; et deux apres le
baptesme, l' une pour les pechez veniels, et
l' autre pour les mortels ; et
qu' ils ont tousjours joint le retranchement de
l' eucharistie à cette derniere.
mais cét endroict nous donne
sujet de passer à la troisiesme preuve
qui se prendra des diverses sortes
de penitence que l' antiquité à
reconnuës.
Saint Augustin enseigne en plusieurs
endroits, et particulierement dans cette
epistre 108 que nous venons de citer, dans
l' homelie 27 et dans l' homelie 50. Que tous les
pechez ayans besoin de penitence, il y a trois
sortes de penitence pour trois sortes de
pechez.
La premiere est celle qui precede le baptesme,
qui ne regarde que les pechez, qui se
commettent avant qu' on soit regeneré.
La seconde est celle qu' il appelle la penitence
p274
des justes, et la penitence journaliere pour
les pechez veniels, dont l' infirmité humaine ne
peut jamais estre entierement exempte durant
cette vie.
Et la derniere plus rigoureuse, et où la puissance
des clefs est necessaire, pour tous les
pechez, qui nous rendent dignes d' une eternelle
damnation, et desquels Saint Paul a dit, que
tous ceux qui les commettoient ne possederoient
point le royaume.
Et cette division de la penitence est si
conforme aux premieres notions de nostre foy,
que Saint Augustin dans son homelie 50 la
voulant expliquer à son peuple commence de
leur en parler en cette maniere ; (...).
Aussi tous les anciens scholastiques l' ont
enseignée apres le maistre des sentences, et les
nouveaux apres Saint Thomas, dont le
dernier article de sa somme (qui merite quelque
respect particulier, comme nous representant
les dernieres pensées de ce grand esprit, qui
commençoit desja à se desgager de la terre)
porte pour tiltre ; (...).
p275
De cette distinction de la penitence en ces
trois especes, nous concluons demonstrativement,
pour le dire ainsi, que pour toutes sortes
de pechez mortels, selon la doctrine des
peres, il falloit estre plusieurs jours à faire
penitence avant que de communier. Cela se voit par les
conditions necessaires, que Saint Augustin joint
par tout à cette sorte de penitence, qui regarde
les pechez mortels, et qu' il oppose tousjours à
la penitence des veniels.
p276
Nous venons de voir comme dans le livre
de la foy et des oeuvres, et plus clairement
encore dans l' epistre 108 il joint à cette
penitence, l' excommunication et la separation
du corps de Jesus-Christ , je ne le repete
point.
Dans l' homelie 27 apres avoir estably cette
division de la penitence en ces trois especes, et
expliqué les deux premieres ; l' une de ceux qui
se preparoient au baptesme, qu' ils appelloient
competentes , et l' autre journaliere pour les
pechez journaliers des justes, il explique en ces
termes, la troisiesme qui regarde les pechez
mortels : (...).
Ce seroit vouloir esclairer le soleil, que
d' adjoûter quelque chose à ces paroles.
Dans l' homelie cinquantiesme, qui meriteroit
le nom de la divine homelie, ce grand
maistre de l' eglise enseigne entierement la mesme
doctrine, et l' explique encore plus au long.
p277
Car apres avoir proposé la mesme division, et
expliqué la premiere espece de penitence, qu' il
dit estre comme le travail qui precede
l' enfantement de l' homme nouveau, jusques à ce que
tous les pechez passez soient lavez par les eaux
salutaires du baptesme ; il passe à la seconde, que
tous les baptisez, voire les plus saints, doivent
faire durant toute cette vie que nous menons
dans une chair mortelle, en nous humiliant
continuellement devant Dieu pour implorer
sa misericorde. Et apres en avoir monstré
l' importance, quoy qu' elle ne serve à effacer que les
pechez veniels, et dont un seul, comme il dit,
ne nous porte pas un coup mortel, il commence
par ces mots l' explication de la penitence
pour tous les pechez mortels.
(...).
Pouvoit-il marquer plus expressément toutes
sortes de pechez mortels ? Et le dénombrement
qu' il en fait plus bas avec S Paul aux ephes. 5
et aux galates 5 n' en peut laisser aucun doute.
(...).
p280
Pour moy je n' oserois rien dire apres ces
dernieres paroles, et je me contenteray pour
conclusion de cette troisiesme preuve,
de rapporter l' une des principalles
regles pour s' asseurer de la creance de
l' eglise dont tous les catholiques se servent
contre les heretiques, et que Monsieur Le
Cardinal Du Perron propose en ces termes dans
cette excellente lettre, qui a donné occasion au
chef-d' oeuvre de ses ouvrages. (...).
PARTIE 2 CHAPITRE 7
p281
quatriesme preuve. Que les
peres n' ont creu le ministere des clefs
necessaire, que pour les pechez qui meritoient
le retranchement de l' eucharistie, d' où il
s' ensuit, ou qu' ils ne l' auroient
pas creu necessaire pour toutes sortes de pechez
mortels : ce qui est une heresie. Ou qu' ils ont
retranché de l' eucharistie pour toutes sortes
de pechez mortels : ce qui est tres-veritable.
la quatriesme preuve se peut tirer
de la necessité des clefs de l' eglise
pour la remission de tous les
pechez mortels. Car l' eglise a tousjours
creu, que quand le pecheur
se jugeroit cent fois digne de cette separation
du corps du fils de Dieu, son jugement ne luy
serviroit de rien, et ne seroit pas un veritable
tesmoignage de sa docilité interieure, s' il
n' alloit à l' instant au prestre pour se sousmettre
à luy, et à sa puissance, et pour ne faire rien que
par son jugement et par son ordre ; en quoy
consiste toute la benediction et le fruict de la
penitence, laquelle ne devient une partie du
sacrement, que lors que le prestre l' ordonne,
n' estant auparavant quelque grande qu' elle soit
qu' un acte de la vertu de penitence, et qu' une
action de la personne qui n' a que la qualité de
partie dans ce jugement, et non pas un acte
p282
judiciaire du prestre qui fait l' office de
juge. C' est pourquoy nous voyons que S Gregoire
nous ayant recommandé de pleurer nos pechez
avec douleur et compunction, et de punir par
les mortifications, la chair qui s' est perduë dans
les delices, il adjouste aussi-tost, (...).
C' est en ce sens que Saint Anselme a dit, que
la penitence est une sentence , l' entendant de
celle qui est imposée par le prestre, par une vraye
sentence et un vray jugement qu' il prononce
apres avoir oüy les pechez en confession : et
c' est encore ce qui fait dire à S Augustin, (...).
Et cependant nous ne voyons point dans
les peres qu' ils ayent creu le ministere de
l' eglise necessaire, que dans cette penitence
rigoureuse, à laquelle estoit jointe la separation
de l' autel : d' où vient que S Augustin,
parlant en cent endroits des remedes pour les
pechez, qui ne meritent pas cette penitence, ne
parle jamais que de prieres, d' aumosnes, de
jeusnes, et des autres oeuvres de misericorde, et
p283
jamais un seul mot de la necessité de se presenter
au prestre. Ce qu' il ne manque pas de faire, lors
qu' il parle des penitens que l' on retranchoit de
la communion.
Dans l' homelie 50 apres les paroles que nous
en avons rapportées, qui monstrent que le
pecheur se doit juger luy-mesme indigne de la
participation des mysteres ; (...). Et dans l' homelie
27 aussi-tost qu' il commence à expliquer la
troisiesme sorte de penitence, qui est la penitence
de ceux qui sont retranchez de l' eucharistie, de
peur qu' ils ne boivent et ne mangent leur
jugement, il parle du ministere de l' eglise, et de
la puissance que le seigneur luy a donnée par
ces paroles, (...). Et dans un autre sermon,
parlant des mesmes pechez, qu' il dit aux autres
endroits, avoir besoin pour remede de la
separation de l' autel ; il adjouste, (...).
p284
Et dans les epistres 108 et 118 il oppose la
reconciliation à l' excommunication , comme
l' eglise n' ayant coustume de reconcilier que ceux
qu' elle avoit auparavant excommuniez , c' est à
dire, retranchez des sacremens.
Ce qui se voit dans tous les autres peres, qui
ne mettent point de distinction entre la
reconciliation, et la restitution de la communion ,
d' où vient qu' ils disent le plus souvent reconcilier
à l' autel , au lieu de dire, absoudre, ou
remettre les pechez ; parce qu' ils estimoient
que le parfait renouvellement du pecheur, et la
parfaite reconciliation avec Dieu ne se faisoit,
qu' en le remettant dans la participation de
l' eucharistie, dont il avoit esté privé pour ses
pechez durant le cours de sa penitence.
Nous voyons encore dans Bede, qui escrivoit
au huictiesme siecle, comme la necessité
de recourir au prestre ne s' estendoit qu' aux
pechez, qui obligent à estre quelque temps à s' en
purifier par la penitence. Car expliquant ces
paroles de Saint Jacques ; confessez vos pechez
les uns aux autres ; (...).
p285
Puis donc qu' on ne peut dire sans crime,
que l' eglise dans sa plus grande pureté ait violé
durant tant de temps l' ordonnance de
Jesus-Christ, qui oblige tous ceux qui sont
coupables de pechez mortels de recourir à ses
ministres, et que l' on ne voit point qu' en tant
de siecles les prestres ayent exercé leur
puissance, pour le moins ordinairement, sur d' autres
que sur ceux qu' ils retranchoient de l' autel, il
s' ensuit, qu' ils en retranchoient pour toutes
sortes de pechez mortels.
PARTIE 2 CHAPITRE 8
cinquiesme preuve. Que l' ordre
de la penitence pour tous les pechez mortels selon
les peres est. Premierement la confession, et la
demande de la penitence. Secondement l' imposition
de la penitence. Troisiesmement l' accomplissement
de la penitence durant une espace de temps
raisonnable. Quatriesmement l' absolution,
qui estoit immediatement suivie de la
communion.
l' ordre qu' ils gardoient dans la
penitence nous fournira de nouvelle
preuve, et confirmera cette derniere. Il est
certain que celuy que l' eglise a observé durant
p286
douze siecles a esté, que les pecheurs ayans
découvert aux ministres de Jesus-Christ,
toutes les playes de leur ame, ils receussent par
leur ordonnance les moyens propres de les
guerir, ce que Saint Augustin appelle recevoir
l' ordre de la satisfaction . Ce mesme saint,
et Saint Leon apres luy ; donner l' action de la
penitence . Le troisiesme concile de Carthage,
ordonner le temps que le pecheur doit faire
penitence . Le troisiesme concile
de Tours ; prescrire le temps que le penitent
doit estre retranché de l' eucharistie. et
avant tous ceux-là, le clergé de Rome ; attendre
que les remedes necessaires qui ont besoin de
temps, ayent refermé les playes.
cela fait, c' estoit au penitent d' accomplir
fidellement la satisfaction que l' on luy avoit
enjointe, et de supporter avec courage toutes les
austeritez de la penitence, se persuadant,
comme tous les peres nous l' enseignent, que plus
un pecheur usera de severité contre luy-mesme,
plus Dieu luy tesmoignera sa misericorde ; (...).
Et lors que le temps de larmes, de veilles,
de jeusnes, et de toute sorte de peine, et d' humiliation
p287
estoit achevé, il recevoit l' absolution
par l' imposition des mains, et en mesme temps
l' eucharistie, pour gage et pour accomplissement
de sa reconciliation avec Dieu.
L' ordre donc de la penitence estoit. Premierement,
la confession et la demande
d' estre mis en penitence. Secondement,
l' imposition de la penitence. En troisiesme
lieu, l' accomplissement de la penitence. Et enfin,
l' absolution avec la communion. Et pour
prouver cét ordre, que l' eglise durant tant de
siecles a jugé si excellent et si salutaire, je
ne me veux servir icy que de l' autorité de trois
grands papes, que l' on peut dire ne ceder en
suffisance et en vertu à aucun de ceux, qui ayent
jamais esté assis sur la chaire de Saint Pierre.
C' est à sçavoir, de Saint Innocent I de Saint
Leon, et de Saint Gregoire.
Le dernier de ces trois, expliquant ces paroles
de l' evangile ; les pechez seront remis à ceux
à qui vous les aurez remis ; (...).
Qui ne voit combien ce pape juge necessaire,
que le pecheur fasse penitence de ses pechez,
non seulement avant que de communier,
p288
mais mesme avant que de recevoir l' absolution.
Ce qui se trouve si conforme aux paroles
d' Innocent I et de Saint Leon, que cette
seule conformité fait voir clairement, que cette
doctrine de Saint Gregoire, n' est pas sa doctrine,
mais la doctrine de sa chaire ; et qu' il ne
l' avoit pas moins receuë de ses predecesseurs,
que de sa dignité.
Le Pape Innocent, dans sa premiere epistre
decretale, qui fait partie du corps des canons,
parle en ces termes ; (...).
Ces paroles ne nous monstrent-elles pas
clairement, que selon les regles saintes, que ce
grand pape a données à toute l' eglise, apres les
avoir apprises dans la perpetuelle tradition de
la mesme eglise, l' ordre que les prestres
doivent garder dans l' execution de la puissance,
que le sauveur leur a donnée de lier et de
délier les ames, c' est de n' absoudre les pecheurs,
qu' apres les avoir laissez dans les gemissemens
et dans les larmes, et leur avoit fait accomplir
une penitence proportionnée à la qualité de
leurs pechez ?
Mais ce que Saint Leon dit est encore plus
puissant,
p289
pour persuader cette verité, et pour
apprendre aux prestres la maniere, dont ils se
doivent servir du pouvoir de remettre les
pechez, qu' ils ont receu de Jesus-Christ,
pour en user selon ses intentions, et les loix
de sa justice. Voicy comme parle ce grand
pape dans son epistre 91 à l' Evesque Theodore ;
(...).
C' est un pape qui parle ; et celuy dont toute
l' eglise a reveré les paroles, comme des oracles,
dans le concile de Calcedoine ; et dont
les vertus et la suffisance extraordinaire luy ont
fait meriter le tiltre de grand.
p290
Il parle generalement du remede necessaire
pour rentrer dans l' esperance de la vie
eternelle, apres avoir violé le don de la
regeneration ; afin que vous ne pensiez pas
alleguer icy vostre distinction imaginaire, de
penitens publics pour des crimes enormes.
Il ne parle point d' une coustume de police,
ou d' une ordonnance purement ecclesiastique ;
mais de l' ordonnance de Jesus-Christ
mesme, comme tous les catholiques le
reconnoissent, qui se servent de ce passage,
pour prouver contre les heretiques de nostre
temps, que la confession de tous les pechez
mortels est d' institution divine.
Et cependant je doute fort que vous
puissiez ajuster cette doctrine à vos principes.
Vous voulez qu' apres avoir commis des
pechez mortels, l' on communie aussi-tost que
l' on s' en est confessé, et vous condamnez
comme temeraires et éloignez de l' esprit et de
la prattique de l' eglise, ceux qui veulent estre
plusieurs jours à faire penitence, avant que de
communier. Et ce grand saint nous enseigne,
que l' ordre de Jesus-Christ, pour faire
rentrer les pecheurs dans la participation des
mysteres est ; premierement, qu' ils confessent
leurs pechez ; secondement, qu' ils en reçoivent
penitence ; troisiesmement, qu' ils
accomplissent cette penitence, et qu' ils se
purifient par les fruicts d' une satisfaction
proportionnee
p291
à la grandeur de leurs offenses ;
quatriesmement, qu' ils soient reconciliez par
l' absolution du prestre, et en suitte admis à la
table sainte, pour y recevoir l' eucharistie,
comme le sceau de leur reconciliation, et
l' accomplissement de la remission de leurs pechez.
Il faut premierement, selon ce pape, que
les pecheurs se confessent de leurs pechez aux
ministres de l' eglise, parce que Jesus-Christ
les ayant establis juges, ils ne sçauroient, selon
le concile de Trente, garder la justice et
l' equité dans l' imposition des peines que les
offenses meritent, s' ils n' en ont la connoissance.
Il faut secondement que les prestres
suivant le pouvoir qu' ils ont receu de la bouche
du sauveur de retenir les pechez, lient le
pecheur par les liens de la penitence, avant que
de le deslier par la reconciliation, selon ce que
dit Saint Ambroise, (...).
Il faut en suitte que les pecheurs se purifient
p292
par la satisfaction, que le prestre leur a
imposee, avant que de pretendre à la reconciliation
et à l' usage des sacremens ; (...).
Et en dernier lieu, il faut, selon ce saint
pape, qu' apres s' estre purifiez par la satisfaction
salutaire de la penitence, ils soient admis à la
participation des mysteres par la porte de la
reconciliation, et qu' ainsi (contre ce que vous
avez osé nier par une ignorance prodigieuse)
ils ne communient, qu' apres avoir esté plusieurs
jours, pour ne pas dire plusieurs mois et
souvent plusieurs annees, à faire penitence de
leurs pechez.
Et ce qui nous monstre bien clairement,
que ce grand pape n' a rien dit en tout cela, que
selon le sentiment commun de toute l' eglise,
c' est que nous voyons que Theodoret Evesque
De Cyr, qui vivoit du mesme temps, marque
expressément entre les erreurs de certains
heretiques nommez audiens, qu' ils obligoient
bien les pecheurs de confesser leurs offences ; mais
que sans leur prescrire le temps de la penitence,
ainsi que l' eglise l' ordonne, ils les absolvoient
p293
aussi-tost apres cette confession, comme ayans
pleine puissance de pardonner les pechez. (...).
Voila de quelle sorte, selon les peres, le sauveur
du monde a voulu que l' on se relevast de
sa cheute, apres le baptesme, et qu' apres s' estre
nourry de la viande des pourceaux, l' on
s' efforçast de se rendre digne de retourner à sa
table, et de se nourrir de son corps et de son sang.
Car il se voit clairement par les paroles de Saint
Leon, que ces saints exercices de penitence,
n' estoient pas seulement des preparations à
l' absolution du prestre ; mais principalement
à la saincte communion, comme à la consommation
de la remission des pechez, suivant ce
que Saint Ambroise dit, parlant du
restablissement des penitens, au chap. 3 du
second livre de la penitence. (...).
Et c' est ce qui fait que le mesme Saint Ambroise
accuse les novatiens d' estouffer la penitence,
quoy qu' ils peussent dire qu' ils y exhortoient
p294
les hommes ; parce qu' ils en ostoient le
fruict en ostant aux pecheurs l' esperance de
rentrer dans la participation de l' eucharistie ;
(...).
Mais ne pourroit-on pas dire avec autant
de raison ? En vain on presche la penitence,
dont l' on accorde le fruict auparavant que l' on
ait pensé serieusement à la faire. Quand un
nautonnier est au port, il ne pense plus à la
tempeste. Presentez la couronne à un athlete
aussi-tost qu' il est entré dans la carriere, il
perdra le soin de combattre. Quand un pescheur
a pris ce qu' il pouvoit esperer de poissons, il cesse de
jetter ses rets. Comment donc celuy, que vous
poussez plustost que vous n' admettez à la
participation des sacremens, par une facilité
inconsideree, ne perdra-t' il pas l' ardeur, qu' il
p295
devroit avoir, pour meriter de recevoir ce qu' il a
desja receu ?
L' on voit encore plus clairement que ces
exercices de penitence regardoient principalement
la preparation à l' eucharistie, en ce que
tous les canons, qui parlent des divers degrez
de la penitence, les terminent par la reception
du saint sacrement, comme par le but et la
perfection de la penitence. (...).
p296
Mais nous trouvons encore dans l' histoire
ecclesiastique un exemple celebre de cette
ancienne discipline, et de cette verité constante,
que l' eucharistie est le sceau de la remission des
pechez, et son dernier accomplissement.
Eusebe rapporte une lettre de Saint Denys
D' Alexandrie dans laquelle ce saint patriarche
raconte, qu' un nommé Serapion, qui avoit
tousjours vescu dans une tres grande sainteté,
estant tombé par foiblesse durant la persecution, et
ayant esté separé pour cela de la communion des
fideles, demeura en penitence tout le reste de
sa vie ; et estant à l' article de la mort, Dieu luy
rendit miraculeusement la parole qu' il avoit
perduë il y avoit trois jours, afin qu' il peust
demander à son petit fils, de faire venir un
prestre, qui luy peust donner l' absolution de
l' eucharistie, apres lequel commandement il
perdit la parole de nouveau. Mais le prestre, n' ayant
peû le venir trouver, parce qu' il estoit malade,
donna à l' enfant une partie d' une hostie,
laquelle aussi-tost qu' il eut apportee, Dieu
rendit miraculeusement la voix à Serapion, et luy
revela mesme que le prestre n' avoit peu venir ;
mais qu' il luy avoit envoyé l' eucharistie,
laquelle ayant receuë, il expira aussi-tost.
Surquoy Saint Denys dist ces paroles ; (...).
p297
Ce qui nous apprend clairement, que les
peres estoient si fort persuadez, que la parfaite
remission des pechez s' accomplissoit par la
reception de l' eucharistie, qu' ils croyoient
mesme, qu' en cas de necessité elle pouvoit faire
toute seule, ce qu' elle ne faisoit ordinairement,
qu' estant accompagnée de l' absolution du
prestre ; c' est à dire, reconcilier, et effacer les
taches de l' ame.
Il est donc indubitable par tous les tesmoignages
de l' antiquité, que la participation de
l' eucharistie, estoit le couronnement de la
reconciliation du pecheur : et qu' ainsi personne
n' estant receu à la reconciliation, qu' apres
avoir fait une longue et laborieuse penitence
de tous les pechez mortels, qu' il avoit commis
apres le baptesme, comme je l' ay fait voir
par l' ordre qu' ils observoient dans l' administration
de ce sacrement, il s' ensuit qu' il falloit
estre plusieurs jours à faire penitence avant
que de communier.
PARTIE 2 CHAPITRE 9
p298
sixiesme preuve. Que le fondement
des peres pour obliger les pecheurs à une
longue et laborieuse penitence, a esté le
violement du baptesme : ce qui est commun à tous
les pechez mortels.
la sixiesme preuve se peut tirer du
fondement, que tous les peres ont
eu pour obliger les pecheurs, à demeurer
long-temps dans les soûpirs,
et dans les larmes, dans la
priere, les aumosnes, et les jeusnes, avant que
d' oser approcher du saint des saints. Car s' il se
trouve, qu' il soit commun à tous les pechez
mortels, qui ne voit, que selon leur doctrine
et leur esprit, apres toutes ces sortes de pechez,
il faut estre plusieurs jours à faire penitence
avant que de communier ; qui est le point dont
il s' agit entre nous ?
Or qui est celuy, qui ait la moindre lecture
des ouvrages de ces grands saints, qui ne
reconnoisse, qu' ils ont tousjours pris ; pour
fondement de cette penitence rigoureuse, le violement
du baptesme, qui se fait par toutes sortes
de pechez mortels ?
Saint Augustin marquant le bon-heur de
ceux, qui sont baptisez à la mort, et le danger
de ceux, qui ne font penitence qu' à la mort,
p299
dit ces paroles ; (...).
Ces paroles ne monstrent-elles pas clairement,
que tous les pechez qui violent la grace
du baptesme, (c' est à dire, tous les pechez
mortels, comme on n' en peut pas douter) obligeoient
à faire penitence, en demeurant separé
du corps de Jesus-Christ.
Aussi tous les autres peres, lors qu' ils
parlent le plus fortement de l' obligation, que les
pecheurs, ont de faire une longue et laborieuse
penitence, pour fleschir la misericorde de
Jesus-Christ, et pour parvenir au bien supréme
de la participation de son corps, dont
leurs pechez les avoient exclus ; n' en apportent
point de raison plus puissante, que ce violement
du baptesme, dont parle Saint Augustin ;
que cette grandeur des pechez qui en font
perdre la sainteté ; (...).
p300
Et c' est la difference que le mesme concile
reconnoist, apres tous les peres, entre le baptesme
et le sacrement de penitence, (...).
C' est pourquoy le Cardinal Bellarmin, defendant
cette doctrine du concile contre les
heretiques de nostre temps, reconnoist que
(...). Et refute par là l' erreur de ces heretiques,
qui se persuadent, que les pechez commis apres le
baptesme se remettent aussi facilement, qu' avant
le baptesme : et que la seconde reconciliation
ne doit pas estre plus penible, ny plus laborieuse
que la premiere. Ce qui est ruïner entierement
toute la tradition divine, et toute l' escriture
sainte.
(...).
p302
Et Theodoret, avant tous les deux, parle en
cette sorte de la reconciliation de tous ceux qui
ont violé l' innocence de leur baptesme. (...).
Apres cela, cherchez à qui vous pourrez persuader,
que ce n' a jamais esté la prattique de l' eglise,
qu' apres avoir violé par des pechez mortels
la sainteté du baptesme, l' on fust plusieurs
jours à faire penitence, avant que de communier.
Mais sçachez qu' auparavant il est necessaire,
que vous brusliez tous les livres, ou que vous
démentiez tous les peres, et que vous les
condemniez d' erreur et d' aveuglement, d' avoir
proposé pour loix de l' eglise, ce que
vous croyez estre entierement esloigné de son
esprit.
Que si vous n' estes pas content de ce
tesmoignage si formel et si authentique, de l' un
des plus sçavans evesques de l' antiquité, et
des mieux instruits dans les loix sacrées de
l' eglise, Saint Jean Chrysostome, qu' il suit
presque en toutes choses comme son maistre, vous
apprendra qu' il n' a fait cette comparaison de
la penitence et du baptesme, qu' à son imitation,
et qu' il avoit dit long-temps avant luy ; (...).
p303
Et avant Saint Jean Chrysostome, Saint
Gregoire De Nazianze son predecesseur dans
la chaire de Constantinople, nous enseigne,
(...).
Il est donc necessaire, selon ce pere, pour
reparer par ce baptesme de larmes la perte du
premier baptesme, d' imiter l' humilité du
publicain ; de se tenir loin de l' autel, et de la
compagnie des saints ; de se croire indigne de lever
seulement les yeux au ciel, combien plus de
recevoir le roy du ciel ; de ne faire autre chose
que battre sa poitrine, et non pas la croire assez
pure, pour estre la demeure de Jesus-Christ ;
et enfin de se contenter de demander à Dieu
p304
misericorde, pour un miserable pecheur, au
lieu de s' eslever jusqu' à pretendre aussi-tost à
ses plus grandes faveurs.
Il est encore besoin qu' il prenne la chananée
pour son modelle, et que se considerant en
qualité de chien et de chien horrible aux yeux
de Dieu (comme parle Saint Augustin) pour
estre retourné à son premier vomissement ; il
se garde bien de pretendre si tost au pain des
enfans ; qu' il se contente de quelques miettes
de la table, en disant à Jesus-Christ, ce
que cette femme luy dit dans Saint Augustin ;
(...).
Voila les pensées de ce grand saint, que
l' antiquité par excellence a nommé le theologien :
mais pour monstrer que cette doctrine
n' est point une invention de son esprit, et
pour en faire voir l' universalité dans l' eglise
universelle ; passons à l' autre bout du monde,
et nous trouverons, qu' en ce mesme temps
Saint Pacien Evesque De Barcellone faisoit
retentir les mesmes sentimens en Espagne ; et
que respondant aux novatiens, qui par une
rigueur inhumaine ne pouvoient souffrir que
l' eglise remist les pechez apres le baptesme, il
parle de cette sorte. (...).
p305
Et qu' on ne s' estonne point de ces paroles
apres celles de Saint Ambroise, lesquelles tout
le monde sçait, et que si peu considerent avec
l' attention qu' elles meritent, qu' il trouvoit
plus facilement des innocens, que des veritables
penitens, c' est à dire, qu' il connoissoit plus
de personnes (...).
Et cela pour les mesmes raisons que Saint
Pacien, (...).
p306
Que si nous remontons plus haut dans la
source de l' eglise, nous trouverons que ces
saints, et principalement Saint Pacien, n' ont
esté en cela que les disciples de Saint Cyprien ;
comme S Cyprien De Tertullien ; et tous
ensemble de la tradition et de l' escriture sainte.
Car pour comprendre l' obligation de satisfaire
à la justice de Dieu, apres la perte de
l' innocence du baptesme, il ne faut que considerer
ces paroles de l' apocalypse, dont Saint
Cyprien se sert souvent : souvenez-vous, d' où
vous estes tombé, et faites penitence : puis
qu' elles marquent clairement, que la grandeur de
nostre penitence doit estre proportionnée à la
grandeur de nostre cheute ; que nostre satisfaction
doit estre plus grande, plus nostre peché
est grand ; et qu' il est d' autant plus grand,
p307
qu' il ruïne de plus grands biens. De sorte qu' il
ne faut que concevoir l' excellence du baptesme,
(sur tout quand il est joint aux deux autres
sacremens, qui nous font parfaits chrestiens,
c' est à dire, à la confirmation, et à l' eucharistie)
pour concevoir quel crime c' est que d' en
ruïner la sainteté ; (...).
Et c' est ce que le sauveur du monde nous a
voulu apprendre avec tant de soin, qu' il en a
fait quatre conclusions, en quatre occasions
differentes, des plus importantes de l' evangile.
La premiere est la conclusion du premier,
et du plus grand sermon de Jesus-Christ,
qui contient toute l' instruction de la religion
chrestienne, qu' il a creu ne pouvoir mieux
conclure, qu' en representant à tous les chrestiens,
combien grande sera la ruïne de leur maison
spirituelle, si elle tombe une fois par l' effort
des tentations, pour n' avoir pas esté eslevée
sur des fondemens assez solides.
La seconde est la conclusion d' un discours
de Jesus-Christ, qui contient la preparation
à la religion chrestienne, où apres avoir
p308
monstré, que l' on ne peut estre son disciple
sans renoncer à toutes choses, pour marquer en
suitte l' importance qu' il y a de se tenir ferme en
cét heureux estat de disciple du sauveur, apres
y estre une fois entré, et la difficulté d' y
retourner, si l' on en est une fois décheu : il
adjoûte ces paroles mysterieuses, et qu' il accompagne
pour cette raison de cette exclamation ordinaire dans
la proposition des mysteres ; (...), le sel
est bon, mais s' il s' afadit et pert
sa force, qui luy pourra servir d' assaisonnement,
comme il en sert aux autres choses ? (...).
Comme s' il nous disoit, c' est une chose
excellente d' estre mon disciple, et de pouvoir
servir aux autres de sel par la vie, par les
paroles, et par les actions. Mais si l' amour des
choses ausquelles il faut renoncer, fait devenir
ce sel fade et corrompu, qui le pourra restablir
en sa premiere vigueur, lors qu' il n' est plus bon qu' à
estre jetté dehors, c' est à dire, à estre jetté
dans les tenebres exterieures ?
La troisiesme, est la conclusion de ce miracle
fait en la personne, et en la faveur d' un malade
de trente-huit ans, qui est la figure du baptisé,
comme la piscine, l' estoit du baptesme, et en
qui Saint Augustin remarque, par ce nombre
mysterieux, le manquement de la charité,
qui fait le grand peché ; (...).
p309
De sorte, que selon ces paroles de la verité,
l' ame qui retombe depuis le baptesme dans
quelque peché mortel, se retrouve dans un
estat plus déplorable, que n' est celle d' un juif
ou d' un payen, et que n' estoit le corps de cét
homme dans une maladie de trente-huict ans,
qui ne pouvoit estre guerie que par un miracle.
La quatriesme, est la conclusion de la
condemnation des juifs, que les peres ont attribuée
aux baptisez, qui sont décheus de la grace du
baptesme ; où Jesus-Christ nous enseigne,
que lors que le demon est sorty d' un homme
(ce qui se fait dans nostre baptesme, où nous
sommes delivrez de la puissance des tenebres)
il n' y retourne qu' avec sept demons plus meschans
que luy ; (...).
Concluons donc, que puis que tous les peres
fondent la necessité de satisfaire à la justice
de Dieu, par de vrays fruits de penitence, et
principallement par une humble et respectueuse
separation de l' eucharistie, sur la grandeur
des pechez, qui ruïnent la grace du baptesme ;
il est necessaire d' enfermer dans cette obligation
p310
generalle à la penitence toutes sortes de
pechez mortels, chacun selon son degré, puis
qu' ils causent tous cette perte inestimable, et
que pour cette raison, ils peuvent tous à bon
droit estre appellez crimes enormes, puis que,
selon vous, il faut en avoir commis pour estre
obligé à la penitence.
Car si le peché d' Adam, est appellé par les
peres une grande prevarication, pour avoir
ruïné l' alliance que Dieu avoit contractée avec
luy : combien plus, selon cette consideration, le
peché d' un chrestien doit-il estre estimé grand,
puis qu' il ruïne une alliance beaucoup plus
estroitte, et plus sainte, qu' il a contractée dans le
baptesme avec Jesus-Christ, qui est celuy
qui baptise ? De sorte, que si le premier homme,
aussi-tost qu' il eut rompu cette premiere
alliance, fut privé du fruit de vie, qui est l' image
de l' eucharistie : combien plus les chrestiens,
qui violent la seconde, se rendent-ils indignes
de communier au corps de Jesus-Christ ? Et n' est-ce
pas une des grandes graces, et pour parler avec
l' escriture, la grande misericorde de la loy
nouvelle, que Jesus-Christ redonne encore son
corps, et son sang, à ceux, qui apres l' avoir
offensé par des pechez mortels, reviennent à luy
avec un coeur contrit et humilié, et se rendent
dignes de rentrer dans cette jouïssance divine, par
de vrais fruits de penitence ?
p311
Que s' il estoit permis d' imiter icy vos chaleurs,
j' aurois bien plus de sujet que vous, de
dire, que le plus grand mal-heur qui puisse
arriver à l' eglise , c' est que les directeurs des
consciences ne considerent pas assez l' estat
deplorable, où nous reduit le moindre des pechez
mortels ; les sentimens de douleur, que l' on
doit avoir d' estre rentré sous la puissance du
demon ; et de quelle sorte l' on doit pleurer la
perte et la mort de son ame. (...).
PARTIE 2 CHAPITRE 10
p312
septiesme preuve. Que cette
sainte discipline ne regardoit pas seulement
l' edification du peuple (ainsi que nos heretiques
le pretendent) mais le propre salut de celuy, que
l' on retranchoit de la communion ; comme il se voit
en ce que ce retranchement estoit quelquefois
secret et caché. Conclusion de toutes ces preuves.
mais il est temps de conclure ces
preuves par la derniere qui servira
d' appuy à toutes les autres en
destruisant cette fausse creance
que nos heretiques ont, que
ces longues et penibles satisfactions, avant que
de s' approcher de l' eucharistie, ne regardoient
que la police exterieure de l' eglise, et l' edification
du peuple.
Pour renverser cette doctrine pernicieuse,
et monstrer en suitte, que ce temps de penitence,
et de separation de l' eucharistie ne s' ordonnoit
pas seulement, pour reparer l' honneur
de l' eglise interessé dans les crimes de ses
enfans ; mais principallement pour le salut des
pecheurs, et pour leur procurer une veritable
guerison par cette abstinence religieuse, et ce
retardement salutaire ; il ne faut que considerer,
que lors que l' eglise jugeoit à propos, pour
quelques raisons particulieres, de cacher aux yeux
p313
du peuple, la penitence de quelques personnes,
qui n' avoient peché que secrettement,
et d' oster ainsi absolument aux autres fidelles
le moyen de profiter de leur exemple ; elle ne les
dispensoit pas pour cela du retranchement de
la communion (comme elle eust fait sans doute,
si ce retranchement n' eust esté que pour
l' edification publique) mais les obligeoit de
gemir aux yeux de Dieu et des anges, autant de
temps que les autres le faisoient aux yeux des
hommes.
Pour confirmer cette sainte discipline, je
n' en veux rapporter que deux argumens, qui
ne peuvent laisser de doute. Le premier est que
quand une femme tombee secrettement en
quelque adultere, et touchee depuis du repentir
de son crime, se venoit elle mesme confesser
au prestre, parce que l' on pouvoit craindre,
qu' en la mettant publiquement au nombre
des penitens, cela ne fist juger de sa faute, et
donner en suitte occasion au mary de l' outrager,
ou mesme de la faire mourir ; Saint Basile
tesmoigne que les ordonnances de l' eglise,
qui sont tousjours accompagnees de discretion,
portoient, qu' elle accompliroit sa penitence
en secret, et que durant le temps porté
par les saints canons contre les adulteres (c' est
à dire durant plusieurs annees) elle demeureroit
separee de l' eucharistie ; d' où nous apprenons
plusieurs choses de grande importance
p314
touchant la separation de l' eucharistie.
Premierement, qu' elle ne s' ordonnoit pas
seulement pour les pechez publics, mais aussi
pour les secrets.
Secondement, que sa fin n' estoit pas la seule
edification du peuple, mais principalement
le salut de celuy que l' on separoit.
En troisiesme lieu, que quoy que pour
l' ordinaire elle fust jointe à la penitence publique ;
elle ne luy estoit pas neanmoins tellement
attachee, que pour quelque occasion, elle ne se
peust, et ne se deust pratiquer sans elle ; comme
estant utile à la solide guerison des ames malades,
lors qu' elle est separee de l' autre, aussi bien
que lors qu' elle y est jointe.
Quatriesmement, que la penitence publique
ne se pratiquant pas ordinairement parmi
nous, il ne s' ensuit pas, que pour des pechez
mortels l' on ne puisse, et l' on ne doive souvent
separer les penitens de la sainte communion,
pour les preparer à la recevoir plus dignement,
principalement lors que touchez puissamment
de la main de Dieu, ils embrassent volontairement
cette sainte et ancienne pratique, que
l' on ne peut condamner, sans condamner tous
les saints d' aveuglement dans la conduite des
ames.
Et enfin, nous apprenons (ce que je supplie
tout le monde de remarquer) que pour ne
pouvoir pas demeurer tout à fait dans la rigueur
p315
des premieres lois, et de la premiere
discipline, sous laquelle l' eglise a fleuri durant
tant de siecles, il ne faut pas neanmoins en
effacer toutes les traces et tous les vestiges, et
s' abandonner à un entier relaschement ; comme
ces saints peres ne laissoient pas de soûmettre
ces femmes à la penitence, et de les separer
du saint autel, quoy qu' ils ne le peussent faire,
selon toutes les lois, et toutes les conditions
que l' eglise, avoit accoustumé d' observer en
ces rencontres.
Le second exemple est des personnes constituees
dans les ordres ecclesiastiques, que tout
le monde sçait n' avoir point esté sujets, pour le
moins ordinairement, à la penitence publique,
et neanmoins l' on ne laissoit pas, lors qu' ils
tomboient en quelque peché mortel, de les separer
de l' autel, et de les obliger de satisfaire à Dieu
en secret, avant que de retourner à l' usage de
leur ministere ; si toutefois l' on les y laissoit
retourner, ce qui arrivoit tres rarement ;
principalement dans les premiers siecles.
Saint Leon nous apprend ces deux veritez
dans son epistre 92 à Saint Rustique archevesque
de Narbonne ; (...).
p316
Ce qui se peut encore justifier par l' exemple,
que nous avons rapporté de Saint Ambroise,
touchant ce diacre, nommé Geronce,
auquel il ordonna de demeurer dans sa maison
durant un certain espace de temps, et d' expier
sa faute par la penitence ; (...), dit Sozomene.
Ce que le grand Saint Charles son successeur
a imité depuis, à l' esgard des ecclesiastiques,
qui estoient tombez en quelque faute,
les retirant dans un lieu secret de son palais, et
les obligeant d' expier leurs pechez, en demeurant
durant un certain temps, dans les jeusnes,
dans les prieres, et dans les mortifications
volontaires, jusques à ce qu' ils eussent satisfait
à la justice de Dieu par les fruicts de leur
penitence.
Et depuis ces peres, le concile de Lerida en
Espagne, tenu sous le pontificat de Jean I sur
le commencement du sixiesme siecle, ordonne que
les ecclesiastiques , (...).
p317
Un autre concile d' Hibernie rapporté par
Gratien, prescrit dix ans de penitence à un
prestre, qui aura commis une fornication, et
qui s' en sera volontairement accusé : et entre
autres choses qu' il luy ordonne de faire, il veut
(...).
Et Saint Fulbert evesque de Chartres dans
les derniers temps, estant consulté de ce qu' il
falloit faire à un prestre qui avoit dit la messe
sans y communier, respond, qu' il estoit besoin
de distinguer les causes qui l' avoient peu porter
à cela ; (...).
p318
Tout cela s' accorde-t' il avec ce que vous
asseurez avec tant de hardiesse ? Qu' il n' y
avoit que les penitens publics pour des crimes
enormes, qui fussent separez de l' eucharistie,
pour faire penitence : mettrez vous
l' yvrognerie au nombre des crimes
enormes, si vous n' y mettez en mesme temps
toutes sortes de pechez mortels, comme
veritablement ils le meritent, selon le jugement
de Dieu ? Et vous persuaderez vous
encore, qu' à moins que d' imposer une penitence
publique, l' on ne puisse separer un
homme de l' eucharistie, vous ayant monstré
si clairement que l' on en separoit les prestres,
quoy qu' ils ne fussent point sujets à la penitence
publique.
Mais que respondrez vous à Saint Prosper,
qui fut au Pape Saint Leon, ce que Saint
Hierosme fut à Damase, lequel nous declare si
fortement
p319
qu' un ecclesiastique, se sentant
coupable de quelque peché mortel commis
secrettement, doit porter contre luy mesme
la sentence d' une excommunication volontaire,
afin de pleurer son ame morte, et se
reconcilier avec Dieu par les fruicts d' une
solide et veritable penitence ? (...).
p320
Ce n' est donc pas seulement pour l' observation
de quelque police exterieure, que ceux
qui sont coupables de pechez mortels, se doivent
retrancher de l' eucharistie ; c' est pour
se reconcilier avec Dieu par les fruicts d' une
solide et veritable penitence, pour estre faits
p321
citoyens de la cité celeste et divine, pour entrer
dans la joye de l' eternelle felicité.
Mais il est inutile de s' arrester à une chose si
claire, et j' espere que ces six ou sept preuves
suffiront, pour vous faire juger à vous-mesme avec
combien d' ignorance vous asseurez ; (...).
Car je vous ay monstré dans la premiere,
que si nous considerons la distinction des
pechez ; les peres ont jugez dignes du retranchement
de l' autel, tous ceux qu' ils ont opposez
aux veniels, et qu' ils ont appellez crimes.
Dans la seconde ; que si l' on regarde la peine
que meritent les pechez, ils ont puny de
l' excommunication tous les mortels.
Dans la troisiesme ; que si l' on recherche les
diverses sortes de penitence propres pour les
effacer, on n' en trouvera que de deux sortes
depuis le baptesme, l' une pour les pechez veniels,
et l' autre pour les mortels : et que cette
derniere estoit tousjours accompagnée de la
separation de l' eucharistie.
Dans la quatriesme ; que si l' on prend garde
à la puissance que Jesus-Christ a donnée
aux prestres, de remettre en grace tous ceux
qui en sont decheus ; ils ne l' ont gueres exercée,
que sur ceux qu' ils avoient auparavant separez
p322
du pain celeste, et par consequent, qu' ils en
separoient pour tous les pechez qui ruïnent la
grace.
Dans la cinquiesme ; que si nous examinons
avec quel ordre ils se conduisoient dans
l' administration du sacrement de penitence ; il est
sans doute, que s' ils n' estoient forcez par quelque
necessité, comme d' un urgent peril de mort, ils
ne reconcilioient et n' admettoient jamais à la
participation des mysteres ceux, qui avoient
perdu la grace de leur baptesme, qu' apres
l' accomplissement d' une longue et penible
satisfaction.
Dans la sixiesme ; que si nous recherchons
le fondement de cette rigueur salutaire, nous
n' en trouverons point d' autre que le violement
du baptesme, et la rupture de l' alliance
contractée avec Jesus-Christ, ce qui est
inseparable de tous les pechez mortels.
Et enfin dans la septiesme, et derniere, que
si nous voulons sçavoir l' objet et le but de cette
sainte discipline, ce n' estoit pas seulement
l' edification des fidelles ; mais le salut propre
de celuy que l' on disposoit par ces exercices de
penitence, et ce respectueux esloignement des
autels, à une vie vrayement chrestienne, et qui
fût conforme à la sainteté des mysteres ausquels
il aspiroit.
Et toutes ces raisons s' entretiennent de telle
sorte, que pourveu qu' on les prenne toutes
p323
ensemble, et selon l' éclaircissement qu' elles se
donnent les unes aux autres ; je ne sçay qui sera
celuy qui n' en sera point convaincu, si ce n' est que
les nuages de la passion s' opposent à de si vives
lumieres, ou que la preoccupation remplisse
tellement l' esprit, que la verité n' y puisse plus
trouver de place. (...).
PARTIE 2 CHAPITRE 11
raisons de l' ordre que les
peres ont gardé dans l' administration de la penitence.
et premierement du retardement de l' absolution, dont
ils ont usé pour donner moyen aux pecheurs, d' expier
leurs crimes par une satisfaction salutaire, et de
s' affermir dans la bonne vie.
nous voyons donc quel est le
sentiment des peres, des conciles,
et des papes, touchant la prattique
que vous osez condemner. Cela doit suffire
à un enfant de l' eglise, pour en reconnoistre la
sainteté : puis qu' à moins que de ruïner un des
principaux fondemens de nostre religion, l' on ne peut
douter, qu' une doctrine enseignée par tous les
saints peres, autorisée par tant de conciles, et
confirmée par tant de papes, ne soit sainte et
catholique. Et pour vous, c' est assez de vous
avoir declaré le jugement des saints docteurs,
pour vous obliger à vous y rendre, puis que par
p324
vostre propre confession, un fidelle directeur
des ames, ne doit point avoir de sentimens
particuliers, et esloignez de ceux des saints peres.
Neantmoins, comme l' intelligence est le
fruit et la recompense de la foy, la soûmission
que nous devons aux instructions de ces grands
saints, pourra servir à nous rendre dignes d' entrer
plus avant dans leur esprit, et de penetrer
les raisons divines, qu' ils ont suivies dans l' ordre
si salutaire de cette discipline celeste ; comme
l' appelle Saint Augustin.
Pour le faire avec plus de facilité, nous pouvons
considerer la penitence, et comme disposition
à l' absolution du prestre, et comme preparation
à la reception de l' eucharistie. Car encore
que dans leur conduite ces choses fussent
inseparables, et que la mesme penitence qui
preparoit à l' absolution, preparast aussi à la
communion qui l' accompagnoit tousjours,
ainsi que nous avons fait voir ; cela n' empesche
pas neantmoins que nous n' y puissions distinguer
comme deux divers rapports, et rechercher ;
premierement, ce qui a porté ces hommes
incomparables en science et en sainteté, de
faire attendre les pecheurs un si grand espace de
temps, avant que de leur accorder la remission
de leurs crimes. Et en second lieu, ce qui les a
obligez de ne les point admettre à la table de
Jesus-Christ, qu' apres s' estre purifiez par les
exercices d' une longue et laborieuse penitence.
p325
Quant au premier poinct, il paroist par toute
la suite de leur doctrine, que la principale
raison qu' ils ont euë, de differer si long-temps
l' absolution des crimes qu' on leur avoit confessez,
est, qu' ils ont creu, que tout homme, qui est
descheu de la grace, et qui s' est rendu digne de
l' enfer, doit premierement travailler, selon
l' ordonnance du prestre, à fleschir la cholere de
Dieu, par ses prieres, par ses larmes, et par
toutes sortes de bonnes oeuvres ; à se purifier,
selon les termes du grand Saint Leon, (...), selon
le Pape Innocent ; et à obtenir de
la misericorde divine, la grace d' une veritable
et solide conversion, avant que d' estre
reconcilié par la puissance de l' eglise.
C' est ce qui fait dire à Saint Gregoire, dans
les paroles que nous en avons rapportées ; (...).
p326
Comme ce grand pape avoit appris cette
doctrine des peres qui l' avoient precedé, et
particulierement de Saint Augustin, ceux aussi
qui l' ont suivy l' ont receuë de luy comme un
dépost sacré pour la transmettre à leurs successeurs.
Le concile d' Aix-La-Chappelle, sous le
pontificat d' Estienne V et l' empire de Loüys Le
Debonnaire, entre les reglemens qu' il a
dressez pour les ecclesiastiques, les ayant tirez des
peres et des canons, pour advertir les evesques
et les prestres, de la maniere dont ils doivent
exercer la puissance de lier et de deslier, qu' ils
ont receuë de Jesus-Christ, emprunte
les paroles de Saint Gregoire, que nous avons
rapportées, comme la plus excellente instruction,
qu' on leur puisse donner sur ce sujet.
p327
Et Saint Eloy evesque de Noyon qui vivoit
environ cent ans devant ce concile, et cent
ans depuis Saint Gregoire, rapporte de luy ce
lieu tout entier, pour exhorter ses penitens à ne
point rechercher l' absolution du prestre, qu' apres
avoir pleuré leurs pechez, estre morts à
leurs vices, et ressuscitez à la grace. C' est dans
son homelie Ii où il leur parle de cette sorte ;
(...). Ce qu' ayant confirmé par le mesme
exemple, et par les mesmes paroles
de ce pape que nous venons de rapporter, il conclud
avec luy, (...).
Ce mesme evesque dans un autre sermon,
apres avoir fait un dénombrement de
p328
toutes sortes de pechez mortels, sans y oublier
ceux qui paroissent les plus legers, comme les
querelles, l' yvrognerie, la bonne chere, les
mauvais desirs , donne t advertissement à son
peuple ; (...).
p330
Enfin ce mesme saint, estant prest de donner
l' absolution à ses penitens, les advertit de
la disposition dans laquelle ils doivent estre
pour la recevoir, par ces belles et excellentes
paroles ; (...).
p331
Ainsi nous voyons que ces saints peres, par
qui nous avons receu la doctrine de nostre foy,
estoient bien esloignez de croire, (comme
quelques-uns font aujourd' huy) qu' il n' y eust
autre chose à faire, pour obtenir le pardon des
plus grands crimes, que de se jetter aux pieds
d' un prestre, et luy raconter ses desordres ; puis
qu' ils enseignent si nettement, que pour avoir
droit d' attendre des prestres la remission de
nos pechez, il faut qu' auparavant nous en
fassions une penitence convenable, et proportionnée
à la grandeur de nos fautes ; que nous
despoüillions le vieil homme avec toutes ses
actions, et revestions le nouveau ; que nous
nous rendions dignes par les fruicts d' une
satisfaction salutaire d' estre absous par la
sentence du juge invisible.
Et ils parlent quelquefois si fortement
contre ceux, qui negligeans de flechir Dieu par
une longue perseverance dans les gemissemens
et dans les soupirs, et de laver leurs crimes dans
l' eau de leurs larmes, demandoient d' estre
reconciliez par l' eglise ; qu' à n' entendre pas bien
leur langage, il sembleroit, qu' ils eussent passé
jusques à l' erreur des novatiens, et qu' ils
eussent desadvoüé le pouvoir que l' eglise a de
remettre les pechez.
N' est-ce pas ce que Saint Cyprien semble
p332
dire, lors qu' il advertit les chrestiens, qui
estoient tombez durant la persecution, de
n' attendre que de Dieu seul la remission de leur
crime. (...).
N' est-ce pas ce qu' au mesme temps le clergé
de Rome semble enseigner, lors que rendant
raison de sa conduitte envers ceux qui
avoient renié la foy, il dit simplement, (...).
Et neanmoins il est certain que ces saints
n' ont voulu dire autre chose par ces façons de
parler, sinon que les pecheurs ne doivent
point attendre que les prestres leur fissent
grace, et leur accordassent la remission de leurs
crimes, s' ils ne travailloient avant toutes choses,
p333
à fléchir la misericorde de Dieu par les
fruicts d' une veritable et solide penitence.
C' est ce que nous voyons clairement par
Saint Cyprien ; puis que dans le mesme traicté,
où il semble reserver le pardon des crimes à la
seule misericorde de Dieu, il reconnoist en
termes expres, que les prestres les pouvoient
remettre, et exhorte pour cette raison ceux qui
estoient tombez à confesser leur faute ; (...).
De sorte qu' il est visible, que lors que ce saint
les advertit de n' attendre le pardon de leurs
offences que de Dieu seul, parce que luy seul leur
peut faire grace, (...), ce
n' est que pour leur apprendre, que leur principal
soin devoit estre de flechir Dieu par leurs
prieres, et d' appaiser sa cholere par une juste
satisfaction, comme il tesmoigne par ces belles
paroles qui font la conclusion de cet avertissement ;
(...). Et quant à l' absolution
des prestres qu' ils n' y devoient mettre leur
confiance ; qu' en observant les conditions qu' il
leur propose à la fin de ce traitté ; (...).
p335
Ce que nous avons rapporté du clergé de
Rome doit estre pris dans le mesme sens. Et
comme ces saints prestres qui gouvernoient
l' eglise durant la vacance du saint siege,
estoient bien esloignez de nier la puissance que
l' eglise a de remettre toutes sortes de pechez ;
ils ne croioient pas aussi, que l' indulgence
de l' eglise deust estre employée qu' en faveur
des veritables penitens, qui reconnoissent la
grandeur de leur peché, et qui recherchent la
guerison de leurs maux dans les remedes salutaires
d' une juste satisfaction qui ne soient pas
moindres que les playes.
C' est ce qu' ils declarent expressement, en
escrivant à Saint Cyprien, et se plaignant de
certains prestres, qui, par une fausse douceur,
et par une facilité indiscrette, portoient les
pecheurs à desirer une reconciliation
precipitée. (...).
Ils apprennent aux penitens dans la mesme
epistre, en quelle maniere ils se doivent
conduire, pour meriter que l' eglise les
absolve ; (...).
p336
Tous les saints docteurs de l' eglise
conviennent dans ces sentimens ; et ils nous
enseignent d' une commune voix, et par leurs
escrits, et par leur pratique, qu' il n' est pas si
aisé que l' on s' imagine, d' entrer dans les
dispositions necessaires, pour recevoir le pardon de
nos offenses mortelles qui nous reduisent en
pire estat, que ne sont les juifs et les payens,
suivant la doctrine de l' evangile.
Ils ont trouvé tant de difficulté dans la
guerison de ces playes, qu' ils n' ont pas creu que les
larmes des penitens fussent suffisantes pour l' obtenir
p337
de la misericorde de Dieu, si elles
n' estoient accompagnées de celles de toute
l' eglise.
C' est pourquoy ils leur ordonnoient (...).
C' est ainsi qu' ils croyoient, que la resurrection
des ames se devoit obtenir de la bonté de
Jesus Christ, comme il ne ressuscita le
fils de la veuve, qu' estant esmeu de pitié par les
larmes de sa mere ; cette mere est l' eglise, dit
Sainct Ambroise, (...).
p339
C' est l' advantage que les penitens, qui ne
rougissoient point de tesmoigner publiquement
le repentir de leurs crimes, avoient autrefois :
parce qu' au mesme temps que l' eglise
les voyoit dans cét estat de douleur et d' humiliation,
elle s' unissoit avec eux pour purger
leurs pechez, et prendre sur elle-mesme une
partie de leur penitence. Ce qu' elle peut moins
faire maintenant pour chaque pecheur en
particulier, parce qu' elle ne les voit point
paroistre en public, avec les marques de vrays
penitens. Et la confession mesme qu' on fait au
prestre, estant devenuë commune aux justes
et aux pecheurs, et se faisant par tous les
fidelles, aussi bien pour les pechez veniels que
pour les mortels ; elle ne sçauroit deviner qui
sont ceux, qui sont vrayement morts dans
leur ame, et pour lesquels il faut principallement
gemir, et faire une grande penitence
pour appaiser Dieu, et le leur rendre
propice.
Ce n' est pas que les pecheurs deussent tellement
mettre leur confiance dans ces pleurs de
l' eglise, qu' ils negligeassent de pleurer
eux-mesmes leurs propres pechez, imitant le Roy
Saül, que l' escriture nous represente comme
l' image de tous les pecheurs endurcis, qui
vouloit obliger Samuel de porter son peché sans
se mettre en peine de l' effacer luy mesme par
l' affliction de la penitence. Car (comme Saint
Ambroise remarque excellemment) Jesus-Christ,
p340
(...).
Tout cela nous fait voir avec combien de
raison toute l' eglise durant tant de siecles a
observé cette sainte et salutaire pratique, de ne
remettre les pechez mortels, qu' apres une
longue et serieuse penitence, qu' apres une
satisfaction proportionnée à la grandeur et à la
qualité des offenses, comme les papes
l' ordonnent.
Mais nous y pouvons encore adjouster une
autre cause de ce retardement salutaire, c' est
que ces saints docteurs esclairez de Dieu, et
instruits dans l' eschole du Saint Esprit, ne
pensoient pas que l' on deust faire un jeu de la
penitence, et que ce fust une chose supportable
dans la vie des chrestiens, que de la voir
composee d' un cercle perpetuel de confessions et
de crimes. Ils ne vouloient point de conversions
qui ne fussent fermes et stables. Et ils
croyoient avec raison, que c' estoit faire une
plus grande injure au fils de Dieu de se
remettre au nombre de ses disciples pour
l' abandonner
p341
et le trahir encore une fois, que de demeurer
tousjours hors sa compagnie. C' est ce qui
leur faisoit user de si grande circonspection,
non seulement pour absoudre les pecheurs,
mais mesme pour les admettre à la penitence,
aymant beaucoup mieux, qu' ils ne l' entreprissent
point, que de l' entreprendre imparfaitement,
(...).
Le concile d' Agde ne veut pas pour cette
raison qu' on l' accorde facilement aux jeunes
gens, à cause de la foiblesse de l' âge, qui est
sujet à changer et à ne pas demeurer ferme dans
les meilleures resolutions.
Or il est visible à qui ne se veut point
aveugler soy-mesme, que ce n' est pas le moyen
d' establir la conversion d' un pecheur sur des
fondemens solides, et de le faire penser
serieusement à l' amendement de sa vie, que de le
traitter avec une facilité indiscrette et une
cruelle misericorde, qui ne sert qu' à effacer de son
esprit le souvenir de son crime, qu' à appaiser ses
soûpirs, qu' à seicher ses larmes, qu' à l' entretenir
dans une fausse opinion de santé, lors qu' il est
encore percé de mille blessures mortelles. Il faut
que le malade sente son mal, afin qu' il craigne
d' y retomber. Il faut que le pecheur porte
la peine de son peché, pour en concevoir l' horreur
qu' il en doit avoir, (...).
p342
Il faut que le temps
qu' il demeure à pleurer et à gemir, luy remette
devant les yeux le chastiment eternel que ses
offenses meritent. Il faut en fin qu' il ait le loisir
de considerer attentivement l' estat funeste
il se trouve reduit par sa desobeïssance, afin
qu' il se fortifie dans la resolution constante
de tout faire, de tout souffrir, et de tout
quitter, plustost que de se reduire encore une fois à
la condition miserable dont il s' efforce de sortir.
Autrement, dit Saint Augustin, (...).
Et le maistre de Saint Augustin expliquant
ces parolles du pseaume 118 (...), remarque
excellemment que la trop grande
indulgence dont on use envers les pecheurs,
ne sert qu' à les rendre pires, et à faire que Dieu
les abandonne dans des passions encore plus
infames et plus honteuses. (...).
p344
Voila le fruict qu' on recueille de la douceur
indiscrette, dont on use envers les pecheurs.
Voila le profit qu' ils en retirent, qui est de
devenir plus meschans, et de meriter par un juste
abandonnement de Dieu, que s' endormant
dans une fausse confiance, que Dieu leur
pardonne leurs crimes, sans qu' ils en fassent
penitence, ils retombent dans de plus grands et de
plus horribles excez.
Et au contraire lors qu' on les traitte selon les
regles de la justice divine, et avec une vigueur
digne de la majesté de la foy et de la sainteté
de l' evangile, la penitence qu' on leur fait faire
de leur mauvaise vie passée, les affermit dans la
bonne vie qu' ils doivent mener à l' advenir. La
retraitte qu' on leur ordonne, et qui doit estre
le premier appareil de toutes les playes qu' on a
receuës dans le commerce des hommes, leur
apprend à aymer la vie retirée, et à fuïr la
compagnie de la plus-part des hommes comme un
air corrompu et dangereux à leur foiblesse. Les
aumosnes qu' on leur fait faire pour rachepter
leurs pechez, leur enseignent la charité qu' ils
doivent exercer envers les pauvres pour meriter
le paradis. Les prieres qu' ils font à Dieu
pour obtenir de sa misericorde le pardon de
leurs offenses, les font entrer dans l' execution
de cette importante verité de l' escriture,
que la vie d' un chrestien doit estre une
priere continuelle. Les exercices laborieux de
la penitence leur font quitter cette vie oisive et
feineante, que menent la plus-part des gens
du monde, et qui est la mere de tous les vices.
En se retranchant des choses legitimes, comme
p345
tous les veritables penitens doivent faire selon
les peres, ils apprennent à plus forte raison à
se retrancher des illegitimes. L' amertume des
pleurs leur fait oublier la douceur des voluptez,
et comme dit excellemment Saint Ambroise,
(...).
Reconnoissons donc l' utilité de cette sainte
discipline, autorisée par tant de papes, par
tant de conciles, et par tant de saints, et qui
a son origine dans l' ordre mesme qui est dans
l' esprit de Dieu, qui veut selon les loix de sa
justice, que les pechez commis contre luy
soient expiez par une satisfaction convenable ;
et selon les regles de sa sagesse, que cette
satisfaction soit interposée entre la
reconnoissance du peché, et l' absolution du prestre ;
comme la raison naturelle, et l' experience
commune nous font voir, que pour des fautes
civiles, et qui se commettent contre les
hommes, on ne pretend point la reconciliation avec
ceux qu' on a offensez, qu' en reparant par
avance les injures reelles ou personnelles, qu' on a
commises contr' eux.
