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License ABU
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Version 1.1, Aout 1999
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comporter la présente notice.
----------------------- FIN DE LA LICENCE ABU --------------------------------
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<IDENT justice>
<IDENT_AUTEURS guizotf>
<IDENT_COPISTES swaelensg>
<ARCHIVE http ://abu.cnam.fr/>
<VERSION 1>
<DROITS 0>
<TITRE Des Conspirations et de la Justice Politique>
<GENRE prose>
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Livros Grátis
http://www.livrosgratis.com.br
Milhares de livros grátis para download.
<AUTEUR François Guizot>
<NOTESPROD>
Dans « DES CONSPIRATIONS ET DE LA JUSTICE POLITIQUE », publié en 1820,
l'homme d'Etat et historien français, François Guizot (1787-1874),
analyse l'impact négatif des interférences entre politique et justice
. A l'appui de ses réflexions, il cite des exemples tant en France
qu'en Angleterre. Un prospectus sur une nouvelle édition des oeuvres
de Shakespeare, « entièrement revue et corrigée par F. Guizot » et le
catalogue des ouvrages politiques (Histoire de la chute de l'Empire de
Napoléon, Lettres sur la censure des journaux et sur les censeurs,
etc.) et littéraires (Lord Byron, Walter Scott) publiés par l'éditeur
Ladvocat figure en annexe du texte.
L'edition qui a servi de base a la presente numerisation peut etre
consultee a la Bibliotheque Publique et Universitaire de Geneve.
In " DES CONSPIRATIONS ET DE LA JUSTICE POLITIQUE ", published by
Ladvocat, Paris, in 1820, French statesman and historian, François
Guizot (1787-1874) analyses the negative impact of the interference
between politics and the judiciary process. He backs up his thoughts
on the subject with examples drawn from French and English situations
(The Rye conspiracy trial (1683) under Charles II, James II, James
Hadfield, King George III and Lord Erskine). A promotional leaflet on
a new translation into French of the works of Shakespeare, "entirely
reviewed and corrected by F. Guizot" and the catalogue of the literary
(Lord Byron, Walter Scott) and political works (on the downfall of
Napoleon, press censorship, etc.), also published by Ladvocat are
reproduced as an annex to the main text.
The original volume from which the following digital version has been
produced can be consulted at the Bibliotheque Publique et Universitaire de
Geneve, in Geneva, Switzerland.
</NOTESPROD>
----------------------- FIN DE L'EN-TETE --------------------------------
------------------------- DEBUT DU FICHIER justice1 --------------------------------
DES CONSPIRATIONS ET DE LA JUSTICE POLITIQUE
par F. GUIZOT.
Ne dites point, conjuration, toutes les fois que ce peuple dit, conjuration.
(ESAÏE, chap. 8, vers. 12.)
SECONDE EDITION.
A LA LIBRAIRIE FRANÇAISE DE LADVOCAT, PARIS,
EDITEUR DES FASTES DE LA GLOIRE,
PALAIS-ROYAL, GALERIE DE BOIS, No 195.
M. DCCC. XXI.
***
PREFACE.
J'ai commencé cet écrit pendant le procès des troubles du mois de juin. Avant qu'il
fût terminé, un nouvel attentat est venu alarmer le trône et la France. Je n'y vois
qu'un nouveau motif de le publier.
En 1800 au théâtre de Drury-Lane, James Hadfield tira un coup de pistolet sur le
roi George III. M. Erskine, chargé par la cour de la défense de l'accusé, parla en
ces termes :
« Messieurs, je reconnais avec M. l'avocat-général que si, dans le même théâtre,
le prévenu eût tiré le même coup sur le plus obscur des hommes assis dans cette
enceinte, il aurait été conduit sur-le-champ, d'abord en jugement, et, s'il eût été
déclaré coupable, au supplice. Il n'eût eu connaissance des charges dressées
contre lui que par la lecture même de l'acte d'accusation. Il serait demeuré
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étranger aux noms, à l'existence même des hommes appelés soit à prononcer sur
son sort, soit à rendre témoignage contre lui. Mais, prévenu d'une attaque
meurtrière contre la personne du roi, la loi le couvre tout entier de son armure. Les
propres juges du roi lui ont donné un conseil, non de leur choix, mais du sien. Il a
reçu une copie de l'acte d'accusation dix jours avant le débat. Il a connu les noms,
les qualités, la demeure de tous les jurés désignés devant la cour ; il a pu exercer,
dans sa plus grande étendue, le privilège des récusations péremptoires. Il a joui de
la même faveur à l'égard des témoins qui déposent contre lui... La loi a fait plus
encore ; elle a voulu qu'un intervalle solennel séparât le jugement du crime : quel
plus sublime spectacle que celui d'une nation entière légalement déclarée, pour
quelque temps, incapable de rendre la justice, et cette quarantaine de quinze jours
prescrite avant le débat, de peur que l'esprit des hommes ne se laissât saisir de
prévention et de partialité (1). ! »
[(1) Speeches of Lord Erskine, Londres, 1812.]
Spectacle sublime en effet, car la loi qui le donne ne cherche que la justice, et ne
consulte que la vérité. Elle sait la nature humaine et veut la sauver de ses plus
excusables erreurs. Plus le crime est horrible, plus il touche de près aux débats
dont la société est agitée ; plus il offense ses plus précieux intérêts et ses
sentimens les plus chers, plus son châtiment est juste et nécessaire, plus il faut
craindre l'influence des passions et l'ardeur des premières pensées. La loi ne doit
point de complaisance à l'impatience des hommes, même légitime. Son devoir est
de s'en défendre, non de la servir. Une telle jurisprudence ne protège pas
seulement les accusés ; elle assure les trônes et l'ordre public mieux que toutes
les tyrannies.
Par les mêmes causes, c'est surtout dans les temps de fermentation politique que
la justice doit se montrer plus difficile et plus attentive. La tentation de l'envahir est
si forte et le péril si grand ! Quand la guerre est entre les partis les partis travaillent
à porter partout la guerre ; ils souffrent avec un dépit profond que la paix demeure
quelque part, que tout ne leur soit pas appui ou instrument. Que deviendra la
société si elle leur ouvre toutes ses institutions, leur livre toutes ses garanties ?
Il est mal aisé, je le sais, de résister à cette pente. C'est une raison de plus de s'y
roidir. Quand le mal est là, nous acceptons trop docilement ses conséquences.
Parce qu'elles sont naturelles, on dirait que nous les trouvons légitimes. Triste effet
des révolutions et du découragement où elles jettent les esprits ! Il amène cet autre
mal, qu'après n'avoir pas résisté, on se soulève, et que, n'ayant pas su repousser
énergiquement l'injustice, on s'en autorise pour être injuste à son tour. Qui sait
user de tout son droit s'épargne la nécessité de dépasser son devoir.
Loin de nous donc cette pusillanime résignation au mal et à ses dangers ! Si la
justice est menacée, il faut dire ce qui la menace. Si quelque force étrangère veut
la détourner à son profit, il faut s'élever contre une usurpation qui la perd. En
aucun cas, la justice ne peut appartenir à la force ; c'est la force qui lui appartient,
qui doit la servir. Et plus l'usurpation est pressante, plus elle a de prétextes à faire
valoir, plus les amis de ce qui est légitime doivent se montrer fermes et vigilans.
En cette occasion comme ailleurs, je dirai tout ce que pense. Je ne sais nul autre
moyen de répondre aux suppositions calomnieuses et de repousser d'avance les
infatigables soupçons de l'esprit de parti. Je n'ai qu'un mot à ajouter. Ce ne sont
point les tribunaux que j'accuse ; c'est la justice que je défends.
Paris, 1er février 1821.
***
TABLE DES CHAPITRES.
CHAPITRE 1. But de cet écrit.
II. De la politique et de la justice.
III. Des conspirations.
IV. Des faits généraux.
V. Des agens provocateurs.
VI. Du ministère public.
VII. Des restrictions apportées à la publicité des débats judiciaires.
VIII. Du complot dans le sens légal.
IX. Que si la mauvaise politique corrompt la justice, la justice est une bonne
politique.
***
DES CONSPIRATIONS ET DE LA JUSTICE POLITIQUE.
CHAPITRE 1er.
But de cet écrit.
De grands périls nous assiègent ; des périls plus grands nous menacent. Il en est
un dont tous les esprits sont frappés, mais dont nul peut-être n'a encore mesuré
toute l'étendue ; je veux parler de la justice près de tomber sous le joug de la
politique. Je ne saisirai point cette triste occasion pour redire ce que je puis penser
du système de gouvernement qui convient à la France. Il s'agit de droits et
d'intérêts qui sont au-dessus de toutes les opinions, que tout système est
également tenu de garantir. Je ne sache aucun parti, aucun pouvoir qui ait osé
s'arroger, en principe, le moindre droit sur le sang innocent. On l'a souvent versé à
flots, mais toujours en le traitant de coupable. Ceci est donc une question libre,
une question purement morale, où nulle autre considération ne saurait être
admise, sans le plus révoltant outrage à tout ce qu'il y a de saint.
Je prie donc ceux qui pourront me lire d'oublier, comme je le ferai moi-même, tout
engagement de situation ou de parti. Pour que la justice soit, il faut qu'elle soit pure
; elle ne supporte aucun alliage ; elle s'évanouit toute entière au moindre souffle
étranger.
Quelle est d'ailleurs l'opinion, quel est le parti qui ne trouve dans sa propre histoire,
et dans son histoire récente, d'invincibles motifs pour souhaiter ardemment que la
justice demeure, qu'elle demeure hors des débats et des vicissitudes de la
politique ? L'iniquité s'est promenée au milieu de nous, frappant à toutes les
portes, prenant aujourd'hui pour victimes ceux qu'hier elle voulait pour instrumens.
Qui sait les retours des choses humaines ? Que la justice ne s'engage point à leur
suite ! qu'il y ait, sur la terre, un asile inviolable à tous les vainqueurs !
Notre temps en a plus besoin que tout autre. Ce n'est pas d'aujourd'hui que le
monde se plaint d'être mal gouverné. Mais à aucune époque les fautes des
gouvernemens n'ont eu des effets si certains, si étendus et si prompts. On dirait
que la providence est devenue plus sévère. Elle permet au mal une facilité
d'accomplissement, une rapidité de propagation, vraiment inouïes. Et non moins
rapide, non moins terrible est la violence avec laquelle le mal retombe sur la tête
de ses auteurs.
Je ne viens point rechercher tous les abus dont l'administration de la justice peut
être entachée aujourd'hui. Un seul genre de crimes et de poursuites m'occupe.
Dès que les partis sont aux prises, on entend parler de conspirations et de
complots. Nous n'avions pas besoin qu'une nouvelle expérience nous l'apprît. Elle
ne devait pas nous être épargnée. Elle est complète en ce moment. Jamais,
depuis la restauration, les actes on les accusations de cette sorte n'avaient été si
multipliés et si graves.
D'où provient ce mal ? Quels caractères doit-il porter pour tomber dans le domaine
des tribunaux ? Où commencent l'action légale et l'efficacité du pouvoir judiciaire
contre les attaques ou les périls qui menacent la sûreté de l'état ? Quels sont, à cet
égard, les devoirs de la politique et les droits de la justice, et quelle limite les
sépare ? Cette limite est-elle enfreinte ? Ce sont les questions que j'ai dessein
d'examiner.
Questions religieuses et terribles, car l'homme qui déclare l'homme coupable, et le
punit à ce titre, résout un problème et exerce un droit où Dieu seul est assuré de
ne point faillir ! Tous les jugemens seront jugés. Que les passions et les intérêts du
jour s'en retirent donc ; l'homme a dans sa faiblesse native bien assez de chances
d'erreur.
Dirai-je que nul intérêt individuel, nul dessein particulier ne me fait écrire. Je
n'accuse et ne défends personne. Je crains pour la justice ; je la vois en grand
péril. Si quelqu'un pense que ce motif ne suffit pas, qu'il m'en suppose d'autres ; je
ne m'en inquiète point.
CHAPITRE II.
De la politique et de la justice.
Toutes les actions que réprouve la religion ou la morale ne prennent pas place au
nombre des délits dans le code pénal. Toutes les lois qui doivent régler la conduite
des hommes pour que la société puisse subsister ne sont pas écrites dans les lois
criminelles.
Que tout ce qui n'est pas légalement défendu se trouve tout à coup moralement
permis, que les citoyens ne se croient plus aucun devoir, ne reconnaissent plus
aucun frein partout où ils ne verront pas 1'échafaud, l'amende ou la prison, la
société sera aussitôt dissoute. Il lui faut d'autres liens que ceux de la crainte,
d'autres craintes que celle du sang.
Qu'en revanche le législateur entreprenne d'énumérer tous les actes immoraux,
qu'il les qualifie de crimes ou de délits, et leur inflige des peines, la société sera
impossible ; car l'homme, être moral, ne consentira point à porter, partout et à
toute heure, une chaîne matérielle. Pour que les hommes vivent ensemble, il faut
de la liberté ; et il y en a partout où on rencontre des hommes, même dans les
prisons.
Aussi n'a-t-on jamais vu la société subsister sans autres freins, sans autres lois,
que ce qui est écrit dans ses codes ; ni aucune société écrire dans ses codes et
sanctionner par des châtimens tous les freins et toutes les lois.
Ce qui est vrai dans l'ordre moral l'est également dans l'ordre politique.
Tous les dangers que peuvent faire courir à la société les dispositions et la
conduite des citoyens ne sont pas prévus et punis par les lois pénales. Toutes les
armes dont la société a besoin pour sa conservation ou sa défense ne sont pas
remises aux mains des tribunaux.
De même qu'il y a beaucoup d'actes coupables que la législation ne saurait
atteindre, et qu'à son défaut la morale et la religion se chargent de prévenir ou de
punir, de même il y a beaucoup d'actes nuisibles, beaucoup de périls sociaux qui
sont hors de la portée des lois criminelles, et contre lesquels d'autres pouvoirs que
celui des tribunaux sont appelés à fournir d'autres remèdes que condamnations et
les châtimens.
C'est ce qui sépare le domaine de la politique de celui de la justice.
Pourquoi la société a-t-elle un gouvernement ? N'est-ce que pour lever et
commander ses armées, percevoir et dépenser ses revenus ? Si d'ailleurs des lois
pouvaient être faites pour toutes choses, et des tribunaux institués pour
l'application de toutes les lois, la politique serait grandement réduite ; on
supprimerait une bonne partie des pouvoirs publics et de leurs fonctions.
Mais le maintien de la société n'est pas une oeuvre si simple. Il y faut plus de
sagesse que les hommes n'en peuvent écrire d'avance et en règles générales. Les
meilleures lois criminelles et les meilleurs tribunaux ne lui suffisent point. Elle veut
que des pouvoirs supérieurs, plus actifs et plus libres, soient là pour étudier ses
besoins, y satisfaire, démêler de loin les périls qui l'attendent, porter des remèdes
à la source même des maux, propager les dispositions qui préviennent les crimes,
changer celles qui y conduisent, empêcher enfin que la conservation de l'ordre
social n'exige sans cesse l'intervention de la force matérielle, bientôt funeste et
impuissante quand on lui donne trop à faire.
Tel est le but de la politique ; telle est la mission du gouvernement proprement dit
Si les Hollandais, après avoir conquis leur patrie sur l'Océan, s'étaient contentés
d'élever des digues et d'infliger des peines à quiconque eût osé les dégrader,
depuis longtemps 1'Océan aurait reconquis la Hollande. Ils ont exercé sur les
digues une surveillance plus continue et plus habile ; ils ont maintes fois changé
leur direction, leur place, le système de leur construction et de leur entretien. Ils ont
fait plus ; ils ont inspiré aux citoyens un esprit public qui a soigné et défendu les
digues avec une vigilance religieuse, non moins puissante que le travail de
l'administration (1). L'Océan s'est soumis à tant d'efforts et respecte leur pays.
[(1) Un enfant Hollandais, se promenant seul le long d'une digue, aperçut une
fissure par où l'eau commençait à couler. Il essaya de la boucher avec du sable,
de la terre, tout ce qu'il trouva sous sa main. N'y pouvant réussir et ne voyant venir
personne, il s'assit, le dos appuyé contre la fente, empêchant, à tout risque, le
progrès de l'eau et attendant du secours. Là où existe un sentiment public si
général et si impérieux, on peut être assuré que le but vers lequel il se dirige sera
atteint. Que la politique sache inspirer en faveur de l'ordre établi un sentiment de
ce genre, les tribunaux auront peu de conspirateurs à punir.]
Qu'est-ce que l'entretien des digues de la Hollande auprès des difficultés que
présente et des soins qu'exige le maintien de l'ordre social si mobile et si
compliqué ?
Voici donc le départ qu'a prescrit la nature des choses entre la politique et la
justice, le gouvernement et les tribunaux.
Elle a dit aux tribunaux : -- On vous remettra des lois que vous n'aurez point faites,
que vous ne pourrez changer, et qui seront la règle de vos décisions. Dans ces lois
seront énumérés et définis les actes punissables ; elles vous diront quelles peines,
y sont attachées. Quand un homme sera amené devant vous, prévenu de l'un de
ces actes, vous recueillerez toutes les circonstances qui prouvent qu'il a commis
ce dont on l'accuse. Quand le fait sera certain et reconnu, vous ouvrirez la loi ;
vous comparerez l'acte réel et individuel qui a été commis à l'acte légal qui a été
défini ; si les deux termes coïncident de telle façon que la définition de la loi soit
celle du fait, et que, dans le fait se trouve accomplie la définition de la loi, vous
déclarerez le crime et appliquerez la peine. --
Dans ce cercle est enfermé le pouvoir judiciaire. S'il en sort, il viole la loi qui a été
connue du coupable ; il en fait une autre qui ne l'était point ; il punit comme crime
ce que la loi n'avait pas incriminé.
Cela fait, le pouvoir judiciaire ainsi établi dans ses attributions, qui fera tout 1e
reste ? Qui donnera aux juges de bonnes lois, aux justiciables de bons juges ? Qui
interviendra dans toutes les affaires que les lois ne peuvent régler ? Qui répondra
aux nécessités infinies et infiniment variables de la société ? Qui maintiendra tous
les intérêts qu'elle renferme dans un tel état de satisfaction et d'harmonie que les
individus ne soient pas sans cesse tentés de se porter à des actes dangereux ou
déclarés criminels ? C'est ici la tâche de la politique ; le gouvernement existe pour
la remplir, sous la garantie de la responsabilité.
On ne me demandera point d'énumérer ses fonctions, ses devoirs, les moyens
dont il dispose pour y satisfaire. Je n'ai voulu que tracer la ligne de démarcation qui
sépare absolument la politique de la justice, le pouvoir judiciaire de tous les autres
pouvoirs.
La conséquence fondamentale de cette distinction est claire. Le pouvoir judiciaire
est lié par des lois qui définissent des actes. Il constate ces actes et leur applique
ces lois. Il ne statue que sur des faits isolés et prévus. Il ne doit ni créer de
nouveaux faits légaux, c'est-à-dire des lois nouvelles, ni assimiler aux faits
légalement définis des faits individuels qui n'y rentrent point.
