est de blesser ce qui l'approche, sans penser que nos rois n'insultaient jamais personne,
parce qu'on ne pouvait se venger d'eux ; sans se souvenir qu'il parle à la nation la plus
délicate sur l'honneur, à un peuple que la cour de Louis XIV a formé, et qui est justement
renommé pour l'élégance de ses moeurs et la fleur de sa politesse. Enfin Buonaparte n'était
que l'homme de la prospérité ; aussitôt que l'adversité, qui fait éclater les vertus, a touché le
faux grand homme, le prodige s'est évanoui : dans le monarque on n'a plus aperçu qu'un
aventurier, et dans le héros qu'un parvenu à la gloire.
Lorsque Buonaparte chassa le Directoire, il lui adressa ce discours :
" Qu'avez-vous fait de cette France que je vous ai laissée si brillante ? Je vous ai laissé la
paix, j'ai retrouvé la guerre ; je vous ai laissé des victoires, j'ai retrouvé des revers ; je vous ai
laissé les millions de l'Italie, et j'ai trouvé partout des lois spoliatrices et la misère. Qu'avez-
vous fait de cent mille Français que je connaissais tous, mes compagnons de gloire ? Ils sont
morts. Cet état de choses ne peut durer ; avant trois ans il nous mènerait au despotisme :
mais nous voulons la république, la république assise sur les bases de l'égalité, de la morale,
de la liberté civile et de la tolérance politique, etc. "
Aujourd'hui, homme de malheur, nous te prendrons par tes discours, et nous t'interrogerons
par tes paroles. Dis, qu'as-tu fait de cette France si brillante ? Où sont nos trésors, les
millions de l'Italie, de l'Europe entière ? Qu'as-tu fait, non pas de cent mille, mais de cinq
millions de Français que nous connaissions tous, nos parents, nos amis, nos frères ? Cet
état de choses ne peut durer ; il nous a plongés dans un affreux despotisme. Tu voulais la
république, et tu nous as apporté l'esclavage. Nous, nous voulons la monarchie assise sur
les bases de l'égalité des droits, de la morale, de la liberté civile, de la tolérance politique et
religieuse. Nous l'as-tu donnée, cette monarchie ? Qu'as-tu fait pour nous ? que devons-nous
à ton règne ? Qui est-ce qui a assassiné le duc d'Enghien, torturé Pichegru, banni Moreau,
chargé de chaînes le souverain pontife, enlevé les princes d'Espagne, commencé une guerre
impie ? C'est toi. Qui est-ce qui a perdu nos colonies, anéanti notre commerce, ouvert
l'Amérique aux Anglais, corrompu nos moeurs, enlevé les enfants aux pères, désolé les
familles, ravagé le monde, brûlé plus de mille lieues de pays, inspiré l'horreur du nom
français à toute la terre ? C'est toi. Qui est-ce qui a exposé la France à la peste, à l'invasion,
au démembrement, à la conquête ? C'est encore toi. Voilà ce que tu n'as pu demander au
Directoire, et ce que nous te demandons aujourd'hui. Combien es-tu plus coupable que ces
hommes que tu ne trouvais pas dignes de régner ! Un roi légitime et héréditaire qui aurait
accablé son peuple de la moindre partie des maux que tu nous as faits eût mis son trône en
péril ; et toi, usurpateur et étranger, tu nous deviendrais sacré en raison des calamités que tu
as répandues sur nous ! tu régnerais encore au milieu de nos tombeaux ! Nous rentrons
enfin dans nos droits par le malheur ; nous ne voulons plus adorer Moloch ; tu ne dévoreras
plus nos enfants : nous ne voulons plus de ta conscription, de ta police, de ta censure, de tes
fusillades nocturnes, de ta tyrannie. Ce n'est pas seulement nous, c'est le genre humain qui
t'accuse. Il nous demande vengeance au nom de la religion, de la morale et de la liberté. Où
n'as-tu pas répandu la désolation ? dans quel coin du monde une famille obscure a-t-elle
échappé à tes ravages ? L'Espagnol dans ses montagnes, l'Illyrien dans ses vallées, l'Italien
sous son beau soleil, l'Allemand, le Russe, le Prussien dans ses villes en cendres, te
redemandent leurs fils que tu as égorgés, la tente, la cabane, le château, le temple où tu as
porté la flamme. Tu les as forcés de venir chercher parmi nous ce que tu leur as ravi, et
reconnaître dans tes palais leur dépouille ensanglantée. La voix du monde te déclare le plus
grand coupable qui ait jamais paru sur la terre ; car ce n'est pas sur des peuples barbares et
sur des nations dégénérées que tu as versé tant de maux ; c'est au milieu de la civilisation,
dans un siècle de lumières, que tu as voulu régner par le glaive d'Attila et les maximes de
Néron. Quitte enfin ton sceptre de fer ; descends de ce monceau de ruines dont tu avais fait