PARTIE 2 CHAPITRE 12
p346
suitte de l' explication des
causes qui ont porté les peres à differer
l' absolution. Que selon leur doctrine il faut
d' ordinaire plus que des momens,
pour disposer des pecheurs à recevoir avec
fruict l' absolution du prestre : et autre chose
que des paroles, pour asseurer les prestres de la
conversion des pecheurs. Où il est aussi parlé
de la facilité que quelques-uns trouvent à faire
faire des actes de contrition.
que si l' on oppose à cette doctrine
des peres que nous venons
d' expliquer, que la grace de Dieu
peut convertir en un moment le
plus grand pecheur du monde,
et le rendre capable de la reconciliation sans
tous ces retardemens.
Je reconnois que cela est vray, et qu' il arrive
quelquefois, comme Saint Bernard dit : (...).
p347
Mais il faut respondre à tous ces exemples,
avec le mesme Saint Bernard, (...), et des miracles
dans l' ordre mesme de la grace, qui de soy est
desja tout miraculeux. Que ce sont des changemens
de la droite du tres-haut ; des coups
extraordinaires d' une misericorde infinie, qui
n' est sujette à aucunes loix ; et qui ne doivent
point aussi porter de prejudice aux regles
communes et generales, qui ne peuvent estre
establies, que selon l' ordre commun de la
grace, comme les preceptes de medecine ne
peuvent estre fondez, que sur le cours ordinaire de
la nature.
Or il est certain, que la grace n' opere point
ordinairement dans nos ames, avec des mouvemens
p348
si prompts. C' est un jour divin, comme
remarque excellemment Sainct Gregoire,
qui a son aurore aussi-bien que le jour naturel,
et qui ne dissipe les tenebres de nos coeurs, qu' à
mesure qu' il s' avance, et que ses rayons se
fortifient.
L' homme nouveau non plus que le vieil ne
se forme pas tout d' un coup ; il commence par
des conceptions imparfaites ; il ne s' engendre
que peu à peu, et il luy faut souvent beaucoup
de temps avant que de naistre. De sorte que les
confesseurs doivent extremement apprehender,
que leur precipitation ne serve à autre chose,
qu' à procurer des avortemens, et que Dieu
ne leur reproche un jour de s' estre conduits de
la mesme sorte dans la naissance spirituelle des
ames, que feroit une mere, qui se voudroit
descharger de son fruict aussi-tost qu' elle se
sentiroit grosse, pour luy donner plûtost l' usage
de la vie, et la joüissance de la lumiere, et le
dégager d' une prison où elle s' ennuiroit de le
laisser enfermé.
Car c' est ainsi que quelques prestres
s' imaginent estre fort charitables envers les
pecheurs en se hastant de les délier par une
absolution precipitée, et de les enfanter par les
sacremens, ne voyans pas que par ce moyen ils
estouffent le plus souvent, comme cette mere,
un peu de vie, qui commençoit à se former :
au lieu, qu' en suivant le cours de la grace, et
p349
taschant de les faire avancer peu à peu dans
de plus parfaites dispositions de penitence, par
les moyens que l' evangile nous prescrit, c' est
à dire, par les prieres, par les jeusnes, par les
aumosnes, et autres semblables exercices de
pieté, peut-estre qu' avec le temps ils les
eussent amenez à une veritable et solide conversion.
C' est comme les peres agissoient, et comme
ils nous commandent d' agir, (...).
C' est pourquoy l' un des plus sçavans prelats
de ce siecle, et des mieux instruits dans la
science de l' eglise, a eu raison de remarquer dans
son commentaire sur l' evangile, que l' une
p350
des causes, qui doivent porter les prestres à se
servir de la puissance que le sauveur leur a
donnée de retenir les pechez, est, (...).
Mais comment pouvons nous imiter
aujourdhuy cette prudence des peres, si nous
nous persuadons, que le plus grand pecheur
du monde, en se servant d' une certaine formule
qu' on appelle un acte de contrition , et disant
à Dieu de bouche, ou tout au plus dans une
pensée interieure de l' esprit, (...), est dans le
moment tout changé et tout converti,
et devient en un instant digne de la
couronne eternelle, qui nous doit couster tant
de peines et tant de travaux, selon les oracles
du Saint Esprit ?
Certes je ne craindray point de dire, que je
ne croy pas, qu' il y ait rien de plus pernicieux
aux ames, que la confiance qu' on leur donne
dans ces actes imaginaires de contrition et
d' amour de Dieu, qu' ils pensent asseurément
avoir faits, quand ils ont recité certaines
prieres que l' on dresse pour cét effet.
La contrition et l' amour de Dieu sont des
actions de la volonté, et les actions de la
volonté ne sont pas des pensées, mais des
mouvemens, des inclinations, et, pour dire ainsi,
p351
des pentes du coeur vers son objet. Or dire à
Dieu soit exterieurement, soit interieurement
que nous l' aymons, et dresser nostre esprit vers
luy, n' est qu' une pensée, et une reflection
d' esprit ; et par consequent, ce n' est point un acte
d' amour de Dieu ; mais tout au plus un tesmoignage
de celuy que nous luy portons, si
nous luy en portons veritablement ; tout ainsi
que les protestations d' amitié, qu' un homme
nous fait ; ne sont que des demonstrations
d' amour et d' affection, et non point l' affection
mesme ; et l' experience ne nous apprend que
trop, que toutes ces demonstrations peuvent
estre sans aucune veritable affection dans le
coeur.
Qu' est-ce donc qu' aymer Dieu, ou avoir
une veritable contrition de son peché ? Que
chacun consulte son coeur, et s' il y trouve
quelque affection un peu violente, ou de mary
envers sa femme, ou de pere envers ses enfans,
ou d' amy envers son amy, qu' il en examine
les mouvemens ; et il luy sera facile d' apprendre
ce que c' est qu' aymer Dieu ; et de reconnoistre,
qu' il y a beaucoup de personnes qui
se persuadent de faire souvent des actes
d' amour de Dieu, qui n' ont pas seulement les
ombres de cét amour.
Qu' est-ce que tous les hommes entendent
quand ils disent, qu' une honeste femme ayme
son mary ? Ne veulent-ils marquer autre chose
p352
sinon, que cette femme pense souvent en
elle-mesme, qu' elle l' ayme ; comme on pretend
que former la mesme pensée au regard de
Dieu, ce soit l' aymer ? Jamais personne n' eut
ce sentiment, et il se trouvera beaucoup de
femmes, qui ont eu des affections tres-ardentes
pour leurs maris, et qui peut-estre jamais en
leur vie n' ont fait de semblables reflections.
Une femme aimer son mary, c' est avoir un
certain poids, et une certaine inclination dans
sa volonté, qui la porte avec une douce et
secrette violence à le servir, à luy obeïr, à se
conformer à ses volontez, à s' efforcer de luy plaire
en toutes choses, à n' estre touchée que de ses
interests, et n' avoir de joye que dans son
contentement, à ressentir plus vivement ses
afflictions que les siennes propres, à trouver des
charmes dans sa presence, à languir dans son
absence, à ne craindre rien tant que de blesser
en la moindre chose la pureté de son amour,
et enfin à estre preste de donner sa vie, si
l' occasion s' en presentoit, pour conserver celle de
son mary. Voila ce que les hommes appellent
aimer, et non pas des paroles et des pensées,
qui ne sont que des productions de l' esprit, et
non point des effusions du coeur.
C' est par cette image imparfaite que nous
devons juger, si l' amour de Dieu regne dans
nos ames : si nous sentons dans le fonds de
nostre coeur un détachement des choses du monde,
p353
un attachement à celles de Dieu, un mespris
des vanitez et des pompes de ce siecle, une
joye dans l' attente des biens eternels, une
crainte mortelle de tomber dans la disgrace de
Dieu, un desir pressant de luy plaire en toutes
choses, un ferme dessein de fuïr toutes les
occasions qui nous pourroient engager dans le
peché, et enfin une veritable disposition dans la
volonté d' abandonner, pere, mere, freres, soeurs,
parens, amis, biens, fortunes, grandeurs, honneur,
estime, plûtost que d' abandonner le service de
Jesus-Christ, et la voye estroitte de
l' evangile : si, disje, sans nous flatter et sans nous
seduire nous-mesmes, nous trouvons toutes
ces dispositions dans nostre coeur, au moins
en quelque degré (ce qui se connoist mieux
par les actions, et par le reglement de nostre
vie que par des sentimens purement interieurs,
qui nous peuvent tromper facilement) nous
avons quelque sujet de croire que nous aimons
Dieu, et de rendre graces à sa misericorde
infinie d' avoir respandu dans nos ames quelques
flammes de ce feu celeste, que Jesus-Christ
est venu apporter du ciel en terre. Mais s' il n' y
a rien de tout cela, c' est en vain que nous nous
persuadons, que pour avoir prononcé certaines
paroles, ou formé certaines pensées nous
avons produit des actes d' amour de Dieu.
(...).
p354
C' est l' instruction que l' evangile
nous donne en cent endroits, et neantmoins
parce que, selon la pensée du mesme saint, (...) ;
cette derniere voye de priere et de travail,
que ce pere propose pour arriver à l' amour de
Dieu, semble trop longue, et trop ennuyeuse
aux penitens de ce siecle, et ils s' arrestent à la
premiere, qu' il condemne. Tout pauvres, et
tout miserables qu' ils sont, ils s' imaginent,
qu' avec l' ayde de certains termes, toutes les fois
qu' il leur plaira ils se donneront à eux-mesmes les
thresors de la charité ; et leur coeur n' estant que
glace, ils pretendent, qu' aussi-tost qu' ils se
voudront exciter à contrition, cette glace se
fondra, et s' embrasera d' elle-mesme, et produira
les flammes de l' amour de Dieu.
Que s' ils reconnoissent (comme ils y sont
obligez, à moins que de se declarer ouvertement
pelagiens) qu' il est absolument impossible
d' aymer Dieu, ou de faire un acte de contrition,
si Dieu mesme ne nous inspire cét
amour et cette contrition par une singuliere
misericorde, d' où ont-ils appris que le Saint
Esprit qui souffle où il luy plaist, ait attaché à
p355
leurs formules la plus grande de ses graces, qui
est la conversion du pecheur ; au lieu que c' est
le sauveur mesme qui avoit appris à Saint
Augustin, que le veritable moyen d' obtenir ses
graces, estoit de les demander avec ardeur, de
les rechercher avec soin, de frapper à la porte
avec importunité, d' imiter cette veuve opiniastre
qui force le juge de consentir à ses desirs, et
cét amy qui arrache de son amy dequoy suppleer
à son indigence, par sa perseverance dans
la priere.
C' est ainsi que les pecheurs qui travaillent
serieusement à une veritable et solide conversion
doivent faire. C' est le chemin qu' ils doivent
tenir pour y arriver, en reconnoissant leur misere
et l' impuissance où ils se trouvent, de se procurer
à eux-mesmes cét inestimable bon-heur, en
le demandant à Dieu par des gemissemens
continuels, en le forçant par une sainte violence de
les regarder en pitié, en attirant sur eux les
graces du Saint Esprit par toutes sortes de bonnes
oeuvres.
Voila le vray moyen de faire de bons actes
de contrition, puis que nous ne les devons
attendre que de Dieu seul, comme l' un de ses
plus grands dons, et qu' il a promis ses dons et
ses graces à ceux qui les luy demanderont avec
ardeur et perseverance. (...), dit Saint Augustin,
(...).
p356
Je ne dis pas neantmoins, que ces petites
prieres, qu' on appelle des actes de contrition, ou
d' amour de Dieu, ne soient devotes et saintes.
Il faudroit condemner l' escriture, qui est
pleine de semblables expressions, et particulierement
les pseaumes du prophete roy, qui ne
contiennent presque autre chose, que des
paroles de feu, pour tesmoigner à Dieu les transports
de son amour, et la violence de sa douleur dans
le repentir de ses pechez.
Je reconnois encore que ces actes peuvent
estre tres-utiles aux bonnes ames, parce qu' ayans
desja dans le fonds du coeur les semences de
tous ces bons mouvemens, et le Saint Esprit
qui y reside, comme dans son temple, les
esclairant, et les eschauffant sans cesse, il ne faut
pas s' estonner, si les tesmoignages qu' elles
rendent à Dieu, de l' affection qu' elles luy
portent, servent à augmenter leur feu, et à luy faire
concevoir de nouvelles flammes.
Ces actes sont encore utiles aux pecheurs,
pour leur apprendre à quoy ils doivent aspirer,
et ce que Dieu demande d' eux, et en quelle
disposition doit estre leur coeur, pour satisfaire
au commandement de son amour, ce que ces
actes leur enseignent fort bien. Ils peuvent
aussi entrer dans les prieres que les penitents
p357
font pour obtenir la contrition, et il est
tres-bon de les obliger, de faire souvent à Dieu de
ces protestations saintes, de le vouloir desormais
aymer et servir, avec une inviolable fidelité.
C' est pourquoy, afin que la calomnie ne
dresse point de pieges à mes paroles, je proteste
encore une fois que je suis tres-éloigné de
vouloir blasmer ces actes de contrition,
d' amour de Dieu, et de toutes les autres vertus qui
se trouvent dans les livres de devotion. J' en
loüe et approuve extrémement le bon usage.
Je n' en reprens que l' abus, et je pretens
seulement, que lors qu' il s' agit de ramener une
ame à Dieu, et de l' arracher au demon et au
peché, ce n' est pas une chose si facile, que l' on
puisse croire raisonnablement, qu' aussi-tost
qu' on luy aura demandé, si elle ne deteste pas
son peché de tout son coeur, et si elle n' est pas
resoluë de servir Dieu à l' advenir, et qu' elle
aura respondu que Ovy, l' effet suive la parole,
et qu' à l' instant mesme elle brise toutes ses
chaisnes, pour s' eslever jusques dans le sein de
Dieu ; que son coeur qui estoit de pierre se
change tout d' un coup en un coeur de chair ;
et au lieu qu' auparavant tous ses desirs se
terminoient à la creature, elle entre en un
moment dans une volonté pleine, de ne servir
plus que Jesus-Christ. S' y attende qui
voudra ; mais pour moy je pense que ce seroit
p358
le plus seur de suivre l' avis de Saint Augustin, et
de tous les autres peres, de fuïr les remedes
precipitez, d' aspirer à l' une des plus grandes
graces de Jesus-Christ, par la voye qu' il
nous a luy-mesme enseignée, (...) : et enfin
d' establir sa conversion sur les fondemens
solides d' une longue et serieuse penitence, se
remettant tousjours devant les yeux cét
avertissement du sage, (...). Les biens
que l' on se haste d' acquerir au commencement,
ne sont point benis de Dieu à la fin.
Mais pour passer encore plus avant, je dis,
selon le sentiment des peres, que quoy que
Dieu fasse dans le fonds de l' ame d' un pecheur,
et quoy que la grace y opere interieurement,
le prestre qui n' est pas simple ministre, pour
declarer que les pechez sont remis à ceux qui
ont la foy, et qui s' en repentent, comme nos
heretiques le pretendent, mais qui est estably
juge par Jesus-Christ, pour lier et délier,
retenir et remettre les pechez, avec connoissance
de cause, comme le dernier concile l' a
définy ; ne peut et ne doit rien prononcer dans
ce tribunal, que selon la connoissance qu' il
peut raisonnablement avoir de l' estat, et des
dispositions de son penitent. Or d' où peut-il
prendre cette connoissance, s' il l' absout à l' heure
p359
mesme qu' il luy vient de descouvrir une
infinité de crimes ? Quand Dieu, par un miracle
l' auroit veritablement converty, quelles preuves
peut-il avoir de cette conversion ? Dieu s' est
reservé le secret des coeurs, les hommes ne
peuvent porter jugement que de ce qu' ils voyent,
et c' est par les fruits que Jesus-Christ
mesme nous oblige de juger de l' arbre et de la
racine. Les paroles quelques belles qu' elles
soient, ne sont que de belles feüilles, et non
pas des fruits. Et c' est pourquoy les juifs qui
avoient les paroles de la loy, et n' en avoient pas
les actions, sont marquez dans l' evangile
(comme Saint Augustin l' enseigne) par ce figuier, où
Jesus-Christ ne trouva point de fruit, mais
seulement des feüilles ; parce que ce n' estoit pas
encore le temps des figues, c' est à dire, de la
grace.
Ce n' est donc pas par de simples discours,
et des protestations sans effet, que le prestre
se peut asseurer (comme il le doit faire, autant
qu' on le peut moralement) des dispositions
interieures de ceux qui s' addressent à luy, et des
mouvemens secrets, que la grace doit former
dans le fonds de leur coeur, pour les rendre
dignes d' estre absous ; c' est par des actions
visibles, c' est par les fruits de penitence, c' est par
des preuves effectives d' un veritable amendement.
Ce ne sont point icy mes pensées. à Dieu
p360
ne plaise que je me rende coupable d' une si
grande temerité, que d' oser rien dire de moy-mesme
en des matieres si importantes. Je ne
parle qu' en disciple, et non point en maistre,
et ne pretends qu' exposer les sentimens des
saints docteurs, que toute l' eglise revere, et
dont le Cardinal Bellarmin a dit avec grande
raison, sur ce sujet mesme de la penitence ; (...).
Escoutons donc ce que l' un des plus grands
papes qui ayent jamais gouverné le vaisseau de
S Pierre, nous enseigne sur ce sujet, et en quelle
maniere il explique les trois parties de la
penitence, contrition, confession, et satisfaction,
et quel jugement il porte de la necessité de
chacune, (...).
p362
Que peut-on desirer davantage apres ces
excellentes paroles, pour estre pleinement
instruict, et de toutes les conditions qui doivent
accompagner une veritable penitence, selon
l' esprit de Jesus-Christ, et de l' eglise : et
de la regle que les pecheurs doivent suivre, pour
faire une confession de leurs pechez, qui soit
agreable à Dieu, et recevable de ses ministres :
et de la conduite que les prestres doivent tenir
sur eux, pour ne se rendre pas coupables d' une
facilité inconsiderée.
Ce grand pape estoit bien esloigné de mettre
tout dans une simple confession : puis qu' il
n' en reconnoist point de vraye, que celle qui
naist de la conversion du coeur, aspirant à la
justice par un mouvement d' amour ; et qui
est suivie des exercices laborieux d' une penitence
austere.
Il estoit bien esloigné de souffrir l' insolence
de ces pecheurs, qui s' imaginent ridiculement,
qu' aussi tost qu' ils ont vomi une infinité de
crimes, on leur feroit un insigne tort, de leur
p363
differer l' absolution, puis qu' il enseigne en
termes clairs ; qu' une confession faite de
bouche n' est point capable de nous faire juger, si
un pecheur merite d' estre absous, et que nous
ne le devons tenir pour veritablement converty,
que lors qu' avoüant ses fautes par ses paroles,
il s' efforce de les effacer par l' austerité, et
l' affliction d' une penitence qui leur soit
proportionnée.
Enfin il estoit bien esloigné de croire, que
les prestres fussent obligez d' ajoûter foy à
toutes les vaines protestations qu' on leur fait, et
d' absoudre en valets , plutost qu' en juges,
tous ceux qui se presentent à eux : puis qu' il
declare si fortement, que c' est par les fruicts,
et non par les fueilles et par les rameaux, que la
veritable penitence se doit reconnoistre ; que
les paroles de la confession ne sont que des
fueilles, et par consequent qu' elles ne sont
point recevables, que lors qu' elles sont
accompagnées des fruicts de la penitence ; et que
les prestres n' ont point de meilleur moyen de
guarentir les pecheurs de la malediction qui les
attend, si, confessans leurs fautes, et negligeans
de les effacer par une satisfaction salutaire,
ils se rendent semblables à cet arbre maudit
par le sauveur, qui avoit de belles fueilles, et
qui ne portoit point de fruict ; qu' en les
traittant, comme Saint Jean Baptiste traitta les
juifs qui venoient à son baptesme ; et leur
adressant
p364
ces paroles pleines d' une sainte severité ; (...).
Il est donc vray, que quelques dispositions
que Dieu ait mises dans l' ame d' un penitent, il
faut ordinairement autre chose que des paroles,
pour en asseurer le prestre, et pour luy donner
sujet d' agir en qualité de juge, et d' exercer
sa puissance avec connoissance de cause, comme
le concile l' ordonne. Les paroles sont le
langage de l' esprit ; les oeuvres celuy du coeur.
La langue sert à l' un pour descouvrir ses pensées ;
les mains, c' est à dire les actions, servent à
l' autre, pour descouvrir ses mouvemens. Il faut
voir agir un homme, et non seulement l' entendre
parler, pour reconnoistre ce qu' il a dans
le fond de l' ame.
Ce qui n' est pas seulement vray à cause de
l' hypocrisie, et de la dissimulation qui se
mesle facilement dans nos discours ; mais aussi
parce qu' il y a tant de destours, et tant de replis
dans le coeur de l' homme, qu' il est le plus souvent
inconnu à l' homme mesme ; et que l' experience
confirme tous les jours ce que Saint
Gregoire dit excellemment ; (...).
p365
De sorte qu' il arrive tres-souvent, qu' une
personne croira dire sincerement à son confesseur,
qu' elle a dessein de quitter le vice, et
que cependant elle n' en aura point de veritable
resolution pour le moins qui soit assez forte,
et assez puissante pour l' en retirer, et luy faire
changer de vie.
Qui vit jamais de plus parfaitte, et de plus
exemplaire penitence, que celle qu' Antiochus
propose de faire dans le second livre des
machabées ? Il reconnoist son peché, il
tesmoigne un vif regret de son orgueïl ; il promet de
restablir la ville saincte dans son ancienne
liberté, de rendre les juifs fleurissans, d' enrichir
le temple de dons magnifiques, d' entretenir à
ses despens les sacrifices du vray Dieu, et de
publier sa gloire par toute la terre. Qui est le
confesseur en ce temps, qui ayant oüy toutes
ces protestations de la bouche d' un prince, ne
les eust prises pour veritables, et ne se fust tenu
asseuré de son salut apres sa mort ? Et cependant
l' escriture nous asseure, que ce n' estoit
qu' un méchant, et que tous ces tesmoignages
de repentir, toutes ces prieres, et toutes ces
belles promesses ne furent point capables
d' attirer sur luy la misericorde de Dieu, quoy qu' on
ne puisse pas dire, qu' en parlant ainsi, il ait usé
de fainte et d' hypocrisie, puis que sans doute il
p366
croioit parler sincerement, et du fond du
coeur, comme tant de personnes font aujourd' huy,
qui se trompent eux-mesmes les premiers,
et en suitte trompent les autres.
Cet oracle du Saint Esprit ne nous
monstre-t' il pas clairement, qu' il faut autre chose
que des paroles, pour s' asseurer de la conversion
d' un pecheur. Il se rencontrera mesme des
personnes qui seront baignées de larmes, et si vous
en recherchez la source, vous ne trouverez
peut-estre qu' un mouvement tout humain, ou
une imagination frappée de quelque objet
extraordinaire. Comme il me souvient d' avoir
leu dans la vie de la bien-heureuse Marie De
L' Incarnation escrite par Monsieur Du Val,
qu' une fille fondoit en pleurs en confessant une
faute, qu' elle estoit preste de commettre à
quatre heures de là ; et il s' en est trouvé d' autres,
qui apres avoir passé la nuit à se donner la
discipline, et à coucher sur la dure, sont retombez le
jour suivant dans le peché, pour lequel ils
s' estoient chastiez si rudement.
C' est pourquoy je ne voy pas que le prestre
puisse mieux faire, pour ne point blesser la
prudence de l' esprit de Dieu dans une chose si
importante, que de prendre un espace de temps
raisonnable, pour examiner la suite des actions
et de la vie de son penitent, et prendre garde
de quelle sorte il pratiquera les conseils qu' il
luy doit donner pour se detacher de ses vieilles
p367
habitudes, et entrer peu à peu dans la voye
estroitte du paradis. Tel se deguise un jour, qui
ne se peut pas deguiser un mois ny deux : tel
paroist converti selon l' apparence de quelques
bonnes actions exterieures, qui donne des
marques evidentes du contraire dans toutes les
autres. Pour juger si un homme est dans le
dessein veritable de retourner à Dieu, il le faut
plus considerer dans sa maison, et dans ses
affaires, que dans l' eglise, et dans ses devotions.
Il faut plus avoir esgard à l' uniformité de la vie,
et à une certaine constance et fermeté dans le bien,
quoy que mediocre, qu' à de certaines oeuvres
esclatantes, qui n' ont pas de suitte dans le reste
de la vie. Il faut plus estimer l' ardeur de
mortifier ses vices, et de combattre ses passions
dereglées, qu' un zele souvent indiscret d' entreprendre
de grandes choses au dehors, avant
que d' avoir bien fondé et bien establi le
dedans. Enfin c' est en ces occasions qu' il est
necessaire de bien observer ces trois paroles de
l' evangile, videte, vigilate, orate,
voyez, veillez, priez. voir et considerer avec
soin tout ce que fait le penitent dans le cours de
sa penitence, et tout ce que Dieu opere dans luy.
Veiller sans cesse pour le preserver des ambuches
de ses ennemis. Prier assiduëment pour attirer sur
luy les graces du ciel, et sur nous les lumieres
necessaires dans une entreprise aussi difficile,
qu' est le retour à Dieu d' une seule ame pecheresse.
p368
Je ne me puis empescher d' adjouster pour
couronnement à cette explication de la doctrine
des peres, une excellente epistre d' Ives evesque
de Chartres, qui confirmera ce que nous
venons de dire, que quoy que Jesus-Christ
opere dans le coeur d' un penitent, le prestre,
qui ne peut juger que de ce qu' il voit, et qui
ne voit que le dehors, a raison de suspendre
quelque temps la sentence d' absolution, pour
reconnoistre les mouvemens interieurs et
invisibles, par des fruicts visibles de penitence :
et qui nous monstrera par mesme moyen,
qu' au temps de ce saint evesque, qui estoit le
douziesme siecle, cette sainte discipline, que
vous niez avoir jamais esté en pratique, estoit
encore en vigueur ; l' eglise retranchant de la
saincte communion, tous ceux qui commettoient
des crimes, c' est à dire, des pechez
mortels, comme nous l' avons amplement prouvé
en un autre endroict.
Voila donc comme Ives De Chartres respond
à un prestre qui luy avoit demandé,
pourquoy l' eglise estoit plus lente à remettre
les pechez, que Jesus-Christ ? (...).
PARTIE 2 CHAPITRE 13
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que la grandeur de la disposition
qu' on doit apporter à la saincte communion, à
obligé les peres de ne la point accorder aux
pecheurs, qu' apres qu' ils se seroient
long-temps purifiez par les exercices de la
penitence.
nous avons veu ce qui a porté les
peres à obliger les pecheurs, de pleurer
leurs crimes un espace de temps
raisonnable, autant que de leur en faire esperer
la remission, par le ministere des prestres.
p371
Voyons maintenant ce qui leur a fait juger si
necessaire, de ne se point approcher de
l' eucharistie, lors qu' on trouve sa conscience
blessée par quelque crime, par quelque peché
mortel, sans s' estre auparavant purifié par les
exercices de la penitence.
Il n' en faut point chercher d' autre cause, que
l' extréme pureté de cette victime sainte, qui
s' immole sur nos autels, et qui demande en
tous ceux qui y participent, une pureté qui soit
en quelque sorte proportionnée à la sienne.
C' est le fondement, et l' abregé de toutes les
dispositions, que ce mystere adorable demande
de nous.
Le sauveur dit dans l' evangile, que par tout
où sera le corps, les aigles s' y assembleront.
Les peres ont entendu cette parole, non seulement
de cette derniere assemblée, qui rejoindra
tous les membres à leur teste, lors que les
saints sortans de leurs tombeaux, comme des
aigles renaissantes s' esleveront vers
Jesus-Christ au milieu de l' air, ainsi que Saint
Paul tesmoigne ; mais aussi de cette assemblée des
fidelles, qui se fait tous les jours en l' eglise
autour de ce corps immortel et glorieux ; parce
que celle-cy est la figure de l' autre ; à laquelle
elle nous prepare, en nous en donnant dés icy-bas
les arrhes et les premices. Et c' est ce que
l' eglise a eu dessein de nous faire remarquer, par
cette sainte et ancienne ceremonie de suspendre
p372
le corps de Jesus-Christ au plus haut
de nos autels pour nous le representer, comme
il paroistra au dernier jour, eslevé sur une nuée,
jugeant tous les hommes.
C' est pourquoy ces mesmes peres nous
enseignent, que le fils de Dieu par ces paroles
veut, que nous soyons des aigles, pour avoir
droit de nous assembler autour de son corps ;
et qu' ainsi cette faveur n' appartient, qu' aux
ames, qui ne rampent point sur la terre, qui ne
sont point attachées aux choses basses, qui
prennent leur vol vers le ciel, qui ont une veuë
assez penetrante, et des yeux assez perçans,
pour contempler fixement le soleil de justice,
et qui font paroistre par leurs actions, qu' elles
ont receu de l' esprit saint le renouvellement de
l' aigle.
Que si en ce dernier jour les corps des
bien-heureux ne se doivent eslever vers le ciel, pour
s' unir au corps glorieux du fils de Dieu qui
paroistra au milieu de l' air, qu' apres avoir esté
remplis de la gloire de leurs ames, qui se reüniront
avec eux : il est bien raisonnable (selon les
regles saintes de ces grands saints) que les
ames ne s' eslevent à cette haute communication
qui se fait avec Jesus-Christ, par la
communion de son corps glorieux, qu' estans
remplies du Saint Esprit, et d' une grande abondance
de grace ; ainsi qu' il a paru dans la premiere
communion, qui a suivy la descente du
p373
Saint Esprit, laquelle avoit osté aux apostres le
reste de leurs foiblesses, et leurs dernieres
imperfections.
C' est ce que l' eglise ancienne a tousjours
observé, n' ayant jamais donné l' eucharistie
aux baptisez, quoy qu' incorporez à Jesus-Christ
par le baptesme, qu' apres les avoir
establis dans la plenitude de la grace, par le
sacrement de confirmation.
Et de là nous pouvons comprendre la raison
de ce que nous cherchons, et entrer dans
la cause de ce retardement salutaire, dont tous
les peres ont usé envers ceux, qui avoient
perdu cette plenitude de grace, et qui estoient
tombez dans de plus grandes foiblesses, et de
plus grandes langueurs, que ne sont celles des
payens et des infidelles. Ils ont voulu leur
donner moyen de se reparer, et de se remettre, s' il
estoit possible, dans le premier estat par une
veritable penitence, et qui fust proportionnée
à la grandeur de leurs pechez. C' est pourquoy
ils leur remettent souvent devant les yeux ces
paroles divines de l' apocalypse ; souvenez-vous
d' où vous estes tombé, et faites penitence :
et lors qu' ils leur commandent avec Saint
Paul, de s' esprouver eux-mesmes avant que de
manger ce pain celeste, de peur de le manger
à leur condemnation, quoy qu' ils les obligent
de se presenter aux prestres, pour obtenir de
leur puissance la remission de leurs crimes, ils
p374
ne renferment pas neantmoins cette espreuve
de soy-mesme necessaire, pour s' approcher
dignement de l' eucharistie, dans les bornes d' une
simple confession ; mais ils l' establissent
principallement, dans l' obligation de se purifier par
des fruits dignes de penitence, avant que de
communier.
Jamais l' eglise n' a esté plus obligée de s' expliquer
sur cette matiere, que du temps de Saint
Cyprien. Un grand nombre de chrestiens, que
la fureur de la persecution avoit abbatus, desiroient
se relever de leur cheute, et demandoient
avec instance, d' estre receus par l' indulgence
de l' eglise à la participation des mysteres.
S' il n' y eust eu autre chose à faire, pour se
rendre digne de recevoir le corps et le sang de
Jesus-Christ, que de confesser leur crime,
et en recevoir aussi-tost l' absolution, il leur eust
esté bien aisé d' obtenir cette faveur.
Car on ne peut pas dire, que c' estoit la simple
apprehension de descouvrir leurs fautes, et
de se reconnoistre criminels, qui les portoit à se
precipiter dans des communions sacrileges, et
à s' asseoir impudemment à la table de
Jesus-Christ, avant que d' en avoir receu le
pouvoir de ses ministres, puis qu' ils employoient
publiquement l' intercession des martyrs, pour
obliger les evesques à leur faire grace, et qu' ainsi
ne faisant point de difficulté de se reconnoistre
coupables, ils demandoient simplement,
p375
qu' on les traittast avec indulgence.
Mais parce qu' ils connoissoient la fermeté
de l' eglise, à garder inviolablement les regles,
qu' elle avoit receuës des apostres pour la guerison
des ames ; parce qu' ils sçavoient qu' on ne
se contenteroit pas d' une simple confession de
leurs crimes, mais qu' on les obligeroit de les
expier par les exercices laborieux d' une longue
penitence, et que ce seroit leur faire beaucoup
de grace, que de les admettre à la mort, ou tout
au plus, apres un long espace de temps, à la
participation de l' eucharistie ; l' apprehension
de ce retardement ennuyeux, et des peines qu' il
falloit souffrir, pour meriter d' estre receus à la
saincte communion, les porta à se servir de
toutes sortes de moyens, pour se dispenser de
cette penitence austere, qui leur paroissoit
insupportable, et à exciter pour cela tant de
trouble et tant de tumulte.
Qu' est-ce que l' eglise pouvoit faire en cette
rencontre ? Si c' estoit le moyen de guerir les
ames, que de les traitter avec une douceur
facile, et une indulgence molle, y eut-il jamais
de plus juste sujet de le faire ? Ces saints
evesques qui brusloient d' ardeur et de zele pour
le salut de leur peuple, qui estoient prests tous
les jours à donner leur sang et leur vie pour la
conservation de la moindre ame de leur troupeau,
eussent-ils fait difficulté de se relascher
dans une chose qu' ils eussent creuë indifferente,
p376
ou peu necessaire, pour empescher la perte d' un
grand nombre d' ames, qui ne pouvoient
souffrir ce retardement de la saincte communion,
et qui menaçoient l' eglise de schisme, si elle
ne se rendoit plus facile à les recevoir dans son
sein, sans les obliger à de si longues, et de si
laborieuses penitences ?
Mais c' estoit cette mesme charité, que ces
grands saints avoient pour les ames, qui les
empeschoit d' estre indulgens à leur perte et à
leur ruïne, et de leur accorder le poison pernicieux
d' une communion precipitée. Ils avoient
infiniment plus de veritable pitié des pecheurs,
que nous n' en avons, mais ils ne se laissoient
pas emporter aux apparences vaines d' une
misericorde cruelle, qui les tuë au lieu de les
guerir. Et ils sçavoient avant que Saint Ambroise
l' eust escrit, (...).
Autant que leur coeur estoit tendre, pour
compatir aux veritables penitens : autant leur
esprit estoit ferme, pour maintenir les regles
p377
de l' evangile, contre ceux, qui refusoient d' entrer
dans les exercices de la penitence. Ils avoient
pour les premiers des entrailles de compassion ;
et un front d' airin, semblable à celuy du prophete,
contre les derniers. Et comme ils traittoient
les uns en peres tres-charitables, qui ne
tesmoignent jamais plus d' amour pour leurs
enfans, qu' en les chastiant pour les corriger de
leurs vices ; ils se croioient obligez de traitter
les autres en juges severes, et de demeurer
inflexibles à leurs injustes demandes.
C' est de ces mamelles d' amour, et de charité ,
que Saint Augustin a admirées dans Saint
Cyprien, et c' est en mesme temps de cette
vigueur toute celeste et toute divine, que partoient
ces belles paroles, que ce grand primat
d' Afrique escrit au Pape Corneille sur ce sujet.
Elles sont esgalement pleines d' une tendresse
vrayement amoureuse, et d' une force plus
qu' heroïque ; et elles ne ressentent pas moins
la douceur paternelle d' un saint evesque, que
le courage invincible d' un grand martyr. (...).
p378
Toute l' eglise romaine en corps ne parle
pas moins fortement dans une lettre, qu' elle
escrit à ce saint, sur le mesme sujet de ces
pecheurs, qui demandoient à estre receus à la
participation
p379
de l' eucharistie, avant que d' avoir
passé par une longue et austere penitence ;
(...).
Ainsi quelque instance que fissent ceux,
qui estoient tombez, pour estre receus à la
communion, sans estre obligez de faire
auparavant une longue penitence ; l' arrest, que
l' eglise prononça en cette rencontre, fut (...).
Saint Cyprien explique encore plus au long
cette ordonnance de l' eglise dans l' epistre à
Antonien ; (...).
p380
C' est en cette sorte que ces saints evesques,
ces dignes successeurs des apostres si bien
instruits de leurs maximes, et de leurs regles, ont
creu que tous ceux qui avoient commis des
crimes se devoient preparer à l' eucharistie, en
s' efforçant de les expier auparavant par une
satisfaction raisonnable. C' est l' espreuve qu' ils
ont estimé que l' apostre demandoit d' eux
pour ne point manger ce pain celeste à leur
condemnation.
Qu' on lise ce que le clergé de Rome et
Saint Cyprien en escrivent, et l' on trouvera
que soit qu' ils deplorent les sacrileges que les
pecheurs commettoient par cette aveugle passion
de retourner aussi-tost à la participation
p381
de l' eucharistie ; soit qu' ils se plaignent de la
temerité de quelques prestres, qui par une
fausse indulgence les poussoient dans ces
communions precipitées ; soit qu' ils avertissent les
martyrs de ne pas authoriser ces desordres par
leurs intercessions ; soit qu' ils determinent de
quelle sorte on se doit conduire en ces rencontres,
selon la pureté de l' evangile ; tout ce qu' ils
disent ne tend qu' à establir cét article de leur
doctrine, que ceux qui sont décheus de la
grace du baptesme ne doivent point pretendre à
l' eucharistie, qu' apres s' estre purifiez par les
exercices laborieux d' une longue penitence.
Ils reprochent à ces pecheurs de (...).
Ils declament fortement contre la hardiesse
de quelques prestres, qui par une facilité
inconsiderée
p382
vouloient dispenser ces pecheurs
des exercices de la penitence, et les remettre
aussi-tost dans la participation de l' eucharistie.
Ils les accusent (...).
Le clergé de Rome se plaint de la mesme
sorte de ces prestres indulgens, et ne represente
pas avec moins de force le tort extréme que les
p383
pecheurs reçoivent de leur malheureuse
complaisance. C' est dans une lettre qu' il escrit à
Saint Cyprien, où il parle en cette maniere de
ceux qui estoient tombez durant la persecution ;
(...).
Nous voyons encore par les remonstrances
que ces mesmes saints font aux martyrs, combien
ils jugeoient necessaire d' expier les crimes
par la penitence, avant que de se presenter
à l' eucharistie. Comme ceux qui estoient
demeurez victorieux dans la persecution
emploioient leur intercession et leurs prieres pour
le restablissement des vaincus ; l' eglise
romaine, et Saint Cyprien respondent à ces
requestes ; qu' il est raisonnable d' avoir esgard aux
requestes des martyrs ; (...).
p384
Or quelles estoient ces demandes des martyrs,
que ces saints pasteurs s' excusent de ne
pouvoir accomplir, pour ne les pas juger
conformes aux maximes de l' evangile, et aux
enseignemens de Jesus-Christ ? Est-ce
qu' ils desiroient qu' on donnast la communion
à ceux qui avoient renoncé à la foy, sans avoir
esté auparavant reconciliez par l' absolution
du prestre ? Le contraire se voit manifestement
par une lettre de l' un de ces confesseurs
qui se trouve entre celles de Saint Cyprien,
lequel declare, que leur intention estoit que
l' on accordast la paix et la communion à ceux
qu' ils auroient recommandez apres que les
evesques les auroient oüis, et qu' ils auroient
accomply cette ceremonie de l' eglise qu' ils
appelloient exomologese, et qui comprenoit
toutes les protestations et soumissions publiques,
dont les pecheurs se servoient pour tesmoigner
à la face de l' eglise le resentiment de
leur crime, et se disposer à en recevoir le
pardon par l' imposition des mains des prestres.
Et en effet, cette pensée eust elle pû venir
dans l' esprit de ces martyrs, de vouloir qu' on
p385
donnast l' eucharistie aux pecheurs sans les
absoudre auparavant comme si c' estoit une
grande peine que de recevoir l' absolution ? Mais
tout ce qu' ils demandoient, c' est que les
evesques en consideration de leurs merites,
dispensassent ceux pour lesquels ils intercedoient des
exercices penibles d' une longue et austere
penitence, et les admissent aussi-tost à la
communion. Et c' est ce que S Cyprien et toute
l' eglise de Rome declarent ne se pouvoir faire
(...).
Enfin si nous considerons les instructions
que ces grands saints donnent aux fidelles sur
ce sujet, et le soin qu' ils prennent d' apprendre
aux pecheurs (...) : je ne
sçay quel sera le coeur si endurcy ; quelle sera
l' ame si ennemie de la penitence, qui pourra
s' opposer à des conseils si utiles qu' ils
tesmoignent (...).
p387
Que si on respond qu' il s' agit dans ces lieux
de Saint Cyprien, et du clergé de Rome, de
ceux qui estoient tombez dans l' infidelité durant
la persecution, et qu' il n' y a point de ces
crimes en ce temps.
Il est aisé de faire voir la foiblesse de cette
response, comme nous en avons desja touché
quelque chose en un autre endroit. Car il est
indubitable par le tesmoignage du clergé de
Rome et de Saint Cyprien, que non seulement
ceux qui avoient renoncé publiquement
Jesus-Christ, ou qui avoient sacrifié,
ou mangé des viandes immolées aux idoles,
mais ceux mesmes qui s' estoient contentez
de donner de l' argent aux magistrats ; pour
tirer de certains billets qui faisoient croire qu' ils
avoient obey aux edits des empereurs, et qui
empeschoient qu' on ne les persecutast, estoient
mis au rang de ceux qui estoient tombez dans
l' infidelité, et que l' eglise les obligeoit à faire
penitence, comme les autres qui avoient
renoncé publiquement Jesus-Christ, quoy
qu' avec moins de rigueur.
Or Saint Cyprien dit dans l' epistre 52 à
Antonien, que les fornicateurs, et les adulteres
sont plus coupables, et obligez à une plus grande
penitence que ces personnes qui avoient
pris de ces billets, et qui pour cette raison
estoient appellez Libellatici ; et il conclud,
que puis que l' eglise reçoit les adulteres à la
p389
penitence, elle devoit à plus forte raison recevoir
ceux qui avoient pris des billets, n' ayant
pas eu assez de foy pour confesser publiquement
Jesus-Christ. (...).
Puis donc qu' il y a des crimes tres-ordinaires
en ce temps, comme la fornication et l' adultere,
pour lesquels l' eglise obligeoit à une
plus grande penitence, que pour l' infidelité,
lors qu' elle n' avoit esté que secrette, il s' ensuit
que l' eglise obligeoit à la mesme sorte de penitence
pour toutes sortes de pechez mortels, soit
qu' ils regardassent la foy, soit qu' ils regardassent
les moeurs ; et qu' ainsi il n' y a nulle raison
de pretendre, que ce que ces saints nous enseignent
de la necessité de la penitence, ne regarde
pas les pecheurs de ce temps, qui sont couverts
pour l' ordinaire d' un grand nombre de
crimes plus abominables devant Dieu, que ne
seroit le renoncement de la foy par la violence
des tourmens.
Dans ce mesme passage, il paroist par les
p390
mesmes lieux de Saint Paul qui y sont rapportez,
que la penitence est necessaire, non seulement
pour tous les pechez d' impudicité, comme
la fornication et l' adultere ; mais aussi pour
tous les pechez mortels, qui sont une espece
d' idolatrie selon l' apostre, parce que l' on y suit le
diable qui est le prince des pechez, et qui les
inspire. Et il est clair que Saint Cyprien l' entend
ainsi, et c' est le sentiment commun des peres.
Ce qui a fait dire à Saint Augustin cette belle
parole, (...).
De plus Saint Cyprien, dans cette mesme
epistre, dit en termes generaux que la penitence
est ordonnée de Dieu pour les pechez mortels
que l' on commet depuis le baptesme : (...).
p391
Le mesme saint dans l' epistre 14 aux prestres
et aux diacres de Carthage, parle de la
penitence laborieuse, et qui oblige aux larmes
et aux bonnes oeuvres, comme du remede
general qui reste aux pecheurs depuis le baptesme ;
(...).
Et dans l' epistre 55 au Pape Corneille, il
ne reconnoist que deux voyes pour arriver au
ciel, l' innocence et la penitence. D' où il
conclud que ceux qui ont perdu la sanctification
du baptesme, n' ont aucun moyen de se sauver,
s' ils ne s' efforcent de guerir leurs playes par une
satisfaction salutaire. (...).
p392
Enfin pour oster tout sujet de dispute ; ce
mesme saint declare en deux differens endroits,
que non seulement pour l' infidelité,
mais pour des pechez beaucoup moindres, et
qui n' estoient pas commis contre Dieu (c' est
à dire qui ne regardoient point en particulier
l' honneur et la gloire de Dieu, mais les moeurs
ou le prochain) l' on estoit obligé de faire
penitence durant un intervalle de temps
raisonnable, et qu' on n' estoit receu à
se presenter à la face de l' eglise, pour y donner
des preuves publiques de son repentir (ce qu' ils
appelloient exomologese) que selon le changement
de vie qu' on avoit fait paroistre durant
le cours de sa penitence, et qu' il falloit que
toutes ces choses eussent precedé avec l' imposition
des mains de l' evesque et de son clergé, avant
que d' avoir droict de communier.
Il doit donc demeurer pour indubitable,
qu' au temps de Saint Cyprien, selon le sentiment
et l' esprit de toute l' eglise (qui ne peut
estre divisée de l' eglise de ce temps que par les
seuls heretiques, et ne le peut estre sans
sacrilege et sans violer son unité) il faut estre
plusieurs jours en penitence avant que de
communier, lors qu' on a perdu par les pechez
mortels le droict qu' on avoit acquis par le baptesme
au corps au sang de Jesus-Christ. Et comme
p393
le clergé de Rome tesmoigne, qu' ils
avoient receu cette sainte discipline de la
doctrine des apostres, l' esprit de Dieu l' a fait
passer dans leurs successeurs ; estant tres-vray, que
si nous descendons plus bas dans la suitte de la
tradition ecclesiastique, nous ne trouverons
que le mesme esprit et les mesmes sentimens.
Pour le faire voir en peu de paroles, et sans
nous engager dans un grand discours, nous
n' avons qu' à produire pour toute l' eglise
d' orient cette voix publique et universelle qui
retentissoit dans toutes les liturgies au rapport
de Saint Jean Chrysostome, que ceux
qui sont en penitence sortent.
Et pour celle d' occident, cette doctrine si celebre
du plus grand de ses docteurs dans son
epistre à janvier, qui a esté tousjours suivie par
ceux qui sont venus depuis, comme une maxime
indubitable ; que lors que nous avons
commis des pechez mortels, nous devons estre
separez du saint autel par l' autorité de
l' evesque ou du prestre, et n' y retourner que par
la mesme autorité de l' evesque ou du prestre,
parce que c' est recevoir indignement l' eucharistie,
que la recevoir au temps où l' on doit
faire penitence.
Il est clair, par ces deux tesmoignages si
certains et si authentiques, que selon la doctrine
de l' eglise, que les peres nous enseignent,
lors qu' un homme s' est rendu indigne de l' eucharistie,
p394
en commettant quelque crime, comme
une fornication, un adultere, un larcin,
un blaspheme, ou quelque autre de ces pechez
que l' apostre nous asseure meriter l' exclusion
du royaume de Dieu ; il doit y avoir un espace
de temps raisonnable, durant lequel il fasse
penitence, et durant lequel il communieroit
indignement, s' il communioit. Or cét espace
de temps ne se doit point prendre avant la
confession, puis que selon la doctrine constante et
indubitable de l' eglise, le pecheur est obligé
de confesser ses pechez au prestre pour en faire
penitence par son ordonnance ; et pour recevoir
de luy l' ordre de la satisfaction, comme
Saint Augustin parle : les exercices de la
penitence n' ayans proprement le pouvoir d' effacer
les pechez, selon l' excellente parole de S
Gregoire ; que lors que nous nous y sommes soûmis
par le jugement du prestre, lequel apres avoir
examiné les actions du pecheur qui confesse
ses offenses, luy impose la peine et l' affliction
de la penitence, selon la qualité de ses crimes :
et par consequent il est clair que pour suivre
l' esprit des peres, un homme qui a commis des
pechez mortels, doit premierement s' en
confesser, et puis en faire une bonne et solide
penitence avant que de se presenter à l' eucharistie.
PARTIE 2 CHAPITRE 14
p395
ce que c' est que faire penitence
selon les peres : où l' erreur des heretiques de
nostre temps, touchant l' explication du mot de
penitence est refutée.
mais pour bien comprendre cette
doctrine des peres, que nous venons
d' expliquer, touchant l' obligation qu' ils
ont imposée aux pecheurs, de faire penitence
avant que de communier ; il est besoin de sçavoir
ce qu' ils ont entendu par le mot de penitence.
Car il ne se faut pas tromper dans l' explication
de ce mot, et s' imaginer, comme les
heretiques font, qu' il n' enferme qu' un simple
repentir, et un simple dessein de quitter son
peché, et de mieux vivre à l' advenir.
Tous nos controversistes leur monstrent
fort bien, que dans l' usage perpetuel de l' escriture
et des peres, le mot de penitence marque
la peine dont nous devons chastier nos propres
pechez, et comprend en mesme temps le
regret et la douleur interieure du coeur, et les
mortifications exterieures, qui en doivent
naistre, comme des branches de leur racine ; et que
l' escriture sainte exprime d' ordinaire par le sac
et par la cendre, par les jeusnes, par les larmes,
et par les gemissemens, dont elle parle si souvent,
lors qu' elle parle de la penitence.
C' est pourquoy il ne faut point que les
pecheurs se flattent, en disant, qu' ils ont dans le
p396
coeur la penitence interieure, s' ils ne la
tesmoignent par des actions exterieures, à moins
qu' elles leur fussent impossibles, et que quelque
chose, qui ne dependist pas d' eux, les en
empeschast. Une source ne peut estre vive,
qu' elle ne respande ses eaux au dehors ; et il n' y
a point de bons arbres, selon l' evangile, que
ceux qui portent de bon fruict. Comme il n' est
point de vraye foy sans confession, ny de vraye
charité sans oeuvres, il n' est point aussi de
vraye penitence sans satisfaction. Et toute
penitence estant un jugement, que l' homme
exerce envers soy-mesme, pour prevenir celuy
de Dieu (comme disent les peres) il est
manifeste, que ce jugement ne peut estre veritable
et juste, s' il ne produit punition contre le coupable,
c' est à dire contre le pecheur, laquelle
punition consiste dans les mortifications, et les
afflictions volontaires des penitens.
(...).
p398
Demandez à Saint Pacien, quelles sont à
proprement parler, les actions d' un penitent ;
et il vous respondra en peu de paroles, mais
puissantes, et pleines d' un grand sens, (...).
Demandez à Saint Hierosme quels doivent
estre les sentimens d' un penitent ; et il vous
respondra, (...).
Demandez à Saint Augustin, ce que c' est
que faire penitence ; et il vous respondra, (...).
Demandez à Saint Caesarius archevesque
d' Arles, ce que c' est que faire penitence ; et il
vous respondra, (...).
p399
Demandez au grand Saint Gregoire, si c' est
assez pour faire penitence de confesser ses
pechez, et mesme de ne les plus commettre à
l' avenir, sans se mettre en peine de les expier
par une pleine satisfaction ; et il vous respondra,
(...).
p400
Demandez à Saint Isidore evesque de
Seville, ce que c' est que faire penitence ; et il
vous respondra, (...).
Enfin demandez au venerable Bede, ce
que c' est que faire penitence ; et il vous
respondra, (...).
p401
Ainsi nous voyons que tous les peres condemnent
cette fausse persuasion de Luther,
que la penitence ne consiste que dans le
changement de la vie, et establissent tous ce point
important de la doctrine catholique, que
faire penitence, c' est expier ses pechez par une
satisfaction salutaire ; c' est les laver dans l' eau
de ses larmes ; c' est en arracher le pardon de
Dieu par les gemissemens et par les soûpirs ;
c' est les racheter par les aumosnes, c' est les
couvrir par les bonnes oeuvres, afin qu' ils ne nous
soient point imputez ; c' est les effacer par les
jeusnes ; c' est les mortifier par la mortification
de nostre chair. Et par consequent, puis que
selon le sentiment universel des mesmes peres,
tout homme qui a commis des pechez mortels
ne se doit point approcher de l' eucharistie,
qu' apres avoir passé par la penitence, et que
c' est communier indignement, que de communier
au temps où l' on doit faire penitence ;
je laisse à penser quelle doit estre l' ignorance
avec laquelle vous asseurez, que ce n' a jamais
esté la pratique de l' eglise, que l' on fust
plusieurs jours à faire penitence pour des pechez
mortels avant que de communier : et quelle
peut estre la hardiesse avec laquelle vous osez
p402
condemner de temerité, ceux qui touchez
vivement du ressentiment de leurs fautes ; et à
qui Dieu ayant inspiré un desir pressant de
reparer la perte de leur baptesme, voudroient
prendre quelque temps à se purifier par les
exercices de la penitence, avant que de se
presenter à des mysteres si saints et si redoutables.
Je sçay bien que Calvin a eu l' effronterie
d' accuser tous les peres en ce point, d' une
humeur austere, et d' une insupportable rigueur.
Mais ce seroit une chose bien estrange, qu' il
se trouvast des catholiques, qui voulussent
participer à l' insolence de cét heresiarche, ou
plûtost à cette impieté, qui ne tend qu' à faire
croire, que toute l' eglise, durant tant de
siecles, et dans son âge le plus florissant, a ignoré
la veritable maniere de ramener les ames à
Dieu, et qu' elles les a traittées en marastre
plûtost qu' en mere, en les obligeant à une infinité
de peines, qui n' estoient en aucune sorte
necessaires pour leur guerison, et les privant
durant tant de temps des consolations, et des
graces qu' elles auroient pû recevoir en recevant
l' eucharistie.
Cette pensée ne sçauroit tomber dans l' esprit
d' un homme sage ; et ce seroit une vanité
bien extravagante, que de se persuader, que
ces grands docteurs de l' eglise si remplis de
l' esprit de Dieu, et de la science des saints,
auroient eu ou moins de connoissance que
p403
nous de la grandeur infinie de la misericorde
divine ; ou moins de zele et de charité, pour
avancer la guerison de leurs freres ; ou moins
de lumiere pour regler ce zele. Mais parce qu' ils
avoient tousjours devant les yeux ce commandement
exprés de leur maistre ; de ne point
donner le saint aux chiens, ils croyoient, que
pour traitter les pecheurs avec une douceur
legitime, et une misericorde raisonnable, il
falloit qu' elle fust conforme à la parole de Dieu,
suivant cette priere du prophete roy, (...).
p404
Ce n' est donc pas estre severe envers les pecheurs,
c' est les traitter avec une misericorde
salutaire, et une douceur conforme à la parole de
Dieu, que de les faire soûpirer quelque temps
dans l' attente de l' eucharistie, pour les y mieux
disposer par les exercices de la penitence.
C' est pourquoy pour achever ce discours, je
n' ay qu' à rapporter encore une fois le jugement
que Saint Ambroise fait de ces pecheurs
precipitez, qui ne peuvent souffrir, que l' on les
separe pour quelque temps de l' eucharistie, comme
d' une viande trop forte pour leur ame encore
foible et languissante. (...).
PARTIE 2 CHAPITRE 15
p405
response à une objection qu' on
peut faire contre la doctrine des peres, touchant
l' accomplissement de la penitence avant la
communion : qu' ils donnoient l' eucharistie à ceux
qui la demandoient à la mort, sans avoir fait
aucune penitence de leurs pechez. Où il est aussi
parlé du sentiment des peres, touchant la penitence
à la mort.
je ne voy rien qu' on puisse opposer
avec quelque apparence de
raison à cette doctrine constante
et universelle des peres, touchant
l' obligation de se purifier des
pechez mortels, par la satisfaction de la penitence,
avant que de se presenter à l' eucharistie ;
si ce n' est peut-estre qu' ils la donnoient à ceux
qui la demandoient à la mort, quoy qu' ils
n' eussent fait durant leur vie aucune penitence
p406
de leurs pechez : d' où il semble qu' on pourroit
conclure, qu' ils ne croyoient donc pas qu' il fust
absolument necessaire de faire penitence avant
que de communier.
Mais tout ce que monstre cette objection,
c' est qu' il n' y a point de regle si generalle qui ne
soit sujette à quelques exceptions ; ny de loy si
juste que l' equité ne tempere ; ny de prattique si
sainte, dont la prudence chrestienne ne nous
oblige quelquesfois de nous départir. Et c' est
ce que nous avoüons tres-librement, reconnoissant
qu' il peut y avoir des occasions, où selon
l' esprit mesme des saints peres, on peut
absoudre et communier un pecheur, sans l' avoir
fait passer auparavant par les exercices de la
penitence ; et que ce soit une grande erreur de
soustenir le contraire, et de condemner generallement
toutes les absolutions et communions,
qui precedent l' accomplissement de la
satisfaction. Et c' est qu' on a eu raison de
censurer dans un certain petrus oxomensis ,
principalement estant joint avec beaucoup de
grandes erreurs, que ce docteur espagnol avoit
avancées dans le mesme livre, et qui alloient à
un entier renversement du sacrement de
penitence.
Mais ne s' agissant presentement que de
nous asseurer des veritables sentimens des peres,
il est tres-important pour cela, de distinguer la
regle generale, des exceptions particulieres ; la
p407
loy, de la condescendance ; la pratique
commune et ordinaire, des dispenses extraordinaires
et singulieres.
Nous avons fait voir par un grand nombre
de preuves indubitables, que tous les peres ont
creu, que ceux qui avoient soüillé la robbe
blanche de leur baptesme par le peché mortel,
ne se devoient point approcher de la table du
seigneur, pour se nourrir de la chair divine
de l' agneau sans tache, qu' apres s' estre
long-temps purifiez par les exercices de la penitence.
Voila leur doctrine constante et universelle.
Ce qu' on objecte au contraire, que dans
l' impossibilité d' observer cette saincte
discipline, et lors que les pecheurs se trouvoient
en extremité de maladie, et n' estoient plus en estat
de pouvoir faire penitence, l' eglise ne laissoit
pas de leur donner la communion pour viatique,
ne sert qu' à nous asseurer davantage du
sentiment de ces grands saints, et à nous faire
voir combien ils ont estimé cette pratique
salutaire, puis qu' ils la gardoient inviolablement
tant qu' ils pouvoient, et qu' ils ne s' en departoient
jamais, que dans l' extréme necessité, et
lors qu' il leur estoit impossible de l' observer.
Mais pour faire encore mieux comprendre
la foiblesse de cette objection ; il ne suffit pas
de dire que les peres ont accordé la communion
aux mourans qui n' avoient point fait
p408
penitence de leurs pechez durant leur vie ; il
est necessaire de rechercher avec quel esprit ils
l' ont fait, et quelle opinion ils ont euë de ces
reconciliations precipitées, qui n' avoient point
esté precedées par des fruits de penitence.
L' eglise a tousjours fait si peu d' estat de ces
conversions à la mort, que plus de trois cens
ans durant, elle a refusé d' employer l' autorité
de son ministere, et la puissance qu' elle a receuë
de Jesus-Christ de reconcilier les
pecheurs, envers ceux qui ne l' imploroient qu' à
la derniere heure, apres avoir passé toute leur
vie dans les desordres, et dans les vices. Lors
mesme qu' elle s' opposoit avec plus de zele à la
rigueur inhumaine des novatiens, qui par un
excez de severetité (comme l' esprit de l' heresie
porte tousjours aux extremitez) vouloient
ravir aux pecheurs toute esperance d' estre remis
dans la communion des fidelles, et que cette
opposition la portoit à tesmoigner plus de
tendresse et de compassion envers tous ceux qui
s' efforçoient à se relever de leurs cheutes ; elle a
neantmoins excepté de cette indulgence generalle,
qu' elle promettoit aux plus criminels,
ceux qui ne la demandoient qu' estans pressez
par la maladie, lors qu' ils n' estoient plus en
estat de satisfaire pour leurs pechez.
C' est ce que Saint Cyprien nous apprend
dans la lettre à Antonien : où, quoy qu' il
combatte de toute ses forces la dureté impitoyable
p409
de ces heretiques envers les pecheurs,
et qu' il employe toute son eloquence pour
faire voir qu' on ne leur doit pas fermer tout à fait
les entrailles de la misericorde de l' eglise, et
leur oster toute esperance de pardon ; il declare
toutesfois, que l' eglise avoit jugé que ceux-là
s' estoient rendus indignes de cette grace, qui
attendoient à la demander au dernier moment
de leur vie, et qui desiroient recevoir en cette
extremité, la remission de leurs crimes, qu' ils ne
pouvoient plus expier par la penitence. (...).