Il faut bien que cette constitution du pouvoir judiciaire soit fondée en raison, car
toutes les sociétés humaines ont constamment tendu à le régler en vertu de ce
principe ; et selon qu'elles y ont réussi, elles se sont trouvées plus ou moins
voisines de l'ordre ou du désordre, de la liberté ou de l'oppression.
Mais, comme je me suis hâté de le dire, tout n'est pas là. La tâche du
gouvernement demeure bien autrement étendue et compliquée. Or il peut arriver
que le gouvernement ne sache ou ne veuille pas la remplir. Il peut arriver que
l'habileté ou la volonté lui manque pour donner à la société de bonnes lois, de
bons juges, pour administrer tous ses intérêts avec prévoyance et sagesse, pour
procurer aux existences individuelles cette sécurité, aux esprits cette confiance,
vrai principe de l'ordre et du repos. Il se peut faire enfin que le gouvernement,
devenu incapable et mauvais, porte le trouble dans la société, et ressente lui-
même le trouble que la société troublée porte à son tour dans le gouvernement.
Qu'arrivera-t-il alors ? Ce qu'il est aisé de prévoir. La politique ayant cessé d'être
bonne et vraie, c'est-à-dire juste, la justice sortira aussi de ses voies et deviendra
politique.
C'est une loi de la providence que le mal naisse du mal, qu'un fléau appelle un
fléau. Ne nous en plaignons pas. Sans cet étroit enchaînement des iniquités
diverses qui s'invoquent, s'enfantent l'une l'autre, et en s'accumulant deviennent
enfin intolérables, le mal parviendrait à se dissimuler et s'établir.
Que fera ce gouvernement qui voit la société mal administrée s'agiter sous sa main
? Inhabile à la gouverner, il entreprendra de la punir. Il n'a pas su s'acquitter de
ses fonctions, user de sa force ; il demandera à d'autres pouvoirs de remplir une
tâche qui n'est pas la leur, de lui prêter leur force pour un emploi auquel elle n'est
pas destinée. Et comme le pouvoir judiciaire se lie de plus près et plus intimement
que tout autre à la société, comme tout aboutit ou peut aboutir à des jugemens,
c'est le pouvoir judiciaire qui sera appelé à sortir de sa sphère légitime, pour
s'exercer dans celle où le gouvernement n'a pu suffire.
Alors abonderont les procès où le gouvernement est intéressé. Alors on verra les
lois pénales recevoir une extension non seulement contraire à leurs termes, mais
hors de la portée qu'elles peuvent atteindre. Alors leurs définitions seront, pour
ainsi dire, contraintes de s'ouvrir et d'admettre ce qu'elles ne contenaient point.
Alors les actes seront considérés en raison des personnes ; les intentions tiendront
lieu des actes ; les présomptions suppléeront aux preuves. Alors les tribunaux
entendront parler de faits généraux, de malveillance évidente, de sentimens
factieux. Les dispositions publiques, le penchant des esprits, la vie entière des
individus, leurs opinions antérieures, les intérêts de l'avenir, toutes ces
considérations générales par lesquelles la conduite du gouvernement devait et n'a
pas su se régler, apparaîtront alors devant les tribunaux comme sujet d'accusation
ou de preuve, et fourniront l'occasion d'attaquer, par la main des juges, un mal que
la raison et la loi n'ont donné aux juges ni la mission, ni les moyens de guérir.
Ceci n'est point une théorie, une conséquence présumée. Les faits parlent et n'ont
cessé de parler. Partout où la politique a été faussée, incapable, mauvaise, la
justice a été sommée d'agir à sa place, de se régler par des motifs puisés dans la
sphère du gouvernement et non dans les lois, de quitter enfin son siège sublime
pour descendre dans l'arène des partis.
Cela s'est vu constamment dans les temps qui sont le vrai domaine de la mauvaise
politique, sous 1'empire du despotisme et au milieu des révolutions.
Que deviendrait le despotisme dès qu'il ne possède pas absolument la société,
dès qu'il essuie quelque résistance ; que deviendrait-il s'il ne faisait pénétrer sa
politique dans les tribunaux et ne les prenait pour instrumens ? S'il ne règne
partout, il n'est sûr nulle part. Il est si faible de sa nature, que la moindre atteinte le
met tout entier en péril ; la présence du plus léger droit le trouble et le menace ; la
plus petite liberté, s'il la laisse vivre, a de quoi le frapper à mort. Comment donc se
sauvera-t-il s'il existe quelque barrière, quelque asile où se puissent réfugier les
libertés et les droits ? Il faut qu'il renverse toutes les barrières, qu'il envahisse tous
les asiles, que nulle liberté, nul droit ne puisse lever la tête ni faire un pas sans se
trouver devant sa face et sous sa main. Un temps se rencontre où la société, sans
défense, est presque partout livrée à la force ; les églises seules sont inviolables ;
il faut que la force viole les églises ; si elle les respecte, elle est perdue. Charles II
gouverne avec un parlement corrompu ; mais les villes ont des chartes, les
corporations des privilèges ; il faut que les chartes et les privilèges soient retirés
aux villes et aux corporations. Les juges ne satisfont pas pleinement à l'impatience
de Jacques II contre la religion du pays ; il faut que la cour de commission
ecclésiastique soit ressuscitée, que ses lettres patentes lui donnent le droit de
procéder sur de simples soupçons, et l'affranchissent de toute loi contraire, de tout
statut antérieur. Les jurés de Londrès ont acquitté Colledge que poursuivait la cour
; il faut qu'Oxford fournisse des jurés plus dociles qui le condamneront pour les
mêmes causes ; et désormais la cour mettra tout en usage pour empêcher la
formation de jurys qui n'obéissent pas (1).
[(1) Vie de Jacques II, d'après les mémoires écrits de sa propre main, etc. Tome II,
page 259.]
Artisans de despotisme, quels que soient le siècle et le pays où vous tenterez de le
fonder, ne prétendez pas que la justice demeure ; connaissez mieux votre situation
et vous-mêmes. Votre politique sera contraire à la vérité c'est-à-dire, à la justice ;
dès lors la justice, sous quelque forme, dans quelque but qu'elle se montre, sera
contraire à votre politique. Vous serez forcés de l'usurper, de l'asservir. Si elle ne
se donne à vous, elle s'armera contre vous. Il faut qu'elle cesse d'être la justice,
qu'elle devienne de la politique, votre politique même. Sidney est mort pour vous
apprendre que, dans le fond d'un tiroir, un manuscrit contenant une théorie est
pour vous plein de péril. Vous ne pouvez souffrir ni lois ni juges. Des volontés, des
commissaires, c'est la conséquence de votre système, la condition de votre
pouvoir.
Les artisans de révolutions y sont également condamnés. Dans 1'état de
dissolution et de guerre où sont alors jetés les peuples, dans cette terrible
suspension de la société, la politique envahit aussi tous les pouvoirs. Alors, tout
indifférent devient un mécontent, tout mécontent un ennemi, tout ennemi un
conspirateur. J'ouvre une loi d'horrible mémoire, la loi du 17 septembre 1793, et j'y
lis : « Sont réputés suspects ceux qui, soit par leur conduite, soit par leurs
relations, soit par leurs propres écrits, se sont montrés les partisans de la tyrannie
ou du fédéralisme, et ennemis de la liberté, ceux qui ne peuvent justifier de l'acquit
de leurs devoirs civiques; ceux à qui il a été refusé des certificats de civisme ; ceux
des ci-devant nobles, ensemble les maris, femmes, pères, mères, fils ou filles,
frères ou soeurs, et agens, d'émigrés qui n'ont pas constamment manifesté leur
attachement à la révolution. » Vous croyez que cela doit suffire, que la politique se
contentera de la justice qu'elle a ainsi faite ; vous vous trompez ; il reste encore
des jurés et des défenseurs : on décrètera : « La loi donne pour défenseurs aux
patriotes calomniés des jurés patriotes ; elle n'en accorde point aux conspirateurs.
»
L'institution des défenseurs officieux sera traitée d'absurde, d'immorale,
d'impolitique.
Il sera solennellement déclaré que les hommes suspects répondront sur leur tête
des malheurs de l'état ; qu'en arrêtant un homme suspect on n'aura pas besoin
d'expliquer ses motifs ; et les actes répondront aux lois, et les faits surpasseront
les paroles. Quel est, je le demande, le caractère dominant, le principe infernal de
ces oeuvres épouvantables ? N'est-ce pas l'invasion de la justice par la politique,
le pouvoir judiciaire devenu 1'instrument des intérêts et des fureurs des autres
pouvoirs ? Et n'imputez pas à la méchanceté de quelques hommes cet odieux
résultat. Dès que la politique pénètre dans l'enceinte des tribunaux, peu importent
la main et l'intention qui lui en ont fait franchir le seuil ; il faut que la justice s'enfuie.
Entre la politique et la justice toute intelligence est corruptrice, tout contact est
pestilentiel.
Que la société regarde donc bien aux moindres symptômes de ce rapprochement ;
qu'elle s'en inquiète dès le premier jour, et ne se laisse imposer par aucune
excuse. Ni les circonstances, ni les hommes, rien ne doit rassurer contre le fait
même. Si les circonstances sont graves, elles s'aggraveront ; si les hommes sont
honnêtes, ils se pervertiront. Les pouvoirs n'ont point de privilège sur la nature
humaine ; pour eux comme pour les individus, le mal enfante le mal, l'abîme
invoque l'abîme. Pour eux comme pour nous, un pas fait hors de la bonne voie
révèle et les fautes antérieures, et les fautes futures. Et la condition de la politique
et de la justice est ici la même ; à l'une et à l'autre leur rapprochement est
également fatal ; en le recherchant la politique s'accuse ; en s'y prêtant la justice
se perd : et il est du devoir de tout bon citoyen d'observer avec anxiété tout ce qui
l'annonce, dans l'intérêt des pouvoirs eux-mêmes, comme dans celui de la société.
Pouvons-nous concevoir de telles craintes ? Je le pense, et vais dire quels
symptômes m'apportent le pressentiment de ce danger.
CHAPITRE III.
Des conspirations.
Le nombre et là fréquence des conspirations attestent le mauvais état de la société
ou la mauvaise conduite du gouvernement, ou l'un et l'autre ensemble.
Je pourrais dire que le gouvernement étant institué pour être bon, c'est-à-dire pour
satisfaire aux besoins généraux de la société, si l'état de la société est mauvais,
cela prouve que le gouvernement n'est pas bon. Je ne serai pas si sévère. Je crois
qu'il peut exister au sein de la société, des forces aveugles ou perverses, ardentes
à renverser des pouvoirs que la société a intérêt de maintenir.
Que ces forces conspirent, si elles peuvent rien de plus naturel ; que le
gouvernement les combatte, rien de plus légitime. Je ne révoque en doute ni la
possibilité des conspirations, ni la justice du châtiment des conspirateurs.
Je ne crois pas que sous les règnes de Guillaume III et de George 1er, l'Angleterre
ait été bien gouvernée. Les iniquités et les fautes du parti dominant contribuèrent
beaucoup à faire naître les complots qui se succédèrent contre lui durant soixante
ans. Cependant ces complots menaçaient, au fond, les intérêts légitimes du pays ;
il était juste et nécessaire qu'ils fussent énergiquement réprimés.
Ce, qui n'est ni juste ni nécessaire, c'est de fournir aliment ou prétexte aux intérêts
et aux passions qui peuvent être enclins à conspirer, et de chercher ou seulement
de voir des conspirations où il n'y en a pas.
J'ai entendu dire plus d'une fois que les gouvernemens avaient le droit de tout faire
pour se conserver. Maxime atroce et impie, qui donne aux ennemis des
gouvernemens le droit de tout faire pour les attaquer, et qui détruit l'état de société
pour mettre à sa place l'état de guerre. Je ne sache pas de tyrannie à qui cette
maxime ne suffise pleinement.
Qu'il me soit permis de le dire en passant. Il est des hommes qui, en maniant le
pouvoir, se croient habiles parce qu'ils se résignent sans peine à la nécessité du
mal. Peut-être sont-ils entrés dans les affaires avec l'intention, je dirai plus, avec le
goût de la justice. Des difficultés se sont rencontrées ; contre ces difficultés ils ont
fait des fautes, ces fautes ont amené des difficultés nouvelles. Ils ont eu recours à
la force matérielle dont ils disposent pour échapper aux écueils où leur raison avait
échoué. Dès lors, le goût de la force les gagne, et ils disent qu'ils ont gagné de
1'expérience, ; ils appellent cela entrer dans la pratique, comprendre les choses et
les hommes.-- Auparavant ils étaient jeunes, ils rêvaient des chimères ; maintenant
ils savent le monde et possèdent l'art de le gouverner. Éternelle insolence de la
nature humaine ! La seule expérience qu'ils aient acquise est celle de leur
faiblesse, et ils s'en prévalent comme d'un progrès dans la science du pouvoir !
Cette science est difficile, je le sais, et je suis loin de prétendre que nul n'ait droit
au pouvoir s'il n'est égal à sa tâche. Qui le serait ? Je ne dirai donc point qu'un
gouvernement qui ne se conduit pas de manière à prévenir les conspirations, est,
par ce seul fait, condamné. Je dirai cependant que c'est là le premier devoir des
dépositaires de l'autorité, et que, si les conspirations se multiplient, il y a
présomption contre eux.
Cette présomption en entraîne une autre. Inhabile, le pouvoir est poltron. Poltron, il
est violent. Poussé de l'inhabileté à la peur, et de la peur à la violence, il n'a de
ressource que dans l'iniquité. Les complots lui sont nécessaires, et pour légitimer
ses craintes, et pour lui procurer, par les châtimens, la force que lui ont fait perdre
ses fautes.
Voici comment il les trouve, ces complots dont il ne peut plus se passer. J'ai besoin
de parler avec une entière franchise. Il n'est pas en mon pouvoir d'éviter la vérité.
La première et la plus générale des dispositions que fait naître chez les peuples la
mauvaise conduite du gouvernement, c'est l'indifférence. Quand l'administration de
la chose publique est incertaine, obscure, contraire aux intérêts généraux du pays,
les citoyens s'en détachent et se renferment dans l'intérêt privé. La cause du
gouvernement n'étant point la leur, ils regardent le gouvernement lui-même comme
un étranger avec qui ils n'ont rien de commun, et qu'ils laisseront s'agiter pour son
propre compte, sans autre soin que de séparer leur fortune de la sienne, autant
que le permettent les rapports matériels qu'ils ont avec lui.
Au sein de cette indifférence publique se forment des mécontentemens plus
positifs. Des intérêts légitimes sont inquiets ou froissés ; la sécurité qu'on leur a
garantie leur manque ; ils s'irritent du désaccord qui existe entre 1'état de trouble
où ils se sentent et les promesses qu'on leur a faites, qu'on leur fait encore. Ils
saisissent toutes les occasions de manifester leur mécontentement. Les élections,
les pétitions, la défaveur témoignée aux agens de l'autorité, tout leur est bon pour
faire éclater leur humeur ; et à mesure qu'elle éclate, elle devient plus profonde et
plus active.
Il se rencontre des hommes qui s'en font les représentans et les organes. Le
mécontentement des intérêts froissés, des classes inquiètes, se personnifie, pour
ainsi dire, en eux. C'est à eux qu'on s'adresse ; c'est vers eux qu'affluent les abus
à dénoncer, les plaintes à publier, les torts de l'autorité, les alarmes des citoyens.
Ils deviennent ainsi le centre de ces dispositions éparses qu'ils recueillent et qu'ils
expriment. Ils prennent, envers le pouvoir, une attitude de méfiance et d'hostilité.
Ils sont toujours là, enclins au soupçon, et préparés à l'attaque. Ce sont des
adversaires permanens dont les habitudes, les actes, les paroles, portent souvent
les caractères extérieurs de l'inimitié.
Enfin tout gouvernement nouveau, et fondé sur les ruines d'un autre, a des
ennemis véritables qui désirent sa chute et se réjouissent de ce qui peut y
contribuer.
Qu'y a-t-il dans tout cela ? une rébellion ? une conspiration ? Non certes ; ouvrez
les codes les plus tyranniques, les lois les plus artificieuses ; étudiez cette
définition du complot qui existe dans notre Code pénal, et qui, proposée dans le
conseil d'état de Napoléon, saisit d'étonnement et presque d'effroi la plupart de ses
membres. Si nul intérêt actuel ne vous pousse, si vous n'êtes en présence d'aucun
nom propre fameux, d'aucune prévention particulière, je vous défie de reconnaître
dans ce que je viens de décrire, les caractères légaux du crime. Quelles que
fussent les intentions des législateurs, par cela seul qu'ils considéraient les choses
d'une façon générale et en l'absence de toute nécessité du moment, ils n'ont pu
abdiquer la raison et la justice, au point de donner à leurs définitions une si vaste
et si terrible portée.
Et bien, ce qui n'est pas dans les faits dont je viens de parler, ce que les lois les
plus redoutables n'ont pu y voir d'avance, un gouvernement mauvais et inhabile l'y
verra ; il y aura pour lui des rébellions, des complots, dans cette hostilité de
quelques hommes, dans ce mécontentement de beaucoup d'autres, et peut-être
même dans cette indifférence où sont tombés tant de citoyens. Ces dispositions
plus ou moins générales, ces tristes symptômes d'un état fâcheux et inquiétant,
deviendront à ses yeux les élémens et presque les preuves d'un crime. Il se sent
faible, il se croit menacé ; il a raison ; mais à qui s'en prendra-t-il ? A lui-même ? Il
ne le peut, car il serait contraint de se changer ; au public, à telle ou telle portion du
public ? Mais le public n'est pas un être qu'on puisse accuser, juger et punir. Il faut
des êtres positifs et individuels en qui puissent être incriminés ces faits généraux
dont on a peur ; il faut que ces dispositions publiques prennent la forme d'actes
particuliers et légalement coupables. A ce prix seulement elles peuvent être
qualifiées de crimes ; et il faut bien qu'il y ait crime, puisqu'il y a danger ; il faut bien
qu'elles soient punies à titre de crime, puisque, à titre de danger, on ne sait
comment s'en préserver.
Est-il trop difficile d'atteindre à ce but ? Le péril qu'on redoute n'a-t-il pas encore
acquis assez de consistance, ne s'est-il pas encore assez étroitement incorporé
avec quelques individus, pour qu'on puisse, sans trop d'efforts, le métamorphoser
en délit ? Il n'importe ; engagé dans une voie fatale, le pouvoir est contraint
d'avancer ; il aidera lui-même à cette métamorphose ; il aura des agens qui,
souvent à son insu, par le seul résultat de l'impulsion qu'ils ont reçue de lui,
d'espions deviendront provocateurs. Jetés au milieu de ces dispositions générales
où réside le mal, attachés aux pas des individus en qui elles se sont plus
clairement manifestées, ils les cultiveront pour les mener à effet ; ils se saisiront du
moindre embryon de crime, du moindre germe de complot, pour l'échauffer, le
féconder, le nourrir, et le livrer à sa destinée dès qu'il sera assez grand pour
supporter un peu la lumière. Et une fois en possession d'un petit centre auquel se
puissent légalement rattacher ses alarmes, la politique, demi aveuglée, demi-
perverse, s'élancera de là à la recherche de tous les dangers dont elle veut
s'affranchir ; elle ira fouiller dans le sein de l'hostilité, du mécontentement, de tout
ce mauvais état du pays qui cause sa peur ; elle y recueillera des rapports, des
inductions, des preuves ; elle en composera je ne sais quel fantôme dont elle
s'épouvantera peut-être elle-même avant d'en venir épouvanter les autres ; et
enfin, on la verra demander à la justice de ratifier son ouvrage, en déclarant que ce
sont bien là les faits qualifiés crimes par la loi.