Le premier concile d' Arles, qui fut tenu
au commancement du quatriesme siecle, par
un grand nombre de grands evesques, de toutes
les provinces de l' occident, que l' empereur
Constantin avoit fait assembler, pour
p410
estouffer le schisme des donatistes ; ordonne
la mesme chose contre les deserteurs de la foy,
qui n' ayans point fait penitence de leurs
crimes durant leur vie, demanderoient à la mort
d' estre reconciliez par le ministere de l' eglise,
et receus à la saincte communion. Il defend
de leur accorder cette grace, si ce n' est qu' ils
reviennent en santé, et qu' ils fassent des fruicts
dignes de penitence. C' est l' ordonnance
expresse du dernier canon de ce concile celebre.
(...).
Nous voyons encore, qu' environ cent ans
depuis ce concile, Saint Exupere archevesque
de Thoulouse, consulte le Pape Innocent I,
comme d' une chose douteuse : de quelle maniere
on doit traitter ceux, qui ayans passé toute
leur vie dans l' incontinence, demandent à
l' heure de la mort, la penitence, et la reconciliation
en mesme temps. Et la responce que ce
pape luy fait sur ce point, confirme ce que nous
venons de dire, (...) ; c' est à dire, qu' on se
contentoit de leur imposer la penitence qu' ils devoient
p411
faire pour expier leurs offenses, si Dieu
leur faisoit la grace de retourner en santé. (...).
Mais quoy que l' eglise se soit relaschee
depuis, de cette premiere discipline, qu' elle avoit
observee long temps envers ces pecheurs, et
qu' elle leur ait fait cette grace de leur accorder
à l' article de la mort l' absolution et
l' eucharistie, dont ils s' estoient rendus indignes,
pour ne s' y estre pas disposez durant la santé, par des
fruicts de penitence ; elle est neanmoins tousjours
demeuree dans ce sentiment, qu' il y avoit
peu d' asseurance dans ces reconciliations
precipitees, et que si elle se trouvoit forcee en cette
extremité de leur accorder la communion,
sans les y avoir preparez auparavant par une
satisfaction salutaire, comme elle faisoit en
toute autre rencontre ; ce n' estoit qu' en
laissant à la misericorde de Dieu, d' en ordonner
ce qu' il luy plairoit, et sans leur pouvoir
donner aucune esperance certaine, que Jesus-Christ
ratiffieroit dans le ciel, ce que ses
p412
ministres n' avoient fait dans la terre, que par
necessité, et comme par force.
C' est ainsi que les peres parlent de ces
conversions à la mort, et c' est l' advis que le plus
grand de tous les docteurs de l' eglise donne
à son peuple, avec des paroles qui ne sont pas
moins remplies de consolation pour les
veritables penitens, que de frayeur et d' estonnement
pour ceux qui abusans de la bonté de
Dieu, different de jour en jour de faire
penitence de leurs crimes. (...).
p414
Il est donc vray, que les pecheurs se trouvants
en extremité de maladie, et dans l' impossibilité
de satisfaire à la justice divine par des
fruicts de penitence, l' eglise n' a pas laissé
depuis le quatriesme siecle, de les admettre à la
reconciliation, et à la participation des mysteres.
Mais afin de pouvoir juger quelle consequence
on doit tirer de cette pratique, ou plustost
de cette dispense de la pratique generale,
et universelle, qui defendoit de communier
les pecheurs qu' aprés l' accomplissement de
leur penitence ; il est necessaire d' adjouster, ce
que les peres nous enseignent, qu' elle l' a fait
dans cette pensee, qu' il estoit fort incertain, si
cette reconciliation leur serviroit devant Dieu,
et que c' estoit tromper les ames, que de les
asseurer du pardon qu' elles auroient receu par
cette voye : comme au contraire, elles avoient
tout sujet de bien esperer de la bonté de Dieu,
si elles ne recherchoient la reconciliation,
qu' apres s' en estre renduës dignes par une veritable
et solide penitence.
Apres cela, se trouvera-t' il des personnes si
ennemies de leur bien, qui dans une affaire de
cette importance, et où il s' agit d' une eterni
de bon-heur, ou de mal-heur, ne preferent pas
le certain à l' incertain ? Qui n' ayment pas
mieux souffrir quelque chose en ce monde,
pour l' expiation de leurs offences, que de
demeurer en danger de souffrir eternellement en
l' autre ? Et qui ne choisissent pas plustost cette
image de damnation, en se separant pour quelque
p415
temps du corps de Jesus-Christ, que
d' estre au hazard, en s' en voulant approcher trop
tost, et ne pouvant endurer cette humiliation,
de s' en voir separez pour jamais par
l' excommunication funeste du souverain juge ?
Mais afin de mieux comprendre que la
defiance que les peres avoient de ces conversions
à la mort, procedoit principalement de ce
qu' elles n' estoient pas accompagnees des fruits
de penitence : nous n' avons qu' à ecouter ce
que le mesme Saint Augustin dit en un autre
sermon. (...).
p416
Fauste evesque de Riez, parle de la mesme
sorte, et encore plus fortement, lors qu' estant
interrogé, quel jugement on devoit porter de
ces conversions à la mort ; il respond en cette
maniere ; (ne considerant que ce qui arrive
ordinairement, et non pas ce que la misericorde
de Dieu peut faire extraordinairement en faveur
de qui bon luy semble.) (...).
p418
Combien ces paroles, et celles de Saint Augustin
seroient-elles plus puissantes contre ces
pecheurs indiscrets, qui ayans offensé Dieu
par de grands crimes, refusent de luy satisfaire
par des actions de penitence, se persuadans
qu' il ne faut que raconter à un prestre toutes
leurs abominations, pour en estre quittes
devant Dieu ? Si les peres ont creu, qu' un homme
mourant qui se veut convertir à Dieu, est en
danger de son salut, parce qu' il n' est guere
capable de faire une veritable penitence de ses
pechez, n' estant plus capable de faire les oeuvres
de satisfaction qui servent à les effacer ; (...).
Qu' eussent-ils dit de ceux, qui apres avoir violé la grace
de leur baptesme par un grand nombre de crimes,
pretendent se reconcilier avec Dieu, sans
en faire penitence, la pouvans faire ; et ne
refusans de la faire que par esprit d' impenitence ?
Si l' impuissance, où un malade se trouve
de satisfaire à la justice divine, n' empesche pas,
selon la doctrine de l' antiquité, que ce defaut
de satisfaction ne rende sa penitence suspecte, et
son salut peu asseuré ; ceux qui tombent
volontairement dans ce mesme defaut, et qui
n' ont aucun soin de pleurer leurs pechez, de
les expier par les mortifications et les
retranchemens des plaisirs, et de les rachepter par les
bonnes oeuvres, peuvent-ils prendre les peres
p419
pour garands d' une negligence si dangereuse,
et s' appuier sur la discipline qu' ils observoient
envers les mourans ?
Car encore en un malade, il se peut faire
que Dieu par une faveur singuliere, verse dans
son ame une grace si abondante, que la plenitude
de la volonté supplée à l' impuissance
d' agir : ce qui fait dire à Saint Cesarius, (...).
Mais si cela n' empesche pas que les peres n' ayent
beaucoup douté du salut de ces personnes, qui
ne retournoient à Dieu qu' à la mort, parce que
la plenitude du coeur ne se reconnoist, que dans
les occasions, et par les oeuvres ; et qu' ainsi
pour s' asseurer de la conversion d' un homme,
(...) : quelle excuse peut apporter
de sa lascheté et de son impenitence, celuy
qui se portant bien refuse de faire ce qu' il peut
pour reparer ses desordres par les exercices de la
penitence ? Et comment peut-t' il pretendre
p420
qu' il en a les mouvemens dans le coeur, puis
que ses actions dementent ses paroles, et qu' il
est impossible que la vraye penitence interieure
ne porte le penitent à faire, lors qu' il le peut,
des actions exterieures de penitence, comme
il est impossible qu' une racine soit vivante, et
qu' elle ne pousse dans le temps, et dans la saison
des fruits et des feüilles ?
Mais enfin pour faire encore mieux voir
le peu d' estat que l' eglise faisoit de ces
absolutions, et de ces communions qui n' avoient
point esté precedées par des fruits de penitence ;
lors qu' il arrivoit que ceux, qui les avoient
receuës de cette sorte en extremité de maladie,
revenoient en santé, elle n' avoit non plus
d' esgard à tout ce qui s' estoit passé, que s' il n' eust
jamais esté : elle ne les consideroit point comme
des personnes reconciliées, ne contant pour
rien une reconciliation qu' elle n' avoit accordée
que par force, et contre l' ordre de ses saintes
loix : elle ne les regardoit, que comme des
pecheurs qui avoient besoin de flechir Dieu
par les exercices de penitence : elle ne mettoit
point de difference entr' elles, et le reste des
penitens qui n' avoient point encore receu la
remission de leurs pechez : elle les obligeoit comme
les autres, d' effacer leurs crimes par l' abondance
de leurs larmes, de demeurer long-temps separez
du corps du fils de Dieu, comme indignes
d' y participer, (...).
p421
Les conciles y sont formels : mais sur tout,
ce que le premier d' Orange, et le quatriesme
de Cartage en disent, merite une particuliere
attention. (...). Ce qui nous monstre clairement, que
selon les peres, la communion que les pecheurs
reçoivent avant que d' avoir fait des fruicts
dignes de penitence, n' est pas tant une communion
legitime, c' est à dire conforme aux loix
et au veritable esprit de l' eglise, qu' une
communion forcee, une communion qu' elle ne
donne que par condescendence, par necessité,
et par contrainte, et qu' elle n' accorderoit point,
si elle agissoit dans une pleine et entiere liberté.
Le concile quatriesme de Carthage, apres
avoir ordonné, qu' on donneroit l' absolution
et la communion à celuy qui auroit demandé
penitence en extremité de maladie, adjouste, (...).
p422
D' où nous apprenons la raison, pourquoy
quelque malade que fust un homme, et
dans quelque impuissance qu' il se trouvast de
faire des actions de penitence, il ne laissoit pas
de demander penitence, et on ne laissoit pas de
la luy imposer, afin de luy remettre dans l' esprit
la peine et le chastiment que ses pechez meritoient,
et l' obligation qu' il avoit de les effacer
par une satisfaction salutaire, s' il plaisoit à la
bonté divine de luy faire tant de grace, que de
luy en donner le temps, et le moyen, en luy
prolongeant la vie.
Car les peres n' avoient garde d' estre de
l' opinion de ceux qui croyent aujourd' huy, que la
plus grande faveur que Dieu puisse faire à une
personne, c' est de la preserver de mort subite,
et de luy laisser jusques à la fin, l' usage libre de
la raison et du jugement ; se persuadans que
tous ceux qui reçoivent l' absolution à la mort
avec quelque reconnoissance de leurs pechez,
et quelques protestations de vouloir estre à
Dieu, sont asseurement sauvez, quelque mauvaise
qu' ait esté leur vie. D' où vient qu' ils
croient qu' il n' y a point de lieu, d' où l' on monte
si facilement au ciel, que d' une potence, ou
d' un echafaut. Ces grands saints estoient si
eloignez de cette pensee, que Saint Augustin
p423
estant interrogé par un gouverneur d' Afrique
nommé Macedonius, pourquoy les evesques
qui devoient estre bien aises de la punition des
crimes, avoient tant de soin d' interceder pour
les criminels, et d' empescher qu' on ne les
punist de mort ; la principale raison qu' il apporte
de cette saincte coustume ; c' est que la chari
les obligeoit d' avoir soin du salut de ces
miserables, et de prolonger le temps de leur vie,
afin qu' ils eussent le loisir de se corriger de leurs
vices, et de satisfaire par la penitence à la
justice divine, qu' ils avoient offensée par leurs
crimes. (...).
Si c' est un ouvrage si facile, et qui ait besoin
de si peu de temps, que de ramener une ame
à Dieu apres de grands, et de longs desordres ;
p424
et si l' une des voyes les plus asseurees pour
aller en paradis, est de recevoir de la main d' un
bourreau le chastiment de ses crimes ; tout ce
que Saint Augustin apporte pour justifier
l' eglise dans le soin qu' elle emploioit pour sauver
la vie aux criminels, tombe par terre ; et ce
gouverneur d' Afrique luy pouvoit respondre
avec raison : que le zele des evesques pour le
salut des ames estoit tres loüable, mais qu' il
n' estoit point besoin pour cela de troubler l' ordre
de la justice, et d' empescher que les princes à
qui Dieu a mis l' espee entre les mains pour estre
ministres de sa vangeance contre les meschans,
ne fissent leur charge, puis qu' il ne falloit que
trois ou quatre heures pour disposer les coupables
à la mort, et les faire passer de la honte du
supplice à une gloire eternelle. Certes cette
responce eust esté sans repartie, si les maximes des
peres sur ce poinct, eussent esté conformes aux
nostres.
Mais pour faire voir encore qu' elles estoient
bien differentes, et qu' ils jugeoient que c' estoit
une chose tres-rare et tres-difficile, qu' une
personne revinst à Dieu apres de grands dereglemens,
sans faire une bonne et solide penitence
durant une espace de temps raisonnable,
(...), comme Saint Cyprien dit si souvent ;
je croy devoir rapporter icy une histoire
que Ruffin raconte dans les vies des peres, qui
me semble merveilleuse pour le sujet dont nous
p425
parlons. Un solitaire de la Thebaïde qui n' avoit
pas vescu purement comme les autres, estant à
l' article de la mort, fut agité violemment par les
remords de sa conscience. Il supplia le S Abbé
Mutius, de prier Dieu qu' il luy rendist la santé,
afin qu' il eust un peu de temps pour corriger sa
vie, et faire penitence de ses pechez. Mutius luy
respondit, qu' il estoit bien tard, qu' il devoit
l' avoir faite auparavant. Neantmoins il prie, et luy
dit que Dieu luy donnoit encore un peu de
temps pour vivre, et pour pleurer ses pechez,
et que ce temps estoit de trois ans. Apres ces
paroles, il luy prend la main, le fait sortir du lit,
l' emmene dans le desert, et apres luy avoir fait
passer ces trois ans dans un exercice continuel de
penitence, il le ramene au mesme lieu d' où il
l' avoit pris, où plusieurs solitaires s' estans
assemblez, et ce s. Abbé ayant pris occasion de leur
faire un discours des fruits et de l' utilité de la
penitence, ce religieux entra comme dans un
sommeil, et rendit ainsi l' esprit entre les bras de ses
freres. C' est Dieu mesme qui parle dans cette
histoire, et qui confirme par des miracles, qui
sont le langage par lequel il se fait mieux
entendre, ces deux grandes veritez que tous les peres
nous apprennent ; l' une, qu' il est bien dangereux
d' attendre à la mort à se convertir, et qu' il
est bien tard de penser à satisfaire à sa justice,
lors qu' il nous appelle pour luy rendre compte :
et l' autre, qu' en mettant à part quelques rencontres
p426
singulieres, où il fait paroistre les effets
d' une bonté infinie, il faut pour l' ordinaire plus
que des momens, et des heures, pour payer les
debtes de plusieurs années ; qu' il est besoin de
gemir et de pleurer long-temps, pour de longs
desordres, et de guerir par de longs remedes des
playes profondes et enracinées.
Ainsi nous voyons que l' objection que l' on
tire de la reconciliation des mourans, pour
affoiblir la doctrine des peres, touchant l' obligation
de faire penitence des pechez mortels avant
que de communier, est ce qui la confirme le plus.
Premierement, parce que ce n' estoit qu' une
exception de la regle generalle, et qui par consequent
servoit à l' autoriser. Secondement, par le
peu d' asseurance qu' ils trouvoient dans cette
maniere de reconcilier les hommes, dont la
necessité les obligeoit de se servir, contre leur
premier dessein, et le veritable esprit de l' eglise.
Et en dernier lieu, par l' obligation qu' ils
imposoient à tous ceux qui ayans esté reconciliez de
cette sorte, retournoient en santé, de renoncer,
pour dire ainsi, à cette reconciliation, en se
rangeant au nombre des penitens, et ne s' attendant
à rentrer dans la participation legitime des
mysteres, qu' apres avoir donné des preuves
d' une veritable conversion par les fruits necessaires
de la penitence, (...).
PARTIE 2 CHAPITRE 16
p427
response à une autre objection.
que ceux qu' on laisseroit en penitence, selon les
peres, seroient en danger de leur salut, s' ils
mouroient en cét estat, avant que
d' estre absous.
avant que de conclure ce long
discours de la doctrine des peres,
touchant la penitence, il faut que
je responde à une autre objection
plus populaire, et qui tombe aysément
dans l' esprit des gens du monde, parce
qu' ils considerent fort peu la gloire de Dieu,
et mesurent toutes choses par leurs propres
interests. Si l' on me differoit (disent-t' ils)
l' absolution pour me laisser en penitence, et que
je mourusse en cét estat, je serois en danger de
perir eternellement.
Je pourrois mespriser cette objection, en
respondant en un mot, que tous les peres qui
avoient pour le moins autant de zele que nous,
pour le salut des ames, l' ont mesprisée ; puis
que nonobstant cette crainte, qu' ils pouvoient
avoir, aussi bien que nous, de laisser mourir des
hommes sans absolution, (...), comme le Cardinal
Bellarmin le reconnoist.
p428
Que de nostre temps mesme le grand
Saint Charles n' y a eu aucun esgard ; puis qu' il a
ordonné aux prestres de differer l' absolution
en une infinité de rencontres, ainsi que nous
ferons voir en son lieu. Et qu' en fin les casuistes
mesmes demeurans d' accord, que le confesseur
peut toutes les fois qu' il le trouve à
propos obliger son penitent d' accomplir sa
penitence avant que d' estre absous, ils monstrent
assez le peu d' estat qu' ils font de ce vain
pretexte, dont tous les pecheurs se pourroient
servir pour devenir juges de leurs juges, et les
contraindre de ne pas differer d' un seul
moment la sentence de leur reconciliation.
Je ne veux pas neantmoins en demeurer là :
mais pour découvrir pleinement combien
cette pensée est déraisonnable en effet, quelque
raisonnable qu' elle paroisse d' abord ; considerons
premierement, qui sont ceux qui tesmoignent
cette apprehension. En second lieu, qui
sont ceux à qui ils la tesmoignent, et qu' ils
veulent destourner par ce moyen de faire leur
charge. Et en dernier lieu, le fondement et le sujet
de cette apprehension, et le jugement que l' on
doit faire, selon les peres, de ceux qui meurent
en l' estat dans lequel ils craignent de mourir,
c' est à dire, durant le cours de leur penitence,
avant que d' avoir receu l' absolution par le
ministere du prestre.
Je dis donc en premier lieu, que si nous examinons,
p429
qui sont ceux qui ne peuvent souffrir
qu' on les oblige de pleurer leurs pechez
durant quelque temps avant que de leur en
accorder le pardon, et qui opposent à cette sainte
discipline, la crainte, qu' ils disent avoir, de
mourir sans estre absous ; nous trouverons,
que pour la plus grande partie, ce sont des
personnes qui vivans dans le desordre, et dans le
vice, ne pensent que trois ou quatre fois
l' année qu' il y a un paradis et un enfer, lors que
quelque grande feste les oblige par bien-seance
à se confesser de leurs pechez ; ausquels ils
retournent huict jours apres, et souvent encore
plûtost. Et des gens de cette sorte seront receus
à nous venir dire, lors qu' on les exhortera de
fléchir la misericorde de Dieu par leurs prieres,
et par leurs larmes, avant que de se croire dignes
de rentrer en sa grace, qu' ils ne peuvent souffrir
ce delay, parce qu' ils craignent de mourir en
mauvais estat ?
Miserables que vous estes ! Il y a dix ans, il y a
vingt ans, plus ou moins, que vous menez une
vie toute payenne, et pareille à celle de ce
mauvais serviteur de l' evangile, qui ne pense
point au retour de son maistre : vous vivez en
asseurance au milieu des desordres, et des
vices : la frayeur des jugemens de Dieu ne
trouble point la jouïssance de vos passions
criminelles : vous estes semblable à celuy, dont
l' escriture dit, (...) :
p430
et aujourdhuy, parce qu' on
vous parle de rentrer dans la reconnoissance de
vos crimes ; de prendre du temps pour les
pleurer, et pour attirer sur vous la misericorde de
Dieu, par l' exercice des bonnes oeuvres ; vous
ne pouvez endurer d' estre traitté de la sorte,
parce que vous apprehendez de mourir sans
estre absous ? Qui ne voit que cette crainte
pretenduë ; n' est qu' une illusion et une chimere ?
Que ce n' est qu' un artifice du diable, pour
empescher les hommes de revenir veritablement
à Dieu, par l' unique voye qui les y peut ramener,
qui est celle de la penitence, et de sortir,
non seulement en apparence, et aux yeux des
hommes, mais veritablement, et aux yeux de
Dieu, de l' estat funeste où il les tient engagez ?
La crainte de la mort, et la terreur des épouventables
jugemens de Dieu nous doivent empescher
de tomber dans le peché, et nous porter
à en faire penitence, si nous sommes si malheureux
que d' y estre tombez : et icy, nous
voyons au contraire, que le demon efface de
nostre esprit toutes ces apprehensions pour
nous precipiter dans les crimes, et nous les
remet dans la pensée, lors qu' on nous parle de les
expier par des fruits dignes de penitence, afin
de nous faire rechercher de faux remedes à nos
playes, dans une absolution precipitée. C' est
ce qui arrive ordinairement dans la honte. Le
p431
diable nous l' oste, pour nous porter à faire des
choses honteuses, et il nous la rend pour nous
empescher de les confesser, et d' en faire penitence.
Mais rien ne fait mieux paroistre la fausseté
de ce pretexte, que la maniere dont vous
pretendez sortir de cette apprehension, et mettre
vostre salut en asseurance. Car si vous ne
prenez plaisir à vous aveugler vous-mesmes, ne
serez-vous pas contraint d' avoüer, ce qu' une
longue experience vous a appris, que cette
absolution precipitée que vous demandez avec
tant d' instance, ne vous laissera que fort peu de
jours dans l' estat de grace, dans lequel vous
pretendez qu' elle vous doit mettre, et que vous
rentrerez aussi-tost dans vos premiers
déreglemens, qui dureront plusieurs mois, jusques à
une autre confession. De sorte, que quand vous
seriez aussi asseuré de la verité de vostre
reconciliation, qu' elle vous doit estre suspecte, tout
ce que vous gagneriez par ce moyen, seroit
d' estre cinq ou six jours, plus ou moins, en estat
de bien mourir, et des mois entiers en suitte,
en estat de perir eternellement. Au lieu que le
retardement salutaire que vous ne pouvez
souffrir, ne tend à autre chose qu' à vous tirer une
fois pour toutes, des engagemens funestes des
pechez, et à vous faire rentrer dans la liberté
des enfans de Dieu, dont le premier degré, selon
Saint Augustin, est de ne commettre point de
pechez mortels . Et ainsi n' est-ce pas une chose
ridicule,
p432
de preferer une santé qui ne doit durer
qu' un moment, à une santé ferme et permanente ;
parce que vous vous imaginez acquerir
l' une en un moment, et qu' on ne peut acquerir
l' autre qu' avec plus de temps et plus de peine.
Si vous aviez le moindre sentiment, ou d' horreur
pour vos pechez, ou d' humilité dans vostre
misere, ou de confiance en Dieu, qui sont
trois choses entierement necessaires à un veritable
penitent, vous n' auriez garde d' avoir ces
pensées.
L' horreur que vous devez avoir de vos crimes
et de vos excez, vous les feroit concevoir
si dignes de punition et de chastiment, qu' il
n' y a point de peine et d' affliction, que vous
n' embrassassiez de bon coeur, pour destourner
la cholere de Dieu qu' ils ont attirée sur vous.
Vous croiriez que ce ne seroit pas l' appaiser,
mais l' irriter davantage, que de luy en demander
aussi-tost pardon, avant que de vous estre
mis en devoir de satisfaire à sa justice, par le
travail de la penitence ; et vous entreriez sans
doute dans le sentiment de Saint Pierre, qui
se contente de pleurer son peché dans le
silence, sans oser ouvrir la bouche pour prier
Dieu de luy pardonner, (...).
p433
C' est dans cette sainte disposition
d' esprit, que doit estre un veritable
penitent, à qui Dieu a fait sentir le poids
de ses pechez, et non pas dans une presomption
temeraire, que sans s' estre mis en aucune peine
d' appaiser Dieu par ses gemissemens, par ses
prieres, et par ses oeuvres, il merite de rentrer
aussi-tost en sa grace.
Mais l' humilité où vous devez estre dans
l' estat miserable, où vous vous estes reduit par
vostre crime, ne vous oblige-t' elle pas encore
davantage à ne pas rejetter insolemment
l' humiliation de la penitence, de peur de vous
rendre indigne de la misericorde de Dieu ? (...).
Et c' est un si grand orgueil
au jugement du mesme saint, de ne se
vouloir pas soûmettre aux exercices de la penitence,
apres avoir offensé Dieu par de grands
crimes, que cét orgueil seul merite l' enfer,
quand on n' auroit point commis d' autres crimes.
Enfin la confiance que vous devez avoir en
p434
Dieu, ne doit-elle pas changer vostre crainte en
esperance, en vous faisant considerer, que
vostre ame est entre ses mains, que vostre vie et
vostre mort ne dépendent pas de la fortune, et
du hazard, mais de sa seule volonté, et des
ordres eternels de sa providence. Que si sa bonté
vous a laissé en ce monde, lors que vous ne vous
serviez de la vie qu' il vous conservoit, que pour
l' offenser ; il y a sujet de croire, qu' il ne vous en
retirera pas au moment que vous proposerez
par le mouvement de sa grace, de vouloir estre
tout à luy ; et de ne plus employer le temps
qu' il vous donnera, qu' à pleurer vos fautes, et à
reparer vos déreglemens passez ; et que si sa
patience ne vous a souffert durant vos desordres,
que pour vous amener à la penitence, comme
dit Saint Paul, il n' y a pas raison de craindre
qu' il voulust vous abandonner, lors que vous
entrerez dans la penitence à laquelle il vous
appelle ; et que vous ayant tousjours traitté avec
tant de misericorde, lors que vous ne travailliez
par vostre impenitence qu' à amasser des
tresors de cholere, il commençast à vous traitter
avec cholere, lors que sa grace commence à
vous faire travailler pour amasser des tresors
de misericorde.
Mais pour passer au second point, et considerer
quel égard doit avoir le prestre à cette
crainte pretenduë ; je veux que vous apprehendiez
de mourir sans estre absous ; pensez-vous
p435
que cela me doive faire oublier le devoir
de ma charge, et me mettre au hazard de me
perdre avec vous, en me rendant participant
de vos sacrileges, par une facilité indiscrette ?
Vous avez peur de mourir sans absolution ; et
moy j' ay peur que l' absolution que vous me
demandez avec tant de haste, ne serve qu' à
vous mettre en pire estat que vous n' estes. J' ay
peur que Dieu ne vous condemne dans le ciel,
lors que je vous absoudray sur la terre ; j' ay peur
de vous donner une fausse paix, qui ne serve
qu' à vous endormir dans vos vices ; j' ay peur
de me rendre coupable de tous vos crimes en
vous y entretenant par une lasche indulgence,
et ne vous obligeant pas de les expier par des
peines, et par des travaux qui soient proportionnez
à leurs excez, comme le concile m' y
oblige ; j' ay peur que vous admettant temerairement
à la table du seigneur, vostre ame n' estant
pas encore pure ne s' y empoisonne, au lieu
de s' y nourrir ; et que Jesus-Christ ne me
reproche un jour d' avoir autant de fois prophané
ses divins mysteres, que j' auray souffert
qu' on les profanast par une negligence criminelle.
à qui doit-on avoir plus d' égard à vostre
crainte, ou à la mienne ?
Saint Cyprien dit excellemment sur ce sujet,
que les pecheurs qui demandent d' estre
aussi-tost reconciliez, sont en quelque sorte
excusables. (...).
p436
De sorte que ce n' est pas seulement l' interest
de la gloire Dieu, qui nous oblige, selon
Saint Jean Chrysostome, à exposer nostre vie,
pour empescher le violement de ses mysteres,
et à donner nostre propre sang, plûtost que de
souffrir que le sang de Jesus-Christ soit
prophané : mais c' est encore l' interest des
ames, qui nous force à les traitter de la sorte, et
à user de ce retardement salutaire pour leur
procurer une parfaite guerison. Il ne faut avoir
esgard en cela, ny à leurs desirs precipitez, ny
à leurs craintes inquietes : les medecins des
ames non plus que ceux des corps, ne doivent
point prendre l' ordre de leurs remedes, des
passions déreglées de leurs malades, mais des
regles toutes divines de la medecine celeste ; et
ils respondront de leur perte devant le souverain
p437
juge, s' ils les trahissent par des complaisances
pernicieuses.
(...).
Ainsi, lors qu' une personne chargée de crimes
nous presse de luy donner l' absolution,
nous ne devons pas tant considerer la puissance
que nous avons receuë de Jesus-Christ,
de remettre les pechez ; que nous ne considerions
aussi le compte que nous luy devons rendre
de l' usage de cette puissance. Nous sommes
veritablement juges des pecheurs ; mais nous
sommes responsables à un plus grand juge. Et
quelque charité que nous ayons pour les ames,
nous ne les pouvons servir utilement, que dans
l' ordre de Dieu, et selon les regles qu' il nous a
prescriptes.
p438
Car ce seroit une erreur que de se persuader,
qu' ayant receu la puissance de remettre les
pechez, nous le puissions faire sans aucune
disposition de la part des ames. Et par consequent, ce
n' est pas user de cette puissance en serviteurs
prudens et fidelles, comme nous y sommes
obligez, que d' en vouloir user indifferemment
envers toutes sortes de personnes, sans prendre
aucun soin, ny aucune peine de s' asseurer de
leurs dispositions : et il n' est guere possible de
s' en bien asseurer, principalement apres de
grands crimes, et souvent reïterez, si elles n' en
donnent d' autres preuves que des paroles, et si
elles ne font voir des marques d' un coeur
veritablement penitent, par des oeuvres de penitence.
(...).
p439
Comment donc voulez-vous que je me
charge de la pesanteur de vos crimes, si vous
n' en voulez pas faire penitence, et si vous estes
du nombre de ceux, dont parle le mesme pere
au mesme endroit, (...).
Mais enfin pour examiner le fondement de
cette crainte, qui est nostre troisiesme point,
je reconnois que c' est un mal-heur, lors qu' un
penitent meurt sans estre reconcilié, comme
lors qu' un catechumene meurt sans avoir receu
le baptesme. Il n' y a rien, que selon Dieu, un
pasteur evangelique ne doive faire pour empescher
que cela n' arrive, et c' est particulierement
sur cette obligation que Saint Augustin
p440
establit la necessité de la residence des evesques
au peril mesme de leur vie, lors que leur diocese
est menacé de quelque inondation de barbares,
dont ils pourroient éviter la violence par
leur fuïte.
Mais premierement il est difficile que cela
arrive, puis qu' outre le soin particulier que le
confesseur doit avoir d' un penitent à qui il
auroit differé l' absolution, il n' y a point de prestre
qui ne le peust absoudre en danger de mort,
quand mesme la surprise de la maladie luy
osteroit le moyen de repeter sa confession.
En second lieu, quand cela arriveroit, ce qui
ne peut arriver que tres-rarement, cela ne feroit
pas que l' on ne peust juger favorablement du
salut d' un homme, qui estant touché vivement
du repentir de ses crimes, et travaillant de tout
son pouvoir à reparer les déreglemens de sa vie
par des fruits de penitence, est surpris d' une
mort inopinée, avant que d' avoir receu l' absolution
de l' eglise, apres laquelle il soûpiroit, et
que selon le conseil des peres, il ne se contentoit
pas de demander par des paroles vaines et sans
effet, mais par ses gemissemens, et par ses pleurs,
par ses prieres, par ses aumosnes, et par toutes
sortes de bonnes oeuvres.
C' est le jugement que l' eglise en a tousjours
fait, puis qu' elle a ordonné par ses canons,
que ceux qui mourroient en cét estat, seroient
traittez comme estans morts en la paix du seigneur,
p441
que les offrandes que l' on feroit en leur
nom seroient receuës par les prestres, et que l' on
offriroit le saint sacrifice pour leur repos. (...).
Le second concile d' Arles ordonne la mesme
chose en ces termes : (...).
Ce qui nous apprend que lors qu' un homme
mouroit dans le cours de sa penitence avant
que d' estre reconcilié, et admis à l' usage des
sacremens ; l' eglise faisoit tout son possible
pour reparer ce manquement, et pour tesmoigner
par toutes sortes de saints artifices, que ce
mal-heur n' empeschoit pas qu' elle ne le tinst au
nombre de ses enfans, et dans l' union de son
corps, quoy qu' il ne parust pas aux yeux des
hommes, y avoir esté reüny durant sa vie. C' est
pourquoy ses parens, ou ses amis, se trouvoient
au saint sacrifice, pour presenter leurs offrandes
en sa memoire, qui consistoient principallement
au pain, et au vin, dont on consacroit
en suitte l' eucharistie ; et l' eglise les recevant
p442
declaroit par là, qu' elle le jugeoit digne de
participer à ses mysteres ; parce qu' il avoit honoré
la penitence, selon les termes du concile ; et
parce qu' elle croyoit, qu' ayant embrassé de bon coeur
les exercices penibles d' une satisfaction salutaire ;
le juge invisible auroit suppleé par sa puissance
au ministere visible des prestres, et absous
dans le ciel celuy qui ne l' avoit peu estre
sur la terre.
Mais on ne peut rien adjouster à ce qu' un
autre concile de nostre France dit sur ce sujet ;
et la maniere dont il parle de ces morts subites
des veritables penitens, est si advantageuse et
si pleine de consolation, qu' elle est capable de
r' asseurer les consciences les plus timides, et de
faire voir aux plus endurcis, que l' apprehension
qu' ils disent avoir de mourir sans estre reconciliez,
n' est qu' un vain pretexte qu' ils prennent
pour ne point faire penitence de leurs crimes.
(...).
p443
C' est à dire, qu' ils estoient
possible en tel estat, qu' avant mesme
l' accomplissement entier de leur penitence, et
hors le danger de mort, l' evesque les eust pû
admettre à une pleine et parfaitte reconciliation,
et les faire participans de l' eucharistie, selon
le pouvoir que tous les canons luy donnent
d' abreger, ou de prolonger le temps de la penitence,
ayant esgard aux differentes dispositions
des ames.
L' eglise a donc jugé, qu' on ne perd rien à
s' humilier devant Dieu ; qu' il est plus utile aux
pecheurs de se retirer de l' usage des sacremens
par une crainte respectueuse, que de s' en
approcher par une presomption temeraire ; que
c' est le moyen d' estre bien-tost absous de Dieu,
que d' estre long-temps à se reconnoistre
coupable, et à pleurer ses pechez ; et que si la mort
nous surprenoit dans ce travail de la penitence,
dans une volonté sincere de mortifier nos vices,
pour ne vivre plus qu' en Jesus-Christ,
p444
dans une parfaite soûmission aux ordonnances
de celuy que Dieu nous a donné pour juge et
pour medecin, dans une profonde humiliation
de nous voir separez pour nos crimes de la
participation des divins mysteres, et dans un
desir pressant d' y rentrer, qui nous porte à
travailler serieusement à nous en rendre dignes :
que si, dis-je, nous mourions en cét estat, le
defaut de l' absolution du prestre, que nous
aurions desirée, et que nous n' aurions pû recevoir,
n' empescheroit pas que Dieu ne nous fist
misericorde, et ne nous accordast le pardon de
nos pechez avec d' autant plus d' indulgence,
que nous le luy aurions demandé avec plus de
modestie et de retenuë.
Saint Augustin parlant de la necessité du
baptesme dit excellemment, (...).
p445
Et c' est dans cette mesme pensée que Saint
Ambroise le maistre de Saint Augustin, parle
de l' Empereur Valentinien, comme d' un esleu
qui estoit sorty des miseres de cette vie, pour
aller joüir des delices eternelles du paradis,
quoy qu' il fust mort par la trahison d' Argobaste,
sans estre lavé dans les eaux du baptesme,
qu' il avoit differé de recevoir, pour le recevoir
par le ministere de ce grand saint, et pour
avoir pour pere dans sa vie nouvelle, celuy
qu' au temps de son erreur, et lors qu' il estoit
prevenu de l' heresie des arriens, il avoit
persecuté comme son plus grand ennemy. (...).
p446
Or personne ne peut douter que le sacrement
de baptesme, qui est la premiere porte de
benediction et de grace, et le premier de tous
les mysteres du christianisme, qui nous donne
entrée dans le corps de Jesus-Christ,
hors lequel il n' y a point de salut, ne soit aussi
necessaire à un cathecumene ; que l' absolution
du prestre à un penitent : et par consequent,
puis que toute l' eglise croit, suivant la doctrine
de ces deux grands saints, que nonobstant
cette parole expresse du sauveur : (...) ;
qui ne voit que les conciles ont
grande raison de bien esperer du salut de ceux
qui selon les excellentes paroles de nos saints
evesques de France, bruslans d' un veritable
desir de participer aux mysteres du salut, s' en
jugent eux-mesmes indignes dans la reconnoissance
de leurs pechez, pour lesquels ils se croyent
obligez de se tenir long-temps au rang des
coupables, et travaillans à se purifier par les
exercices de la penitence, et les fruits d' une bonne
vie,
p447
pour estre remis dans la communion des fidelles
avec plus de pureté, sont tellement surpris
d' une mort subite qu' ils sortent de ce monde,
sans pouvoir estre reconciliez par le ministere
des prestres, et estre munis dans ce passage
du viatique des sacremens, c' est à dire, de
l' absolution et de l' eucharistie, que l' on joignoit
autresfois tousjours ensemble, pour rendre
pleine et parfaite la reconciliation des pecheurs.
C' est pourquoy nous pouvons dire hardiment,
que selon le sentiment de tous les peres,
un pecheur qui dans la reconnoissance de ses
crimes et de son indignité, se soûmet au travail
de la penitence, pour fléchir la misericorde de
Dieu, et se rendre digne d' approcher des saints
mysteres avec davantage de pureté, pourvoit
incomparablement mieux à la seureté de son
salut, que celuy qui ne peut souffrir ce retardement
salutaire ; qui ne demande que des remedes
precipitez ; et qui pretend que sans avoir
donné aucune preuve de la veritable conversion
de son coeur, le prestre luy doit accorder
aussi-tost la remission de ses pechez, et se
mettre en danger de luy laisser prendre le corps du
seigneur, avec une bouche corrompuë, et des
mains toutes soüillées, pour me servir des
termes de Saint Cyprien.
Car ces grands hommes remplis de l' esprit
saint, eussent sans doute dit du premier, que
p448
Dieu ne peut manquer de traitter avec douceur
et avec misericorde, ceux qui selon l' avis
de l' apostre previennent son jugement, et se
traittent eux-mesmes avec justice et avec severité.
Que c' est le moyen de n' estre point eternellement
separé de l' autel du ciel, que de se
separer pour un temps de celuy de la terre, dans
la veuë de ses pechez : et que quand il arriveroit
(ce qui ne peut arriver que tres-rarement)
qu' un homme mourroit en cét estat, sans avoir
pû estre reconcilié ; il y a tous les sujets du
monde de croire, qu' il recevroit de la bonté
divine le fruit de ses voeux, et de ses desirs ;
et que le souverain prestre suppléeroit en cette
rencontre par son absolution invisible au defaut
involontaire de l' absolution visible de ses
ministres.
Mais quant au dernier ; je ne voy pas qu' ils
en eussent pû dire autre chose, que ce qu' ils
ont si hautement declaré en semblables sujets ;
qu' il n' y a point d' asseurance dans les remedes
precipitez, et qui ne durent qu' un
moment : que c' est accorder une fausse paix,
pernicieuse à ceux qui la donnent, et infructueuse
à ceux qui la reçoivent, que de ne pas
porter les hommes à la patience qui leur est
necessaire pour guerir, et à rechercher le veritable
remede de leurs maux, dans la satisfaction de la
penitence : que les pecheurs qui se presentent
aux prestres pour estre aussi-tost reconciliez
p449
et admis à l' usage des sacremens, ne veulent
pas tant estre desliez, que lier le prestre :
et enfin que celuy qui refuse d' estre separé
pour un peu de temps du saint des saints
visible, pretend en vain d' entrer au dedans du
voile et dans le saint des saints invisible ; parce
que celuy qui n' aura pas voulu estre humilié
pour estre eslevé, lors qu' il voudra s' eslever,
sera renversé : et celuy qui durant le temps de
cette vie, n' aura pas eu soin de se procurer un
lieu dans le corps de ce grand prestre, par les
merites de l' obeïssance qu' il doit à l' eglise, et
par la satisfaction de la penitence, sera separé
eternellement des mysteres eternels.
PARTIE 2 CHAPITRE 17
troisiesme point de la question
proposée. Si cét auteur a raison de soustenir, qu' en
ce temps un homme qui se sent coupable de pechez
mortels, ne peut sans temerité estre plusieurs
jours à faire penitence avant que de communier.
je ne sçaurois m' imaginer, qu' apres
ce que je viens de vous monstrer
dans le second point de la question
que nous avons prise pour sujet de
la seconde partie de cét ouvrage, la seule
proposition de celui-cy ne blesse les oreilles de
tous les veritables chrestiens, et ne leur donne
quelque indignation de voir mettre en doute, si ce
p450
que l' eglise a jugé durant tant de siecles, composer
l' une des principales parties de la pieté
chrestienne, ne se peut aujourdhuy prattiquer
sans temerité.
De sorte que je me sens obligé de me servir
de la mesme excuse dont Tertullien se sert dans
le livre du baptesme, (...). C' est vous qui me
forcez à former un doute si peu digne d' un
catholique ; puis qu' apres avoir nié par une ignorance
prodigieuse, que la prattique de l' eglise ait
jamais esté, qu' apres avoir commis des pechez
mortels, l' on fust plusieurs jours à faire penitence
avant que de communier ; vous adjoûtez
pour plus grande precaution, et pour joindre à
vostre ignorance le mespris de toute l' eglise
ancienne, (...).
Mais si la passion de deffendre vostre mauvaise
conduite vous oste le jugement, vous
deviez pour le moins conserver un peu de
memoire, et vous souvenir, que vous avez establi
pour fondement de tout vostre discours, (...).
p451
Jugez je vous prie, par cette maxime inviolable,
que les premieres notions de la religion
catholique ont arrachée de vostre bouche,
combien vostre censure est judicieuse. (...).
Et neantmoins l' on ne peut faire sans temerité ce
que toute l' antiquité, toute la tradition des
saints, et toute la coustume de l' eglise, ont
non seulement approuvé durant tant de siecles,
mais recommandé à tous les fidelles, et commandé
aux penitens par les canons, comme la
prattique et la doctrine des apostres, et de
tous leurs successeurs, et comme le plus saint
et le plus asseuré moyen pour la guerison des
ames, et le salut des pecheurs.
Qui peut comprendre ce desordre ? Vous nous
obligez de suivre une regle, et vous condemnez
de temerité, ceux qui la suivent. Vous
reconnoissez que cette regle nous est prescrite
par le Saint Esprit, et vous accusez ceux qui s' y
conforment, d' estre les instrumens du diable,
en décriant leur conduite, comme une conduite
diabolique, et un stratageme du malin esprit .
Mais, parce que vous taschez de diviser
p452
l' eglise d' elle-mesme, et de persuader aux simples,
qu' elle juge aujourdhuy pernicieux, ce
que durant tant de temps elle a jugé si salutaire ;
je suis obligé de reprendre les choses un peu de
plus haut, pour esclaircir une verité si importante,
et lever les scrupules que vous vous efforcez
de mettre dans les esprits, afin de les
détourner des exercices de la penitence.
PARTIE 2 CHAPITRE 18
que l' eglise retient tousjours
dans le coeur, le desir que les pecheurs fassent
penitence, selon les regles saintes de tous les
peres ; et que c' est abuser de l' indulgence dont elle
a usé dans les derniers temps, que de condamner de
temerité ceux, qui, dans le dessein de satisfaire à
Dieu, voudroient suivre l' ordre universel, qu' elle
a observé durant tant de siecles, et lequel elle
n' a jamais retracté par aucun decret, ou canon.
il est certain que l' eglise peut bien
quelquesfois changer d' usages et
d' actions exterieures ; mais il est
aussi peu possible qu' elle change
de sentimens, qu' il est impossible,
qu' elle cesse d' estre la colomne de la verité. Car
qui ne voit qu' il faut estre capable de faillir,
pour estre capable de se retracter, et que si
l' eglise se pouvoit dédire de ses maximes, elle ne
seroit pas seulement susceptible d' erreur, mais
elle s' en condemneroit elle-mesme, et perdroit
p453
ainsi l' avantage qu' elle a, d' estre la maison du
sage architecte, et la retraitte asseurée des
ames fidelles, se trouvant bastie sur l' instabilité
du sable, et non pas sur l' immobilité de la
pierre ?
D' ailleurs il est manifeste par les principes
de nostre foy ; qu' une doctrine que tous les
peres enseignent unanimement, et qu' ils ne
proposent point comme une chose douteuse,
mais comme certaine et indubitable parmy
tous les catholiques, comme tenuë, creuë, et
observée par toutes les regions de la terre, et
qui ayant pris son origine des apostres, s' est
respanduë par toute l' eglise ; ne sçauroit estre
estimée une doctrine de l' invention des hommes,
mais de l' inspiration de Dieu ; et par consequent
aussi immüable que l' esprit qui l' a
inspirée, et qui ne passera jamais, quoy que le
ciel et la terre passent.
Cela estant ainsi, comme aucun catholique
n' en peut douter, et vous ayant fait voir
que les sentimens que vous ne pouvez souffrir,
touchant le delay de la communion pour ceux
qui ont peché mortellement, sont les sentimens
de tous les peres, non point parlans comme
docteurs particuliers, mais comme
tesmoins irreprochables de l' usage et de la
doctrine de toute l' eglise, confirmée par cent
conciles, observée par toutes les parties du monde,
establie par les apostres, et fondée sur les
enseignemens
p454
de Jesus-Christ ; il est impossible
que l' eglise n' ait encore aujourdhuy ces
mesmes sentimens, et qu' elle ne les conserve
jusques à la fin des siecles.
De sorte que mettant en question, comme
vous faites, si lors que l' on a commis des
pechez mortels, il est meilleur, absolument
parlant, de communier aussi-tost que l' on s' en est
confessé, ou bien de demeurer quelque temps
à pleurer ses fautes avant que de se presenter à
l' autel ; il est sans doute, que pour ce qui
regarde la doctrine ; (car je n' entre point encore
dans la prattique) il ne se peut faire, que l' eglise
responde autre chose que ce qu' elle a tousjours
respondu par la bouche de tant de peres,
de tant de papes, et de tant de conciles, qu' il est
beaucoup plus saint et plus digne, de la reverence
que l' on doit aux sacrez mysteres, de s' y
preparer par les fruits d' une bonne et solide
penitence.
Mais quoy que l' eglise ait tousjours
retenu, et retienne encore ces sentimens, il est
neantmoins arrivé depuis quelques siecles, que
le relaschement des hommes l' a empeschée de
les mettre en prattique aussi parfaittement
qu' elle eust bien voulu ; et l' a obligée, comme
une bonne mere, de condescendre à l' infirmité
de ses enfans, en leur accordant un autre usage,
qui en apparence est plus facile, et moins
severe ; mais qui est aussi beaucoup moins utile,
p455
et moins parfait ; de la mesme sorte que les medecins
cedans à l' opposition que les malades
font aux remedes, ne leur ordonnant pas
tousjours ceux qu' ils jugent les plus salutaires, mais
ceux dont ils les jugent plus capables. Et de la
mesme sorte encore (pour recourir à la source
dont l' eglise prend sa conduite) que nous
voyons Dieu mesme dans l' escriture avoir fait
quantité de choses par indulgence, et contre
ses premiers desseins, à cause du desordre des
temps et de la dureté des coeurs, comme Jesus-Christ
dit dans l' evangile.
C' est cette mesme dureté des hommes, qui
contraint souvent l' eglise, comme elle s' en
plaint en son dernier concile plus d' une fois,
de condescendre, et de s' accommoder à leurs
relaschemens, avec un gemissement secret
et inenarrable (comme dit l' apostre) que le
Saint Esprit excite en elle, à cause du déreglement
de la pieté ancienne, qu' elle remarque en
ses enfans. Et c' est la seule raison, qui fait que
l' eglise depuis quelques siecles souffre les changemens
qui sont arrivez dans la prattique de la
penitence, sans que neantmoins l' on puisse
monstrer qu' elle les ait fait, ny par le chef, qui
est le pape, dans son conseil particulier, ny par
le mesme chef, dans le conseil et le senat
general de l' eglise, qui sont les conciles.
De sorte qu' il faut bien prendre garde, de
ne confondre pas en cecy, comme en toutes
p456
choses semblables, les dispenses, et les loix ;
les condescendances, et les premieres institutions ;
ce que la necessité fait faire comme par
force, et ce que l' on feroit par une volonté libre.
(...).
Et veritablement ce seroit bien abuser de
l' indulgence de l' eglise, que de se persuader ;
comme vous faites, que pour n' obliger pas les
hommes à la penitence avec autant de severité
qu' elle faisoit autresfois, elle en ait pour cela
interdit les plus excellentes prattiques, et qu' elle
ait rendu criminelle cette sainte humilité,
qu' elle a tousjours eslevée jusques dans le ciel,
qui porte un pecheur à se separer de l' eucharistie,
comme indigne de se presenter devant la
majesté de Jesus-Christ, auparavant
que de s' estre purifié par l' exercice des bonnes
oeuvres.
Quoy ? Parce que l' eglise s' accommodant
à vostre foiblesse, ne vous contraint pas de
faire une chose, qu' elle sçait estre sainte, et
tres-utile pour vostre salut, si vous aviez assez de
force pour l' accomplir ; vous blasmerez ceux
qui la font ? Vous ne pourrez souffrir, que personne
serve Dieu plus fidellement que vous ?
Que les pecheurs reviennent à luy par une
p457
voye plus parfaite que l' ordinaire, et qu' ils
recherchent une guerison plus solide et plus
asseurée, que celle que nous voyons se perdre si
facilement ? Vous mettrez vostre refroidissement
et vostre imperfection, pour borne de
la vertu chrestienne, et on ne la pourra passer
sans temerité ? Vous donnerez des loix au Saint
Esprit dans la dispensation de ses graces, et
vous m' empescherez de suivre dans l' ordre de
ma conversion les saints mouvemens qu' il me
donne ?
Si Dieu par une singuliere misericorde me
fait rentrer en moy-mesme, et m' ouvre les
yeux pour me faire voir, à l' exemple de nos
premiers peres, la nudité honteuse où je me
trouve, apres m' estre despoüillé du vestement de
Jesus-Christ : s' il me fait sentir le poids
de mes pechez, que les autres possible ne sentent
pas : s' il prononce dans mon coeur cette
sentence, laquelle Saint Augustin dit que tous
les veritables penitens doivent prononcer
contre eux-mesmes, en me montrant combien je
me suis rendu indigne de participer au corps et
au sang de Jesus-Christ : si la confiance et
la terreur que me donnent cette promesse, et
cette menace du fils de Dieu dans son evangile ;
celuy qui s' abbaisse sera eslevé ; et au contraire ;
celuy qui s' esleve sera rabaissé, me portent
à embrasser cette regle, au sens que tant
de peres et de saints l' ont prise, en me separant
p458
avec tremblement et avec humilité de la
participation du corps de Jesus-Christ : s' il
plaist, dis-je, à la divine bonté de me donner
ces pensées, lesquelles on ne doit attendre que
d' elle seule ; qui estes-vous, qui vous opposez
au seigneur ; qui entreprenez de seicher mes
larmes, d' estouffer mes soûpirs, de m' arracher
la penitence ; qui me voulez persuader que je
suis sain, lors que la pourriture de mes playes
me rend encore une odeur insupportable, comme
parle le prophete roy ; et qui me poussez
par force dans une communion precipitée,
auparavant que je m' en sois rendu digne par
un entier renouvellement de ma vie ?
Pour le moins, apprenez-nous quel ordre
de l' eglise, et quelles loix viole celuy, qui
dans la reconnoissance de ses ingratitudes passées,
veut demeurer quelques mois dans les
gemissemens et dans les larmes, auparavant que de
pretendre à la joye des saints mysteres, ainsi
que les peres parlent ? Je sçay que l' eglise a fait
une infinité de loix qui retranchent les pecheurs
de la saincte communion, mais je ne
sçay point qu' il y en ait maintenant aucune,
qui condemne une personne pour avoir esté
cinq ou six mois sans communier : si ce n' est
peut-estre que vous vouliez dire, qu' il n' y a
point veritablement de crime à passer ce temps,
ou encore plus, sans recevoir l' eucharistie, lors
que l' on le fait inconsiderement et par negligence ;
p459
mais que de le faire dans la reconnoissance
de son indignité, dans le ressentiment de
ses fautes, dans le dessein de les effacer durant
ce temps par les exercices de la penitence, et
de se preparer par ce moyen à s' approcher plus
saintement de l' autel, que l' on n' avoit fait
par le passé ; c' est un crime abominable devant
Dieu, et devant les hommes ; c' est le plus grand
mal-heur qui puisse arriver à l' eglise ; c' est un
stratageme du malin esprit ?
est-il possible que cette pensée tombe en
l' esprit d' un chrestien ? Et cependant c' est la
seule qui puisse estre le fondement de vostre
censure, et vous donner sujet d' accuser de temerité,
ceux qui se voudroient servir de la liberté
que l' eglise laisse à ses enfans, d' estre plusieurs
mois sans communier, à reparer par une
longue et serieuse penitence, les déreglemens
de leur vie passée, au lieu que tant d' autres s' en
servent impunément à entretenir leur negligence
dans les choses de leur salut.
En quoy veritablement il est difficile
d' exprimer, combien vous estes esloigné de l' esprit
et des sentimens de l' eglise ; puis que le canon
celebre du concile de Latran, qui est la seule
loy qui regle aujourdhuy le temps de la communion,
en y obligeant tous les fideles à pasques
sous de grandes peines, en excepte particulierement
ceux, qui par l' advis de leur confesseur,
se croyent obligez pour quelque cause
p460
raisonnable ; de se retrancher pour un temps de
la participation de l' eucharistie.
Ce qui nous fait voir, qu' autant que le concile
a eu soin de punir avec severité, ceux qui
par negligence, ou par mespris, ne se disposeroient
pas, pour le moins une fois l' année, et
dans les jours où nostre redemption s' est
accomplie, à s' unir avec Jesus-Christ par
le lien de ce sacrement auguste ; autant en a-t' il
eu de mettre à couvert de toute sorte de blasme
(comme s' il eust voulu prevenir vostre temeraire
censure) ceux qui suivant le conseil des prestres,
se retireroient de cette table sacrée, non
par esloignement d' esprit, mais par une veritable
reconnoissance de leurs fautes, pour s' en
approcher en suitte plus saintement, apres
s' en estre rendus dignes par les oeuvres de la
penitence.
De sorte que si sans s' eslever au dessus d' un
concile oecumenique, et condemner ce qu' il
approuve, l' on ne peut reprendre une personne
qui ne communie pas à pasques, qui est
le temps seul auquel l' eglise y oblige, pourveu
qu' elle le fasse avec advis, et pour quelque
cause legitime (dont la principalle, et quasi
l' unique, a tousjours esté le desir de faire
penitence) qui pourra souffrir patiemment, qu' avec
une hardiesse incroyable, vous traittiez comme
temeraires et violateurs des loix de l' eglise,
ceux qui par une humilité sainte voudroient
p461
demeurer quelque temps separez de l' eucharistie,
lors que l' eglise laisse absolument à tous les
fidelles la liberté d' en approcher, ou de n' en
approcher pas, selon les divers mouvemens que le
Saint Esprit leur donne ?
Cela suffiroit pour rejetter sur vous-mesme
l' accusation, dont vous voulez charger les
autres. Mais pour establir plus puissamment la
verité que vous attaquez ; je vous veux
monstrer, que non seulement l' eglise ne condemne
point cette prattique qu' elle a receuë des
apostres, d' estre plusieurs jours à faire penitence
avant que de communier, mais qu' au contraire,
elle l' approuve, la louë, la recommande, y
porte ses enfans autant qu' elle peut, les y oblige
mesme en quantité de rencontres, et voudroit
dans son coeur qu' on la prattiquast tousjours.
PARTIE 2 CHAPITRE 19
ancienne prattique de la
penitence conservée dans les eglises
d' orient.
et premierement, c' est une chose
digne d' admiration, que cette
ancienne discipline de la penitence,
se soit tousjours conservée
dans les eglises d' orient, tant
schismatiques que catholiques ; car plusieurs
p462
tesmoins oculaires nous apprennent, que dans
l' eglise du Mont-Liban (qui a cét honneur rare
devant Dieu, d' estre demeurée ferme au milieu
du schisme qui l' environne de toutes parts,
dans l' ancienne union de la chaire de S Pierre)
cette prattique de la penitence a esté communément
en usage de nostre temps ; quoy qu' il
soit vray, que quelques-uns de ceux qui y sont
passez de l' occident, y ayent apporté, ou voulu
apporter quelque alteration, sous des pretextes
specieux, dont nous parlerons une autre fois, si
vous m' y obligez par une replique.
PARTIE 2 CHAPITRE 20
que le canon, omnis utrius
que sexus, donne droit au prestre de disposer
les pecheurs à la communion par les
exercices de la penitence.
mais de plus, il est aisé de remarquer
l' esprit de toute l' eglise, touchant
l' approbation de cette prattique,
dans cette loy generale, que
les enfans mesmes n' ignorent pas,
publiée dans le concile de Latran, et renouvellée
dans celuy de Trente.
Car quelle raison y a-t' il, que l' eglise ayant
fait deux commandemens, l' un de se confesser,
et l' autre de communier une fois l' année,
ait distingué l' un de l' autre, quant au temps de
p463
l' accomplir, marquant le jour de pasques pour
l' un, et ne marquant point de jour pour
l' autre, mais laissant à la liberté de tous les
fidelles de choisir tel jour, et temps qu' il leur
plaira ?
Si son esprit et son sentiment estoit, comme
vous le voulez persuader, que l' on receust
l' eucharistie aussi-tost que l' on se seroit confessé,
sans aucune intervalle temps entre deux, durant
lequel on fist penitence de ses pechez ; pourquoy
n' auroit-elle pas obligé les fidelles de se
confesser à pasques, aussi bien que d' y
communier ? Cette diversité ne force-t' elle pas tous
les esprits equitables de reconnoistre, que
l' eglise n' a fait cette separation de l' obligation de
ces deux commandemens, que par une conduite
particuliere du Saint Esprit, pour donner
moyen aux fidelles de faire penitence autant
qu' ils voudront le long de l' année, apres
s' estre confessez, sans estre obligez de recevoir
la communion, la reservant au jour de pasques,
pour obeïr à l' autre commandement ?
Que s' il arrive que quelqu' un ayant commis
des pechez mortels, differe à se confesser
jusques à pasques, le concile luy a donné un
autre moyen de faire penitence, par la puissance
qu' il donne au prestre de differer la communion :
afin qu' en ce point mesme, la verité se
rapportast à la figure, et que comme les juifs
qui n' estoient pas purifiez au temps de pasques,
p464
ne devoient manger l' agneau paschal
qu' un mois apres ; ainsi les chrestiens, qui se
seroient privez eux-mesme par des offenses
mortelles de cette pureté divine, dont toutes les
purifications de la loy n' estoient que des
ombres, remissent à un autre temps la celebration
de la veritable pasque, pour se pouvoir preparer
avec plus de soin à la participation de
l' agneau immortel et vivant.
Cette intention de l' eglise paroist clairement,
en ce que le concile de Latran n' a fait
autre chose par cette ordonnance celebre, que
de reduire en loy ce que les fidelles observoient
par coustume, comme nous l' apprenons par
le tesmoignage de Pierre De Blois, qui peu de
temps avant ce concile, écrivant de l' obligation
que les fidelles ont de communier,
remarque, (...).
p465
Comme donc il est clair par ces paroles,
que le concile de Latran, en ordonnant à tous
les fidelles de communier tous les ans à pasques,
n' a fait que suivre l' usage, que la foiblesse
des chrestiens avoit desja introduit : ainsi
voulant faire la mesme chose pour ce qui
regarde la confession, il n' avoit garde de la
determiner au temps de pasques ; puis que du
temps de ce concile, l' ordre de l' eglise estoit,
que tous ceux qui se sentoient coupables de
pechez mortels, se devoient confesser au
commencement du caresme, afin d' avoir pour le
moins ces quarante jours de pleurs, de jeusne,
et de mortification pour se preparer à la
communion de pasques. Ce que l' on peut dire avoir
esté le dernier relaschement que l' eglise a fait,
ayant à la fin trouvé cette invention pour obliger
les pecheurs à n' aller pas à la communion
p466
sans avoir auparavant pratiqué quelques
exercices de la penitence, et pour observer au moins
en cette maniere le reglement de tous les
canons, en tenant les pecheurs durant ce temps-là
separez du saint autel.
C' est ce que nous apprenons du mesme
Pierre De Blois, qui declare manifestement
dans un sermon du jour des cendres, que la
confession doit commencer avec le jeusne, et
qu' il ne faut pas attendre à la fin du caresme à
se confesser, si ce n' est des pechez veniels. (...).
Voila quel estoit l' usage de l' eglise du temps du
concile de Latran, que cét auteur a precedé
de peu d' années. Ce qui fait voir, que ce
concile n' avoit garde d' abolir une si sainte
pratique, en determinant au temps de pasques la
seule confession à laquelle il obligeoit les
fidelles.
Et en effet il est certain que cette coustume
si salutaire et si chrestienne, s' est conservée
p467
dans l' eglise long-temps depuis, comme
entre autres tesmoignages, nous le pouvons
apprendre de Saint Thomas, qui declare dans
son opuscule du saint sacrement, (...).
Saint Bonaventure dit presque la mesme
chose sur le maistre des sentences. Et de plus,
les ceremonies de l' eglise conservent encore
les traces de cette sainte discipline. Car la
benediction des cendres, et toutes les prieres que
l' eglise fait à l' entrée du caresme, montrent
encore clairement ce qu' elle pratiquoit à
l' égard des pecheurs, ausquels en ce jour elle
imposoit penitence.
Et nous voyons mesme encore dans Paris,
que toutes les paroisses allans en procession le
dimanche de la quinquagesime à l' eglise
cathedrale, le penitencier, et ceux qui l' aident,
exhortent tous ensemble le peuple devant leurs
p468
confessionnaux à faire penitence : ce qui
marque, ce que l' eglise faisoit autresfois en
particulier pour chaque pecheur à qui elle imposoit
penitence, apres avoir entendu sa confession.
Et enfin, cette absolution que l' on donne
tous les ans dans Nostre Dame le jeudy saint,
quoy qu' elle ne soit plus aujourdhuy que ceremoniale,
est la marque de la sacramentale, que
l' on donnoit autresfois aux pecheurs qui
avoient fait penitence durant le caresme. Aussi
ce jour s' appelle encore le jeudy absolu, parce
que l' on y absolvoit les penitens, et on les
recevoit à la participation de l' eucharistie, le jour
que l' eglise en celebre l' institution ; suivant ce
que nous avons desja dit, que le sentiment de
l' eglise a tousjours esté, que la parfaitte purgation
des pechez, s' accomplissoit en la reception
du corps de Jesus-Christ, qu' elle donnoit
pour cette raison immediatement apres
l' imposition des mains.
C' est aussi de cette coustume de se confesser
au commencement du caresme, que le concile
de Trente se doit entendre, lors qu' il louë
ceux qui se confessent au sacré temps de caresme ;
n' y ayant point d' apparence qu' il ait voulu
loüer par ces paroles, ceux qui attendent aux
derniers jours de la semaine sainte à se
confesser ; puis que Saint Charles le plus fidelle
interprete que l' on puisse desirer, des sentimens du
concile, pour ce qui regarde les choses qui
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concernent la discipline, les a jugez si peu
dignes de loüange, qu' il defend aux prestres de les
recevoir en ce temps à la confession, pour avoir
attendu si tard à s' acquitter du commandement
de l' eglise.
Aussi voyons-nous que depuis le concile de
Trente, deux conciles de Cambray, et un de
Bourges, restablissent par leurs decrets cette
sainte coustume de se confesser au commencement
de caresme, afin de vacquer durant ce
temps aux oeuvres de penitence, et observer
ce que le mesme concile de Bourges ordonne,
(...).
PARTIE 2 CHAPITRE 21
que le concile de Trente
donne beaucoup d' ouvertures au restablissement de la
penitence ancienne, et qu' il en establit les
principaux fondemens. Premiere, et seconde de ces
ouvertures.
mais vous ayant promis cy-dessus
d' examiner avec soin, quels sont les
sentimens de ce saint concile,
touchant la prattique que vous
osez condemner, et que vous
pretendez estre contraire à ces sacrées decisions :
il est temps, que je m' acquitte de ma promesse,
p470
et que je vous fasse voir, qu' encore que tant
de diverses heresies que ce concile avoit à
combattre, et tant d' abus et de desordres qu' il avoit
à corriger, ne luy ayent pas permis de prescrire
en particulier tout ce qui se devoit observer
dans l' administration des sacremens, n' ayant
esté principalement assemblé, que pour en
deffendre la substance ; tous ceux neantmoins
qui le liront avec le mesme esprit qui l' animoit,
y reconnoistront facilement qu' il est si esloigné
d' abolir les exercices de la penitence, comme
vous le voudriez faire croire, qu' il en a puissamment
estably tous les veritables fondemens,
et qu' il est impossible de satisfaire pleinement
à ses enseignemens divins, qu' en travaillant
autant qu' il se peut, au restablissement
de la penitence ancienne.
Cela se void premierement, en ce que le
concile restablit toutes les traditions
apostoliques, et tesmoigne en cent endroits, un desir
ardent de remettre la discipline ecclesiastique
au mesme estat auquel elle estoit auparavant
que le relachement des hommes, l' ignorance
des canons, et la depravation des moeurs l' eust
alterée.
Ce qui nous monstre la passion de cette
sainte assemblée pour la pratique que vous
condemnez, puis qu' elle n' est pas seulement
l' une des plus importantes parties de la discipline
ecclesiastique, comme tous les peres nous
p471
enseignent, mais la discipline du seigneur
mesme, comme parle Saint Cyprien. Que ce n' est
pas une invention des hommes, mais l' une des
principales traditions des apostres, que la
premiere eglise du monde, et la maistresse de
toutes les autres, tesmoigne il y a desja
quatorze cens ans, avoir receu d' eux avec l' instruction
de l' evangile. ce n' est pas une invention de nostre
temps, (dit le clergé de Rome escrivant à Saint
Cyprien sur la rigueur que l' on doit tenir, pour
n' admettre à la sainte communion ceux qui
ont peché depuis le baptesme, qu' apres une
longue et laborieuse penitence) (...).
La seconde des ouvertures que le concile
de Trente donne au restablissement de la
penitence, c' est qu' il renouvelle tous les anciens
canons qui regardent les moeurs et le devoir
des ecclesiastiques, sous les mesmes peines,
ou encore plus grandes, qu' ils ont esté instituez.
De sorte qu' une grande partie de ces canons,
mesme en beaucoup de rencontres, qui
p472
passent aujourdhuy pour legeres, portant pour
peine la suspension du ministere, et le retranchement
de l' autel ; il est necessaire pour satisfaire
pleinement à l' intention du concile, de
traitter en cette maniere les ecclesiastiques qui
tombent en ces fautes ; et ainsi de remettre en
usage en une infinité de cas, l' ancienne discipline,
touchant la penitence des clercs, qui les
obligeoit, comme tesmoigne le Pape Saint
Leon, de se retirer en quelque lieu pour y
pleurer leurs pechez, et faire une telle satisfaction
à Dieu qu' elle leur peust estre salutaire.
Et de plus, il est ordonné aux prestres, par
les canons de les sçavoir tous, et de les avoir
tousjours en memoire, afin de s' en servir aux
occasions, pour la conservation de la discipline.
Entre lesquels canons dont ils doivent estre
informez, il y en a plusieurs qui les obligent
de garder la vigueur de cette discipline, que
vous contestez à l' endroit de ceux qui venoient
se confesser des pechez mortels commis apres le
baptesme.
PARTIE 2 CHAPITRE 22
p473
troisiesme ouverture que le
concile donne au restablissement de la penitence,
en condemnant Luther, qui vouloit que la
penitence ne consistast que dans le
changement de la vie.
le troisiesme fondement qui se
trouve dans le concile pour appuyer
la verité de la penitence :
c' est qu' il a decidé contre Luther,
comme une verité catholique,
et un article de foy, que la penitence ne
consiste pas au seul changement de la vie
pecheresse en la vie vertueuse ; mais à pleurer la
vie passée, et à satisfaire à Dieu par les larmes,
les prieres, les jeusnes, les aumosnes, et par les
autres exercices que la tradition nous enseigne,
et qui sont marquez par ces mots de l' evangile :
(...), faites donc des fruits dignes de penitence,
comme Saint Gregoire, et tous les peres les
expliquent.
Et l' un des principaux fondemens sur lequel
il establit cette doctrine si sainte : c' est que l' on
ne peut sans crime mespriser, ou renverser
cette satisfaction salutaire, que tous les peres ont
perpetuellement recommandée aux fidelles
avec tant de soin : jugeant avec grande raison,
p474
que puis que c' est le mesme Dieu qu' on offense ;
que c' est le mesme crime que l' on commet ;
que c' est un chrestien qui le commet, comme
autresfois ; il est bien raisonnable que le mesme
homme ne satisfasse le mesme Dieu, du mesme
crime, dans la mesme eglise, que de la mesme
maniere. Et que si les playes du corps se guerissent
en ce temps de la mesme sorte qu' il y a mille
et deux mille ans ; il faut avec plus de sujet
garder inviolablement dans la guerison des playes
de l' ame, les mesmes regles de Jesus-Christ,
que les apostres et leurs successeurs nous ont
enseignées, comme estans encore plus immuables,
que les raisons d' Hipocrate, et les proprietez
de la nature. Ce qui paroist encore mieux,
en ce que la guerison des ames est d' autant plus
grande, et plus difficile que celle du corps, que
l' ame est plus excellente que le corps, comme
Saint Jean Chrysostome nous asseure, que nous
le verrions clairement, si l' une estoit visible
comme l' autre.
Mais n' est-ce pas se mocquer ouvertement
de l' eglise et du concile, que de condemner
dans la speculation, les heresies et les erreurs
de Luther, touchant la penitence (comme je
ne doute point que vous ne les condemniez
aussi bien que toute l' eglise) et de vouloir
obliger les prestres d' imiter son erreur dans leur
conduite, comme il semble que vous ayez dessein
de faire, ne pouvant souffrir qu' ils imposent
p475
à leurs penitens, des satisfactions proportionnées
à la grandeur de leurs pechez, ainsi
que le concile l' ordonne ; et se servent pour
leur guerison des remedes salutaires, dont les
saints peres se sont servis, ce que le mesme
concile leur recommande ?
Que si l' on considere de plus, que Dieu ne
permettant le mal, que pour en tirer du bien ; il
ne peut avoir permis l' heresie, qui est le plus
grand de tous les maux, que pour en tirer de
plus grands biens : qui ne jugera plus dignes
d' estre loüez, qu' accusez de temerité ; ceux
qui par les austeritez, et la solidité de leur
penitence, s' efforcent de seconder les desseins de
la providence divine dans cette permission ?
Car l' eglise ayant plus de besoin qu' elle n' eut
jamais, de pratiquer la vraye penitence, sa
vieillesse l' affoiblissant tous les jours, et la malice
des chrestiens s' augmentant, à mesure qu' on
approche du declin du monde ; Dieu a permis que
Luther publiast cette heresie qui la combat,
afin d' exciter l' eglise à la maintenir, et à pratiquer
dans les moeurs ce qu' elle soûtenoit dans
la doctrine.
Si donc en suitte le mesme Dieu inspire à
quelques personnes d' entrer dans ces saints
exercices, par lesquels il a sanctifié tant de
pecheurs ; d' embrasser avec ardeur tout ce qui
peut servir à l' expiation de leurs offenses ; de
s' efforcer à les noyer dans leurs larmes ; à les
p476
consumer par l' ardeur de leurs prieres ; à les
racheter par les aumosnes ; à les couvrir par la
charité ; et enfin, si pour establir toutes ces
actions sur le fondement de l' humilité chrestienne,
elles taschent de la pratiquer en la
maniere dont les saints nous ont enseigné qu' elle
se pouvoit le mieux pratiquer par les penitens ;
c' est à dire (quoy que vous ne le puissiez souffrir)
en s' esloignant humblement du saint autel
pour estre plusieurs jours à faire penitence
avant que de communier : qui est celuy qui
ne se croira obligé de benir Dieu, et de le
remercier des faveurs singulieres qu' il fait à ces
ames ? Et qui ne voit au contraire, que ceux qui
par ignorance, ou par un faux zele, ou par
jalousie, ou par des interests secrets, murmurent
contre des exemples qui doivent edifier tout le
monde, ont sujet d' apprehender les jugemens
de Dieu sur eux, et de peser attentivement
cette parole de Saint Ambroise, (...).
PARTIE 2 CHAPITRE 23
p477
quatriesme ouverture que le
concile de Trente donne au restablissement de la
penitence, en ordonnant aux prestres d' imposer des
penitences proportionnées à la grandeur des pechez, sous
peine de s' en rendre participans.
en quatriesme lieu, quoy que le
concile ne declare que fort generallement,
la maniere dont l' on
doit satisfaire à la justice de Dieu,
apres l' avoir offensé mortellement depuis le
baptesme ; il le fait toutefois de telle sorte, qu' il
ne justifie pas moins la conduite que vous
condemnez, qu' il condemne tous les excez que
vous paroissez vouloir autoriser.
Il n' en faut point d' autres preuves, que ces
paroles étonnantes, par lesquelles il enjoint à
tous les prestres d' imposer à leurs penitens des
peines proportionnées à la grandeur de leurs
pechez, s' ils ne se veulent rendre participans
des crimes d' autruy. Car ne montrent-elles pas
clairement, combien ces sages directeurs sont
loüables, qui pour accomplir autant qu' il se
peut, cette proportion de la satisfaction au
peché, s' efforcent d' accompagner toutes les autres
satisfactions de la separation de l' eucharistie
pour un temps, comme de celle que l' eglise a
tousjours jugée la plus convenable à l' estat d' un
p478
penitent ; la plus agreable à Jesus-Christ ;
la plus salutaire au pecheur ; et qui possede en
mesme temps ces deux conditions si importantes
pour une vraye satisfaction, d' estre ensemble
la plus grande peine que l' on puisse imposer
à un pecheur touché veritablement de Dieu, et
neantmoins celle qui peut estre le plus facilement
imposée à toutes sortes de personnes.
La grandeur de cette peine paroist, en ce
que les privations sont estimées plus, ou moins
grandes, selon la grandeur et la qualité des
biens qui leur sont opposez. Or l' eucharistie
estant le souverain bien du chrestien en ce
monde, s' il luy reste quelque estincelle de foy ;
et quelque sentiment des choses divines, il ne
peut estre affligé d' une peine plus sensible que
de se voir separé pour ses pechez, de ce qui doit
estre l' objet de tous ses desirs ; et c' est en cela
que consiste l' une des plus justes proportions,
que l' on puisse mettre entre la satisfaction et
l' offense.
Aussi n' eût-on pas creu autrefois ordonner
rien de penible à un penitent, en luy imposant
toutes les autres peines ordinaires, si l' on ne l' eût
separé de la communion, et tous les peres ont
estimé que cette separation rendoit les autres
peines plus satisfactoires, comme la reception
de l' eucharistie estoit le comble de toutes les
graces precedentes qu' on avoit receuës par la
componction, par les fruits des bonnes oeuvres,
p479
et par l' absolution et l' imposition des
mains.
Et cependant, parce que cette satisfaction
est plus spirituelle que corporelle, il est aisé de
juger qu' elle a cét advantage par dessus toutes
les autres, qu' elle peut estre prattiquée par toutes
sortes de personnes ; au lieu qu' il s' en trouve
assez souvent qui ne sont gueres capables, ny de
jeusner, ny de veiller, ny de se mortifier, ny de
faire beaucoup d' aumosnes, et desquels un prudent
confesseur ne peut demander autre chose
pour le regard de ces actions, qu' une bonne
volonté qui supplée à l' impuissance, et dans laquelle
toutes ces oeuvres exterieures soient renfermées,
comme les fruits dans la racine des
arbres.
Car comme les plus grandes oeuvres, selon
le dénombrement qu' en fait Saint Paul dans la
premiere aux corinthiens, peuvent estre sans
la charité, aussi la charité et la bonne volonté
peut estre souvent au fonds de l' ame, sans
qu' elle produise aucune de ces bonnes oeuvres,
à cause des divers obstacles qui se rencontrent,
et qui ne dépendent pas d' elle. Mais cette
separation de l' eucharistie ne trouve point
toutes ces difficultez dans les ames veritablement
penitentes ; et c' est ce qui fait voir le tort
que l' on a de décrier, comme severe et insupportable,
une conduite qui se prattique avec toute
sorte de discretion, et sans aucune surcharge
p480
des ames, et qui n' estant point accompagnée
de la honte publique, comme autresfois, lors
qu' elle se faisoit à la veuë de tout le peuple, se
trouve ordinairement toute renfermée dans
l' humiliation du coeur, et dans cette condemnation
volontaire que le pecheur prononce
contre soy-mesme, en se jugeant indigne de
participer à la chair de Jesus-Christ, et
se representant dans cette exclusion passagere
de la table de l' eglise, combien l' eternelle
exclusion du festin des bien-heureux, sera
terrible et espouventable.
Voila de quelle sorte la prattique qui vous
scandalise est conforme à l' intention du
concile, qui nous oblige de proportionner autant
qu' il se peut, la satisfaction au peché.
Mais d' autre part, ces mesmes paroles que
l' on peut appeller des foudres pour les confesseurs,
laissent-elles en repos ces prestres, qui
portez du mesme esprit que vous faites paroistre
icy, trahissent les pecheurs avec une fausse
misericorde, et une douceur cruelle, en couvrant
seulement des playes, qui ne se peuvent
guerir que par le fer et par le feu, comme dit
Saint Pacien ? Qui se contentent, comme dit
excellemment un autre saint, d' appliquer au
dehors quelque unguent, lors que le mal est
enraciné dans le plus profond des entrailles ; et
enfin, qui se rendans manifestement prevaricateurs
de l' ordonnance du concile, imposent
p481
sans aucune necessité, et sans s' estre mesme
enquis de ce que peut accomplir leur penitent, de
legeres peines pour de grands pechez, la recitation
de quelques pseaumes pour un grand nombre
de blasphemes et de parjures, le jeusne de
quatre ou cinq vendredys au plus pour plusieurs
adulteres, cinq fois l' oraison dominicale
pour des communions sacrileges, et ainsi des
autres ; et les envoyent aussi-tost à la sainte
communion, auparavant mesme que d' avoir
accomply cette legere penitence, ayant encore
l' esprit tout remply des images de leurs crimes,
et estans tous prests d' y retomber à la premiere
rencontre ?
Et pour trouver quelque couverture à leurs
excez, ou ils soustiennent, (ce qui semble horrible
à dire) que le confesseur n' est pas obligé
d' imposer des satisfactions qui respondent en
quelque sorte à la grandeur des pechez, contre
la doctrine de tous les peres, et contre l' expresse
definition du concile ; qui ne pouvoit
pas mieux marquer cette obligation, qu' en
nous asseurant, que celuy qui y contrevient se
rend participant des pechez d' autruy.
Ou distinguant deux sortes de satisfactions,
dont les unes sont pour punir les pechez passez,
et les autres pour se preserver de ceux que l' on
pourroit commettre à l' avenir, ils enseignent
que les dernieres seules obligent, et non pas les
premieres : ce qui est tomber manifestement
p482
dans l' erreur de nos heretiques, qui mettans
toute la penitence dans la nouvelle vie, ne laissent
pas d' approuver ces secondes penitences,
et trouvent fort bons tous les preservatifs dont
l' on use, pour s' empescher de retomber dans les
pechez precedens ; et ce qui combat encore
directement la doctrine du concile, qui definit
en termes exprez, que les satisfactions que les
prestres sont obligez d' imposer, et les penitens
d' accepter, ne doivent pas estre seulement pour
la garde de la vie nouvelle, mais aussi pour le
chastiment de la vie passée. (...).
Ou enfin par un excez de hardiesse, qui ne se
peut quasi comprendre, ils asseurent, que ces
peines, quelques legeres qu' elles puissent estre,
sont suffisantes pour satisfaire à l' ordonnance
du concile ; c' est à dire, ils s' efforcent de renverser
le sens commun, aussi-bien que le concile,
en rendant vaines et imaginaires toutes les
raisons qu' il apporte, du fruit et de la necessité de
la satisfaction ; ce qu' il est bon de faire voir en
particulier.
PARTIE 2 CHAPITRE 24
p483
que ceux qui negligent d' observer
l' ordonnance du concile, touchant la proportion
des penitences aux crimes et aux pechez, rendent
vaines et imaginaires toutes les raisons qu' il apporte
du fruict et de la necessité de la satisfaction.
I raison du concile, que la penitence est un
baptesme laborieux.
la premiere des raisons que le concile
apporte de la necessité de la
satisfaction, est prise de ce que la
justice de Dieu ne peut souffrir,
que ceux qui sont tombez depuis
le baptesme, soient receus en sa grace avec la
mesme facilité qu' auparavant.
Or n' est-il pas tout à fait hors de raison, de
dire que cette difficulté, ces peines et ces
travaux de la penitence, qui la font appeller par
le concile apres tous les peres, un baptesme
laborieux, consistent à dire cinq fois le pater
noster , ou les sept pseaumes penitentiaux.
Et cette persuasion est encore plus ridicule,
si l' on considere que le baptesme auquel les
peres comparent la penitence, n' est pas celuy
des enfans, mais des hommes parfaits, lesquels
estoient obligez avant que de le recevoir, d' estre
quarante jours dans les jeusnes, les veilles,
les prieres, l' assistance aux exorcismes, aux
p484
catecheses, et dans la separation de leurs propres
femmes, ainsi que ces mesmes peres nous
l' apprennent : et cependant ils ne laissoient pas
de croire, que tous ces travaux comparez à
ceux de la penitence, n' estoient qu' un jeu ; et
que dans les eaux du baptesme, Dieu octroyoit
liberallement la remission des pechez, qu' il
n' accordoit dans la penitence qu' à l' abondance
des larmes, et à la grandeur de l' affliction du
pecheur, (...), comme Saint Pacien dit excellemment.
Et ainsi, que deviendra cette doctrine du
concile, que la justice divine ne peut souffrir,
que ceux qui ont violé la grace de leur baptesme
soient receus avec la mesme facilité qu' auparavant
l' avoir violée ; si les peines que l' on
impose dans la penitence, n' ont pas seulement
de proportion avec celles que l' on imposoit
autresfois aux catechumenes pour les preparer
au baptesme ?
PARTIE 2 CHAPITRE 25
p485
seconde raison du concile.
que les pecheurs sont retenus de pecher par la
crainte des chastimens.
la seconde raison, dont le concile
se sert pour recommander la
satisfaction ; c' est que la crainte
des peines et des chastimens, que
l' on doit imposer dans le tribunal
de la penitence, retient les pecheurs, et leur
sert de bride pour les empescher de retomber
dans leurs pechez. Mais quel lieu peut elle avoir
dans cette molle et cette lasche conduite de
quelques confesseurs d' aujourdhuy, si l' on ne
se persuade, que la crainte d' estre obligé de dire
son chappelet, ou de faire quelque legeres aumosnes,
puisse estre de quelque consideration
dans l' esprit d' un homme pour le destourner
du vice, que la corruption de nostre nature
nous fait paroistre pour l' ordinaire accompagné
de tant de charmes ?
Et n' est-ce pas au contraire, comme remarque
le concile, donner occasion aux hommes
de retomber en de plus grands pechez, et de
faire de plus grands outrages au Saint Esprit,
que de traitter les pecheurs avec cette fausse
douceur ? (...).
p486
Et ce mesme pere avoüe, que si
la penitence n' est accompagnée d' une rigueur
salutaire, elle porte les hommes à offenser Dieu
par l' esperance de l' impunité. Car les novatiens
luy objectant que de proposer aux hommes
une seconde remission, c' estoit les inviter
à commettre les pechez dont on leur promettoit
le pardon ; (...) ?
Que si nous faisons tout le contraire de ce
que ce pere propose, et si nous traittons les plus
grands pecheurs avec une lasche indulgence, et
une injuste douceur, (...).
p487
Aussi voyons-nous aujourdhuy trop sensiblement
l' effét de cette parole de Saint Augustin,
(...). La facilité que quelques personnes veulent
introduire de se relever d' un peché mortel, estant
veritablement cause que les hommes se portent
aussi facilement à les commettre, que si ce
n' estoit qu' un jeu, jusques-là que l' on a bien osé
publier, que trois ou quatre pechez mortels
n' interrompent pas le cours d' une vie devote. Ce
qui est la mesme chose que de dire, que trois ou
quatre adulteres n' empeschent pas qu' une femme
ne soit fidelle à son mary ; (...) ;
puis que toute ame qui peche mortellement,
commet un veritable adultere, en violant la
foy qu' elle a donnée à Jesus-Christ dans
son baptesme, comme à son veritable espoux.
PARTIE 2 CHAPITRE 26
p488
troisiesme raison du concile.
que ces exercices de penitence servent à ruïner
les habitudes des vices par des actions
contraires.
mais que direz-vous de la troisiesme
raison du concile, si sainte et
si importante, qui nous apprend
que l' un des principaux fruits de
la satisfaction, c' est de ruïner les
habitudes du vice par les actions de vertu qui
leur sont contraires. Ce qui se rapporte à ce que
Saint Bernard enseigne, que la penitence est
vengeresse des vices, et nourrice des vertus ;
(...). Oserez-vous
asseurer, que pour destruire des habitudes enracinées
d' orgueil, d' avarice, d' impureté, d' yvrognerie,
de médisance, il suffit de reciter quelques
oraisons, au lieu d' ordonner aux avares de
grandes aumosnes ; aux superbes, des exercices
bas et humilians ; aux voluptueux, la maceration
de leur chair ; aux médisans, la reparation
de l' honneur d' autruy, aux despens mesme du
leur. Et enfin à ceux qui se perdent dans la
contagion du monde, comme il arrive à la plus
grande partie des pecheurs, la retraitte et le
silence, et au lieu des entretiens inutiles et dangereux,
la priere dans leurs maisons ?
p489
Voila en general les satisfactions qui respondent
à cette troisiesme raison du concile ; qui
est si grande et si importante, que Saint
Augustin ne donne point d' autre moyen pour
ruïner la concupiscence qui reste dans les nouveaux
baptisez. à plus forte raison la devons-nous
representer et enjoindre à ceux qui l' ont
augmentée par leurs habitudes vicieuses, par
lesquelles la concupiscence croist, et se rend si
forte, qu' il est rare de voir quelqu' un qui la
surmonte par une longue suitte d' actions
contraires, qui sont les seuls moyens que la nature et
la grace ont establis pour la diminuer.
Car qu' est l' habitude mauvaise qu' une
seconde concupiscence establie dans la vieille,
comme une seconde chaisne de fer, qui est fonduë
dans la premiere ? C' est pourquoy il n' y a
que Dieu seul, qui puisse rompre ce double enchaisnement
par l' infusion de sa grace inseparable
de l' exercice des bonnes oeuvres, comme
Saint Augustin dit en cent endroits.
Cette doctrine du concile, de satisfaire à
Dieu par des actions opposées à nos vices, et
à nos pechez, est celle de tous les peres. Et
entr' autres Saint Jean Chrysostome l' explique
divinement, lors qu' il dit, (...).
p490
Cependant qui n' admirera, que contre une
doctrine si sainte, et si conforme aux principes
de toute sorte de morale. Il se trouve des
casuistes qui enseignent, (...). Comme si les
satisfactions devoient estre remplies de delices :
comme si nous n' estions
p491
pas obligez de déraciner nos mauvaises habitudes,
par des violences et des efforts : comme
s' il y avoit rien de plus raisonnable, que de
guerir par la douleur et par la peine, ceux qui se
sont perdus par le plaisir et la volupté : et enfin
comme si c' estoit un legitime sujet de casser la
sentence d' un juge, de ce qu' elle se trouve
conforme aux ordonnances du legislateur ; et de
renverser le jugement qu' un prestre aura
prononcé en la personne de Jesus-Christ,
parce qu' il y a suivy les regles inviolables de la
tradition apostolique, et du dernier concile
general, qui veut que nos satisfactions soient
telles, qu' elles puissent servir de remede à ces
ulceres envenimez que les crimes laissent dans
nos ames, et ruïner nos habitudes vicieuses, par
les actions des vertus contraires.
PARTIE 2 CHAPITRE 27
quatriesme raison du concile.
que ces oeuvres de penitence ont tres-grand
pouvoir d' appaiser la cholere de Dieu.
la quatriesme cause de la satisfaction
que le concile de Trente
apporte, ne vous est pas plus favorable.
Car pourriez-vous bien
pretendre, que la peine qu' il y a
de dire cinq ou six fois l' oraison dominicale,
p492
deust estre mise au rang de ces grandes afflictions
que l' escriture nous apprend avoir si
souvent arraché les foudres de la main de Dieu ?
Achab destourne les menaces du prophete
Elie en déchirant ses habits royaux, en se
couvrant d' un cilice, en jeusnant et dormant dans
le sac et dans la cendre ; et n' osant seulement
lever la teste vers le ciel. La grandeur de la penitence
de Manassé le ramene de la captivité
dans son royaume. Nabuchodonozor ne recouvre
ce que son orgueil luy avoit fait perdre
qu' apres sept ans de la plus extraordinaire affliction
qui se lise dans l' escriture. Le roy d' Assyrie
fait changer l' arrest prononcé contre
Ninive en descendant de son throsne, en se despoüillant
de ses ornemens royaux, en se couvrant
d' un sac, en se couchant dans la cendre, en
s' armant du jeusne avec tout son peuple, en
criant à Dieu fortement, en se retirant de
toutes leurs mauvaises actions.
Estimez-vous que la peine de dire trois ou
quatre fois les sept pseaumes, ait quelque
rapport avec ces penitences et autres semblables,
que le concile nous marque tacitement ; et
pensez-vous qu' un homme qui ne feroit autre
chose, se pûst raisonnablement promettre, d' attirer
sur soy la misericorde de Dieu par la severité
dont il useroit envers luy-mesme ; ce que
tous les peres nous enseignent estre le devoir
des veritables penitens ?
p493
Si cela est, ils ont eu grand tort de nous faire
le visage de la penitence si austere. Il ne faut
que demeurer dans toutes sortes de delices,
dans la jouïssance de tous les plaisirs qui ne
seront pas ouvertement vicieux, dans toute la
pompe et la magnificence du siecle, dans la
recherche de tous les divertissemens que le monde
appelle honnestes, dans la continuation de
toutes les visites inutiles, dans lesquelles il est
impossible de guerir ses vieilles playes, quand
on n' en contracteroit pas de nouvelles, dans
l' ardente poursuitte des grandeurs, et des
richesses, (...). Avec tout
cela quelque grand pecheur que vous soyez,
pourveu que vous accomplissiez fidellement
quelques petites prieres, ou quelques legeres
aumosnes, qu' un confesseur semblable à l' auteur
de cét escrit vous aura enjointes, vous
aurez droit d' emprunter ces paroles de Tertullien :
(...). C' est l' image que cét auteur fait il y a plus de
quatorze cens ans de ces penitens delicats qui
redoutent les incommoditez du corps. (...).
PARTIE 2 CHAPITRE 28
p494
cinquiesme et derniere raison
du concile. Que ces mortifications de la penitence
nous rendent conformes aux souffrances de
Jesus-Christ.
enfin la derniere raison dont le
concile se sert pour nous marquer
la necessité de la satisfaction ;
c' est qu' elle nous rend conformes
à Jesus-Christ, satisfaisant
par ses souffrances pour les pechez du monde ;
sans laquelle conformité, nous ne devons point
esperer de part à sa gloire : puis que la promesse
de l' heritage celeste ne nous a esté annoncée
que sous cette condition, (...).
Que si cette regle est generalle pour tous
les chrestiens, mesme innocens, (...)
p495
c' est avec raison, qu' il l' applique particulierement
aux pecheurs, qui sont obligez de considerer,
que si la sagesse infinie de Dieu n' a point
trouvé de moyen plus propre pour l' expiation des
pechez du monde, que dans les souffrances et
dans les tourmens de son fils unique, qui s' en
estoit chargé ; ils ne doivent pas se persuader,
qu' ils seront traittez d' une autre sorte, ny s' imaginer
que la satisfaction de Jesus-Christ
les exempte de travailler avec ardeur à l' expiation
de leurs fautes, qui est l' erreur de nos
heretiques : mais qu' au contraire la plus grande
gloire des souffrances de nostre chef, est qu' elles
influent dans ses membres la force de souffrir
avec luy, et donnent à leurs souffrances
tout le prix et toute la valeur qu' elles ont
devant Dieu.
Et certes, ceux qui ont perdu la verdeur du
bois de la vie, que la grace du baptesme plante
dans les ames, et qui sont devenus un bois sec
par quelque peché mortel, doivent considerer
avec grande attention ce dernier advertissement
que le fils de Dieu allant à la croix, et
parlant à de saintes femmes, a donné à tous les
pecheurs qui ne seront pas innocens comme
luy, (...) ? Et se representer par ses paroles,
l' obligation qu' ont tous les chrestiens, qui à l' esgard
de Jesus-Christ ne sont qu' un bois sec,
p496
quelques justes qu' ils soient, et encore plus les
grands pecheurs, de se conformer par une vie
de penitence, et de souffrance à la vie penitente,
et à la mort douloureuse de Jesus-Christ.
Puis qu' il faut donc, selon le concile, apres
l' escriture, que les satisfactions que les prestres
ordonnent dans le tribunal de la penitence,
rendent les penitens conformes à Jesus-Christ
patissant ; je laisse à la conscience
de ces confesseurs dont nous parlons, de juger
si celles qu' ils imposent, meritent qu' on leur
attribuë cét effét : et en suitte je les supplie de
considerer s' il n' est pas evident, comme j' avois
entrepris de le faire voir, que cette lasche
conduite que l' on s' efforce d' autoriser à l' exclusion
de toute autre plus conforme à la vigueur
de l' evangile, rend vaines et imaginaires toutes
les raisons que le concile de Trente apporte
pour la satisfaction ?
PARTIE 2 CHAPITRE 29
cinquiesme ouverture que le
concile donne au restablissement de la penitence, en
definissant, que les prestres doivent exercer leur
puissance en liant, aussi-bien qu' en desliant, selon
les anciens peres.
ce mesme chapitre de la satisfaction
nous fournit un cinquiesme fondement,
pour justifier la prattique que
vous taschez de décrier, lors qu' il nous apprend,
p497
que les prestres doivent exercer la puissance
des clefs en liant, aussi-bien qu' en déliant,
comme enseignent les anciens peres. Car
demandez à ces peres, ausquels le concile nous
renvoye, ce que c' est que lier un pecheur, et ils
vous respondront que c' est le mettre au nombre
des penitens ; luy prescrire le temps, et la
maniere de la penitence ; et le separer durant ce
temps-là de la participation des mysteres.
C' est le lien dont Saint Ambroise ne feignit
point de lier un empereur, lors que voulant
retrancher le grand Theodose de la sainte
communion, et le reduire à la penitence. (...).
Ce que ce prince religieux comprit
si bien, qu' apres estre demeuré huict mois
entiers dans les gemissemens, dans les larmes,
et dans cét humble esloignement de l' autel ; il
n' osoit encore esperer d' obtenir de Saint Ambroise
la remission de son peché, et la permission
de celebrer avec les autres fidelles la nativité
du sauveur, quoy que l' histoire ecclesiastique
remarque, qu' il en eust une passion tres-violente.
Et lors qu' il la luy demanda avec toute
sorte de soûmission et d' humilité, il n' usa que
p498
de ces termes, (...).
Et Saint Augustin parlant de ceux qui font
penitence apres avoir violé la grace de leur
baptesme par des pechez mortels, et de la reconciliation
qu' on leur donne apres leur penitence
achevée, en parle en ces termes : (...). D' où il est
constant que la principalle partie de la puissance
de lier selon les peres, est de mettre en penitence,
et de separer de l' eucharistie.
PARTIE 2 CHAPITRE 30
sixiesme ouverture que le
concile donne, en ce qu' il enseigne que la confession des
pechez en particulier, a pour but et pour objet
l' imposition des peines qui les doivent expier.
le sixiesme fondement que nous
pouvons tirer du concile pour
l' establissement de la penitence ;
c' est qu' expliquant la necessité
de la confession de tous les pechez,
non seulement en general, mais aussi en
particulier, il n' en apporte point d' autre
raison, sinon que sans cela les prestres exerceroient
le jugement de retenir, ou de remettre
p499
les pechez sans connoissance de cause, et ne
pourroient pas garder l' equité dans l' injonction
des peines. Ce qui nous monstre qu' en cela,
comme en tout le reste, le concile n' a fait que
suivre le sentiment de l' antiquité, qui a tousjours
consideré la confession des pechez, comme
un passage à l' imposition de la penitence
qui estoit la fin prochaine, que le prestre se
proposoit en escoutant les confessions, afin
qu' il la pûst ordonner conforme aux pechez
qu' il avoit ouys, et garder l' equité dont parle
icy le concile, et la proportion qui doit estre
entre l' offense, et la satisfaction qu' il recommande
ailleurs avec tant de soin.
Nous avons desja fait voir que le grand Saint
Leon, expliquant la puissance que Jesus-Christ
a donnée aux prestres de remettre
les pechez, marque expressement, que leur
charge consiste à imposer penitence à ceux qui
confessent leurs fautes, afin de les reconcilier
lors qu' ils se seront purifiez par une satisfaction
salutaire.
Ce que Saint Eloy explique encore plus clairement,
lors qu' il dit, (...).
Et long-temps avant luy Tertullien avoit
dit dans son livre de la penitence, (...).
p500
Mais sur tout ce que nous avons rapporté
de Saint Gregoire en un autre endroit, establit
puissamment cette verité ; puis que ce grand
pape definit en termes exprés, (...).
Ce grand pape pouvoit-il mieux marquer
ce que le concile nous enseigne, que le vray
usage de la confession particuliere de tous les
pechez mortels, est d' en donner au prestre
une connoissance claire, afin qu' il puisse garder
l' equité et la justice dans l' injonction des
peines, qu' il doit ordonner pour l' expiation de
tous les crimes qui se commettent apres le
baptesme ?
Et cette doctrine de l' eglise estoit autresfois
tellement gravée dans le coeur de tous les
p501
fidelles, que l' on ne disoit point alors, comme
l' on fait aujourdhuy, que l' on s' alloit confesser,
mais que l' on alloit demander, et recevoir
penitence. Ce qui a duré plus de douze siecles
dans l' eglise : ainsi qu' il se peut voir, par ce que
Saint Bernard escrit dans la vie de Saint
Malachie, où descrivant les desordres de l' hybernie,
avant l' episcopat de ce saint : (...). Et
au siecle precedent Saint Anselme
dit, que la penitence est une sentence, pour
marquer, qu' une des principales parties de la
puissance judiciaire du prestre, est l' imposition de
la penitence.
Mais à mesure que les coeurs des chrestiens
se sont endurcis, et que l' impenitence s' est
accruë, les hommes favorisant leur relaschement
ont commencé à considerer le sacrement
qui restablit les pecheurs en grace, plûtost
par le rapport qu' il a à la confession, que
par celuy qu' il a à la penitence, haussant l' une
au prejudice de l' autre, et rabaissant de telle
sorte celle que l' eglise a tousjours particulierement
recommandée au peuple fidelle, au
rapport du concile mesme, que ça esté avec
beaucoup de raison, que depuis peu un evesque
de grande reputation, s' est creu obligé de
se plaindre dans la chaire, de ce qu' on vouloit
faire le sacrement de confession, du sacrement
de penitence. Et l' un des plus vieux
p502
docteurs de nostre faculté, qui est mort
depuis peu d' années avoit accoustumé de faire la
mesme plainte en ces paroles, comme un de
ses amis me le rapportoit n' agueres, m' asseurant
les luy avoir souvent ouy dire. (...).
Nous sommes en un temps, où on a
soin de racompter ses pechez, et non pas de les
detester.
Et en effét n' est-ce pas un grand desordre,
d' accomplir exactement ce qui dans son institution
est un moyen pour parvenir à une fin,
et de negliger la fin mesme ; et n' est-ce pas ce
que nous voyons aujourdhuy, où tant de personnes
ont grand soin de recommander au peuple
que leurs confessions soient fidelles et exactes,
et n' en ont nul de discerner entre la lepre
et la lepre, et d' imposer des penitences proportionnées
à la grandeur des offenses, qui est la
fin pour laquelle Jesus-Christ a ordonné
la confession, selon la doctrine du concile.
Puis donc que tous les catholiques sont
obligez de reconnoistre d' un costé la necessi
qu' il y a de se confesser estant coupable de
quelque peché mortel, avant que de recevoir
l' eucharistie, et que de l' autre l' eglise leur
enseigne par la bouche du concile, que le but de
la confession est de recevoir de la puissance du
prestre la penitence qu' ils doivent accomplir,
pour satisfaire à leurs pechez ; qui ne voit en
p503
suitte combien il est raisonnable de ne pas
rompre cét ordre si saint, et d' accomplir
entierement tout ce qui appartient au sacrement
de penitence, avant que de passer à celuy de
l' eucharistie ; puis que le premier nous doit
servir de degré pour parvenir au dernier,
comme le dernier est l' accomplissement et la
consommation du premier ; et par consequent,
qui pourra souffrir que vous improuviez
comme une prattique dangereuse d' estre plusieurs
jours à faire penitence avant que de communier.
PARTIE 2 CHAPITRE 31
septiesme ouverture du
concile, ou plustost ordonnance expresse de restablir
l' ancienne penitence en une infinité de rencontres ;
en ce qu' il est enjoint de soumettre les pechez publics
à la penitence publique.
enfin ce que nous pouvons remarquer
en dernier lieu dans le
concile, et qui n' est pas seulement
quelque fondement, mais
le restablissement tout entier de
l' ancienne penitence en quantité de rencontres ;
c' est qu' il ordonne expressément que les
pecheurs publics fassent penitence publique.
Lisez le pontifical, et vous trouverez qu' encore
aujourdhuy, soûmettre un homme à la
p504
penitence publique, c' est le chasser publiquement
de l' eglise, le separer non seulement de la
participation, mais de la veuë mesme du corps
du fils de Dieu, le vestir d' un cilice, le couvrir
de cendre, l' envoyer manger son pain à la sueur
de son visage, en luy ordonnant toutes sortes
d' austeritez pour l' expiation de ses fautes, et
l' obliger apres tout cela, pour recouvrer la paix
de l' eglise, de la venir redemander dans les soûmissions
les plus basses, le ventre couché contre
terre, les yeux baignez dans ses larmes,
et le visage couvert de la confusion de ses
pechez.
De sorte que cette ordonnance nous apprend,
que la prattique que vous improuvez,
d' estre plusieurs jours à faire penitence avant
que de communier, est non seulement approuvée
par le concile, mais expressément commandée,
au regard d' une infinité de personnes :
puis que le nombre des pecheurs publics, n' est
que trop grand dans la corruption de ces derniers
temps.
Que si quelques raisons empeschent en
quelques rencontres d' observer entierement
cette sainte discipline, et de punir par une
confusion publique ceux qui pechent publiquement ;
il ne s' ensuit pas que l' on ne doive selon
l' esprit du concile, les soûmettre au moins en
particulier aux mesmes exercices de penitence
qu' ils devroient prattiquer publiquement, et
p505
les tenir long-temps, pour le moins aux yeux
de Dieu, dans les gemissemens et dans les
larmes, auparavant que de les admettre à la
reception de l' eucharistie : comme nous voyons
dans Saint Basile, que lors que l' on exemptoit
les femmes adulteres des exercices publics de la
penitence, l' on ne laissoit pas de les tenir dans
le retranchement de la sainte communion durant
le temps ordonné par les canons.
PARTIE 2 CHAPITRE 32
conclusion de la doctrine du
concile, touchant la penitence, combien elle favorise
la pratique que cét auteur ose condemner d' estre
plusieurs jours à faire penitence avant que de
communier.
voila quelques traits de la doctrine
de l' eglise unie en corps,
et assistée particulierement du
Saint Esprit. Si vous ne la pouvez
souffrir, prenez le concile à partie,
et non pas ceux qui s' efforcent de regler
leur conduite, autant qu' ils peuvent, sur son
esprit et ses sentimens.
Car puis qu' il tesmoigne en tant d' endroits
une si grande passion de remettre toutes choses
dans leur premier ordre, et leur premiere
sainteté, et qu' il se plaint en termes exprés de la
dureté des hommes du temps ; n' est-ce pas seconder
p506
ses intentions, que de faire entrer les ames
dans une prattique, que l' eglise en tous les
siecles, par toutes les regions de la terre, et par
la bouche de tous les peres, a jugée si sainte et
si salutaire ?
Puis qu' il condemne Luther comme heretique,
pour avoir voulu abolir les exercices de
la penitence, (...), pour
me servir de ses paroles ; peut-on mieux s' opposer
à cette erreur, selon l' esprit du concile,
qu' en suivant l' exemple des peres qu' il nous
propose à imiter, et guerissant les playes des
ames par les mesmes remedes qu' ils ont fait ;
entre lesquels le retranchement de l' eucharistie
a tousjours tenu le premier lieu ?
Puis qu' il oblige les confesseurs, d' imposer
à leurs penitens des satisfactions proportionnées
à leurs pechez, sur peine de se rendre
participans des crimes d' autruy, s' ils usent de
trop d' indulgence ; y a-t' il un moyen plus
asseuré pour se guarentir de cette menace, que
de garder cette admirable propportion, que
tous les peres ont establie entre la penitence et
le peché, en faisant sentir au pecheur par la
separation du corps de Jesus-Christ pour
quelque temps, le supplice qu' il merite par son
crime d' estre eternellement separé de Dieu ?
Puis qu' il enseigne, que les clefs n' ont pas
esté moins données aux prestres pour lier que
p507
pour délier selon la doctrine des anciens peres
qui peut trouver mauvais qu' ils exercent cette
puissance, en interdisant aux pecheurs pour
quelque temps la participation de l' eucharistie,
puis que c' est en cela que les peres, ausquels
le concile nous renvoye, ont tousjours
mis le principal usage de la puissance de lier ?
Puis qu' il declare, que la confession
regarde comme sa fin, l' imposition de la penitence
proportionnée à la grandeur des pechez ;
qui s' estonnera, que comme ceux qui sont
coupables de pechez mortels, ne doivent point
communier qu' apres s' estre confessez, ils ne
le fassent point aussi, qu' apres avoir accomply
la penitence à laquelle la confession se doit
rapporter ?
Et enfin puis qu' il ordonne en termes clairs,
que ceux qui pechent publiquement soient
soûmis à la penitence publique ; c' est à dire,
qu' ils soient retranchez publiquement de la
sainte communion ; qui peut douter que ce
retranchement ne soit tres-utile, et pour donner
aux pecheurs une terreur salutaire, qui les
empesche de retomber dans leurs pechez, et
pour les porter à les expier avec plus d' ardeur
par une religieuse severité envers eux-mesmes,
en leur remettant tousjours devant les
yeux l' image de l' excommunication eternelle,
que cette excommunication temporelle leur
represente ?
PARTIE 2 CHAPITRE 33
p508
prattique ancienne de la
penitence, autorisée par Saint Charles en
plusieurs manieres. Et premierement, par le
renouvellement qu' il a fait des canons
penitentiaux, avec ordre
aux prestres de les sçavoir, et de les prendre pour
modelles.
mais quoy que ces ordonnances
si saintes du dernier concile oecumenique
expliquées par le mesme esprit qui les a faites,
c' est à dire, par l' esprit de l' eglise
universelle, qui se rencontre tousjours dans le
consentement general des peres, ne soient que trop
suffisantes pour nous asseurer des sentimens de
l' eglise : Dieu neantmoins a voulu par une
providence merveilleuse, qu' un grand saint, qu' il
a suscité de nos jours pour estre l' image vivante
de l' ancienne pieté, et le modelle de celle de
nostre temps, ait expliqué plus au long ces
sentimens du concile, afin que la briéveté des
paroles de cette sainte assemblée ne pûst servir
d' excuse, ou à l' indulgence excessive et dangereuse
des prestres, ou à l' impenitence des pecheurs.
C' est du grand Saint Charles dont je parle,
lequel apres avoir travaillé si heureusement à
la conclusion de ce saint concile ; n' a pas moins
p509
pris de peine durant sa vie, à en expliquer, et faire
executer les ordonnances.
Je ne pense pas que vous ayez beaucoup de
sujet de vous plaindre, si je me persuade que
l' autorité d' un grand archevesque, d' un grand
cardinal, et d' un grand saint, en qui Dieu
a canonisé les trois principaux degrez de la
hierarchie, peut entrer en balance avec la
vostre ; et que sous sa protection on n' a pas
beaucoup de sujet de se mettre en peine de vostre
censure.
Voyons donc, si selon ses regles et ses maximes,
l' on peut accuser un homme de temerité,
pour demeurer quelque temps dans les austeritez
de la penitence, avant que de s' approcher
de l' eucharistie. Je les reduiray à trois considerations
principalles, qui nous feront voir clairement,
que cét homme divin n' a fait autre
chose que bastir sur les fondemens du concile,
dont nous venons de parler ; et reduire ses
ordonnances generalles en des regles plus
particulieres.
La premiere de ces considerations, qui toute
seule est capable de vous confondre, et de vous
faire voir, combien la prattique que vous
condemnez est conforme à l' esprit de ce grand
saint, est le renouvellement qu' il a fait des
anciens canons de la penitence.
Nous voyons dans la quatriesme partie de ses
actes, que pour faire executer ce que le concile
p510
de Trente enseigne si puissamment, touchant
l' obligation que les prestres ont d' imposer,
autant qu' il se peut, des penitences proportionnées
à la grandeur des pechez : il monstre
premierement l' importance de cette ordonnance,
avertissant les prestres et les curez,
qu' ils doivent principalement avoir soin, de
ne pas imposer de legeres penitences pour de
grands pechez. (...).
Ces paroles sont assez fortes, pour faire
quelque impression dans l' esprit des confesseurs,
p511
qui pensent serieusement au compte
qu' ils rendront à Dieu de l' exercice de leur
ministere. Et neantmoins, de peur que la
generalité de ces termes ne servist de voile à leur
negligence, il leur propose quelques exemples des
satisfactions qu' ils peuvent enjoindre : (...).
Il veut aussi que le confesseur impose
differentes penitences, selon les differentes personnes,
et les differentes sortes de pechez : (...).
p512
Voila d' excellentes leçons pour les directeurs
des consciences : toutesfois il ne s' est
pas arresté là, mais il s' est creu obligé de remonter
à la source, et d' avoir recours à cette antiquité
sainte, pour laquelle l' esprit de Dieu
luy avoit donné une veneration si particuliere.
p513
Il s' est persuadé ne pouvoir proposer à ses
prestres de modelle plus accomply, que ces regles
anciennes de la penitence, que vous vous estes
imaginé temerairement ne se pouvoir aujourdhuy
observer sans temerité.
Il a composé pour cét effet un corps nouveau
des canons penitentiaux, qu' il a voulu mesme
reduire à l' ordre du decalogue, pour en rendre
l' intelligence plus facile ; et afin que l' on ne pûst
douter de son dessein, voicy de quelle sorte il en
parle.
(...). Vous voyez que selon ces peres et Saint Charles,
comme les medecins du corps ne se doivent pas
contenter de connoistre les maladies, mais doivent
principallement travailler à la connoissance
des remedes ; ainsi les medecins des ames
doivent avoir grand soin d' apprendre à discerner
les pechez, mais ils en doivent avoir encore
davantage, d' acquerir la science si necessaire des
divers remedes, que les plus excellens maistres
en cette medecine spirituelle, ont jugé propres
pour la guerison de ces maladies. Ce qu' il explique
dans la suitte par ces paroles.
(...).
p514
(remarquez ces termes, ils decident toute
nostre question, comme je vous le feray voir) (...). Ce
que l' eglise a observé en tout temps, les penitences
n' ayans jamais esté arrestées de telle sorte,
qu' il ne fust au pouvoir des evesques de moderer
quelque chose de leur rigueur, selon que
les penitens s' en rendoient dignes, par la perseverance
dans la douleur, dans les larmes, et dans
les bonnes oeuvres.
(...). Voulant marquer par
ces dernieres paroles, qu' ils en doivent rechercher
une plus grande dans les peres, et dans les
conciles.
Il ne reste donc qu' à considerer ces canons,
pour voir quelles sont les regles de la penitence
p515
que Saint Charles propose à ses prestres.
Et premierement ces canons ne regardent
pas seulement les crimes enormes, ou publics ;
mais toutes sortes de pechez mortels, et quelques-uns
mesme qui ne le sont pas, comme les
homicides de hazard. Il n' en faut point d' autre
preuve que leur lecture : et quand vous considererez
que les deux derniers commandemens
du decalogue n' y sont pas obmis, et que les
simples desirs de prendre le bien d' autruy, ou
de commettre une fornication, sont punis
d' une tres-longue et tres-laborieuse penitence, vous
serez contraint d' avoüer, que la défaite par
laquelle vous pensez vous échapper en voulant
rejetter cette sainte discipline sur les seuls
penitens publics pour des crimes enormes, ne
peut estre icy alleguée avec la moindre couleur.
En second lieu, ce que je vous prie de remarquer,
ces canons ont cela de commun entr' eux
qu' ils enferment tous la separation de l' eucharistie,
les uns pour quelques jours, les autres
pour quelques mois, d' autres pour plusieurs
années, et quelques autres enfin pour toute la
vie jusques à l' article de la mort.
Car il est sans difficulté, que les canons
n' ordonnerent jamais de penitence, que le
retranchement de la communion n' en ait esté la
principale partie : ce qui fait qu' Ives De Chartres
au lieu que nous avons allegué, appelle generalement
(...) :
p516
cette peine estant enfermée dans toutes
les penitences canoniques ; soit qu' elle y soit
marquée formellement, ou qu' elle ne le soit
pas.
Neantmoins beaucoup de ces canons de
Saint Charles l' expriment en termes clairs.
Celuy qui mange de la chair en caresme sans
necessité, est privé de la communion de pasques,
et obligé d' estre long-temps à ne manger point
de chair. Celuy qui s' oblige par serment de
plaider contre quelqu' un, et ne se reconcilier
point avec luy, est privé de la communion
une année toute entiere. Celuy qui se parjure
en justice ne doit recevoir la communion qu' au
bout de sept ans. Celuy qui se rend deserteur de
la foy catholique, qu' au bout de dix. Un
sacrilege qui envahit les biens de l' eglise n' est
receu à communier que la quatriesme année.
Un homicide volontaire doit demeurer toute
sa vie à la porte de l' eglise, et ne communier
qu' à la mort. La mesme chose est ordonnée
pour la punition d' un inceste, et pour le crime
d' un prestre qui dit la messe estant degradé.
Une femme adultere ne doit recevoir l' eucharistie
qu' apres une penitence de dix ans. Trois
ans de penitence pour un usurier, dont il doit
jeusner le premier au pain et à l' eau. Trois ans
p517
pour une simple fornication entre deux personnes
qui ne sont point liées, et ainsi des autres
qu' il seroit trop long de rapporter.
Tournez maintenant vostre zele contre
Saint Charles. Accusez-le comme perturbateur
des loix, et de l' ordre de l' eglise, pour avoir
proposé à ses prestres comme les plus saintes
reigles ausquelles ils peussent se conformer, des
choses si directement opposées selon vostre
advis à l' usage de l' eglise d' apresent , ce sont vos
termes : de leur avoir donné pour modelle des
canons qui ne preschent autre chose que cette
pratique pleine de temerité et d' extravagance,
ainsi qu' elle vous paroist, d' estre plusieurs jours,
voire plusieurs mois à faire penitence avant que de
communier .
Il le fait neantmoins, et il ne se contente pas
de le faire une fois, il le repete en vingt
endroicts de ses actes, et ne recommande rien
tant aux confesseurs, que de regler les penitences
qu' ils imposeront sur le modelle de ces
canons anciens. Mais principallement ce qu' il
en dit dans une instruction italienne est considerable.
(...).
p518
Garder les anciens canons, c' est mettre un
homme en penitence, c' est le faire demeurer
long-temps dans les gemissemens et dans les
larmes, avant que de luy permettre de communier ;
et cependant selon Saint Charles, il
est tousjours bon de garder les canons autant
qu' il se peut. Cela estant, je vous supplie de
me dire vostre advis sur cette rencontre. Un
grand pecheur touché de Dieu, s' addresse à un
prestre, et luy declarant le fonds de sa conscience
le conjure de le traitter selon ce qu' il jugera
plus à propos pour la guerison de son ame.
Ce confesseur instruit dans la science de
l' ecriture et des canons, comme Saint Charles
l' ordonne, luy represente d' une-part, combien
c' est une chose horrible de violer par des
crimes l' alliance contractée avec Jesus-Christ
dans le baptesme, et de chasser le Saint Esprit
de son coeur, pour mettre le diable en sa place :
et de l' autre, que la misericorde de Dieu est
infiniment au dessus de toutes nos ingratitudes,
et qu' il est tousjours prest de recevoir en sa
grace ceux qui retournent serieusement à luy :
mais qu' il doit considerer, que selon la doctrine
de l' eglise, ce n' est pas assez de se retirer du
mal, et de confesser ses pechez, si l' on ne s' efforce
de les effacer par l' austerité de la penitence. (...).
p519
Apres cela, pour se conduire plus particulierement,
selon les instructions de Saint Charles, il luy
découvre que selon les canons penitentiaux, il
devroit demeurer plusieurs années dans les pleurs,
dans les gemissemens, dans les jeusnes, dans
toutes sortes d' austeritez, avant que d' estre
reconcilié, et admis à la participation de
l' eucharistie. Et neantmoins pour moderer cette ancienne
severité, quoy que tres-juste, il luy fait trouver
bon de demeurer quelques mois dans les exercices
de la penitence, pour satisfaire à la justice
de Dieu, et se fortifier dans la vertu ; durant
lequel temps il a soin de le recommander à Dieu
dans ses sacrifices ; il l' assiste par ses conseils ; il
l' anime par ses exhortations ; il le soustient dans
ses foiblesses ; il dissipe ses tentations ; il
l' entretient dans l' humilité d' un penitent ; il tempere
la frayeur que luy donnent ses pechez, en luy
inspirant la confiance en la misericorde de Dieu ;
et enfin, il joint ses prieres et ses gemissemens
aux siens, et pour faire l' office entier d' un charitable
directeur, il prend sur luy-mesme une partie
de sa penitence. Ainsi apres l' avoir éprouvé
de cette sorte par l' espace de quelque temps ; il
l' absout de ses pechez, et le reçoit à la sainte
communion.
Dissipez un peu le nuage qui vous offusque
la veuë. Que trouvez-vous en ce procedé qui
ne soit juste, qui ne soit saint, qui ne soit salutaire
p520
aux ames, qui ne ressente la pieté du christianisme,
et qui ne porte avec soy sa recommandation
et sa loüange ? Mais de plus qu' y
trouvez-vous qui ne soit entierement conforme
à ce qu' ordonne ce saint archevesque ? Il
veut, (...) : c' est ce qui donne asseurance
à celuy duquel je parle, qu' il ne peut mieux
faire que de disposer son penitent à les observer au
moins en partie ; et qu' ainsi sans se soucier de
vostre censure, qui ne l' attaque pas tant que
Saint Charles ; il ne sçauroit user d' une meilleure
conduite, que de porter ceux qu' il y trouvera
disposez, à demeurer quelque temps en penitence
avant que de communier, selon le reglement
de tous les canons.
Voila ce qu' on peut legitimement appeller
une prudente moderation de l' ancienne severité.
Abbreger une partie du temps que les conciles
ont prescrit : changer, selon que la prudence
y oblige, la satisfaction publique en particulier,
et se contenter que l' on fasse aux yeux
de Dieu, ce que les peres vouloient que l' on fist
aux yeux de toute l' eglise : n' obliger pas les
penitens de se couvrir d' un sac mesme en secret,
p521
que les dames mesmes ne refusoient pas de
porter à la veuë de tout le peuple, ainsi que
Saint Hierosme rapporte de Fabiole : ne separer
pas d' ensemble les personnes mariées, comme
on faisoit autresfois : ne faire pas jeusner des
pecheurs des années toutes entieres au pain et à
l' eau : ne les contraindre pas de se tenir à la
porte des eglises, pour émouvoir les fidelles par
leurs pleurs, à les assister de leurs prieres : ne les
engager pas à ces humbles prosternemens, et
tant de fois reïterez pour recevoir l' imposition
des mains des prestres : et enfin retrancher par
condescendance à la foiblesse des hommes, une
infinité de choses qu' on faisoit observer aux
penitens dans la premiere vigueur du christianisme,
avec tant de fruit pour leur ame, tant de
reverence pour la justice de Dieu, et tant d' edification
pour l' eglise.
C' est de cette sorte que Saint Charles
entend, que l' on se conduise avec prudence dans
l' imposition des penitences canoniques, et
qu' on les modere selon la condition, l' aage, le
sexe, la foiblesse, et la grandeur de la contrition
du penitent, jugeant fort bien que la douleur
interieure peut estre quelquesfois si grande,
qu' elle supplée à toutes les penitences exterieures ;
comme les penitences exterieures peuvent
estre si grandes, si continuelles, et si uniformes
qu' elles suppléent au defaut des larmes, et de
la douleur interieure, qui est quelquesfois plus
p522
cachée et moins connuë au prestre.
Et sur cela, je me souviens d' une excellente
histoire que Balsamon rapporte sur ce sujet
dans son commentaire sur les epistres canoniques
de S Basile. Il dit qu' un soldat qui estoit
coupable d' un homicide, ayant esté absous par
un evesque apres une penitence de fort peu de
temps, l' empereur trouvant mauvais ce relaschement
de la discipline, fit assembler un concile
par le patriarche de Constantinople, pour
juger si ce soldat avoit esté legitimement
absous. L' evesque ayant esté appellé dans le
concile pour rendre raison de son action, alleguoit
un grand nombre de canons, qui permettent
aux evesques d' accourcir ou de prolonger le
temps de la penitence. (...).