Ainsi se font les conspirations quand la politique impuissante a besoin d'envahir la
justice pour se défendre contre le mal qu'elle a fait ou n'a pas su guérir. Sans
doute, il peut se rencontrer dans les matériaux sur lesquels elle s'exerce de la
sorte, plus ou moins de consistance, et, dans sa propre conduite, plus ou moins de
bonne foi. Les illusions du pouvoir sur ses périls ou sur ses actes sont infinies. Il y
a de la sincérité, dans ses plus absurdes terreurs, et même de l'innocence dans
ses procédés les plus criminels. Mais dans la situation dont je parle règne toujours
le même caractère. C'est toujours la politique asservie par la police, et la justice
envahie par la politique. Et le principe d'un si fatal égarement est toujours cette
méprise qui, aveuglant l'autorité, sur les causes et la nature du mal, lui fait, voir des
crimes partout où existent des dangers, des conspirateurs là où elle redoute des
mécontens.
Si jamais une telle dépravation de la politique et de la justice fut à craindre, c'est de
nos jours. Depuis trente ans, les révolutions et le despotisme possèdent notre
pays. Depuis trente ans, dans tout ce qui se lie un peu étroitement à la politique, la
justice nous est inconnue. Les gouvernemens qui se succèdent, en recueillant
l'héritage de leurs prédécesseurs, y trouvent des habitudes, des pratiques dont ils
ne s'affranchissent point. L'invasion de la justice par la politique est devenue, pour
ainsi dire, une ornière où le pouvoir retombe au moindre choc. Il n'est pas
jusqu'aux souvenirs de nos anciens tribunaux, quelque effacés qu'ils paraissent,
qui n'exercent à cet égard, une fâcheuse influence. Les parlemens étaient des
corps politiques et judiciaires à la fois ; et le premier de ces caractères a souvent
perverti l'autre. Les tribunaux actuels, tout dénués qu'ils sont de la force et de
l'auguste gravité des parlemens, se regardent encore comme les héritiers de leur
situation, et sont disposés à rentrer dans des voies où ils n'offrent aucune des
garanties qui faisaient 1'énergie et le crédit des institutions passées. Le pouvoir
judiciaire qui a cessé d'être l'allié puissant de la politique, semble se croire destiné
à en devenir le docile agent. Et c'est à la naissance d'un gouvernement, c'est au
milieu de la lutte des partis, que cet élément fondamental de la société appelé à
être la sauvegarde des citoyens ne sait encore ni ce qu'il est, ni comment se
défendre lui-même. Aux erreurs de l'autorité il n'a point de doctrines à opposer ;
dépourvu du sentiment d'une grande force qui puisse suffire contre un grand péril,
il se laisse induire à porter la main partout où on réclame son secours. Il est enclin
à partager toutes les méfiances, toutes les alarmes de la politique, à voir des
complots où elle en voit, des ennemis où elle en redoute. Et ainsi les mêmes
causes qui égarent l'administration courent le risque d'égarer à sa suite les
tribunaux, trop peu sûrs d'eux-mêmes pour tenir une conduite qui leur soit propre,
et faire face au mal, quelles qu'en soient la nature et la direction.
Qu'on regarde aux faits et qu'on dise s'il ne sont pas tels que je les décris. Certes,
il importe de les constater et d'en bien observer les caractères. Il importe de mettre
dans tout son jour cet envahissement de la justice par la politique, le plus profond
peut-être, le plus fécond sans doute des maux de notre état présent. J'ai choisi les
poursuites pour cause de complot et de rébellion parce que c'est là surtout qu'il
éclate avec évidence. Je viens de dire comment naissent les conspirations sous la
main d'une politique qui, pour s'en préserver, s'est condamnée à les faire éclore.
Les voici livrées aux tribunaux. Voyons comment on y procède à leur égard.
CHAPITRE IV.
Des faits généraux.
Le 21 novembre 1683, on poursuivait à Londres le procès d'Algernon Sidney,
accusé de haute trahison. Jefferies présidait la cour. Un témoin, M. West,
compromis lui-même dans le complot de Rye-house, mais qui avait tout révélé, est
introduit. Il prête serment, et son interrogatoire commence en ces termes :
M. North au témoin. Racontez, je vous prie, à la cour tout ce que vous savez sur le
projet d'une insurrection générale en Angleterre.
Sidney. Le témoin doit dire ce qu'il sait sur mon compte.
Jefferies. Nous veillerons à ce que le témoignage ne soit pas rendu autrement que
cela ne se doit.
Sidney. Se peut-il que le témoin soit admis à dire autre chose que ce qui se
rapporte à moi et à mon accusation ?
Jefferies. M. Sidney, vous vous souvenez que, lors du jugement du dernier
complot papiste, dans les débats élevés au sujet de M. Coleman, de M. Plunket et
autres, il fut d'abord rendu un compte général du complot. Je ne doute pas que
vous ne vous en souveniez. (1)
[(1) Voyez la collection des State trials de Cobbett, t.9, pag.840. Londres 1811.]
A ces mots, Sidney se rassied et se tait.
C'était en effet dans l'odieux procès intenté eu 1678 à des catholiques, sur les
absurdes dénonciations de Titus Oates et de quelques autres misérables, qu'avait
été introduite cette pratique des faits généraux, instrument d'iniquité que le parti
protestant, dans la personne de Sidney, vit alors se retourner contre lui. Et comme
la tyrannie s'autorise toujours de la tyrannie, Jefferies s'empressa d'opposer aux
réclamations de Sidney un fait que, cinq ans auparavant, Sidney, aveuglé par
l'esprit de parti, avait peut-être approuvé. Exemple terrible, entre mille autres, des
argumens et des armes que fournissent contre elles-mêmes les factions !
Ce fait se renouvelle de nos jours. Dans le procès qui vient d'avoir lieu au sujet des
troubles du mois de juin, l'acte d'accusation, dressé par M. le procureur général a
été divisé en deux parties, la première, sous le titre de faits généraux, la seconde
sous celui de faits particuliers aux accusés. La procédure a été conduite et les
témoignages rendus, du côté des accusés eux-mêmes comme du ministère public,
dans le système de l'acte d'accusation.
Avant d'examiner quel était, dans cette occasion, le but réel ou du moins
présumable de ce système, et quel en a été le résultat, il est bon de considérer la
question en elle-même, indépendamment de toute circonstance.
C'est presque toujours dans des accusations pour fait de complot, et de complots
qui n'avaient reçu aucun commencement d'exécution de quelque importance, qu'a
eu lieu cette exposition de faits généraux, sans rapport direct et visible avec les
accusés. C'est aussi à des époques soit de tyrannie, soit de grande effervescence
des partis, que ce système a été pratiqué.
Il est aisé d'en découvrir les raisons.
Dans la plupart des délits, le fait matériel, incriminé par la loi, est constant. Un
homme a été tué ; des effets ont été volés. La question est de savoir si le prévenu
est bien réellement le meurtrier ou le voleur.
Dans le cas du complot, au contraire, comme dans un grand nombre de délits
politiques, et lorsque le crime, loin d'être consommé., n'a pas même reçu un
commencement positif d'exécution, il s'agit non-seulement, de savoir quels sont les
coupables, mais encore, et d'abord même, s'il y a crime. Le crime, conspiration ou
autre, ne s'étant point résumé en un fait complet et certain, les élémens en sont,
pour ainsi dire, épars ; ils résident dans une multitude de circonstances plus ou
moins indifférentes par elles-mêmes, visites, réunions, paroles, lettres obscures,
etc., où le pouvoir qui poursuit est obligé d'aller les chercher. Il faut qu'il rapproche
ces circonstances, les compare, les groupe dans une intention commune et vers
un but déterminé, qu'il construise enfin le délit qui a été arrêté dans son cours
avant de s'être construit lui-même.
Quel est, en pareil cas, le droit des accusés ? C'est évidemment que le délit qui
leur est imputé ne soit cherché que là où on les rencontre eux-mêmes ; qu'il ne soit
construit qu'avec leurs propres actions, avec des faits qui se rapportent à eux,
dans lesquels ils occupent une place. Si, en recueillant les circonstances qui leur
sont relatives, où ils figurent en quelque manière, on ne parvient pas à y
reconnaître, à en former le crime qu'on leur reproche, qui osera dire qu'ils sont
coupables ? qui demandera qu'ils soient condamnés ?
La justice s'y refuse ; mais la politique a d'autres secrets : voici comment elle
procède.
Vous croyez que le crime qu'il faut prouver est celui des accusés qui sont sur les
bancs. Si c'est autre chose, direz-vous, qu'on amène d'autres accusés. La politique
en sait davantage. Elle va oublier les accusés ; elle ne s'occupera point d'eux.
C'est le crime en général, et non pas celui de telle ou telle personne, qu'elle veut
découvrir et construire ; elle prouvera qu'il y a eu complot, indépendamment de ce
qui se rapporte aux hommes qu'elle en accuse ; elle le prouvera par une multitude
de circonstances auxquelles ils sont parfaitement étrangers, dont ils n'ont eu nulle
connaissance, dans lesquelles leur conduite ne se rencontre ni de près, ni de loin :
et quand elle aura réuni tous les élémens de crime qui se peuvent recueillir hors de
l'accusation nominative qu'elle a intentée ; quand elle aura interrogé les
dispositions publiques, les événemens passés, les paroles ou les actes d'hommes
qu'elle ne poursuit point, mais dont les opinions ont quelque analogie avec celles
des hommes qu'elle poursuit ; quand, par cet immense et informe travail, elle aura
réussi à composer quelque chose qui puisse frapper l'imagination des assistans
qui, dans un dédale plein de confusion et d'obscurité, fasse entrevoir le crime, bien
que dépourvu de formes individuelles et précises... alors, armée de ce crime, dont
elle a puisé partout et de toutes mains les élémens, elle viendra dire : -- Vous le
voyez, le fait est constant ; il y a eu complot, un grand complot ; maintenant, je dis
que ces hommes-là en sont coupables. --
Voilà les faits généraux ; les voilà tels que les a pratiqués la tyrannie, quand, ne
pouvant prouver le crime dans les hommes qu'elle redoutait, elle est allée le
chercher partout pour y placer ensuite ces hommes. C'est un système qui, à
l'occasion d'un fait particulier, jette un grand filet dans la société pour en retirer
tous les moyens d'attaque, toutes les armes, toutes les preuves que la société lui
pourra fournir. A la faveur de ce système, toutes les passions, toutes les croyances
aveugles, toutes les méfiances invétérées des partis, sont évoquées et dirigées sur
un seul point, contre quelques individus. La haine et la crainte du papisme
possèdent l'Angleterre ; de malheureux catholiques sont accusés de complot. Si
l'on se tenait dans le cercle des faits qui leur sont imputés, si les débats et les
témoignages se renfermaient dans les charges spéciales dressées contre eux, le
complot ne pourrait être construit, la plupart des prévenus seraient reconnus
innocens ; mais on lance dans la sphère illimitée des faits généraux ; les
allégations les plus vagues, les récits les plus étrangers au procès sont entendus ;
des témoins viennent parler des éternels desseins des papistes, de leurs
sentimens, de leurs désirs. Le public s'échauffe ; ce n'est plus une poursuite
judiciaire qui s'instruit, c'est une question politique qui, s'agite. Dès lors le complot
est certain, établi ; et dans cette certitude générale, la conviction particulière de la
culpabilité des accusés trouvera facilement sa place. La chance tourne ; le parti de
la cour reprend l'offensive ; c'est le républicanisme qui est devenu suspect ;
Russell et Sidney sont notés par leur constante opposition ; un complot s'ourdit
contre la vie du roi ;... Russell et Sidney, mécontens, ont voulu l'assassinat ; ils
l'ont voulu, car ils ont eu des relations avec Rumbald, Sheppard et quelques autres
; ces relations ne donnent pas assez de preuves ; on rentre dans les faits
généraux ; ils abondent ; le premier témoin appelé contre Sidney déclare qu'il ne
l'a point vu, qu'il n'en a rien entendu dire depuis le moment où, lui West, a eu
connaissance de la conspiration. N'importe, qu'il continue ; il a des faits généraux à
raconter ; l'impression qu'on en attend sera produite, et quelque chose en
retombera sur Sidney, dont il ne sait rien.
Passons à ce qui nous touche.
A quel titre demandait-on au mois de juin dernier le rapport de la loi du 5 février
1817 ? On parlait d'une faction ardente à renverser le trône, d'une conspiration
permanente qu'à tout prix il fallait déjouer. Mais ce n'était là que de la politique. Les
partis se renvoyaient l'un à l'autre ces épithètes de factieux et de conspirateurs. Il
ne s'agissait d'aucun fait particulier, d'aucun individu.
Les partis existent dans le pays comme dans la chambre. Des désordres éclatent.
Ils sont le résultat de 1'état général des esprits et des provocations du parti qui
alors prenait l'offensive sur tous les points. M. le garde des sceaux s'empare de
ces désordres ; il y voit l'ouvrage de la faction qu'il a attaquée, la preuve de la
conspiration qu'il a dénoncée ; il affirme que la faction est prise sur le fait, que la
conspiration est flagrante et qu'on en tient les fils.
Au milieu des désordres, beaucoup d'individus ont été arrêtés. Malgré les
affirmations de la politique, on ne peut les poursuivre vaguement comme factieux
ou conspirateurs. Il faut trouver dans les lois pénales un délit qui ressemble à leurs
actes, et dans leur conduite des actes qui se rapportent au texte des lois. Après un
long examen, la plupart de ces individus n'offrent aucune prise. On les relâche.
Onze seulement seront poursuivis. Pour ceux-là même, ce n'est plus de
conspiration qu'il s'agit. On ne croit pouvoir leur imputer que le fait de rébellion ou
de provocation à la rébellion.
Mais ce fait même de la rébellion a des caractères légaux et déterminés. Il est
difficile de les retrouver pleinement dans les faits particuliers recueillis sur le
compte des accusés. Quelque soin qu'on apporte à rassembler toutes les
circonstances, tous les indices, la rébellion ne se laisse que péniblement
construire.
Evidemment les faits généraux sont indispensables. Ils ont été publics. Leur réalité
matérielle ne saurait être contestée. On peut, en en parlant, les qualifier comme on
voudra ; on n'y sera point astreint à produire des noms propres, à discuter des
actes précis, à les conférer avec des articles de loi. On établira, dans le vague de
la politique, le fait général de la rébellion, ou tel fait plus grave encore ; et les
accusés qui ont été saisis dans le sein même de ce fait ne pourront manquer d'en
porter 1'empreinte.
Dès lors reparaissent et les idées, et les allégations, et le langage qui se sont fait
entendre dans les débats des chambres. Il est de nouveau question de
malveillans, de factieux, de conspirateurs. On parle de menées sourdes, de projets
criminels. Pourquoi n'en parlerait-on pas ? On ne sera pas tenu de prouver ses
paroles ; ce n'est point une accusation qu'on poursuit ; c'est de l'histoire qu'on
raconte, une politique qu'on expose. On est rentré si avant sur le terrain de la
politique, on est tellement dominé par les passions ou les habitudes de parti, que,
dans l'acte même d'accusation, M. le procureur général qualifie de faction cette
minorité de la chambre qui, en défendant la loi du 5 février, n'a fait qu'user du
premier et du plus constitutionnel de ses droits, le droit de dire son avis.
Et ne croyez pas que l'acte d'accusation et les discours du ministère public offrent
seuls ce caractère. L'affaire toute entière ne tarde pas à le revêtir. Les faits
particuliers, les accusés eux-mêmes disparaissent. Les faits généraux et les partis
deviennent le véritable, presque le seul objet du débat. Vous n'assistez plus à un
procès, mais à une séance de quelque assemblée publique. C'est la conduite du
gouvernement qu'on discute. Le président de la cour et l'avocat général parlent
pour lui. Un témoin est interpellé sur un fait ; le président dit qu'il sait d'avance
quelle sera sa déposition. On réclame le témoignage d'autres députés. L'avocat
général s'écrie qu'il va demander qu'on appelle tout le côté droit. La politique a
voulu se servir des faits généraux contre les accusés. Les accusés retournent les
faits généraux contre la politique. Les accusés seront acquittés. Quant à la
politique, on a plaidé pour et contre elle ; mais il n'a pas été prononcé de jugement.
Honneur à l'institution du jury qui, au milieu de cette confusion, dans ce
renouvellement de la lutte des partis, a fait prévaloir la voix de la conscience ! La
politique, qui avait tout envahi dans le cours des débats, n'est évidemment entrée
pour rien dans la déclaration des jurés ; ils ont jugé les accusés sur leurs propres
actes, et non sur les faits généraux dans lesquels on avait essayé de les encadrer.
Mais il n'en est pas moins certain que, de tous les moyens par lesquels la justice
peut être pervertie, l'invention des faits généraux est un des plus dangereux. Elle
substitue les considérations vagues aux motifs légaux, les inductions aux preuves.
Elle dénature la situation des accusés pour les plonger dans une atmosphère
obscure et douteuse, où, de moment en moment, il devient plus difficile de démêler
la vérité en ce qui les touche. Elle caractérise enfin cet envahissement de la justice
par la politique, symptôme assuré de la présence du despotisme ou de l'approche
des révolutions.
Que serait-ce si nous considérions en détail l'influence de cette pratique en matière
de complots ? C'est là surtout que, par la nature même du crime, elle est pleine de
mensonge et de péril. L'Angleterre m'en a fourni des exemples. J'en pourrais citer
beaucoup d'autres, et montrer à quelles iniquités elle a conduit. Je ne m'arrêterai
que sur un point : c'est peut-être le plus grave.
Toutes les poursuites judiciaires commencent à raison de certains faits qui leur
servent de point de départ. C'est sur ces faits que le magistrat instruit. Il les suit
dans leur filiation, recueille ceux qui s'y rattachent, et remonte ainsi des actes qui
constituent le crime, et des circonstances qui le prouvent, à son auteur.
Ainsi procède la justice, et telle doit être sa marche, car il lui faut une raison de
procéder, et cette raison ne peut être qu'un fait qui constitue ou annonce un délit.
Mais quand la justice se laisse entraîner dans la sphère des faits généraux, voici
ce qui arrive.
Qu'entend-on par faits généraux ? Ils comprennent tantôt 1'état du pays,
l'ensemble des dispositions publiques à une époque donnée, tantôt une certaine
série d'événemens qui ont alarmé le pouvoir ou révélé un grand danger ; ici la
conduite et les desseins de tout un parti, ailleurs la tendance de telle ou telle
opinion qui compte plus ou moins d'amis et de défenseurs.