Il y a donc une grande difference entre la
moderation des canons, que la discretion fait
faire, et leur entier abolissement que la negligence
produit, en sorte qu' il n' en reste plus
aucune trace ; et pour faire voir combien cette
p523
fausse indulgence que vous voulez authoriser
est esloignée des sentimens, et de l' esprit de
Saint Charles ; il ne faut que considerer que s' il
eust eu dessein d' y porter les confesseurs, c' eust
esté une chose entierement ridicule, de leur
ordonner avec tant d' instance d' apprendre les
canons penitentiaux, et de leur proposer
comme les plus fidelles regles, (...). Car je vous prie
qui peut concevoir, qu' il soit necessaire que je sçache
que les canons obligent un homme qui a
commis une fornication, à demeurer trois ans dans
les exercices de la penitence avant que de
communier, pour ordonner à cette mesme personne
cinq pater noster pour satisfaction, et
l' envoyer aussi-tost communier ? La connoissance
du canon, qui ne reçoit les adulteres à la
participation de l' eucharistie, qu' au bout de dix
années de penitence, m' est-elle necessaire pour
ordonner à un adultere de dire trois ou quatre
fois les sept pseaumes, ou jeusner deux ou trois
vendredis, en luy laissant cependant recevoir
aussi-tost le saint des saints ? Si je permets à un
prestre de dire la messe le jour mesme ou le
lendemain qu' il se sera confessé de ses débauches,
diray-je que j' ay suivi pour regle le canon de
Saint Charles qui ordonne à un prestre dix
années entieres de penitence ?
p524
Mais il est inutile de s' arrester à une chose si
claire, l' ignorance que vous tesmoignez de ces
canons, et l' opinion que vous avez, sans doute
que leur connoissance est tres-inutile, pour
bien gouverner les consciences, ou qu' elle est
mesme dangereuse, pour estre trop esloignée
de la prattique ordinaire, monstre assez que
dans la conduite des ames qui veulent revenir
à Dieu, vostre esprit n' a rien de commun avec
l' esprit de Saint Charles, et des peres qu' il a
suivis.
C' est pourquoy je me contenteray pour
conclure cette consideration de vous remettre
devant les yeux ces maximes importantes,
que la tradition de l' eglise avoit enseignées à
ce grand saint avant qu' il les enseignast aux
autres.
La premiere, qu' il est necessaire pour bien
conduire les ames dans le tribunal de la penitence,
d' estre instruit dans la science des
canons, et des regles anciennes que les peres, et
les conciles ont establies pour la punition des
pechez, suivant cette ancienne decision d' un
excellent pape, inserée dans le droit, (...).
La seconde, que la forme et la regle de la
justice qui se doit exercer dans ce tribunal,
doit estre prise de ces canons, et qu' ils ne servent
p525
pas seulement pour reconnoistre la grandeur
des pechez, mais aussi pour imposer une
vraye penitence, selon la qualité de chaque
peché. Ce qui a donné lieu au Pape Gregoire Vii
de declarer (...).
La troisiesme est, qu' encore que l' on puisse
et que l' on doive moderer ces canons, selon la
contrition, l' aage, la force, et les autres qualitez
du penitent, (...) : et par consequent, que celuy qui
peut disposer les ames à s' y soûmettre, et à
prattiquer cette sainte humilité, qu' ils prescrivent
tous, de se purifier quelque temps par les exercices
de la penitence, avant que de s' approcher
p526
de l' eucharistie, ne fait rien en cela digne de
censure, mais plûtost d' une eternelle loüange
devant Dieu, et devant les hommes.
PARTIE 2 CHAPITRE 34
secondement en ce que S Charles
ordonne de soumettre les pecheurs publics à la
penitence publique.
la seconde consideration, qui nous
fera voir l' ardeur de Saint Charles
au restablissement de l' ancienne
penitence ; c' est qu' il a renouvellé
par un grand nombre d' ordonnances
ce decret si salutaire du concile de
Trente, de contraindre les pecheurs publics
à la penitence publique.
Dans le premier concile de Milan, qui a
esté confirmé par le saint siege, il en parle
de cette sorte avec les evesques de sa province. (...).
Le mesme decret est
renouvellé dans le troisiesme concile provincial.
Et il ordonne expressement à ses prestres
dans son manuel de le mettre en prattique. (...).
p527
Enfin, dans une excellente
instruction qu' il a dressée en langue vulgaire pour
les confesseurs de son diocese, et qui se trouve
dans la quatriesme partie de ses actes, il leur fait
le mesme commandement, suivant le concile
de Trente, et deux de ses conciles provinciaux ;
et adjouste expressément, comme dans son
premier concile, (...).
Mais ce qui est encore plus remarquable,
c' est qu' entre les chefs, que les evesques
peuvent, et doivent contraindre les religieux
d' observer, nonobstant leurs exemptions et
leurs privileges, ce grand saint marque expressément
celuy-là. (...). De sorte, que selon ce decret
si juste et si raisonnable ; un confesseur
p528
religieux a beau se pretendre exempt de la
jurisdiction de l' ordinaire, l' evesque le peut obliger
par force d' executer l' ordonnance si salutaire
du concile, touchant le restablissement
de la penitence publique. Ce qui marque évidemment,
que ce restablissement de la penitence
que vous trouvez si mauvais, a esté jugé si
important au bien de toute l' eglise, qu' on n' a
pas voulu qu' aucuns privileges en peussent empescher
l' execution.
Ces ordonnances tant de fois reïterées nous
font assez voir combien ce grand saint avoit
dans l' esprit, le restablissement de cette ancienne
prattique de la penitence que vous condemnez
si hardiment, et que vous croyez si contraire
à l' esprit de l' eglise d' apresent , pour me
servir de vos termes. Il a jugé si necessaire d' y
soûmettre les grands pecheurs, et de les contraindre
d' expier les crimes, qu' ils commettroient
publiquement (ce qui n' est que trop ordinaire
dans ce siecle corrompu) par les exercices
laborieux d' une penitence publique, qu' il n' a pas
voulu laisser en la disposition des prestres (non
pas mesme de ceux qui seroient exempts de sa
jurisdiction) le pouvoir de les en dispenser,
pour donner moins de lieu au relaschement, et
pour empescher autant qu' il pourroit, que
l' indulgence pernicieuse des confesseurs ne rendist
toutes ses ordonnances inutiles : comme il est
vray que rien n' a tant contribué à la ruïne de la
p529
discipline ecclesiastique, que la liberté que les
prestres ont prise de dispenser des canons sans
aucune discretion. Ce grand saint a fait tout
ce qu' il a peu pour aller au devant de ce
desordre, et pour apporter quelque fermeté à ce
restablissement de la penitence ancienne.
L' esprit de Dieu qui avoit poussé le concile à en
ramener dans l' eglise l' usage presque aboly,
luy en avoit fait reconnoistre l' importance. Il
voyoit fort bien qu' il n' y avoit point d' autre
moyen d' arrester un peu le deluge horrible des
vices, qui s' est débordé dans ces derniers temps,
et que rien n' entretenant davantage la corruption
generalle des moeurs des chrestiens, que
la negligence des confesseurs, dont il se plaint
si souvent, il estoit impossible de trouver du
soulagement à ces maux, que dans les remedes
qui leur soient contraires, et en opposant une
juste severité, qui fasse sentir aux criminels la
pesanteur de leurs crimes, aux complaisances
pernicieuses, qui les nourrissent dans leurs
pechez.
Cependant qui ne s' estonnera que des sentimens
si justes, si saints, et si dignes de la pureté
de l' evangile, trouvent aujourdhuy des
censeurs ? Que l' on accuse comme d' un crime
des pasteurs de l' eglise, et des pasteurs dont la
pieté est reconnuë et estimée de tout le monde,
pour avoir remis en usage, avec une benediction
toute particuliere de Dieu, quelque ombre
p530
de l' ancienne discipline, que le Saint Esprit
a commandé de restablir à tous les pasteurs de
l' eglise, par la bouche du dernier concile. Et
que des particuliers se meslent de censurer, ce
que les evesques confirment par leur autorité
sacrée ; ce que Dieu autorise par les miracles de
sa grace ; ce que les anges publient dans le ciel,
comme le sujet de leur joye, en voyant faire
penitence, non pas à un seul, mais à une infinité de
pecheurs ; ce que tout un peuple embrasse avec
ardeur, et avec zele, les uns comme le remede
souverain de leurs blessures, les autres comme
l' exercice de leur pieté, et l' affermissement de
leur vertu, et tous ensemble comme une source
feconde de benedictions et de graces ; et enfin
ce que les ennemis mesmes de l' eglise, ne peuvent
voir qu' avec estonnement, et avec respect.
Certes, ceux qui se scandalisent ainsi de ce qui
doit edifier tout le monde, doivent craindre la
verité de ces paroles de Tertullien ; (...). Les
bonnes choses ne scandalisent que les esprits
mal disposez. Que ceux donc qui se scandalisent
d' un si grand bien, reconnoissent leur mauvaise
disposition.
PARTIE 2 CHAPITRE 35
p531
troisiemement, par plusieurs
regles que Saint Charles a voulu estre inviolablement
observées dans l' administration du sacrement
de penitence. Dont la premiere est de differer
l' absolution à tous ceux qui pechent dans le luxe
et l' immodestie des habits.
la troisiesme et derniere consideration
vous fera voir, que mesme
dans la penitence particuliere, et
pour les pechez autres que scandaleux
et publics, selon les regles
divines de ce saint prelat, de cent personnes,
qui se confessent de pechez mortels, il n' y en
aura souvent pas quatre que l' on ne doive
renvoyer, pour faire des fruits de penitence, avant
que de leur donner l' absolution.
Pour preuve dequoy je ne veux rapporter
que quatre regles entre beaucoup d' autres
semblables, qu' il propose à tous les confesseurs,
pour estre inviolablement observées, et qu' il
tesmoigne n' avoir faites qu' avec l' advis d' un
grand nombre de theologiens, tant du clergé
que reguliers. (...).
p532
La premiere de ses regles que nous considerons,
regarde toutes les personnes qui pechent
mortellement dans le luxe et l' immodestie des
habits ausquelles Saint Charles veut que l' on
differe l' absolution, jusques à ce qu' elles ayent
donné durant l' espace de quelque temps de
veritables preuves d' amendement, parce,
adjouste-t' il pour raison de son ordonnance, (...).
Ce qui nous monstre qu' il n' y a rien
de plus dangereux pour entretenir les pecheurs
dans leurs desordres, que ces absolutions
precipitées : et qu' au contraire le meilleur moyen
d' en arrester un peu le cours, c' est de se servir
de la prattique que vous ne pouvez souffrir en
les envoyant faire penitence, et en leur demandant
des preuves d' une veritable conversion,
avant que de les absoudre.
PARTIE 2 CHAPITRE 36
p533
seconde regle que Saint Charles
ordonne aux confesseurs d' observer. Faire quitter
les occasions du peché avant l' absolution. Combien les
casuistes nouveaux ont corrompu la doctrine des
occasions prochaines de pecher.
la seconde regle de Saint Charles,
c' est qu' il ne suffit pas que le pecheur
ait une ferme resolution de
quitter le peché mortel, mais qu' il
doit aussi se retirer des occasions
qui y portent, et qu' il ne faut pas se contenter
qu' il promette de le faire, principalement s' il
l' a desja promis, et qu' il n' en ait rien fait, mais
qu' il faut attendre pour luy donner l' absolution,
qu' il l' ait actuellement laissée.
Cette doctrine est assez commune dans la
theorie generale ; mais je me sens obligé de
dire qu' il seroit à desirer, que non seulement
elle fust plus fidellement prattiquée, mais aussi
qu' elle fust mieux expliquée, et plus selon les
principes de l' evangile, par ceux qui se
meslent de prescrire des loix pour la conduite des
consciences.
Car que sert-il je vous prie d' enseigner en
general, que l' on ne doit point absoudre ceux,
qui ne quittent pas les occasions du peché, si
l' on fait en sorte à force de subtiliser, que dans
p534
le particulier il ne se trouve quasi point de
rencontre, où l' on puisse dire, qu' un homme soit
dans l' occasion prochaine de pecher mortellement,
et qu' en ce cas mesme l' on le dispense
de l' obligation de s' en retirer sur toutes sortes
de pretextes, pour vains et imaginaires qu' ils
puissent estre ? Et cependant c' est ce que fait
une grande partie de ces auteurs.
D' une-part ils ne veulent reconnoistre pour
occasion de peché, que l' on soit obligé de
quitter, que celle qui fait offenser Dieu
mortellement, tousjours, ou quasi tousjours, ou
pour le moins tres-souvent, et dans laquelle on
ne se trouve jamais, ou rarement sans offenser
Dieu. (...). De sorte que selon
l' un d' eux, l' on ne doit pas tenir pour une
occasion prochaine de pecher, de demeurer avec
une femme, de laquelle on abuse une fois ou
deux le mois. (...). Comme si les crimes n' estoient
abominables, que lors que nous les commettons
tous les jours, et qu' une seule fornication ne
fust pas plus que suffisante pour nous exclure à
jamais de la possession de Dieu.
Ils maintiennent d' un autre costé, comme
l' un des plus nouveaux entre ces auteurs le
rapporte et l' approuve en mesme temps ; (...).
p535
Voila de quelle sorte on laisse vieillir les hommes
dans les crimes, et dans les vices, en leur
permettant de demeurer dans toutes les occasions
qui les y engagent, sur la moindre crainte de
recevoir quelque incommodi. Comme si la verité
mesme ne nous avoit pas asseuré, que la possession
du monde entier ne doit pas seulement entrer
en consideration, lors qu' il s' agit de la perte
de nostre ame.
Mais encore voyons un peu les raisons puissantes,
sur lesquelles une si estrange doctrine
peut estre fondée ; (...).
p536
Si ce raisonnement est bon, il ne faut plus
parler de decalogue, ny d' evangile. Car je supplie
tous les hommes d' examiner un peu dequoy
il s' agit. Il s' agit du precepte d' éviter
l' occasion quasi certaine d' offenser
Dieu mortellement ; c' est la propre espece de cét
auteur : et l' on enseigne que ce precepte, que
tout le monde peut juger n' estre point une loy
positive et capable de changement, mais
naturelle, divine, eternelle, et immuable, ne peut
obliger (remarquez ces termes) (...). A-t' on
jamais entendu parler d' une semblable
theologie, que les commandemens de Dieu ne
nous puissent obliger que sous nostre
bon plaisir, et lors seulement que nous les
p537
pouvons accomplir sans nous en incommoder :
et si cette maxime passe pour bonne, quelle
obligation peut-on trouver, soit dans la loy
naturelle, soit dans le christianisme, dont les
hommes charnels ne se puissent croire avec
raison tres-legitimement dispensez en une
infinité de rencontres ?
Et c' est aussi, suivant ces maximes, que le
mesme auteur enseigne au mesme endroit, que
les serviteurs et les servantes peuvent en
seureté de conscience servir de ministres aux
débauches honteuses de leurs maistres et de leurs
maistresses, porter les poulets, donner les
rendez-vous, faire les messages, et tout le reste
de cét infame commerce, pourveu qu' en tout cela ils
n' ayent point d' autre but que leur commodité
temporelle, (...). C' est à dire, que la fin basse et
abjecte du gain, qui dans les veritables maximes
du christianisme, fait dégenerer en vices
les plus belles vertus, dans les maximes de cét
auteur, fait changer de nature aux vices les
plus honteux, et justifie les actions les plus
criminelles.
Mais n' est-ce pas une chose déplorable,
qu' en des matieres decidées par la bouche de
Jesus-Christ mesme, au lieu de nous
renvoyer à l' evangile, l' on nous propose pour
regles de nos consciences des resolutions toutes
contraires à ses divins enseignemens ? Se peut-il
p538
rien voir de plus clair pour convaincre la fausseté
de cette proposition dangereuse : (...). Quoy que
ce soit, que Jesus-Christ ait entendu, disent
les peres, par la main, le pied, et l' oeil, il est
certain qu' il ne peut avoir entendu que des
choses qui nous sont tres-cheres, et desquelles
nous ne pouvons nous passer sans une extréme
incommodité ; puis qu' il a choisi de toutes les
parties de nostre corps, celles dont l' usage est
plus ordinaire dans toutes les fonctions de la
vie, et dont la perte nous est plus sensible. Et
encore ne se contente-t' il pas en un autre
endroit de nommer la main, mais il adjouste la
main droitte, (...), pour exprimer davantage
la necessité et l' utilité,
p539
de ce qu' il entendoit par cette main. Et
cependant il nous commande en termes
exprés, que si ces choses qui nous sont si utiles et
si necessaires, nous détournent de son service, et
nous sont occasion de ruïne, et de peché, nous
nous en devons separer : et non seulement nous
en separer, mais le faire avec force et violence,
comme ces mots de coupper, retrancher, arracher,
nous le font connoistre, selon la remarque de
Saint Chrysostome. (...), il faut auparavant qu' il se
persuade que de s' arracher un oeil, et se couper
p540
la main droite, ce soit retrancher de nostre
corps des parties inutiles et de nul usage, dont
la perte ne nous apporte aucune incommodité.
Voila ce que produit l' esprit humain, lors
qu' il s' escarte de la lumiere que Dieu nous a
laissée dans les escritures. Le sauveur du monde
a reproché aux pharisiens des traditions
contraires au decalogue, qui n' estoient pas en
apparence si mauvaises que celles-cy, puis qu' elles
tendoient à honorer Dieu par les dons qu' on
faisoit au temple, au prejudice des peres et
des meres. Mais comme l' amour du prochain,
et celuy que nous devons à nous-mesmes, sont
joints ensemble d' un inseparable lien, il ne faut
pas s' estonner, si de la mesme main, dont on
establit l' usure qui ruïne la charité du prochain,
l' on ruïne par ces mauvaises maximes la charité
que tout chrestien se doit à soy-mesme, et à
son propre salut.
PARTIE 2 CHAPITRE 37
p541
troisiesme regle de Saint
Charles, que plusieurs personnes trouvant des
occasions de pecher dans leur profession, quoy que de
soy-mesme innocente, on ne les peut absoudre, si elles
ne la quittent, ou au moins si elles ne donnent durant
quelque temps des preuves d' un veritable amendement.
de la plainte que ce saint fait, que la negligence des
confesseurs a introduit une infinité d' abus en toutes
sortes de professions.
mais pour revenir à Saint Charles,
et pour faire voir combien sa
doctrine estoit esloignée de ces
alterations de la doctrine evangelique,
il ne faut que considerer
la troisiesme regle qui passe encore bien plus
avant, pour ce qui regarde les occasions du
peché, comme il se peut voir par ces excellentes
paroles. (...).
p543
Ouvrons les yeux puis que ce grand saint
nous y exhorte, et considerons avec luy trois
choses tres-importantes.
La premiere, combien est criminelle
devant Dieu la negligence de ces confesseurs, qui
se persuadent n' avoir autre chose à faire dans le
tribunal de la penitence, qu' à escouter les
pechez de tous ceux qui se presentent, et à leur
donner aussi-tost une absolution precipitée,
puis que cét homme divin nous asseure, que
c' est de là que sont procedez tant d' abus et tant
de pechez, dont l' infection s' est tellement
respanduë dans tous les arts, et dans toutes les
professions, qu' il ne semble quasi plus possible à
une grande partie des hommes, de les exercer
sans s' y perdre. Ces paroles sont estranges, et
elles meriteroient d' estre gravées sur tous les
tribunaux des confesseurs, pour leur remettre
devant les yeux l' importance de leur charge, et
de quelle consequence sont les fautes qui s' y
commettent par une fausse douceur. Je n' en dis
pas davantage ; pour déplorer de si grands maux,
les gemissemens sont plus propres que les
paroles.
La seconde chose que nous avons à considerer,
c' est, que Saint Charles a jugé avec grande
raison, que les remedes devans estre
contraires aux causes des maladies, il n' y avoit
point de meilleur moyen pour arrester un peu
le cours des desordres, ausquels la negligence
des confesseurs avoit donné lieu, qu' en retranchant
cette facilité inconsiderée d' absoudre les
plus grands pecheurs, sans avoir aucune raison
de croire qu' ils vivront mieux à l' avenir, et en
obligeant les prestres à voir des fruits veritables
p544
de correction et d' amendement, avant
que de leur prononcer la sentence de reconciliation.
Et remarquez je vous prie l' étenduë de cette
regle, et combien elle comprend de personnes :
car puis que Saint Charles asseure, qu' il n' y a
quasi point d' art et de profession, où ne
regnent mille abus, et mille pechez tres-grands ;
si l' on est obligé (comme le porte cette ordonnance
si juste et si sainte) de differer l' absolution
à tous ceux qui se trouvent engagez dans
ces pechez, sans qu' il y ait legitime sujet de
croire qu' ils s' en dégageront à l' advenir, jugez
combien il y en aura peu que l' on puisse absoudre de
pechez mortels aussi-tost apres la confession,
puis qu' une grande partie de ces pechez, ne se
commet par les gens du monde, que dans ces
engagemens.
La troisiesme chose extrémement remarquable,
c' est que cét homme de Dieu nous
enseigne, que ceux qui se sentent foibles pour
resister aux pechez, ausquels leur profession les
engage, la doivent quitter absolument, ou pour
le moins, ne l' exercer qu' avec grand conseil,
et de grandes precautions. Et cét advis si
important pour la conduite des consciences n' est
pas de son invention ; mais a tousjours passé
dans l' eglise pour une regle inviolable, sans
l' observation de laquelle toutes les penitences
sont estimées fausses.
p545
(...).
Et c' est ce qui justifie ce que j' ay dit dans la
premiere partie de cét ouvrage, qu' il y a beaucoup
de personnes pour lesquelles il y a peu d' esperance
de salut, qu' en rompant entierement
avec le monde, et se dégageant des liens funestes,
qui les retiennent dans la captivité du peché,
p546
et les y entraisnent comme par force lors
qu' ils pensent s' en retirer.
PARTIE 2 CHAPITRE 38
quatriesme regle de Saint
Charles, que les confesseurs ne doivent point
absoudre ceux qu' ils jugent probablement devoir
retomber dans leurs pechez : quelques promesses, et
quelques protestations qu' ils fassent de ne les
plus commettre.
mais considerons la derniere
regle de ce saint prelat, qui nous
fera voir encore plus clairement
que toutes les autres, le grand
nombre de personnes, ausquelles
les prestres sont obligez de differer l' absolution,
pour ne point abuser de leur ministere.
(...).
Jettez les yeux je vous prie, sur cette
grande multitude de personnes, qui viennent en
foule se presenter aux prestres, lors qu' il arrive
p547
une grande feste, et si vous en exceptez un
petit nombre de bonnes ames en qui Dieu
conserve l' esprit de son evangile, et qui par
consequent ne commettent point de pechez
mortels, puis que ce n' est pas vivre chrestiennement
que d' en commettre ; je vous laisse juger
à vous-mesmes, combien il y en aura peu qui
ne soient compris dans cette regle de Saint
Charles, c' est à dire, de qui l' on ne doive
croire probablement, qu' ils retourneront dans leurs
pechez, ou qui mesme n' y soient desja demeurez
durant plusieurs années.
Il faudroit estre bien peu informé de la
corruption generale du monde, pour se persuader
qu' il s' en rencontrast beaucoup d' autres. Mais
pour n' entrer point dans un discours si plein
d' horreur, je me contenteray de remarquer
dans ces paroles de Saint Charles deux points,
qui sont d' une extréme consequence dans
l' exercice du ministere des prestres.
PARTIE 2 CHAPITRE 39
deux considerations sur cette
regle de Saint Charles ; dont la premiere est, que
les conversions qui ne durent que fort peu de temps
sont suspectes de fausseté.
le premier des deux points que cette
regle de Saint Charles nous oblige de
considerer, est fondé sur ce qu' il
ordonne de ne point donner l' absolution à ceux
p548
que l' on juge probablement devoir retomber dans le
peché . Par où il marque qu' il ne suffit pas, que
le penitent soit dans le dessein de quitter le
vice, comme il avoit desja tesmoigné six lignes
auparavant que cela ne suffisoit pas, mais qu' il
est necessaire de plus, que le prestre juge probablement
qu' il demeurera ferme dans ce dessein,
et qu' il ne retombera pas dans les pechez
dont il s' accuse. Ce qui ne se pouvant guere
reconnoistre, que par l' experience, et l' épreuve
des actions, c' est pour cela que ce saint juge,
qu' il est necessaire de differer tres-souvent
l' absolution, jusques à ce que le penitent donne
de veritables preuves de son repentir, par le
changement de sa vie.
En quoy certes nous voyons, que ce saint
prelat n' a point eu d' autre dessein que de suivre
l' esprit des peres, et de marcher sur leurs traces,
selon que Saint Gregoire l' ordonne à tous les
bons pasteurs. Car encore qu' il puisse arriver
qu' un homme veritablement penitent
retourne apres dans son peché, et que ce soit
l' une des plus grossieres erreurs de nos heretiques,
de croire qu' un homme ne perde jamais
la grace, aussi-tost qu' il a esté une fois veritablement
sanctifié : il est certain neantmoins
que les peres ont esté si esloignez de se persuader,
comme quelques-uns font aujourdhuy,
que ces vicissitudes de crimes, et de conversions
deussent passer pour des choses ordinaires,
p549
qu' ils ont esté long-temps à ne recevoir les
hommes à la penitence, qu' une seule fois
depuis le baptesme ; quoy qu' ils ne doutassent
point de la verité de cette doctrine catholique,
que le concile de Trente nous enseigne, (...).
Mais ils croyoient qu' on ne devoit user de ce
pouvoir, qu' avec grande prudence, et grande sagesse,
de peur de donner lieu aux pecheurs de
se joüer de la penitence, et de se tromper
eux-mesmes, et l' eglise en suitte par des fausses
conversions ; (...).
C' est pourquoy quelques personnes en Espagne
sur la fin du sixiesme siecle, voulans
introduire cette coûtume de reïterer sans cesse les
pechez, et les absolutions, le troisiesme concile
de Tolede ne craint point de dire, (...).
Ce qui monstre que ces saints personnages
éclairez par le Saint Esprit se fussent bien
gardez de tenir pour convertis, et reconciliez
avec Dieu, ceux qui se confessent aujourdhuy
p550
de tous leurs crimes, et y retournant demain ;
ceux dont les moeurs ne sont pas plus conformes
aux regles de l' evangile, apres la confession,
qu' auparavant ; ceux qui ne donnent
point d' autres marques de se repentir de leurs
pechez, sinon qu' ils declarent à un prestre
qu' ils les ont commis ; ceux qui s' imaginent
que leur coeur est devenu en un moment de la
retraitte des demons, le temple du Saint Esprit,
sans qu' il en paroisse aucune marque dans
les actions qui procedent de ce coeur, comme
de leur principe, ainsi que Jesus-Christ
tesmoigne ; ceux enfin, dans la vie desquels
toutes les confessions, et toutes les communions
peuvent justement estre appellées des
parentheses, puis que de la mesme sorte que
cette figure suspend bien le fil du discours, mais
ne le rompt point, et n' empesche pas que les
paroles suivantes ne soient liées aux precedentes ;
ainsi dans ces personnes, toutes ces receptions
des sacremens arrestent bien le cours du
vice pour quelques jours, mais n' en sechent pas
le torrent, et n' empeschent pas que les actions
qui les suivent ne soient de mesme nature que
celles qui les ont precedées.
Ces suspensions qui arrestent un jour ou
deux les actions vicieuses, sont comme les
intervalles qui arrivent entre les accés de la fievre
qui ne font pas que le malade soit gueri.
Jesus-Christ ne compte pas la mort du Lazare
p551
pour une mort, parce qu' elle ne devoit durer
que quatre jours, et il dit que sa maladie
n' alloit pas à la mort, mais à la gloire de Dieu ;
(...). On en peut dire de
mesme de ces pretenduës conversions, qui ne
durent que deux ou trois jours, et souvent
moins ; (...). Cette conversion
n' est point à la vie, mais à la mort, afin que par
elle le diable soit glorifié.
Et certes comme un homme qui quitteroit
l' heresie pour embrasser nostre religion, et
estant quelques jours apres retourné dans son
erreur, l' abandonneroit de nouveau, pour se
rendre catholique, et feroit ce changement
vingt ou trente fois en sa vie, ne seroit jugé par
qui que ce fust avoir esté bon catholique, et
pleinement persuadé des veritez de nostre foy
dans ces intervalles de temps, durant lesquelles
il en auroit fait profession ; ainsi ces saints
n' eussent jamais creu qu' un homme qui se
confesse trente fois de ses crimes, et y retombe
autant de fois eust jamais esté touché d' un vray
repentir, et que ces conversions imaginaires,
qui ne durent qu' un moment, et passent
comme des éclairs, se deussent prendre pour de
veritables conversions.
(...).
p552
De sorte que nous apprenons par cette
comparaison, que non seulement ces conversions
pretenduës ne rendent pas l' ame nette, mais la
font devenir encore plus salle. Ce qui a fait dire
à ce saint dans le mesme livre, cette parole
qui est devenuë si commune parmy tous les
auteurs qui l' ont suivy. (...).
p553
Mais cette celebre definition de la penitence
que les peres anciens nous ont enseignee, et
que les docteurs des derniers siecles ont
embrassee d' un commun accord, ne nous fait elle
pas foy de cette verité ? Puis qu' elle nous
apprend, (...).
Ce qui a donné lieu à Saint Gregoire de mettre
au mesme rang dans son pastoral, ceux qui
quittent leurs pechez sans les pleurer, et ceux
qui les pleurent sans les quitter, comme deux
sortes de personnes opposees entr' elles ; mais
qui s' accordent neanmoins dans le violement
de la penitence.
C' est pourquoy d' un costé il advertit les
premiers, de ne pas croire leurs fautes abolies,
lors qu' ils se contentent de ne les pas multiplier,
et negligent de les laver dans leurs pleurs ;
(...).
p554
Et le Pape Gregoire Vii qui gouvernoit
l' eglise dans l' onziesme siecle, fit tenir en
l' an 1079 un concile exprés en Bretagne,
pour abolir, comme remarque Binius, l' abus
qui s' estoit glissé dans cette province, par la
negligence et l' ignorance des prestres, d' absoudre
ceux qui continuoient de commettre
les mesmes pechez, sans voir d' amendement
en leur vie. Et dans la lettre qu' il escrit aux
evesques, et aux ecclesiastiques de Bretagne,
pour l' abolissement de cette coutume des fausses
penitences, comme il l' appelle, il dit ces
paroles dignes de la suffisance et de l' authorité
d' un successeur de Saint Pierre. (...).
p556
Je ne puis encore oublier icy ce qu' environ
cent ans depuis, Pierre De Blois autheur
celebre dans les derniers temps a escrit sur ce sujet
dans un traitté de la confession sacramentale,
où il fait profession de ne rien dire, que ce
que les peres luy ont appris. Il y parle fortement
à l' exemple de Saint Gregoire, et contre
ceux qui quittent leurs pechez sans les pleurer,
comme il faut, et contre ceux qui les pleurent
sans les quitter.
Il dit d' une-part à ceux-là, (...).
p557
Cette mesme doctrine n' est pas moins clairement
expliquee par le concile de Trente,
dont Saint Charles n' a esté que l' interprete,
puis qu' il nous enseigne en divers endroits,
que pour faire penitence il ne suffit pas de
confesser ses pechez au prestre, ou mesme de les
detester, mais qu' il faut aussi s' en corriger, et
changer sa mauvaise vie en une meilleure. C' est
ce qu' il declare en refutant l' erreur de Luther,
qui ne vouloit point admettre d' autre penitence
que la nouvelle vie, et le changement des
moeurs ; au lieu que le concile reconnoist
bien, que ce renouvellement de la vie est
necessaire pour la penitence, mais qu' il ne suffit
pas seul, pour une bonne et entiere penitence.
(...).
p558
D' où nous apprenons que le concile entend
que la fuite du peché, et l' amendement de la
vie fassent une partie de la penitence, quoy
qu' ils ne la fassent pas toute entiere, ainsi que
vouloit Luther. Et par consequent nous voyons
combien Saint Charles a grande raison
d' ordonner aux prestres qu' ils ne se contentent pas
des promesses, et des protestations de bien
vivre, mais qu' ils en voyent des effects, avant
que de donner l' absolution, lors qu' ils jugent
probablement que les pecheurs retourneront
dans leurs pechez.
Que si l' on luy eust objecté, qu' il suffit
d' avoir dessein de quitter son peché, lors que l' on
s' en confesse, quoy que puis aprés l' on ne
demeure pas dans ce dessein : je ne doute point
qu' il n' eust respondu, que ce dessein de bien
vivre, qui est necessairement requis pour une
bonne penitence, ne doit pas estre du nombre
de ces desirs imparfaits et languissans, qui ne
produisent jamais aucun effect, mais une
volonté sincere qui degage nostre coeur des
affections du peché, et qui comme le bon arbre de
l' evangile, produise les fruits d' un veritable
amendement. Ce que le concile de Trente
luy avoit appris, lors qu' expliquant ce qui doit
estre enfermé dans la contrition, pour estre
partie du sacrement de penitence, il n' y met
p559
pas seulement le regret d' avoir offensé Dieu, et
le dessein d' une nouvelle vie, mais aussi
l' éloignement du peché , cessationem à peccato,
et le commencement de cette nouvelle vie . Or
j' interpelle la conscience de tous les hommes, si
l' on peut dire raisonnablement, qu' un homme a quitté
son peché, et qu' il est rentré dans une meilleure
vie, parce qu' il a promis à un prestre de le
faire, ou que se trompant soy-mesme, il se
persuade en avoir la volonté, quoy qu' il n' en
execute rien, et qu' il retombe dans ses crimes à la
premiere occasion.
(...), dit Saint Bernard : et les damnez
mesmes conservent ces repentirs inutils, ainsi que
nous l' apprenons du 5 chapitre de la sagesse,
où le Saint Esprit nous decrit divinement leurs
regrets, et nous tesmoigne qu' il se repentent
d' avoir mal vescu, (...). Ils
y reconnoissent leur folie ; ils y deplorent leur
misere, et il se peut faire, selon cette pensee de
Saint Bernard, que comme un homme mourant,
qui se sentant couvert de pechez, voit
l' enfer ouvert, et prest à le devorer, dit en
soy-mesme : si je ne meurs point de cette maladie,
je ne vivray plus comme j' ay fait : de mesme un
damné considerant que ce sont ses crimes qui
l' ont mis dans les flammes eternelles, peut dire
en luy-mesme : si je pouvois sortir d' icy, je ne
commettrois plus les crimes que j' ay commis
p560
autresfois ; ayant ainsi quelques desirs, mais
inutiles, parce qu' ils ne peuvent rien produire.
C' est l' amour d' eux-mesmes qui leur reste dans
les enfers, qui leur donne ces pensees, sans que
pour cela il se trouve aucun veritable changement
dans le fonds de leur volonté, comme
Grenade soustient, que cette crainte des
peines d' enfer, que l' on voit dans la plus-part des
pecheurs mourans, peut proceder de l' amour
naturel qu' ils se portent à eux-mesmes : (...).
Ainsi nous voyons le peu d' estat que l' on
doit faire de toutes ces penitences qui ne sont
point accompagnees du renouvellement, et
du changement de la vie, et qui ne consistent
qu' en des desseins, et des desirs vains et
infructueux, tels que sont ceux des damnez ;
n' y ayant autre difference entre les damnez et
les meschans, qui continuent tousjours de commettre
les crimes qui les damnent, sinon, que
ceux-cy ne font point penitence, ce qui est la
point, et ne la peuvent faire, ce qui est l' effect
de la leur. De sorte qu' ainsi que Saint Jacques
compare la foy, qui n' est point accompagnee
des oeuvres, à la foy des demons, qui croyent
en Dieu et qui tremblent ; et l' appelle une foy
vaine et une foy morte : de mesme on peut
dire que la penitence qui n' a que des desirs et
p561
des desseins, qui ne produisent aucunes oeuvres,
ny aucun effet solide d' un veritable repentir,
n' est qu' une penitence de damné, une
penitence vaine et morte, une penitence qui
meine en enfer, et qui continuë dans l' enfer.
C' est par cette regle que Grenade tient
pour suspectes de fausseté la plus grande partie
des penitences des mourans. (...).
C' est donc par les oeuvres, que l' on doit estimer
les desirs, et les resolutions, et ainsi
selon la regle de Saint Charles, un confesseur ne
doit point absoudre ceux qu' il juge probablement
devoir retourner dans leurs pechez, quoy
qu' ils disent et qu' ils promettent au contraire,
parce que jugeant que toutes ces promesses
n' auront point d' effet, il doit juger en mesme
temps qu' elles n' ont rien de solide, et que ce
ne sont que de vains discours, ou des illusions
p562
de l' esprit humain, qui se trompant soy-mesme,
se persuade d' avoir dans le coeur, ce qu' il
n' y a pas, comme Saint Gregoire explique
divinement, lors qu' il dit, (...).
Je sçay bien que ceux qui ne veulent point
user de ces retardemens salutaires, dont le grand
Saint Charles veut que les prestres se servent en
tant de rencontres ; ont accoustumé d' alleguer
pour eux ces paroles d' Ezechiel, (...) : à quelque
heure que le pecheur gemisse, il sera sauvé.
Mais quoy que ces paroles se trouvent citées
par beaucoup d' auteurs des derniers temps,
comme si elles estoient veritablement de l' escriture,
il est tres-vray neantmoins qu' elles n' en
sont point : et que quelque peine que ceux qui
les alleguent se donnent de les chercher, ils ne
les trouveront jamais, ny dans nostre edition
vulgaire, ny dans l' original hebreu, ny dans
la version des septante, ny dans la paraphrase
chaldaïque, ny dans aucune autre version,
soit nouvelle, soit ancienne.
Que s' il y a quelque chose dans le 18 et dans
p563
le 33 chapitre d' Ezechiel qui ait rapport à ces
paroles ; pour le moins on m' avoüera qu' elles ne
peuvent avoir aucun poids, qu' estans prises dans
le sens du veritable texte de ce prophete. Or
que dit ce prophete dans ces chapitres desquels
on pretend que ces paroles sont tirées. Dans le
18 il parle de cette sorte, (...).
Et dans le chapitre 33 apres avoir promis au
pecheur de la part de Dieu, que son peché ne
luy portera point de prejudice aussi-tost qu' il
sera converty, il explique six lignes plus bas
quelle doit estre cette conversion. (...).
N' est-il pas clair par ces paroles,
que ce prophete, non plus que tous les autres,
p564
ne reconnoist point de veritable conversion,
que dans le changement de la vie pecheresse en
une vie sainte, et dans l' abandonnement des
vices, pour embrasser la vertu ? Et par consequent,
qui peut avoir droit de se servir des paroles
alleguées, qui ne se trouvent en aucun endroit de
l' escriture, pour promettre le salut aux
pecheurs, sous d' autres conditions, que celles que
Dieu leur propose si clairement dans le veritable
texte de ce prophete ; et plus particulierement
encore dans Isaïe par ces paroles. (...) :
(c' est à dire, entrez dans
les exercices de la charité parfaitte et accomplie,
qui comprend en éminence tous les actes
de penitence et de satisfaction, aussi-bien que
toutes les autres vertus.) (...).
Mais enfin, quelque force que l' on veüille
faire sur ces paroles, (...).
PARTIE 2 CHAPITRE 40
p565
seconde consideration sur la
regle de Saint Charles. Que selon ce saint, les
confesseurs ne sont point obligez par necessité
d' adjouster foy aux promesses que les grands pecheurs
leur font, de changer leur vie, s' ils ne donnent
des preuves effectives de leur amendement.
et cecy me donne sujet de passer
à l' autre poinct des deux que nous
avons dit se pouvoir tirer de la
regle de Saint Charles, (...).
Ces dernieres paroles meritent un peu de
reflection, puis qu' elles nous apprennent cette
importante verité, que la puissance d' un prestre
ne dépend pas de ce que son penitent peut
dire, ou promettre ; et que pour juger si un
homme merite, ou ne merite pas d' estre absous,
p566
il doit bien suivre une autre lumiere, que celle
qui se peut prendre de quelques paroles
trompeuses, et de quelques vaines protestations.
Et cependant l' orgueil et l' impenitence des
hommes sont montez aujourdhuy jusqu' à un
tel point, qu' il y en a beaucoup qui se persuadent,
que pourveu qu' ils ayent fait le dénombrement
de leurs pechez, du mesme ton que
l' on conteroit une histoire, et qu' ils ayent
promis des levres de s' en repentir, et de n' y plus
retourner, ils ont droit de recevoir l' absolution,
et que l' on ne la leur peut refuser, ny mesme
differer d' un seul jour sans injustice ; de sorte que
sans doute ils en appelleroient comme d' abus,
s' ils ne trouvoient aisément des confesseurs qui
les trompent, et qui reparent par leur douceur
indiscrette la pretenduë rigueur des autres.
Cette imagination est si ridicule, qu' elle ne
merite pas d' estre refutée. Car qui ne voit que
ce seroit entierement renverser l' ordre estably
par Jesus-Christ ? Que ce seroit soûmettre
le medecin au malade, le pasteur à la brebis,
et le juge au criminel ? Que ce seroit faire
descendre les prestres de leur tribunal, pour y
faire monter ceux que Dieu leur a donnez à
juger ? Et enfin que ce seroit fouler aux pieds les
paroles eternelles du sauveur du monde, par
lesquelles il leur a donné pouvoir de lier, et de
délier les pecheurs, de retenir et de remettre les
pechez ?
p567
Un grand evesque de nos jours d' une vertu
rare, et d' une suffisance extraordinaire, dans
son commentaire sur l' evangile, explique ainsi
ces mots de nostre seigneur, (...).
p568
Ces paroles excellentes de ce grand homme,
dont l' esprit n' estoit rempli que de la science
de l' escriture et de la theologie de la tradition,
c' est à dire, des conciles, et des peres,
nous marquent deux jugemens dans le tribunal
de la penitence ; le jugement de discretion, et
le jugement de justice ; que le concile de Trente
avant luy n' a pas marqué moins clairement,
lors qu' expliquant la necessité de la confession
particuliere de tous les pechez mortels, il n' en
apporte point d' autre raison, sinon (...).
Mais l' impenitence des hommes veut aujourdhuy
renverser l' un et l' autre de ces jugemens.
Celuy de justice , en s' imaginant que les
prestres ne doivent imposer pour penitence,
que de certaines actions legeres, qui ne contiennent
p569
pas seulement l' ombre des peines qu' ils
meritent, ou mesme se persuadant qu' ils
peuvent reserver en purgatoire toutes leurs
satisfactions. Et celuy de discretion , en voulant
que le confesseur soit obligé de les croire de tout ce
qu' ils luy diront, et de les absoudre sur leur
parole.
Considerez je vous prie l' impertinence de
cette pretention. Un homme sera demeuré
plusieurs années dans les mesmes crimes ; il s' en
sera confessé plusieurs fois ; il aura tousjours
promis de s' en corriger ; il aura trompé autant
de fois ses confesseurs, et n' aura rien executé
de toutes ses vaines promesses : et il pretendra
qu' apres tout cela celuy que Jesus-Christ
luy a donné pour son juge, celuy qui doit
rendre compte à Dieu de son ame ; celuy à qui
tous ses pechez seront imputez, s' il les
entretient par sa negligence, est obligé de l' absoudre
sur la foy d' une parole, qu' il a tant de fois
violée ; de l' admettre à l' usage des sacremens
qu' il a perpetuellement traittez avec indignité ;
de le laisser tomber en ses sacrileges ordinaires ;
de luy permettre de se joüer de la communion
de la paix, pour user des termes des
conciles ? Et si ce confesseur veut examiner avec
quelque soin, le fonds de sa conscience ; s' asseurer
de son repentir, par quelques marques plus
certaines que des paroles trompeuses, selon que
l' ordonne Saint Charles apres tous les peres ;
p570
voir quelques efféts d' un veritable desir de quitter
son vice, avant que de le traitter comme un
homme veritablement converty ; il aura l' insolence
de se plaindre qu' on luy fait tort ; (...) ?
Pour le moins ces personnes meriteroient-elles
p571
qu' on les traittast de la mesme sorte, dont
Ives De Chartres tesmoigne qu' il eust traitté les
impenitens, si quelque occasion l' eust
contraint de les admettre à la reconciliation, en leur
disant clairement : (...).
Le plus seur neantmoins, est d' embrasser en
ces rencontres ce que j' ay desja rapporté de
Saint Basile. (...).
Saint Ambroise nous donne le mesme avis
dans son commentaire sur le pseaume 37
il fait un excellent discours de la penitence. (...).
p572
Et en effét il n' y a pas lieu de douter, que
tant que les pecheurs demeureront dans cette
fausse persuasion, qu' en rendant un compte
exact de tous leurs desordres, et de toutes leurs
abominations, l' absolution leur est deuë ; leurs
playes se doivent tenir pour incurables, et leur
salut pour desesperé. Je ne pretends point
instruire personne en cét escrit, mais seulement
leur faire écouter la voix des peres, que Dieu a
suscitez de temps en temps pour expliquer les
mysteres de son royaume, et servir de docteurs
à tous les peuples. (...), pour me servir des paroles
de Pierre De Blois. C' est pourquoy j' ayme
mieux icy me taire pour faire parler Saint
Pacien, touchant ceux qui s' imaginent, que toute
la penitence ne consiste qu' à confesser exactement
leurs pechez. Il le fait si excellemment
que je ne feray point de difficulté de rapporter
un peu au long ce qu' il en dit, puis qu' il
p576
contient l' une des plus belles et des plus importantes
instructions que l' on puisse en ce temps
donner aux ames. (...).
PARTIE 2 CHAPITRE 41
que l' eglise a encore aujourdhuy
les mesmes sentimens, touchant la penitence
qu' elle a eus autresfois. Et que Saint Charles
avoit dans le coeur de porter la discipline
ecclesiastique à un plus haut degré
qu' il n' a fait encore.
certes, quand je considere ces
paroles, et tant d' autres semblables
des peres, dont toute l' eglise
fait profession d' embrasser les sentimens ;
je ne puis avoir d' autres
pensées, sinon qu' il faut de necessité ; ou que
ces hommes si esclairez de Dieu ayent esté
tres-ignorans, et tres-aveugles dans la conduite des
ames, en les traittans avec une insupportable
tyrannie, et en leur prescrivant des remedes
tres-fascheux, comme necessaires pour la
guerison de leurs playes, sans lesquels neantmoins,
il estoit tres-facile de les guerir : ou qu' il soit
descendu quelque evangile nouveau, qui ait
renversé toutes les regles de celuy selon lequel
ils se gouvernoient : ou qu' enfin (s' il n' est
permis qu' à Calvin, et aux autres heretiques de
condemner les peres en cét article, d' ignorance
et de cruauté, et que nous n' ayons point d' autre
evangile, que celuy qu' ils ont presché) l' on
peut avoir quelque sujet de douter, si les ames
p577
retournent à Dieu, et se guerissent de leurs
blessures mortelles avec la facilité que quelques
personnes se persuadent en ce temps.
Mais quand je considere encore, que le dernier
concile general ne nous recommande
rien davantage, que de demeurer fermes dans
la doctrine de nos peres, sur le fait mesme de la
penitence ; et qu' un saint suscité particulierement
de Dieu, pour estre dans la fin des siecles
le modelle des bons prelats, marchant sur les
traces de ce concile, a tant travaillé pour
mettre en prattique les remedes si salutaires de ces
fidelles medecins des ames ; soit en ramassant
leurs canons et leurs regles de la penitence,
pour les mettre devant les yeux de tous les
prestres, comme le modelle le plus accompli qu' ils
puissent suivre ; soit en ordonnant la penitence
publique pour tous les pecheurs publics ; soit
enfin en proposant tant de reglemens, pour
obliger la plus grande partie de ceux mesmes
qui ne pechent pas avec scandale, à faire des
fruits dignes de penitence, avant que de recevoir
l' absolution. Lors, dis-je, que je me
remets tout cela devant yeux, je ne puis que je
n' adore la bonté infinie de Jesus-Christ
qui conserve tousjours son eglise dans l' unité
d' une mesme foy, et d' une mesme pieté, et
qui ne permet pas que l' ignorance des uns, ou
l' impenitence des autres abolissent les
veritables sentimens de la penitence, que tous les
peres
p578
par toute la terre, et dans tous les siecles ont
pris tant de soin de graver dans l' esprit des
chrestiens.
Il ne faut donc pas que personne, pour
excuser la lascheté de sa conduite, prenne la
hardiesse à l' exemple de Calvin, d' accuser d' une
trop grande severité celle de tant d' hommes
apostoliques, et principalement celle de Saint
Charles, que nous pouvons dire au contraire
avoir usé de beaucoup de condescendance, pour
vaincre peu à peu la resistance du temps, et
l' endurcissement des coeurs, et pour monter par
degrez à l' establissement d' une discipline plus
parfaite.
C' est ce qu' il tesmoigne luy-mesme en beaucoup
d' endroits, et entr' autres voicy comme il
parle dans la harangue qu' il fit à l' entrée de son
3 concile provincial, apres avoir desja travaillé
douze ou treize ans au reglement de son eglise.
(...).
p579
Et afin que l' on ne se persuade pas qu' il ait
entierement achevé depuis ce qu' il tesmoigne icy
n' avoir qu' ébauché ; dans le sixiesme et dernier
concile auquel il n' a survescu que deux
années, apres avoir assemblé cinq conciles
provinciaux, et un grand nombre de diocesains,
pour l' establissement de la discipline
ecclesiastique, apres avoir fait toutes les
ordonnances lesquelles nous avons marquées, et une
infinité d' autres semblables, il ne parle d' aucune
chose avec plus de chaleur et d' émotion, que
de l' indiscretion de ceux qui trouvoient mauvais
que l' on tinst de nouveaux conciles, et
que l' on fist de nouvelles loix pour perfectionner
de plus en plus celles qu' il avoit desja faites
pour la reformation de la vie des chrestiens.
(...).
PARTIE 2 CHAPITRE 42
p580
que Saint Charles a porté
les pecheurs à la penitence par l' exemple
de sa vie.
mais à tout cela, je ne puis que
je n' adjoûte le tesmoignage de
Dieu mesme, pour la confirmation
de la doctrine de Saint Charles,
en ce qui regarde les exercices
de la penitence. Car de quelle sorte
Jesus-Christ pouvoit-il mieux tesmoigner
combien ces exercices luy sont agreables, qu' en
inspirant à ce grand saint un si violent amour pour
les austeritez et les mortifications, que dans
l' éminence de sa dignité, et les fonctions de
l' episcopat, il a voulu mener une vie de religieux
et de penitent ; sans que les prieres de plusieurs
excellens hommes de son temps l' ayent jamais
peu porter à se relascher.
Il est rapporté dans sa vie, qu' il ne leur disoit
autre chose pour toute response, sinon etc.
p581
Ce qui nous marque bien clairement, qu' il
n' entreprenoit ces choses que par le mouvement
du Saint Esprit ; puis qu' un homme
d' une aussi grande humilité qu' il estoit, se fust
sans doute rendu facilement au conseil de tant
de gens de bien, et aux remonstrances des
papes mesmes, s' il n' eust senty une autre loy
dans luy-mesme, qui le menoit ailleurs, à
laquelle il est aussi difficile de resister, qu' aux
torrens qui descendent des montagnes. De
sorte, qu' au lieu que l' apostre dit, (...) ;
c' est à dire, de ces personnes de pieté, qui
s' opposoient à ses desirs, et qui estoient
veritablement ses membres dans le corps de
l' eglise.
C' est cette loy interieure qui luy a fait
mespriser le monde au milieu des plus grandes
prosperitez, et qui l' a poussé à prattiquer en sa
jeunesse des austeritez extraordinaires,
principalement à un evesque, et à un cardinal : mais
qui devoient estre telles, selon le dessein de
Dieu, pour luy faire prescher la penitence par
p582
ses actions, aussi-bien que par ses paroles ; pour
forcer par son exemple ceux que ces ordonnances
n' auroient pas émeus ; et faire voir aux
pecheurs le soin qu' ils doivent prendre
d' expier leurs crimes, par la mortification de leur
chair, et les austeritez de la penitence, puis que
les innocens et les saints les embrassent avec
tant d' ardeur, pour se purifier des moindres
taches. Et c' est ce qui luy faisoit dire
ordinairement, comme il est rapporté dans sa vie,
(...).
PARTIE 2 CHAPITRE 43
que l' on doit avoir grand
esgard sur le sujet de la penitence, à la
correspondance qui se trouve entre les ordonnances
generales du concile de Trente, et les particulieres
de Saint Charles qui la fait conclurre.
je me suis arresté long-temps à
declarer les sentimens de Saint
Charles touchant la penitence,
mais je l' ay fait, parce que j' ay creu
qu' il estoit impossible de mieux
faire remarquer aux chrestiens le soin que
Dieu a pris de graver cette verité dans leurs
coeurs, pour confondre l' heresie qui l' en a
voulu effacer, que par cette admirable correspondance,
p583
qui se trouve entre les ordonnances
generales du concile, et les particulieres de ce
grand saint qui la fait conclure.
Car si quelqu' un vouloit revocquer en doute
les six ou sept ouvertures que le concile a
laissées à la penitence, ou publique, ou privée,
comme la faisoient les anciens dans la separation
du corps du fils de Dieu ; il n' a qu' à jetter
les yeux sur les reglemens de Saint Charles, qui
avoit pris à tasche d' en faire executer les
ordonnances ; et il verra facilement dans tout ce
que nous en avons rapporté, que cette prattique
de la penitence qui vous scandalise si fort,
n' est pas seulement conforme aux ordonnances
des anciens conciles, mais aussi à celles de
celuy de Trente ? Personne ne pouvant douter
que ce saint ne les ait entendus, puis que c' est
luy qui a fait mettre le dernier sceau, et que son
dessein n' ait esté en les faisant prattiquer le
premier en son diocese, de declarer à tous les
pasteurs de l' eglise catholique, comme il les
falloit entendre, n' y ayant point de meilleure
interpretation des canons, qui concernent la
discipline, que celle qu' on remarque dans l' usage
et dans les actions publiques des saints evesques.
Et c' est de là que nous apprenons que si
l' on demande pourquoy le concile n' a pas si
distinctement, ny si clairement parlé de la
penitence que Saint Charles, il est facile de
respondre
p584
qu' il l' a fait, parce qu' apres avoir establi
la verité de la doctrine touchant la penitence
contre les heretiques, il n' a pas voulu trop
gehenner la foiblesse des catholiques, qu' il a
reconnuë estre grande dans toute l' eglise, et
dont il pouvoit dire ce que Jesus-Christ
disoit des juifs de son siecle : personne ne peut
coudre une piece de drap neuf à un vieil
habillement. C' est pourquoy le concile s' est
contenté de leur avoir fait voir la verité dans ses
decisions, croyant que s' ils estoient touchez
tant soit peu du remors de leurs pechez ce mouvement
de leur coeur les obligeroit assez à la
vraye penitence, qui consiste dans les fruits
visibles ; sans qu' il fist des loix particulieres
pour chaque peché.
Mais ce qu' il n' a pas fait avec tant de
rigueur à l' esgard des penitens, il l' a fait à
l' esgard des prestres, en leur commandant d' imposer
des penitences proportionnées à la grandeur
des pechez, à peine d' y participer eux-mesmes,
et de se rendre coûpables d' une lasche negligence.
Que s' ils se trouvoient en peine de quelle
maniere ils devroient traitter les grands pecheurs
avant que de les absoudre, et quelle penitence
ils devoient enjoindre pour chaque
peché, à cause que l' ancienne et si sainte
discipline, que l' eglise a conservée durant tant de
siecles, estoit presque ensevelie dans l' oubli,
Saint Charles l' a voulu renouveller, comme
p585
divers papes, et divers evesques ont fait avant
luy en divers temps, et il l' a fait aussi-tost apres
la conclusion du concile, afin de tirer les
ecclesiastiques de peine, en leur donnant par ces
ordonnances particulieres, que nous avons
rapportées en abregé, de tres-grandes et de
tres-fidelles instructions sur les difficultez qui
leur peuvent arriver dans l' usage de la penitence.
Enquoy le Saint Esprit a fait voir, qu' il est
vrayment le conducteur de l' eglise, ostant
toute sorte d' excuse aux pasteurs, tant en faisant
suppléer par cette voye, et par les premiers
synodes particuliers, qui ont esté tenus par
Saint Charles en Italie, incontinent apres le
concile, ce qui sembloit y manquer ; qu' en proposant à
tous les evesques, l' exemple du plus illustre
prelat, et du plus grand saint des derniers
siecles, afin qu' autant qu' ils auroient de zele et
d' autorité, ils s' efforçassent de faire comme
luy dans leur diocese, ce que l' eglise n' avoit
pas voulu ordonner si ouvertement dans le
concile general, à cause de la dureté des hommes,
qu' elle gouverne tousjours comme ses
enfans, s' accommodant un peu à leur
foiblesse, et taschant tousjours de les remettre,
et de les fortifier par les voyes les plus
convenables, comme sont celles des synodes
particuliers, où il est plus facile d' ordonner, et de
faire prattiquer aux hommes en chaque diocese,
les vrays remedes de la penitence, pour
p586
les guerir parfaittement de leurs pechez.
Et c' est à quoy le concile a voulu pourvoir
par les conciles provinciaux, ausquels il les
oblige expressément, comme aux plus excellens
remedes de tous les desordres, et l' unique moyen
de faire subsister la discipline.
Et le mesme Saint Charles, qui a esté le
premier qui ait obey à cette ordonnance, nous a
fait voir par ce grand nombre de reglemens,
touchant l' obligation à la penitence convenable,
qu' il n' y a point de raison plus importante
que celle-là, pourquoy les synodes provinciaux
soient si necessaires en ce temps.
Apres cela, qui peut douter que le Saint
Esprit, qui dans les conciles parle souvent le
langage des escritures, c' est à dire, un langage
abregé, et contenant des sens, qui ne paroissent
pas si clairement sous la lettre, ne puisse dire à
ceux qui croyent qu' il a parlé autrement que
les anciens conciles, de la necessité de la penitence,
touchant le point principal ; qui doute,
dis-je, qu' il ne leur puisse dire ce que
Jesus-Christ disoit aux juifs, ausquels le
relaschement de leurs moeurs les rend semblables :
(...). Parce que celuy
qui a la grace et le don d' intelligence, pour bien
comprendre les paroles du concile, ne manquera
jamais de l' escouter, et de luy obeïr aux
occasions, où il s' agira de rentrer dans la grace de
Dieu par une vraye penitence, apres avoir appris
p587
par les regles de S Charles, et par les pratiques
de son diocese, comment il les faut entendre.
PARTIE 2 CHAPITRE 44
paralelle de Saint Charles
et de Monsieur De Geneve.
et certes il paroist visiblement que
Dieu a voulu donner ce grand
saint à l' eglise, pour servir de
guide aux evesques et aux pasteurs
dans l' administration de la penitence.
Car si nous voulons faire un peu de
reflection sur les deux plus saints prelats des deux
derniers siecles, Saint Charles, et Monsieur De
Geneve, nous trouverons que le Saint Esprit
a suscité Saint Charles le premier, pour convertir
une partie des peuples catholiques de l' eglise
de Milan, l' une des premieres d' Italie,
c' est à dire, pour commencer à reformer une
partie de la maison de Dieu, par ses saintes
constitutions, par ses seminaires, et par le
renouvellement des exercices de la penitence : et il a
suscité Monsieur De Geneve depuis luy pour
convertir une partie des peuples du diocese de
Geneve, c' est à dire, pour commancer à
destruire une partie de la maison du diable, en
convertissant les heretiques.
Parce que le grand Saint Ambroise a esté
le docteur de la penitence dans l' occident,
comme Saint Basile et Saint Jean Chrysostome
p588
dans l' orient, et qu' il l' a faite pratiquer aux
peuples, aux princes, aux ministres, et aux
empereurs ; Dieu destinant le grand Saint Charles
au restablissement de la penitence, et luy
ayant inspiré l' esprit et le genie de Saint
Ambroise, il voulut qu' il luy succedast aussi bien
dans son siege que dans son esprit, et dans sa
conduite, dans le throsne de l' eglise de Milan,
où il y avoit beaucoup de catholiques à
convertir, et peu ou point d' heretiques. Et
parce qu' il destinoit Monsieur De Geneve à la
conversion des heretiques, il l' a fait pasteur de
la ville capitalle de l' heresie, de la Babylone
des heretiques, où il y avoit plus de calvinistes
à convertir, que de catholiques à regler.
Dieu donna de grands appuis à Saint Charles
pour soustenir son grand dessein de la reforme
de son diocese, et du restablissement de la
penitence qui devoit l' engager dans de grands
combats. Il l' autorisa par ses parens, et par ses
alliez dans l' Italie ; par ses amis dans la cour de
Rome ; par son illustre naissance parmy les honnestes
gens du monde ; par sa dignité de cardinal,
de neveu d' un pape, et de legat du saint
siege parmy les ecclesiastiques, et les princes ;
par ses grandes richesses instrumens de ses
grandes charitez, parmy les pauvres ; par sa haute
pieté, parmy les bons ; par ses humiliations et
ses austeritez merveilleuses, parmy les
pecheurs. Il luy donna pour cela un visage venerable,
p589
plein de respect et de majesté ; une sagesse
et une conduite capable de gouverner
toute l' eglise, comme il avoit fait sous le
pontificat de son oncle ; une magnanimité de
grand seigneur, et de grand saint, pour ne
point craindre les menaces des gouverneurs
violens, les assassinats des moynes desesperez,
les calomnies des ecclesiastiques rebelles, le
refroidissement du pape, et des cardinaux
trompez et surpris ; une force d' esprit extraordinaire,
pour entreprendre de grandes choses ; une
constance immobile pour les executer, et les achever ;
une charité ardente et genereuse pour marcher
sans crainte parmy la peste, parmy les
torrens ; une vigueur de corps infatigable pour
visiter incessamment son diocese, et supporter
ses mortifications ; une humilité de penitent
public, pour confondre l' impenitence publique ;
un violent amour de l' eglise primitive,
pour faire refleurir son ancienne discipline dans
la decadence des derniers temps ; une reverence
profonde de la sainteté de ses canons penitentiaux,
pour les renouveller et les proposer
comme des modelles ; une lumiere penetrante
dans la dispensation de ces excellens remedes
pour s' en servir à la guerison des ames ; et enfin
toutes les qualitez divines et heroïques necessaires
à un evesque pour reformer les desordres
d' une eglise, et pour abolir cét abus si deplorable
des confessions imparfaites, des absolutions
p590
precipitées, des satisfactions vaines, et
des communions sacrileges.