Ainsi, en Angleterre, sous Charles II, l'existence des partis catholique et puritain,
les craintes qu'inspirait à une portion du peuple le papisme du duc d'York, les
voeux qui naissaient de ces craintes, les efforts de l'opposition parlementaire ; en
France, sous Henri IV, les méfiances des ligueurs et des protestans, l'influence et
les menées des jésuites ; c'étaient là des faits généraux, connus de tous, et objets
d'espérance ou d'effroi.
Dans tous les cas, c'est la nature des faits généraux d'embrasser un champ
immense, et de contenir dans leur vaste sein une multitude de personnes, d'actes,
de sentimens, d'opinions qui s'y rallient par quelque côté, sans qu'on puisse, en
aucune façon, les considérer comme solidaires de tout ce qui s'y passe, de tout ce
qui en peut sortir.
Quand la politique, alarmée sur telle ou telle classe de faits généraux, demande à
la justice d'y entrer pour y chercher des crimes dont elle soupçonne que les
élémens y résident, il est impossible que la justice ne rencontre sur ses pas des
hommes, des actes qui, absolument étrangers au crime qu'elle cherche, ne le sont
point cependant aux faits généraux dans lesquels elle le cherche. Titius Sabinus
ne conspirait point contre Tibère ; mais il avait été l'ami de Germanicus ; il vivait au
milieu des souvenirs qu'avait laissés sa vie, et des douleurs qu'avait causées sa
mort. Quand Tibère redoutant, à tort ou à raison, les complots d'Agrippine et de
ses amis, envoya ses agens dans le cercle où ils pouvaient naître, Titius Sabinus
se trouva sur leur chemin. Sans contact avec aucune conspiration, aucun projet,
Titius Sabinus fut bientôt perdu.
Il n'est pas besoin d'être Tibère pour arriver à de telles iniquités.
Qui ne sait la puissance des préoccupations de l'esprit humain ? Quand une idée
le possède, quand il s'acharne à quelque projet, tout s'y rattache, tout en dépend.
Le plus faible lien, le rapport le plus éloigné, lui offrent l'apparence d'un
incontestable et rigoureux enchaînement. Voilà le pouvoir judiciaire lancé dans un
certain ordre de faits qui excitent sa méfiance ; hommes, actions, paroles, tout ce
qu'il y apercevra lui sera suspect. A défaut de faits particuliers, ses soupçons seuls
lui serviront de point de départ. Le nom d'un individu lui suffira pour qu'il dirige vers
lui toutes ses pensées. Je ne suppose aucune intention perverse ; je décris le
cours naturel d'un égarement.
Rencontrer un homme dans la sphère où on cherche un crime, et parce qu'on l'y
rencontre, être tenté de le poursuivre, entre ces deux faits le passage est court et
glissant. Poussée par la politique, la justice l'a souvent franchi. Que fait-elle alors ?
elle oublie sa condition ; elle abandonne sa boussole légale ; elle n'instruit plus sur
des faits ; elle instruit contre des personnes.
Instruire contre des personnes ! qui s'arrêtera dans cette route ? quel guide y sera
fidèle et sûr ? Quand l'hérésie était un crime et l'inquisition un tribunal, c'était ainsi
que l'inquisition procédait contre l'hérésie. Sans cesse fouillant dans ce fait
général, dès qu'un homme semblait y tenir par quelque fil, elle saisissait cet
homme, scrutait sa vie, ses relations, ses discours, ses manuscrits, ses pensées,
et lui découvrait bientôt quelque hérésie particulière qui l'envoyait au bûcher. Ainsi
procédait le comité de salut public, quand, parmi les suspects, il cherchait des
coupables. La politique révolutionnaire avait classé, parqué ses ennemis ; et, au
moindre péril, sans aucun fait, sans aucun élément légal de crime, elle envoyait au
milieu d'eux sa justice pour y choisir d'après les noms propres, les antécédens, les
circonstances du jour, ceux qu'elle jugeait bons à poursuivre. Et qu'on ne répudie
point ces souvenirs, qu'on ne se récrie point contre ces exemples. Quiconque, trois
ans plus tôt, eût dit à ces hommes qu'ils feraient un jour ce qu'ils ont fait, eût aussi
excité leur indignation. Mais il n'est pas donné à notre faible nature d'échapper au
fatal pouvoir du mal qu'elle accepte une fois. Quand il s'en est saisi, il la garde, la
serre, la pousse, et la contraint à tirer elle-même les conséquences du principe
pervers dont elle a subi le joug. Et quoi ? à la moindre apparition de l'esprit
révolutionnaire, on nous menace de ses plus furieux excès ; on nous dit que rien
n'en peut sauver, ni les intentions, ni le talent, ni le courage ; et on ne veut pas que
les symptômes de la justice révolutionnaire nous inspirent les mêmes terreurs ! on
ne veut pas que les faits généraux, les poursuites intentées à raison non des
actes, mais des personnes, toutes ces pratiques des temps sinistres nous révèlent
dès aujourd'hui ce qu'elles portent dans leurs flancs ! Acceptez donc toute
l'expérience ; la révolution n'a pas été faite pour donner seulement à quelques-uns
le droit de s'armer, contre la liberté, des fureurs de la licence. Nous aussi, nous
voulons qu'elle nous dise comment naît la tyrannie, et par quelles portes le pouvoir
judiciaire entre dans les voies de l'iniquité.
De toutes ces portes, les faits généraux sont la plus large et celle qui se ferme le
plus irrévocablement derrière ceux qui l'ont franchie.
CHAPITRE V.
Des agens provocateurs.
J'ai nommé Titus Sabinus ; voici comment Tacite raconte sa perte :
« L'année du consulat de Junius Silanus et de Silius Nerva fut souillée, en
s'ouvrant, par l'emprisonnement d'un illustre chevalier romain, Titius Sabinus,
victime de son amitié pour Germanicus. Il n'avait point cessé d'être fidèle à sa
femme et à ses enfans, les visitant dans leur maison, les accompagnant en public,
de tant de cliens le seul qui restât. Il était ainsi devenu cher aux gens de bien, et
importun aux méchans. Latinius Latiaris, Porcius Caton, Petitius Rufus, M. Opsius,
sortant de la préture et avides du consulat, entreprennent sa perte. On n'arrivait au
consulat que par Séjan, et la bienveillance de Séjan ne s'obtenait que par le crime.
Il fut convenu entre eux que Latiaris, qui avait avec Sabinus quelques relations,
tendrait le piège, que les autres seraient témoins, qu'enfin ils intenteraient une
accusation. Latiaris commença donc en laissant tomber devant Sabinus des
paroles comme échappées au hasard. Bientôt il le loua de sa constance et de ce
qu'ami d'une maison florissante, il ne l'avait pas, comme tant d'autres, abandonnée
dans ses revers. En même temps il se répandait en discours à l'honneur de
Germanicus et déplorait le sort d'Agrippine. Et comme le coeur des hommes est
enclin à s'amollir dans la douleur, Sabinus pleura avec lui, et joignit ses plaintes
aux siennes. Peu après, plus hardi, Latiaris attaque Séjan, sa cruauté, son
arrogance, ses desseins ; dans ses insultes, il n'épargne pas même Tibère. Ces
entretiens, comme s'ils s'étaient mis dans des pensées interdites, formèrent entre
eux une étroite amitié. Déjà Sabinus recherchait lui-même Latiaris, allait chez lui,
lui confiait ses douleurs comme à l'ami le plus sûr. Les hommes que j'ai nommés
délibèrent alors sur le moyen de faire entendre ces discours à plusieurs. Il fallait
conserver, au lieu de la réunion, l'apparence de la solitude. Cachés derrière les
portes, ils craignaient d'être découverts par un regard, un bruit, un soupçon. Entre
le toit et le plafond, retraite non moins honteuse que la fraude était détestable, se
cachent les trois sénateurs ; ils approchent l'oreille des trous et des fentes.
Cependant Latiaris ayant trouvé Sabinus dans la ville, et comme pour lui raconter
des choses qu'il venait d'apprendre, l'amène dans sa maison, dans sa chambre,
Là, il l'entretient (le sujet était riche) des maux passés, des maux présens ; il
accumule de nouvelles alarmes. Sabinus se livre et d'autant plus que les douleurs,
quand elles ont éclaté une fois, sont plus difficiles à réprimer. L'accusation est
portée en toute hâte ; et les sénateurs, en écrivant à César, publient, avec leur
artifice, leur propre déshonneur (1). » Sabinus fut aussitôt condamné.
[(1) (1) Tac., Annal., L.4., c.68.]
Je vais retrancher tout ce qu'il y a d'odieux dans l'époque, d'illustre dans la victime,
de fameux dans les délateurs, de pathétique dans le récit. J'efface Tibère, Séjan,
Sabinus, Latiaris, Tacite. Je me transporte dans un pays libre, sous un roi bon et
sage. Je prends une affaire sans éclat, un accusé qui n'inspire aucun intérêt
particulier, qui n'a point subi une condamnation capitale. Il ne me reste absolument
qu'un homme en présence de la justice. Voici les faits :
Millard revient du Champ d'Asile. On peut le croire aigri, mécontent, violent,
ennemi même, si l'on veut. On peut admettre ses désordres, sa mauvaise conduite
privée, ses mauvais propos. On peut le regarder comme devant être l'objet de la
surveillance de la police. Tout cela accordé, certes, ce n'est point encore un
conspirateur. Il va le devenir.
Deux hommes se lient avec lui. Il les a rencontrés dans un estaminet. Ces
hommes se disent d'anciens officiers. Leurs sentimens, leurs discours sont les
mêmes que ceux de Millard. Ils boivent ensemble. Ils signent ensemble le serment
de « mourir l'un pour l'autre et pour la vraie liberté sans royauté. » Millard est
traduit en justice comme prévenu de complot contre le gouvernement du roi et
l'ordre de successibilité au trône. Nul autre fait n'est allégué, que le serment dont je
viens de parler. Nul autre témoin ne se présente que les deux hommes qui l'ont
signé avec lui.
Que sont ces hommes ? Ils s'appellent Chignard et Vauversin. L'acte d'accusation
de Millard les qualifie agens de police. L'avocat général, sans s'expliquer, ne
s'oppose point à ce qu'ils soient pris pour tels. La cour elle-même les désigne ainsi
en rendant un arrêt pour déclarer qu'elle recevra leur témoignage.
D'ailleurs ces hommes sont connus. Ils ne débutent point dans leur métier. Je lis
dans le rapport de M. de Bastard à la cour des pairs sur le procès de Louvel :
« On assurait que le nommé Chignard avait dit le 7 mars : « Il y a encore trois
Louvel ; nous n'avons qu'à mettre la main dessus, et dans dix jours, il n'y aura plus
de Bourbons. » Le nommé Anversin (1), désigné comme ayant entendu ce propos,
avait été appelé et allait être interrogé, lorsque l'on apprit que ces individus étaient
tous deux agens de police, et que, cherchant, sans se connaître, à pénétrer
réciproquement leur opinion, ils avaient, par un zèle mal entendu et dans l'intention
répréhensible de s'exciter l'un l'autre, tenu chacun, des propos extrêmement
condamnables en eux-mêmes, mais qui, dans cette circonstance, ne devaient
mériter en aucune façon l'attention de la justice (2). »
[(1) Les journaux l'ont appelé depuis Vauversin ; mais, on ne conteste point que ce
soit le même individu.
(2) Rapport fait à la Cour des Pairs dans le procès suivi contre Louis-Pierre Louvel
; par le comte de Bastard pair de France ; no. 237, page 368.]
Voilà toute la conspiration que Millard a faite. Voilà les hommes qui la lui ont fait
faire. Voilà les seuls témoins qui l'aient prouvée.
Ces hommes ont reparu avec d'autres dans l'affaire des troubles du mois de juin.
Là aussi leur qualité et leurs actes ont été en évidence. On a même eu lieu de
croire qu'ils dataient de loin dans leur profession, et que l'un d'entre eux avait fait
son apprentissage sous le régime de la terreur.
Je poursuis l'histoire récente des agens de cette sorte. Les faits sont aussi variés
que nombreux, et méritent d'être recueillis.
On n'a pas toujours, comme dans l'affaire Millard, accepté avec empressement la
présence et la déposition de ces hommes. Dans le procès de Gravier et Bouton,
les accusés ont voulu rejeter la responsabilité du crime sur le nommé Leydet, qui,
disaient-ils, les y avait provoqués et presque conduits. Ils ont demandé qu'il parût
devant la cour. Leydet n'a été ni amené, ni entendu.
A Toulouse, en juillet 1820, les nommés Picard et Escudé, dit Castelnau,
proposent au sieur Blaignan, capitaine en demi-solde d'entrer dans un complot
dont ils lui expliquent toute la contexture. Blaignan, révolté de leurs offres, en rend
compte à l'autorité. Les provocateurs sont arrêtés et traduits en jugement. Ils font
connaître leur qualité d'espions et l'allèguent comme leur seul moyen de défense.
Mais le président des Assises, M. Dubernard, et les jurés, n'admettent point cette
infâme excuse. Le 11 décembre dernier, Escudé est condamné à cinq ans de
bannissement, comme coupable de proposition de complot non agréée. Les
journaux ont rapporté, mais sans détails, l'affaire et le jugement.
Il faut qu'il soit connu, et qu'on essaie du moins de décourager, par cet exemple,
les hommes qui font ailleurs le même métier.
Voilà donc les agens provocateurs légalement constatés en trois occasions
différentes ; et tantôt on admet leur témoignage contre un accusé qui proteste,
tantôt on le refuse à des accusés qui le demandent ; une fois ils sont condamnés,
mais, par malheur, le fait se passe au fond d'un département.
J'ai honte moi-même de ce que je rapporte. Cependant il convient de s'y arrêter, et
de rechercher tout ce que contiennent de tels faits.
Il me faut des espions, dit l'autorité ; comment puis-je préserver l'ordre public si
j'ignore ce qui le menace ? comment le saurai-je si je n'emploie de tels hommes, à
la découverte des projets criminels ?
Je ne conteste point. Le mal existe dans la société, et c'est contre le mal qu'est
institué le pouvoir. Lui interdire toute relation avec les parties honteuses de la
nature humaine, tout emploi du vice contre le crime, c'est méconnaître sa condition
et la nôtre ; l'erreur, pour être généreuse, n'en serait pas moins fatale. Point de
chimère, point d'utopie ; elles sont la ruine de la liberté comme de l'ordre. C'est le
reproche banal adressé aux amis du bien que le titre de rêveurs. Qu'ils le
repoussent ; qu'ils demeurent constamment dans le vrai ; qu'ils acceptent les
choses humaines telles que la Providence les a voulues, imparfaites, mêlées,
toujours impures en tendant toujours à s'épurer. Sur ce terrain seulement ils seront
inattaquables, et pourront hardiment reprocher au pouvoir ses corruptions de luxe,
ses gratuites iniquités.
Or, si l'espionnage est nécessaire, qui osera le dire de la provocation ? qui
soutiendra que la nécessité de découvrir le crime donne le droit d'aller en chercher
le germe au fond des coeurs, de le couver, de le faire éclore ? Le pouvoir s'arroge-
t-il donc la mission de Satan ? Et la pauvre nature humaine n'est-elle sous sa main
que pour avoir à se défendre de ses tentations ?
Mais de l'espionnage à la provocation, l'intervalle est court et le chemin glissant, à
ce qu'on assure. Cela est vrai ; aussi les espions ont-ils à répondre de leur
conduite à des fonctionnaires qui répondent de leur emploi. Quand l'autorité
descend dans la boue, la responsabilité y descend avec elle. L'autorité ne peut
être nulle part que la responsabilité ne la suive, toujours attachée à ses pas ; et
plus l'usage de l'autorité a de périls, plus la responsabilité est impérieuse. Il serait
trop étrange que la honteuse nature de certains services, de certains agens,
affranchît le pouvoir de sa condition permanente, et frustrât la société de sa seule
garantie.
Lors donc que les espions deviennent provocateurs, lorsqu'ils prennent l'initiative
du crime, tendent des pièges devant les faibles, et cherchent une pâture à leur
infâme habileté, le pouvoir qui s'en sert en répond, et c'est à lui qu'on en doit
demander compte.
Que sera-ce si, après leur avoir laissé enfanter un crime qui peut-être n'eût jamais
vu le jour sans eux, il les avoue et les produit devant les tribunaux comme témoins
du crime qui sans eux ne pourrait être prouvé ?
Que sera-ce encore si, selon ses convenances ou celles de l'occasion, il les avoue
ou les renie, les produit ou les cache, quoi que puissent dire et réclamer les
accusés ?
Je sais où le pouvoir ainsi poussé cherche un rempart et un asile. Je sais qu'il se
prévaut de la bassesse même de, ses agens pour se soustraire à la nécessité de
défendre leurs actes. -- Que voulez-vous ? dit-il ; j'ai besoin d'espions ; les espions
sont de misérables ; pris eux-mêmes dans la lie de la société, c'est là qu'ils vivent,
qu'ils traitent. Qu'y puis-je faire ? c'est un mal qu'il faut accepter avec ses
conséquences. La responsabilité que vous m'imposez est impossible ; si elle
pesait sur moi, je serais hors d'état d'agir.
Cela n'est pas vrai, et le pouvoir se trompe ou nous trompe quand il parle ainsi.
Le temps est passé, j'en conviens, où les agens provocateurs, d'un nom fameux,
d'un rang élevé, exerçaient dans les conditions supérieures de la société leur art
infernal. Il n'y a plus de Latiaris qui s'appliquent à perdre les Sabinus ; plus de
Séjan qui donnent aux Latiaris le consulat pour récompense. Grâce aux progrès de
la morale publique et de l'ordre social, la provocation a été dégradée ; c'est un vil
métier pratiqué par de vils espions, et qui s'adresse à des malheureux obscurs.
Mais le pouvoir ne gagne, à ce nouvel état de choses, nul privilège, nulle
exemption de responsabilité.
Et d'abord je voudrais savoir comment l'obscurité peut être un titre à la ruine, et la
bassesse à l'impunité. Qui a reçu le droit d'aller poursuivre et faire naître dans les
classes inférieures ces crimes qu'on n'ose plus provoquer dans les conditions
élevées ? Ces expériences, pour être tentées in anima vili, sont-elles moins
funestes et moins coupables ? Qu'a fait ce peuple pour être ainsi la matière de si
perfides tentations ? On redoute les dispositions des masses ; elles exercent
aujourd'hui, dans les mouvements de l'ordre politique, une plus grande influence.
Mais est-ce donc par des projets individuels, par des tentatives obscures et
isolées, que procède l'action des masses ? Elles se soulèvent quelquefois et se
livrent aux plus furieux excès. Rarement elles ont conspiré. Les complots
s'ourdissent dans une autre sphère. Ils exigent des existences plus grandes et des
combinaisons plus savantes. Je comprends Tibère craignant Agrippine, et
employant des sénateurs pour provoquer les amis de Germanicus. Mais le pouvoir
poussant à la conspiration quelques malheureux sans nom, sans crédit, qui vivent
dans les cabarets et se laissent induire, par un verre de vin, à risquer leur tête pour
renverser l'état, en vérité c'est avilir la provocation elle-même, c'est prodiguer le
crime sans mesure et hors de saison.
Et ces espions si obscurs eux-mêmes, qu'il faut empêcher de devenir
provocateurs, s'agit-il de les surveiller individuellement, partout, dans toutes leurs
démarches, d'attacher d'autres espions à leurs pas ? Non ; c'est par d'autres voies
et à moins de frais que le but peut être atteint. Que l'autorité n'ait pas besoin de
chercher, dans les condamnations judiciaires, la force perdue par une mauvaise
politique ; que les complots lui soient inutiles, les provocations seront bientôt
supprimées. Un bon médecin sait l'hygiène, et en entretenant la santé, il se
dispense de recourir aux remèdes violents. Les gouvernemens sont tenus de
savoir l'hygiène du corps social ; leur institution n'a pas d'autre fin ; et c'est quand
ils ne la savent pas qu'ils sont contraints de convertir l'espionnage en provocation,
le mécontentement en complot, la justice en politique.
Je retrouve donc toujours la même cause produisant le même mal, et le même mal
révélant la même cause. Conspirations fréquentes, faits généraux, agens
provocateurs, tout atteste l'envahissement de la justice par la politique, et
l'envahissement de la justice par la politique atteste partout l'égarement de la
politique elle-même. Sans cesse ramené a ce triste résultat, je veux le poursuivre
encore. Pour que la nécessité de la guérison soit évidente, il faut que le mal soit
connu par tous ses symptômes et dans tous ses effets.
CHAPITRE VI.
Du ministère public.
On reproche au ministère public sa rudesse envers les accusés, l'acharnement
quelquefois peu motivé de ses poursuites, l'âpreté souvent inconvenante de son
langage. On le blâme de son penchant à porter dans ses actes et ses paroles une
apparence de partialité et de passion, toujours déplacée dans la bouche des
interprètes d'un intérêt social qui, par sa nature même, n'a rien d'exclusif.
Quiconque parle au nom de la société ne plaide point une cause ; toutes les
causes lui sont confiées, celle de l'humanité comme de la loi, de la liberté comme
de l'ordre ; il est tenu de n'en oublier, de n'en sacrifier aucune, car elles se
réunissent et se confondent toutes sous le nom d'intérêt général. Cet intérêt ne se
divise point en un certain nombre d'intérêts distincts, pourvus chacun de
défenseurs spéciaux. Il est tout entier partout où la société se montre et agit ; et le
ministère public n'a, pas plus que les juges, et les jurés, une mission particulière de
rigueur ou de vengeance.
Qu'il n'allègue donc point en excuse la nature de ses devoirs. Il n'a point de devoirs
d'une nature singulière. Tous les devoirs lui sont imposés, comme à tous les
dépositaires de l'autorité publique, à tous les ministres de cet intérêt universel qui
comprend tous les intérêts, puisqu'il est celui de tous les citoyens.
Je crois donc l'excuse vaine et le reproche souvent fondé. Mais ce n'est pas de
cela que je viens parler. Ce tort du ministère public, s'il existe, est un tort général
qui se peut rencontrer et se rencontre en effet dans des procès fort étrangers à
ceux dont je m'occupe. Je ne recherche point tous les abus de l'administration de
la justice, toutes les erreurs de ses agens. La situation et la conduite du ministère
public dans les causes politiques, surtout dans les causes de rébellion et de
complot, là se borne mon sujet.
Je ne veux pas non plus m'armer de toutes les phrases, de toutes les expressions
plus ou moins violentes, plus ou moins déplacées, qui ont pu échapper, en de
telles matières, à des avocats généraux, et en dresser contre eux le catalogue. Le
mal dont je me plains est un mal plus étendu et plus profond. J'ai dessein de
montrer la fausseté et le péril du point de vue sous lequel le ministère public et les
ministres qui le dirigent paraissent considérer sa situation et sa mission.
Je dis que les ministres le dirigent. Il le faut bien, car là où existe une autorité
arbitraire, la responsabilité en est inséparable. Or les agens du ministère public
étant nommés et révoqués sur la proposition des ministres, ceux-ci répondent du
caractère général et de la direction habituelle de leur conduite. Si donc ils n'y
interviennent pas, ils ont tort ; ils laissent dépérir l'autorité pour s'affranchir de la
responsabilité qu'elle entraîne. Y intervenir est leur devoir ; mais alors l'impulsion
que reçoit d'eux cette partie de l'administration publique est leur fait, et c'est à eux
qu'on en doit demander raison.
Incontestable en lui-même, ce principe s'applique surtout aux procès politiques. Le
gouvernement y a un intérêt trop direct pour qu'il puisse, sans la plus grave erreur,
ou négliger la surveillance, ou éluder la responsabilité des agens révocables qu'il
emploie à les poursuivre.
Quels sont en cette matière la situation et le devoir de ces magistrats et de leurs
chefs ?
Le devoir de l'autorité s'adapte nécessairement à sa situation, et sa situation varie
selon la mission qu'elle remplit. Un ministre du roi soutenant à la tribune des
chambres une mesure de gouvernement, et un avocat du roi réclamant d'un
tribunal la punition du crime s'acquittent de tâches très différentes. D'un côté, tout
est général, la mesure proposée, ses motifs, ses conséquences. De l'autre tout est
individuel, le crime, le prévenu, le jugement. Le ministre parle au nom d'un intérêt
public encore non réglé et qui exige toujours le sacrifice de quelques intérêts
particuliers. Le magistrat parle au nom de lois positives qui n'ont aucune
concession à faire ni à demander. Le premier, appuyé d'un parti qui approuve son
dessein, l'expose et le défend, contre une opposition qui le repousse. Le second
n'a derrière lui, devant lui, autour de lui, que la loi et l'accusé. Dans un cas tout est
lutte et transaction entre des masses. Dans l'autre il n'y a point de lutte entre des
masses ; il ne peut y avoir de transaction, car ni l'accusé ni la loi n'ont rien à s'offrir
et à s'abandonner pour se mettre d'accord.
Ainsi, dans l'arène des chambres, se produit la société toute entière, avec tous ses
intérêts, toutes ses idées, toutes ses passions. Les élémens les plus opposés y
sont mis en présence ; la timidité et la témérité, l'amour de la liberté et celui du
pouvoir, l'ambition avide d'acquérir et l'ambition jalouse de conserver, les amours-
propres, les rivalités de talent, les espérance les plus hardies et les craintes les
plus soupçonneuses. C'est du débat de toutes ces forces que doit naître le bien
public. Dans ce théâtre vient se concentrer toute la fermentation sociale, pour s'y
manifester sans péril, et s'épurer en se manifestant.
Dans l'enceinte des tribunaux, au contraire, rien ne doit entrer que la loi et des faits
prévus par la loi. C'est le lieu de l'impassibilité et de la règle. La porte en est
interdite à toutes ces passions, à toutes ces forces contraires que je viens de
rappeler. Ailleurs leur présence est inévitable ; ici elle serait criminelle. Toutes les
formes, toutes les prescriptions légales se proposent de les en bannir.
L'inamovibilité des juges, l'intervention des jurés, la rigueur du texte des lois, les
impérieux règlemens de la procédure, tout atteste qu'on veut placer l'opération qui
se consomme ici au-dessus de toutes les influences, et s'élever, autant qu'il
appartient à l'homme, dans cette région calme et pure où n'atteignent point les
orages de la terre, où aucun nuage ne voile la clarté du jour.
Il le faut bien, il le faut absolument, car remarquez de quoi il s'agit. Dans les
chambres le pouvoir ne manquera ni de contradicteurs ni d'obstacles ; si la
machine est bien construite et fidèle, assez de forces seront intéressées à l'épier, à
le combattre, à lui demander compte de ses actes, à l'amener sur le terrain des
accommodemens et des transactions. Ces forces d'ailleurs sont entre elles sur un
pied d'égalité ; nul pair, nul député n'a de droit sur un autre ; tous ont celui, de tout
dire ; tous sont admis à dresser contre leurs adversaires toute la puissance que
peuvent fournir le crédit, l'influence, le talent ; chacun s'appuie sur les masses dont
il soutient l'intérêt ou la pensée ; chacun peut s'élever ou descendre un jour à la
situation qu'occupent maintenant ses rivaux.
Quel spectacle nous offrent en revanche les tribunaux ? Un homme seul en
présence du pouvoir qui l'accuse et de la justice qui l'attend ; un homme qui devant
lui, autour de lui, ne voit que des étrangers, des adversaires, des supérieurs ; un
homme dont la condition est si faible que, si la moindre brèche est faite à son droit,
tout moyen de défense lui échappe, toute force lui est ravie. Et ce n'est point d'un
intérêt général, plus ou moins éloigné, où il n'ait qu'une part plus ou moins bornée
et douteuse, c'est de lui-même qu'il s'agit ; c'est sa liberté, c'est sa vie qu'on
discute. On va décider, non pas s'il a tort ou raison, mais s'il rentrera ou non chez
lui.
Que faites-vous donc si, en accusant cet homme, vous vous servez contre lui de
toutes les armes que vous employez ailleurs contre d'autres adversaires ? Que
faites-vous si vous donnez au pouvoir qui poursuit des individus devant les
tribunaux la même allure, le même langage, la même latitude dont jouit le pouvoir
qui soutient ses actes dans les chambres ? Que, dans un débat législatif, vous
traitiez l'opposition de turbulente, de violente, de factieuse même, eussiez-vous
tort, cela se conçoit ; l'opposition n'en marchera pas moins, et en marchant, elle
vous renverra des épithètes qui vaudront les vôtres ; si vous dites qu'elle détruit le
pouvoir, elle vous dira que vous détruisez la liberté ; si, vous lui, imputez une
attaque au trône, elle vous taxera d'attaque à la charte. Mais que le ministère
public, à propos d'un homme et d'un fait, établisse l'existence d'une faction et l'y
enveloppe ; qu'il déclame contre les malveillans, leurs désirs, leurs projets ; qu'il
déroule, à l'appui d'une accusation spéciale, toutes les considérations générales
qu'on peut apporter en faveur d'une mesure de gouvernement ; qu'il invoque enfin
la politique toute entière, en demandant une application individuelle de la justice
légale... c'est le renversement de la justice même ; c'est l'introduction des orages
de la tribune dans le sanctuaire de la loi.
Que fera l'accusé ? Lui sera-t-il permis, comme à l'opposition parlementaire, de
renvoyer à ses adversaires leurs imputations ? Si on le présente comme enrôlé
dans une faction, sera-t-il admis à dire que c'est une faction qui le poursuit ?
Souffrira-t-on qu'il plaide aussi sa politique et accuse à son tour ses accusateurs ?
Cela ne se peut ; on aura droit de le lui interdire ; et cependant on se sera arrogé
le droit qu'on lui refuse ; aux désavantages naturels de sa situation, on aura ajouté
le désavantage immense d'une inégalité nouvelle ; et, pour avoir tout déplacé, tout
confondu, on sera conduit à tout pervertir.
Ainsi s'égare l'autorité quand elle méconnaît la diversité de ses situations, et
transporte sur le terrain judiciaire toutes les forces, toutes les armes dont elle est
pourvue sur le terrain politique. A la tribune, des questions neuves et générales, la
présence de l'opposition, la nature complexe et agitée des élémens qui se
combattent, tout lui permet une grande liberté. Devant les tribunaux, sa liberté est
circonscrite par la loi et dans l'enceinte de la loi. Le théâtre, le but, les conditions
de la conduite, tout diffère ; la conduite ne peut être la même ni le langage pareil.
C'est toujours l'autorité publique qui, toujours dans l'intérêt social, et sous une
responsabilité constante, propose des lois ou poursuit des crimes ; mais les
mêmes moyens ne lui sont pas accordés ; les mêmes actes, les mêmes discours
ne se placent point également dans des sphères si diverses. Ce qui est possible,
utile, légitime peut-être en un lieu, devient odieux et funeste dans l'autre. Et
l'autorité ne peut confondre ses situations, ses armes, ses devoirs, sans porter le
trouble en toutes choses, et le péril le plus imminent dans le coeur de la société.
Nous sommes témoins de cette fatale et coupable erreur. Le ministère public parle
sur son siége comme les ministres dans les chambres. A propos d'un accusé il
s'adresse aux juges, comme à propos d'une mesure de gouvernement les
ministres s'adressent aux députés. Il semble se croire appelé à traiter là les
mêmes questions, à débattre les mêmes intérêts, à offrir les mêmes
considérations, à déployer la même éloquence. Il répète, il imite, il développe ; il
oublie que sa tâche est autre et qu'il la remplit sous d'autres conditions. Qu'un
ministre fasse valoir, en faveur d'une loi d'exception, l'assassinat de Mgr. le duc de
Berry, et les craintes qui s'y rattachent ; il en a le droit, la proposition qu'il soutient
fût-elle une faute. Mais qu'un avocat général, à l'appui de l'accusation de deux
misérables, invoque les douleurs du 13 février, et même les joies du 29 septembre,
qui l'y oblige, qui l'y autorise ? A quel titre des motifs et des sentimens de cet ordre
interviennent-ils dans un procès isolé, et quand il s'agit de juger un fait ? Qu'ont à
faire, avec les prévenus d'actes spéciaux et définis, les factions, leurs doctrines,
leurs desseins, les périls de la monarchie ? Tout cela est vrai, dites-vous ; il y a un
lien entre toutes ces choses. Vous vous trompez ; rien n'est vrai ici que ce que
vous pouvez qualifier et prouver selon la loi ; il n'y a point de lien ici admissible que
le lien positif établi par la loi même entre ses définitions et les faits. Vous oubliez
qui vous êtes et ce que vous venez faire ; laissez la politique aux mains chargées
de la conduire ; c'est la justice seule qui vous envoie ; elle a réglé d'avance votre
mission, et votre mission doit régler aussi votre langage.
Le mal va plus loin. Dans la chambre des députés on a reproché à quelques
orateurs de s'adresser souvent au public du dehors, plutôt qu'à la chambre même.
Le député, a-t-on dit, parle à ses collègues et non à la multitude. Les débats sont
publics pour que le public soit éclairé sur le compte de la chambre, mais non pour
que la chambre lui soit asservie. Les appels à l'extérieur sont le caractère du
gouvernement révolutionnaire, non du gouvernement représentatif. Quand la
chambre discute, a-t-on ajouté, le public qui l'écoute est devant elle comme s'il
n'était pas (1).
[(1) Voyez un discours de M. le garde des sceaux dans le débat des lois sur la
liberté de la presse, pendant la session de 1819)]
Contenu dans de certaines limites, et tant qu'on ne s'en prévaut point pour porter
atteinte à la publicité, ce principe est légitime. Mais certes, c'est surtout devant les
tribunaux, et dans les procès criminels, qu'il s'applique impérieusement. Là, nulle
relation ne lie celui qui parle à ceux qui l'écoutent. Tout se passe entre le ministère
public, les juges et l'accusé. Nulle parole ne peut s'adresser à d'autres. Nulle
intention ne doit porter plus loin. Le public est là, et doit y être. Pour la justice qui
poursuit et qui juge, il n'y a point de public.
Qu'on lise les discours de quelques avocats généraux ; ont-ils toujours obéi à ce
rigoureux devoir ? se sont-ils toujours renfermés dans l'enceinte de leurs bancs ?
leur éloquence n'a-t-elle jamais été envoyée a des adresses lointaines ou
étrangères ? Je pourrais réimprimer beaucoup. Je ne citerai qu'un fait. On a vu
récemment un avocat général écrire dans les journaux, pour expliquer en quel
sens il avait parlé des partis, et se laver du reproche d'avoir enveloppé, dans son
blâme, un des chefs de celui qui maintenant domine, M. de Châteaubriand (1).
Etait-ce à un certain public ou aux juges qu'il s'adressait alors ?
[(1) Voyez la lettre de M. de Vatimesnil dans le Journal des Débats.]
Ainsi, non-seulement le ministère public sort de sa sphère quant aux choses ; il en
sort encore quant aux personnes. Il parle de ce qui ne lui appartient point, et il en
parle à qui il ne doit jamais parler.
Quelle est la source de tous ces désordres ? Je ne dois pas me lasser de le redire.
Par là aussi la politique envahit la justice, et la corrompt en l'envahissant.
CHAPITRE VII.
Des restrictions apportées à la publicité des débats judiciaires.
Dans la dernière session, en discutant la censure des journaux, on demanda que,
par une disposition formelle, le compte rendu des séances de la chambre en fût
excepté. Le ministère repoussa la proposition comme inutile, déclarant que
l'exception était de droit.
Il fut donc solennellement reconnu par-là que la charte, en disant : Les séances de
la chambre sont publiques (art. 44), n'a pas seulement voulu parler de l'admission
du public dans le lieu des séances, mais qu'elle a encore posé en principe la
publicité des débats par la voie des journaux, sous la responsabilité portée par la
loi du 26 mai 1819, qui exige que le compte rendu soit exact et fidèle.
La charte dit également (art. 64) : Les débats seront publics en matière criminelle.
Les paroles sont les mêmes comme leurs motifs. Le même texte a le même sens ;
le même principe entraîne la même conséquence. La publicité des débats
judiciaires, par la voie des journaux, est donc de droit comme celle des débats
politiques.
Mais le ministère ne le reconnut point par une même déclaration.
Le droit a péri, en fait, par le seul résultat d'un silence qui cependant n'y portait et
n'y pouvait porter aucune atteinte. En dépit de l'analogie, il faut dire de la parité
des deux cas, la censure s'est exercée sur les débats judiciaires, mutilant à son
gré, soit les faits, soit les défenses.
Les exemples sont nombreux. Je n'en citerai qu'un : c'est à la fois le plus
scandaleux et le plus complet.
Parmi les événemens particuliers survenus dans les troubles du mois de juin, la
mort du jeune Lallemand a été sans contredit le plus grave. De tous les procès
possibles, celui-là devait être le plus solennel. S'il était vrai, comme on l'avait dit,
que ce malheureux jeune homme eût crié vive l'empereur et résisté violemment à
la force armée, l'autorité avait le plus grand intérêt à le constater, et à mettre en
évidence, du moins sur un point, le caractère des troubles. Dans le cas contraire,
la France n'avait pas de moindres droits à la vérité.
Un jugement a été rendu. Je n'en dis rien.
Ce jugement a été publié. Il l'a été seul. Aucun journal n'a eu la permission de
raconter... je ne puis dire les débats, car il n'y en a point eu, mais ce qui s'est
passé devant le conseil de guerre.
Quelques personnes pensèrent qu'une lettre de M. Lallemand le père aurait,
devant la censure, plus d'autorité que le récit d'un journaliste. L'expérience n'était
pas favorable à cette tentative. Elle eut lieu cependant. M. Lallemand écrivit la
lettre suivante.
A M. le Rédacteur du Constitutionnel (1).
[(1) Cette lettre est au nombre des pièces publiées dans une brochure fort
intéressante intitulée : Lettre sur la Censure des Journaux et sur les Censeurs, par
M. Evariste Dumoulin. - Nov. 1820.]
« Monsieur,
« Vous avez annoncé dans votre journal d'aujourd'hui que le conseil de guerre a
acquitté le soldat qui a donné la mort à mon fils ; mais il est des détails qu'il
m'importe de faire connaître. J'ai fait tout ce qui dépendait de moi pour obtenir
justice, et l'on doit en être instruit.