Et parce que Dieu destinoit Monsieur De
Geneve à la conversion des heretiques, ainsi
que Monsieur Le Cardinal Du Perron le
reconnoissoit avec tout le monde, en disant souvent,
qu' il pouvoit bien convaincre les heretiques,
mais que c' estoit à Monsieur De Geneve à les
persuader, et à les convertir, Dieu luy donna
une douceur incomparable, absolument necessaire
pour adoucir l' aigreur de l' heresie, et pour
vaincre l' esprit en touchant le coeur ; une adresse
non commune pour destruire leurs fausses
opinions ; une science plus de la grace que de
l' estude pour parler hautement des mysteres
de la foy ; un discours plein d' atraits, et d' une
eloquence sainte ; un air de pieté et de devotion,
dans ses gestes, dans ses paroles, dans ses escrits ;
un visage agreable capable de donner de l' amour
aux plus barbares ; une pureté angelique
qui jettoit comme des rayons de son ame sur
son corps ; une humilité profonde, opposée à
l' orgueil de l' heresie, et une humilité grave,
opposée à ses mépris : et enfin une tendresse
amoureuse et patiente, et des entrailles
vrayement paternelles, pour embrasser avec des
mouvemens de pitié ceux qui ont succé l' heresie
avec le laict, et dont les peres ont esté les
paricides pour surmonter peu à peu l' opiniastreté
de leur erreur, et pour attendre du ciel le
p591
fruit quelquesfois lent et tardif des semences
divines qu' il avoit jettées.
Comme Dieu voulant monstrer d' abord,
par les premiers ouvrages de Saint Charles
encore jeune, qu' il le destinoit à la reforme d' une
grande eglise, il l' appella au gouvernement
de l' eglise romaine sous son oncle, où il ne
fit qu' ébaucher ce qu' il acheva dans son eglise :
de mesme Dieu voulant monstrer qu' il destinoit
Monsieur De Geneve à la dignité episcopalle,
pour la conversion des heretiques, il l' occupa
durant qu' il n' estoit que prestre, à prescher,
et à catechiser les calvinistes de sa contrée,
à l' exemple de Saint Athanase, qui n' estant
que diacre combatit les ariens, qu' il devoit
combattre estant evesque jusqu' à la fin de sa
vie. Et enfin, au lieu que Saint Charles a estably
des maisons de penitence pour les pecheurs
convertis, c' est à dire, pour les catholiques
devenus bons chrestiens ; Monsieur De Geneve
a estably des maisons de charité pour les heretiques
convertis, c' est à dire, pour les chrestiens
devenus bons catholiques.
Que si l' on veut considerer Monsieur De Geneve,
dans la maniere dont il agissoit avec les
catholiques qu' il conduisoit, et le comparer
avec Saint Charles ; on peut dire que
Saint Charles estoit semblable à Saint Paul, qui
fulmine par tout contre les mauvais chrestiens,
qui leur presche fortement la penitence, qui
p592
vient avec la verge de fer, separer l' incestueux
de l' usage des sacremens, et de la communion
de l' eglise, qui livre au diable le corps des
pecheurs tombez apres le baptesme, afin de
sauver leur ame. Et que Monsieur De Geneve estoit
semblable à Saint Jean l' evangeliste, qui tout
plein d' amour ne preschoit sans cesse aux fidelles
que la douceur de l' amour, et qui escrit aux
dames religieuses et devotes, telles qu' ont
esté tant de femmes, de filles, et de veuves
vertueuses, dont Monsieur De Geneve a formé un
ordre saint selon son esprit, c' est à dire, selon
l' esprit d' amour, plustost que selon l' esprit de
mortification, et de penitence.
Ce n' est pas pourtant que Monsieur De Geneve
n' ait inspiré fortement la penitence aux
ames qu' il a conduites, et qu' il voyoit en avoir
besoin, puis que c' est la voye royalle, et la
voye estroitte, qui mene seule les pecheurs au
ciel ; puis que ses plus intimes amis, et ses
lettres tesmoignent assez, qu' il faisoit pratiquer les
exercices de la penitence aux ames qui y estoient
disposées, et qu' il estoit plus doux dans ses
livres, que dans sa conduite ; faisant ses livres
pour tout le monde, et conduisant les ames selon
leurs dispositions particulieres, puis qu' il est
impossible qu' une personne qui est en l' estat
qu' il veut, c' est à dire, à qui l' amour de Dieu
a changé le coeur, ne prattique toutes sortes de
bonnes oeuvres, et de mortifications, pour se
p593
détacher de toutes les habitudes vicieuses, et
avancer dans la vie de grace, comme tous les
saints ont prattiqué dans tous les aages de
l' eglise ; puis qu' en fin S Jean mesmes ce
disciple si aimé, et cét apostre si amoureux, ne
laissa pas de mettre un jeune homme qu' il avoit
baptisé, et qui estoit tombé de la grace du
baptesme, dans toute la prattique de la penitence,
de le reduire aux jeusnes, aux soûmissions, et
aux larmes, de jeusner, de s' humilier, et de
pleurer avec luy, et de le reconcilier à l' eglise,
apres qu' il eut rendu des tesmoignages publics
d' une parfaite conversion, par plusieurs fruits
visibles de penitence.
Il semble neantmoins que Dieu avoit donné
des graces particulieres à Monsieur De Geneve,
pour conduire les bonnes ames à la perfection
de la vertu, par la mortification de l' esprit ;
et à Saint Charles pour ramener les grands
pecheurs à la vertu, par la mortification de leur
chair et de leurs sens. Que pour cela
Monsieur De Geneve preschoit la pieté et
l' innocence, par une vie sainte et peu austere :
et Saint Charles la conversion des moeurs,
et la penitence, par une vie toute austere et
penitente.
De sorte qu' ainsi que Monsieur De Geneve
mesme prit Saint Charles pour son modelle,
selon qu' on le rapporte en sa vie, les evesques
et les directeurs de ce temps, qui se trouvent
engagez comme Saint Charles à la conduite
p594
des grands pecheurs, des chrestiens de
nom, et payens de vie, peuvent avec grande
raison le prendre aussi pour le leur. Car il faut
suivre les exemples des saints dans le point
principal auquel il paroist que Dieu les a
destinez pour servir d' exemple ; parce qu' encore
que tous les saints ayent toutes les vertus dans
le coeur, neantmoins chacun d' eux peut avoir
en plus grande eminence l' esprit particulier de
la vertu, au restablissement de laquelle Dieu l' a
destiné particulierement. C' est ainsi que dans
les derniers siecles Saint Bruno a esté un
modelle pour la solitude, Saint Bernard pour la
penitence, Saint Dominique pour la predication,
Saint François pour la pauvreté, Saint
François De Paule pour l' humilité, et ainsi des
autres. Ce qui a lieu mesme pour la doctrine
des peres, où nous voyons, qu' à cause que
Dieu a destiné Saint Denis à reveler les
mysteres de la hierarchie celeste et sacrée ;
Saint Hilaire et Saint Athanase à éclaircir
le mystere de la trinité ; Saint Hierosme à
interpreter les escritures ; Saint Augustin à
découvrir les mysteres de la grace ; Saint
Gregoire à expliquer la morale chrestienne ;
on suit d' ordinaire chaque
pere dans la matiere particuliere à l' éclaircissement
de laquelle il paroist que Dieu l' a
appellé ; le Saint Esprit dispensant ses dons
ainsi qu' il luy plaist, et donnant plus de
lumiere, plus de force, et plus de zele à chaque
saint, dans
p595
l' ouvrage particulier auquel il le destine, pour
l' instruction des autres, et pour le bien de
l' eglise.
PARTIE 2 CHAPITRE 45
autres autoritez de ces derniers
temps, touchant l' utilité de faire penitence
avant que de communier.
de sorte que sans chercher ailleurs
d' autres preuves, je me pourrois
contenter des decisions du dernier
concile oecumenique, expliquées
par le plus grand saint de
nos jours, pour vous faire reconnoistre
combien vous traittez injurieusement l' eglise, en
voulant faire croire aux simples, qu' elle a
aboly en nostre temps les plus saints exercices de
la penitence ; qu' elle a renversé les sentimens
des peres, ou plustost ses sentimens propres,
et qu' estant devenuë contraire à elle-mesme,
elle trouve mauvais aujourdhuy, que l' on
prenne quelque temps pour faire penitence de ses
pechez avant que de communier, ce que
durant tant de siecles elle a jugé si salutaire aux
pecheurs, et si conforme à l' esprit de
l' evangile. Neantmoins, de peur que vous ne vous
imaginiez que Saint Charles ait esté le seul à qui
Dieu ait donné pensée d' autoriser cette sainte
discipline, j' adjousteray en peu de mots, ce que
d' autres conciles, d' autres evesques, d' autres
saints, et d' autres docteurs de nostre temps
p596
nous ont enseigné sur cette matiere.
Concile de Sens.
Le concile de Sens, que le Cardinal Du Prat
fit assembler dans le dernier siecle contre
l' heresie de Luther, entre les erreurs de cét
heresiarque qu' il condemne, marque cette
proposition : (...). C' est donc un
erreur, selon ce concile, de nier qu' il soit utile
de se preparer à recevoir le corps de
Jesus-Christ, non seulement par la contrition, et
la confession, mais aussi par la satisfaction, la
penitence, et l' exercice des bonnes oeuvres ; et
par consequent, il n' y a que l' esprit d' erreur, qui
puisse trouver mauvais, (...) : et c' est une
insigne fausseté, d' attribuer à l' eglise des
opinions qu' elle condemne dans ses conciles.
Synode d' Ausbourg.
Le synode d' Ausbourg en Allemagne, assemblé
quelque temps depuis par le Cardinal De
Sainte Sabine, propose une infinité de
cas, dans lesquels il veut que l' on refuse, ou que
l' on differe la communion, jusques à
l' accomplissement
p597
de la penitence, mettant de ce rang,
non seulement les crimes enormes, comme
vous dites, mais mesmes les pechez
tres-ordinaires, comme sont l' yvrongnerie, le
larcin, l' excez du jeu, la mesdisance, et autres
semblables ; ce qui me fait croire qu' il ne seroit
peut-estre pas inutile de faire en ce lieu une
déduction fidelle de tous ces canons : mais
neantmoins, de peur d' estre trop ennuyeux, je me
contenteray d' en rapporter sept ou huit, d' où
l' on pourra facilement juger des autres, et juger
en mesme temps, s' il est permis d' accuser de
temerité, ceux qui portent les pecheurs à faire
penitence de leurs fautes, avant que de les
envoyer à l' autel.
(...).
p599
Ceux qui se donneront la peine de considerer
dans le dernier tome des conciles tous les
autres canons que j' omets, comprendront
facilement combien est grand le nombre de ceux
que l' on doit selon ce synode separer de
l' eucharistie, et reduire à la penitence, et
neantmoins il ne s' est pas contenté de cela, mais
pour étendre davantage cette sainte discipline,
il adjoûte cette conclusion generale.
(...).
Remarquez en peu de mots dans cette conclusion :
p600
premierement, que tout confesseur
peut faire pour une cause qui luy semblera
juste, et dont il n' est pas obligé de vous rendre
compte, ce que vous jugez ridiculement estre
contraire à l' usage, et la prattique de l' eglise ;
c' est à dire mettre un homme en penitence
pour un temps, avant que de luy permettre de
communier.
Secondement, qu' il le peut faire pour les
pechez mesmes secrets.
Troisiesmement, que d' agir ainsi, c' est
avoir soin du salut des ames.
Quatriesmement, que le penitent est obligé
d' obeïr, s' il ne se fait dispenser de ce
commandement par une puissance superieure,
comme de l' evesque, et non pas seulement egalle
comme seroit celle d' un autre confesseur.
Cinquiesmement, que l' on ne peut sans
offenser Dieu de nouveau, violer cette
ordonnance du confesseur, en s' approchant de
l' eucharistie contre sa deffense. Mais passons
outre.
Conciles provinciaux de Malines, de Cologne, et de
Bourges.
Le concile provincial de Malines de l' année
1570 ordonne qu' on restablira la penitence
publique pour les crimes publics.
Celuy de Cologne avoit ordonné la mesme
chose long-temps auparavant.
p601
Le concile provincial de Bourges, de l' an
1584 fait le mesme commandement, tesmoignant
ne pouvoir souffrir, qu' aucun se voulust
opposer à cette sainte discipline.
Le mesme concile de Bourges ordonne aux
prestres de sçavoir les canons penitentiaux,
afin d' apprendre de ces regles saintes, la
maniere d' imposer des satisfactions convenables
et proportionnées aux pechez.
Il defend aussi à qui que ce soit, de se presenter
à l' eucharistie, s' il ne s' y est preparé, non
seulement par la contrition, et par la confession,
mais aussi par des oeuvres de penitence ; et par
consequent, trouve fort bon ce que vous
trouvez si mauvais, que les pecheurs prennent
quelque temps pour faire penitence avant que de
communier.
Excellent discours du
Cardinal Gropperus, sur le restablissement
de la penitence.
Le Cardinal Gropperus, que les histoires
appellent l' ornement et la gloire de
l' eglise de Cologne, et que ses merites seuls
esleverent à cette eminente dignité de cardinal
de l' eglise romaine, dans une institution
catholique, qu' il tesmoigne n' avoir faite que
pour opposer aux pernicieux livres de cette
nature, dont les heretiques s' efforçoient
d' empoisonner les esprits des peuples, parle si
excellemment
p602
de la necessité de la penitence, et
de l' obligation que les pasteurs ont d' en
restablir autant qu' ils pourront les anciens
exercices, que le livre de ce grand homme estant
devenu fort rare, je me sens obligé pour la
satisfaction de ceux qui ne le pourront pas voir,
de rapporter les principaux points de ce qu' il dit
sur cette matiere.
Apres avoir expliqué la penitence publique,
et monstré que dans les premiers siecles de
l' eglise, elle ne se prattiquoit pas seulement pour
des crimes publics, mais aussi pour les secrets,
il dit en suitte, (...).
p603
Il maintient plus bas que les grands crimes
ne se doivent point remettre dans l' eglise
qu' apres l' accomplissement de la satisfaction, soit
publique, soit secrette, selon la qualité des
crimes. (...).
p606
Ce mesme auteur explique parfaitement
bien la qualité des penitences qu' on doit
imposer. (...).
Mais tout cela n' est rien en comparaison de
l' excellent discours, que ce sçavant cardinal
fait pour porter tous les pasteurs de l' eglise au
restablissement de la penitence publique, comme
à l' unique remede des maux, et des desordres
horribles qui regnent dans ces derniers
siecles.
p613
Le tiltre de ce discours est ; (...).
Nous pouvons dire la mesme chose, et encore
davantage, d' un exemple de nos jours,
lequel fait voir manifestement la verité de ce
qu' asseure ce grand cardinal, que si quelque
chose empesche le restablissement de la
penitence ancienne, si necessaire pour arrester les
scandales horribles de ces derniers temps, ce
n' est pas tant le refroidissement du peuple, que
la negligence des pasteurs.
p614
Marianus victorius evesque d' Italie.
Marianus Victorius evesque d' Amelia
en Italie, que ses commentaires sur
Saint Hierosme ont rendu celebre, et de qui
la suffisance, la dignité, et l' estime que divers
papes ont fait de luy, me donne sujet de croire,
sans apprehender de vous faire tort, qu' il
estoit pour le moins aussi bien instruit que
vous dans les sentimens de l' eglise, tant
ancienne que d' apresent , pour me servir de
vos paroles ; dans un excellent livre de la
penitence, qu' il a fait contre les heresies de
nostre temps, propose en un chapitre exprés
comme une verité constante, (...). Ces paroles vous
semblent-elles assez claires et assez directement
opposées aux vostres pour arrester l' indiscretion
de vostre censure, et moderer un peu la chaleur de
vostre zele.
Je vous prie neantmoins encore de considerer,
que la penitence, que cét evesque entend
p615
que l' on accomplisse avant que de recevoir
l' eucharistie, n' est pas de ces legeres
penitences, qui ont si peu de proportion avec la
grandeur des pechez, contre ce que le concile de
Trente ordonne, puis qu' il les condemne fortement
à la fin d' un petit traitté des penitences
anciennes, qu' il a joint à cét ouvrage, et qu' il
conclud par ces paroles, (...).
p616
Saint Francois Xavier.
Que si la passion vous emporte si avant,
que d' oser condemner ce sçavant evesque
de temerité, estendez vostre pouvoir
jusques au nouveau monde, et prononcez le
mesme arrest à ce grand saint, dont Dieu s' est
servy pour porter la lumiere de son evangile, à
tant de peuples ensevelis dans les tenebres de la
mort, et mettre son fils en possession d' une
partie de son royaume, qui se doit estendre par
toute la terre.
Nous lisons dans la vie de Saint François
Xavier, escrite par Tursellin, qu' un des
principaux advis que cét homme de Dieu donnoit
aux confesseurs de sa compagnie, lors
principallement qu' ils confessoient des personnes
engagées dans les affaires, et dans la corruption
du monde, estoit, de ne les absoudre pas
p617
aussi-tost qu' ils se seroient
confessez, mais de les soûmettre durant
quelques jours aux exercices de la penitence.
Voicy les paroles de ce saint, selon que
Tursellin les rapporte. (...).
S' il vaut mieux, selon l' advis de ce saint,
faire accomplir toutes ces choses au penitent avant
l' absolution, qu' apres ; c' est à dire, faire en
sorte qu' il se nourrisse l' esprit du pain de la
parole de Dieu : qu' il efface les taches de son
ame par les larmes, et les mortifications : qu' il
restituë ce qu' il doit : qu' il se reconcilie avec ses
ennemis : qu' il se détache de ses habitudes
vicieuses : qui peut douter, que lors que le temps
de deux ou trois jours, qu' il propose pour
exemple, ne suffira pas pour l' accomplissement de
toutes ces choses, il ne soit tres-loüable, et
necessaire, selon l' intention de ce saint, d' en
prendre
p618
un plus long, lors principallement que le
penitent se sentant touché de Dieu, se soûmet
volontairement à ce delay, et consent de
demeurer autant de temps en penitence qu' il en
sera necessaire, pour effacer les images impures
du vice, par la meditation des choses saintes ;
pour rechercher les remedes de ses blessures
dans les gemissemens, et dans les austeritez ;
pour se resoudre à renoncer à ses richesses, s' il
s' est enrichy du sang des pauvres par les usures,
et les injustices ; pour arracher de son esprit les
haynes enracinées ; pour arrester les mouvemens
impetueux de la chair, qui ne se peuvent
dompter que par de longues mortifications,
lors que la corruption des moeurs s' est jointe à
celle de la nature ; et enfin pour se dégager des
liens funestes, qui le retiennent dans la
captivité du peché ? (...).
D' où il est aisé de juger, que ce que ce
saint ne parle que de trois jours, a esté par
une grande prudence de l' esprit de Dieu, pour
faire entrer les pecheurs dans la penitence, et
les y engager par un si court, et si facile
commencement. Il y a de pareils exemples de la
prudence des saints dans l' escriture, par lesquels
on voit qu' ils n' ont demandé d' abord que peu
de choses aux grands pecheurs, pour les attirer,
p619
et les engager lentement à la voye de la verité ;
et de la penitence. Ainsi Daniel ne requit
autre chose du Roy Nabuchodonosor, le plus
grand pecheur de son temps, sinon qu' il fist des
aumosnes pour détourner la colere de Dieu,
dont il estoit menacé, en rachetant ses pechez
avec de l' argent, ce qui luy estoit plus facile,
qu' à ceux dont parle ce saint, de passer trois
jours dans l' attente de l' absolution. Ainsi Saint
Jean Baptiste qui a parlé avec tant de rigueur aux
grands pecheurs, ne demande d' eux que peu de
choses au commancement, et cela par condescendance,
et pour s' accommoder à leur foiblesse, dit
Saint Chrysostome. Ainsi S François Xavier
voulant porter les penitens, et les confesseurs à
mettre quelque interstice entre la confession,
et l' absolution, propose trois jours pour
exemple, quoy que le seul détachement des vicieuses
habitudes, qu' il apporte comme une des principales
causes de ce delay fasse assez voir, qu' il
ne parle que par indulgence, puis qu' il est
impossible à la plus grande part des pecheurs de
se détacher en si peu de temps de leurs habitudes
corrompuës, comme la seule philosophie
naturelle nous l' apprend ; quoy qu' il puisse
neantmoins arriver quelquesfois, qu' un grand
pecheur se presente au prestre avec une telle
componction de coeur, qu' un terme de trois
jours luy suffira, et un moindre encore, comme
on voit dans un exemple remarquable qui se lit
p620
en la vie de Saint Vincent Ferrier, et un autre
en celle du Cardinal De Vitry.
Mais enfin, si selon la doctrine de ce saint,
il vaut mieux que les mortifications, les
larmes, la reconciliation avec ses ennemis, le
détachement du vice precedent l' absolution que
non pas qu' ils la suivent : il vaut donc mieux
aussi par consequent, et à plus forte raison, que
toutes ces choses precedent la reception de
l' eucharistie, et ainsi selon cét homme apostolique,
c' est un important avis à donner aux confesseurs,
que de leur persuader de faire demeurer
les pecheurs en penitence durant quelques
jours, avant que de les absoudre, et de leur
permettre de communier.
Scholastiques et casuistes de ce temps.
Adjoustons, pour retourner en nostre
monde, que les docteurs de l' echole,
et les casuistes demeurent d' accord, qu' un
confesseur peut obliger son penitent d' accomplir
la penitence qu' il luy aura enjointe, avant
que de recevoir l' absolution, et qu' il dépend
entierement de sa prudence, de se conduire en
cela, selon ce qu' il jugera plus à propos au
salut de son penitent. Cela estant, comme les
ignorans seuls en peuvent douter, avec quel
front peut-on accuser un prestre de temerité
p621
pour separer l' absolution de la confession, et
la differer jusques apres la penitence accomplie,
puis qu' il ne fait en cela, selon les sentimens
mesmes de tous les docteurs nouveaux, que ce
qu' il a pouvoir de faire, s' il le juge expedient ?
De sorte que l' execution de cette puissance
dependant entierement de son jugement ; et son
jugement dependant de ce que les penitens luy
découvrent du fonds de leur conscience, de
leurs pechez, du cours de leur vie, de leurs
mauvaises inclinations, de leurs habitudes
corrompuës, de leur engagement dans le mal, de leurs
diverses dispositions interieures et exterieures ;
comment peut-on sans une temerité prodigieuse
censurer une action, qui dépend de la
connoissance de toutes ces choses que nous
ignorons, et dont mesme il n' est pas permis de nous
enquerir, sans vouloir que l' on viole le sceau
de la confession ?
Je dis plus : c' est que si les confesseurs
consideroient avec l' attention qu' ils doivent le
grand nombre de personnes qui se joüent des
sacremens, et qui confessent sans cesse les
mesmes crimes, sans jamais les abandonner ; je ne
doute point qu' ils ne reconnoissent facilement,
combien le cas que les casuistes proposent est
commun et ordinaire ; et combien il seroit
souvent utile, voire necessaire pour le salut des
pecheurs, de les envoyer faire penitence, et
donner des preuves visibles d' une sincere
conversion,
p622
avant que de les absoudre. J' ay desja
rapporté les sentimens de Saint Charles sur ce
point.
Le Cardinal Baronius.
J' y adjouste celuy d' un autre grand cardinal,
qui dans son histoire ecclesiastique,
apres avoir rapporté quelques paroles du
clergé de Rome, écrivant à Saint Cyprien,
touchant la reconciliation de ceux que le peril de
mort obligeoit d' absoudre auparavant qu' ils
eussent entierement achevé leur penitence, si
neantmoins ils donnoient des signes d' un
veritable repentir, par leurs larmes, par leurs
gemissemens, et par leurs pleurs : et apres avoir
consideré qu' apres tout cela ce clergé laisse
encore au jugement de Dieu ce qui devoit arriver
de ces personnes, (...).
Brefs des papes.
Passons plus outre, et pour faire voir,
combien c' est une chose sainte, de faire
en sorte que la penitence precede l' absolution,
et par consequent la communion, opposons
p623
à ces gens hardis, qui condemnent tout ce qu' ils
ignorent, l' autorité du successeur de Saint
Pierre. Qu' ils s' enquierent de ce que portent les
brefs, que le pape envoye pour donner pouvoir
d' absoudre de quelque cas reservé, et ils
trouveront qu' ils enjoignent expressément, que
l' on imposera au penitent une satisfaction
rigoureuse, dont il sera obligé d' accomplir au
moins une partie avant que de recevoir
l' absolution.
Conclusion de toutes ces autoritez.
Que direz-vous à cela ? Oserez-vous encore
accuser un homme de temerité,
pour faire une chose que le pape tous les jours
ordonne de faire ? Nous voudrez-vous persuader,
que vous connoissez mieux les usages de
l' eglise, que le chef mesme de l' eglise ? Vous
imaginez-vous que les plus saintes prattiques
de la penitence soient abolies dans l' eglise,
parce que vous les ignorez, ou qu' il ne vous plaist
pas de vous en servir ? Pensez-vous estre toute
l' eglise ?
Cornelius Jansenius evesque d' Ipres, et
l' un des plus sçavans hommes de ce siecle, qui
veut que les prestres retiennent les pechez
pour un temps, à cause de l' immaturité, pour
parler ainsi, et de l' imperfection de la
penitence,
p624
afin que peu à peu elle se perfectionne,
n' estoit-il pas de l' eglise ?
Binsfeld suffragant de l' archevesque de
Treves, qui conseille aux confesseurs de
ramener les penitens autant qu' il se peut, à
l' observation des anciens canons, qui ordonnent
plusieurs années de penitence avant que d' estre
absous, et de recevoir l' eucharistie, n' estoit-il
pas de l' eglise ?
Grenade auteur celebre, entre ceux qui ont
escrit de la devotion, qui parle, comme d' un
grand abus, et d' une temerité insupportable
de ce que plusieurs personnes, aussi-tost qu' ils
ont achevé de vomir mille sortes de pechez
abominables, se levant des pieds du prestre, se
vont asseoir à la table du seigneur, et manger
ce pain pour lequel il seroit besoin, s' il nous
estoit possible, d' avoir la pureté des anges, et
qui conclud en suitte, qu' ils devroient prendre
quelques jours pour appaiser Dieu, laver et
arrouser de larmes la maison où il doit loger,
n' estoit-il pas de l' eglise ?
Le Cardinal Baronius qui trouve si peu
d' asseurance dans ces absolutions, qui se donnent
à la haste, et qui n' ont point esté precedées par
des fruits de penitence, n' estoit-il pas de
l' eglise ?
Le Cardinal Gropperus, qui parle si fortement
contre le relaschement de la discipline,
dans le fait mesme de la penitence, et qui
reconnoist
p625
qu' on ne peut apporter de veritables
remedes aux scandales, et aux desordres
horribles qui regnent en ce temps, que par le
restablissement de la penitence, n' estoit-il pas de
l' eglise ?
Marianus Victorius evesque d' Italie, et
tres-estimé des papes qui parle de la mesme sorte
que ce cardinal, et qui soûtient formellement
apres tous les peres, que l' on ne doit pas
seulement se confesser de ses pechez, mais que l' on
en doit aussi faire penitence avant que de
communier, n' estoit-il pas de l' eglise ?
Saint François Xavier, qui veut qu' au
regard des personnes engagées dans le vice, la
meditation des choses saintes, les exercices de
la penitence, la restitution de ce qu' ils doivent,
la reconciliation avec leurs ennemis, et le
détachement de leurs vicieuses habitudes
precedent l' absolution, et par consequent la
communion, n' estoit-il pas de l' eglise ?
Tous les theologiens, qui demeurent d' accord
comme d' une verité indubitable, que l' on
peut encore aujourdhuy differer l' absolution,
et à plus forte raison la communion, jusqu' apres
l' accomplissement de la penitence, ne
sont-ils pas de l' eglise ?
Les catholiques du Mont-Liban, chez qui
cette sainte discipline de l' ancienne penitence,
s' est conservée jusques à nos jours, ne sont-ils
pas de l' eglise ?
p626
Les conciles provinciaux de Cologne, de
Malines, et de Bourges, qui ordonnent de
restablir la penitence publique, ne sont-ils pas
conciles de l' eglise ?
Le synode d' Ausbourg assemblé par le
Cardinal De Sainte Sabine, et inseré dans le
corps des conciles, lequel apres avoir proposé
tant de cas en particulier, pour defendre de
communier jusqu' apres l' accomplissement de la
penitence, porte generallement tous les
confesseurs à embrasser cette conduite, n' estoit-il
pas de l' eglise ?
Les evesques qui ont condemné d' erreur
dans le concile de Sens, ceux qui nient qu' il
soit utile de se preparer à la reception de
l' eucharistie, non seulement par la contrition et
la confession, mais aussi par la satisfaction, et
les bonnes oeuvres, n' estoient-ils
pas de l' eglise.
Saint Charles qui ne propose à ses prestres
pour modelle de leur conduite envers les
pecheurs que ces anciens canons, lesquels ne
parlent d' autre chose que de faire penitence avant
que de communier, et qui a fait tant d' ordonnances
pour obliger les confesseurs à se retirer
en cent rencontres de cette prattique ordinaire,
dont vous ne voulez pas que l' on se puisse
retirer sans temerité, n' estoit-il pas de
l' eglise ?
La voix du concile de Trente, que nous
p627
vous avons fait voir autoriser en tant de
manieres la conduite que vous osez condemner, et
condemner la vostre en tant de façons, ne vous
semble-t' elle point la voix de toute l' eglise ?
Et la seule ordonnance ecclesiastique, qui
commande aux fidelles la reception de
l' eucharistie, declarant en termes exprez, que tout
confesseur a le pouvoir d' empescher son penitent
de communier au temps mesme qu' il ordonne
à tous les chrestiens de le faire, passe-t' elle
en vostre endroit pour une ordonnance
abolie, et qui ne soit plus d' aucun usage en
l' eglise.
PARTIE 2 CHAPITRE 47
que la prattique, que cet
auteur veut absolument que l' on suive, à l' exclusion
de toute autre, n' est point la prattique
de toute l' eglise.
cessez donc de vous imaginer,
et d' asseurer temerairement ; que
l' eglise ne fait plus ce que par tant
d' autoritez vous voyez qu' elle fait
encore, et ce que suivant ses ordres,
tous les prestres peuvent faire, non seulement
avec une pleine liberté, mais aussi avec son
entiere approbation, comme estant ce qu' elle
desire le plus.
p628
Ainsi cette prattique ordinaire que vous
opposez, n' est qu' une prattique de beaucoup de
particuliers dans l' eglise, et non pas la prattique
de toute l' eglise : ou pour mieux dire, c' est
l' une des prattiques de l' eglise (qui l' a tousjours
fait en quelques cas particuliers) lors que l' on
n' y mesle point d' abus, comme Saint Charles
a remarqué qu' il s' y en pouvoit glisser
beaucoup ; mais ce n' est pas la seule et unique
prattique de l' eglise. Elle peut estre aujourdhuy
la plus commune, parce qu' elle est favorisée par
l' impenitence generale de tout le monde, tout
le monde voulant bien se confesser, et personne
presque ne voulant faire penitence : mais ce
n' est pas, ny la plus excellente, ny la plus seure,
ny la plus liée à l' une des principales marques
de l' eglise, qui est l' antiquité, et la succession
de la doctrine ; puis qu' elle ne s' est introduite
que par l' indulgence et la condescendance de
l' eglise, et que l' autre est la prattique originale,
la prattique des apostres, la prattique de tous
les peres, la prattique universelle de l' eglise
durant prés de douze siecles : et qui bien qu' elle
soit diminuée peu à peu depuis cinq cens ans
par l' endurcissement des coeurs, dont le concile
de Trente se plaint, et par l' ignorance et la
negligence des ecclesiastiques, marquées et
déplorées par le Pape Gregoire Vii et par
Saint Bernard en tant de lieux, s' est neantmoins
conservée en beaucoup de rencontres par une
p629
particuliere providence de Dieu, et a esté
mesme plus particulierement renouvellée dans les
derniers siecles, par les ordonnances des conciles,
et des evesques, et par les escrits des saints,
et des theologiens, ainsi que je vous l' ay fait
voir.
PARTIE 2 CHAPITRE 48
que l' on peut sans temerité,
ne pas tousjours suivre les prattiques les plus
communes et les plus ordinaires.
mais afin de faire encore mieux
voir l' injustice de vostre accusation,
il ne sera pas inutile de vous
avertir, que l' on n' est pas tousjours
bien receu à accuser un homme
de temerité, pour ne pas suivre la prattique
ordinaire, lors que cette prattique ordinaire ne
se trouve point fondée sur les ordonnances de
l' eglise, mais seulement sur l' usage des
particuliers ; et lors que l' on ne s' en retire
point par esprit de division, et à dessein de
troubler l' unité du corps de Jesus-Christ,
pour la conservation de laquelle il faut souffrir
le martyre, mais seulement pour suivre une autre
prattique de la mesme eglise, que l' escriture, les
papes, les conciles, et les peres nous enseigneroient
estre plus sainte, quoy qu' en ce temps elle fust
moins en usage.
p630
En voulez-vous un exemple ? C' est une prattique
ordinaire de ne jeusner que jusques à
midy, et de faire une collation sur la fin du jour.
Et cependant cela n' empesche pas que le
Cardinal Bellarmin ne soustienne que le veritable
jeusne, selon la doctrine de tous les peres,
consiste en un seul repas, qu' il ne faut prendre que
sur le soir, et que l' usage contraire n' est que
toleré, et non point approuvé de l' eglise. Quoy
qu' il en soit, je crois que vous seriez le seul qui
oseroit accuser de temerité un homme qui se
voudroit retirer de la prattique ordinaire, pour
se reduire à un jeusne plus parfait, et plus
conforme à l' escriture, et à la tradition de
l' eglise, que celuy que nous voyons estre quasi seul
aujourdhuy en usage.
Desirez-vous encore un autre exemple ? C' est
une prattique ordinaire entre les ecclesiastiques,
de ne garder dans la recitation de leur office
aucun des temps marquez par l' eglise ; et de
se contenter de prier Dieu trois ou quatre fois,
au lieu qu' elle entend, qu' ils prient sept diverses
fois durant le jour, à l' exemple de David : et
neantmoins le mesme Cardinal Bellarmin, ne
laisse pas avec une infinité d' autres theologiens
et canonistes, de condemner de peché veniel
ceux qui sans necessité suivent ce relaschement,
et il est difficile de pretendre que ce soit par
necessité, lors que l' on en fait une regle.
Mais sans entrer en cette discussion, je crois
p631
pour le moins, que personne que vous ne
s' avisera de condemner de temerité celuy qui
considerant que Dieu merite bien que l' on le serve
à ses heures, et que l' eglise a principallement
regardé dans la recitation de l' office de tenir
tousjours les ecclesiastiques dans l' esprit
d' oraison, en renouvelant de temps en temps leur
attention vers Dieu, aimera mieux se retirer
de la prattique ordinaire, que de ne pas se
conformer à l' esprit general de l' eglise, qui doit
estre la principale regle de toutes nos devotions :
et ne croira pas, que ses occupations ordinaires,
le doivent dispenser de cette observance
canonique, puis que c' est pour cela mesme,
selon Saint Hierosme, que cette division des
heures a esté instituée, (...).
Mais s' il y a quelque sujet où les prattiques
des particuliers ne puissent pas estre attribuées
à toute l' eglise, c' est principalement en celuy
de la penitence ; parce que se passant dans un
secret merveilleux entre le penitent et le
confesseur, tout ce que peut faire l' eglise, c' est
d' ordonner generallement de quelle sorte elle
veut que l' on s' y conduise, mais pour ce qui
regarde l' execution de ce qu' elle ordonne, elle
n' en prend point de connoissance, et s' en
décharge entierement sur la conscience des prestres,
p632
qui respondront seuls devant Dieu de
leur negligence, et de leur mollesse envers les
pecheurs.
Ainsi le concile de Trente ordonne à tous
les confesseurs d' imposer à leurs penitens des
satisfactions proportionnées à la grandeur de
leurs pechez, sur peine de s' en rendre participans
s' ils ne le font, et s' ils se contentent de
punir de grands crimes par quelques legers
chastimens. Si neantmoins il arrive, que beaucoup
de prestres ou par ignorance ou par negligence,
ou par une fausse et cruelle douceur
prennent la coustume de fouler aux pieds cette
ordonnance de l' eglise universelle si juste et si
sainte, en imposant cinq pater noster , ou les
sept pseaumes penitentiaux, ou quelque chose
de semblable, pour des parjures, des blasphemes,
des fornications, des adulteres, des
communions sacrileges, et d' autres pechez
tres-enormes, direz vous aussi-tost que ce
violement des loix de l' eglise, que chacun de ses
prestres fait en secret, et à l' oreille de son
penitent, doit estre pris pour la prattique
ordinaire dont il ne soit pas permis de se
retirer sans temerité ? Et ce reglement estably
par une authorité infaillible, et fondée sur la
doctrine du Saint Esprit, sur la tradition des
apostres, sur la decision de tant de papes, sur
les canons de tant de conciles, et sur le
consentement general de tous les peres, ne se
pourra-t' il plus observer
p633
sans que l' on soit accusé de temerité par
ceux qui vous ressembleront ?
Cette imagination seroit ridicule. C' est aux
conciles à faire des ordonnances, et aux
particuliers à les suivre, s' ils font le contraire,
ils en rendront compte à Dieu, et l' eglise n' est
point responsable de leurs excez. C' est pourquoy,
pour finir enfin cette seconde partie, un seul
mot suffit pour respondre à toutes vos
accusations : (...).
PARTIE 3 CHAPITRE 1
p635
De quelques dispositions
plus particulieres pour communier avec
fruit. Si l' on doit s' approcher de l' eucharistie
sans aucune crainte, dans quelque froideur,
indevotion, inapplication aux choses
de Dieu, privation de grace, plenitude de
l' amour de soy-mesme, et prodigieux attachement
au monde que l' on se trouve, comme
cét auteur enseigne. Et si le delay ne
peut point servir à communier avec plus de
reverence, et meilleure disposition.
p636
Response.
La longueur de la response à l' article
precedent, qui contient toute
la seconde partie de cét ouvrage,
me donnera sujet pour n' estre pas
ennuyeux, d' abbreger la refutation
du reste de vostre escrit. Et je le feray d' autant
p637
plûtost, que les principaux fondemens en
ayans esté renversez en divers endroits, tout le
reste peut de soy-mesme tomber par terre.
C' est pourquoy, pour ce qui regarde cét article,
je vous dis en peu de mots, que vous continuez
à abuser du nom des saints, pour establir
vos mauvaises regles ; et que si la proposition
que vous avancez a quelque chose de semblable
dans l' écorce de la lettre à quelques-unes de
leurs paroles, le sens que vous leur donnez, et
les consequences que vous en tirez sont autant
esloignées de leur doctrine, que l' erreur l' est de
la verité.
Car il paroist par l' esprit general de vostre
escrit, et par la liaison de vos maximes ensemble,
que vous n' avez point d' autre dessein que
d' oster aux ames toutes les pensées qui les pourroient
porter à se retirer de l' eucharistie par
respect, et de leur persuader que quelque indevotion
qu' elles ressentent, quelque distraction
en leur esprit, quelque froideur en leur volonté,
quelque rebellion en leur sens, quoy qu' elles
se reconnoissent dans l' aversion, et dans le dégoust
pour toutes les choses de Dieu, et dans
l' ardeur et l' enyvrement pour toutes celles du
monde, quoy que dénuées de graces, et de ferveur
de charité, et remplies d' amour d' elles-mesmes,
et de passions dereglées, pourveu qu' il
n' y ait point de peché mortel (ce sont vos paroles
qui marquent vostre dessein) c' est à dire, selon
p638
que vous l' avez enseigné dans vostre article
precedent, pourveu qu' elles s' en soient confessées,
quoy qu' elles en ayent commis une infinité,
et qu' elles en commettent tres-souvent,
elles doivent s' approcher des saints autels
que l' eglise appelle terribles, sans crainte
aucune.
voila la doctrine que vous desirez faire passer
pour la doctrine des saints. à quoy je n' ay
qu' à vous opposer ces paroles de Saint Chrysostome.
(...).
Et quant aux saints, par l' autorité desquels
vous pretendez appuier de si dangereuses maximes,
il est clair, que lors qu' ils exhortent de
communier, quoy que l' on ne ressente pas l' ardeur
de la devotion que l' on desireroit, ils n' ont
jamais entendu parler, que des manquemens
de devotion sensible, des secheresses, et des
sterilitez, qui arrivent aux plus gens de bien,
lors que Dieu retire d' eux pour quelque temps
les consolations de sa grace, pour les humilier,
ou les éprouver, comme Monsieur De Geneve
l' explique excellemment dans son introduction.
p639
(...).
Voyla l' estat dans lequel les saints veulent
bien que l' on communie lors que le coeur est
veritablement à Dieu ; ce qui se doit juger par
les actions, et par les oeuvres, qui sont les fruits
du coeur ; quoy qu' il soit dans quelque tiedeur
à cause des secheresses qui luy arrivent, qui
l' empeschent d' avoir tous les sentimens de devotion
qu' il desireroit. C' est ce que les propres
auteurs que vous citez vous eussent appris,
p640
si vous les eussiez leus avec l' attention que meritent
les choses de Dieu.
Gerson, ou plustost l' abbé Gersen, auteur
de l' imitation de la vie de Jesus-Christ,
qu' il n' addresse qu' à ses religieux dégagez de
toutes les folies du monde, et non point à ceux
qui passent leur vie dans les desordres, et dans
la corruption du siecle, introduit Jesus-Christ
parlant au disciple en cette sorte, sur
la preparation que l' on doit apporter à la sainte
communion. (...).
p641
Qui ne voit qu' il ne parle que des secheresses
qui arrivent aux gens de bien, lors que
Dieu retire d' eux le sentiment de la devotion,
qui ne laisse pas de demeurer cachée dans le
fonds de l' ame ; et neantmoins il ne veut pas,
que l' on communie estant tout à fait en cét
estat, mais que l' on persevere en oraison, que
l' on gemisse, que l' on frappe à la porte, et que
l' on ne cesse point, jusques à ce que l' on ait
comme forcé Dieu de nous envoyer quelques
rayons de sa grace, et quelques marques de sa
visite.
Et en un autre chapitre expliquant plus particulierement
de quelle sorte on doit acquerir
la grace de la devotion, (...).
p642
Apprenez de ces paroles, combien c' est une
chose ridicule de conserver dans son coeur tous
les desseins de satisfaire à son ambition, et à ses
plaisirs, d' estre remply de l' amour de soy-mesme,
et attaché prodigieusement au monde,
et de s' imaginer, que pourveu qu' on soit une
demy-heure à genoux en taschant de penser
à Dieu, l' on fait tout ce que l' on peut pour
s' exciter à devotion, et qu' ainsi l' on fait fort
bien de communier, quoy qu' on n' en ressente
point.
Quant à Saint Bonaventure, le seul tiltre du
p643
chapitre, d' où les paroles que vous en citez sont
tirées, vous devoit apprendre, combien ce que
je vous ay desja dit est veritable, que ce passage
ne se doit entendre que des tiedeurs, et des
secheresses, qui arrivent aux personnes de pieté.
Car ce que vous alleguez, ne se trouve qu' au
second livre de l' avancement des religieux,
chapitre 77 qui a pour tiltre, des tentations qui
arrivent aux personnes devotes, où apres avoir
expliqué ces mesmes secheresses, et ces mesmes
sterilitez, dont Monsieur De Geneve parle, et
en avoir découvert les causes, parlant en suitte
des dispositions pour communier, il dit, (...).
p644
Ces derniers mots ne monstrent-ils pas
clairement, qu' il n' entend parler que de ces
tiedeurs qui arrivent aux personnes de vertu et
de pieté, qu' il avoit expliquées auparavant, et
non pas de ces froideurs et de ces indevotions
qui procedent du déreglement de la vie, du desordre
des passions, de l' attachement au monde,
de la plenitude de l' amour propre, ou mesme
de la negligence seule, et de la paresse, de
l' inadvertance, des distractions d' une vie relaschée,
et d' une accoustumance mauvaise , comme il parle
ailleurs.
Si vous tesmoignez en douter, apprenez-le
de ses paroles mesmes dans son abbregé de la
theologie. (...).
p646
Et si vous n' estes satisfait de ces paroles, adjoustez-y
ce qu' il dit au livre de la preparation
de la messe. (...).
Et
vous, par un nouvel art inconnu à tous les philosophes
du monde, vous trouvez qu' un homme
asseure une chose lors qu' il la nie formellement,
et qu' ainsi vous avez droit de dire, selon
la doctrine de ce mesme saint, (...).
Par ce mesme artifice vous vous persuaderez
quand il vous plaira, que tout ce que j' escris icy
n' est que la confirmation de vostre doctrine : si
ce n' est que l' on y trouve cette difference, que
vous pourrez lire apparemment cét escrit, et
que certainement vous n' avez pas leu Saint
Bonaventure.
PARTIE 3 CHAPITRE 2
Si dans la dispensation de
l' eucharistie, on ne doit avoir aucun esgard aux
foiblesses, aux langueurs, et aux
maladies des ames.
p647
Tout vostre discours n' est fondé
que sur un perpetuel equivoque,
et sur un entier renversement de
l' ordre estably par Jesus-Christ
dans les moyens de nostre salut.
Car qui doute que Jesus-Christ ne
soit venu pour appeller à soy les pecheurs, pour
enrichir les pauvres, pour fortifier les foibles,
pour guerir les malades, pour rassasier les affamez ?
Mais s' ensuit-il de là qu' il faille contre sa
propre parole jetter le saint aux chiens, et
les diamans aux pourceaux, et pousser par
p648
une facilité indiscrette toutes sortes de personnes
à la frequente participation des mysteres.
S' ensuit-il que ceux, qui, comme dit Grenade,
ne viennent que de vomir leurs pechez,
et qui en ont encore les images toutes vivantes
dans l' esprit, et tres-souvent mesme la racine
dans le coeur, preste à en produire de nouveaux
à la premiere occasion, doivent aspirer aussi-tost
à la recompense des justes, et à la felicité
des saints. (...).
S' ensuit-il que ceux, à qui les longs dereglemens,
et les habitudes corrompuës ont causé
une si grande foiblesse, qu' ils ne se peuvent
asseurer de demeurer huit jours sans retomber
dans leurs pechez, doivent se mettre au hazard,
avant que de s' estre fortifiez par les exercices
de la penitence, de recevoir Jesus-Christ
chez eux pour l' en chasser aussi-tost à leur plus
grande condemnation.
S' ensuit-il que ces malades, qui sont encore
tous couvers d' ulceres, et dont toutes les blessures
p649
seignent encore, doivent renverser l' ordre
de la medecine celeste, comme parle Saint
Augustin, et rechercher aussi-tost la guerison
de leurs playes dans la participation du corps
de Jesus-Christ, qui n' en doit estre que le
dernier appareil, apres qu' ils en auront osté
l' ordure et la corruption par l' arrousement de
leurs larmes, et par les autres remedes de la penitence ?
S' ensuit-il enfin que ceux qui se devroient
contenter, à l' exemple de la chananée d' estre
rassasiez des miettes qui tombent de la table
du Seigneur, se doivent presenter aussi-tost à
la table mesme, et se presumer dignes du pain
des enfans.
Vous vous trompez infiniment, lors que
vous vous persuadez, qu' à cause que l' eucharistie
a esté instituée par Jesus-Christ pour
nous fortifier, nous nous en devons approcher
dans toutes sortes de foiblesses, sans considerer
de quelle nature elles sont, et de quelles causes
elles procedent.
Le pain nous a esté donné de Dieu pour
fortifier nos corps, et pour soustenir le coeur de
l' homme, comme l' escriture mesme témoigne, (...).
Et c' est pourquoy nous voyons que dans les prophetes Dieu
menace souvent son peuple de leur oster le soûtien
du pain, (...).
p650
D' où nous avons raison de conclure
qu' un homme qui se sent foible par defaut
de nourriture, ou parce que ses esprits
sont espuisez par le travail, fait fort bien de
recourir au pain pour reparer ses forces, et pour
le guerir de cette foiblesse, et de cette faim, qui
est une marque de la santé.
Mais si la foiblesse et la langueur, qu' un
homme ressent, est une langueur de fievre, et
qui procede de la corruption du dedans, et de
la mauvaise disposition des parties nobles, ce
seroit une fort mauvaise maniere de luy vouloir
rendre les forces, que de luy faire manger
beaucoup de pain, au lieu qu' on le luy doit retrancher,
jusques à ce que les remedes ayent
chassé les mauvaises humeurs, et remis le corps
en une meilleure disposition. Et alors le pain
pourra servir tout ensemble, et de nourriture,
et de remede, en donnant à la guerison son
dernier accomplissement, et consumant en
quelque sorte les derniers restes de sa maladie,
par la force, et par la vigueur qu' il redonne à
tous les membres.
Ainsi ce pain celeste nous a esté donné pour
fortifier nos ames, pour les maintenir en vigueur ;
pour empescher le deperissement de la
grace, pour en reparer ce qui s' en perd tous les
jours, pour nous soûtenir dans les foiblesses qui
nous arrivent par la lassitude du chemin, lors
que nous suivons Jesus-Christ dans le
p651
desert, comme les cinq pains qui estoient la figure
de l' eucharistie furent distribuez aux troupes,
ne deficerent in via ; pour rassasier cette faim
ardente, qui nous fait brusler du desir de nous
unir à Jesus-Christ ; et enfin, pour donner
quelque soulagement à cette sainte langueur,
que l' ame, qui est embrasée de l' amour
de l' espoux celeste, ressent si souvent dans cette
longue et ennuyeuse separation de son eternelle
jouïssance. Car la femme qui ne languit
pas dans l' absence de son mary, ne l' aime point ;
et le voyageur qui ne souspire pas apres son retour,
n' a point d' affection pour son païs ; et
l' homme sain qui ne veut plus se nourrir de
viandes solides, tesmoigne par là qu' il commence
à estre malade.
Mais si nous reconnoissons, que nous avons
esteint en nous la chaleur du saint esprit, necessaire
pour digerer cette nourriture divine : si
le déreglement de nos passions a troublé tout
le temperament de nostre ame : si le vice l' a
corrompuë : si ces traits enflammez du diable,
dont l' apostre parle, luy ont imprimé de tres-profondes
blessures : si elle ne sent de la pesanteur
lors qu' elle se veut eslever vers Dieu, que
parce qu' elle gemit encore sous le poids de ses
pechez : si ses langueurs et ses foiblesses, sont
des marques visibles que le coeur est encore
plein de venin : ce n' est pas le moyen de diminuer
ses maux, que de vouloir manger les mesmes
p652
viandes, et en aussi grande quantité que
ceux qui se portent bien ; au lieu de travailler
auparavant par les exercices de la penitence,
qui sont les propres remedes de ces maux, à reparer
les desordres de nostre mauvaise vie, et à
remettre peu à peu nostre ame malade en une
assez bonne disposition, et en une assez grande
santé, pour estre capable d' une nourriture si solide ;
afin qu' alors ce pain spirituel et divin fasse
à son esgard, ce que le pain materiel fait à l' esgard
du corps, ne servant pas seulement à la
nourrir, mais aussi à achever son entiere guerison,
et à consumer les derniers restes de la maladie,
en laissant en nous la semence et la racine
d' une vie, et d' une santé toute divine, tant pour
l' ame que pour le corps, parce qu' ainsi que nous
l' apprenons dans l' eschole de l' eglise, c' est à la
seule eucharistie qu' appartient proprement
l' accomplissement de tous les efféts salutaires
de toutes les penitences, de toutes les vertus, et
de tous les sacremens.
Mais parce que j' ay resolu de ne rien dire de
moy-mesme dans cét ouvrage, et d' exposer
simplement la doctrine sainte des saints peres ;
escoutons ce que l' un des plus grands docteurs
de l' eglise nous enseigne sur ce sujet, et voyons
s' il croit comme vous, que quelques foibles et
languissantes que soient les ames, elles ne peuvent
raisonnablement se retirer de l' eucharistie,
pour ne s' en approcher qu' estant plus fortes,
p653
et plus capables de profiter d' une nourriture si
solide.
Saint Ambroise dans son commentaire sur
Saint Luc expliquant le miracle de la multiplication
des cinq pains, considere premierement (...).
Il remarque en suite, qu' il est rapporté dans
l' evangile, que le sauveur guerit les malades
avant que de faire ce miracle. (...).
Et cependant pour nous monstrer, que
mesme toute sorte de guerison ne rend pas l' ame
capable de se nourrir de la chair divine du
sauveur du monde, il adjouste que ces trouppes
ne meritoient pas encore de la recevoir. (...).
p654
Jugez par ces excellentes paroles, combien
vous estes contraire à la divine oeconomie du
grand pere de famille, en poussant indifferemment
toutes sortes de personnes, dans quelques
foiblesses et quelques langueurs qu' elles se trouvent,
à se nourrir des mesmes viandes, et en
aussi grande quantité, que les plus saines. Au
lieu que c' est en cela, comme dit ce pere, que
nous devons adorer la bonté de nostre maistre,
de ce qu' il daigne proportionner la nourriture
qu' il nous donne, à la force de chacun en
particulier : de peur que les viandes fortes comme
p655
est le corps de Jesus-Christ n' oppriment
les foibles, ou que celles qui sont trop
legeres ne puissent pas rassasier les forts. (...).
Et de là nous apprenons, que ceux que l' on
separe de l' eucharistie, comme d' une viande
trop solide, ne doivent pas pour cela demeurer
sans nourriture, mais avoir soin d' en substituer
une autre en la place de celle-là, en demandant
à Dieu qu' il redouble en eux la faim et la
soif de la justice, c' est à dire, de son esprit et de
sa grace. Car c' est une reigle generale, qu' il ne
faut jamais rien retrancher des oeuvres de pieté,
qu' en mesme temps nous n' ayons soin d' engager
Dieu par d' autres bonnes oeuvres à remplir
en nous cette perte et ce retranchement par un
renouvellement de sa grace. Ce qui est plus veritable
du retranchement de la communion
que de tout autre ; parce que nous en separant
par le ressentiment que nous avons de nostre infirmité,
ou de nostre indignité, il faut que nous
imitions le procedé dont on use envers les malades,
qu' on ne prive jamais des viandes solides
que mangent les sains, qu' on ne leur donne en
la place l' esprit, et le suc des mesmes viandes
dans des boüillons, et si on les privoit tout ensemble
de l' une et de l' autre nourriture, ils
tomberoient dans l' extremité de la langueur,
ou seroient comme des malades desesperez à
p656
qui on ne donne plus rien que par forme.
Et c' est ce qui trompe beaucoup de personnes,
qui ne voient pas l' utilité qu' on peut tirer
du retranchement de l' eucharistie, à cause qu' elles
en jugent par l' exemple de ces demy-chrestiens
qui ne s' en retirent, que par une pernicieuse
negligence des choses de Dieu, et ausquels
il est certain que ce retranchement est
tout à fait inutile, parce que ce n' est point un
effét du respect qu' ils portent à l' eucharistie,
mais plûtost du mespris secret qu' ils en font,
et qu' ils n' ont aucun soin de remplir ce vuide,
ainsi qu' ils devroient, et de substituer au
retranchement de cette nourriture divine, laquelle
ils ne sont pas encore capables de bien
digerer, quelque autre nourriture plus convenable
à leur estat, qui pust servir à les fortifier,
et à leur procurer peu à peu une assez grande
vigueur pour pouvoir manger avec fruit le pain
des forts.
PARTIE 3 CHAPITRE 3
si l' inapplication aux choses
de Dieu, ne peut point estre un sujet de
s' abstenir de communier.
apres avoir renversé dans le chapitre
precedent le fondement general de vostre
doctrine, il est necessaire d' en considerer
quelques parties en particulier.
p657
(...).
Vous ne sçauriez entendre par cette inapplication
que le manquement d' attention, lors
qu' on se presente à un mystere si auguste et si
redoutable : de sorte que vous enseignez generallement,
que le deffaut d' attention n' est pas
un sujet legitime de porter un homme à s' esloigner
de l' eucharistie, et que l' on fait fort bien
de s' en approcher pour y trouver l' attention
que l' on n' y apporte pas.
Puis que vous avez dessein de faire passer
vostre doctrine pour la doctrine des saints, je
vous prie de conferer cette maxime avec ces
paroles de Saint Bonaventure, (...).
p658
Voila de quelle sorte vostre doctrine
se rapporte à celle des saints.
Mais pour juger combien elle est dangereuse
aux ames, il ne faut que considerer, que
cette inapplication dont vous parlez, que la
plus-part des gens du monde ressentent en ce
qui regarde les exercices de pieté, ne vient d' autre
chose, que de ce que leur esprit est tellement
remply des vains phantosmes et des images
charnelles, que les passions et les vices y impriment
tous les jours, qu' il est impossible que
les pensées des choses divines y trouvent place,
et de ce que leur coeur est tellement attaché
à la terre, qu' ils ne peuvent le lever au ciel. Et
cependant comme si vous aviez dessein de les
nourrir dans cette negligence criminelle, et de
leur oster mesme le sentiment de leur mal, au
lieu de leur representer comme Saint Bonaventure, (...).
PARTIE 3 CHAPITRE 4
p659
de l' estrange maxime de cet
auteur ; que plus on est dénué de graces, plus on
se doit hardiment approcher de Jesus-Christ
dans l' eucharistie.
mais vous passez encore bien plus
avant, et je m' estonne que la
main ne vous tremble, lors que
vous escrivez ces paroles si contraires
aux premiers sentimens de
la pieté chrestienne, et au respect que nous devons
à Jesus-Christ. (...).
Si je voulois prendre cette proposition dans
le sens que les termes portent, je vous pourrois
dire qu' elle contient l' heresie de Luther et de
Calvin, contre la preparation necessaire pour
la reception de l' eucharistie ; et qu' elle donne
lieu à tous les impies, qui s' approchent de ce
sacrement, ayant la conscience chargée de mille
p660
crimes, de s' excuser de leurs sacrileges, puis
que de là ils peuvent prendre sujet de respondre
à ceux qui voudroient reprendre leur temerité
criminelle, que tant plus ils se sont trouvez dénuez
de grace, plus ils ont creu se devoir approcher
hardiment de Jesus-Christ. Et
l' exemple que vous apportez des pecheurs, que
le sauveur du monde n' a jamais éloigné de soy,
tandis qu' il a conversé parmy les hommes, fortifieroit
encore cette interpretation. Car puis
que la plus grande partie de ces pecheurs estoit
dans l' estat de peché, et hors celuy de la grace,
lors qu' ils s' approchoient de Jesus-Christ ;
cét exemple n' est-il pas capable de porter aisément
les hommes charnels à s' imaginer, qu' en
demeurant dans tous les pechez, où leurs inclinations
corrompuës les engagent miserablement ;
ils feront fort bien de communier ; et
que le fils de Dieu ne tiendra point à injure
qu' ils s' approchent de luy en cét estat. Ce qui
s' en conclud si facilement, que Saint Thomas
apporte ce mesme exemple de ces pecheurs, qui
s' approchoient de nostre seigneur lors qu' il
estoit en ce monde, pour objection contre la
doctrine catholique, de ne s' approcher de l' eucharistie,
qu' en estat de grace et de charité ; et
Luther en a fait l' un des principaux fondemens
de son heresie contre cette mesme doctrine de
l' eglise.
Neantmoins, pour vous monstrer que je ne
p661
veux pas vous traitter avec rigueur ; je me renfermeray
dans le meilleur sens, et le moins criminel
que vous puissiez donner à ces paroles,
qui est, qu' elles ne se doivent entendre qu' avec
cette modification que vous avez exprimée
dans l' article precedent, pourveu qu' il n' y ait point
de peché mortel : c' est à dire, selon vostre
doctrine, pourveu qu' en ayant commis, on s' en soit
confessé auparavant. C' est tout ce que vous
pouvez apporter pour vostre defense, et dire,
que par ces graces, dont vous asseurez que plus
on est dénué, plus on doit hardiment s' approcher
de Jesus-Christ ; vous n' avez entendu
que ces mouvemens de grace, par lesquels Dieu
nous esclaire, nous eschauffe, nous remplit de
devotion, et nous rend attentifs à ces mysteres.
Toute la subtilité du monde ne sçauroit donner
à vos termes une plus douce et plus favorable
explication.
Et cependant, qui sera le catholique à qui
cette explication mesme ne donne de l' horreur ?