« Mon fils fut tué le 3 juin ; et quelque temps après, lorsqu'il me fut permis de
connaître le nom du meurtrier, je portai ma première plainte devant M. le procureur
du roi. Une instruction eut lieu, et Imbert fut renvoyé devant le conseil de guerre.
« Là une seconde plainte fut portée par moi. Plusieurs témoins, qu'on n'a pas
entendus devant le conseil, mais dont on a lu les dépositions à l'audience,
attestaient que le soldat Imbert, après avoir tué mon fils, se rendit sur le lieu même
où il était tombé, ramassa froidement son parapluie, et l'emporta sous son bras.
J'avais cru devoir ajouter à ma première plainte que le soldat Imbert avait joint la
spoliation au meurtre.
« M. Viotti, rapporteur, m'envoya chercher et fit tous ses efforts pour me déterminer
à me désister de ma plainte.
« Ses raisons n'étant pas faites pour aller jusqu'à mon coeur, j'insistai pour avoir
justice.
« Plus de cinq mois s'étaient écoulés depuis la mort de mon fils, et je ne recevais
aucune nouvelle du conseil de guerre lorsque, le 27 octobre, dans la nuit, à sept
heures du soir, je reçois l'ordre de comparaître, le lendemain 28, à neuf heures et
demie, du matin.
« Je me hâtai de me rendre auprès de mes avocats : ils se tinrent prêts pour
m'accompagner au conseil de guerre.
« Les pièces de la procédure ne leur avaient pas été communiquées (1), et sur
plus de trente témoins qui devaient être entendus à charge, on n'en avait assigné
que six.
[(1) A peine ont-ils eu un quart d'heure pour les parcourir.]
« Je demandai un délai devant le conseil de guerre, pour qu'il fût permis à mes
conseils de prendre communication des pièces, et d'assigner les témoins absens.
Le conseil de guerre m'a refusé tout délai.
« Quelques témoins ont été entendus.
« Mes conseils ont voulu prendre part aux débats : on s'y est opposé. Les
camarades d'Imbert, qui accusaient mon fils d'avoir proféré un cri séditieux, n'ont
été interpellés ni par le rapporteur ni par mes avocats.
« Le rapporteur, M. Viotti, a déserté l'accusation : il s'est prononcé pour l'accusé.
« Mes conseils ont alors voulu donner des développemens à ma plainte. Le
capitaine faisant les fonctions de procureur du roi, le commandant rapporteur,
l'avocat de l'accusé, s'y sont tous opposés. Le conseil de guerre, après
délibération, a cru devoir accueillir leur opposition.
« Après le discours du commandant rapporteur, qui a conclu en faveur de l'accusé,
et la plaidoirie de l'avocat de cet accusé, le conseil a délibéré pendant quinze
minutes. Le président a déclaré avoir ainsi posé la question : Imbert est-il coupable
ou non ? Non, à l'unanimité. En conséquence, Imbert est renvoyé à son régiment
pour y continuer son service.
« Voilà ce qui s'est passé, voilà comme justice m'a été rendue : ma lettre ne
contient que la vérité, et cependant on m'annonce qu'il se pourrait qu'un pouvoir
s'opposât à sa publication.
« Tous ces faits me confondent. Mon fils ! mon fils ! je voudrais être près de toi.
« Signé, LALLEMAND.
Paris, ce 29 octobre 1820. »
La censure interdit la publication de cette lettre, comme de tout autre récit.
J'entends déjà ce qu'on me reproche. On me blâme de rappeler encore un fait
déplorable. On dit que j'excite les passions, que je réveille de tristes souvenirs,
qu'il faut laisser les morts à la tombe, et couvrir d'un voile le passé.
Je proteste de toutes mes forces contre ce système d'oubli, lâche et impuissant
compagnon du système de silence. Ne dirait-on pas, en vérité, que la nature
humaine est si peu faible, si peu légère, qu'elle a besoin d'être exhortée à oublier ?
Quoi ! nous cheminons tous, d'un pas tranquille, sur ces places où le sang a si
long-temps ruisselé sous nos yeux ; les crimes et les maux dont tant de destinées,
tant de coeurs sont encore brisés, sont déjà pour nous de l'histoire, et vous vous
plaignez qu'on n'oublie point assez ! Vous demandez aux sentimens, de
disparaître encore plus vite, à l'expérience d'effacer plus tôt ses leçons, à l'esprit
de l'homme d'être encore moins sérieux, moins ferme, moins capable d'énergie et
de constance ! Et pourquoi ? vous nous parlez de haines à étouffer, de
dissensions à éteindre, de paix publique à rétablir. Vous vous abusez ; ce n'est
point là votre vrai motif. Vous vivez vous-même de souvenirs ; il en est qui font
votre force et que vous n'avez garde de repousser. Mais il en est aussi qui vous
gênent, et peut-être vous accusent. C'est à ceux-là, et à ceux-là seuls que vous en
voulez. Votre prétention est de mutiler le passé, de tronquer notre mémoire, d'en
enlever ce qui vous importune, d'y maintenir ce qui vous sert.
Nous n'accepterons point de tels conseils. Point de privilège en fait de souvenirs ;
qu'ils vivent tous pour l'instruction des gouvernemens et des peuples ; que le
passé nous raconte toutes ses fautes et tous ses malheurs. Le temps n'est que
trop prompt à en affaiblir la puissance ; le coeur humain n'est que trop, porté à se
décharger de ce qui lui pèse. Ne venez pas énerver encore son peu de sagesse et
de vertu ; laissez-le se souvenir quand il se souvient ; il s'en lassera assez vite ; il
oubliera assez facilement et les erreurs, et les injustices, et les maux qui devraient
l'instruire. Quel est aujourd'hui notre plus pressant besoin ? C'est de savoir que
l'iniquité est partout l'iniquité, la douleur partout la douleur, que les crimes d'un parti
appellent les crimes d'un autre parti, et que, dans tous les partis, les crimes sont
des crimes. Permettez-nous de maudire ceux qui ont été commis, au nom d'une
cause ; nous maudissons en même temps ceux qu'a fait commettre l'autre. Ne
contestez pas à la mémoire tout son domaine et à l'expérience son impartialité.
Vos efforts sont vains ; les hommes n'oublient point ce qui les a fait souffrir ; qu'en
le condamnant, ils condamnent aussi ce qu'ont souffert d'autres hommes. En dépit
de l'esprit de parti, un tel jugement, souvent répété, produit tôt ou tard son effet ;
tôt ou tard il apprend à tous que la justice est l'intérêt comme le droit de tous ; et
quel que soit le dernier vainqueur, s'il a eu souvent à réclamer l'équité, il est moins
inique dans sa victoire.
Je rappelle la mort du jeune Lallemand, parce que le silence imposé sur la
procédure est une des plus tristes preuves de cet asservissement de la justice à la
politique qui offense tous les droits et détruit toutes les garanties. La publicité des
débats judiciaires a bien moins pour objet de faire siéger les juges en présence de
quelques hommes, que de mettre la conduite des procès et les jugemens eux-
mêmes sous les yeux de tous les citoyens. C'est par-là qu'on apprend si les
formes ont été respectées ou violées, si le voeu des lois a été rempli, quel esprit a
présidé aux débats, sur quelles preuves a eu lieu la condamnation ou
l'acquittement. Par-là, la société s'inquiète ou se rassure ; par-là, le goût et la
science de la justice se répandent, et le public s'instruit dans ce qui touche de plus
près à ses intérêts les plus chers. Il n'est pas un homme éclairé qui ne sache que
là peut-être est le lien le plus intime qui puisse unir le peuple à son gouvernement,
car de là seulement peuvent naître, ce respect de la loi, cette confiance dans les
magistrats, cette habitude de comprendre la justice et d'y croire, et tous ces
sentimens dont l'absence laisse le pouvoir sans racine, sans appui, isolé et flottant
au-dessus de la société qu'il contient par la force, mais qu'il ne possède point.
L'Angleterre aussi était très-agitée en 1794 ; des fermens destructeurs y
pénétraient ; on la disait couverte de conspirations ; des lois d'exception avaient
été jugées nécessaires ; qu'elles le fussent ou non, elles avaient aliéné beaucoup
de bons citoyens. Horne-Tooke et Hardy furent poursuivis comme les principaux
auteurs des troubles et coupables de haute trahison ; leur procès eut lieu avec
toute la solennité, toute l'indépendance, toute la modération qui caractérisent les
institutions judiciaires de ce pays. M. Pitt lui-même fut entendu comme témoin ; les
accusés furent acquittés ; et maintenant il est reconnu que ce jugement, alors
considéré comme un grand échec pour le ministère, détruisit beaucoup de
préventions publiques, ramena de la confiance, fit sentir aux hommes influens tout
le prix d'un ordre de choses qui donnait de telles garanties, les porta à se tenir en
garde contre les périls qui pouvaient le menacer, et raffermit ainsi le pouvoir
ébranlé. N'est-ce donc rien que de tels effets, et M. Pitt eût-il agi sagement en
attaquant la publicité des débats qui pouvaient les produire ?
Et qu'ai-je besoin d'aller chercher des exemples hors de mon pays ? Rendez
grâces vous-mêmes à l'imparfaite publicité du procès des troubles de juin, et du
jugement qui l'a terminé. Que fût-il advenu si un jugement de condamnation, seul
publié, eût suivi des débats tenus secrets ? Beaucoup de gens auraient eu peur,
grand'peur ; mais ceux que n'eût pas saisis la peur, qu'auraient-ils pensé ?
qu'auraient-ils dit ? Je l'ignore : ce que je sais bien, c'est que le pouvoir n'eût rien
gagné aux sentimens qui auraient pu s'amasser. Au lieu de ce redoutable résultat,
la publicité de la procédure et le jugement ont affaibli plus d'une crainte et donné
lieu d'espérer que toutes les garanties n'étaient pas perdues.
Espoir fondé en effet si les interprètes de la justice, de quelque ordre qu'ils soient,
reconnaissent le danger de la situation où on veut les placer, et repoussent les
envahissemens de la politique qui les presse. De là dépend en grande partie notre
destinée. J'ai exposé les symptômes du mal. J'ai établi leur constante relation avec
les vices d'une politique égarée, inhabile à remplir sa tâche comme à user de sa
force, et qui cherche du secours dans la justice, au risque certain de la corrompre
en la touchant. Je n'ai garde de prétendre indiquer au pouvoir judiciaire ses
devoirs, qui sont ses moyens de résistance. A lui seul il appartient de les apprécier
en chaque occasion, et de s'en armer comme d'un bouclier. Mais puisque j'ai
essayé de faire voir comment de prétendus complots étaient amenés à tort devant
les tribunaux, et s'y trahissaient par le système de l'accusation ou la marche de la
procédure, qu'il me soit permis de rechercher quels sont les caractères légaux du
complot véritable, quels élémens doivent constituer le fait pour qu'il tombe sous
l'empire de la loi, à quelle limite enfin ce que la politique appelle une conspiration
devient ce que la justice a droit de qualifier de complot.
CHAPITRE VIII.
Du complot dans le sens légal.
Le code pénal porte (art. 89) : « Il y a € complot dès que la résolution d'agir est
concertée et arrêtée entre deux conspirateurs ou un plus grand nombre, quoiqu'il
n'y ait pas eu d'attentat. »
Je ne discuterai point d'abord les termes de cette définition pour en fixer d'avance
le sens rigoureux qui est le seul légal. Essayé isolément et en lui-même, ce travail
serait vague et peu concluant. J'aime mieux y arriver par l'examen des faits.
J'espère découvrir, d'une façon pour ainsi dire historique, la limite à laquelle l'acte
ou le série d'actes dont la politique redoute une conspiration, devient effectivement
le complot que la loi définit.
J'ai déjà indiqué dans quelle progression se succèdent les dispositions publiques
et dangereuses d'où le complot peut sortir, et où la politique est souvent disposée
à le voir avant qu'il en soit sorti. J'ai désigné les indifférens, les mécontens, les
interprètes habituels des mécontens, les ennemis.
Comment procèdent ces dispositions ? quels sont leurs effets et leurs caractères
extérieurs dans les divers degrés de leur développement ?
La politique s'inquiète trop peu de l'indifférence. Je ne connais pas de disposition
plus significative et plus alarmante. Le mécontentement, l'hostilité sont de tous les
pays et de tous les temps. Quelle époque n'en a offert aucune trace ? quel
gouvernement n'a eu à les redouter quelque part ? Leur présence n'atteste point,
d'une manière générale, la mauvaise conduite du pouvoir, le mauvais état de la
société. Mais l'indifférence est un symptôme beaucoup plus grave ; quand elle
existe, elle est nécessairement une disposition commune et étendue ; car, n'ayant
rien d'actif, c'est seulement par un certain degré de généralité qu'elle peut se
manifester. Elle prouve alors que la société et le pouvoir ne vivent point ensemble ;
que le même sang ne circule pas dans leurs veines ; que le même principe, le
même intérêt ne les poussent point dans une même route où ils se rencontrent à
chaque pas, se reconnaissent et s'unissent en chaque occasion.
Quoi de plus fatal au pouvoir que l'isolement où le laisse une telle disposition d'une
grande partie du public ? La conscience du péril le gagne bientôt à son insu ; mais
il ne le rapporte point à sa vraie cause. Il se sent faible quoique armé de toutes
pièces ; il s'en étonne, et se croit entouré d'ennemis, parce qu'il est seul.
De leur côté, les indifférens ne s'associent point aux inquiétudes du pouvoir ; ils
assistent à sa destinée, soigneux seulement de se tenir en dehors. S'il s'agite, ils
s'écartent de lui ; s'il a peur, ils ne font rien pour le rassurer ; si quelque bruit vague
d'un danger plus réel se répand, ils évitent de s'en informer, d'en approfondir la
gravité, d'en prévoir de loin les effets. Que faudrait-il faire ? instruire l'autorité, lui
prêter secours, s'engager ainsi dans sa cause ? C'est précisément ce dont ils se
soucient peu. Que l'autorité recherche elle-même, qu'elle sache, qu'elle se défende
; c'est son affaire ; rien ne les porte à y voir la leur, et ils ne veulent pas être
compromis.
Cependant ils peuvent être atteints. Le pouvoir inquiet peut prendre des mesures
incommodes même à ceux qu'elles ne touchent point. Que de citoyens qui n'auront
jamais rien à démêler avec les lois d'exception et, à qui néanmoins elles déplaisent
! L'indifférence demande au moins le repos ; une agitation à laquelle elle ne
s'intéresse pas la gêne et lui pèse. Elle est fatiguée des anxiétés et des
précautions continuelles de ce pouvoir dont elle cherche à se séparer. Elle arrive
bientôt à se résigner sans effort aux dangers qui le menacent, aux coups qu'on
pourra lui porter. Peut-être sera-t-elle ainsi délivrée de ce trouble importun que lui
causent les débats de cette destinée étrangère.
Je n'examine pas ce qu'il y a d'erreur ou de tort dans une telle disposition, ni
jusqu'à quel point les citoyens, toujours inévitablement enveloppés dans le sort de
leur pays, se trompent et se nuisent à eux-mêmes en s'isolant de la sphère où il se
décide. Je ne veux que décrire les symptômes de l'indifférence, et ses effets dans
les relations de la société avec le pouvoir.
Il n'y a là certainement ni rébellion ni complot. Cependant on aperçoit déjà
comment, dans des temps orageux, le gouvernement pourra s'y tromper et voir,
dans l'indifférence seule, sinon de la complicité, du moins une malveillance
coupable. Le pouvoir qui ne se sent pas sûr est dans un état d'érétisme presque
continuel ; la moindre atteinte, le moindre péril excitent toutes ses passions avec
toutes ses craintes, et il s'indigne aisément contre ceux qui ne se montrent ni
craintifs, ni passionnés comme lui. C'est là le principe le plus fécond de l'injustice
et de la tyrannie : notre révolution en est la preuve. Des hommes pour qui tout était
en question, même la vie, ne pouvaient souffrir que tout ne fût pas en question
pour le public comme pour eux. Ils étaient possédés du besoin d'attirer les autres
dans cette atmosphère brûlante, toujours près de les consumer eux-mêmes, De là
ces absurdes mots d'indifférentisme, de modérantisme dont ils ne tardèrent pas à
faire des crimes. Quand le pouvoir en est là, l'indifférence devient à ses yeux de la
trahison.
Que pensera-t-il du mécontentement ? que verra-t-il dans les symptômes qui le
révèlent ? ils ont quelque chose de plus actif et de plus direct. Des mécontens ne
se bornent pas à regarder froidement passer le pouvoir ; ils épient dans ses actes
et dans les événemens, tout ce qui peut nourrir leur humeur ou leurs craintes. Il y a
pour eux une intention dans chaque parole, un piége dans chaque mouvement. Ils
ne forment point de desseins, ils n'ont pas même des désirs complets et arrêtés. Si
l'avenir s'ouvrait devant leur vue, et leur dévoilait toutes les chances, tous les maux
qui peuvent accompagner la chute de ce pouvoir qu'ils redoutent, la plupart d'entre
eux reculeraient avec effroi ; mais dans l'imprévoyance de notre nature, loin d'y
travailler, ils n'y songent même pas, ils ne portent pas si loin leur pensée ; ils
accueillent chaque jour les insinuations, les bruits qui répondent à leur penchant ;
ils les propagent ensuite, ne fût-ce que pour justifier aux yeux des autres le
mécontentement qui est en eux. Ils arrivent bientôt à former dans l'état comme une
classe distincte dont les membres, même sans se communiquer, reçoivent les
mêmes impressions, parlent le même langage, agissent dans le même sens, et
offrent ainsi les apparences de l'intelligence et du concert.
L'indifférence isole les citoyens du pouvoir ; le mécontentement vient après, et
groupe entre eux, qu'ils le sachent ou non, ceux qui en sont saisis.
Tout groupe d'hommes a besoin de chefs ; tout intérêt plus ou moins général veut
des interprètes. Le mécontentement en trouve. J'ai déjà dit quelles étaient, par la
seule force des choses, la conduite, l'attitude, la langue habituelle des hommes en
qui s'opère cette personnification de certaines idées, de certains sentimens. Ce
sont des avocats qui plaident toujours la même cause, et une cause qui se
reproduit toujours. En conclura-t-on qu'ils conspirent contre le pouvoir auprès
duquel il font toujours valoir les mêmes intérêts et portent toujours les mêmes
plaintes ? Mais devant les tribunaux, le ministère public plaide toujours contre les
accusés ; s'ensuit-il qu'il conspire contre la justice ? Il y a des juges pour démêler
et décider qui a droit : de même il y a un gouvernement pour reconnaître si le
mécontentement a des causes légitimes ou seulement naturelles, et pour y porter
remède. Le pouvoir a autre chose à faire qu'à se défendre de l'opposition ; il est
institué à charge de se juger lui-même, et de se réformer, si l'opposition a raison
contre lui. C'est à lui à savoir ce qui fait des mécontens, ce qui les échauffe et les
accrédite ; c'est à lui à empêcher que l'indifférence ne se propage, que le
mécontentement ne succède à l'indifférence, et l'inimitié au mécontentement.
Mais quand il s'est trompé sur les causes de ces dispositions, il se trompe aussi
sur leurs caractères ; il leur attribue une portée qu'elles n'ont point. Dans
l'indifférence il a vu une malveillance positive ; il verra dans le mécontentement
une inimitié déclarée. Cette similitude d'impressions qui existe chez les mécontens,
cette rapidité avec laquelle ils s'unissent spontanément dans les mêmes alarmes,
les mêmes démarches, les mêmes discours, et l'espèce d'unité que prennent leurs
intérêts dans la bouche de quelques hommes toujours chargés de les défendre,
tout induit le pouvoir à supposer dans cet ensemble quelque dessein plus
déterminé et plus profond. Ce qui est le résultat d'une disposition générale, devient
à ses yeux l'intention de volontés individuelles. Dans un effet il voit une cause ;
dans une habitude commune il croit reconnaître un complot.
Cependant le complot est fort loin encore. Le mécontentement n'est pas la
disposition qui y touche de plus près. Il faut que le pouvoir se résigne à rencontrer
au delà l'inimitié. Elle est inévitable après de longues révolutions et les chutes
successives de gouvernemens divers. Mais tandis que les dispositions
précédentes ont toujours un certain caractère de généralité, celle-ci est
communément individuelle. Elle dérive d'intérêts personnels rudement froissés et à
qui la chute du pouvoir offre seule de grandes espérances. De là ces existences
douloureuses qui ne peuvent trouver place dans l'ordre établi, ces désirs inquiets
qui ont besoin du renversement, cette attente agitée qui se répand en propos
hostiles, accueille tout ce qui la flatte, et semble croire que tout sera fini, arrangé,
satisfait, dès que, par une voie quelconque, le but auquel elle aspire pourra être
atteint. On ne m'accusera pas de rien affaiblir ; je ne veux point taire les dangers
du pouvoir, ni en dissimuler les sources ou les symptômes. Cependant, qui oserait
dire que l'inimitié conduit nécessairement au complot, et qu'à tout ennemi il ne faut
que l'occasion pour devenir un conspirateur ? Les hommes, surtout de nos jours,
ne hasardent pas si aisément leur sûreté et leur vie. Des temps ont été où la
rudesse des moeurs, l'âpreté des sentimens, la monotonie de l'existence, les
cruautés de la politique ne laissaient en quelque sorte qu'un pas à faire de l'inimitié
au complot, et poussaient les individus à le franchir. Maintenant la vie est facile, les
moeurs sont douces ; l'état de la société offre aux hommes qui ont beaucoup
perdu mille moyens de dédommagement et d'oubli. Le pouvoir, même le plus
soupçonneux, ne les poursuit point avec l'acharnement qu'il déployait jadis. Je sais
tel siècle où il était en effet très-difficile d'être ennemi et de ne pas conspirer ;
maintenant cela se peut, cela se voit, et il n'est personne qui, en y regardant de
près, ne puisse acquérir bientôt la conviction que tel individu dont les désirs ne
sont pas douteux, dont l'inimitié est évidente, ne deviendra jamais un conspirateur.
Il faut donc, pour qu'il y ait complot, d'autres actes, d'autres indices que ceux qui
résultent naturellement des dispositions que je viens de parcourir. Je les ai suivies
dans leur progression ; je n'ai atténué ni les périls qu'elles contiennent, ni les
symptômes qui les révèlent. On a vu les périls s'étendre et les symptômes
s'aggraver successivement. Cependant le complot n'est point encore là. En vain
s'efforcerait-on de l'y saisir. On voit seulement comment l'autorité peut s'y
méprendre et d'où provient son erreur.
« Il y a complot, dit la loi, dès que la résolution d'agir est concertée et arrêtée entre
deux conspirateurs ou un plus grand nombre, quoiqu'il n'y ait pas eu d'attentat. »
Certes la loi est sévère, car elle trouve le complot avant qu'aucun acte extérieur ou
matériel, aucun commencement d'exécution, aucun attentat vienne le lui révéler.
Elle le saisit dans la pensée, dans la volonté des conspirateurs. C'est un fait qu'elle
découvre et incrimine avant qu'il ait revêtu un corps, quand il n'a encore, pour ainsi
dire, qu'une réalité intellectuelle.
C'est, on en conviendra, prendre le complot à la moindre distance possible des
mauvaises dispositions dont je viens de parler, aussi près de l'inimitié que cela se
peut concevoir.
Cependant la loi veut beaucoup plus que l'inimitié ; elle exige, pour qu'il y ait
complot, d'autres indices, d'autres élémens. Ce sont ces additions qu'il importe de
constater, car elles sont la définition même du crime ; elles déterminent à quel
moment le pouvoir judiciaire peut s'emparer du fait.
1š La loi suppose qu'il y ait résolution d'agir. La résolution suppose un but
déterminé, et ce but doit être l'un des crimes prévus dans les sections 2 et 3 (chap.
1, tit. 1, liv. 3) du code pénal. Il ne suffit point que l'intention ait été manifestée, il
faut que la résolution ait été prise. Ainsi la preuve du premier de ces deux faits ne
prouve point le complot. Il n'existe que par la preuve du second.
2š La résolution elle-même n'est point assez. La loi exige qu'elle ait été d'abord
concertée, ensuite arrêtée entre les prévenus. Le concert entre plusieurs
personnes, dans un but déterminé, suppose évidemment quelque chose de plus
que la connaissance de ce but et un assentiment plus ou moins vague, plus ou
moins léger, donné à la proposition. Un tel assentiment peut être un délit, un crime
même ; à lui seul il ne constitue pas encore le complot. S'il s'agissait d'un acte de
la vie civile, croirait-on qu'une proposition à laquelle plusieurs personnes auraient
prêté l'oreille dût passer pour une résolution concertée ? La loi criminelle n'est pas
moins rigoureuse dans son langage ; et certes il n'est pas plus permis d'assouplir
ou d'étendre les dispositions qui décident de la vie des hommes, que celles qui
statuent sur leurs biens.
3š Enfin, la résolution d'agir, même concertée, n'est pas encore le complot ; il faut
qu'elle ait été arrêtée, c'est-à-dire, que la volonté soit fixe, complète, le crime
consommé aux yeux de la morale, et qu'il ne. reste plus qu'à en entamer
l'exécution.
Ainsi, résolution d'agir dans chaque prévenu, concert entre eux, détermination
définitive de chacun dans la résolution débattue et prise de concert, tels sont les
trois caractères auxquels la loi reconnaît le crime, les trois élémens qu'elle ajoute à
la manifestation de l'intention la plus malveillante, les trois pas qu'elle lui impose au
delà de l'inimitié. Quand ces pas ont été faits, alors seulement le complot est
formé, alors seulement le fait entre dans la définition de la loi.
Je ne cherche point à éluder le crime ; je ne souhaite point qu'il soit méconnu, ni
qu'il échappe à son juste châtiment. Je souhaite seulement que le crime soit réel,
le châtiment juste. Les lois sont faites pour être appliquées, et appliquées
seulement aux cas pour lesquels elles sont faites.
C'est au pouvoir judiciaire qu'il appartient de maintenir cette application de la loi
dans ses limites légitimes. C'est à lui qu'est confié le soin de prévenir l'effet de
cette fatale méprise qui porte d'autres pouvoirs à les méconnaître, et à poursuivre
comme complot, des actes où se décèlent des dispositions, des intentions,
dangereuses sans doute, mais contre lesquelles des remèdes d'une autre nature
sont seuls efficaces et légaux. En veillant ainsi à la porte des lois, le pouvoir
judiciaire ne défend pas seulement les citoyens, il se défend lui-même ; il protège
son propre domaine, il repousse cette invasion de la justice par la politique, dans
laquelle la justice a tout à perdre et où la politique n'a rien à gagner. Une vieille
expérience l'a prouvé., Pourquoi faut-il que la politique qui réclame si souvent
l'autorité de l'expérience, oublie si souvent elle-même d'en tenir compte ?
CHAPITRE IX.
Que si la mauvaise politique corrompt la justice, la justice est une bonne politique.
« J'ai considéré, dit l'Ecclesiaste, les divers genres de travail, et les différens
genres d'industrie, et j'ai vu que tout cela est vanité et tourment d'esprit... J'ai vu
que la sagesse a autant d'avantages sur la folie que la lumière sur les ténèbres...
et j'ai reconnu que tout ce discours devait finir par ceci : Crains Dieu et observe sa
loi. »
Que la politique s'épargne le dédain et retienne son sourire ; je ne viens point lui
interdire la science du bien et du mal, ni lui en reprocher 1'usage. Il faut accepter,
pour les gouvernemens comme pour les peuples, l'imperfection de la condition
humaine et les nécessités qu'elle fait peser sur eux. Il y a de l'erreur comme de
l'injustice à leur demander de répondre à tout par la raison, de suffire à tout par la
vertu. Leur tâche est difficile ; que leur influence habituelle soit salutaire, que leur
conduite générale tende au bien ; nous n'avons pas droit d'espérer ni de prétendre
davantage.
Mais serait-il donc défendu de reconnaître qu'il est des temps où la justice est une
habileté savante et la morale une force utile ? Je n'exige point qu'on fasse violence
aux faits, ni que l'intérêt du pouvoir soit compromis. Je désire seulement que
l'inhabileté, la légèreté, la passion ne se croient pas dispensées de ce qui est
juste, quand ce qui est juste est à la fois profitable.
Depuis trente ans l'injustice et la force ne se sont pas épargnées sur notre terre.
Elles l'ont possédée à leur aise et exploitée à leur gré. Je ne sache pas que cela
leur ait réussi, et nous savons ce qu'il nous en a coûté.
La situation du gouvernement du roi est singulière. Son rétablissement n'a été
l'ouvrage d'aucun parti. La révolution s'en est alarmée. La contre-révolution n'en a
pas été satisfaite. La restauration s'unissant à la charte, a entrepris de gouverner à
la fois, selon la raison et l'équité, deux puissances qui n'avaient cessé de se faire
la guerre.
Ce fait a des conséquences infinies et qui embrassent toute la politique. Je ne les
exposerai point. Mais il en est une qui se présente d'abord et les domine toutes. Le
gouvernement du roi, par la position où il s'est trouvé placé, et qu'il a acceptée en
donnant la charte, s'est imposé la justice en toutes choses, et envers tous les
citoyens.
Quand le pouvoir est l'enfant de la force, quand il s'élève et se soutient par la main
d'un parti, il est l'instrument du parti qui le prend pour chef. Il épouse ses intérêts,
ses passions, ses préjugés. Il se donne à une portion de la société et se charge de
la servir.
Tels n'ont pas été les engagemens de la restauration. Personne ne l'a faite ; elle
ne s'est donnée à personne ; elle a promis d'appartenir. aux besoins généraux de
la société, à ces intérêts naturels et légitimes qui sont le droit et la cause de tous.
Ainsi, ce que d'autres gouvernemens n'étaient pas à leur origine, ce qu'ils n'ont pu
devenir que par le laps du temps et après de longues douleurs, la restauration a dû
l'être, s'est engagée à l'être dès ses premiers jours.
Ceci n'est point de la morale. La force des choses a voué, à cette situation, le
gouvernement du roi : le fait s'est passé ainsi.
En oubliant ce fait, en épousant un parti, en se considérant comme le chef exclusif
de certains intérêts, de certaines passions, notre gouvernement fait donc toute
autre chose que ce qu'ont fait ailleurs des gouvernemens placés, dès l'abord, dans
une position différente. Ceux-ci ont marché selon leur impulsion primitive. En les
imitant chez nous, le pouvoir quitte son premier terrain, abandonne la route où sa
destinée l'avait fait entrer, et se livre à une impulsion non seulement nouvelle, mais
contraire.
Je sais de quoi on va s'armer. On cherchera, dans ce que j'ai pu dire ailleurs, des
idées, des paroles qu'on essaiera de mettre en contradiction avec ce que je dis
aujourd'hui. On me reprochera d'avoir aussi parlé de partis irréconciliables,
d'intérêts distincts et ennemis. On me demandera de quel droit je réclame la
justice, après avoir proclamé la guerre.
Misérable subterfuge qui accuse l'intelligence ou la bonne foi de ceux qui
tenteraient de s'en servir !
Oui, il y a eu, il y a encore en France, une véritable lutte d'intérêts distincts et
opposés. Oui, la charte est intervenue dans cette lutte pour proclamer et
consommer une victoire. Je n'ai rien à rétracter, je ne rétracte rien des
conséquences que ce grand fait m'a paru contenir.
Mais, que contient la charte elle-même ? En consacrant le passé, a-t-elle proscrit
quelqu'un dans l'avenir ? En assurant la liberté du culte aux protestans, l'a-t-elle
retirée aux catholiques ? A-t-elle, comme cela c'est vu en Angleterre, interdit
certains droits à certaines classes de citoyens, au moment où elle les confirmait
pour d'autres ? En garantissant les ventes de biens nationaux, a-t-elle prononcé
des confiscations nouvelles ? Elle a aboli toute confiscation. C'est le caractère et
l'honneur de la charte qu'en accomplissant, d'une part, la victoire, elle fonde, de
l'autre, l'égalité, c'est-à-dire, la justice, pour les vaincus comme pour les
vainqueurs. Séparez-vous du passé ; prenez la charte comme le point de départ
d'une société nouvelle, qui aura à s'en plaindre ? Qui viendra se dire maltraité,
opprimé, exclu ? De même que que la restauration n'a été l'oeuvre de personne,
de même la charte s'est offerte et s'offre sans cesse à tous. Elle, n'est point la fille
de la force, mais celle de la sagesse qui, démêlant tout ce que la révolution a eu
de légitime et d'irrévocable, l'a reconnu et adopté comme le véritable intérêt de
tous, comme le besoin général de la société.
Que si maintenant il est est des intérêts qui ne veuillent pas accepter ce que la
charte a déclaré juste et nécessaire, qui, après la défaite, ne se contentent pas de
l'égalité, il faut bien que la charte se défende, et qu'elle se défende avec le secours
des intérêts qui ne lui demandent que de maintenir son ouvrage, à qui l'égalité
suffit, après la victoire. Mais alors encore c'est la justice, ce sont les besoins
généraux de la société que la charte protège et défend ; elle est fidèle à sa parole ;
elle accomplit sa mission.
Qu'on ne se prévale donc point des formes que prend la politique obligée de
repousser les efforts de ceux qui ne veulent pas la justice ; qu'on n'y cherche point
des prétextes pour dire que nous aussi, nous voulons le triomphe exclusif et le
gouvernement d'un parti. L'arrêt de la charte sur le passé est non-seulement sage,
il est juste : à tous ceux qui l'acceptent, elle garantit le même avenir. Et quand
nous disons que le charte elle-même ne peut être garantie que par son alliance
avec les forces qui acceptent également le passé qu'elle a clos, et l'avenir qu'elle
promet, c'est la justice et toujours la justice que nous soutenons, qu'il s'agisse
d'intérêts généraux ou de droits individuels, des rapports du pouvoir avec les
masses ou de ceux des individus avec le pouvoir, de politique à suivre, ou de
justice à rendre, nous professons les mêmes principes, nous parlons le même
langage, c'est partout la justice que nous, réclamons.
Le moyen le plus sûr de hâter ses progrès dans la politique générale, c'est de la
pratiquer avec rigueur à l'égard des droits individuels et devant les tribunaux. Rien
ne corrompt l'esprit des peuples comme une administration partiale de la justice
criminelle. Rien n'échauffe les passions et les haines de parti comme le spectacle
de l'iniquité dans les procédures et les jugemens. Voulez-vous que les citoyens
s'accoutument à respecter réciproquement leurs intérêts et leurs droits ? qu'ils
aient sous les yeux un exemple continuel de ce respect dans le sanctuaire où tous
les droits et tous les intérêts viennent chaque jour aboutir ? Là tout est réel, vivant,
facile à saisir ; là, il ne s'agit point de prononcer sur des questions immenses, et
d'après des considérations plus ou moins vagues et compliquées. Que tous les
hommes de toutes les classes, de toutes les opinions, arrivés là, n'y rencontrent
que la loi et l'équité ; le public prendra l'habitude de penser que toutes choses
doivent être réglée selon l'équité et la loi. S'il est un lieu où les préventions
politiques n'aient aucun crédit, où l'esprit de parti ne soit rien, l'esprit de parti et les
préventions politiques se discréditeront, s'affaibliront aussi ailleurs. La société ne
demande pas mieux que d'avoir un refuge et une espérance ; elle n'affronte pas le
chaos par plaisir et le naufrage de gaîté de coeur. Donnez à la justice un point
d'appui sûr, et elle marchera de là à la conquête de toutes choses, du
gouvernement comme de l'esprit public.
Il est temps, ce me semble, d'en essayer, car on a essayé de tout, excepté de ceci.
La politique est pleine de craintes et se consume en efforts ; elle tremble peut-être
de se voir bientôt au bout de sa science. Qu'elle en apprenne une autre ; qu'elle
tente les voies de l'impartialité, de la vérité ; qu'elle laisse là les faits généraux, les
agens provocateurs, les poursuites imprudentes, et tant de pénibles combinaisons
qui ne la tirent d'embarras aujourd'hui que pour la compromettre demain. Ce n'est
pas de la vertu que je lui demande, c'est un peu de prévoyance. Elle essuie des
fatigues qu'elle pourrait s'épargner ; elle court des hasards dont elle peut
s'affranchir. Elle rencontre des obstacles ; qui en doute ? Elle a des ennemis ;
qu'elle les combatte. Mais en envahissant la justice, elle va chercher, sur un terrain
où rien ne l'appelle, des obstacles nouveaux ; elle excite le mécontentement et les
alarmes d'une foule d'hommes qui ne sont point ses ennemis. Grâces au ciel, il
nous reste encore assez de publicité pour que de tels abus n'échappent point à
notre vue ; et non-seulement ils se font voir, mais ils révèlent d'autres abus,
d'autres erreurs dont ils font plus vivement sentir la gravité. Un tel mal ne se
manifeste point sans accuser le système qui le produit. Il n'est jamais isolé ; il ne
peut jamais l'être, et il est maintenant aussi impossible d'en méconnaître le
principe que d'en mesurer toutes les conséquences. Si le principe continue d'agir,
le mal se perpétuera, et ses conséquences se développeront. Que la Providence
en préserve la France et la monarchie !
FIN
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OUVRAGES DU MEME AUTEUR.
DU GOUVERNEMENT DE LA FRANCE ET DU MINISTERE ACTUEL, 4e édition,
augmentée d'un Avant-propos et d'une Note sur les révolutions d'Espagne, de
Naples et de Portugal.
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Le supplément aux DEUX PREMIERES EDITIONS de cet ouvrage, composé d'un
AVANT-PROPOS ET DE NOTES SUR LES RÉVOLUTIONS D'ESPAGNE, DE
NAPLES ET DE PORTUGAL, forme près de 5 feuilles d'impression ; il est imprimé
de manière à pouvoir être relié avec l'ouvrage et est indispensable aux personnes
qui ont acheté les deux premières éditions. Il a été imprimé à part dans le seul but
de ne pas leur faire regretter l'empressement qu'ils ont mis à se procurer cet
important ouvrage. Il se vend séparément, 1 fr.5o c. et 1 fr.75 c. par la poste.