Et qui pourra souffrir que dans l' eglise
de Jesus-Christ, instruite par sa bouche
mesme de la dignité de ce sacrement celeste,
comme parle le concile ; instruite par la bouche
de son apostre, de la punition qui menace
ceux qui ne s' en approchent pas avec assez
de reverence ; instruite par tant de saints de
l' extréme soin que l' on doit avoir pour s' y preparer,
et pour ne s' y presenter que dans des
p662
dispositions saintes, et dans une profonde humilité,
on enseigne comme une excellente maxime,
que tant plus que l' on se trouve avoir peu
de devotion, peu de ferveur, de charité, peu de
sentiment de Dieu, peu d' attention aux choses
du ciel, on se doit plus hardiment approcher
de Jesus-Christ ? C' est à dire, que la hardiesse
de communier doit croistre, à proportion
que l' on se sentira moins bien disposé pour
le faire. Je n' en dis pas davantage, c' est perdre le
temps, que de refuter ce qu' il ne faut que proposer
à tous ceux qui ont la moindre pieté, pour
estre rejetté comme impie. Il ne faut que rapporter
ces maximes pour les destruire. Le blaspheme
qu' elles contiennent est si visible, qu' il
frappe les yeux d' abord, et l' impieté si grossiere
et si claire, qu' elle n' a point besoin d' estre convaincuë.
PARTIE 3 CHAPITRE 5
p663
refutation des raisons que
cét auteur apporte pour appuïer sa maxime. Dont
la premiere est, que Jesus-Christ n' a point de
plus grand contentement que de nous faire largesse de
ses faveurs. Deux belles histoires des vies des peres.
neantmoins, afin que vous ne vous
plaigniez pas qu' on vous a condemné
sans vous oüir ; il est raisonnable
d' examiner les raisons
sur lesquelles vous appuïez une doctrine
si pernicieuse.
La premiere est, que Jesus-Christ n' a
point de plus grand contentement que de nous faire
largesse de ses faveurs. et de là vous prendrez
occasion de vous dispenser du respect, et de la
reverence que vous luy devez ? Et parce qu' il
est vostre bien-faicteur, vous traitterez aussi
hardiment avec luy que s' il n' estoit pas vostre
maistre ? C' est à dire, pour user des termes de
Tertullien. Vous changerez
sa liberalité toute libre en une servile
necessité ?
Mais vous deviez vous souvenir, et representer
aux ames, pour ne les point tromper en
des choses de si grande consequence, (...),
p664
et que s' il y a un mystere où il exerce jugement
et misericorde, c' est principallement
en celuy de l' eucharistie.
Surquoy je me souviens de deux histoires
admirables que Ruffin rapporte dans les vies
des peres, où cette importante verité nous est
representée par deux excellentes images. La
premiere est, que Dieu fit voir à Saint Machaire
D' Alexandrie. (...).
La seconde est, qu' un evesque avoit ce
don de Dieu, (...).
p665
Remarquez dans ces visions, que la communion
ne change point l' estat de ceux qui la
reçoivent ; que l' on n' y trouve point ce que
l' on n' y apporte pas, mais seulement accroissement
de ce que l' on y apporte, soit en bien,
soit en mal ; que celuy qui a le visage lumineux
lors qu' il s' en approche, s' en retourne plein de
lumiere, et que celuy qui est noir et hideux
avant que de communier, est brûlé comme par
le feu apres avoir communié : et qu' ainsi l' effet
de l' eucharistie dépend de la preparation ;
qu' elle est la lumiere pour les bons, qu' elle est
la flamme pour les meschans ; et que Jesus-Christ
y fait largesse aux uns de ses faveurs ,
et y exerce avec rigueur ses jugemens contre les
autres.
PARTIE 3 CHAPITRE 6
refutation de la seconde
raison ; que tandis que Jesus-Christ a conversé
parmy les hommes, il n' a jamais esloigné de soy les
pecheurs. Que les exemples de ces pecheurs nous
enseignent à n' approcher de l' eucharistie qu' avec une
extréme reverence.
la seconde raison, par laquelle vous
voulez persuader, que plus on se
trouve dénué de graces, plus on
doit hardiment s' approcher de Jesus-Christ,
c' est, (...).
p666
Je vous ay desja fait voir où cela alloit, et
quelle porte vous ouvriez aux communions
sacrileges. Je n' en veux rien dire davantage.
Mais considerons seulement quelques exemples
de ces pecheurs qui se sont approchez de
Jesus-Christ dans l' evangile, pour juger
s' ils nous donneront sujet de nous en approcher
plus hardiment, plus nous nous trouverons
dénuez de graces.
Saint Pierre, pour avoir veu quelque marque
de la puissance de Jesus-Christ dans
le miracle de la prise des poissons, se jette à ses
genoux, saisi de crainte et d' estonnement, et le
prie de se retirer de luy parce qu' il estoit pecheur,
(...) : et nous, qui ne connoissons
plus Jesus-Christ
selon la chair, mais comme rentré dans la clarté
qu' il avoit avant que le monde fust, et comme
celuy à qui toute puissance a esté donnée dans
le ciel et sur la terre, nous serons d' autant plus
hardis à le presser, qu' il se donne à nous dans un
mystere remply de tant de prodiges, que nous
nous trouverons plus grands pecheurs, et plus
dénuez de graces.
Le centenier n' ose pas luy-mesme aborder
le fils de Dieu, il luy envoye ses amis pour le
prier de guerir son serviteur, et s' il luy parle
luy-mesme, ce que Saint Augustin ne croit pas, ce
n' est que pour luy protester de nouveau qu' il
p667
ne merite pas qu' il prenne la peine de venir
chez luy, quoy que Jesus-Christ s' y fust
offert luy-mesme ; l' eglise nous met tous les
jours ses paroles dans la bouche pour nous imprimer
son humilité dans le coeur : et vous voulez
que non seulement nous recevions Jesus-Christ
chez nous, lors que nous en sommes
indignes, mais qu' en cela méme, que nous nous
sentons moins preparez à une telle visite, nous
le pressions d' y venir avec plus de hardiesse.
L' hemoroïsse que les peres nous enseignent,
avoir esté la figure des payens qui ont creu en
Jesus-Christ, et qui represente en mesme
temps ceux qui ont vieilly dans leurs pechez,
quoy qu' elle bruslast du desir de sa guerison,
pour laquelle elle avoit tant travaillé jusques
à y dependre tout son bien, n' a pas la hardiesse
de se presenter à Jesus-Christ, mais
s' approche seulement de luy par derriere, et
n' ose pas le toucher luy-mesme, mais sa robbe
seulement, et encore de sa robbe les seules franges ;
et tout cela avec tant de reverence et de
respect, qu' apres mesme avoir receu la recompense
de sa foy, elle se jette aux pieds du sauveur
avec l' apprehension et le tremblement, timens
et tremens, comme se connoissant coupable
d' une trop grande presomption : et vous, vous
voulez que ceux qui se sont nourris dans le vice,
et qui n' ont jamais travaillé à guerir leurs
playes par les remedes de la penitence, s' approchent
p668
de Jesus-Christ, non plus mortel,
et couvert de nos infirmitez, mais immortel
et revestu de la gloire de son pere, et ne s' en
approchent pas seulement, mais le prennent,
et le mangent avec d' autant plus d' effronterie,
qu' ils ressentiront en eux moins de mouvemens
de pieté.
Cette pecheresse, en qui Dieu avoit estouffé
le feu de l' amour du monde par l' embrazement
de l' amour du ciel, s' approcha bien du
sauveur, mais comme remarque Saint Basile, (...) :
et vous, vous voulez que des personnes apres l' avoir
imitée dans ses déreglemens sans l' avoir imitée
dans sa penitence, estans encore remplies d' amour
d' elles-mesmes, et attachées prodigieusement
au monde, se presentent à Jesus-Christ
pour recevoir un baiser de sa bouche, selon le
langage des peres qui expliquent de l' eucharistie
cette parole de l' espouse, (...)
avec d' autant plus de hardiesse qu' elles
se trouveront plus tiedes, plus froides, et moins
embrasées de son amour.
Adjoustons ce que Saint Bernard remarque
divinement, que cette sainte répandit
deux fois ses parfuns sur Jesus-Christ. (...).
p669
Que les pecheurs ayent donc recours à Jesus-Christ,
comme à l' unique medecin
de leurs maladies : mais que ce soit dans la crainte,
et dans le tremblement, et dans une profonde
humilité qui leur fasse reconnoistre, comme
à Saint Pierre, qu' ils meriteroient qu' il s' esloignast
d' eux. Qu' à l' exemple du centenier,
ils envoyent vers luy pour ambassadeurs, et
pour tesmoins de leur douleur, leurs gemissemens,
et leurs larmes, comme parle l' eglise de
p670
Rome dans une lettre écrite à Saint Cyprien,
(...). Qu' imitans
l' hemoroïsse, ils se contentent de toucher
les franges de sa robbe, c' est à dire, selon
l' explication des peres, et selon le conseil de
Saint Chrysostome, de se purifier par les paroles
qui sont sorties de son humanité sainte,
comme de la robbe qu' il a prise en s' incarnant.
Et qu' enfin, suivant les traces de cette humble
pecheresse, ils ne se croyent pas dignes d' offrir
le sacrifice de loüange, aussi-tost qu' ils auront
offert celuy de componction ; qu' ils ne passent
pas si tost des pieds à la teste, ny des pleurs de la
penitence à la joye de l' eucharistie, (...).
PARTIE 3 CHAPITRE 7
s' il ne faut point d' autre disposition
pour communier avec fruit, que d' estre en
grace, ou s' imaginer y estre, et tascher d' avoir
de la devotion, sentimens des peres
sur ce sujet.
p671
apres avoir porté toutes sortes de
personnes à communier tres-souvent,
sans leur avoir dit un seul mot
des preparations necessaires pour
une action si importante, comme
s' il n' en estoit besoin d' aucune ; vous vous avisez
enfin, de le faire en cét article, et d' y expliquer
la disposition necessaire pour communier utilement .
Mais il valloit bien mieux se taire, que de
parler si bassement de la preparation qu' il faut
apporter à un mystere si eslevé. Car vous n' y
desirez que deux choses. (...).
Et encore pour cette seconde, il est bien aisé de voir
p672
que vous la renversez en effét, lors que vous
tesmoignez en apparence la vouloir establir, et
que vous la reduisez à n' estre plus qu' un amusement
et un phantosme, puis que vous voulez, (...).
De sorte, que tout se reduit à cette grace acquise
par le sacrement de penitence ; et ce sacrement
de penitence à une simple confession,
selon vos articles precedens ; et cela mesme
n' est pas absolument necessaire, selon l' opinion
la plus probable ; mais c' est assez de ne se connoistre
pas en peché mortel.
Voila quelle est vostre doctrine touchant
la disposition necessaire, non seulement pour
communier, mais pour communier tres-souvent,
puis que c' est de la frequente communion
que vous traittez en cét escrit. Je n' en
veux pas juger par moy-mesme ; mais je vous
veux seulement monstrer le plus briévement
que je pourray, qu' elle a tres-peu de rapport à
ce que l' eglise de Dieu nous enseigne sur ce sujet,
par la bouche des saints peres.
Saint Denis
je ne puis mieux commencer que par l' interprete
divin de la hierarchie sacrée. Le
grand Saint Denis nous enseigne, (...).
p674
Saint Justin
Saint Justin le martyr expliquant ce sacrement
dans la seconde apologie, nous apprend, (...).
De sorte que si c' est vivre
comme Jesus-Christ nous a enseigné,
que de vivre dans toutes sortes de pechez,
pourveu que l' on s' en confesse, vous avez raison
de croire, qu' une simple confession sans
amendement rend un homme digne de communier.
Saint Basile
je ne vous repete point ce que je vous ay desja
rapporté de Saint Basile au livre premier
du baptesme, (...).
Mais pour vous monstrer comme il estoit
ferme dans ce sentiment, il repete la mesme
p675
chose dans ses moralles, et encore s' il se peut
avec des paroles plus puissantes. (...).
Saint Ambroise
Saint Ambroise, pour exhorter son peuple
à communier, luy represente, (...). Mais pour
leur apprendre, quelle devoit estre la preparation
necessaire pour ne point recevoir ce corps
à sa condemnation : (...).
p676
Saint Chrysostome
si les divers endroits de Saint Chrysostome,
que je vous ay rapportez, ne vous ont
pas encore appris, combien la pureté et la vertu
de celuy qui participe à cette victime sans
tache, doit estre grande, j' y veux adjouster pour
vous satisfaire entierement, et pour vous donner
sujet de mieux conferer vostre doctrine
avec la sienne, ce que cét homme incomparable
animé de l' esprit de Dieu declare à son peuple,
sur la grandeur de cette preparation, lors
mesme qu' il témoigne desirer que l' on s' approchast
continuellement de l' eucharistie. C' est
dans l' une de ses homelies sur l' epistre aux hebreux,
où il ne parle pas de luy-mesme, mais
explique seulement ces paroles admirables de
l' eglise dans la celebration des mysteres, (...).
p678
Saint Hierosme
Saint Hierosme expliquant cette parole
de Zacharie, (...).
Mais ce qu' il y a de plus considerable, c' est
que ce pere nous enseigne, que non seulement
ceux qui reçoivent le corps et le sang de
Jesus-Christ, ayant la conscience chargée de
p679
crimes mangent et boivent leur propre condemnation,
mais ceux aussi qui retournent
dans le vice apres avoir communié. Car expliquant
ces paroles du pseaume ; (...).
Saint Augustin
Saint Augustin dans ses traittez sur Saint
Jean explique en cette maniere ces paroles
de l' evangile, le pain que je donneray c' est ma
chair pour la vie du monde. (...).
p680
D' où nous apprenons que comme l' eucharistie
est la mesme viande que celle qui se mange
dans le ciel, il faut necessairement que la
pureté du coeur des fidelles qui la mangent icy
bas, ait de la convenance et de la proportion
avec celles des bien-heureux, et qu' il n' y ait autre
p681
difference qu' autant qu' il y en a entre la foy et
la claire vision de Dieu, de laquelle seule despend
la differente maniere dont on la mange
dans la terre et dans le ciel. C' est pourquoy
Saint Augustin applique avec grande raison le
mesme passage de l' evangile à toutes les deux
manducations, et l' eglise a inseré ses paroles
dans l' office du premier jour de l' octave du
saint sacrement, afin d' obliger les fidelles à
bien peser la disposition avec laquelle ils le doivent
recevoir. Et de là il s' ensuit clairement,
que celuy qui brusle encore du desir des biens
du monde, apres avoir receu Jesus-Christ
dans l' eucharistie, luy fait à proportion la mesme
injure, qu' un bien-heureux feroit à Dieu,
si apres s' estre donné à luy, il desiroit encore
quelque autre bien. Car l' un suppose aussi bien
que l' autre, qu' il n' est pas nourry de la plenitude
de tous les biens, qui sont enfermez dans le
corps de Jesus-Christ.
Theodoret et Psellus.
Theodoret, comme tous les autres
peres, veut que la bonne vie soit la principalle
disposition pour recevoir l' eucharistie,
lors qu' il explique les paroles de S Paul : (...).
p682
Le mesme pere en un autre lieu declare excellemment
en peu de mots, quelle doit estre
la vertu et la pureté de ceux, qui s' approchent
de cette table divine. C' est sur ces paroles du
cantique des cantiques : (...).
Et Psellus sur le mesme endroit fait parler
ainsi l' espoux à l' espouse ; (...).
p683
Gennadius
Gennadius dans le passage des dogmes
ecclesiastiques, que vous-mesme avez cité,
et que nous avons rapporté plus haut, soûtient,
que lors qu' un homme s' approche de
l' eucharistie, ayant la conscience engagée dans
quelque affection de peché, mesme veniel, la
communion charge plus la conscience qu' elle ne la
purifie . Et ce sentiment que Gennadius avoit
pris des peres qui l' ont precedé, et particulierement
de Saint Denis dans sa hierarchie, a esté
suivy d' une infinité d' auteurs qui sont venus
depuis luy, lesquels ont tous approuvé cette
maxime, comme tres-conforme aux principes
de nostre foy.
Saint Gregoire
Saint-Gregoire expliquant ces paroles du
cantique d' Anne, (...), nous enseigne
qu' elles s' accomplissent tous les jours
dans la reception de l' eucharistie, où il n' y a
que les affamez qui soient rassasiez, et ceux qui
sont remplis demeurent vuides, et n' y peuvent
trouver de rassasiement. (...).
p685
Saint Bernard
Saint Bernard au livre de la maniere de
bien vivre, prononce comme une verité indubitable,
qu' il faut accomplir la verité de Jesus-Christ,
en faisant de bonnes oeuvres,
auparavant que de pretendre de se nourrir de
son corps. (...).
Saint Thomas
que si nous voulons passer des peres
aux docteurs de l' eschole, nous trouverons
p686
la mesme doctrine dans ces deux grands
saints, qui en ont esté les chefs, et les colomnes,
ou pour mieux dire, les deux anges, Saint
Thomas, et Saint Bonaventure.
Pour le premier, outre une infinité de choses
excellentes, que l' on peut lire sur ce sujet
dans ses opuscules du saint sacrement, ce qu' il
dit au mesme endroit en peu de paroles, est suffisant
pour apprendre à tous les pecheurs, de
quelle sorte il se faut preparer pour recevoir
l' eucharistie, puis qu' il enseigne, (...).
Saint Bonaventure
pour Saint Bonaventure, je me contenteray
d' un seul passage entre un grand
nombre de tres-remarquables sur ce sujet.
Dont j' en ay desja rapporté une partie, pour
vous faire concevoir combien vostre doctrine
est éloignée des sentimens de tous les saints.
(...).
p688
Avila
je concluray ces authoritez par celle d' un
grand serviteur de Dieu de ces derniers
temps, afin de vous faire voir que non seulement
la doctrine des saints peres, mais aussi
les sentimens communs de la pieté chrestienne
sont entierement contraires à vos mauvaises
maximes, qui ne tendent qu' à diminuer la
preparation que demande un sacrement si auguste
et si redoutable pour y pousser indiscrettement
tout le monde. Jean Avila excellent prestre
d' Espagne, outre ce que nous en avons
rapporté en un autre endroit, parle ainsi dans
l' une de ses lettres de la preparation à l' eucharistie.
(...).
p691
Et dans une autre lettre écrivant à un predicateur,
il l' instruit de la mesme sorte sur cette
matiere. (...).
Conclusion de ces autoritez.
Il n' est pas beaucoup necessaire de faire le
parallelle de vostre doctrine avec celle de
tous ces peres, descendus depuis Jesus-Christ
jusques à nous, comme je vous la viens de monstrer,
par cette chaisne sacrée de la perpetuelle
tradition de l' eglise. Je vous prie seulement
de considerer, que selon le consentement general
des peres, que le concile de Trente allegue
tant de fois comme une regle inviolable,
c' est par la pureté de la vie, par l' innocence des
actions, par l' exercice des bonnes oeuvres, par
le dégagement de la corruption du monde,
par l' union avec Dieu, et enfin par un estat ferme
et persistant dans la vertu chrestienne, que
l' on doit juger un homme digne de recevoir
l' eucharistie. De sorte, que le fondement general
des dispositions necessaires pour communier
avec fruit, selon la doctrine de l' eglise,
c' est de vivre chrestiennement.
C' est par là qu' il faut commencer l' espreuve
de nous-mesmes, que Saint Paul veut que nous
fassions avant que de manger de ce pain celeste,
examiner serieusement si nous sommes
p692
veritablement chrestiens : si nos moeurs sont
conformes à nostre creance : si nous executons
fidellement ce que nous avons promis dans nostre
baptesme : si nous sommes disciples de Jesus-Christ :
si nous marchons sur ses pas,
ainsi qu' il nous l' a commandé. Et si nous trouvons
le contraire, corriger nostre vie, changer
de vie, avant que de manger la vie, selon l' ordonnance
de Saint Ambroise, (...) ; et faire en sorte selon
Saint Bernard ; que Jesus-Christ demeure
en nous par la foy, et par les bonnes oeuvres,
pour pouvoir utilement manger sa chair et boire
son sang.
Se peut il rien concevoir de plus raisonnable
et de plus conforme à l' esprit du christianisme ?
Et si la foy nous enseigne, qu' il n' y a que les
chrestiens et les baptisez qui soient capables de
ce mystere, la lumiere seule de la raison nous
doit-elle pas faire conclure, qu' il faut vivre en
chrestien et en baptisé, c' est à dire, selon les
enseignemens de l' evangile, pour meriter de
communier, et que lors que par ses pechez l' on
s' est exclus soy-mesme de cette table, il n' y a
point d' autre moyen d' y rentrer, que de rentrer
par la penitence dans l' accomplissement des
obligations de son baptesme.
PARTIE 3 CHAPITRE 8
p693
si tous ceux qui ne pensent
pas estre en peché mortel, ne pechent point en recevant
le saint sacrement, ainsi que cét auteur soustient.
que l' aveuglement et la negligence n' excusent point
de peché, ceux qui communient estant en peché mortel,
ne croyant pas y estre.
mais sans nous arrester d' avantage
à une chose si claire, il vaut
mieux que nous passions à ce que
vous dites, (...).
Je ne veux point à cette heure disputer contre
cette opinion, que vous croyez la plus probable :
il me suffit de vous dire, que pour empescher
que les ames n' en abusassent à leur ruïne,
vous estiez obligé de ne la leur proposer,
qu' avec l' explication que ses auteurs luy
donnent, qui vous eust fait voir, que quand elle
seroit aussi certaine, qu' elle l' est peu, elle
n' empescheroit pas qu' une infinité de personnes
p694
ne commissent des sacrileges, en recevant
l' eucharistie, lors mesme qu' ils ne pensent pas
estre en estat de peché mortel.
Car tous ceux qui sont de ce sentiment, ne
laissent pas d' avoüer, qu' un homme communie
indignement, quoy qu' il ne se croye pas en
peché mortel, si c' est par sa faute qu' il a de luy-mesme
cette creance. Ce qui arrive principalement
de deux chefs, comme Saint Thomas enseigne, (...).
Cela estant, vous persuaderez-vous, que
ce grand nombre de personnes qui ne pensent
à autre chose qu' à s' aveugler elles-mesmes, et
trouver des couvertures à leurs crimes, soient
excusables devant Dieu de toutes leurs communions
sacrileges, pour ne s' estre pas creuës
en peché mortel ? Croyez-vous que tant d' avares,
qui s' imaginent pouvoir tromper Dieu,
comme ils font les hommes, en trouvant moyen
de pallier leurs usures ; que tant d' ecclesiastiques,
qui bruslans d' un desir secret de s' engraisser
p695
du bien des pauvres, trouvent cent deguisemens
pour trafiquer impunément des choses
saintes ; que tant de prestres qui ne pensent
point offenser Dieu, lors que sans vocation,
sans suffisance, sans vertu, ils s' ingerent dans le
ministere de l' eglise, par des considerations
toutes charnelles ; que tant de femmes qui se
croyent innocentes, en prenant plaisir de faire
commettre mille crimes, ou qui s' imaginent
n' estre nées que pour vivre en payennes : pensez
vous, dis-je, que toutes ces personnes, et
une infinité d' autres semblables, recevant le
corps de Jesus-Christ dans cette fausse persuasion,
qu' elles ne sont point en peché mortel,
évitent la punition, dont l' apostre menace
tous ceux qui s' approchent de l' eucharistie,
avec une conscience impure ?
Et moy, je vous soustiens au contraire, que
souvent il n' y en a point qui communient
avec plus d' indignité, que les personnes de cette
sorte, qui au milieu de leurs vices ne se reconnoissent
point coupables ; parce que ces tenebres,
dont leur esprit est couvert, et qui leur
ostent le discernement du bien, et du mal, ne
sont que des marques visibles de la depravation
de leur ame, et des punitions invisibles
que Dieu exerce sur elles pour punition de leurs
pechez, respandant, comme dit S Augustin, de
justes aveuglemens sur des passions dereglees, (...).
p696
Que si nous passons à l' autre chef, dont
Saint Thomas parle, c' est à dire, à la negligence
de l' espreuve de soy-mesme, il est facile à
juger que c' est la source la plus generale de toutes
les mauvaises communions. Car la plus-part
du monde se persuadant, que cette espreuve
ne consiste à autre chose qu' à faire une exacte
recherche de tous les pechez que l' on a commis,
il ne se trouve presque personne qui sonde
le fonds de son coeur, et qui interroge sa
conscience sur la ferme et la veritable resolution,
que tout penitent doit avoir pour obtenir
la remission de ses pechez, de se donner à Dieu,
de changer de vie, de se dégager pour jamais
de la servitude du peché, et de vivre à l' avenir
selon les obligations de son baptesme. (...).
Et il arrive de là, que faute de se bien examiner
sur ce point, tant de pecheurs s' approchent
avec confiance de l' eucharistie, ne s' appercevans
pas qu' ils n' ont fait que descharger
leur memoire de leurs pechez, et qu' ils n' en ont
point deschargé leur coeur. Que toutes ces
confessions des levres qui ne sont point accompagnées
du veritable dessein de servir Dieu,
ne sont que des discours, et non pas des confessions :
(...), dit excellemment le pape
p697
Nicolas premier : et que si toutes ces fausses
penitences les justifient devant les hommes,
elles ne les rendent que plus coupables devant
celuy, qui ne s' arreste point à l' apparence des
choses, mais qui penetre jusqu' au plus profond,
et au plus caché de tous les replis de nostre
ame.
Et certes il faut estre possedé d' un estrange
aveuglement, pour n' estre pas touché par sa
propre experience, et n' entrer pas pour le moins
en quelque crainte que toutes nos confessions,
et toutes nos communions ne soient autant
de sacrileges, lors que nous voyons sensiblement
qu' elles n' ont jamais produit aucun amendement
en nostre vie. Car puis que les sacremens
ne manquent jamais de produire leurs effets,
toutes les fois que nous sommes disposez
de les recevoir, lors que nous ne reconnoissons
point en nous aucune marque de ces efféts,
mais plustost des marques toutes contraires ;
sommes-nous pas bien aveuglez, et bien remplis
de tenebres, si nous ne reconnoissons en
mesme temps, que c' est nostre mauvaise disposition,
qui arreste le cours de ces sources spirituelles,
et empesche que les eaux de la grace
n' en découlent sur nos ames ? De sorte, que l' un
des principaux efféts de l' eucharistie, estant de
nous donner de la force contre les attaques de
nos ennemis, et de nous servir d' un celeste
contre-poison, qui nous empesche d' estre infectez
p698
de nouveau par le venin des pechez
mortels, comme le concile de Trente nous
enseigne ; n' est-ce pas se vouloir tromper soy-mesme,
que de se persuader que l' on reçoit ce
sacrement avec fruit, lors que l' on n' en ressent
jamais aucune force nouvelle, et que l' on retombe
tousjours dans ses crimes avec la mesme
facilité.
Enfin pour finir ce chapitre, il ne faut que
considerer, que le sauveur ne dit pas de celuy
qui mange sa chair, et boit son sang, il est en
moy, et je suis en luy ; mais il demeure en moy,
et moy en luy. (...). D' où
nous pouvons aisément apprendre, puis que
toutes les paroles de Jesus-Christ ont leur
poids, que l' effét de l' eucharistie n' est pas de
faire que Jesus-Christ vienne en nostre
ame, comme par une visite passagere, mais
qu' il y establisse sa demeure, qu' il s' en rende le
possesseur, et le maistre, qu' il en fasse son palais,
et son royaume, qu' il y habite, et qu' il
y regne. Car il est clair que dans l' escriture le
mot de, manet, signifie une demeure ferme
et asseurée : d' où vient que Saint Paul, pour exprimer
que nous n' avons point en ce monde
d' establissement stable et asseuré, mais que
nous cherchons une meilleure patrie, se sert de
ces termes : (...). Et Saint Jean
Baptiste explique de la mesme sorte, que la
p699
cholere de Dieu demeure eternellement sur
ceux qui ne croyent point en Jesus-Christ. (...).
Que si nous considerons que ces paroles du
sauveur : (...), comprennent
en mesme temps, selon les peres, et
la preparation à l' eucharistie, et l' effét de
l' eucharistie ; parce que ce sacrement nous unit
avec Jesus-Christ, et nous y suppose
unis, comme la nourriture ne profite qu' aux
membres qui sont joints aux corps ; nous en
pouvons apprendre deux excellentes veritez.
La premiere que puis qu' il faut demeurer
en Jesus-Christ, pour manger la chair
de Jesus-Christ, comme dit Saint Augustin,
et apres luy Saint Bernard, nous devons
avoir soin, qu' avant que de communier nous
demeurions veritablement en Jesus-Christ. (...).
C' est à dire, selon la force
de ce mot dans l' escriture, que nous ayons
acquis par l' exercice des bonnes oeuvres une
ferme et stable demeure en nostre seigneur,
et non pas seulement une visite passagere, qui
n' est bien souvent qu' apparente, par une legere
conversion, qui ne laisse rien dans nostre
ame de permanent et de solide.
La seconde, que l' eucharistie nous doit
p700
faire demeurer fermes et stables en Jesus-Christ,
(...). Et qu' ainsi
Saint Augustin a grande raison de dire, que la
marque d' où nous pouvons reconnoistre, si
nous avons mangé ce pain en la maniere que
le sauveur du monde entend qu' il soit mangé
par les fidelles, c' est de considerer s' il demeure
en nous, et nous en luy ; s' il habite en nous, et
si nous habitons en luy ; s' il se joint à nous de
telle sorte qu' il ne s' en separe point. (...).
PARTIE 3 CHAPITRE 9
de la devotion qui est necessaire
pour communier avec fruit.
p701
si vous aviez bien compris ce que
c' est que devotion, vous auriez
sans doute beaucoup plûtost dit,
que tres-souvent on se persuade
d' avoir de la devotion, n' en ayant
point, que non pas (ce que vous asseurez icy
pour flatter les ames) qu' on croit souvent
n' avoir point de devotion, encore que l' on en
ait.
Mais pour n' entrer point dans un discours
qui seroit trop long, pensez-vous que cette
volonté effective de plaire à Dieu, en laquelle
vous dites que la devotion consiste, se trouve
en tant de personnes ? Pensez-vous qu' elle se
trouve en tous ceux qui croyent l' avoir ? Pensez-vous
que toutes ces actes que l' on forme en
son esprit, qui ne sont pour l' ordinaire que de
simples pensées de l' esprit, et non point des affections
du coeur, soient autant de volontez effectives
de plaire à Dieu ? Les volontez effectives
ne se reconnoissent que par les effets, et ces effets
ne sont pas des paroles, mais des oeuvres, et
ces oeuvres ne sont pas seulement de se confesser,
et communier souvent, enquoy la plus-part
des hommes veulent mettre aujourdhuy
p702
toute la devotion, mais d' accomplir fidellement
la volonté du pere eternel. (...).
Voila ce que c' est que d' estre devot :
voila ce que c' est que d' avoir une volonté effective
de plaire à Dieu. Si ce n' est qu' aux
ames qui se trouvent en cét estat que vous
conseillez de communier souvent, nous sommes
d' accord. Mais si vous vous imaginez
que sans regler sa vie selon les enseignemens
de l' evangile, sans témoigner par ses actions
que l' on est veritablement disciple de Jesus-Christ,
sans marcher dans la voye estroite,
sans se dégager de la corruption du monde,
l' on ne laisse pas d' estre devot, et dans la volonté
p703
effective de plaire à Dieu, toutes les fois que
l' on le dit à son confesseur ; c' est ce qui m' est
aussi peu possible de croire, que de ne pas croire
à la parole de Dieu, qui m' enseigne si formellement
le contraire, non point en un endroit
ou deux, quoy que ce ne fust que trop
pour opposer à toutes les inventions des hommes,
mais dans tout le corps des escritures divines.
(...).
Puis donc que c' est en mesme temps, et la
preparation et l' effet de l' eucharistie, que de
demeurer en Jesus-Christ, comme nous
avons desja dit, la meilleure regle, et la plus
asseurée, pour reconnoistre ceux qui meritent
de communier souvent, c' est de ne pas tant
regarder à ce qu' ils disent, qu' à ce qu' ils font,
et de quelle sorte ils marchent sur les pas du
sauveur du monde. Car pour comprendre facilement
p704
l' obligation que nous avons tous, d' imiter
la vie de nostre seigneur, selon que l' evangile
nous la descrit, il ne faut que considerer
que nous sommes tous religieux de la religion
generalle que Jesus-Christ a instituée, et
obligez à l' observation de sa regle, laquelle à la
façon de tous les instituteurs des religions
particulieres, qui l' ont appris de luy et de son
esprit, il a voulu prattiquer luy-mesme avant que
de la faire escrire, et engager par son exemple,
avant toute autre persuasion ceux qui la voudroient
embrasser.
C' est pour cette raison, que le sauveur du
monde a voulu mener une vie commune, et vivre
comme homme parmy les hommes, et non
point comme Saint Jean, qui a vescu en ange
dans le desert, et en penitent hors le desert ; afin
que sa vie estant plus semblable à celle des autres
hommes, elle fust plus propre à servir de
modelle à la vie de tous les chrestiens, de quelque
condition et profession qu' ils fussent.
Et cependant nous voyons aujourd' huy,
que la plus grande partie des chrestiens qui se
sont engagez à la religion, et à la regle de
Jesus-Christ, se persuadent que c' est assez
d' en porter les marques exterieures, sans prendre
aucune peine de marcher sur ses traces, d' imiter
sa vie, et d' observer sa regle, qui est toute
dans la charité, dans le mespris, et dans la
haine du monde, et dans l' esloignement de
p705
toutes les choses qui nous peuvent porter à offenser
Dieu. Enquoy ils sont semblables à ceux
d' entre les religieux qui ont degeneré de leur
regle, et qui menent une vie contraire à celle
de leur premiere institution.
Toute la difference qu' il y a, c' est que les hommes
tant soit peu raisonnables trouvent bon,
que l' on reforme les religions particulieres, et
que l' on les ramene à l' observance de leur regle,
et à l' imitation de la vie de leurs premiers
instituteurs, quelque universel, et quelque inveteré
que puisse estre le relaschement contraire.
Mais il n' y a presque personne qui veüille
souffrir aujourd' huy, qu' on ramene les religieux
de la religion generalle de Jesus-Christ
à une serieuse observation de la regle qu' ils ont
voüée, c' est à dire, de l' evangile ; qu' on les oblige
de se conformer à la vie de leur divin instituteur,
et de marcher comme il a marché. Ils s' en
croyent dispensez par la coustume. Ils se persuadent,
que le temps a prescrit contre les loix
de Dieu. Ils se contentent de voir qu' on vit de
la sorte : ils ne s' enquierent point si l' on doit vivre
autrement. Tous prests mesme d' accuser
d' orgueil et de singularité, ceux qui s' efforcent
plus qu' ils ne font à se conformer aux enseignemens
de l' evangile, à marcher dans la voye
estroite du ciel, et à ne pas suivre aveuglément
tous les déreglemens, et tous les desordres, qui
semblent autorisez par le long usage.
p706
Les vices grossiers ne passent pas encore pour
legitimes, mais au moins pour tres-pardonnables :
ceux qui en sont exempts passent pour
saints, quelques vices de l' esprit qui les possedent,
quelque vanité qui les enfle, quelque ambition
qui les brusle, quelque avarice qui les
ronge, quelques haines et quelques envies qui
les deschirent. On ne juge plus de la devotion
que par les frequentes communions : et on juge
dignes de communier souvent, tous ceux
qui confessent souvent leurs crimes, quoy
qu' ils ne les quittent jamais. C' est assez qu' ils le
fassent en intention de s' en détacher , et on croit
que ces personnes ensevelies dans les vices, ont des
volontez effectives de plaire à Dieu, toutes les
fois qu' elles le disent à leur confesseur, quoy que
l' on n' en voye jamais aucun effét.
Saint Ambroise dit excellemment, (...).
Mais aujourdhuy l' on veut allier deux nourritures si
contraires. Ceux qui mangent tous les jours la chair du
serpent et du dragon, mangent tous les huit jours
la chair de Jesus-Christ aussi hardiment
que les saints.
Je dis plus. N' est-ce pas une chose horrible
p707
que nous poussions à se nourrir de Jesus-Christ,
ceux que selon le langage de l' escriture,
et des peres, nous devons tenir pour
antechrists. (...).
PARTIE 3 CHAPITRE 10
p708
si ceux qui sont remplis de
l' amour d' eux-mesmes, et si attachez au monde
que de merveille font tres-bien de communier
souvent.
vous avez grande raison de dire
que le point, que vous proposez
en cét article, est dans les regles
precedentes ; puis que s' en est une
suitte legitime, et un digne couronnement
de vos excez. Il estoit tres-raisonnable
qu' apres avoir poussé toutes sortes de personnes
à s' approcher de cette table divine, avec
p709
d' autant plus de hardiesse, qu' elles se trouveroient
davantage denuées de graces ; vous portassiez
par mesme moyen à communier souvent
celles qui se trouveroient remplies d' amour
d' elle-mesmes ; et qu' apres avoir declaré,
que quelque inapplication aux choses de
Dieu que l' on ressentist, l' on ne devoit point
s' abstenir de recevoir l' eucharistie, vous continuassiez
à enseigner que c' estoit rendre un
grand honneur à Jesus-Christ de manger
souvent son corps, estant attaché prodigieusement
au monde qui est son plus grand
ennemy. Il estoit impossible de trouver une
plus juste proportion entre vos regles, puis que
rien ne s' accorde mieux ensemble que la privation
de la grace, et la plenitude de l' amour propre ;
l' inapplication aux choses de Dieu, et l' attachement
à celles du monde.
Mais d' autant plus que ces principes se trouvent
conformes entr' eux, d' autant plus sont-ils
opposez à l' eternelle verité que l' escriture
et la tradition de l' eglise nous enseignent. (...).
Et ainsi selon cette regle divine de ce grand
p710
saint, ceux qui se trouvent remplis d' amour
d' eux-mesmes peuvent-ils douter qu' ils ne
soient du nombre des citoyens de Babylone ?
Et cela estant, que faites vous autre chose en
les poussant à la sainte communion, que de
prendre le pain que Jesus-Christ n' a donné
qu' aux enfans de Jerusalem, pour le donner
aux enfans de son ennemie ? (...) ;
quel honneur peuvent rendre à Jesus-Christ,
en communiant souvent ceux, qui sont attachez
au monde par un amour excessif, que
semblable à cét honneur que Judas luy rendit
en le baisant, et les juifs en le saluant comme
leur roy.
Et veritablement y a-t' il une plus mauvaise
disposition pour participer souvent à ce mystere
ineffable de l' amour divin, que d' y apporter
un coeur rempli de l' amour du monde,
et de soy-mesme, de cette charité terrestre directement
opposée à la charité celeste, et qui
n' est pas moins la reyne et l' origine des vices,
que l' autre est la reyne, et l' origine des vertus.
Car c' est ainsi que Saint Paul, et apres luy
Saint Augustin nous ont appris, qu' il falloit
considerer ces deux amours, comme deux
sources generalles de tous les biens, et de tous
les maux de nostre ame ; l' amour de Dieu de
p711
tout le bien ; l' amour de soy-mesme de tout
le mal. C' est pourquoy comme l' apostre d' une-part
appelle l' amour de Dieu, la plenitude de
la loy, et luy attribuë les actions de toutes les
autres vertus, en disant que la charité est patiente,
qu' elle est douce, qu' elle n' est point jalouse , et
le reste : ainsi d' autre-part, pour descrire la
corruption des derniers temps, et cét horrible deluge de
toutes sortes de vices, qui devoit inonder le
monde sur la fin des siecles, il establit l' amour
de soy-mesme , pour la racine et le fondement de
tous les autres. (...).
Puis donc que vous jugez si bien disposez
pour recevoir l' eucharistie, ceux qui sont remplis
de l' amour d' eux-mesmes, puis que vous
p712
leur asseurez, qu' ils font tres-bien de communier
souvent, et qu' ils rendent par ce moyen un
grand honneur au fils de Dieu ; augmentez ce
grand honneur que Dieu reçoit par ces communions
frequentes ; ne separez point les branches
du tronc ; joignez les ruisseaux à la source :
poussez à communier tous les jours, si ce n' est
assez de tous les huict jours, tous ceux qui se
trouveront remplis d' avarice, de vanité, d' orgueil,
de perfidie, d' impieté, d' incontinence,
et de ces autres belles qualitez, que Saint Paul
nous propose comme la suite de cét amour de
soy-mesme ; et pour accommoder toutes choses
à vos principes, et renverser le langage de l' eglise,
apres en avoir renversé les sentimens, au
lieu qu' autresfois elle faisoit prononcer par ses
diacres, Sancta Sanctis, les choses
saintes sont pour les saints, afin qu' il n' y eust que
les justes et les saints, qui eussent la hardiesse
d' approcher de l' eucharistie : pour faire plus
aisément reüssir vostre dessein, faites retentir
cette voix à l' entour de nos autels, (...). Les choses
saintes sont pour ceux qui s' ayment eux-mesmes,
pour les avares, les vains, les superbes,
et autres semblables.
Et ce qu' il y a de considerable, c' est que le
pretexte que vous prenez pour l' establissement
de vostre mauvaise maxime, s' accommode
égallement bien à toutes sortes de vices. Car
p713
qui est celuy qui ne puisse dire, qu' il communie
en esperance de se détacher du vice dont il
est rempli ? Qui est le concubinaire qui ne puisse
dire, qu' il approche souvent de l' autel en
esperance de se détacher de l' amour de sa concubine ?
Qui ne peut dire en nourrissant des inimitiez
mortelles dans son coeur, que c' est dans
l' esperance de s' en détacher qu' il reçoit l' eucharistie ?
Le plus avare et le plus ambitieux
de tous les hommes ne pourra-t' il pas dire de la
mesme sorte, que c' est en esperance de se détacher
de son avarice, ou de son ambition, qu' il
se presente souvent à cette table sacrée ?
Mais ne semble-t' il pas que Saint Paul nous
ait voulu marquer ce desordre, puis qu' apres le
denombrement de ces vices qu' il joint à l' amour
de soy-mesme, comme des ruisseaux infectez
de cette source empoisonnée, il adjoûte,
comme pour derniere marque de ces hommes
corrompus, qu' ils n' auront que l' apparence
de la pieté, et n' en auront point la verité ny
l' effét.
Voila l' image accomplie de ces personnes,
dont vous parlez, qui estans remplies de l' amour
d' elles-mesmes, et attachées prodigieusement
au monde, ne laissent pas selon ces conseils
de frequenter les sacremens, avec d' autant
plus de hardiesse qu' elles ont moins de vertu ;
qui par cette fausse apparence de pieté dont
p714
parle l' apostre s' imaginent honorer Dieu par
leurs frequentes communions, en le deshonorant
sans cesse par les déreglemens de leur
vie ; et se nourrissent dans cette malheureuse
presomption, que sans se mettre en peine d' accomplir
les preceptes de Jesus-Christ,
et de suivre l' exemple qu' il nous a laissé, ils ne
laisseront pas d' estre traittez de luy comme ses
enfans et ses bien-aymez, pour s' estre souvent
assis à sa table.
Mais il n' est pas si estrange, que l' aveuglement
des hommes enchantez de l' amour du
monde, et qui ne travaillent à autre chose qu' à
pouvoir allier Jesus-Christ avec Belial,
leur fasse embrasser un chemin si court et si facile,
pour aller en paradis sans beaucoup de peine.
Ce qui est deplorable, c' est qu' ils trouvent
des conducteurs, qui entreprennent de les y
mener par ce chemin ; qui veulent malgré Jesus-Christ,
que sans marcher dans la voye
estroitte, l' on ne laisse pas de parvenir à la vie ;
et enfin qui selon l' excellente parole de
Saint Augustin, au lieu d' estre les predicateurs de
Dieu, se rendent les predicateurs du serpent,
en promettant aux hommes ce que Dieu ne
leur promet pas. Car en la mesme sorte que
Dieu ayant menacé de mort les premiers hommes
s' ils mangeoient du fruit defendu, le serpent
leur promet au contraire qu' ils ne mourroient
pas, quoy qu' ils en mangeassent. nequaquam
p715
moriemini. ainsi Dieu nous asseurant
par la bouche de Saint Paul, que ceux qui s' approchent
de cette table avec une conscience
corrompuë, trouvent leur mort dans cette
viande divine, et entre ceux dont la conscience
est corrompuë, marquant en teste les hommes
amoureux d' eux-mesmes, (...) ;
vous entreprenez neantmoins de persuader
à ces gens remplis d' amour d' eux-mesmes,
et attachez excessivement au monde,
qu' il n' y a point de danger pour eux à communier.
(...). Et qu' au contraire, ils rendent un grand honneur
à Jesus-Christ, en le recevant dans un coeur plein
de poison, et que pourveu qu' ils perseverent à
le recevoir avec une telle impureté, il ne manquera
pas de les rendre purs.
Saint Gregoire nous asseure, que dans ce festin
celeste ceux qui sont remplis de la nourriture
des vices peuvent bien manger, mais
non pas y estre rassasiez ; (...) :
parce qu' il n' y a que les
affamez, et qui sont entierement despoüillez
des vices, qui y soient rassasiez. (...) ; et
vous enseignez au contraire, que ceux qui sont
remplis de l' amour d' eux-mesmes, et de l' enchantement
du monde, sont propres à estre
rassasiez de cette nourriture divine, (...) ;
et vous les flattez de cette esperance
p716
trompeuse, qu' en communiant souvent, Dieu
les dégagera de leurs vices.
Mais qu' ils escoutent, pour se détromper d' une
si dangereuse erreur, ce que Saint Isidore prononce
sur ce sujet. (...) ?
Et qu' on ne s' imagine pas que cette plenitude
d' amour propre, et ce merveilleux attachement
au monde, dont vous parlez, n' empesche
pas le fruit de l' eucharistie, pour n' estre
pas joints à des pechez grossiers et corporels,
qui frappent d' avantage les yeux des hommes.
Les maladies de nos ames n' en sont que plus
dangereuses, pour estre interieures et cachées,
et selon la doctrine du fils de Dieu, il n' y en a
point de plus opposez à la grace, que ces sepulchres
blanchis qui paroissent beaux au dehors,
et qui au dedans sont pleins d' ordure, et de corruption.
Et pour comprendre facilement, que la depravation
de nostre coeur par ces affections desordonnées
aux choses du monde, sans d' autres
vices plus charnels, suffit pour nous ravir le
fruit, que nous pourrions esperer dans la sainte
p717
communion, nous n' avons qu' à considerer,
que Jesus-Christ nourrissant nostre ame
de deux sortes de nourritures, de sa parole, et de
son corps (ce qui fait que Saint Augustin les
comprend tous deux dans la demande que nous
faisons tous les jours à Dieu, de nous donner
nostre pain quotidien) il n' y a point d' apparence
de s' imaginer, que la nourriture de sa chair
profite de quelque chose, à ceux à qui l' evangile
nous tesmoigne, que celle de sa parole ne
sert de rien.
Or la verité mesme nous avertissant de ce
qui estouffe la semence de la parole dans nostre
coeur, et l' empesche de porter du fruit, n' allegue
point les homicides, les adulteres, les
fornications, les larcins, les blasphemes, et les
autres crimes grossiers et visibles, (...). Et
ainsi puis que tous ceux dont vous parlez, qui
sont attachez prodigieusement au monde, y
sont necessairement attachez par quelques-uns
p718
de ces liens, ou par le soin, et l' empressement
des affaires temporelles, ou par la passion d' amasser
du bien, ou par le desir de passer le temps,
et de prendre leurs plaisirs ; ce que le sauveur
dit d' eux, touchant la nourriture de sa parole ;
ne le pouvons-nous pas dire avec encore plus
de raison, touchant la nourriture de son corps ;
(...) ; ce sont ceux, qui non seulement
escoutent, mais reçoivent tres-souvent
l' auteur de la vie, (...).
Toutes ces communions ne
produisent point de fruit, et n' en produiront
jamais tant que le coeur sera plein de cét amour
corrompu.
Encore mesme que ces personnes se soient
delivrées des crimes grossiers, et s' addonnent à
quelques exercices exterieurs de pieté, c' est en
vain neantmoins qu' elles esperent, que le sauveur
remplisse des ames que le monde a desja
remplies. (...).
p720
Reconnoissez dans ces excellentes paroles
de Saint Bernard la condemnation formelle de
vostre mauvaise conduite : et que les personnes
engagées dans les dereiglemens du siecle,
que vous poussez à communier si souvent, y
reconnoissent l' estat miserable où elles languissent,
sans qu' elles s' en apperçoivent. Qu' elles y
remarquent le ver qui leur ronge les entrailles ;
qu' elles y apprennent à ne se pas arrester à ces
guerisons superficielles et fardées, qui nous
rendent plus dignes de la damnation que nous
n' estions auparavant ; et qu' une fois pour toutes
elles prennent une ferme resolution de mettre
p721
la cognée à la racine de l' arbre, qui n' est autre,
selon les peres, que l' amour desordonné
de soy-mesme, et l' attachement du monde, au
lieu de s' amuser à ne coupper que les branches,
qui repoussent tousjours de nouveau, tant que
le tronc demeure sur pied.
Que si elles ne se veulent pas rendre à l' advis
de ce grand saint, qu' elles escoutent ce que
le saint esprit leur commande par la bouche
d' un apostre. Voila de quelle sorte Saint Jacques
parle aux amateurs de ce monde, apres
nous avoir asseurez qu' ils ne peuvent estre
qu' ennemis de Dieu. (...).
Il ne leur dit en aucune sorte, que nonobstant
leur amour du monde, ils se doivent presenter
à l' eucharistie, qu' ils doivent approcher
de Jesus-Christ sans aucune crainte, et
que c' est le plus asseuré moyen de se remettre
bien avec luy. Le saint esprit ne donne point
ces conseils. Mais il leur commande de nettoyer
leurs mains, c' est à dire de se retrancher
de toutes les mauvaises actions : et non seulement
cela, mais de purifier leurs coeurs, c' est à
dire, d' en déraciner cette amitié du monde, qui
est une inimitié avec Dieu, et n' estre plus double
p722
d' esprit, en se donnant tous entiers à nostre
seigneur Jesus-Christ, sans penser
se partager entre luy et le siecle. Il ne trouve
point d' autres remedes à leurs maux, que les
afflictions, les gemissemens, et les larmes de la
penitence. Et pour leur en enseigner les regles
il les avertit, que leurs ris se doivent convertir
en pleurs ; qu' autant qu' ils se sont plongez dans
les vaines joyes, ils se doivent plonger dans une
tristesse salutaire, et que les peines, et les douleurs
doivent payer les plaisirs de leur vie passée
par une juste mesure. Et parce que la penitence
n' est rien, si elle n' est accompagnée d' humilité,
il leur commande en suitte de s' humilier
et s' abbaisser en la presence du seigneur,
en entrant dans une sainte confusion de leurs
pechez, et dans une profonde reconnoissance
de l' estat miserable où ils se trouvent reduits,
pour avoir abandonné les voyes de Dieu. Apres
cela il leur promet que le seigneur les eslevera
(...). Comme s' il disoit, Dieu recevra
les offrandes de vos mains, lors qu' elles seront
nettes de toutes leurs taches : il prendra sa demeure
dans vostre coeur quand vous en aurez
chassé le monde : il vous tendra les bras, pourveu
que vous retourniez à luy dans les gemissemens
et dans les soûpirs ; quand vos larmes parleront
pour vous, il écoutera leur voix : il perdra
le dessein de vous punir, lors qu' il verra que
vous vous punissez vous-mesme, et vous sera
p723
d' autant plus doux, que vous vous serez plus severe :
il ne vous imputera point vos plaisirs et
vos delices, lors qu' il les verra changez en austeritez,
et en mortifications : et enfin plus vous
entrerez dans l' humiliation de la penitence, et
plus il vous eslevera dans sa gloire.
Voila l' instruction que Saint Jacques donne
aux enfans du monde, pour les faire retourner
à Dieu. Considerez-la je vous prie avec l' attention
qu' elle merite ; il n' est pas icy question
de l' advis d' un casuiste, ou de l' opinion d' un
docteur particulier. C' est Dieu mesme qui
nous parle, et c' est par ces regles qu' il nous jugera.
Que luy pourrons-nous respondre s' il
nous demande au dernier jour qui nous a donné
la hardiesse d' asseurer aux amateurs du monde
l' entrée de son royaume, sous d' autres conditions
que celles qu' il leur a proposées par son
apostre ? Sans les obliger à déraciner de leur
coeur les affections du siecle ; sans les faire entrer
dans les pleurs, dans les gemissemens, et
dans les mortifications ; sans changer leurs
divertissemens en regrets, et leurs delices en
austeritez ; et enfin sans les reduire dans
l' abbaissement et dans l' humiliation, où doivent estre
de veritables penitens ? Que pourrons-nous
dire à cela ? Pensons-nous estre excusables devant
luy, ou pour avoir ignoré des choses que
nous ne sçaurions ignorer sans crime, ou pour
avoir alteré par des interpretations humaines
p724
ses divines instructions, ou pour avoir mieux
aymé suivre dans nostre conduite nos opinions
et nos phantaisies, que les regles inviolables de
sa parole ?
PARTIE 3 CHAPITRE 11
si Jesus-Christ reçoit un grand
honneur des frequentes communions, de ceux que
cét auteur porte à communier souvent.
si au jugement de tous les hommes,
ce seroit traitter injurieusement les
roys de la terre, que de leur dire,
qu' ils reçoivent un grand honneur de ce que
p725
leurs sujets mangent souvent à leur table : est-ce
parler dignement du roy du ciel, que de dire
comme vous faites, qu' il reçoit un grand
honneur de ce que de miserables creatures
prennent souvent place à sa table, pour se
nourrir de son propre corps ?
C' est un honneur infiny qu' il nous a fait, de
nous admettre dans le temps à la participation
de la mesme viande, dont joüissent ses esleus
dans l' eternité, sans qu' il y ait autre difference,
sinon qu' icy il nous en oste la veuë, et le goust
sensible, nous reservant l' un et l' autre pour le
ciel. Et vous voulez que ce soit luy qui reçoive
un grand honneur de ce que nous nous trouvons
souvent à ce festin adorable.
Mais de plus, si nous considerons quelles
sont les personnes que vous y portez ; que peut
recevoir Jesus-Christ de leurs frequentes
communions, que de la honte et de l' outrage,
comme je vous l' ay tant de fois monstré. Jesus-Christ
ne nous a-t' il pas averty dans l' evangile,
qu' il ne nous suffisoit pas pour l' honorer
de l' appeller, seigneur, seigneur, mais qu' il falloit
executer ses preceptes, et mener une vie
conforme à ses saintes instructions. Il nous
commande de nous haïr nous-mesmes, si nous
voulons estre du nombre de ses disciples ; il
nous defend par la bouche de son apostre
d' aimer le monde ; il nous ordonne de marcher
par la voye étroite, pour parvenir à son royaume ;
p726
(...). Pourquoy venez-vous à ma table,
puis que vous ne faites pas ce que je vous
dis ?
Que si au temps des sacrifices charnels, et
des ombres de la loy, Dieu tesmoigne par son
prophete, que c' est une espece d' idolatrie de
le penser adorer en luy des-obeïssant, combien
plus dans la nouvelle alliance, où il ne peut
souffrir que des adorateurs en esprit et en verité.
C' est estre juif de s' imaginer, que toutes les
actions exterieures, quelques saintes qu' elles
paroissent, puissent plaire à Dieu, si elles ne
sont sanctifiées par son esprit. Et c' est estre
pelagien que de croire, que ces actes de foy,
d' esperance, de charité, et d' humilité, dont
vous parlez, se puissent faire autrement que
par un don particulier de la grace de Jesus-Christ,
qui nous en forme les mouvemens
dans le coeur. Et ainsi, c' est tromper les
ames, que de leur persuader, qu' il ne faille
que communier souvent, pour exercer souvent
ces actes, comme s' ils accompagnoient
necessairement toutes les communions, et
qu' ils se produissent toutes les fois qu' il nous
plairoit reciter certaines formules, ausquelles
on s' imagine les pouvoir reduire, comme s' ils
dépendoient entierement de nostre propre volonté,
et que nous n' eussions besoin pour les
p727
faire, que de nous y exciter nous-mesmes.
Mais qui peut faire croire, qu' un homme
fasse de grands actes de foy, en recevant l' eucharistie,
si toutes ses actions, et toutes ses oeuvres,
sont plûtost des marques d' une foy morte,
et semblable à celle des demons, que d' une
foy vive, agissante et animée par la charité ?
Est-ce esperer beaucoup en Dieu, que d' estre
attaché prodigieusement au monde ? Est-ce
avoir beaucoup d' amour pour luy, que d' estre
remply de l' amour de soy-mesme ? Est-ce avoir
une grande humilité, que de se presenter d' autant
plus hardiment au plus terrible des mysteres,
que l' on est plus denué de graces ? Enfin,
est-ce donner un grand contentement à
Jesus-Christ, pour me servir de vos paroles, que
de le reconnoistre sur les autels, et le desavoüer
dans ses moeurs ?
Certes, autant que les communions de
ceux, dont le coeur est veritablement à Dieu, et
qui vivent selon l' evangile, sont agreables au
sauveur du monde, autant a-t' il en horreur
toutes les communions de ces amateurs du
siecle, qui par une erreur impie veulent separer
la religion de la moralle, et n' estre chrestiens
que dans l' eglise ; qui se persuadent que la
frequentation des sacremens est tres-compatible
avec leurs passions déreglées ; et qui apres une
confession des levres, qui n' a nulle marque d' une
veritable conversion, donnent pour retraitte
p728
au fils de Dieu, une maison qui paroist nette
sur la surface, comme parle Saint Bernard, mais
qui au fonds est toute pleine de bouë.
Ils se flattent de quelques bonnes pensées qui
leur remplissent l' esprit lors qu' ils communient,
et s' imaginent, selon que vous taschez
de leur persuader, qu' ils y exercent quantité d' actes
de vertu, de foy, d' esperance, de charité,
d' humilité, ne s' appercevans pas que tous ces actes
ne sont que des illusions. Car au lieu que les gens de
bien ont quelquesfois le coeur couvert de mauvais
desirs, et de mouvemens de peché, et
neantmoins le fonds du coeur est tres-net ; les
gens du monde au contraire à l' approche de la
communion ont le coeur rempli de bons desirs,
comme ils croient, et toutesfois le fonds
de leur coeur demeure tres-corrompu. Le diable
excite les mauvaises pensées dans les uns,
sans qu' elles leur nuïsent, et les bonnes dans les
autres, sans qu' elles leur servent, et c' est par
là mesme qu' il porte souvent les méchans à la
sainte communion pour leur y faire faire des
sacrileges.
C' est pourquoy comme Saint Jean Chrysostome
prefere d' une-part la felicité des fidelles
à celle des mages, en ce qu' ils adorent sur
les autels celuy qu' ils adorerent dans une creche,
et le possedent revestu de la gloire de son
pere, au lieu que ces sages ne le virent que revestu
d' infirmité, et n' ont pas seulement droit
p729
de luy faire leurs offrandes, qui doivent estre les
richesses des bonnes oeuvres, mais aussi de le
prendre et de le manger : il ne craint point d' autre-part
de comparer les chrestiens qui communient
indignement, à ce roy barbare et impie,
qui vouloit tuer Jesus-Christ, sous
pretexte de l' aller adorer avec les mages. Et
comme ce doit estre la conduite du saint esprit
qui amene les justes à l' eucharistie, ainsi que ce
fut une lumiere du ciel qui amena ces princes à
Jesus-Christ ; ce pere nous asseure, (...).
Ce qui vous fait voir, que ce n' est pas un stratageme
du diable, d' empescher que ceux qui
sont indignes de ces mysteres, ne s' en approchent
pas à leur condemnation, mais que c' est
faire la charge du diable, que de les y envoyer
estant en cét estat.
PARTIE 3 CHAPITRE 12
si le delay ne sert de rien
pour nous faire communier avec meilleure disposition.
exemples de quelques saints
sur ce sujet.
p730
vous renouvellez en cét article,
quoy qu' en d' autres termes, les
deux maximes que vous attribuez
cy-dessus à Saint Chrysostome,
l' une (...).
Je vous ay fait voir en son lieu, combien elles
sont esloignées des sentimens de ce pere, il me
reste de vous monstrer icy par quelques autoritez,
comme je m' y suis obligé, combien elles
sont peu conformes à la verité, au sens que
vous les entendez.
Je le feray en peu de mots, et commenceray
par ce que vous dites, (...) : pour
traitter en suite ce qui regarde la reverence de
cét adorable sacrement.
p731
Lors que vous prononcez, comme une maxime
indubitable, (...), ou vous
l' entendez generalement pour quelque cause
que l' on differe, et quoy que l' on fasse durant
ce delay, ou seulement de ceux qui ne different
que par negligence et par mespris, et qui cependant
ne font autre chose que de perseverer
dans le libertinage et dans le vice, sans travailler
en aucune sorte à se rendre plus dignes de
recevoir l' eucharistie.
Si vous n' aviez dessein de parler que de cette
derniere sorte de personnes, vous auriez raison
de dire, (...) : mais ce
que vous adjoûtez en suitte seroit impie, (...).
Si ce n' est que
vous voulussiez adjoûter cette maxime pernicieuse
et semblable à beaucoup d' autres, que
quantité de communions indignes, sont de
fort bonnes preparations pour apprendre à
communier dignement, dequoy nous parlerons
ailleurs.
Que si vostre proposition est generalle,
comme la suite de vos paroles, et l' esprit universel
de vostre discours, montrent assez que
c' est vostre sens. Se peut-il rien imaginer de
plus contraire aux regles saintes de la pieté
chrestienne, que de dire, que lors qu' un homme
differe de recevoir l' eucharistie pour en
approcher avec plus de pureté en s' y preparant
p732
durant ce temps par l' exercice des bonnes oeuvres ;
le delay ne luy sert de rien pour communier
en suitte avec meilleure disposition, et cela
n' approche-t' il pas de la doctrine de Luther
condemnée dans le concile de Sens, (...).