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nobles sentimens, obtiennent le plus brillant succès. (Voyez le Constitutionnel et le
Courrier des premiers jours de janvier.)
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DE LORD BYRON, ET ORNÉE D'UN BEAU PORTRAIT ;
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SHAKESPEARE, PAR F. GUIZOT.
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ON NE PAIE RIEN D'AVANCE.
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Prospectus
Le nom de Shakespeare commence à se naturaliser en France, et bientôt, comme
celui de Raphaël, il sera, pour nous, non-seulement la gloire d'un peuple étranger,
mais l'honneur d'une école devenue européenne. La tendance générale de notre
siècle tourne les esprits vers cette littérature à laquelle on donne improprement le
nom de romantique. Elle n'appartient point en effet aux seuls peuples dont les
langues sont dérivées de la langue dite romane ou romance; son véritable
caractère est d'être une littérature nationale qui puise ses sujets et va chercher ses
moyens d'intérêt dans les moeurs et les événemens de l'Europe moderne ; elle
retrace pour ainsi dire à chaque peuple les souvenirs de son enfance, réveille en
lui de vraies et puissantes émotions par la peinture de ses anciens jours de gloire
ou de malheur, et lui fait trouver des charmes jusque dans le tableau des
superstitions et des préjugés qui se sont mêlés à ses plus nobles sentimens, et ont
pris place parmi les causes des grands événemens de son existence.
Le goût de ce genre de littérature a pénétré plus tard en France que dans
quelques autres parties de l'Europe. Possesseurs d'une littérature moins originale,
peut-être, mais pleine d'éclat et de gloire, nous la défendions avec un orgueil
jaloux de tout ce qui semblait, prétendre, sinon à usurper sa place, du moins à
s'élever à côté d'elle. Cependant ce sentiment exclusif a dû céder à de nouvelles
circonstances. Les monumens de notre littérature classique, sans cesser d'être
admirés, visités, étudiés, ne suffisent plus au mouvement d'esprit d'un peuple qui
ne veut pas déchoir de la gloire de ses pères, et qui, pour la soutenir, par des
travaux dignes d'eux, a besoin de chercher, dans des sources plus abondantes et
plus variées, les matériaux d'une littérature capable de s'associer à ses nouvelles
destinées.
C'est du pays où règne Shakespeare que nous est venue la direction à laquelle
nous paraissons disposés à nous livrer. Les ouvrages de Lord Byron et de Sir
Walter Scott ont répandu en France le goût de la littérature dite romantique ; mais
c'est dans Shakespeare lui-même qu'il en faut chercher le caractère. Shakespeare
n'est pas seulement le peintre de ces temps que, par une bizarre confusion de
noms et de faits, on appelle indistinctement romantiques : c'est l'homme des temps
qu'il a peints. Il nous retrace, non des souvenirs puisés dans des traditions, mais le
temps lui-même qui se réfléchit tout entier dans sa poésie, dans ses admirables
beautés, dans ses singuliers défauts, presque toujours mêlés de beautés rares,
jamais dépourvus d'originalité. Sa rudesse n'est point une forme inventée à plaisir,
et qu'il ait prêtée à quelques-uns de ses personnages : c'est l'enveloppe naturelle
sous laquelle se produisaient alors certains sentimens, certains caractères. La
recherche dans laquelle il tombe si souvent n'est autre chose que l'habitude des
esprits de ce temps, aiguisés par les controverses théologiques. Sa simplicité est
celle de la nature, de la vérité de tous les siècles et de tous les pays ; mais,
comme il a pénétré dans toutes les conditions, et remué toutes les situations
sociales, la nature et la vérité se sont présentées à lui sous les formes qu'elles
prenaient dans les temps voisins de celui où il a vécu : c'est la vie telle qu'elle se
passait alors qu'il nous a représentée ; et, Shakespeare est historique en même
temps que poétique ; sa lecture est une source d'instruction en même temps que
de plaisir : mérite puissant pour le recommander à une génération studieuse et
avide de connaître.
Le Tourneur avait, depuis long-temps, fait passer Shakespeare dans notre langue ;
mais sa traduction, faite dans des habitudes littéraires absolument différentes de
celles de Shakespeare, semble s'être appliquée à le déguiser plutôt qu'à le
reproduire ; et par-là, elle peut également avoir assez bien convenu au temps pour
lequel elle a été faite, et se trouver insuffisante pour le nôtre. En le publiant de
nouveau, nous avons cru nécessaire de lui rendre ce qui lui manque, c'est-dire, le
caractère propre et original de Shakespeare, défiguré trop souvent par les formes
du style, quelquefois même par des infidélités ou des omissions. Nous n'avons pas
cru pouvoir mieux confier une partie du travail qu'au traducteur de lord Byron. M.
Guizot a bien voulu se charger de revoir les pièces les plus importantes, et d'y
joindre des notices historiques et critiques. Il placera également en tête de la
nouvelle édition une notice biographique et littéraire sur Shakespeare, les traits
caractéristiques de son génie, et quelques considérations générales sur l'école
dramatique dont il est le chef.
Quelques morceaux que Le Tourneur n'avait pas jugé à propos de traduire, seront
rétablis dans la nouvelle édition. Aucune des pièces qui se trouvent dans les
éditions anglaises les plus complètes et les plus soignées, bien qu'il ne soit pas
toujours certain que Shakespeare en est l'auteur, ne sera omise dans celle-ci.
Sous le rapport typographique, nous pourrons aussi facilement faire oublier
l'édition publiée par Le Tourneur : des caractères entièrement neufs, un papier
conforme à celui de notre Prospectus, et un beau portrait de Shakespeare en tête
du premier volume, rendront l'ouvrage digne de figurer dans les bibliothèques.
La première livraison formant le second volume, qui contiendra la Tempête,
Macbeth, Jules César et Coriolan, sera mise en vente avant le 1er février prochain,
et sera suivie, de mois en mois, d'une livraison nouvelle.
CONDITIONS DE SOUSCRIPTION.
Pour être Souscripteur, il suffit de se faire inscrire chez l'Editeur, ou de lui envoyer
la déclaration de souscription jointe à ce Prospectus (elle se trouve à la deuxième
page du catalogue).
Le prix de chaque volume sera de six francs, papier ordinaire, et dix-huit francs,
grand papier vélin satiné ; mais les personnes qui souscriront avant la mise en
vente du premier volume ne paieront que cinq francs le papier ordinaire, et quinze
francs le grand papier vélin satiné : cette clause est de rigueur, et sera irrévocable.
Les personnes qui voudront leur exemplaire papier ordinaire satiné, paieront 5o
centimes de plus par volume.
La Souscription ne sera fermée pour les départemens qu'au premier mars
prochain.
On souscrit à Paris :
Chez LADVOCAT, Editeur,
galerie de bois du Palais-Royal, Nš 195.
IMPRIMERIE DE FAIS.
***
EXTRAIT DU CATALOGUE DES LIVRES DE LA LIBRAIRIE DE LADVOCAT,
PALAIS-ROYAL.
OEUVRES COMPLETES DE LORD BYRON, traduites de l'anglais par A.-E. de
CHASTOPALLI ; seconde édition revue, corrigée et augmentée de plusieurs
poëmes. 3 vol. in-8š. Prix, 18 fr., et 24 fr. par la poste.
Cette édition, qui est imprimée sur beau papier, est divisée ainsi qu'il suit. Le tome
premier est orné du portrait du noble lord, très-ressemblant, et précédé d'une
notice biographique beaucoup plus détaillée que celle de l'édition in-12 ; il est
composé du CORSAIRE, LARA, PARISINA, ADIEU, OSCAR, d'ALVA, MAZEPPA.
Le tome second, CHILDE-HAROLD (les quatre chants et les notes). Le tome
troisième, MANFRED, LA VIERGE D'ABYDOS, LE PRISONNIER DE CHILLON,
DON JUAN, LES SATIRES, BEPPO, LAMENTATIONS DU TASSE, ODES A
NAPOLEON, à la LEGION D'HONNEUR et poésies diverses.
Le succèS brillant de la première édition, qui avait été faite sans luxe
typographique, fait présager que cette nouvelle édition sera accueillie avec
empressement par les amateurs des Poésies romantiques ; tous les journaux sont
d'accord sur le mérite des ouvrages de lord Byron.
ROMANS POETIQUES DE WALTER SCOTT,
8 vol. in-12 ; divisés en quatre livraisons qui paraîtront de mois en mois. La
première livraison, composée de ROKEBY et HAROLD, et la 2e de MARMION,
sont en vente.
Le succès que vient d'obtenir la traduction complète des OEUVRES DE LORD
BYRON, m'a engagé de charger de cette traduction le littérateur distingué qui nous
a fait connaître les oeuvres de ce poète original.
Le prix de chaque livraison pour les souscripteurs sera de 5 fr., et 6 fr. pour les
non-souscripteurs.
Une souscription est aussi ouverte chez le même libraire pour les romans
historiques de WALTER SCOTT. La première livraison, composée des
PURITAINS D'ECOSSE et du NAIN MYSTERIEUX ; la seconde, de ROB ROY ; la
troisième, de WAVERLEY, et la quatrième, de LABBE, sont aussi en vente.
Prix de la livraison. 10 fr. pour les souscripteurs.
PROVERBES DRAMATIQUES, par M. Gosse, auteur de la comédie Le Médisant.
Ces proverbes, au nombre de vingt, forment 2 vol. in-8š. de 4 à 500 pages chacun.
Prix : papier ordinaire, 12 fr., franc de port 15 fr. ; papier satiné, 14, et papier vélin,
24.
EMPLOI DE MA DEMI-SOLDE, ou Budget d'un sous lieutenant en expectative, par
un officier du troisième bataillon de la légion du G...
Ce petit poëme, qui est rempli d'uue foule de détails piquans et spirituels, est à la
deuxième édition. Prix, 1 fr., et 1 fr. 25 c. par la poste.
DE L'ESPRIT PUBLIC ou DE LA TOUTE PUISSANCE DE L'OPINION, par M. le
baron Guérard de Rouilly, 1 vol. in-8š. Prix : 5 fr.
Cet ouvrage, remarquable à la fois par la profondeur des pensées, la justesse des
aperçus et l'élégance du style, a retenu les suffrages des publicistes, et ceux des
littérateurs au milieu des circonstances qui le virent paraître. Ce n'était pas un
faible mérite que celui de savoir concilier les formes d'une sage modération avec
les principes d'une noble indépendance ; et c'est ce témoignage que se sont
accordés à rendre à l'auteur tous les journaux de la capitale, dans le compte
sommaire qu'ils ont publié de cette production. Voyez l'Indépendant du 1er avril
1820, le Constitutionnel du 2 du même mois, le Courrier français du 27, etc., etc.
LES FEMMES, leur condition et leur influence dans l'ordre social chez différens
peuples anciens et modernes, par le vicomte J.-A. de Ségur, avec cette épigraphe
: Les hommes font les lois, les femmes font les moeurs. 3 vol. in-12. fig. 9 fr. par la
poste, 12 fr.
Un littérateur célèbre a dit : « M. de Ségur, homme du monde et poëte aimable, qui
avait passé toute sa vie dans le cercle des femmes les plus célèbres de son
temps, fit, pour leur rendre hommage, une compilation d'un nouveau genre, car il y
mit de l'esprit, du goût et de la grâce ; elle est intitulée : LES FEMMES. Des
aperçus fins et une connaissance parfaite de son sujet lui méritèrent l'approbation
de tous les hommes de goût. »
HISTOIRE DE LA CHUTE DE L'EMPIRE DE NAPOLEON, ornée de huit plans ou
cartes, pour servir de récit aux principales batailles livrées en 1813 et 1814. Par
Eugène Labaume, chef de bataillon au corps royal d'état-major avec cette
épigraphe : Sine irâ et studio.
Prix : 12 fr. et 15 fr. franc de port.
Cette histoire, en deux volumes in-8š, formant plus de 9oo pages, présente
l'ensemble de tous les événemens politiques et militaires, survenus depuis la
retraite de Moscou jusqu'à la publication de la charte donnée par S.M. Louis XVIII.
Elle est divisée en douze livres qui portent les titres suivans : La Prusse. - Lutzen. -
Wurschen. - L'armistice. - Dresde. - Leipsick. -Le Rhin. - L'invasion. - Brienne et
Champ-Aubert. - Troyes et Bordeaux. - Paris. - La paix et la Charte.
LES TROIS MESSENIENNES, ou Elégies sur les malheurs de la France, par M.
Casimir Delavigne.
1re Messénienne. Sur la bataille de Waterloo.
2e Messénienne. Sur la dévastation des monumens français, et l'enlèvement des
tableaux du Musée.
3e Messénienne. Sur le besoin de s'unir après le départ des alliés.
Ces élégies, dont le succès augmente chaque jour, et dont tous les journaux ont
parlé avec beaucoup d'éloges, se vendent 2 fr., 2 fr. 5o c. par la poste. 4e édition,
augmentée de deux Elégies sur la vie et la mort de Jeanne d'Arc, et d'une Epître à
MM. de l'Académie française.
PIECES NOUVELLES
Qui se trouvent chez Ladvocat, libraire.
CLOVIS, tragédie en cinq actes, par M. Viennet.
Prix : 3 fr., et 3 fr. 50 c. par la poste.
LE FOLLICULAIRE, comédie en cinq actes et en vers, deuxième édition, par M.
Delaville de Mirmont.
Prix : 2 fr. 50 c., et 3 fr. par la poste.
MARIE STUART, tragédie en cinq actes, par M. Lebrun ; deuxième édition.
Prix : 3 fr., et 3 fr. 50 c. par la poste.
LES VEPRES SICILIENNES tragédie en cinq actes, par M. Casimir Delavigne ;
troisième édition.
Prix : 2 fr. 50 c., et 3 fr. par la poste.
JEANNE D'ARC, tragédie en cinq actes et vers, par M. Davrigny ; troisième
édition.
Prix : 3 fr., et 3 fr. 50 c. par la poste.
DEMETRIUS, tragédie en cinq actes, par M. Delrieu, auteur d'Artaxerce, deuxième
édition.
Prix : 3 fr., et 3 fr. 50 c. par la poste.
ALEXANDRE CHEZ APELLE, comédie en un acte et en vers, par M. Delaville de
Mirmont.
Prix : 1 fr. 50 c., et 1 fr.75 c. par la poste.
LE MARQUIS DE POMENARS, comédie en un acte et en prose, de madame
Sophie Gay, deuxième édition.
Prix : 1 fr. 50 c., et par la poste 1 fr.75 c.
L'HOMME POLI, comédie en cinq actes et en vers, par M. Merville, auteur de la
Famille Glinet.
Prix : 2 fr. 50 c., et 3 fr. par la poste.
LE FLATTEUR, comédie en cinq actes et en vers, par M. Gosse, auteur du
Médisant et des Proverbes dramatiques.
Prix : 2 fr. 50 c., et 3 fr. par la poste.
L'ARTISTE AMBITIEUX, comédie en cinq actes et en vers, par M. Théaulon.
Prix : 2 fr. 50 c., et 3 fr. par la poste.
CONRADIN ET FREDERIC, tragédie en cinq actes, par M. Liadières.
Prix : 2 fr. 50 c., et 3 fr. par la poste.
L'AMOUR ET LE PROCES, comédie en un acte et en vers, par M. Nanteuil.
Prix : 1 fr. 50 c., et 1 fr.75 c. par la poste.
Cette petite comédie se recommande par la facilité et l'élégance du style ; elle est
très-facile à jouer, on n'y compte que quatre personnages.
OUVRAGES NOUVEAUX.
EPITRES DE M. VIENNET. un vol. in-8š.
Prix : 4 fr., et 5 fr. par la poste.
Ce volume se compose de dix-sept Epîtres remarquables par le mérite du style et
les nobles sentimens qui y sont exprimés.
VIE DE MARIE STUART, reine de France et d'Ecosse, par F. GENTZ un vol. In-
12, traduit de l'allemand par DAMAZE DE RAYMOND, 2e édition revue et corrigée,
ornée de cinq jolies gravures.
Prix : 4 fr., et 4 fr.50 c. par la poste.
Cet ouvrage se recommande par l'intérêt historique qui y règne. Les matériaux ont
été puisés dans les mémoires des auteurs, tous contemporains de MARIE
STUART.
REFLEXIONS SUR L'ART DE LA COMEDIE, PAR M. Alexandre Duval, membre
de l'Institut (Académie Française), in-8š.
Prix : 1 fr., et 1 fr.25 c. par la poste.
CONSTITUTION POLITIQUE de la Monarchie espagnole, traduite en français par
Nunez de Taboada, 4e édition augmenté de la liste générale des cortès, et de tous
les actes du gouvernement jusqu'au 20 mars 1820.
Brochure in-8š. Prix : 1 fr.25 c., et 1 fr.50 c. par la poste.
***
Ouvrages récemment mis en vente à LA LIBRAIRIE FRANÇAISE DE LADVOCAT
DU GOUVERNEMENT DE LA FRANCE depuis la restauration, et du ministère
actuel, 4e édition, revue, corrigée et augmentée d'un Avant-propos et de Notes sur
les Révolutions d'Espagne, de Naples et de Portugal.
1 vol. in-8š. Prix : 5 fr., et 6f. 5o c. Par la poste.
LETTRES SUR LA CENSURE DES JOURNAUX ET SUR LES CENSEURS, ou
Extraits d'une Correspondance inédite relative aux affaires du temps ; par
EVARISTE DUMOULIN.
Prix : 2 f. 5o c., et 3 f. par la poste.
RÉPONSE AU MÉMOIRE DE M. BERRYER POUR M. LE GENERAL
DONNADlEU, contre les sieurs Rey, Casenave et Regnier, suivie de pièces
justificatives. 3e édition augmentée d'une réplique à Me Berryer et de nouvelles
pièces justificatives ; par M. le comte DE SAINT-AULAIRE.
Prix : 2 fr., et 2 fr. 5oc. Par la poste.
CLOVIS, tragédie en cinq actes, par M. VIENNET.
Prix : 3 fr. et 3 fr. 5o c. par la poste.
EPITRES ET POESIES suivies du Poëme de Parga, par le même auteur.
1 vol, in-8š. Prix : 4 fr., et 4 fr. 5o c. par la poste.
Nota. Ces poésies, qui se composent de dix-sept épîtres, sont aussi remarquables
par la beauté de leur versification que par les nobles sentimens qu'on y rencontre.
Leur succès augmente chaque jour.
LES SEDUCTIONS, roman d'une jeune dame, annoncé depuis long-temps et
attendu avec impatience.
4 vol., in-12. Prix : 10 fr., et 12 fr. par la poste.
L'ABBE, roman de Walter Scott (quatrième livraison des Romans historiques)
4 vol., in-12. Prix : 10 fr., et 12 fr. par la poste.
LE LORD DES ILES, et le DERNIER LAI DU MENESTREL, du même auteur. Ces
deux ouvrages formeront la troisième livraison des Romans poétiques.
2 Vol. In-12. Prix : 5 fr., et 6 fr. par la poste.
LE VAMPIRE, nouvelle ; traduit de l'anglais, attribué à LORD BYRON ; imprimé
comme la belle édition des oeuvres de l'auteur, et destiné à y être joint.
Une brochure in-8š. 2 fr. franc de port.
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