Saint Hierosme nous apprend que les quarante
jours de jeusne du caresme sont une preparation
à l' eucharistie. (...). Et que nous voyons beaucoup
de tres-grands saints ont eu cette devotion particuliere
de se preparer durant tout le caresme
à la communion de pasque, en joignant ce jeusne
spirituel au corporel.
Theodoret qui a escrit la vie de Saint Simeon
Stilite, et qui parle de ce qu' il a veu et
sceu de ceux qui estoient avec ce saint, lequel
vivoit de son temps, qui le connoissoit particulierement,
et renvoya à luy des barbares pour
recevoir sa benediction episcopale, dit qu' au
bout de treize ou quatorze ans qu' il fut solitaire,
il s' enferma dans une cellule, et jeusna quarante
jours du caresme, sans rien manger, et
que Bassus solitaire qui avoit fermé sa cellule
par dehors l' estant venu voir au bout de quarante
jours, le trouva contre terre, et si foible,
qu' il ne pouvoit, ny parler ny se remuer, et que
p733
luy ayant lavé la bouche, il luy donna l' eucharistie,
qui luy rendit ses forces. Et depuis cette
année jusques au temps que Theodoret escrivoit
sa vie, il avoit jeusné vingt-huict caresmes
de cette sorte, mais avec bien moins de peine,
comme dit ce pere, n' ayant plus eu de peine
lors qu' il fut sur la colomne ; Dieu le fortifiant
de plus en plus par sa grace.
Sainte Genevieve qui vivoit du temps de ce
saint, et qui mesme eut revelation de luy, demeuroit
encore plus long-temps separée de la
sainte communion, puis que nous lisons dans
sa vie, que depuis la feste des rois, jusques
au jeudy saint, elle se retiroit en un hermitage
où elle demeuroit toute seule, s' adonnant à
l' oraison, à examiner sa conscience, couchant
sur la dure, et jeusnant plus estroitement qu' en
une autre saison.
Nous lisons dans la vie de Saint François
qu' il faisoit presque la mesme chose tous les ans
apres la feste des rois, qu' il s' en alloit au desert
en memoire des quarante jours que nostre
seigneur fut en solitude, et qu' il demeuroit enfermé
dans une cellule durant ce temps là ; priant
et jeusnant fort austerement.
à quoy l' on peut adjouster l' exemple des
religieux solitaires du monastere prés le Jourdain,
dont Sophronius evesque de Jerusalem,
dit en la vie de Sainte Marie egyptienne, qu' ils
communioient tous le premier dimanche de
p734
caresme, et s' en alloient en suite dans le desert,
où ils demeuroient jusques au dimanche des
rameaux qu' ils revenoient dans leur monastere.
Pensez-vous que ces delais ne servissent de
rien à ces saints pour se rendre plus dignes de
participer à la gloire de Jesus-Christ en
l' eucharistie, apres s' estre rendus durant ce
temps-là participans de ses souffrances ?
Mais il est difficile de n' estre pas touché de
l' exemple de Saint Ignace, dont Ribadeneira
rapporte au commencement de sa vie, qu' il
mangeoit une fois le jour un morceau de pain
qu' on luy donnoit d' aumosne, ne beuvoit que
de l' eau, et jeusnoit ainsi tous les jours, hors le
dimanche qu' il se confessoit et communioit.
Desorte que vous voyez que ce saint se preparoit
toute la semaine avec tant d' austerité et de
mortification à la communion du dimanche,
que vous voulez estre commune à toutes
sortes de personnes : et peut-on douter que ce
delay ne luy servist pour recevoir plus dignement
Jesus-Christ apres s' estre purifié par
un jeusne si rigoureux ? Mais que pourrez-vous
respondre à ce qu' adjouste le mesme auteur,
que ce saint ayant esté fait prestre, il demanda
un an entier à se preparer pour dire sa premiere
messe ? Croioit-il que ce fust une chose inutile
comme vous le voulez persuader, lors qu' il s' agit
des mysteres qui font trembler les plus justes,
p735
de prendre du temps pour s' y preparer, et
pour attirer sur soy par les gemissemens et par
les prieres la grace du saint esprit, puis qu' ayant
servy Dieu depuis tant d' années avec une si
grande ferveur, et estant desja parvenu par la
voye de la penitence à un degré de vertu si eminent,
il ne s' estime pas neantmoins encore assez
pur, pour offrir à Dieu le sacrifice de la messe,
et differe non point quelques semaines ou
quelques mois, mais un an tout entier les fonctions
du sacerdoce auquel Dieu l' avoit appellé,
pour s' y preparer durant ce temps-là par de
continuels exercices de pieté.
Que si ces grands saints remplis de l' esprit
de Dieu, et embrasez de son amour, jugeoient
qu' il leur estoit utile de differer quelquesfois la
communion, ou la celebration des mysteres,
pour s' en approcher en suite avec plus d' ardeur
et de pureté, qui peut trouver mauvais que de
grands pecheurs prattiquent cette humilité,
qui ne leur est pas seulement utile, mais bien
souvent necessaire, et qu' ils different de communier,
pour effacer par les exercices de la penitence,
les taches de leurs pechez ?
L' on ne peut nier sans erreur, que la principalle
disposition pour recevoir utilement l' eucharistie,
ne soit la pureté de l' ame, et qu' ainsi
on ne la reçoive avec meilleure disposition,
d' autant plus que l' ame est pure : et à moins
que de tomber dans l' heresie de Luther et de
p736
Calvin, et de corrompre comme eux la verité
de la parole divine, il faut necessairement
avoüer que les prieres, les jeusnes, les aumosnes,
et les autres bonnes oeuvres servent à nous
faire acquerir la pureté de l' ame ; et par consequent,
l' on ne peut nier sans erreur, que lors
qu' on differe de communier, pour s' y preparer
par ces actions saintes et salutaires, ce delay ne
serve pour communier avec meilleure disposition.
Et certes l' on peut dire des penitens, qui se
separent de l' eucharistie, en s' en reconnoissant
indignes, la mesme chose que Saint Ambroise
dit du centenier, qui n' osa recevoir Jesus-Christ
en sa maison. (...).
p737
Ainsi ces personnes touchées du sentiment de
leurs pechez se rendent plus dignes de la sainte
communion en s' en retirant comme indignes :
elles se rapprochent de Jesus-Christ en
s' esloignant de son autel : et n' osant recevoir
le sauveur, elles reçoivent du sauveur la guerison
de leurs ames.
PARTIE 3 CHAPITRE 13
si ce n' est pas une action de
respect envers l' eucharistie, de s' en abstenir
quelquesfois par humilité, ou de differer la
communion pour quelque temps. Exemple de quelques
grands saints sur ce sujet.
et c' est ce qui nous peut donner
entrée dans nostre autre point, et
nous servir à examiner si c' est un
sentiment chrestien, ce que vous
enseignez, que l' on ne doit point
prendre pour une action de respect envers le
s. Sacrement, de s' en retirer quelquesfois, ou de
differer la communion pour quelque temps.
Mais il n' est pas besoin d' un long discours
pour refuter une maxime si visiblement contraire
aux premieres notions de nostre foy. Il y
a long-temps que Saint Augustin a decidé que
l' humilité du centenier, qui n' osa recevoir
p738
Jesus-Christ en sa maison, ne luy fut pas
moins agreable, que le zele de Zachée qui l' y receut
avec joye, et qu' ainsi les ames saintes honorent
esgalement le sauveur, soit que suivant
les mouvemens de leur foy elles s' approchent
souvent de sa table, soit que par un religieux
respect, elles s' en retirent quelquesfois.
Tous les theologiens apres Saint Thomas
demeurent d' accord, que l' un et l' autre regarde
la reverence deuë au saint sacrement. Et avant
luy l' auteur de l' imitation de Jesus-Christ
dit en termes formels, (...).
Et Saint Bonaventure juge cette doctrine si
certaine, qu' il ne fait point de difficulté de dire,
qu' il semble, que ce soit une marque d' irreverence
à un prestre de dire tous les jours la messe,
et de n' obmettre jamais par respect la celebration
du sacrifice. (...).
p739
Et nous voyons que l' esprit de Dieu s' est
pleu quelquesfois à imprimer de telle sorte
dans le coeur de quelques saints ces mouvemens
de respect et d' humilité, qu' ainsi que
quelques-uns n' ont osé aspirer au sacerdoce
comme Saint François ; d' autres ayans esté faits
prestres, n' ont jamais eu la hardiesse d' exercer
les fonctions de leurs charges.
Nous en lisons deux exemples admirables
dans la vie des peres, de deux excellens solitaires
du desert, dont l' un s' appelloit Muthues, de
qui l' histoire rapporte, que l' evesque l' estant
venu visiter, et le voyant si saint le fit prestre
malgré luy, et ayant sceu de luy que son compagnon
estoit tres-vertueux, il le fit encore
prestre : mais ils ne dirent point la messe par
humilité, et Muthues dit : (...).
Et pour passer à des exemples de saints
beaucoup plus illustres, S Epiphane ne nous
tesmoigne-t' il pas, (...),
p740
qui sont les propres termes de Saint Epiphane, dans une
lettre à Jean evesque de Jerusalem, traduite en
latin par Saint Hierosme mesme : et il adjouste
qu' il fut contraint pour cette raison, de prendre
de force un religieux du mesme monastere,
et de le faire diacre et prestre en suite, malgré
luy, quoy qu' il resistast, et qu' il s' escriast,
qu' il estoit indigne de cette charge.
Ce que tout le monde sçait avoir esté tres-ordinaire
dans ces premiers siecles, où la dignité
de la prestrise estoit gravée de telle sorte dans
le coeur des chrestiens, qu' il falloit user de violence
envers la plus-part des gens de bien, pour
les faire resoudre de monter à un degré, qu' ils
estimoient si fort au dessus de leur merite.
Je n' en rapporte point d' exemple, parce qu' ils
sont infinis, et que tout le monde les sçait, je
vous supplie seulement de juger de là, que ces
grands saints n' estimoient pas, que toute la
pieté consistast à se pousser dans les charges de
l' eglise, dés le premier mouvement que Dieu
nous donne d' estre à luy, à s' ingerer dans toutes
sortes de fonctions, à entreprendre de convertir
tout le monde, avant peut-estre que l' on soit
bien affermy dans la vertu, et enfin, pour revenir
davantage à nostre sujet, à ne manquer pas
p741
un jour à dire la messe, si l' on est prestre, et à
communier tres-souvent, si on ne l' est pas.
Et veritablement si vostre doctrine estoit
vraye, et que Dieu ne se trouvast point honoré,
de ce qu' on se retire quelquesfois de ses mysteres
par respect, selon les mouvemens que le
saint esprit en donne ; il faudroit accuser Saint
Hierosme, et ces autres saints d' une fausse humilité,
et d' une devotion scrupuleuse, et se persuader
qu' ils estoient moins instruits que vous
dans les regles de la pieté chrestienne, ce que je
ne pense pas que vous ayez la hardiesse de pretendre.
PARTIE 3 CHAPITRE 14
s' il n' est jamais à craindre
comme cét auteur le pretend, que la trop grande
frequentation de l' eucharistie, ne diminuë la
reverence que l' on doit à ce mystere.
si c' est une action de reverence envers
le saint sacrement, de s' en retirer
quelquesfois par humilité,
comme nous le venons de monstrer,
l' on ne peut nier, que ce delay
ne serve souvent pour nous faire communier
avec plus d' ardeur ; et qu' au contraire, il
ne soit à craindre, que la trop grande frequentation
de l' eucharistie ne nous en diminuë le
respect, principalement si nous ne sommes pas
p742
encore affermis dans une parfaite vertu. Soûtenir
le contraire, ainsi que vous faites, c' est combattre
le sens commun, et l' experience de tous
les hommes.
Car qui est celuy qui ne voye, et qui ne sente,
soit dans soy-mesme, soit dans les autres, que
la foiblesse de nostre esprit nous porte à avoir
moins d' attention pour les choses, quelques
excellentes qu' elles soient, à mesure qu' elles
nous deviennent plus ordinaires ? Ceux qui
servent Dieu plus fidellement n' experimentent-ils
pas tous les jours la peine qu' il y a, d' empescher
que les plus saints exercices de pieté,
lors qu' ils se sont rendus communs, ne se fassent
plus par mouvement de vertu, mais par la seule
accoustumance ?
Et quant à ce qui regarde l' eucharistie, tous
les theologiens n' enseignent-ils pas apres
Saint Thomas, que l' une des raisons qui nous
doit empescher de communier tous les jours,
(...), supposans
comme une indubitable verité, qu' il y a
tres-grand danger, qu' une trop frequente reception
de l' eucharistie ne nous en fasse approcher
avec moins de reverence ?
Vous entreprenez neanmoins de nous persuader
le contraire, et par une excellente raison
vous voulez faire croire aux personnes les plus
p743
imparfaites (car c' est à celles-là principalement
que vous parlez, comme il paroist par tout vostre
escrit) que plus elles communieront, plus
elles le feront avec ferveur, et avec respect. (...).
Je ne m' arreste point à vous monstrer, combien
c' est une chose esloignée de la verité, que
l' on ayme Dieu davantage, plus on le connoist ;
puis qu' il est certain, que ceux qui connoissent
Dieu plus parfaitement, ne l' ayment pas tousjours
avec plus de charité, et que c' est un
pelagianisme de croire, que la plus grande
connoissance que nous puissions avoir de Dieu ;
nous puisse porter à l' aymer, si par une grace
nouvelle il ne grave son amour dans nostre
coeur.
Je passe aussi ce que vous asseurez, que plus
on s' approche de l' eucharistie, plus on connoist
et l' on ayme Dieu, vous ayant des-ja
montré tant de fois, que les frequentes communions
de ceux qui ne vivent pas chrestiennement,
ne servent qu' à les aveugler et les endurcir
davantage, suivant cette excellente parole
de Saint Bernard, (...).
p744
Je me contenteray de vous dire, que vostre
raison seroit excellente, si les hommes estoient
des anges, et si cette mauvaise inclination, de
mépriser les choses qui nous sont devenuës
communes, se prenoit de la part des objets, et
non point de la part de nous-mesmes.
Saint Augustin soustient avec tres-grande
raison, que les miracles ordinaires, que Dieu
opere tous les jours dans la nature, sont beaucoup
plus admirables, que tous ceux dont il s' est
servy pour nous attirer à sa connoissance, et
que l' homme seul est incomparablement une
plus grande merveille, que toutes les merveilles
qu' il a fait faire par les hommes. Mais que
Dieu nous a voulu toucher par des prodiges
extraordinaires et inopinez, parceque les prodiges
ordinaires et communs, quoy que beaucoup
plus estranges, nous parroissent mesprisables
pour estre sans cesse devant nos yeux. (...).
Et que les peres mesmes ont reconnu,
p745
que rien ne nous empeschoit d' estre dans
une continuelle admiration des ouvrages de
Dieu, que ce que nous les voyons tous les
jours.
Direz-vous donc, suivant la maxime que
vous voulez establir en ce lieu, que le mespris est
venu, de ce que les hommes ont reconnu des
defauts et de l' imperfection dans les chefs-d' oeuvres
de la main du tout-puissant ? Est-ce qu' ils
ont trouvé des fautes dans l' architecture de
l' univers, du déreglement dans le cours des
astres, du desordre dans la vicissitude des saisons ?
Et de ce que personne ne regarde avec tant
d' attention ou le soleil, ou la lune, que lors
qu' ils sont eclipsez, est-ce qu' ils sont plus beaux
dans leurs defaillances, que dans la plenitude de
leur clarté ?
Enfin, Dieu n' a pas voulu, selon Saint Augustin,
que cette grande abondance de miracles
qu' il a fait paroistre à la naissance de l' eglise
durast tousjours, (...).
Direz-vous que c' est qu' il craignoit,
ce qui est seulement horrible à penser, que
nous découvrissions quelque defaut, et quelque
imperfection dans ses oeuvres miraculeuses ?
Apprenez donc, que la raison pourquoy la
p746
familiarité des choses nous en diminuë le respect,
n' est pas tousjours, que dans la suite elles
nous paroissent moins parfaites, qu' elles ne paroissoient
d' abbord, mais plûtost de ce que
nous les connoissons imparfaitement, principalement
les spirituelles, et de ce que la curiosité
qui est la troisiesme playe de nostre ame,
et la troisiesme partie de ce peché qui habite
en nous, ainsi que Sainct Paul appelle la
concupiscence, nous portant sans cesse à la recherche
des objets nouveaux, nous fait perdre la ferveur
pour ceux qui sont devenus communs. Et
c' est à cette corruption naturelle de l' esprit humain,
que l' auteur de l' imitation de Jesus-Christ
rapporte la diminution du respect
envers un sacrement si adorable ; lors qu' il s' écrie.
(...).
à quoy l' on peut adjoûter que le long usage
de faire quelque action nous fait perdre insensiblement
l' attention que nous devons avoir en la
faisant, parce que l' habitude se change en nature,
et les actions naturelles se font sans reflection.
Et quoy qu' il y ait une accoustumance
dans les bonnes oeuvres, qui est bonne, et qui
enferme comme un continuel mouvement du
s. Esprit, et qui peut faire dire des hommes excellens
p747
en pieté, ce que Saint Augustin dit de
Dieu, (...) : il y en a aussi
une autre qui est mauvaise, et qui dans la continuation
des bonnes oeuvres, met l' esprit de
l' homme en la place de l' esprit de Dieu. Et c' est
en partie à cause de cette mauvaise accoustumance,
qui nous oste la ferveur et le sentiment
de la devotion que l' on ressent au commencement
des bonnes oeuvres, et des saints exercices,
que les anges se réjouïssent d' avantage de
la nouvelle conversion d' un pecheur, que de la
perseverance des justes dans la bonne vie.
Ainsi, quoy que l' eucharistie doive estre
le comble de nos souhaits, nostre infirmité
neantmoins est si grande, et si prodigieuse,
tant que nous sommes en ce monde, que nous
devons éprouver nos forces, avec un extréme
soin, de peur qu' une trop frequente communion
ne nous refroidisse, au lieu de nous embraser ;
et ce ne sera que dans l' autre vie, où nous
serons continuellement rassasiez de cette viande
divine, sans crainte d' aucun dégoust, parce
que nous la mangerons à découvert et sans voiles,
et que nous serons gueris de toutes nos maladies,
et de toutes nos langueurs.
PARTIE 3 CHAPITRE 15
p748
qui sont ceux que les peres
ont blasmez, pour se retirer trop de la
sainte communion.
vous entendez aussi peu la doctrine
de ces peres, que celle de
tous les autres que vous avez citez jusques icy.
Saint Cyrille et Saint Isidore
parlent fortement, comme tous les saints, contre
ceux, qui refusent de communier par un
oubly de Dieu, par une negligence honteuse
des choses de leur salut, par une crainte servile,
qui fuyent ceste hostie vivante, comme les
criminels le visage de leur juge, (...).
p749
Qui est celuy qui en cela n' imite leur zele,
et qui ne trouve tres-mauvais, qu' un grand
nombre de chrestiens vivent dans cette letargie,
pour ce qui regarde les choses divines, et
dans ce mespris insupportable des plus saints
mysteres de nostre religion, que si la coustume
et l' usage, plûtost qu' aucun sentiment de
pieté, ne les portoit à communier à pasques, à
peine penseroient-ils jamais, que Jesus-Christ
se fust donné luy-mesme à son eglise
dans un sacrement si divin pour estre la
nourriture de nos ames.
Mais comme il ne sert de rien de connoistre
les maladies, si l' on n' en connoist les remedes ;
il ne suffit pas de nous dire que les peres condemnent
cét abus que tout le monde condemne
avec eux ; mais l' importance est d' apprendre,
quel est le remede qu' ils veulent que l' on
y apporte. De sorte que toute la question se
doit reduire à ces termes ; si lors que les personnes
se retirent de l' eucharistie par le remors
de leurs crimes, ou par un esprit de libertinage
l' on les doit porter selon vos maximes à s' en approcher
aussi-tost apres une legere confession,
et à communier tres-souvent, quoy que l' on
ne voye aucun veritable amendement dans
leur vie, et que ce leur soit encore une chose
tres-ordinaire de commettre des pechez
p750
mortels ; ou bien si l' on les doit exhorter à faire
une bonne penitence de leurs pechez, à changer
de moeurs, et à embrasser une vie vertueuse
et chrestienne, avant que de rentrer dans la
participation des mysteres. C' est ce qu' il faut
voir par les auteurs mesmes que vous alleguez,
et dans les endroits mesmes que vous en citez,
ou que vous avez dessein de citer comme vous
estans favorables.
Saint Cyrille dans ses commentaires sur
Saint Jean parle en deux divers lieux, contre
ceux qui negligent de recevoir l' eucharistie,
mais en tous les deux le conseil qu' il leur donne,
c' est de se purifier de leurs pechez, et d' embrasser
une vie sainte et chrestienne. Voicy les
paroles du livre troisiesme. (...).
Considerez je vous prie ce que ce pere veut
que l' on fasse avant que de communier, lors
qu' il s' efforce davantage à y porter les fidelles.
p751
Il veut que l' on se soit auparavant purifié de ses
pechez, ce qui se fait par la penitence, que l' on
ait embrassé une forme de vie vertueuse, que
l' on ait rompu les liens du diable, comme sont
toutes sortes de mauvais engagemens qui nous
retiennent dans le mal, que l' on ait secoüé son
joug en renonçant pour jamais à ses pompes et
à ses oeuvres, comme nous avons fait à nostre
baptesme, que l' on se soit remis dans le service
de Dieu, et que l' on ait vaincu les voluptez de
la chair par l' exercice de la temperance ; c' est à
dire, par les jeusnes, et par les autres mortifications,
comme toutes les habitudes corrompuës
se doivent destruire par la prattique des vertus
contraires, selon tous les peres et le concile de
Trente apres eux. Tout cela ne consiste point en
des paroles, mais en des actions et en des oeuvres :
et à moins que de demander à Dieu des
miracles extraordinaires, il ne faut point pretendre
que cela se puisse faire en une heure. Il dit la
mesme chose en peu de paroles dans le 4 livre, (...).
Pour Saint Isidore, vous n' avez qu' à adjoûter
aux paroles que vous en citez, quoy qu' avec
alteration, celles qui les suivent immediatement, (...) :
p752
par où il fait
voir, qu' il ne parle que de ceux qui se sont tellement
convertis à Dieu par le secours de la penitence,
ainsi qu' il declare auparavant, qu' ils
ne sont plus en estat de retomber dans leurs pechez,
et non pas de ceux qui y retombent à
toutes rencontres : et encore il adjouste pour
monstrer combien la preparation à ce divin
sacrement doit estre sainte, que les personnes
mariées doivent demeurer plusieurs jours en
continence et en prieres, avant que de communier.
Mais outre cela, il decide en ce mesme endroit
nostre question en termes clairs, et prononce
comme une verité constante, (...).
Cela suffit pour faire avoüer aux plus passionnez,
que tous les tesmoins que vous produisez,
au lieu de parler en vostre faveur, deposent
contre vous-mesme.
Je veux neantmoins vous avertir charitablement,
que vous pouviez encore appuyer vostre
doctrine de l' autorité du plus eminent et
du plus illustre de tous les docteurs de l' eglise,
puis que Saint Augustin ne parle pas moins fortement
p753
que Saint Cyrille et Saint Isidore, contre
ceux qui refusent de communier. Sans doute,
que vous n' eussiez pas manqué de l' alleguer
avec les autres, si vous l' eussiez rencontré parmy
vos memoires. C' est pourquoy, vous ne trouverez
pas mauvais, que je le fasse pour vous, et
que je rapporte tout entier un sermon qu' il a
fait sur ce sujet ; où cét homme divin nous
donne en peu de paroles toutes les instructions,
que nous pouvons desirer sur cette matiere.
(...). Voila justement
les mesmes personnes, contre qui Saint Cyrille
parle, et dont nous traittons en tout ce chapitre,
voyons maintenant le jugement qu' il en
fait.
(...). Pouvoit-il
representer en des termes plus puissans
à ces personnes negligentes, le peril où elles se
mettent en s' esloignant de l' eucharistie par la
connoissance qu' elles ont de leurs crimes, dans
lesquels elles perseverent ? Et ne semble-t' il pas
que Saint Cyrille et Saint Isidore ayent pris de
p754
là ce qu' ils en disent. Mais parce, comme je vous
ay desja dit, que c' est peu de chose de découvrir
les maux, si on ne travaille à les guerir, escoutons
le conseil qu' il donne en suitte.
(...). Il ne leur dit pas simplement, qu' ils
se doivent approcher de l' eucharistie ; ce seroit
leur vouloir faire trouver du poison dans
cette nourriture divine. Il n' a garde aussi de
leur dire, qu' ils ont tort de se croire indignes
de cette viande celeste, ce seroit les trahir, au
lieu de les conseiller, il se contente de les exhorter
à s' en rendre dignes. Mais l' importance
estant de sçavoir de quelle sorte ils le pouvoient
faire ; c' est ce qu' il leur represente en ces termes,
que je supplie tout le monde de considerer. (...).
Je ne pense pas que personne ait la hardiesse
de douter, que Saint Augustin n' ait connu
les veritables regles du christianisme, pour se
rendre digne de l' eucharistie, lors qu' on s' en
p755
estoit rendu indigne par ses pechez, et les ayant
connuës, il faut necessairement, qu' il les ait
expliquées en cét endroit, puis qu' il y fait profession
particuliere, d' en vouloir instruire son peuple.
Et cependant, je ne trouve point, qu' il leur
dise, qu' il n' y a autre chose à faire qu' à confesser
ses pechez, mais au contraire, je vois qu' il
enjoint expressement trois choses. La premiere
de quitter ses pechez, changer sa mauvaise
vie, et de faire paroistre par ses moeurs une veritable
conversion. La deuxiesme, de se presenter
au prestre pour confesser ses pechez,
luy découvrir ses blessures, et luy demander
une penitence qui leur soit proportionnée,
afin qu' il reçoive de son authorité le temps
et l' ordre qu' il doit garder, pour satisfaire à
la justice de Dieu. La troisiesme, d' accomplir
cette penitence, et se purifier par les austeritez
et les mortifications de l' impureté de ses
pechez.
Mais la suitte de ce sermon nous donnera
une plus grande lumiere, et y adjoustera quelques
advis tres-importans.
(...). Si la penitence ne consistoit
qu' à se confesser, ne seroit-il pas ridicule de dire,
que les mourans ne sont pas capables de faire
penitence, puis que nous ne voyons autre
chose, que des mourans qui se confessent ; mais
p756
Saint Augustin s' explique assez ; nous n' avons
qu' à l' escouter.
(...).
C' est donc par nos oeuvres, et non point seulement
par des paroles, que l' on se rend digne
de recevoir l' eucharistie ; puis que c' est de la
preparation necessaire pour communier, que
Saint Augustin traitte en cét endroit.
(...), (c' est à dire, d' imposer
la satisfaction, que les malades estoient
obligez d' accomplir, si Dieu leur rendoit la santé,
comme il se void par un grand nombre de
canons) (...).
p757
Voila la theologie de Saint Augustin, ou
plûtost celle de tous les peres, touchant la
preparation, que doivent apporter à l' eucharistie
ceux qui se trouvent coupables des pechez
mortels. (...).
PARTIE 3 CHAPITRE 16
si c' est le plus grand malheur
qui puisse arriver à l' eglise, et un stratageme du
diable, que de porter les pecheurs à la penitence, et
de s' opposer à l' abus horrible, qu' une infinité de
personnes fait aujourdhuy des sacremens.
p758
c' est un malheur imaginaire, et
qui n' est fondé, que sur une pure
calomnie, qu' il y ait des personnes
de pieté, qui détournent de
communier souvent les ames qui
en sont dignes ; ou qui mesme ne portent pas
à une tres-frequente participation des sacremens
tous ceux, dont la conscience est assez pure,
la vertu assez solide, et la vie assez chrestienne,
pour meriter une si familiere communication
avec Jesus-Christ.
Mais le veritable malheur de l' eglise, qui ne
peut estre deploré avec assez de gemissemens
et de larmes, c' est de voir un si grand nombre
de personnes, qui traittent aujourdhuy avec
tant d' indignité les plus redoutables mysteres
de nostre religion ; qui ne craignent point de
recevoir le saint des saints avec une bouche
pleine d' ordure et de corruption, comme parle
Saint Jean Chrysostome ; qui menant une vie
toute corrompuë, et toute payenne, ne font
autre chose que se confesser et communier ;
et que l' on reconnoist sensiblement ne tirer autre
fruit de toutes leurs communions, qu' une
folle confiance en la misericorde de Dieu, qui
p759
leur fait esperer le salut, sans observer aucun
des preceptes de l' evangile, et en marchant
avec asseurance dans la voye large qui mene à la
mort.
Saint Augustin rapporte que de son temps,
il y avoit quelques personnes vicieuses, qui pour
se flatter dans leurs crimes, se persuadoient que
sans les quitter, Dieu ne laisseroit pas de les delivrer
de la damnation eternelle, pourveu qu' elles
fissent beaucoup d' aumosnes : mais aujourdhuy
la pluspart des chrestiens semblent passer
plus avant, et vouloir gagner le ciel avec
moins de peine, et à meilleur marché, puis que
c' est une chose bien plus facile de frequenter
les sacremens en la maniere que vous l' enseignez,
que de faire de grandes aumosnes, et que
ceux qui sont remplis de l' amour d' eux-mesmes, et
attachez excessivement au monde , prendront bien
plus aisément resolution de communier souvent,
que de se despoüiller d' une partie de leur
bien, pour en soulager les pauvres.
Aussi est-ce une chose horrible, que l' on
n' ait jamais veu d' avantage de confessions et
de communions, et jamais plus de desordre, et
plus de corruption. On se presse autour des
confessionnaux, les autels sont environnez de
communians, les paroisses, et principalement
les monasteres en sont pleins : et cependant,
qui peut ignorer ce que les seculiers ne sçavent
que trop, par la connoissance qu' ils ont du monde,
p760
ce que les confesseurs connoissent encore
d' avantage par la necessité de leur fonction, et
ce que les predicateurs font retentir si hautement
dans les chaires, pour exciter les pecheurs
à la penitence, que toutes les veritables marques
du christianisme sont presque aujourdhuy
esteintes dans les moeurs des chrestiens ?
Qu' il n' y eust jamais plus d' impureté dans les
mariages, plus de corruption dans les familles,
plus de desbordemens dans la jeunesse, plus
d' ambition parmy les riches, plus de luxe parmy
toute sorte de personnes, plus d' infidelité
dans le commerce, plus d' alteration dans la marchandise,
plus de tromperie dans les artisans,
plus d' excez et de desbauches dans le menu peuple ?
Qui ne sçait que depuis vingt ans la fornication
a passé parmy les gens du monde, pour
une faute legere ; l' adultere, l' un des plus grands
de tous les crimes, pour bonne fortune ; la
fourberie et la trahison, pour la vertu de la
cour ; l' impieté et le libertinage, pour la
force de l' esprit ; les juremens et les blasphemes,
pour un des ornemens du langage ;
la tromperie et le mensonge, pour la science
du debit et du traffic ; la fureur du jeu continuel,
pour une honneste occupation des
femmes ; le mespris des maris, l' abandonnement
du soin des familles, la negligence
de l' education des enfans, pour le privilege
de celles qui ont quelques avantages de
p761
la nature, ou de la fortune ; la qualité d' honneste
femme, pour une qualité differente de celle
de femme de bien ; la simonie déguisée, et la
prophanation du bien de l' eglise pour un
accommodement legitime, et qui facilite le commerce
des benefices ; et enfin les volleries et les
usures pour un revenu des charges, pour l' interest
ordinaire de l' argent, et pour une invention
de s' enrichir, dont il n' y a quasi plus que les
simples et les ignorans qui fassent aujourdhuy
quelque scrupule ? Je ne dis rien des crimes
plus abominables que nos peres ont ignorez,
et qui se sont débordez de telle sorte dans ce
siecle malheureux, que l' on ne sçauroit y penser
sans estre saisi d' horreur. Je passe encore les
pechez purement spirituels, que l' on ne connoist
point, et que l' on compte pour rien, et
que S Paul comprend tous en ces deux paroles, (...),
qui sont les plus grands pechez,
et les plus horribles aux yeux de Dieu.
Voila ce qu' on doit avec verité appeller le
plus grand malheur qui puisse arriver à l' eglise :
si ce n' est que l' on adjouste que c' en est encore
un plus grand, de ce qu' il se trouve des personnes
qui font profession de pieté, qui flattent
les pecheurs dans les desirs de leur ame,
comme parle l' escriture ; qui déguisent par des
paroles trompeuses la violence de leurs maux ;
qui leur annoncent une fausse paix, pour me
p762
servir des termes de Saint Cyprien, pernicieuse
à ceux qui la donnent, et infructueuse à ceux
qui la reçoivent ; qui ne semblent travailler à
autre chose, qu' à nourrir les crimes par une fausse
douceur, au lieu de les arrester par une juste
severité ; et qui ravissant aux ames malades
les remedes de la penitence, ne leur presentent
autre chose pour leur guerison, que le poison
funeste d' une communion precipitée,
(...), selon les
paroles de la maistresse de toutes les eglises de
la terre.
Ce sont des personnes qui s' imaginent avoir
fait devenir toute chrestienne, sans qu' il y soit
arrivé d' autre changement, sinon que ceux qui
n' y communioient que tous les ans, y communient
tous les mois, et encore plus souvent,
et ceux qui y communioient tous les mois,
y communient tous les dimanches. Ils vous
avoüeront que les moeurs n' y sont pas moins
corrompuës qu' auparavant, que les hommes
n' y sont pas moins avares, moins ambitieux,
moins enflez d' orgueil, moins attachez à
leurs plaisirs, à l' incontinence, à l' yvrognerie,
moins fourbes, moins perfides, moins
médisans, moins blasphemateurs, et enfin
pour prendre les choses à la racine, d' où les
prend Saint Paul, moins amateurs du monde
et d' eux-mesme : et neantmoins, ils vous
p763
soustiendront qu' ils sont en beaucoup meilleur
estat qu' ils n' estoient, parce qu' ils racontent
tous les huict jours à un prestre ce qu' ils ne
racontoient que tous les mois, et qu' ils adjoûtent
tous les huit jours deux sacrileges à leurs
autres crimes ; de la mesme sorte qu' un homme
publieroit l' abondance d' une campagne
dont tous les arbres seroient remplis de fort
belles feüilles, et ne porteroient que des fruits
empoisonnez, ou semblables à ceux de Gommorre,
qui sous la plus belle écorce du monde,
conservent encore les funestes reliques de la
vengeance divine.
Je trouve dans l' evangile une effroyable figure
de ces personnes, qui se contentent de
multiplier les communions sans changer d' esprit,
et sans faire penitence de leurs pechez ; et
le malheur qui les attend s' ils perseverent dans
ce desordre, est bien visiblement tra, dans la
sentence de condemnation de Jesus-Christ
prononcée contre les capharnaïtes. Car nous
voyons dans Saint Matthieu, que c' est dans
capharnaum que Jesus-Christ a commencé
à prescher la penitence. C' est là où il
dit, (...). Et dans le chapitre 4 de Saint Luc,
il se void, que les capharnaïtes admiroient sa
doctrine, et en estoient ravis, (...),
et qu' il y fit plusieurs miracles. Et
cette double admiration de la doctrine et des
p764
miracles, leur donnoit tant d' affection pour luy,
qu' ils l' alloient chercher jusques dans le desert,
et le vouloient retenir parmy eux, et l' empescher
de quitter leur ville. De sorte qu' il fut contraint
de leur dire, qu' il estoit obligé d' aller aussi
prescher aux autres villes.
Ainsi les capharnaïtes ont creu en Jesus-Christ :
ils ont admiré sa doctrine, et ses
miracles : ils se sont réjoüis de ce qu' il habitoit
dans leur ville, de ce qu' il les preschoit, de ce
qu' ils mangeoient et beuvoient avec luy, comme
dit Saint Luc de tous les lieux où il a presché,
(...) : ils s' en sont allez le chercher
jusques dans le desert. Ils l' ont voulu retenir
chez eux, et l' empescher de sortir hors de
leur ville : ils ont tout fait, horsmis qu' ils n' ont
pas fait penitence de leurs pechez : et pour cela
seul, il prononce une plus horrible sentence de
condemnation contre cette ville, que contre
toutes les autres.
En Saint Matthieu chapitre Ii il commença
à prononcer des maledictions contre les villes
où il avoit fait plusieurs miracles, à cause qu' ils
n' avoient pas fait penitence. Il dit contre Chorozain,
et Bethsaïde, que si on eust fait les miracles
dans Tyr, et dans Sydon, qu' il avoit fait
dans ces deux villes, elles eussent fait penitence
dans la cendre, et dans le cilice, et que Tyr
et Sydon seroient traittées plus doucement au
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jour du jugement, que Chorosain et Bethsaïde.
Mais il dit de Capharnaum, qu' elle a esté élevée
jusques dans le ciel, et qu' elle sera abbaissée jusques
dans les enfers, (...).
C' est l' image des pecheurs, qui ne laissent
pas de participer aux divins mysteres. Ils sont
eslevez jusques dans le ciel, parce qu' ils sont
tous les jours avec le dieu du ciel dans le sacrifice
de la messe où ils assistent ; ils escoutent sa
parole dans ses sermons ; ils mangent à sa table
dans l' eucharistie ; ils ne veulent point que
Jesus-Christ sorte de chez eux, ou ils
veulent qu' il y revienne bien-tost, multipliant
sans cesse les communions pour cét effet. Mais
Jesus-Christ habite en eux, comme il habitoit
dans Capharnaum, par la presence reelle
et veritable de son corps dans leurs poitrines,
et non par la presence de son saint esprit dans
leur coeur. C' est pourquoy ils ne font point penitence
de leurs pechez ; ils ne changent point
de vie ; ils demeurent remplis de l' amour
d' eux-mesmes , comme auparavant, et attachez
excessivement au monde ; attirant ainsi sur eux la
condemnation de Capharnaum, dont ils imitent
l' impenitence.
Voila pour vous le dire encore une fois, en
quoy consistent les veritables malheurs de l' eglise,
pour lesquels l' apostre Saint Paul nous
oblige de gemir, comme il s' est declaré luy-mesme,
p766
oblige de pleurer ceux qui parmy les
chrestiens n' avoient pas fait penitence de leurs
pechez. Et c' est au contraire le plus grand bonheur
de l' eglise, que Dieu renouvelle l' esprit de
la penitence dans le coeur des chrestiens, et qu' il
leur inspire d' en embrasser les exercices pour se
garantir de ses menaces, puis que le concile de
Trente nous asseure que çà tousjours esté une
verité constante dans l' eglise de Dieu, qu' il n' y
avoit point de plus seure voye pour destourner
la cholere du seigneur, preste à tomber sur nos
testes ; que de prattiquer sans cesse ; avec une
veritable douleur d' esprit, ces oeuvres de penitence.
C' est un tesmoignage sensible de l' amour de
Jesus-Christ pour son espouse, que dans
la corruption de ces derniers siecles, il suscite des
personnes, qui au milieu du monde renoncent
sincerement à toutes ses folies et à toutes ses
vanitez : qui fassent profession publique de vouloir
estre entierement à Jesus-Christ, qui
pour rentrer dans les obligations de leur baptesme
en renouvellent les promesses ; qui n' ayment
rien davantage que l' abaissement de la vie
chrestienne et penitente ; qui selon ce que Saint
Ambroise rapporte du grand Theodose, aiment
bien mieux estre reprises, que flattées,
et estre traittées avec une sainte justice, qu' avec
une fausse misericorde ; qui ne recherchent
point à leurs playes de remedes precipitez et
p767
qui ne durent qu' un moment, mais qui taschent
de satisfaire à la justice divine par les gemissemens
et les larmes, par les prieres, par les
jeusnes, par les aumosnes, par le retranchement
des plaisirs, par la retraitte, par le silence, par
l' esloignement des compagnies inutiles, et par
toutes sortes de bonnes oeuvres ; qui s' efforcent
d' eslever l' edifice de leur salut sur le fondement
de l' humilité, laquelle ne consiste pas tant à
participer aussi-tost aux mysteres les plus eslevez
du christianisme, qu' à s' en esloigner pour
un temps en se jugeant indigne d' en approcher ;
qui prattiquent fidellement ce qui nous est
prescrit dans l' evangile, de se reconcilier avec
son frere avant que de se presenter à l' autel,
et surmontent pour cét effét par la force de
l' esprit de Dieu toutes les inclinations naturelles
de leur esprit, et toute l' aigreur des ressentimens ;
qui recherchent des occasions singulieres
pour donner des preuves d' affection envers
des personnes, qui selon les considerations
de l' interest, et les maximes corrompuës du
monde, leur devroient estre les plus odieuses ;
et enfin que Dieu semble avoir choisies pour
donner quelque exemple de la maniere, dont
les personnes engagées dans les desordres du
monde doivent revenir à Dieu par une veritable
conversion.
Peut-il entrer dans l' esprit d' un chrestien, à
moins que d' estre possedé d' un estrange aveuglement,
p768
que le plus grand malheur qui puisse
arriver à l' eglise, soit qu' il y ait beaucoup de
personnes qui agissent de cette sorte ; que ce
soit une secte dangereuse de vivre selon les
obligations de l' evangile ; que ce soit une action
criminelle de se purifier quelque temps par les
exercices de la penitence, avant que de se presenter
au plus redoutable des mysteres ; et ce
qui est horrible à penser, que la conduite des
apostres, et de tous les peres, pour ramener
des ames à Dieu, doive estre prise pour un
stratageme du diable.
Il n' y a que l' ignorance qui puisse excuser ce
blaspheme, mais elle n' est pas excusable en celuy
qui se mesle d' instruire les autres. Et si vous
continuez à soûtenir que ceste prattique ne
puisse venir du saint esprit, il faut que vous
adoriez un autre saint esprit, que celuy qui est
descendu sur les apostres, puis que ce sont les
apostres qui ont enseigné à l' eglise de separer
les pecheurs de l' eucharistie, pour faire penitence
de leurs pechez : un autre saint esprit,
que celuy qui a assisté tant de papes dans le
gouvernement general de la mesme eglise,
puis que ce sont les papes qui ont confirmé
cette sainte discipline en tant de diverses occasions.
Un autre saint esprit, que celuy qui a
presidé à tant de conciles, puis que ce sont ces
conciles qui ont formé une infinité d' ordonnances
pour regler les divers temps de cette
p769
humble et salutaire separation, selon la diversité
des pechez : et enfin un autre saint esprit,
que celuy qui a animé tous les peres, puis que
ce sont les peres qui nous apprennent comme
une verité constante, que le moyen le plus asseuré
pour n' estre point eternellement rejetté
de l' autel du ciel, c' est de se retirer durant
quelque temps de l' autel de la terre pour purifier
sa vie.
PARTIE 3 CHAPITRE 17
si l' on peut accuser ceux qui
taschent de se purifier par les exercices de la
penitence, qui consistent dans les prieres, dans les
jeusnes, dans les aumosnes et les autres bonnes
oeuvres, de se servir d' autres moyens, que de ceux que
Jesus-Christ a instituez pour purifier nos ames.
la chaleur qui vous emporte, vous
empeschant de bien discerner les choses,
cause une telle confusion dans vostre
discours qu' il n' est pas aisé de comprendre
p770
le sujet de vostre cholere. Car si vous entendez
parler des confessions qui sont en usage parmy
les gens de bien pour les pechez veniels, c' est
une calomnie grossiere, qu' il y ait des personnes
de vertu qui trouvent mauvais que l' on se
confesse souvent en cette maniere. Mais d' ailleurs
la foy nous enseigne que la confession
est utile, et non necessaire pour la remission de
cette sorte de pechez ; qui se peuvent effacer
par beaucoup d' autres remedes, comme le concile
de Trente nous enseigne en termes exprés :
et ainsi, l' on ne peut nier sans heresie qu' outre
la confession il n' y ait d' autres moyens establis
par Jesus-Christ en son eglise pour purifier
nos ames de ses taches ordinaires.
Que si vous comprenez dans cette coustume
de se confesser souvent les frequentes confessions
de tant de personnes, qui vivans dans
le desordre et dans le vice, et commettans sans
cesse des pechez mortels, se contentent de les
raconter souvent à un prestre sans jamais s' en
corriger, je ne feray point de difficulté de vous
dire apres un grand pape, que d' approuver que
les hommes se joüent ainsi perpetuellement des
sacremens de Jesus-Christ, ce n' est pas
les traitter avec indulgence, mais consentir à
leurs crimes. (...).
p771
Mais parce que nous avons assez parlé de cét
abus en d' autres endroits, et que je me reserve
d' en parler plus amplement, si vous m' y obligez
par une replique, il vaut mieux passer à ce
que vous adjoustez, (...). Surquoy je
n' ay autre chose à vous respondre, sinon que si
vous compreniez bien ce que c' est que le sacrement
de penitence, vous ne pourriez rien
dire qui ruïnast d' avantage vostre mauvaise
conduite.
Je vous ay desja monstré, que le dernier
concile oecumenique suivant les sentimens,
et le langage de tous les peres, nous represente
la penitence comme un baptesme laborieux,
et un baptesme de larmes. Qu' il definit contre
les erreurs des heretiques de ce temps, qui se
sont tous declarez ennemis de la penitence, que
la justice divine ne peut souffrir, que l' on soit
renouvellé par ce second baptesme, qu' avec
beaucoup de peines et de travaux. Qu' il deteste
la temerité de ces impies, qui des trois parties
dont ce sacrement est composé, ont travaillé
principallement à abolir celle que l' eglise a
tousjours principallement recommandée à ses
enfans, sçavoir la satisfaction, qui consiste
dans les jeusnes, dans les aumosnes, et dans les
p772
autres exercices de la vie spirituelle. Et enfin
que la principale raison dont il se sert pour establir
contre les mesmes heretiques, que la confession
particuliere de tous les pechez mortels
est necessairement de droit divin, c' est qu' il
n' est pas possible, que les prestres gardent la justice
dans l' imposition des peines pour le chastiment
des offenses, s' ils ne les connoissent en particulier.
Ainsi puis que vous declarez, comme
la verité vous y oblige, que le sacrement de penitence
est estably de Jesus-Christ, pour
nous faire avoir la pureté de l' ame, ou pour
mieux dire, pour la reparer, et que vous ne pouvez
pas nier, que cette pureté ne soit necessaire
pour communier dignement, il s' ensuit que
pour satisfaire pleinement à l' intention de
Jesus-Christ, tous ceux qui sont decheus de
la grace doivent passer par ce baptesme laborieux,
qui enferme tant de larmes, de peines,
et de travaux, selon le concile et tous les peres,
pour se preparer à l' eucharistie.
Mais si vous n' entendez par le sacrement
de penitence, que la simple confession, comme
le commencement de vostre article, et les
autres endroits de vostre escrit donnent assez
sujet de le croire, et si vous avez dessein d' accuser
tous ceux, qui avec la confession, taschent
de se purifier par les jeusnes, les prieres, les
aumosnes, le pardon des offenses, et les autres bonnes
oeuvres, comme s' ils vouloient avoir la pureté
p773
de l' ame par d' autres moyens que ceux que
Jesus-Christ a establis en son eglise ; je ne
craindray point de soûtenir, que cette accusation
contient une formelle heresie, puis que
l' on ne peut nier, sans renverser un article de
nostre foy, que ces actions de penitence, ne
soient des moyens establis par Jesus-Christ
pour purifier nos ames.
Il est superflu d' apporter des preuves d' une
verité si constante parmy tous les catholiques,
qui n' a point eu jusques icy d' autres ennemis
que les ennemis de l' eglise, et qui se trouve dans
l' escriture en termes si clairs, qu' elle semble y
estre escrite avec les rayons du soleil, comme
Tertullien parle. Car que peut-on desirer de
plus manifeste que ces paroles, (...), et une
infinité d' autres tesmoignages que tous nos
docteurs rapportent contre les heretiques de
ce temps, et que le Cardinal Bellarmin remarque
excellemment ne se devoir pas seulement
entendre de la remission des pechez, quant à la
peine temporelle, mais aussi quant à la coulpe,
p775
entant que ces oeuvres de penitence sont des
dispositions à la justification.
(...).
Ces paroles du Cardinal Bellarmin conformes
aux sentimens de tous les peres sur ce sujet,
sont tres-importantes, pour déraciner une erreur
qui se glisse parmy le peuple, et qui prend
son origine d' une maxime de theologie mal
entenduë. Car de ce que les theologiens enseignent
ordinairement, que tout ce qu' un
homme fait en estat de peché mortel, ne peut
estre agreable à Dieu, quelques-uns ne comprenans
pas le sens de ceste doctrine, se laissent
persuader que de jeusner, veiller, prier,
donner l' aumosne, se mortifier avant que d' avoir
receu l' absolution de ses pechez, sont des
oeuvres inutiles et perduës, et qui ne sont d' aucune
consideration devant Dieu. D' où il s' ensuivroit
que tous les peres, qui selon le témoignage
du mesme cardinal, (...), les
obligeant de demeurer plusieurs années, voire
p776
mesme quelquesfois toute leur vie, dans les austeritez
de la penitence, avant qu' estre admis à
la grace de la reconciliation, auroient esté dans
l' ignorance, et dans l' erreur (ce que les heretiques
mesmes n' osent soûtenir ouvertement) et
se seroient rendus coupables devant Dieu d' une
rigueur inhumaine, en engageant les penitens,
sans aucun fruit, à de vains travaux, et
rétablissant dans la loy nouvelle le joug insupportable
de la vieille loy, dont la pesanteur
consistoit principallement en ce point, que ce
grand nombre d' observations si laborieuses ne
servoit de rien pour la santification des ames,
comme Saint Paul le témoigne si souvent.
C' est pourquoy, pour ne point tomber dans
une opinion si fausse, et un sentiment si injurieux
à la suffisance et à la sainteté des peres, qui
apres les apostres ont esté les seconds organes
du saint esprit, et les oracles de l' eglise : il est
manifeste, que la maxime des theologiens ne
se doit entendre qu' à l' égard de ceux, qui sont
de telle sorte en estat de peché mortel, qu' ils y
ont encore la volonté engagée, et qui ne travaillent
point à en sortir.
C' est de ces pecheurs dont l' escriture témoigne
que les dons sont en horreur devant Dieu,
que leurs offrandes luy sont abominables, et
que leurs prieres mémes sont imputées à peché.
C' est contre ces ames endurcies, que les peres
declament avec tant de zele, en les advertissant,
p777
que c' est une pretention folle et ridicule de se
persuader, que perseverant dans le desordre, et
dans le vice, et faisant de grandes aumosnes,
elles se delivreront de la vangeance divine qui
les attend, et appaiseront la cholere de celuy,
qu' elles ne cessent d' offencer par leurs crimes.
(...).
Voilà de quelle sorte les peres parlent contre
ces pecheurs incorrigibles qui sont si communs
en ce siecle, qui voudroient bien gaigner le
ciel par quelques aumosnes, en se rendant tous
p778
les jours dignes de l' enfer par leurs crimes.
Mais quant à ceux à qui le saint esprit touche
le coeur, pour les faire entrer dans la reconnoissance
et dans le repentir de leurs pechez, et
qui, comme par le Cardinal Bellarmin, commencent
à faire penitence par un mouvement
et une grace particuliere de Dieu, qui est celuy
qui se pourroit persuader, que toutes les aumosnes
qu' ils font, avant que d' avoir encore
obtenu la grace de la justification, afin de la
pouvoir obtenir ; que toutes les peines qu' il se
donnent pour satisfaire à la justice divine ; que
toutes les aumosnes qu' ils font pour rachetter
leurs pechez, selon le conseil de l' escriture ;
que toutes les bonnes oeuvres, qu' ils exercent
pour attirer sur eux la misericorde de Dieu, fussent
sans valeur et sans fruit ?
L' eglise est bien eloignee de ce sentiment,
et elle a tousjours eu soin de nous enseigner par
la bouche de ses saints docteurs, que comme
d' un costé, les aumosnes sont inutiles à ces pecheurs,
dont nous venons de parler, qui perseverent
dans leurs crimes, elles sont de l' autre
costé tres utiles à ceux, qui pensent serieusement
à changer de vie, et qui par une liberale
effusion de leur bien, s' efforcent d' engager
Dieu à leur accorder la grace d' une parfaite
conversion. Saint Augustin marque excellemment
en un mesme endroit ces deux veritez
importantes, lors qu' il nous enseigne, (...).
p779
Ce qui nous fait voir clairement, que les aumosnes
(et c' est la mesme chose des autres exercices
de pieté,) servent et ne servent pas à ceux
qui sont en estat de peché mortel, selon leurs
diverses dispositions, et les divers mouvemens
qui les portent à les donner. Elles ne servent
qu' à condamner ces pecheurs impenitens, qui
aymans le vice, et craignans les chastimens
que Dieu leur prepare, voudroient comme
p780
achetter à prix d' argent la licence d' estre impunement
vicieux. Mais elles servent infiniment
à ceux à qui Dieu inspire un desir sincere de se
degager du miserable estat, où le peché les a
reduits, et qui pour cet effet, suivant le conseil
de Jesus-Christ, se font le plus d' amis
qu' ils peuvent auprés de Dieu, des richesses de
l' injustice.
C' est pourquoy S Augustin, pour estoufer
cette fausse opinion que les pecheurs ne peuvent
rien faire, qui soit agreable à Dieu, nous
enseigne en plusieurs endroits, que cette parole
de l' aveugle-né. (...), nous sçavons que Dieu
n' escoute point les pecheurs, est la parole d' un
homme, qui n' avoit pas encore receu la veuë de
l' ame, comme il avoit receu celle du corps, (...).
p781
Mais ce qui sert encore à entretenir beaucoup
de personnes dans l' erreur contraire à cette
verité, est les mauvais sens qu' ils donnent à
une autre maxime tres-catholique, que sans la
grace on ne peut rien faire, qui soit agreable à
Dieu. Car au lieu que dans cette proposition
le mot de grace ne se doit entendre, que de la
grace que les theologiens appellent actuelle,
ils l' entendent de l' habituelle et santifiante, et
ainsi ils en inferent mal à propos, que si l' on
n' est en estat de grace, et justifié devant Dieu,
l' on ne peut faire aucune action, qui luy soit
agreable, et qui serve de quelque chose pour le
salut. Ce qui absolument parlant, est aussi faux
que la doctrine, dont l' on veut tirer cette mauvaise
consequence, est tres veritable. Pour éviter
cette erreur, qui est tres dangereuse dans la
morale chrestienne, il faut prendre garde de
ne pas confondre l' estat de grace
avec le secours de la grace, l' estre
en grace, avec l' agir par
grace, qui sont deux choses entierement
differentes.
p782
l' estat de grace regarde la grace santifiante,
par laquelle le saint esprit prend possession
de nostre ame, en fait son palais et son temple,
l' embellit et la renouvelle pour en faire
l' espouse de Jesus-Christ, ou plustost
pour en faire Jesus-Christ mesme, par
l' union ineffable des membres avec la teste, qui
fait dire si souvent à Saint Augustin, apres l' avoir
appris de Saint Paul, que de la teste et du
corps, il ne se fait qu' un seul Christ, (...).
C' est ce que les
peres appellent la grace de la remission des pechez ,
par ce que c' est par elle que Dieu les remet,
et qu' il en efface les taches et les soüilleures :
la grace de la regenaration, par ce que c' est
elle qui nous fait entrer dans la participation
de la nature divine, comme dit Saint Pierre,
par une renaissance toute celeste : la grace de
l' adoption, par ce qu' elle nous rend enfans de
Dieu d' enfans du diable que nous estions auparavant :
la grace de sanctification, par ce qu' elle
nous rend saints par la communication qu' elle
nous donne de la sainteté de Jesus-Christ.
la grace d' inhabitation, par ce que c' est par elle
que le saint esprit, et toute la divinité habite
en nostre ame, et que nous sommes les temples
vivans du dieu vivant. Ce qui fait admirer
à Saint Augustin, (...).
p783
Voilà ce qu' on doit entendre
par le mot de grace, lors que l' on dit qu' un
homme est en grace ou en estat de grace .
Ce qui est fort eloigné de la signification
du mesme mot, lors qu' on l' employe pour signifier
la grace qui nous fait agir , et ce secours
actuel de Dieu, que les peres et les conciles
nous asseurent estre necessaire à chaque bonne
action. Car alors il ne signifie plus l' inhabitation
de Dieu dans nous, par laquelle il nous
sanctifie, mais son operation dans nostre volonté,
soit qu' il habite, ou qu' il n' habite pas
encore dans nos ames. (...).
Et il est à remarquer que toute la
dispute entre les pelagièns et l' eglise, ne regardoit
point cette premiere sorte de grace, que
ces heretiques ne desadvoüerent jamais, mais
seulement la seconde, (...),
comme dit Saint Augustin au nom de
l' eglise, et qu' il definit en un autre endroit, (...).
Ce n' est donc pas de la grace habituelle et
p784
santifiante, qui ne se trouve que dans les justes,
mais de cette grace actuelle, qui consiste
dans une certaine douceur celeste, que le saint
esprit respand dans nos coeurs, pour nous porter
au bien par l' amour de la justice, que se doit
entendre ce langage ordinaire de la pieté chrestienne
fondé sur les oracles de l' escriture et
de la tradition, que sans la grace nous ne pouvons
rien faire qui plaise à Dieu. Or ce ne sont
pas seulement ceux qui sont en estat de grace,
c' est à dire justes et santifiés, qui ont de ces
mouvemens de grace, mais Dieu les donne
quand il luy plaist aux plus grands pecheurs,
en leur inspirant des desirs sinceres de conversion,
et les degageant peu à peu des affections
du monde, pour les attirer à son service. Et par
consequent, il est tres-faux, que ceux qui sont
en estat de peché mortel, ne puissent rien faire
qui leur serve pour leur salut, et pour obtenir
de Dieu le pardon de leurs offences. (...).
Et c' est en quoy consiste l' admirable oeconomie
de la grace, en ce que dependant toute
entiere de la pure liberalité de Dieu, il en dispose
neanmoins de telle sorte les divers effets,
que les premiers servent de degrez aux seconds,
et que le commencement de ses dons nous sert
p785
de merite, pour en recevoir l' accroissement. Et
ainsi il ne faut pas s' estonner, si ce qu' un pecheur
fait par des mouvemens de penitence
peut estre agreable à Dieu, et le disposer à la
justification, puis que ce ne sont pas tant ses
oeuvres, que les oeuvres de Dieu mesme, operant
dans luy, preparant par ces saintes dispositions,
la demeure qu' il veut habiter.
(...).
p787
Saint Augustin pouvoit-il establir
plus clairement, que les larmes et les aumosnes
sont des moyens establis de Dieu ab abluendum
et sanandum peccatum , pour laver et guerir le
peché, et par consequent, pour acquerir la pureté
de l' ame.
Mais cette verité paroist encore plus visiblement,
quand on considere que selon l' ordre
estably dans l' eglise par le sauveur, les pecheurs
qui travaillent à se purifier de leurs impuretez
par les exercices de la penitence, ne les
doivent entreprendre que par l' advis de leur
confesseur, suivant cette belle parole de Saint
Gregoire, (...). Et ainsi toutes ces peines et tous
ces travaux, dont les penitens se servent comme
de remedes amers, pour guerir les playes de
leurs ames, ne doivent plus estre considerez
simplement selon leur nature, mais comme
estans devenus partie du sacrement par l' imposition
du prestre, et recevant par l' impression
p788
de la puissance sacerdotale, qui est la mesme
que celle de Jesus-Christ, une nouvelle
force, et une nouvelle vertu, pour contribuer
à l' effacement des pechez.
(...).
Nous ne trouvons autre chose dans les peres,
et ils asseurent tous, que par les larmes, les
prieres, les jeusnes, les aumosnes, les mortifications
p789
et les autres oeuvres de penitence, les pechez
sont lavez, purifiez, effacez, couverts,
abolis, rachetez, gueris, expiez : et ainsi je
laisse à juger aux moins intelligens si l' on peut sans
esprit d' erreur accuser ceux qui travaillent à se
purifier de leurs pechez, non seulement par la
confession, mais aussi par les oeuvres de penitence,
de faire tort à Jesus-Christ en se
servant d' autres moyens que ceux qu' il a establis
en son eglise.
Que si frappé de l' absurdité d' une accusation
si indigne d' un catholique, vous nous
voulez faire croire, que vous n' estes pas dans
un si mauvais dessein, c' est à vous à nous declarer,
quels sont donc ces moyens que Jesus-Christ
n' a pas establis en son eglise, dont
p790
vous vous plaignez que l' on se sert, pour acquerir
la pureté de l' ame : et quand vous l' aurez
fait, je vous promets dés à present de faire
voir à tout le monde, que cette imaginaire accusation
que vous formez, ne peut avoir de
fondement, que dans l' ignorance, ou la calomnie ;
quelle combat, ou la verité par des erreurs
manifestes, ou l' innocence par des suppositions
grossieres, et qu' en l' un ou en l' autre, ce
n' est pas tant les hommes, que vous attaquez,
que Jesus-Christ mesme, soit en renversant
la doctrine de son evangile, soit en taschant
de noircir la reputation de ses serviteurs,
d' autant plus dangereusement que couvrant
vos medisances de l' obscurité des paroles, et ne
les semant qu' en secret, vous voulez en mesme
temps attaquer la verité, et luy ravir les
moyens de se deffendre.
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